Courez ! Bougez ! - Philippe Coldeboeuf - E-Book

Courez ! Bougez ! E-Book

Philippe Coldeboeuf

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Beschreibung

Jacques Martineau, impatient de prendre sa retraite, envisage une randonnée de la pointe du Raz à Menton. Cependant, un coup de fil inattendu va radicalement bouleverser ses plans, et l’entraîner malgré lui vers des chemins arides et inconnus. Obligé de faire face à ce nouveau paradigme, il entame un voyage plein de rebondissements dont le seul but est de rester en vie.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Philippe Coldeboeuf exprime ses réflexions sur l’humanité, le présent et le futur à travers ses écrits. "Courez ! Bougez !" témoigne d’une expérience personnelle qu'il désire partager avec les lecteurs.

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Philippe Coldeboeuf

Courez ! Bougez !

Roman

© Lys Bleu Éditions – Philippe Coldeboeuf

ISBN : 979-10-422-2474-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122 – 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122 – 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335 – 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

Année 2018

Déjà la retraite

Le dix-huit juin, deux mille dix-huit, Jacques Martineau à soixante ans et demi, après quarante et un ans de travail, solde pour le reste du mois ses congés avant son départ effectif à la retraite le premier juillet.

Il est officiellement à la retraite. Adieu le travail en Vendée. Il rejoint donc sa femme Lysiane, qui elle travaille dans la Vienne, où elle est directrice d’un établissement socioculturel. Fini les aller et retour, il va enfin pouvoir terminer la restauration de la petite longère poitevine qu’ils ont acquise pour passer une paisible retraite.

Il y a encore beaucoup de travaux de rénovation à effectuer. Pour le moment seule la pièce de vie y est habitable. Elle a tout en un, la cuisine, le salon, la chambre. Comme dans un loft en longueur de soixante mètres carrés. Un peu moins de confort que dans leur ancienne maison de Vendée, mais avec du courage et du temps, elle va devenir largement plus confortable et agréable, d’autant qu’elle est située sur un terrain vallonné et boisé d’un demi-hectare. L’endroit idéal pour profiter du bon temps et des joies de la nature dans un coin tranquille. Le hameau ne compte que quatre-vingt-sept habitants.

Jacques a quelques appréhensions, beaucoup de personnes attendent ce passage à la retraite. Lui, il le redoute un peu, il a peur de s’ennuyer, il n’y a pas d’école pour apprendre la retraite, elle s’apprivoise au jour le jour, préparé ou pas. Il faut l’assimiler par soi-même. Pour Jacques le plus dur est la désocialisation. Il se demande pourquoi son téléphone ne sonne plus. Il n’a plus de problème à résoudre ni de projet à créer pour le travail.

Il sait qu’il ne reverra certainement pas de connaissances de Vendée ni d’anciens collègues de travail. Il va falloir qu’il se crée un nouveau réseau de relations. En venant vivre ici, il s’est rapproché de ses quatre enfants, Coralie, Maxime, Camille, Charlène, et des trois filles de Lysiane, Aurélie, Mélodie, Carine. Il les verra plus souvent, sauf Charlène qui habite du côté de Carcassonne, et Mélodie qui, elle, vit en Norvège. Pour celles-ci, cela ne changera pas grand-chose.

Tout près dans la commune voisine, il y a François Rivière, l’ex-beau-frère de Lysiane, avec qui ils sont restés amis. À tel point que l’un comme l’autre quand ils se présentent à quelqu’un se disent cousins ou beaux-frères.

Véronique et Hervé, eux aussi sont proches, c’est presque comme de la famille. Ils habitent un logis fortifié du moyen âge. Pour plaisanter, Jacques les surnomme le Duc et la Duchesse du logis et leurs filles, les princesses Maeva, Samantha, Lila, que des prénoms qui se terminent en A.

Maeva, l’aînée, est très observatrice, elle est capable bien qu’elle soit encore jeune de cerner les traits de caractère d’une personne assez rapidement.

