Contes espagnols d'amour et de mort - Vicente Blasco Ibáñez - E-Book

Contes espagnols d'amour et de mort E-Book

Vicente Blasco Ibanez

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Beschreibung

Les Contes espagnols d'amour et de mort, écrits par l'auteur espagnol Vicente Blasco Ibáñez, est une collection de contes poignants qui explorent les thèmes de l'amour et de la mort dans le contexte de l'Espagne. Les récits sont écrits dans un style littéraire captivant qui combine réalisme et romantisme pour créer des histoires immersives et émotionnellement puissantes. Chaque conte offre une exploration profonde de la nature humaine et de ses désirs les plus intenses, tout en capturant l'essence de la culture espagnole. Blasco Ibáñez utilise des descriptions détaillées et une prose lyrique pour plonger le lecteur dans des mondes fascinants remplis de passion et de mystère.

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Vicente Blasco Ibáñez

Contes espagnols d'amour et de mort

 
EAN 8596547456551
DigiCat, 2022 Contact: [email protected]

Table des matières

PRÉFACE
Contes espagnols d’amour et de mort
LE SECOND MARIAGE DU PÈRE SENTO
I
II
III
IV
DIMONI
II
III
COUP DOUBLE
LE PARASITE DU TRAIN
UN FONCTIONNAIRE
LE MANNEQUIN
DEVANT LA GUEULE DU FOUR
LA BARQUE ABANDONNÉE
LA CONDAMNÉE
UN HOMME A LA MER
LA RAGE
LA FILLE DE LA SORCIÈRE
UNE TROUVAILLE
UN GENTILHOMME
LE DERNIER LION DE VALENCE
LE BANQUET DU BANDIT
PERDU EN MER
LE CRAPAUD
LE MUR
PRINTEMPS TRISTE
LA TOMBE D’ALI BELLUS

PRÉFACE

Table des matières

Vicente Blasco-Ibañez, dont les admirables romans ont rendu le nom célèbre dans le monde entier, est assez mal connu en France comme conteur.

Nous avons voulu réparer cette regrettable ignorance d’une partie fort importante de son œuvre, en publiant aujourd’hui quelques-unes des plus belles histoires qui commencèrent à le faire remarquer dans sa patrie, alors que Blasco-Ibañez était, avant tout, le député de Valence et l’un des plus fameux agitateurs républicains de l’Espagne.

Ces contes de jeunesse ont pour décor la campagne valencienne, la huerta magnifique, paradis de fleurs et d’orangers, ou bien les rues et les faubourgs de la ville, cité toujours à moitié arabe, ou encore les plages voisines où pullulent le pêcheur héroïque et le contrebandier hardi.

Mais ce qui rend surtout ces contes curieux, c’est qu’ils peignent les mœurs singulières de cette région qui est, de toute l’Espagne, celle qui conserve le mieux les vestiges de la domination des Maures qui s’y est exercée pendant plus de cinq siècles et a laissé son empreinte dans les âmes violentes et passionnées.

Ce qui se joue, dans ces contes d’un relief saisissant, c’est l’éternel drame de l’amour et de la mort.

A côté de descriptions aux touches sobres, par instants surgissent des éclairs de cette belle humeur levantine qui est un peu cousine des joyeusetés de notre vieux français. Les anciens moines espagnols et les hidalgos ne dédaignaient pas une certaine verve rabelaisienne.

Bravaches et matamores, bandits sensibles ou sournois, caciques, alguazils et alcades parfois coquins, paysans têtus, laborieux, exaltés aussi, vieillards amoureux, contrebandiers, matelots, bohèmes musiciens et ivrognes, tous ceux qui défilent dans ces contes sont extraordinairement pittoresques, s’accordent avec un paysage merveilleux.

Qu’il peigne les âmes ou les décors de son pays, Blasco-Ibañez est toujours le poète incomparable, l’écrivain de génie dont l’un de ses plus clairvoyants admirateurs a dit qu’il ne saurait être comparé comme conteur qu’à notre grand Maupassant[A].

F. M.

Contes espagnolsd’amour et de mort

Table des matières

LE SECOND MARIAGE DU PÈRE SENTO

Table des matières

I

Table des matières

Les habitants de Benimuslin furent stupéfaits de la nouvelle.

