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Contes de faits rassemble une vingtaine de nouvelles ancrées sur la complexité de nos relations et sur tout ce qui nous rattache encore à la nature. Derrière des regards posés sur de banales situations du quotidien, les émotions restent omniprésentes. Elles se terrent à l'angle d'un jardin, se cachent sous la toison d'un chien perdu, parfument une boîte à livres ou elles se diluent dans des souvenirs accrochés aux nuages. Car ici la fragilité, le comique, voire le tragique cohabitent. Et au fil des pages, ces quelques coups de plumes, liés à certaines tranches de vie pourraient presque faire office de berceuses pour adultes !
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Seitenzahl: 184
Veröffentlichungsjahr: 2023
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PORTE-PLUMES
UNE PLUIE D’ÉTOILES FILANTES
DES ÉTÉS TOUT EN « ROSES »
L'ÉTOILE DES NEIGES
CLAIRE OBSCURE
IL N'EST DE DÉSERT QUI UN JOUR NE REFLEURIRA
ALERTE ENLÈVEMENT
JE NE SUIS PAS CELLE QUE VOUS CROYEZ !
UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE
NOUVEAU CYCLE
OÙ EST PASSÉ CHARLIE ?
BASSE VENGEANCE
L’ATTRAPE-RÊVES
LES TROIS CLEFS
LE MONDE EN MARCHE
CHAT PERCHÉ
LA BOÎTE À LIVRES
SYNDROME DE GLISSEMENT
PRÉAMBULE
Acte 1
Acte 2
Acte 3
Acte 4
Acte 5
Acte 6
Acte 7
CŒURS CROISÉS
LA LEÇON DE PIANO
Autrefois il était dit aux enfants que depuis très haut dans le ciel, les personnes disparues et accueillies au paradis, veillaient sur les vivants. Pour l’avoir cru pendant longtemps, j’ai laissé les nuages bercer mes plus jeunes années.
Aux beaux jours, couchée dans la petite prairie prolongeant le potager familial, je contemplais le bal céleste de leurs lignes festonnées grisées par le vent. Dans les boucles blanches de ces ondulations, je retrouvais le chignon de ma grand-mère jusqu’à ce que le soleil, déclinant, en ourle les contours de couleurs pastels. Parfois, sans attendre la nuit, elle s’enfuyait dans des nébulosités s'étirant en voiles légers vers l'infini…
Au cœur de l’été, c'est depuis les fenêtres de la maison que je regardais le ciel, broyant le noir de ses nuages menaçants. Puis, la signature rapide des éclairs accompagnait des coups de foudres, éphémères: ils étaient attribués par les anciens, à des disputes entre le diable et sa femme !
Suivait l’automne, poussant le ciel grisonnant à vider ses poches de pluie sur notre campagne. Enfin l’hiver bouchait de brouillards épais ses variations d’humeur. Arrivait alors le moment de me pencher davantage sur mes cahiers d’écolière !
Dès mon entrée dans la vie adulte, les oiseaux se sont ajoutés au cycle de mes contemplations. Ils étaient la passion de l'homme que j'aimais et ils ont marqué de leur envol, toutes les ponctuations de notre grande histoire d'amour. Nous étions entièrement à la liberté de vivre sans les interdits posés par nos aînés. Concentrés sur le monde des volatiles, au lieu de célébrer nos anniversaires, nous fêtions le retour de la belle saison avec l'arrivée des hirondelles !
Leurs cris, rejoints progressivement par ceux de leurs petits, animaient tous nos étés aux abords des fermes, des étangs et des prairies.
Et quand de premiers frimas les rassemblaient sur les fils électriques des villages, nous voyions sans nostalgie, leurs silhouettes noires écrire, en notes serrées, des partitions marquant le temps d'une année qui s'en allait… La vie était devant nous et nous ne comptions pas encore nos printemps !
Au-dessus de nous, toutes nos rentrées étaient marquées par les nuées pointillistes des migrateurs. Suivaient les jolis tracés en « V » de groupes d’oies sauvages ou les élégantes lignes du déploiement des ailes de quelques cigognes.
