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Extrait : "Un soir de décembre, dit Monistrol, j'errais seul tout le long des boulevards extérieurs. La fête foraine battait son plein, et au milieu des lumières multicolores, dans les roulements de tambours et les éclats de trombones, je me dirigeais vers une petite baraque décorée d'une immense toile jaunâtre. On y lisait : "MADAME LOLO – FEMME-TORPILLE – Elle est masquée ! C'est une dame du monde !! Mystère !! PRIX : 20 CENTIMES.""
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 133
Veröffentlichungsjahr: 2016
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À OSCAR MÉTÉNIER
SON AMI,
D.L.
Un soir de décembre, dit Monistrol, j’errais seul, tout le long des boulevards extérieurs. La fête foraine battait son plein, et au milieu des lumières multicolores, dans les roulements de tambours et les éclats de trombones, je me dirigeais vers une petite baraque décorée d’une immense toile jaunâtre.
On y lisait :
Devant la porte, un homme se tenait en costume de général, coiffé d’un colback et chaussé de bottes à l’écuyère. Grand et moustachu de roux, les épaules larges, la bouche vineuse, de son épée, il indiquait l’affiche aux badauds, en criant d’une voix de rogomme :
– Ne partez pas sans toucher la main de Madame Lolo, une femme du monde, oui, une femme du mo… onde ! C’est la merveille des merveilles ! Ne partez pas ! Ne partez pas !… Vingt centimes, rien que vingt centimes !… Ô prodige !… Ô gloire des gloires ! Madame Lolo touche votre dextre et vous communique l’esprit et la grâce qui sont en elle !… Ne partez pas sans emporter le frisson de Madame Lolo, une femme du monde, vicomtesse ou marquise, duchesse, princesse peut-être ! Elle est masquée ; vous ne la verrez pas, car si vous la voyiez, vous tomberiez éblouis tant elle est belle, extraordinairement belle ! Vous ne la verrez pas, mais de son contact doux et charmant, de la pression de ses doigts aristocratiques et scientifiques, vous garderez un souvenir éternel ! Admirez la princesse qui, pour vingt centimes, vous donne un frisson, une parcelle de son être, qui s’immatérialise en vous accordant l’auguste faveur d’un shake-hands !… Ne partez pas sans vous prosterner devant Madame Lolo, une femme du monde, oui, une femme du mo… onde !… Entrez, mesdames ! Entrez, messieurs ! Vingt centimes !… Madame Lolo distribue des poignées de mains, et l’on enlève quelque chose de cette créature céleste, de cette Divine ! Vous en vivez, et elle en meurt ! C’est la reine des femmes ; c’est la reine des reines !… Ah ! ne partez pas ! ne partez pas sans avoir frissonné, frissonné au frisson de Madame Lolo !…
J’entrai.
Une manière de duègne attendit que les visiteurs fussent en nombre, et elle souleva un rideau. J’aperçus la Femme-Torpille, une blonde élancée. Elle était en toilette de bal, assise sur un tabouret aux pieds de verre, et ses flots de satin blanc, et de précieuses dentelles, et ses gants noirs très longs, et ses escarpins minuscules, et ses bas de soie gris-perle, et son loup de velours fleuri de points de Venise, ses gestes, et ses sourires, et son jeu d’éventail, et ses distinctions infinies révélaient une personne ignorée du monde des saltimbanques. Je voyais luire au travers du loup ses yeux bleus, d’un bleu saphir et d’une telle lumière que j’en demeurais inquiet et ravi. Non, jamais, je n’avais rencontré des regards pareils, des regards de vierge ou des regards de bête, mais non point de regards de femme : tantôt ils étaient doux, tantôt furieux, chastes ou obscènes, mais sans le « mouillé » particulier des amoureuses. La bouche, petite et rose, toute jeune et bien perlée, avait le sourire indéfinissable que le grand Léonard a immortalisé sur les lèvres de la Joconde. Plaisir ou douleur, compassion ou dédain ? Tout comme la Joconde, en son palais du Louvre, Madame Lolo, sur le tabouret électrique, restait muette.