Samantha, la cadette, a tout pour être reine… du maquillage et du déguisement. Elle adore monter des spectacles avec ses deux sœurs, mais ce qu’elle préfère c’est de jouer les Miss France, bien sûr.

Lila la benjamine porte bien son prénom. C’est une petite fleur qui semble, sous des airs timides, sage et fragile, mais qui au contraire aime rire, chanter, et faire des blagues.

Un sacré trio de princesses qui deviendrait très vite un brio de jolies diablesses.

La grande Sylvie, amie de toujours, divorcée, au caractère bien trempé, a en permanence l’avis contraire du contraire, mais tellement sympa !

Finalement, tout ce petit monde est un bon début pour s’intégrer dans le paysage rural de ce nouveau lieu d’habitation.

Jacques va devoir apprendre tout un tas de choses comme ; ne pas faire la vaisselle du midi, s’endormir dans un fauteuil poang du salon devant le journal de treize heures. Attendre Lysiane à rentrer le soir. Rouler moins vite, enfin essayer, faire les courses alimentaires pendant la journée. Prendre son temps, ne se raser qu’un jour sur deux ou pour les grandes occasions. Rester en pyjama jusqu’à midi, ne pas se mettre la pression, profiter de ne rien faire, tout un programme.

Pourtant ce nouveau mode de vie sans contrainte, autre que celle qu’il se met lui-même le déstabilise. La solitude lui pèse un peu au début. Jacques croit que l’on s’y accoutume, qu’elle repose et qu’elle finit un jour par manquer. Elle devient une source d’oxygène dans le temps et pour soi-même. D’ennemie au départ, elle finirait par devenir la compagne idéale. La solitude serait-elle une maîtresse qui se conjugue avec amour ? Jacques qui dans son travail croisait énormément de personnes avec qui parler, ne converse plus beaucoup, d’ailleurs avec qui peut-il le faire ici, tout seul dans sa maison ?

Sa parole se perd dans le vent et s’écrase sans résonance sur les murs, si bien que son monologue en devient inutile. Quand on ne parle plus, le silence devient pesant. Il se rajoute à la plénitude grandissante de cet isolement loin du monde des actifs dont l’absence semble plonger Jacques dans le néant. Qui dit, pas de parole, dit, pas d’écoute, à part le chien, les oiseaux, qui peut entendre Jacques ? Et lui, que peut-il écouter ? Le bruit des appareils ménagers ou des meubles qui craquent ? Une voiture qui passe au loin ? Le frissonnement du temps qui s’écoule ?

Jacques craint de perdre en mobilité, car certes mobile, mais pour aller où ? Il va falloir trouver de quoi bouger pour remplir ce fameux agenda que tous les retraités disent être plein. Lui se demande comment peut-on être débordé en étant à la retraite. Il n’a jamais entendu parler d’un retraité qui avait fait un burn-out. Il pense que son cerveau risque d’avoir beaucoup de manques. Pourra-t-il compenser l’occupation de huit heures de travail journalier ? Il se disait prêt, aujourd’hui il sait que c’était de l’autopersuasion. Il ne regrette pas pour autant, il va s’adapter, trouver des activités, des loisirs, dompter le temps.

2

Un imprévu dans l’agenda

Le temps s’écoule et Jacques commence à s’accommoder tant bien que mal à la retraite.

En septembre, il souffre un peu d’une molaire cariée à la base de la racine et il sent une petite grosseur à l’intérieur de la joue. Il pense que ce renflement est un quelconque abcès dû à la dent abîmée. Il obtient à la fin du mois un rendez-vous chez le dentiste qui lui prescrit une radiographie panoramique dentaire. La conclusion de cet examen est :

Processus tissulaire vascularisé et hypoéchogène non spécifique jugale et inférieur droit. Face à la présence d’une potentielle atteinte sous la couronne de la 46 à proximité, on présume une origine infectieuse.