La morte saison, dénudant les arbres, nous dévoilait la vie d’oiseaux sédentaires peinant à se nourrir dans une nature moins généreuse. Devant nos fenêtres, graines et boules de graisses attiraient les plus affamés à portée de notre télescope.
Et dans les gris de nos campagnes, pourtant anesthésiées par le froid, les oiseaux parvenaient à nous ravir encore ! Le vol de quelques cygnes sauvages, se posant, majestueux et à forts bruits d’ailes, sur un étang gelé fut la magnifique surprise d’un dimanche d’hiver en Lorraine.
Pendant des années, le rythme de notre vie fut entièrement comblé par cette passion. Nos carnets se remplissaient de notes et de croquis. Nos sacs à dos s’alourdissaient de guides ornithologiques, d’optiques et de matériel de prise de sons.
Le tout, emporté régulièrement jusqu’au bout du monde, nous conduisait auprès des hirondelles ayant fui la rigueur de nos hivers. Et, dans les lignes crayeuses de l’avion qui nous ramenait, leurs silhouettes effilées entamaient leur courageux voyage en direction de nos beaux jours.
Mais au fil du temps, quel que soit l'endroit dans lequel nous étions, de jour comme de nuit, le ciel se striait du trafic de plus en plus conséquent des avions. Et dans l'azur, leurs points lumineux créaient des déchirures, un peu comme celles que la vie dépose sur notre parcours.
Car le temps émousse les sentiments et nous étions, comme tout un chacun, conscients que ceux que éprouvions l'un pour l'autre, pouvaient s'en aller. Alors quand nous parlions de l'éventualité de la fin de notre histoire, j’affirmais qu’il me serait impossible de tourner la page. Puisque n'importe où et à n'importe quel moment, il y aurait toujours un chant d’oiseau que nous avions écouté ensemble.
Cependant, les volatiles, dont certaines espèces commençaient à se raréfier, étaient moins nombreux dans nos comptages. Et y compris pendant la période de leurs chants nuptiaux, ils se faisaient de plus en plus discrets.
Quelques printemps sont d'abord revenus sans que nous fêtions le retour des hirondelles. Le quotidien, avec son poids de soucis, a fini par mettre notre beau rituel au second plan… Le ton de nos disputes s'est petit à petit élevé au-dessus des sons de la belle nature environnante.
Puis notre enfant a dû grandir avec ce qu'il appelait « la musique du dehors » en l'écoutant séparément avec l'un ou avec l'autre.
Ainsi après avoir tant conjugué le passé composé, j’ai dû d’abord réapprendre le passé simple pour pouvoir être capable de vivre au présent et d’envisager le futur, selon mes seules aspirations !
Maintenant, au cours de mes balades en solitaire dans la nature, au-delà des bruits de moteurs ou de la musique hurlante des promeneurs, quelques chants d’oiseaux accompagnent encore mes pas. Alors lorsque l’un d’entre eux marque la naissance du jour, salue l’arrivée du soir ou si au cœur de la nuit, un rapace nocturne renchérit, la tristesse m’envahit…
Pourtant de jour en jour, je vois au-dessus de moi les oiseaux disparaître au profit d’avions de plus en plus nombreux à combler nos besoins d’évasion d’un bout à l’autre de la planète. Des mailles d’un filet de lignes blanches tissées sur leur passage, s’échappent encore quelques migrateurs issus de vols qui se font de moins en moins compacts.
Et quand, dans le ciel scarifié par la désinvolture des hommes, le dernier d’entre eux se taira, emprisonné derrière ce grillage dense, il gardera avec lui tout ce qu’il reste de ma nostalgie.
Près de trois semaines après mon arrivée dans cette ville inconnue, à l’heure où les rideaux des magasins se baissaient, les pompiers sont venus me récupérer. J’étais étendu, inconscient, au bord d’un trottoir.