Le père Sento se mariait! lui, un des notables du village, le plus important contribuable du district! Et la fiancée, c’était la belle Marieta, fille d’un charretier, ayant pour toute dot sa frimousse brune, son sourire aux gracieuses fossettes, ses immenses yeux noirs, qui semblaient dormir sous les longues paupières, entre deux torsades de cheveux, drus et brillants, qui lui couvraient les tempes.

Plus d’une semaine, cette nouvelle mit en émoi la tranquille bourgade, qui, dans son vaste horizon de vignes et d’oliviers, dressait ses toits sombres, ses murs d’une blancheur éblouissante, son campanile au bonnet de tuiles vertes et sa haute tour mauresque carrée et rouge dont la couronne de créneaux, rompus ou ébréchés, se détachait sur le bleu du ciel.

Il devait être féru d’amour, le père Sento, pour violer ainsi toutes les coutumes. Avait-on jamais vu un homme si riche, possédant le quart de la contrée avec plus de cent outres de vin dans sa cave, cinq mules à l’écurie, épouser une fille qui, dans son enfance, maraudait dans les jardins ou travaillait chez les bourgeois pour sa nourriture!

Ce n’était qu’un cri. Si Mâame Tomasa, première femme de Sento, sortait de sa tombe; si elle voyait sa grande maison de la rue Mayor, ses champs, sa superbe chambre à coucher, sur le point d’appartenir à cette morveuse, qui autrefois lui demandait du pain, que dirait-elle!

A coup sûr, il était fou! Il suffisait de voir la ferveur amoureuse, le sourire niais, les airs conquérants de ce jouvenceau de cinquante-six ans révolus! Les plus indignées, c’étaient les jeunes filles de familles aisées, qui, dans leur égoïsme de paysannes, n’auraient trouvé nul inconvénient, à offrir leur main brune à ce vieux coq de village, qui serrait son ventre proéminent sous une ceinture de soie, et dont les petits yeux, gris et durs, brillaient à l’ombre de sourcils énormes, contenant, au dire de ses ennemis, plus d’un kilo de poils.

Tous convenaient qu’il avait perdu la raison. Tout ce qu’il possédait avant son premier mariage, tout ce qu’il avait hérité de Mâame Tomasa, tout cela devait passer à cette sainte-nitouche, qui avait su l’affoler à tel point que les dévotes, à la porte de l’église, se demandaient si Marieta n’avait pas fait un pacte avec le Malin, et donné au vieux des poudres diaboliques.

Il fallait entendre les parents de Mâame Tomasa, après la grand’messe où l’on publia les bans pour la première fois. C’était un vol qualifié, oui, monsieur! La défunte avait tout laissé à son mari, parce qu’elle croyait à sa fidélité; et maintenant, le grand filou, en dépit de son âge, cherchait un jeune tendron, et lui faisait cadeau du bien de l’autre! La justice était bannie de ce monde, si on tolérait cela! Mais allez donc protester, à notre époque! Monsieur le curé, don Vicente, avait raison de dire que c’était la fin de tout. Ah! si don Carlos était roi d’Espagne, les choses iraient bien mieux!

Évidemment, ce mariage finirait mal. Ce vieux birbe, atteint de rage amoureuse, était destiné à pleurer son coup de tête. Ça allait faire du joli!... Tout le monde savait que Marieta avait un amoureux, Toni le Déguenillé! un vagabond qui avait passé son enfance à courir les vignes avec elle, et qui, maintenant, l’aimait pour le bon motif, et attendait pour se marier, de prendre goût au travail et de perdre l’habitude de boire au cabaret les quatre mottes de terre de son patrimoine, en compagnie de son grand ami, Dimoni, le joueur de musette, autre vaurien, qui venait le chercher du village voisin pour s’enivrer et cuver son vin avec lui dans les paillers où ils s’endormaient ensemble.

Les parents de Mâame Tomasa regardaient maintenant le «Déguenillé» avec sympathie. Voilà celui qui se chargerait de les venger! Et les mêmes gens, qui le méprisaient autrefois, qui détournaient la tête en le rencontrant, allèrent le trouver à la buvette, le jour où furent publiés les premiers bans, et se plantèrent devant ce rustre, assis sur un tabouret de corde, un bout de cigarette collé à la lèvre, le regard fixé sur le pichet, qui, frappé d’un rayon de soleil, se reflétait, mobile tache rouge, sur le zinc de la petite table.