À la lecture de cette conclusion, Jacques pense « En clair ou en français pour les nuls ça veut dire quoi ». Ça voulait dire rendez-vous chez un chirurgien maxillo-facial, direction la table d’opération sous anesthésie générale, le dix-neuf décembre, pour extraction de cette satanée dent, et ablation de la grosseur devenue maintenant de la taille d’un pouce.

Jacques est comme presque tout le monde. Il n’aime pas être endormi. Il a la « trouille ». Son truc, c’est de penser que ce temps ne compte pas, zéro on dort, un on se réveille. Oui, mais lui il se réveille désorienté. Il voudrait parler, il ne sent plus ni sa langue ni ses lèvres. Il arrive cependant à balbutier à l’infirmier de la salle de réveil :

— Ouuué lo nooor ? L’infirmier ne comprend pas, Jacques insiste.

— Ouuué lo nooor ? Ouuué lo nooor ?

L’infirmier :

— Le Nord ?

— Huuum ! dit Jacques en hochant de la tête.

— Par-là ! répond l’infirmier en montrant une fenêtre aux carreaux opaques, par lesquels il est absolument impossible de vérifier la véracité de l’orientation du fameux pôle. Jacques reprend ses esprits, il n’a pas perdu le Nord.

L’opération s’est bien passée. Le chirurgien lui annonce qu’il a curé généreusement le renflement jugal (oui c’est plus technique qu’une grosseur), vraiment bénin, et qu’il l’envoie à l’analyse pathologique (Anapath), pour rassurer Jacques.

Voilà les fêtes de fin d’année qui arrivent. Jacques est à la bouillie pour quelques jours, la joue gonflée comme une balle de tennis bleuie, cerclée de jaune et barbue, ce qui fait bien rire ses petits-enfants le jour de Noël. En fait, si cela ne lui faisait pas mal avant l’opération et bien cette fois il est servi, c’est NMM, Noël Menu Mixé.

La nouvelle année montre le bout de son nez. Jacques ne souffre plus de rien et peut manger normalement. Il ne pense même plus à cette opération ni à cette histoire d’Anapath. Tout va bien. Il entrevoit un retour au calme et envisage de se remettre sérieusement à la rénovation de la maison. Il a de quoi s’occuper, isolation, raillage, placo, enduit, électricité, plomberie, menuiserie, carrelage, faïence. Il a l’intention de tout faire lui-même, il aime ça et en plus il a le temps.

3

Année 2019

Drôle d’annonce

Le 17 janvier 2019, trois jours avant son anniversaire, il reçoit en milieu de matinée un message vocal sur le répondeur de son téléphone portable. Il a dû sonner quand Jacques était dehors.

« Bonjour, j’ai les résultats de votre Anapath ». Le discours tourne autour du pot pour finir par… « C’est un Lymphome, je vous ai pris un rendez-vous en urgence, le 22 janvier à 10 h 40 avec un cancérologue du Centre Hospitalier ».

Patatras, Jacques se serait fait casser la figure par les troupes barbares d’Attila que cela n’aurait pas été pire. Il est effondré en larmes, seul chez lui. Son chien ne comprend pas ce qui lui arrive, il se colle à son maître. Il reste avachi dans un fauteuil du salon, le temps n’existe plus. La base solide qu’il est vient de s’effondrer, il a l’impression de ne plus habiter seul son corps, qu’un intrus y est entré par effraction, d’une violence qu’il n’avait pas encore rencontrée.

Le cancer était là, en lui, à faire son œuvre maléfique, sournoisement, sans le faire souffrir, sans rien en ressentir. Jacques au bout de quelques instants, il ne pourrait dire combien ? Mais il se ressaisit, se relève du fauteuil, prend son courage à deux mains, son téléphone. Il faut annoncer la « mauvelle », mauvaise nouvelle à Lysiane, son épouse, comment lui dire, pourquoi ne pas attendre le soir, trop dur à porter, à supporter.

— Allo, excuse-moi de te déranger au travail, j’ai une très mauvaise nouvelle.

— Ah, c’est quoi ?

— J’ai les résultats de l’Anapath, tu es assise ? C’est un cancer.