À l’hôpital, mon statut de sans domicile m’a d’emblée été renvoyé par les personnes de l’accueil. J’ai eu le sentiment d’être sur une espèce de banc des accusés, celui de ces êtres méprisables, rongés par leurs addictions et parasitant les services d’urgence !
À propos de mon malaise, les questions se sont fixées vers de supposées consommations excessives d’alcool ou de drogues.
Et puis, les températures approchant les moins dix degrés, comme l’aurait voulu mon état d’homme en errance, n’étais-je pas susceptible d’avoir simulé cet évanouissement pour pouvoir dormir au chaud ? De toute façon mes papiers m’ayant été dérobés, l’absence de preuve formelle de mon identité déclarée, ajoutait de quoi faire de moi un suspect.
Un peu plus tard, j’ai enfin vu naître de l’empathie dans le regard des soignants. En effet, dans les résultats de mes prises de sang, aucune trace d’absorption d’alcool ou de drogue n’a été retrouvée. Seules se sont révélées des carences qui faisaient suite à une longue période de malnutrition.
Une douche chaude, un repas complet et un lit propre m’ont été proposés et j’ai d’abord dormi quatorze heures d’affilée ! Mais lors de la seconde soirée, j’étais tellement heureux d’être à l’abri que j’ai retardé le plus possible le moment de me coucher.
Derrière la fenêtre, je regardais le ciel clair sur lequel s’étaient posés des millions de lumières quand l’image fugace d’une pluie d’étoiles filantes s’est abattue devant les vitres. J’ai alors vite confié aux astres, striant d’argent le ciel bleu marine, mes vœux les plus chers...
Retrouver bien sûr un toit et de quoi manger mais surtout, exister pour quelqu’un quelque part.
Pour moi, l’un n’allait pas sans l’autre ! Car si j’étais devenu un être transparent vivant à peine la cause en était la solitude.
Le fait qu’au cours des mois derniers, aucune main ne m’ait été tendue avait précipité mon entrée dans la précarité.
Pourtant, au cours de mes premières années, les choses se présentaient plutôt bien. Et un papier gardé précieusement au fond d’une des poches de mon sac à dos, le prouve encore.
Sur un dessin que je m’étais appliqué à faire, mes parents me tenaient par la main devant notre maison, plantée dans une pelouse fleurie. À côté, sous un arbre chargé de fruits jaunes, un chat roux, maladroitement reproduit, s’annonçait en cadeau pour mon prochain anniversaire.
Je me demande encore par quelle issue de cette maison coquette, le malheur a-t-il pu s’incruster ? Peut-être par la porte trop souvent ouverte à une collègue de mon père, s’invitant sous divers prétextes, à passer par chez nous. Cette même porte qu’il a fini par franchir une dernière fois pour la suivre en nous abandonnant, ma mère et moi !
Devenu sans emploi quelques mois après, il a vite cessé d’assurer ma pension alimentaire. Puis il s’est fait discret avant de ne plus jamais nous donner signe de vie.
En plus de son travail, ma mère faisait face seule aux tâches ménagères. Et puis, comme elle le pouvait, ou pas d’ailleurs, aux petites réparations de notre demeure…
L’aspect extérieur des lieux, fut le premier à laisser voir nos difficultés. Le jardinet fleuri, envahi par les mauvaises herbes a perdu une grande partie de ses couleurs. Puis, derrière les murs, des signes d’usure ou des pannes en attente d’une solution, compliquaient notre quotidien. Ce que renvoyait cette maison, louée désormais pour nous deux seulement, est devenu de moins en moins engageant.
C’est peut-être ce premier constat de la fragilité du lien entre les êtres, qui m’a poussé, au moment de choisir une orientation à me former à l’ébénisterie. Déjà, j’aimais la chaleur du bois mais surtout, ce métier de bâtisseur de belles choses pérennes me rassurait.
Mon diplôme de menuisier-ébéniste en poche, j’ai trouvé un emploi chez un artisan proche de notre domicile. Ainsi même avec un salaire de débutant, j’allégeais les charges financières de ma mère. Et puis, grâce à mon nouveau savoir-faire, l’état de notre logement s’améliorait.