Déjà, un à un, les visiteurs défilaient aux lueurs du gaz, tendaient leurs mains grasses ou maigres, propres ou sales, recevaient la secousse, riaient, puis versaient un supplément de dix centimes dans l’assiette de la duègne. Il y avait là très peu de femmes, une lingère, deux horizontales, une vieille dame et son monsieur ; parmi les hommes, des maçons, des terrassiers, un cocher, des bourgeois, un croque-mort, des peintres et des gens de lettres. Ceux-ci admiraient béatement, cherchaient le truc, et du dehors on entendait les invitations de l’intrépide barnum :
– C’est une femme du monde, du mo… onde !…
Quand j’avançai la main, Madame Lolo eut un rire joyeux, et je sentis une caresse luxurieuse, au creux de la paume, autour de la grande lettre M (en anglaise) dont les trois jambages disent les lignes de vie, d’amour et de fidélité. Cette caresse était bien vulgaire, bien hardie pour une femme du monde ; mais vous remarquerez qu’il est difficile d’envoyer des œillades sous le masque – l’œillade blonde ou brune exigeant une attitude correspondante de l’arcade sourcilière et même de tout le visage.
Et l’œillade n’accompagnait pas le chatouillement, et rien ne bougeait auprès du nez voilé, des lèvres entrouvertes et de la fossette, le bijou du menton.
On sortit ; d’autres personnes arrivèrent, et sur le seuil de la baraque, j’interpellai l’homme de la Réclame.
– Est-elle vraiment jolie, Madame Lolo ?
– Ah ! monsieur !
– Pourquoi, alors, ne se montre-t-elle pas ?
– Tout le monde en voudrait…
– Et si j’en voulais, est-ce que…
Il me regarda, me scruta de ses yeux fouilleurs, et dit :
– À minuit, on ferme.
– Je serai là. Puis-je emmener Madame Lolo ?
– Non, mon gentilhomme.
– Laissez-la sortir ; je payerai.
– Impossible. Vous vous amuserez dans la baraque, si toutefois vous plaisez à madame.
– Le prix ?
– Rien pour elle, mais vous êtes libre de m’octroyer un pourboire.
– Vous aurez deux louis.
– Très bien. Et la mère ?
– Quelle mère ?
– La vieille, notre quêteuse, celle qui tire le rideau ?
– Une pièce de cent sous, hein ?
– Yes. C’est entendu. Minuit ?
– Minuit.
– Vous passez derrière les arbres… Attention aux gardiens de la paix.
Maintenant, on descendait de l’Élysée-Montmartre, et sous le ciel mort, dans la froidure hivernale, çà et là mouchetée de fleurs de givre, des casquettes ouvraient des fiacres ; plus loin, entre la théorie des becs de gaz mourants aux baisers des ténèbres, les couples amoureux s’enfermaient à la Nouvelle-Athènes ou au Rat-Mort ; plus loin encore, sur les bancs, des cravates rouges lutinaient les filles en cheveux, – et seul, toujours seul, je frappai à la porte de Madame Lolo.
– Toc-toc, c’est moi.
– Soyez le bienvenu, mon gentilhomme, observa l’homme au colback.
Je lui remis les deux pièces d’or promises, et j’allongeai cinq francs à la duègne. Femme et homme, enchantés, résolurent de monter la garde, tandis que je saluai la femme-Torpille.
Elle m’offrit un shake-hands non électrique et me désigna un escabeau :
– Veuillez vous asseoir, monsieur.
Très gracieuse, elle prit place à mes côtés sur une malle et commença :
– Je suis, monsieur, une femme du monde.
– Je n’en doute pas, madame.
– Votre parole d’honneur ?
– Ma parole d’honneur.
– Merci. Je ne vous dirai pas, selon un usage banal : « Vous devez bien me mépriser ! » Je vous dirai, en vous demandant l’autorisation de respecter mon loup : Celle qui vous parle est une malheureuse créature ; elle a la jeunesse, la beauté, la fortune, l’esprit peut-être, et elle souffre toutes les douleurs, de l’impuissance et des désirs… Vous m’entendez ?
– À merveille, madame.
– Et vous me plaignez ?
– Certainement.
– J’ai essayé des bromures, de l’hydrothérapie, des massages, de la liqueur Brown-Séquard ; j’ai essayé du changement d’amoureux ; j’aurais pu, nouvelle Messaline, courir les ignobles maisons, m’aventurer à Lesbos, mais, outre que les Lesbiennes m’inspirent une invincible horreur, je ne voulais pas être la carte forcée d’un monsieur ; je désirais étudier l’inconnu, avant de me livrer. Ici, d’un côté, l’électricité ; de l’autre, la main de l’étranger… Hélas ! jusqu’à cette nuit, si toutes les mains d’hommes éveillent en moi de frénétiques aspirations, aucun résultat ne s’est encore manifesté. Serez-vous plus heureux, monsieur ?
– Je l’espère et le souhaite de tout cœur, madame.
… Pendant les expériences, on cogna à la porte.