— Non arrête de me faire marcher, tu vas bien.

Jacques est en général d’un naturel blagueur.

— Malheureusement, non, je peux jouer avec tout, mais pas ça, pas la maladie, pas le cancer.

— Non, non, non, pourquoi ?

— Il n’y a pas de non, ni de pourquoi, c’est comme ça, moi, comme les autres, ma grand-mère disait toujours, « faire face », c’est le moment.

Jacques fait le fanfaron devant Lysiane pour ne pas trop l’inquiéter, comme si elle était dupe. Cinq, c’est le nombre de jours interminables qu’il mettra à accuser le coup, cinq c’est le nombre de nuits qu’il passera à ne pratiquement pas dormir, dans l’attente du rendez-vous fatidique.

Comme souvent, après le déjeuner, François passe se faire payer le café en allant voir sa mère qui habite deux hameaux plus loin. Il tombe bien, Jacques ne va pas s’angoisser de trop, ils vont discuter comme d’habitude. Jacques ne sait pas s’il doit lui annoncer cette mauvaise nouvelle et faire semblant d’être détendu, mais son visage déconfit ne cache rien de son moral.

— Salut Jacques, tu en fais une drôle de tête, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

François voit bien qu’il y a quelque chose, Jacques hésite à lui dire, mais il ne peut pas garder cette information.

— Salut, assieds-toi. Et Jacques lâche le morceau.

François est un ancien « flicard » comme il dit, mais depuis qu’il est lui aussi en retraite, il est devenu très émotif, sûrement le relâchement de pression. Ce grand poulet d’un mètre quatre-vingt-cinq et cent trente kilos, ne retient plus ses sentiments, et le vieux de la vieille de la brigade anticriminelle laisse couler une larme dans le coin de l’œil.

— Ah, c’est la merde ! François reste sans voix.

— Ce n’est pas que tu crois que je vais me laisser croquer par cette saloperie, attend, il faut que je voie le cancérologue avant de tout dramatiser, je suis encore debout.

C’est ainsi que le vingt-deux janvier, Jacques et Lysiane, l’angoisse au ventre, se retrouvent au Pôle Régional de Cancérologie (PRC). Rien que l’arrivée sur le parking est impressionnante. L’immense hall de l’entrée ou l’on ne sait quelle direction prendre, pas à gauche c’est la cafétéria, pas à droite c’est l’accès à la radiothérapie, en face le dégagement qui mène au Centre Hospitalier. Finalement il faut monter par l’escalier magistral qui distribue uniquement le premier étage. Il doit bien y avoir un ascenseur quelque part, mais ils ne l’ont pas vu. Sur le palier, impossible de se tromper. À droite les hospitalisations de jour, à gauche les consultations, pas de doute ils sont au bon endroit.

Donc à gauche, à l’entrée du service, Jacques prend un ticket et va s’asseoir à côté de Lysiane ou d’autres personnes sont déjà installées. Il a le numéro 43, sur le panneau électronique au-dessus des trois guichets, dont un seul est ouvert, on peut lire le numéro 39. Il va falloir patienter. Le 40 s’affiche, le temps est long. Le 41, une minute semble une heure, le 42 le stress monte. 43, c’est le tour de Jacques. La secrétaire médicale crée le dossier informatique, puis elle indique la salle d’attente numéro 4, celle du docteur Frappier.

Le chemin pour y parvenir semble un vrai labyrinthe, Jacques en perd le nord, il y a de quoi. En apercevant par la fenêtre de la salle d’attente, l’hélicoptère jaune du Samu sur sa piste d’envol, à côté de l’entrée, il se repère, mais cela ne fait pas accélérer le temps dans cette salle qui porte bien son nom. Dix minutes passent, les patients aussi, des sueurs froides montent dans son dos, encore dix autres minutes, patience, dix nouvelles minutes, « malade ou patient », se dit-il.