J’ai redressé des volets branlants, réparé un escalier, redonné vie à quelques meubles et dans ma tête, il me restait une longue liste d’autres travaux à entreprendre.
Maman était fière de mes prouesses mais je la sentais anormalement fatiguée et cela m’inquiétais. De ses arrêts de travail successifs, elle taisait la cause. Et je ne pouvais pas en savoir plus à partir des soins qu’elle recevait.
Ses médicaments et les ordonnances associées étaient hors de ma portée, dans le tiroir fermé du secrétaire de sa chambre. Et c’est à la suite d’un coup de fil m’informant de son transfert à l’hôpital qu’un nom fut mis son le mal qui la rongeait.Le médecin l’ayant examinée a levé l’inconnue sur les raisons de son asthénie. Et il ne m’a rien caché de ce qui nous attendait. La maladie grave dont elle souffrait, allait l’emporter…
Plus que les aides médicales et médicamenteuses, je savais que ma présence à ses côtés était essentielle pour l’aider face à souffrances, et je lui consacrais le maximum de mon temps. Et rapidement, de la disponibilité, j’en ai eu bien plus qu’il ne m’en fallait !
Le carnet de commandes de mon patron s’est allégé de la promesse d’un gros client et au bout de quelques mois, mon salaire ne pouvait plus être assuré.
Ma mère s’affaiblissant de jour en jour, je ne l’ai pas informée de mon inévitable licenciement.
Je passais toutes mes journées à ses côtés, restant dans sa chambre jusqu’à l’heure de la fin des visites, même quand chargée d’antalgiques forts, elle n’était pas accessible. En fin de journée, je rentrais à la maison, uniquement pour me doucher et dormir quelques heures avant de la rejoindre le lendemain.
Quand elle émergeait de l’une de ses fréquentes phases d’anéantissement, elle s’étonnait de me voir aussi souvent présent, je prétextais des congés à récupérer. De toute façon trouver un nouvel emploi s’annonçait quasiment impossible sur place et chercher ailleurs m’aurait obligé à l’abandonner.
J’avais en tête les paroles du médecin et cela seul me tenait à cœur. Alors j’ai laissé de côté les démarches qu’à ce stade, j’aurais pu entamer, pour éviter la chute qui se profilait… Car l’arrêt maladie longue durée de ma mère et ma faible indemnité de chômage ont vite mis nos comptes bancaires dans le rouge.
Après de premiers loyers impayés, j’ai pris connaissance de quelques courriers de relance. Puis j’ai laissé les suivants, non ouverts, sur un coin du bureau. Les menaces, qui se devinaient derrière les enveloppes, je craignais de les affronter. J’étais de toute façon dépourvu des moyens de régler nos échéances !
Au bout de quelques mois, je ne relevais même plus la boîte aux lettres. Je savais que s’y ajoutaient régulièrement de nouveaux avis de lettres recommandées à retirer. Passant par là uniquement pour me mettre au propre, je ne m’occupais de rien d’autre. Ensuite, je suis même resté jour et nuit aux côtés de ma mère jusqu’à ce que, dans mes bras, elle me quitte pour toujours.
Sans elle j’avais pressenti que je serais seul au monde…
J’en ai eu la confirmation lors de ses obsèques, en croisant quelques personnes, des voisins et un peu de famille.
Après avoir prononcé les paroles de circonstance, ceux qui se sont déplacés m’ont vite fui. Ils avaient compris que mon expulsion de notre domicile état imminente. Et je n’ai reçu d’eux aucune offre d’hébergement ou d’une autre aide.
À la fin du mois d’octobre, juste avant la trêve hivernale et peu après le départ de ma mère, un soir, je n’ai pas pu entrer dans la maison. Les serrures de la porte avaient été changées en mon absence. Je ne savais même pas ce qu’il était advenu de nos affaires restées à l’intérieur !