– Au nom de la loi, ouvrez ! ordonnait un commissaire de police, malgré la colère du barnum.
Des hommes durent enfoncer les portes.
– Madame, fit le magistrat en s’adressant à l’électrique masquée, vous êtes bien madame la duchesse de Jamaye ?
– Oui, monsieur.
– Je viens, en vertu de pouvoirs réguliers, constater la présence…
Le duc de Jamaye, un grand et pâle monsieur à favoris noirs, allait et gesticulait.
– Voyons, lui dit la duègne, vous nous enlevez notre pain ?
– Votre pain ? bégaya le mari, estomaqué.
– Parfaitement.
Alors, très brave, la duchesse ôta son loup et se mit à hurler :
– Ne partez pas sans recevoir le frisson de la femme du monde !… Oui, de la femme du mo… onde !… Une secousse, vingt centimes !… Ne partez pas… ne partez pas… vingt centimes !…
On riait, on se tordait.
Quant à moi, si j’ai oublié le spectacle étrange de la baraque, l’entrée soudaine du commissaire, la crânerie de la dame, les gémissements de la duègne, les gaietés des agents ; si j’ai oublié le décor de la neuvième chambre (adultère) – par les soirs printaniers, il me monte aux lèvres un goût de verveine, et je tressaille de la secousse de Madame Lolo, de son frisson léger et voluptueux.
Il était six heures du soir, et les derniers baisers de l’astre saluaient le déclin d’une magnifique journée automnale, empourpraient la place du Château-d’Eau, irradiaient les gerbes liquides de la grande fontaine, éclaboussaient de feux rouges et jaunes les vitres des maisons, s’accumulaient autour de la statue, réchauffaient, animaient le lion de bronze, le criblaient de mille dorures et semblaient enlever la Femme de France dans une apothéose, en jetant sur la terre l’or et le sang du ciel.
Devant la station d’omnibus, Gustave Monistrol allait et venait, le monocle à l’œil, ses brunes moustaches hérissées, et il grondait :
– J’en ai assez des femmes du monde, des actrices, des horizontales et des petites ouvrières ; j’en ai trop de la noce parisienne ; je veux et j’aurai une bourgeoise de province !
Justement, un monsieur et une dame attendaient l’omnibus.
En redingote noire et en chapeau à haute-forme, long et maigre, avec un visage pointu où broussaillaient des poils grisâtres, le monsieur observa :
– Il y a plus de mouvement ici qu’à Trimont-les-Fougères.
– Oh oui ! fit la dame, une gentille roussotte, vêtue d’un corsage en lainage écossais, pas bien distinguée, mais très aimable, très vivante, sous son joli chapeau à plumes et à fleurs.
Tous deux paraissaient émus, ravis par la nouveauté ou la splendeur des êtres et des choses, et Monistrol qui admirait les beaux yeux de madame, se dit, le cœur en joie : « Voilà mon affaire ! »
Les provinciaux et le Parisien s’installèrent dans l’omnibus ; on causa de la place du Château-d’Eau jusqu’à la Madeleine. Ici, les trois voyageurs disparurent.
Bientôt, Monistrol entrait au Cosmopolitain-Club, rue Castiglione, et écrivait :
À Madame Blanche Vatinel,
hôtel du Danube
rue Godot-de-Mauroy.
« Chère âme,
J’ai senti votre main trembler dans la mienne… Je vous aime et bénis le Dieu des omnibus… Votre jour et votre heure, s. v. p. Veuillez parler à Alfred, le petit chasseur du Cosmo-Club auquel vous pouvez avoir toute confiance.
Je vous baise les lèvres et les pieds, tendrement, passionnément, irrésistiblement.
GUSTAVE. »
Puis, l’amoureux de Mme Vatinel ordonna à un valet de pied de lui envoyer Alfred.
Or, cet Alfred se trouvait en course. Le valet de pied proposa Félix et Lucien ; mais, Monistrol crut devoir attendre le messager habituel de ses billets d’amour.