—Eh, Déguenillé! lui disaient-ils, goguenards; Marieta se marie.

Toni accueillait la raillerie d’un haussement d’épaules. C’était à voir!... Nul n’est heureux jusqu’au bout!... Et lui, mordieu! on savait bien qu’il était homme à regarder en face le père Sento, qui, lui aussi, faisait le bravache.

Et c’était vrai: aussi tous s’attendaient-ils à une rencontre à grand fracas.

Sento, suivant sa propre affirmation, était brute comme pas un. Électeur influent, ayant de nombreux amis à Valence, plusieurs fois alcade, il n’était pas rare de le voir brandir, en pleine place, sa grosse trique de Liria, pour en administrer «deux coups», avec la plus complète impunité, au premier importun qu’il rencontrerait.

II

Table des matières

Vint le moment du contrat. Sento ne faisait pas les choses à demi; d’ailleurs Marieta et sa famille n’étaient pas gens à dédaigner pareille aubaine.

Sento la dotait de trois cents onces d’or, non compris les effets et les bijoux, ayant appartenu à sa première femme.

La maison de Marieta, cette hutte située hors du village, sans autre ornement que la charrette devant la porte, et deux ou trois maigres haridelles à l’écurie, fut visitée par toutes les jeunes filles du pays. On eût dit un jubilé! Toutes, en groupes, se prenant par la taille ou le bras, passaient devant la longue table, couverte de blanc, sur laquelle les cadeaux offerts à la fiancée, et son trousseau s’étalaient avec une magnificence qui provoquait des exclamations de surprise.

—Reine et Très Sainte-Vierge! que de belles choses!

Le linge bis, comme l’est la toile forte, s’élevait en piles régulières presque jusqu’au plafond, bien plié, sentant bon la lessive et la propreté: le tout par douzaines de douzaines, depuis les chemises jusqu’aux torchons de cuisine, aux initiales voyantes. Puis c’étaient les dessous, garnis de dentelles à profusion, les vêtements de grosses soies grinçantes aux reflets métalliques; les jupes de percale à ramages, d’une fraîcheur de printemps; les mantilles, aux arabesques fines et compliquées; les corsets blancs et noirs, pointillés de rouge, dont les contours rigides dessinent les formes avec audace; les châles de Manille, sur lesquels des oiseaux de féerie volent en un ciel de soie blanche, et où l’on voit des Chinois, aux têtes de porcelaine, les uns moustachus et fiers, les autres, tondus et niais, admirer des ingénues, qui rêvent, tout éveillées, dans ces contrées mystérieuses, où les hommes portent des jupes... Près de là, les cadeaux des amis: de jolis bénitiers d’alcôve, avec leurs anges de porcelaine; des boîtes de couteaux, des couverts d’argent, deux candélabres majestueux: ceci, c’était le présent du marquis, du cacique de la région, l’homme le plus éminent d’Espagne, au dire de Sento, qui, lorsqu’il s’agissait de le faire nommer député du district, était tout prêt à empoigner son gourdin ou à mettre l’escopette en joue.

Et, comme digne finale de cette exposition, les bijoux brillaient sur le velours grenat des écrins; les boucles d’oreille ornées de perles, les grandes épingles pour le corsage ou la chevelure; enfin, cette parure, fameuse à Benimuslin, que Mâame Tomasa avait achetée quatorze onces, rue des Platerias.

Heureuse Marieta! Elle faisait la modeste et rougissait, lorsqu’elle entendait vanter son bonheur. Il fallait voir aussi les grosses larmes de sa mère, une femme ridée et maigre, insignifiante, et l’émotion du charretier, qui suivait partout son futur gendre et montrait pour lui toute la considération due à un être supérieur.

La lecture du contrat se fit dans la soirée. Don Julian, le notaire, descendit de sa vieille carriole, accompagné de son clerc, un pauvre diable d’aspect famélique, avec un encrier de corne émergeant d’une poche, et du papier timbré sous le bras.

Don Julian fut porté presque en triomphe, dans la cuisine, où l’on avait préparé un grand chandelier à quatre branches.

Le docte personnage avait l’habitude de lire les contrats en dialecte valencien, tout en intercalant dans le texte des plaisanteries de son cru. Les gens les plus graves n’auraient pu garder leur sérieux devant cet homme de loi à la longue redingote noire, semblable à une soutane, au visage frais et joufflu, aux grosses lunettes relevées sur le front, ce qui, pour les naturels de Benimuslin, était un caprice inexplicable, particulier aux grands talents.