Enfin la porte du docteur Frappier, oncologue hématologue, s’ouvre. Les voilà au pied du mur, dans le vif du sujet, le résultat de l’Anapath tombe :

« Lymphome malin B à petites cellules de phénotype CD20+, CD5 –, CD10 –, avec monotypie K dont l’aspect morphologique et le profil immunohistochimique s’accordent avec un lymphome de la zone marginale de type MALT. »

Jacques accuse le coup, il ne sait plus trop bien où il habite, il prend conscience que ce n’est pas rien qu’une petite grippette. Heureusement que Lysiane est là pour poser les bonnes questions. Le docteur Frappier se veut rassurant. C’est un homme qui inspire la confiance et qui ne laisse rien passer. Après un examen clinique ; tension, cœur, palpation des ganglions, poids stable à soixante-douze kilos, absence de signes généraux, pas de douleur particulière, il prescrit un bilan biologique à faire immédiatement sur place, un TEP (examen tomoscintigraphique), une fibrogastrique. Le tout pour faire une synthèse et proposer une solution thérapeutique adaptée à ce lymphome.

Si la maladie est localisée, une simple surveillance ou éventuellement une irradiation ponctuelle. Si la maladie n’est pas localisée, un traitement systémique pourrait être proposé.

Les dates des examens ne sont pas avant un mois minimum. Jacques se laisse à penser que ce n’est pas si grave que cela n’y paraît, c’est ce qu’il espère. La réalité c’est qu’il n’y a aucune date proche de disponible. Le docteur Frappier accompagne Jacques et Lysiane jusqu’au bureau des infirmières pour la prise de sang (Pds) et les salue sympathiquement et finit par : « Bon courage ».

Jacques se dit que ce n’est pas le courage qui manque, mais que c’est juste la ligne d’horizon qui soudainement devient de plus en plus floue.

Mais qui est cette infirmière ? Ne serait-ce pas Marie Girard ? Si ! C’est elle, Marie, la fille du maçon du village. Cela détend l’ambiance si l’on peut dire, et confirme malgré tout que ce n’est pas un mauvais rêve. Après le prélèvement de quatre tubes de sang, Jacques et Lysiane se retrouvent sur le parking l’air ahuri, un peu plus perdus. Sortant de nulle part, sur une autre planète où les habitants sont tous en blouse blanche ou l’air est chaud et pesant. Jacques ne se sent pas de taille à conduire, son esprit est encore dans le bureau du docteur Frappier, il réalise qu’il vient de mettre le pied dans le milieu médical et certainement pour longtemps.

Dans l’attente des prochains rendez-vous, Jacques reste très perturbé, il essaie de penser à autre chose, avec un fond d’angoisse permanent. Lysiane travaille encore, mais elle prendra le temps nécessaire pour l’accompagner aux rendez-vous, pour l’accompagner tout court.

Jacques est seul à la maison et tente de sortir pour voir du monde, se changer les idées, mais il y a toujours quelqu’un pour poser la question qu’il ne fallait pas :

— Bonjour Jacques, comment vas-tu ?

— Bien on vient de m’annoncer que j’ai un cancer, mais je vais bien.

— C’est une blague ?

— J’ai l’air de blaguer ?

Pas facile d’éviter ce genre de conversation, et parfois certains de rajouter :

— Je comprends !

Mais que peut-il comprendre lui, alors que Jacques n’est pas en mesure de le faire. Tant et si bien que pour l’instant Jacques n’ayant pas envie d’affronter ces paroles maladroites, décide de rester à couvert et à bricoler dans ses murs au fin fond de son hameau paisible. Il se dit que rien ne sera plus fort que lui-même dans ce combat pour la vie, lui et la médecine bien sûr. En tous cas plus jamais il demandera à quelqu’un « comment vas-tu ? ».