Prenant quelques vêtements et un sac de couchage, mis dans un bagage caché par précaution derrière un buisson du jardin, j’ai quitté cet endroit dont j’étais chassé…
Au cours de ma première nuit dehors, je me suis réfugié, sans pouvoir trouver le sommeil, au coin d’un bâtiment proche de la gare. Et tôt le matin, pour me réchauffer j’ai pris un train pour la première destination qui se présentait. Je n’avais nulle part où aller, alors je suis parti pour n’importe où !
Mon point de chute fut le terminus de ce voyage et j’ai d’abord erré dans les rues d’un bourg qui m’ était inconnu. Les quelques degrés en dessous de zéro qui me tombaient dessus en fin de matinée, annonçaient déjà ceux qui allaient s’ajouter le soir. Trouver un hébergement pour la prochaine nuit fut donc mon premier objectif.
Lorsque dans ma vie quotidienne je disposais d’un confort minimum, je n’imaginais pas l’énergie qu’il fallait déployer lorsque l’on en est dépourvu.
Là où je me retrouvais je ne pouvais rien faire d’autre qu’essayer de trouver le moyen de vivre les vingt-quatre heures à venir. Et déjà je prenais conscience que le lendemain, je serais dans une identique situation.
En fin de journée, après plusieurs heures de recherche, j’ai gagné une première bataille, un abri pour la nuit ! J’étais heureux d’avoir une place en foyer et je n’avais aucune appréhension à l’idée de dormir dans un dortoir d’une dizaine de lits. Le soir, occultant la promiscuité, le bruit et les sollicitations multiples de mes voisins de chambre, je me suis enfoncé dans le sommeil car enfin j’avais chaud…
Mais au petit matin, dans un bar proche, cherchant de quoi régler un café, je n’ai pas retrouvé mon portefeuille. Pendant que je dormais, il était passé dans une autre poche avec son contenu, soit quelques billets et tous mes papiers d’identité !
Comment des êtres démunis peuvent ainsi s’attaquer à d’autres, peut-être plus pauvres qu’eux ? Je me suis interdit de pleurer : je savais, après ce que j’avais vécu ces derniers mois, que cela ne servirait à rien. Et l’assistante sociale du foyer qui m’a reçu, en avait vu d’autres sans doute… Car c’est quasiment avec indifférence, qu’elle a accueilli mes plaintes.
Mais au moins, elle connaissait la marche à suivre pour la réfection de mes documents officiels et sans que les frais soient à ma charge.
Cependant, le dossier constitué impliquait un délai d’attente pour valider ma demande avec en plus, celui de l’administration renouvelant mes papiers... J’étais donc obligé de rester dans cette bourgade en les attendant.
Avant de quitter cette structure dite d’accueil et maudite, j’ai pris le temps d’annuler mon inscription pour la prochaine nuit. Finalement, aux attaques sournoises de mes compagnons d’infortune, je préférais encore le froid mordant de la rue !
Au cœur de la cité, j’ai évité les regroupements de ces hommes et de ces femmes en errance puisque parmi eux, se trouvait probablement la personne m’ayant dépouillé du peu que je possédais. Le terme est peu approprié, mais j’ai en quelque sorte, « élu domicile » dans une rue perpendiculaire à l’artère la plus commerçante de la ville.
Là, un magasin avait tiré définitivement son volet de fer. La porte d’entrée du local, resté sans repreneur, était nichée au fond d’un large arc de béton laissant le sol au sec. Alors, sur le large paillasson restant, j’ai étalé trois cartons épais pour y poser mon sac de couchage.
Malgré le don de trois couvertures ajoutées à mon sac de couchage par la vendeuse du magasin voisin, les températures proches des moins dix s’opposaient à mon endormissement.
Et les nuits suivantes, si de temps en temps, je sombrais dans le sommeil, c’était la fatigue accumulée qui m’y forçait.
Les jours passaient et cette histoire de paperasses tardait à se régler.