Le notaire se mit à dicter à voix basse. Son clerc griffonnait sur les feuilles de papier timbré, pendant que les amis de la maison arrivaient avec le curé et l’alcade, et que les cadeaux de noce disparaissaient de la longue table, pour faire place aux galettes saupoudrées de sucre, aux confitures à l’amande, aux tartelettes, sèches comme du carton, sans compter une douzaine de bouteilles de marasquin.

Don Julian toussota plusieurs fois, se leva en tirant les revers de sa redingote, et tout le monde devint silencieux, lorsqu’il prit les feuilles où l’encre était fraîche encore, et commença la lecture.

En nommant le futur, il fit une grimace, dont Sento fut le premier à rire. Quand il en vint à la fiancée, il salua Marieta d’une véritable révérence de cour et l’on rit encore; mais quand il s’agit des conditions du contrat, tous devinrent graves; un vent d’égoïsme et de cupidité passa dans cette cuisine; Marieta leva la tête, les yeux brillants, les ailes des narines dilatées d’émotion, lorsqu’elle entendit parler d’onces, de la vigne de l’ermitage, des oliviers du Chemin Creux, et de tout ce qui allait lui appartenir. Sento était le seul qui sourît, satisfait qu’une si honorable assemblée pût apprécier sa munificence.

Lorsque les pièces furent dûment paraphées, les gâteaux et les rafraîchissements commencèrent à circuler. Le notaire faisait de l’esprit, pendant que son famélique clerc s’empiffrait pour lui et pour son patron.

La cérémonie prit fin à onze heures. Le curé venait de se retirer, honteux d’être encore debout, alors qu’il avait à dire la messe de l’aube; l’alcade l’avait accompagné; Sento sortit enfin avec le notaire et son clerc, qu’il emmena chez lui pour y passer la nuit.

Les rues étaient obscures. Par delà la maison de Marieta, c’étaient les ténèbres épaisses enveloppant la campagne d’où s’élevaient des bruissements de feuillage et des chants de grillons. Au-dessus des toits, les étoiles clignotaient dans un ciel d’un bleu sombre, les chiens aboyaient dans les cours en répondant aux hennissements des bêtes de travail. Le notaire et son secrétaire marchaient avec précaution, craignant de se heurter à des cailloux.

—Ave Maria purissima! criait au loin la voix rauque du veilleur de nuit. Onze heures! beau temps!

Et don Julian se sentait quelque peu inquiet dans ces ténèbres. Il croyait voir des formes suspectes, des gens aux aguets au tournant de la rue. Soudain une fusée déchira l’ombre, un énorme pétard éclata: tout tremblant, le notaire se colla à une porte, pendant que le clerc tombait presque à ses pieds. Sento demeura vaillamment au milieu de la rue. Crédié! Il savait bien d’où cela venait: «Voyous! Canailles!» rugit-il, d’une voix étranglée par la fureur. Il brandit son gourdin, et avança, menaçant, comme si, au delà de ce tournant de rue, il allait trouver le Déguenillé, avec toute la parenté de Mâame Tomasa.

III

Table des matières

Depuis le matin, les cloches de Benimuslin sonnaient à toute volée. Sento se mariait ce jour-là: cette nouvelle avait circulé dans tout le district, et de tous les villages voisins, accouraient amis et parents, les uns à cheval sur leurs bêtes de labour, portant sur le dos des couvertures aux couleurs criardes; les autres dans leurs carrioles, transportant toute la famille, depuis la femme aux cheveux luisant d’huile jusqu’à la marmaille.