Gustave avait ses raisons. Jamais chasseur de restaurant, de café ou de cercle n’exerça aussi bien son ministère que le petit Alfred, un galopin de quinze ans dont la tête fine et blonde et le corps gracile évoquaient le souvenir d’un jeune page de Charles X. Fort correct en sa livrée noire à liséré rouge, coiffé d’une casquette de toile cirée aux initiales d’or : C.– C., Alfred faisait la leçon à tous les vieux chasseurs des établissements parisiens, même aux plus illustres, à Victor, du café de la Paix et à Gérôme, du Helder. Nul mieux que lui ne savait glisser un billet doux entre les doigts de la femme d’ami, au nom de l’invité et à l’insu de l’amphitryon ; nul mieux que lui ne savait conduire un joueur dans une voiture stationnée et annoncer : « Entrez, monsieur ; baissez les stores, madame. Il taille, il est en veine, il abat des huit et des neuf. Amusez-vous ; prenez votre temps ! » Nul mieux que lui enfin ne savait trahir l’un pour l’autre et tous les deux en l’honneur d’un troisième. Grâce à l’infâme petit chasseur, un vent d’adultère soufflait sur le Cosmopolitain-Club ; des ramures poussaient à la tête des banquiers et des pontes, – et l’enfant aurait pu s’écrier, digne émule de Lucrèce Borgia : « Messieurs, vous êtes tous cocus ! »
De retour au cercle, Alfred vint aux ordres de M. Monistrol.
– Pour une dame de la province, déclara Gustave, en remettant sa lettre au chérubin… Tu sais, Alfred, c’est une provinciale… Pas d’effronterie… De la tenue ! de la tenue !
– Oui, monsieur le baron.
Pendant que le joli page se dirigeait vers l’hôtel du Danube, M. Adhémar et Mme Blanche Vatinel, lestés d’un bon dîner de table d’hôte, montaient à leurs chambres. Ah ! les braves gens, et comme ils respiraient un air de province ! Si M. Adhémar, ex-directeur du collège de Trimont-les-Fougères (Creuse), gardait toujours les graves allures du professorat directorial, Blanche, fille de riches fermiers des environs de la Souterraine, riait et jasait, émerveillée des beautés de Paris.
Mme Vatinel dépliait des paquets du Louvre, du Bon-Marché et du Printemps :
– Regarde, Adhémar, regarde… Des écrans du Japon à treize sous !… Des mouchoirs ourlés et brodés à dix sous… Des agendas gratis !… On ne le croira pas à Trimont-les-Fougères !
Adhémar souriait, heureux du bonheur de sa femme. Lui, pauvre directeur du collège et déjà vieux, il avait eu cette rare fortune d’être distingué par Blanche, son ancienne élève, une veuve pimpante et millionnaire qui venait de l’épouser, malgré les ragots des voisins et les colères de la famille. C’était leur voyage de noces, et M. Vatinel essayait de masquer les sévérités professionnelles sous des dehors mondains et burlesques.
– Ai-je l’air trop sérieux, Blanche ?
– Mais non, Adhémar.
– Un drôle de type, ce citoyen de l’omnibus, ce baron Gustave Mo… Motis… mo… mostrol…
– Monistrol.
– C’est ça. Quelque commis-voyageur, sans doute.
– Parbleu !
– Il est bien familier, ce garçon-là ; il est mal élevé et j’avais envie de lui flanquer cinq cents vers et une retenue de promenade, quand il s’est permis de te baiser la main.
– Sur le gant, Adhémar, sur le gant.
– Du gant à la peau, madame, et de la coupe aux lèvres !
– Qu’est-ce que cela veut dire ?
– J’établis une figure de rhétorique…
– Oublie donc les punitions et les rhétoriques puisque tu as vendu ton collège.
– Et vous, madame, oubliez le voyageur de l’omnibus !
– Vilain jaloux !…
Le petit chasseur du Cosmo-Club entra d’un pas léger à l’hôtel du Danube et demanda :
– Monsieur et Madame Vatinel.
Il lui fut répondu par la dame de comptoir absorbée en ses écritures :
– Vatinel… Troisième étage… Chambres 74 et 76.
Craignant de faire naître des soupçons, Alfred n’osa pas s’informer davantage ; mais, en haut, il apprit d’un valet de chambre que madame occupait le 74 et monsieur le 76.
Doucement il frappa au 74, et comme il y pénétrait, une main le saisit et une voix gronda :
– Tiens, un collégien !
Blanche, atterrée, se glissa entre ses draps ; l’ex-directeur du collège de Trimont-les-Fougères ne lâchait plus le page du Cosmopolitain-Club :
– Polisson, vous osez vous introduire dans la chambre d’une femme mariée !
– Monsieur…
– D’abord, jeune pourceau, à quel collège appartenez-vous ?
– Au Cosmo.
– Hein ?
– Au Cosmopolitain-Club.
– Qu’est-ce ?
– Un cercle.
– Ah ! vous employez aujourd’hui le vocable « cercle », au lieu de dire : prytanée, gymnase, lycée, collège, école…
– Monsieur…
– Silence. Combien êtes-vous ?
– Trois chasseurs, neuf valets de pied, deux maîtres d’hôt…