Dans leurs bureaux surchauffés ceux qui, par flemme peut-être, laissaient traîner les choses n’avaient aucune idée de ce que cela entraînait pour ceux qui attendaient des documents officiels indispensables. Les répercussions rejaillissant sur des gens vivant comme moi dans la rue, pouvaient être dramatiques.
Car seul, démuni, et sans aucune preuve de mon identité, je n’étais plus personne ! Mais en dépit de ma détresse, j’ai été déclaré sortant de l’hôpital.
La cadre du service a voulu me réserver une place dans la structure que j’avais traversée récemment. Mais je m’y suis fermement opposé. Je ne voulais plus mettre les pieds dans cet endroit !
Je suis donc reparti vers mon abri « d’infortune ». J’y ai retrouvé la commerçante d’à côté ayant abrité, pendant mon absence, mes pauvres biens dans sa réserve. À ceux-ci s’était ajouté un livre, récupéré dans la bibliothèque de l’hôpital et il n’était qu’à demi-lu…
Mon hospitalisation m’ayant redonné un peu de forces, j’ai relevé la tête tentant, malgré le froid vif, d’en reprendre la lecture avant que la nuit m’en empêche.
Pour le reste, après quelques repas complets, je pensais qu’un peu de pain pouvait me nourrir au cours de cette nouvelle journée dehors. Malheureusement, dans les poches des quelques vêtements stockés dans un sac, je n’ai même pas trouvé suffisamment de monnaie pour m’acheter une baguette de pain.
Alors j’ai placé devant moi un gobelet de carton qui, avec ses mots sollicitant les passants, me plongeait dans la honte.
Leur regard, qu’il soit critique, fuyant ou compatissant, je l’avais évité pendant mes premières semaines d'homme sans abri. J’enfouissais ma gêne dans une écharpe qui masquait une partie de mon visage. Et c’est au son d’une ou de quelques pièces tombant de temps en temps dans le godet que j’étais informé des éventualités de pouvoir manger ou pas à ma faim !
Or en attendant les aumônes du jour contribuant à ma survie, avec mes gants, j’avais bien du mal à tourner les pages de mon livre. Et c’est à ce moment-là que le bruit lourd de la chute de plusieurs pièces de deux euros a accompagné la voix douce d’une passante :
- Mais, vous tremblez… Et c’est de froid !
Elle ne s’appelait ni Morgane, ni Jessica, ni Léa. Ces prénoms sont ceux des jeunes filles de ma génération et Louisette avait largement l’âge d’être ma grand-mère.
En dépit d’évidents soucis d’articulations, elle s’est accroupie à côté de moi. Elle s’est ainsi mise à mon niveau pour me parler et m’écouter surtout. Avant de s’absenter pour deux jours, elle a ajouté à son don initial deux billets pour que je mange au chaud dans une brasserie.
Puis elle m’a promis de repasser dès son retour. Ce qu’elle a fait venant avec en prime, une proposition d’embauche dans un atelier de menuiserie quand de nouveaux papiers d’identité la rendraient possible si bien sûr mon profil convenait.
J’ai dû patienter encore une bonne dizaine de jours avant de pouvoir récupérer les cartons plastifiés tellement attendus. Mais dans la chambre que, sans même me connaître, Louisette m’a ouverte, cette attente n’était plus un calvaire…
Je ne saurai jamais, parmi toutes les étoiles filantes rayant l’arrière-plan de la fenêtre de ma chambre d’hôpital, laquelle s’est activée pour exaucer aussi parfaitement mes vœux. Car si dans la maison de Louisette, j’ai retrouvé un toit et une belle santé grâce aux repas que nous partageons, en réalité je reçois d’elle tellement plus que cela !
Avant tout, j’existe de nouveau au travers de l’énorme affection dont elle m’entoure, mais aussi de toute l’aide que je peux lui apporter en retour. Elle est devenue à la fois une mère, une sœur, et une amie. Elle est tout pour moi et à elle seule, elle est bien plus qu’une famille toute entière.
Dans la maison de pierre, enfouie derrière un verger en désordre, je regardais grandir mon petit garçon.