La maison de Sento était transformée en un véritable abattoir. Dans la cour, le boucher du village fendait les cous des poules, les gamins les plumaient avec enthousiasme; partout voltigeaient des nuées de plumes; d’autres se collaient au sol taché de sang. On flambait les volailles, dont la peau était encore hérissée de duvets, puis les victimes étaient suspendues à une branche de figuier, où la mère Pascuala, vieille servante de la maison, avec des délicatesses de chirurgien expert, les ouvrait de haut en bas, pour en extraire le foie et les ovaires, mets exquis pour le déjeuner des marmitons. On voyait dans la cour d’énormes poêles, montrant leurs panses couvertes de suie, et leur intérieur brillant comme de l’argent; des sacs de riz; de grands baquets débordant de saumure, d’où les escargots tiraient leurs cornes, au soleil; et, s’accumulant en un coin, toute une fournée de pains ronds, répandant leur bonne odeur chaude dans cette atmosphère de sang et de graisse. De la cave, sortaient des outres, qui tombaient, tremblantes, sur le sol, comme des corps palpitants; les unes, immenses, contenant le vin rouge pour le repas; les autres, plus petites, renfermant un véritable nectar, clair et capiteux, dont on parlait dans tout le village avec respect.

Dans la chambre à coucher, étaient en réserve les friandises: les tartes, les gâteaux à la crème battue, et toutes sortes de bonnes choses que les enfants contemplaient, de la porte, pâles d’émotion, en se suçant le doigt d’un air gourmand.

La fête promettait. La joie brillait sur les visages enflammés. Dans la cour, on dénouait déjà les peaux de bouc: il fallait goûter le vin et prendre des forces! Là-bas, dans la rue, résonnait la musette de Dimoni, qui, lui aussi, était de la fête...

Enfin, l’heure fixée pour la cérémonie religieuse, était venue. Le cortège nuptial se forma: en avant, une troupe de galopins, faisant des cabrioles autour de Dimoni, qui soufflait, la tête en arrière, dans son instrument; puis les futurs époux: lui, avec son immense chapeau de velours et sa cape à manches qui lui congestionnait le visage; quant à elle... on eût dit une dame de la ville, avec la mantille de dentelle, le châle de Manille, qui de sa longue frange balayait la poussière, la jupe de soie, gonflée par d’innombrables cotillons, le chapelet de nacre au poignet, les oreilles distendues et rougies par ces énormes pendants de perles, que l’autre était si fière de porter autrefois!

Voilà ce qui révoltait les parents de Mâame Tomasa:

—Voleur! trois fois voleur! rugissaient-ils, en regardant Sento.

Celui-ci s’engagea dans l’église, d’un air satisfait, ses petits yeux lançant des étincelles sous ses énormes sourcils. Derrière lui défilèrent les témoins, l’alcade avec sa troupe d’alguazils, le fusil sur l’épaule, et tous les convives, suant à grosses gouttes sous le poids des capes de cérémonie, avec de grands mouchoirs aux pointes nouées, passés au bras, mouchoirs gonflés de dragées qu’ils devaient lancer à la sortie de l’église.

Les curieux, restés à la porte, regardaient le cabaret de la place. Dimoni s’y rendit comme si les sons de l’orgue l’agaçaient. Il s’y rencontra avec le Déguenillé et ses grands amis, tous les miséreux du pays, qui buvaient en silence, échangeant des clins d’yeux et des sourires avec les ennemis de Sento.

Evidemment, un complot se tramait; les femmes commentaient l’événement, d’une voix mystérieuse, comme si elles craignaient que le feu ne fût sur le point de prendre aux quatre coins du village.

Le cortège allait enfin sortir de l’église. Une marmaille, ébouriffée et sale, qui semblait surgir de la poussière, se bousculait à la porte, en criant: «Les bonbons! les bonbons!», pendant que Dimoni s’approchait en attaquant la Marche Royale.

Attention! Sento, en personne, lança une vraie mitraille de dragées, qui, ricochant sur les caboches dures, s’enfoncèrent dans la poussière, où les galopins se mirent à les chercher à quatre pattes. De là, jusqu’au logis des époux, ce fut un bombardement en règle; les dragées ne cessaient de pleuvoir, et les alguazils étaient obligés de s’ouvrir un passage, à coups de pied et de trique.

En passant devant la buvette, Marieta baissa la tête et pâlit de voir son mari jeter un sourire ironique au Déguenillé, qui lui répondit par un geste obscène. Ah! le misérable s’était juré de lui gâter son jour de noce.

Le chocolat attendait. De la tempérance, les amis! c’était don Julian qui donnait ce conseil: il fallait penser que le grand repas aurait lieu dans deux heures. Mais, en dépit d’un si sage avis, on se rua sur les rafraîchissements, sur les corbeilles de biscuits, sur les assiettes de sucreries; en peu de temps la table fut rase comme la paume de la main.