4

Mise en examen

Le huit février à la première heure d’ouverture, c’est le rendez-vous pour le TEP. Jacques et Lysiane arrivent sur le parking du bâtiment du service d’imagerie moléculaire, juste à côté de celui du PRC. L’inscription au secrétariat se fait à gauche en entrant, à part la carte vitale, rien d’autre à présenter, tout est dans le dossier informatisé. Passage obligé, mais rapide dans la salle d’attente, puisque pour cet examen tomoscintigraphique au 18 FDG, pas d’attente :

— Monsieur Martineau, c’est à vous !

Il n’a pas eu le temps de trouver le temps long. Il disparaît avec l’infirmière derrière la porte orange à double battant. Elle l’installe sur un fauteuil de soins dans une petite alcôve sombre.

— Avez-vous déjà eu ce genre d’examen ?

— Non c’est la première fois.

— D’accord, je vous explique. Je vous mets sous perfusion de glucose et dès que le produit révélateur (18 FDG) est prêt pour vous, je vous l’injecte, cela dure trois minutes, mais avant je vais prendre votre taux de glycémie.

Avec un petit appareil à aiguille, elle pique Jacques au bout de l’index pour récolter une goutte de sang, taux à 1,13 g/l, c’est convenable, pour soixante-dix kilos. Jacques en a perdu deux. Il se dit que trois minutes ça va aller, ce n’est pas long, mais elle n’a pas fini de donner son explication.

— Ensuite dès que la mini pompe à injection bipe, je vous l’enlève, je laisse la perfusion, vous restez dans le fauteuil au repos une heure, le temps que le produit se diffuse dans tout votre corps, après je vous déperfuse et nous passons au TEP, ça vous va ?

Elle rigole, sort de l’alcôve et ferme le rideau qui le sépare du couloir. Elle revient huit minutes plus tard avec le produit, vous connaissez la suite. Avant qu’elle ne referme le rideau, Jacques a remarqué qu’il y a dans cette salle en forme de large couloir, sept autres alcôves comme la sienne, soit huit plus ou moins patients comme lui potentiellement atteints d’un cancer. Une heure à attendre c’est encore long, mais derrière le rideau il y a toujours de l’animation, tous les quarts d’heure un autre rideau s’ouvre, il n’y a pas « d’entre actes ». Un patient va au scanner, un autre prend sa place sur le fauteuil. Derrière cette salle de couloir, il y a deux autres salles avec chacune son appareillage d’examen. Jacques est un ancien technique, il aime bien compter, donc pour passer le temps il compte dans sa tête :

Le service du TEP est ouvert de 8 h 00 à 12 h 00 et de 13 h 30 à 18 h 00, donc 68 personnes par jour au maximum peuvent passer ici pour un dépistage ou suivi de cancer, pas possible environ 17 000 par an pour 1 800 000 habitants du Poitou-Charentes.

Attention, ce sont les calculs de Jacques qui ne sont peut-être pas si loin de la vérité que cela. Son calcul donne 944 cas pour 100 000 habitants.

Le recueil des cancers du Poitou-Charentes de 2018 annonce 697 nouveaux cas pour 100 000 habitants, si l’on enlève les patients qui sont en examen pour un contrôle, le calcul n’a pas l’air totalement faut.

— Monsieur Martineau ! Je vous déperfuse !

Jacques sort de son calcul, surpris, l’infirmière le dé-perfuse, l’invite à se lever et à passer en salle d’examen. Impressionnante cette machine ! Jacques ne voit qu’elle dans cette salle, la lumière y et très légère, il est incapable de juger de la taille de la pièce. On dirait un réacteur d’avion à travers lequel passe un plateau brancard. Jacques se prend au jeu de s’inventer une porte magnétique vers l’inconnu, pour minimiser son appréhension.

Le voilà maintenant le torse nu allongé sur la table d’examen de l’appareil, les bras étirés loin au-dessus de la tête, il ne visualise alors que le plafond suspendu en dalles carrées blanches.

— Je reviens dans dix minutes ! lui dit l’opératrice.

Elle sort, la lumière baisse, un faible bruit de ronronnement de moteur électrique se fait entendre ainsi qu’une petite voix féminine dans un haut-parleur lui disant :

— Ne bougez plus, c’est parti !