La mariée changeait de vêtements dans la chambre à coucher; elle reparut en robe de percale, les bras nus, les perles de ses épingles d’or brillant dans sa chevelure peignée avec art.

Le notaire causait avec le curé qui venait d’arriver, coiffé d’une calotte de velours, et vêtu de son long manteau à pointes. Les convives allaient et venaient dans la cour, s’informant des préparatifs du festin; les femmes s’étaient mises à l’aise et babillaient de leurs affaires de famille. Près de la porte donnant sur la rue, résonnait l’infatigable musette de Dimoni, pendant que la marmaille se bousculait, se cognait, roulait dans la poussière, pour ramasser les dragées qu’on lançait de l’intérieur de la maison.

Le moment solennel était venu: les plats de riz à la mode du pays, dont le contenu bouillait, en laissant échapper une fumée bleuâtre, furent posés sur la table.

Les invités s’empressèrent de prendre place. Quel splendide coup d’œil! Le curé stupéfait s’écriait: C’est mieux qu’un festin de Balthazar! Et le notaire, pour ne pas être en reste, parlait des noces d’un certain Camacho, dont il avait lu la description dans un livre dont il avait oublié le titre.

Le menu fretin festoyait dans la cour. Dimoni s’y trouvait, et à chaque instant, il envoyait son acolyte à l’endroit où étaient les outres, pour faire remplir son pichet.

Tout le monde s’y était mis consciencieusement. Les dentures, fortifiées par le repas quotidien de salaison, se choquaient allègrement, et les yeux fixaient avec tendresse les grands plats, dans lesquels les morceaux de poulet étaient presque aussi nombreux que les grains de riz, gonflés d’un bouillon substantiel.

Le mouchoir accroché sur sa poitrine, en guise de serviette, il y avait là un gros moine, qui engloutissait les aliments comme un ogre, pendant que les femmes faisaient des manières, portant à leur bouche l’extrémité de la cuiller, avec deux grains de riz, selon la coutume des campagnardes qui trouvent peu décent de s’empiffrer en public.

C’était un banquet de bonne compagnie: on n’y mangeait pas à même le plat; chacun avait son assiette et son verre, ce qui embarrassait nombre d’invités, habitués à lancer un croûton sur le riz, pour signifier que le moment était venu de passer le pichet de main en main.

A peine Marieta touchait-elle les mets du bout des lèvres: elle était pensive et un peu pâle, tournant parfois les yeux avec anxiété du côté de la porte, comme si elle craignait de voir apparaître le Déguenillé.

Ce vaurien était capable de tout. Elle croyait encore entendre les derniers mots qu’il avait prononcés lorsqu’ils s’étaient séparés pour toujours. Il lui avait dit qu’il lui donnerait un jour de ses nouvelles. Le plus étrange, c’était que la grande colère du Déguenillé lui faisait tout de même plaisir, car au fond, elle avait un faible pour ce misérable, avec qui elle avait grandi.

Déjà les plats étaient vides, et l’on servait les spécialités culinaires de Pascuala: poulets rôtis et farcis, filets de porc aux tomates... on tira de la chambre à coucher les vol-au-vent, les gâteaux et les tartes; on vida une bonne bouteille de derrière les fagots. Marieta, une assiette à la main, se mit alors à faire le tour de la table: «Pour la mariée!» disait-elle, d’une voix douce. C’était plaisir de voir les belles pièces reluisantes, tomber sur l’assiette. Tout le monde donna, jusqu’au notaire qui lâcha cinq douros, en se disant qu’il se rattraperait sur les honoraires. Le curé, d’un air maussade, tira deux pesetas: c’était peu! mais l’Eglise était si pauvre en Espagne!

Enfin Marieta ouvrit l’immense poche cousue à sa jupe, où elle vida l’assiette; les pièces y tombèrent en tintant gaiement...

... Le banquet tirait à sa fin; le petit vin clairet produisait son effet. Tous parlaient à la fois; les plus gais criaient: Silence! Silence! et improvisaient des couplets en l’honneur des mariés. Le notaire était dans son élément. Il prétendait que le père Sento venait de le pincer sous la table, prenant ses jambes pour celles de Marieta; il parlait de la prochaine nuit, de manière à faire rougir les jeunes filles et sourire les mères; le curé en gaieté, les yeux humides et brillants, s’efforçait de rester grave en disant d’un air bon enfant: