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Lorsqu’Étann s’aventure en forêt, il perd fatalement la vie sous l’attaque d’un gigantesque loup noir. Pourtant, il se réveille... transformé. Sa réalité s’effondre : les lycans existent, ils le retiennent captif, et il est maintenant l’un des leurs. Pourtant, ses pupilles d’or et son statut font de lui un être à part et en danger… il est un Oméga-mâle. Une anomalie.
Son statut doit rester secret, néanmoins, le regard du futur chef de meute, James-Karl, demeure constamment rivé sur celui qu’il considère être une menace. La survie des siens repose sur l’Alpha, mais les ombres de son passé et Étann mettent en péril le bien-être de son clan.
Au cœur des rivalités et traditions, leur lien et leur attirance pourraient bien bousculer l’équilibre de la meute Roé... à condition de survivre aux révélations et aux choix qui les attendent.
Quand le devoir et le désir s’entrelacent, comment continuer à guider la meute ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Andy Whou est une autrice et podcasteuse passionnée, véritable amoureuse de la romance. Depuis ses 16 ans, elle écrit dès qu’elle en a l’occasion, toujours un café à portée de main.
Originaire de Toulouse, elle fait ses premiers pas dans l’écriture sur Wattpad, où son roman "Warriors" rencontre un franc succès avant d’être publié en 2024 chez Nisha et Caetera, dépassant plusieurs milliers de ventes.
Animée par l’envie de donner vie aux multiples facettes de l’amour, sa plume vibre au rythme des émotions qu’elle transmet. Authentique autrice 2.0, elle partage son parcours sans filtre et échange avec passion avec sa communauté sur les plateformes littéraires, son podcast et les réseaux sociaux.
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Seitenzahl: 539
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Note de l’autrice – Avertissement et trigger warnings
Nous désirons vous prévenir que, dans le tome 1 de D’or et de jais, des sujets comme l’abus physique, la violence physique et verbale, et les chocs traumatiques sont abordés. De plus, des scènes à caractère mature sont décrites à plusieurs reprises, dont une particulièrement qui demande une maturité certaine pour être lue. C’est pour cela que le livre s’adresse à un public âgé d’au moins dix-huit ans.
Le livre a été lu par plusieurs lecteurs sensibles afin de s’assurer que la relation entre hommes ne soit pas mal dépeinte, blessante ou fétichisée. Un immense merci à Alex, Pierre-Emmanuel, Charles et Orion pour leur temps et leurs retours précieux.
Belle lecture.
Titre : D’or et de jaisTous droits réservés.© Andy Whou
Suivi éditorial : Laura VergéMaquette : Laura VergéePub : Emmanuel AtgerIllustration et conception graphique couverture : © Studio Blue North – Caroline RouxIllustrations de la page de titre et de fin : Cécile BonifaceCorrection : Anne DesmierMarketing et attachées de Presse : agence éditoriale La Plumerie
ISBN : 978-2-38625-867-1
Ce fichier vous est proposé sans DRM (dispositifs de gestion des droits numériques) c’est-à-dire sans systèmes techniques visant à restreindre l’utilisation de ce livre numérique.
À tous•tes celles et ceux qui ont dû un jour renaître de leurs cendres et trouver la force de se battre pour survivre. Vous n’êtes pas seul•e•s.
L’odeur me guide aveuglément alors que les branches me fouettent le visage, mais l’adrénaline et l’avidité réfrènent la douleur. Tout défile en technicolor devant mes yeux. Je discerne pourtant sans encombre les déplacements du renne qui tente de fuir.
Saute.
Je m’élance et ricoche sur un saule pour faire dévier la trajectoire de l’animal qui foule la mousse et détruit le paysage sur son passage. L’arbre s’affaisse, mais supporte mon poids sans difficulté, dérangeant quelques oiseaux qui prennent leur envol sous la menace des prédateurs que nous sommes.
Écart à droite.
Awu s’exécute et effectue un bond vertigineux. Ses quatre énormes pattes noires retombent au sol avec fluidité, ses griffes laissant leur trace dans la terre. Dans un grognement, il montre les dents. Si la bave qui s’écoule de sa gueule fait bramer le renne captif des racines d’un vieux chêne centenaire, ce n’est que le fruit de l’exaltation d’avoir réussi sa traque.
Je renifle l’air.
Cette odeur…
Je tourne la tête vers l’est. C’est trop tard. Les narines d’Awu se dilatent déjà. Je frissonne sous l’effet de l’odeur du sang humain qui m’étourdit. Il se situe à huit cents mètres de nous environ.
Huit cent quarante et un mètres, précisément.
Je bloque ma respiration, mais ça ne sert pas à grand-chose. Les pupilles d’Awu brillent d’un rouge vermillon, puis retrouvent leur jais habituel. Nous perdons le contrôle.
— Awu, non !
Mais inutile de crier, nous ne sommes que des loups en chasse. Rien de plus. Le renne, conscient que notre distraction demeure sa seule et unique chance de survie, s’évade déjà à travers fougères et pins. Courant pour sa vie alors qu’une autre est désormais en danger.
Le sort en est jeté.
Le loup noir a changé de cible et galope à travers le sillon de la forêt. Le jour va tomber.
Le sang va couler et, plus je perçois son odeur humaine, plus mon âme s’efface sous l’instinct.
Attaque !
Les crocs d’Awu transpercent sa chair d’humain et lui arrachent le flanc. Ils sont faits pour ça. Notre flair nous mène à nos proies. Nous ne pouvons pas faire autrement. Nous répondons à l’Appel. Nous ne sommes que les humbles esclaves de la lune.
« La chasse est notre survie. Le sang est notre ivresse.
Nous sommes lycans et nous obéissons à la lune, notre déesse. »
Étann
Vous sortez du Parc naturel de Gymoli,Mont Roé,Altitude : 2 250 mètres.
La fraîcheur de la fin de journée s’abat sur les hauteurs vallonnées et mes jambes commencent à être douloureuses. Je profite d’une pause pour refaire les lacets de mes chaussures de randonnée. Pourquoi pas boire quelques gorgées d’eau ? Une fois accroupi, une marque au sol attire mon regard… Mes doigts balayent la terre tassée.
Un ours. Il a dû passer ce matin.
Je ne suis pas sûr qu’il soit la réponse à ma mission du jour. Mais ça reste un bon indice.
Après tout, je ne sais même pas ce que je cherche.
Une averse va probablement tomber, car la lourdeur du pétrichor me titille le nez. Ça ne m’arrange pas. Sous la pluie, les traces d’animaux s’effacent et je ne peux pas me permettre de rentrer une nouvelle fois au bureau bredouille.
J’en grogne de dépit. Le début du mois de juin est toujours humide dans la région. C’est le moment pour la montagne de se gorger d’eau pour ne pas étouffer sous le soleil estival. L’odeur de l’océan n’est jamais très loin non plus si l’on sait la distinguer.
Je dois me dépêcher.
Je suis presque à la lisière de la forêt, proche du lac Ilman. Quelque chose me dit que cet endroit reculé me donnera toutes les informations dont j’ai besoin pour comprendre quel animal a obligé un troupeau de brebis entier à se jeter d’un précipice. Sans oublier les deux chevaux retrouvés éventrés dans leur pré, la semaine précédente. Mes collègues n’osent pas s’aventurer trop profondément dans la montagne et je sais qu’ils ne seront pas ravis, considérant que je fais du zèle. Ce sont plutôt eux qui sont feignants et qui ne veulent pas qu’on les dérange dans leur train-train quotidien.
Ce n’est pas comme si on prenait la peine de m’écouter, de toute façon.
Pourtant, le constat est là, la prédation n’a jamais été aussi proche des humains.
Je dois trouver des réponses.
C’est déjà bien assez frustrant de voir que le peu de moyens que l’on a au village ne fonctionne plus. Les chiens de troupeaux, les bergers armés, les clôtures électriques… Rien. J’ai fait tout ce qui était en mes capacités pour aider. Dorénavant, il nous faut des solutions.
Ours et loup sont mes premières pistes.
Notre vallée est un coin préservé et immaculé, mais mère Nature et le climat changent, ce qui fait que les prédateurs recherchent davantage de quoi se nourrir et s’approchent des terres. Il ne s’écoule plus une saison sans que je ne doive recueillir les preuves et traces des animaux sauvages qui grignotent l’espace de l’humain.
Que se passe-t-il ?
Un frisson me traverse l’échine quand je sens une goutte me tomber sur la tête. J’ai une drôle d’impression. La montagne est ma maison. Je la foule et la sillonne depuis mon enfance. Toutefois… j’ai le sentiment que l’on m’épie.
Ne sois pas stupide, Étann. C’est impossible.
Personne ne serait capable d’atteindre ces endroits aussi reculés. Il n’y a pas âme humaine à des kilomètres à la ronde. J’ai dépassé les limites des chemins tracés et guidés des cartes de randonnée. Seuls des marcheurs chevronnés peuvent accéder à cette zone montagneuse… S’ils la connaissent.
Je décide de m’installer ici, en sécurité sous les branches d’un pin qui a probablement le double de mon âge. Je dépose mon sac contre le tronc puis défais le matériel de camping. Ma tente n’a qu’une place, mais demeure très douillette. Je ne dois pas tarder, avec l’arrivée de la pluie, si je ne veux pas dormir trempé.
Aïe.
Un des arceaux s’échappe de la toile et m’entaille la joue. Ce n’est qu’en y portant ma main que je sens le liquide chaud sur mes doigts. Ouais, je saigne… Heureusement, j’ai glissé ma trousse de secours dans mon sac avant de partir.
Une branche craque derrière moi et je me retourne si vite que je manque de chuter. Je lorgne les arbres aux alentours. Toujours rien.
Ai-je rêvé ?
Un bruit au loin me prouve le contraire et m’arrache un second sursaut, comme un cri, étouffé dans la densité feuillue.
Qu’est-ce que c’est ?
Je dégaine mon couteau de ma ceinture et me plaque contre le pin qui me surplombe. Je tourne autour et reste à l’affût, la main levée. Le craquement des branchages qui se brisent me serre le ventre. Que se passe-t-il, bon sang ? Le crépuscule naissant ne m’offre que très peu de luminosité. Mon cœur s’emballe. Si c’est un ours, il faut que je quitte les lieux immédiatement. Mon arme ne me servira à rien. Mais les ours ne fréquentent que très peu ces zones, ils n’ont aucun intérêt à rest…
Un autre bruit.
À l’est, cette fois. Je tourne la tête. Je suis partagé entre l’envie de fuir en abandonnant mes affaires là, ou rester ici et ne plus bouger, laissant le prédateur passer son chemin.
Dans les deux cas, il va falloir se décider, et vite.
Je serre le couteau à m’en faire blanchir les doigts. Cela m’évite au moins de trembler. Il me semble entendre une cavalcade lourde et suave se répercuter sur le sol et la terre. Je ne baisse le regard qu’une seconde pour voir celle-ci frémir quand un grognement effroyable déploie un frisson d’horreur dans tout mon corps. Devant moi, un énorme loup noir, digne des terrifiantes légendes que mon père me racontait petit, court dans ma direction. La peur me tétanise.
Je n’ai pas le temps de l’observer davantage ni de réagir que mon flanc est soudain arraché. Un hoquet m’échappe. Le sang baigne mes vêtements et l’animal disparaît alors que je m’affale contre l’arbre.
Comment a-t-il pu approcher si vite ? Je ne l’ai même pas vu faire, alors que j’étais sur mes gardes.
Mon couteau s’échoue sur le sol. Ma vision se trouble et je ne sais plus si c’est la pluie ou la peur qui me guide vers les ténèbres. Mon épaule plie sous les crocs qui viennent cette fois de disloquer l’os dans un bruit insupportable, qui s’accompagne d’un cri que je ne me rends pas compte avoir poussé. La mare de sang s’agrandit. Mon souffle se bloque dans ma gorge et j’ai l’impression que celle-ci gonfle.
La douleur est intolérable et déferle dans tous mes membres tel un poison ardent. Je dois m’enfuir, essayer de faire au moins un pas, mais mon corps ne répond plus. Je cherche mon air. Je demeure contre l’arbre, laissant le venin acide se répandre dans chaque recoin de mon être. Je suis tout de même pompier volontaire, je sais réagir à une situation d’urgence.
Cours, bordel !
C’est ma seule chance ! Mes lèvres grelottent et ma poitrine supporte tout juste les saccades qui la traversent. Quand j’arrive enfin à me concentrer pour implorer de l’aide en regardant autour de moi, je suis seul. Pourtant, mes yeux s’écarquillent de stupeur lorsqu’un homme d’une chevelure noir corbeau s’extirpe des feuillages. La totalité de mon corps m’adjure de tout faire pour m’enfuir. L’instinct de survie probablement. Mais le regard sombre et froid que j’ai en face de moi me glace le sang. Ma vision est altérée, et les yeux de la bête se superposent à ceux de cet homme. Ils brillent de la même lueur sauvage. La douleur s’accentue et cette nouvelle vague de souffrance m’arrache un hurlement.
Je vais mourir. C’est terminé. Un genou à terre, je ne peux m’empêcher de lever la tête vers le ciel pour quémander son salut. Mais je suis en pleine montagne et tout le monde sait bien que celle-ci donne tout autant qu’elle reprend. Elle est impitoyable. J’ignore pour quelle raison, mais, soudain, tous mes regrets et les non-dits que j’ai toujours échoué à exprimer oppressent ma poitrine. Ou peut-être est-ce le manque d’air ? Je ne peux m’empêcher de penser à mon père, car il est le seul qui s’inquiétera de ne pas me voir rentrer. Mais il sera trop tard…
Papa, je suis désolé…
Quand elles arrivent, j’accueille les ténèbres non sans soulagement, le fantôme d’un animal sauvage me guettant sans relâche.
Étann
« Mon loup, mon loup, m’entends-tu ? Le vieux chêne en lisière de forêt appelle, appelle.Nous ne pouvons jamais ignorer l’écho de ses racines. Mon loup, mon loup, m’entends-tu ? Des choses étranges arrivent quand la pleine lune est venue,si je te dis de courir, bondis sans réfléchir.Mon loup, mon loup, tu ne tueras que pour survivre, car telle est la rime de nos humbles vies.Mon loup, mon loup, m’entends-tu ? »
J’ouvre les yeux avec peine, puis les écarquille.
Où suis-je ?
Dans ma poitrine, mon cœur s’emballe. Je voudrais bouger, mais ça m’est impossible. La douleur embrase la moindre cellule de mon corps. Par la fenêtre, à ma gauche, un faisceau de lumière se faufile entre les cimes des arbres et pénètre la pièce. Ça déclenche un picotement vif dans mes pupilles et j’ai la sensation que mon sang bouillonne. Je cligne plusieurs fois des paupières, mais rien ne s’améliore. C’est le flou total.
Je ne suis pas mort. Je ne suis pas mort. Je ne suis pas mort.
Mon flanc et ma clavicule irradient d’une douleur aiguë et je me souviens avec stupeur de cette immense bête sauvage aux yeux noirs. Je tourne la tête pour savoir où je me trouve. Il n’y a personne et cet endroit ne ressemble pas à un refuge de montagne. Habituellement, ils sont en pierre et robustes pour supporter les aléas météorologiques. Présentement, le bois m’entoure de toute part.
Je soulève un bras avec difficulté. Mon torse est recouvert d’un linge qui protège une couche de feuilles étalées sur mon épaule jusqu’à mon pectoral droit, qui dépassent du bandage. Quand je relève tout ça d’un doigt, un haut-le-cœur me secoue à la vue de la chair entamée et nécrosée dessous.
Je dois aller à l’hôpital. Je ne survivrai jamais à ces blessures sans aide.
Pourquoi m’a-t-on amené ici ? Et comment une pauvre hutte en bois peut-elle être construite en pleine montagne à plus de deux mille mètres d’altitude ? C’est impossible.
Je suis fatigué et j’ai envie de sombrer de nouveau, seulement la peur me tient éveillé. Pourquoi ce loup m’a-t-il attaqué ? Je n’arrive pas à me l’expliquer. Je n’étais pas une menace et il est rare qu’ils soient agressifs si l’on ne cherche pas les ennuis. Sans oublier qu’il y avait cet homme avec lui. Il ne l’a pas arrêté. Pire, j’ai la drôle de sensation qu’ils étaient… semblables ? Cet homme aux yeux noirs n’a rien fait pour m’aider. Il m’a juste observé m’effondrer sous les morsures.
Je serre le tissu qui me sert de drap entre mes doigts et rien que ce simple geste intensifie la souffrance. Quand je respire, la douleur m’assaille aussi. Comme si mes poumons s’irritaient sous l’air qui entre puis qui sort. Comme s’il y en avait trop et que mon corps ne pouvait le supporter.
Je veux crier à l’aide, mais ma gorge est trop nouée et trop sèche. Tout ça est étrange.
Une comptine résonne en boucle dans mes oreilles, mais je ne suis pas certain que je n’hallucine pas, car à partir du moment où je la distingue, un brouhaha insoutenable s’y ajoute, puis la recouvre. J’attrape mon visage de mes mains pour m’éviter de convulser, sous le poids du capharnaüm qui me fait vriller le cerveau.
À l’aide ! Venez me sauver !
Je psalmodie dans ma tête :
Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir.
Quand je reprends connaissance, c’est à cause des couinements d’un chien qui pleure et de cette comptine qui ne cesse de tourner dans mon esprit.
Suis-je en train de rêver ?
Mes yeux collés luttent pour s’ouvrir et, instantanément, le bruit résonne de nouveau dans ma tête, telle une cacophonie. Ça retentit si fort que ça me frappe dans les tempes.
Quelque chose gratte contre le bois de la cabane. Lorsque j’arrive enfin à me concentrer et à relever les paupières, j’aperçois un loup immense devant moi. Je me redresse avec effroi contre le mur et un gémissement de douleur m’échappe. Je me débats dans les draps pour essayer de m’enfuir, mais je chute au sol, sans aucune force. J’en ai le souffle coupé tellement le choc de mon corps par terre intensifie la brûlure au niveau de mon flanc et mon épaule. Un voile noir recouvre mes yeux quelques secondes.
C’est lui qui m’a attaqué.
L’animal couine puis se baisse sur ses pattes avant, analysant chacun de mes mouvements. Je plisse le front quand je remarque que du sang goutte sur le parquet, salissant le bois, signe que mes blessures se sont rouvertes.
— N-ne me fais pas de mal… imploré-je.
Est-ce un rêve ? Un cauchemar ? Je suis terrifié et mon corps me brûle toujours autant. C’est une progression lente, dans chaque membre de mon être, cellule par cellule, embrasée et calcinée par un combustible interminable. Le loup s’approche soudain, les oreilles en arrière. Je me recroqueville sous la peur, continuant d’empirer mon état déjà fragile. Il renifle et montre les dents. Je ferme les yeux sous l’appréhension et attends ma sentence.
Il ne sert à rien de se battre s’il n’y a aucun espoir de victoire.
Je rouvre les paupières de stupéfaction quand je sens sa truffe mouillée courir sur mon torse et se faufiler sous le linge en coton. Le sang qui s’en échappe est soudain nettoyé par une langue râpeuse.
Je frissonne sous la sensation désagréable et essaie de repousser l’animal. Malheureusement, sa force excède la mienne. Je suis très faible et mon corps lancinant me rend impuissant.
Je ne comprends pas ce qu’il se passe.
— Laisse-moi… chuchoté-je. Laisse-moi.
Mes sens sont complètement saturés et la douleur accapare mon cerveau. Je ne suis pas fichu de penser à autre chose.
— Awu ! s’exclame une voix inconnue. Tu n’as rien à faire ici. DEHORS !
Le loup couine, jappe vers l’intrus, puis s’enfuit la queue entre les jambes. Il est tellement gros que c’en est absurde. Je pivote sur le côté, face au mur, effrayé qu’on me heurte davantage.
— Tu peux te rendormir, déclare le nouvel arrivé.
Je ne le regarde pas.
— Il ne t’arrivera r… Oh ! Tu sens très bon.
Je n’entends rien d’autre, car mes dernières forces me quittent et je perds connaissance.
— Réveille-toi.
Je sursaute sous la consigne et mon corps se redresse sur la paillasse sans que je lui en donne l’ordre. Je ne suis pas maître de ce mouvement. C’est stupéfiant. Comme si je ne pesais rien et qu’une force qui ne m’appartient pas me faisait bouger.
On m’a ramassé au sol.
Je passe ma main devant mon visage pour l’examiner, seulement mes yeux sont toujours douloureux et le voile flou demeure bien présent. Je peux néanmoins désormais distinguer les objets et meubles de la pièce.
Combien de temps suis-je resté inconscient ?
Mon cœur bat plus vite que jamais. D’une manière inquiétante d’ailleurs.
Quelque chose cloche. Je ne suis pas dans mon état normal.
Un grondement me parvient aux oreilles. Je me demande si mon cerveau me joue des tours ou si l’attaque était bien réelle. Je suis pourtant toujours dans cette cabane en bois. Celle-ci est aménagée comme si quelqu’un y résidait.
Sur le mur, des tas de fioles et pots de toutes tailles sont entreposés sur une immense étagère. Sur la table en dessous se trouve un réchaud à gaz bien abîmé. En face du lit, de l’autre côté de la pièce, il y a un foyer de cheminée. Le reste est façonné en bois et tout est imbriqué dans cette petite cabane pour vivre confortablement. Une cuvette est déposée à côté de ma paillasse et des linges imbibés de sang flottent dedans.
Je me concentre sur la personne qui vient de me réveiller. J’ai toujours le souffle court. Il y a quelque chose qui ne va pas chez moi. La pression m’étouffe la poitrine, et j’ai encore l’impression qu’une présence s’insinue en moi, dans mes veines et mes cellules. Un corps étranger.
— Il faut que tu te calmes. Sinon, ton cœur ne va pas supporter, me dit l’homme à ma droite.
C’est le même que tout à l’heure. Quand je lève les yeux vers lui, la douleur me placarde au mur et je me plie en deux.
Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est insoutenable.
Je suis submergé. Sa présence fait bouillonner mon cerveau et envoie trop de stimuli. J’ai l’impression que ma tête va exploser. J’attrape mes cheveux dans un râle d’agonie.
— C’est l’Empreinte, explique-t-il. C’est normal, elle s’insère en toi.
Je veux qu’il se taise, mais en même temps pas du tout. Le garçon s’arrête et dépose le bol qu’il a entre les mains sur la table. L’odeur de la nourriture m’est désagréable et mon ventre se contracte. Mon nez me brûle toujours.
Et ce grondement qui ne cesse de bourdonner dans mes oreilles, j’aimerais qu’il s’arrête !
J’ai de plus en plus mal au crâne. Je bloque ma tête entre mes genoux pour éviter de vomir mon cœur et mes tripes sur le bord du lit. L’humiliation s’ajoute à toute cette angoisse et vraiment, là, je voudrais mourir. Pour que la souffrance s’apaise.
Mais soudain, une chaleur prodigieuse éclot dans ma poitrine, puis se propage dans tout mon corps. Ça me fait un bien fou… et la douleur s’arrête. D’un coup. Je n’ai plus du tout mal, mon rythme cardiaque baisse et la quiétude m’enveloppe de toute part. Mon ventre se desserre et je geins sous le répit. L’angoisse est toujours là, mais reléguée au second plan.
C’est comme si on m’avait injecté un tranquillisant.
Quand ce nuage de bonheur commence à s’évaporer, tout reflue en masse et il m’est impossible de ne pas m’agiter, étant conscient de l’intense souffrance qui m’attend.
— S’il vous plaît. S’il vous plaît, imploré-je.
Une seconde vague, plus forte cette fois, se répand partout et mes épaules se décrispent.
— Je te l’ai dit. Si tu ne te calmes pas, tu vas mourir.
À la mention d’un probable trépas, tout revient encore. Comme un ascenseur émotionnel. Je serre les draps entre mes doigts et laisse un hoquet étranglé m’échapper.
Peut-être que je ferais mieux de crever finalement.
Si j’avais une arme à portée de main, je l’utiliserais sans hésitation.
Je veux juste que tout ça cesse.
L’inconnu effectue un pas de plus pour atteindre mon chevet et le gros bourdonnement s’accentue davantage. Mes mâchoires et mes dents sont subitement douloureuses et me lancent. J’ai envie de les planter dans quelque chose. Mes lèvres se retroussent, sans que je ne contrôle plus rien.
— Arrête de me grogner dessus, s’agace-t-il. Je ne te veux aucun mal… Ah ! Ces nouveaux loups, ils sont intenables. James-Karl te ferait tuer pour moins que ça.
Je comprends soudain. Ce bruit qui gronde et qui me dérange depuis le début vient de moi. De ma poitrine, plus précisément. Dès lors que je m’en rends compte, le râle cesse.
— Oh ! Tu n’es peut-être pas si mauvais que ça, finalement, continue le jeune homme avec un sourire malicieux.
Je plisse les yeux pour essayer de mieux discerner cet individu qui se tient devant moi. Il est très grand, semble avoir mon âge et il porte sur lui une odeur… très puissante, de menthe poivrée. Ma vision est toujours altérée et, bien que je cligne des paupières pour améliorer ça, je n’arrive pas à distinguer ses traits. Je les referme pour soulager les picotements.
— Quel est ton nom ? m’interroge-t-il.
Je gronde de nouveau.
— D’accord, d’accord. Je vais te laisser. Je n’étais même pas censé te parler. Lucy passera plus tard pour refaire tes bandages. Mange, sinon les aînés seront offensés.
Il tourne les talons et, avant qu’il sorte, je ne peux m’empêcher d’essayer de le retenir.
S’il disparaît, le tranquillisant s’évanouira avec lui !
— Non ! le hélé-je d’une voix faible. S’il te plaît. Aide-moi.
Il s’arrête devant la porte, se retourne vers moi tandis que l’apaisement et la chaleur m’envahissent une nouvelle fois. Un couinement de soulagement outrepasse mes lèvres.
Merci…
J’ai honte. Seulement, je n’ai pas le temps de m’inquiéter de sa réaction qu’il ajoute avant de partir :
— Il va falloir t’accrocher si tu désires survivre… Mais je veux bien t’aider. Même si je dois t’avouer que la mort aurait peut-être été plus clémente.
Mes yeux s’écarquillent de terreur. Et malgré la difficulté à le voir, j’entends parfaitement son hoquet de stupeur mélangé à l’effroi quand j’ouvre les paupières.
— Par la Déesse-Lune, TES YEUX ! Ils sont…
Je ne comprends pas sa réaction.
— Dors. Je vais chercher la guérisseuse.
Le silence s’installe dans la cabane alors qu’il sort avec hâte, mais dans ma tête c’est une tout autre histoire. La mélodie tourne et tourne sans cesse. De plus en plus fort.
Mon seul gage de sécurité disparaît et mon corps s’enflamme de nouveau.
« Mon loup, mon loup, m’entends-tu ?
Le vieux chêne en lisière de forêt appelle, appelle…
Nous ne pouvons jamais ignorer l’écho de ses racines. »
James-Karl
Le soleil décline sur la stèle des défunts et ses rayons ocre caressent le marbre noir. Au loin, la forêt demeure imperturbable. Cet endroit de recueillement n’a aucun sens pour qui n’est pas lycan. Il s’agit d’un sanctuaire que nous a offert la Déesse-Lune pour effectuer nos deuils.
Mon frère…
— Parfois, je ne suis pas sûr d’être celui qu’ils pensent, dis-je sans quitter le monument des yeux. Ce chasseur légendaire, ces prouesses inégalées… Ce ne sont que des excuses. Un moyen de croire en notre descendance. Père était un grand Alpha et mère une Oméga parfaite. Pourquoi devrais-je prendre leur place ? Zaya s’en sort très bien. Tu la verrais, tu la trouverais grandiose. Tout le monde l’adore. Je ne serai jamais comme elle. Ce que je suis au plus profond de moi, personne ne le sait vraiment. Mais je sens que c’est là. Que ce n’est qu’une question de temps.
— Arrête ça.
Je secoue la tête, sentant mes yeux me picoter. Je ne peux pas me permettre de flancher. Si les aînés m’entendaient, ils me banniraient du village pour folie et démence. Un lycan a besoin de ressentir l’Empreinte avec sa meute, sinon il est perdu. Tout le monde a peur d’un loup sauvage.
— Je ne devrais pas devenir Pack-Alpha. Je ne suis pas à la hauteur.
— Tu es un bon loup, James-Karl. Tu seras le meilleur chef que le clan Roé ait jamais connu.
Je m’humidifie les lèvres et lève les yeux vers le ciel.
— Je t’entends dans ma tête, Karl ! vociféré-je dans le vide.
Mes mains tremblent et mes poings se serrent. Je suis nerveux. Je respire avec profondeur pour me calmer. Je n’ai pas pleuré depuis des années et il n’est pas question que ça change ce soir.
— Je n’aurais pas dû naître Alpha. Mère n’aurait pas dû me sauver en premier pour cette raison.
— Elle a fait ce qu’elle avait à faire, j’ai confiance en son choix. Tu réussiras.
— Nous n’en savons rien. Je finirai par perdre la tête, contesté-je, le front plissé.
— J’ai foi en toi également. Père, mère et Zaya aussi.
— Awu sent qu’un truc cloche chez moi, j’en suis persuadé. C’est un bon loup et il devrait être le compagnon d’un grand chef, pas d’un imposteur.
— Tu sais très bien que c’est inévitable. On ne choisit pas nos loups. Ce sont eux qui nous trouvent.
— James-Karl ?
Je sursaute alors que ma sœur m’interpelle. Je me retourne vers elle tandis qu’elle s’approche. Que fait-elle ici ? M’a-t-elle entendu parler tout haut ? Elle est censée être auprès des nôtres, c’est bientôt l’heure du dîner. Zaya est notre cheffe de meute depuis que père et mère sont morts. Elle s’accommode de ce rôle jusqu’à ce que je sois prêt à prendre sa place. Ce qui ne devrait plus tarder.
Au prochain solstice de printemps.
Ma Bêta de sœur me sourit.
— Tu viens présenter tes respects à notre famille ? plaisante-t-elle.
— Oui, comme toujours.
La seule chose qu’elle ne sait pas, c’est que mon ombre me suit partout, tout le temps.
Mon frère, mon âme double.
— Que fais-tu là ? demandé-je sans détour.
— Les aînés veulent réunir le conseil. Maintenant. Nous devons prendre une décision au sujet de cet humain. Il ne mourra pas de ses blessures et la réaction d’Awu est pour le moins… étonnante. Nous ne pouvons pas l’ignorer davantage.
Je gronde et l’odeur de pétrichor entre nous devient aigre. Je déteste que l’on remette en question mon loup, même si, pour la première fois de ma vie, je n’ai pas compris le comportement de mon familier. Lorsqu’il a pris cet humain en chasse, il y a sept lunes, je savais que nous finirions par avoir des ennuis. Nous ne nous approchons jamais des Hommes, sauf en cas de grande urgence.
Pourtant, la situation s’est empirée quand, après l’attaque, Awu a hurlé à la mort dans un chant de lamentations, puis a hissé le corps inerte sur son dos pour le ramener au village. Il refuse désormais qu’on se tienne à quelques pas de lui ou qu’on lui fasse du mal.
Je suis inquiet pour l’avenir d’Awu au sein de la meute. Ils le soupçonnent d’être devenu dangereux et imprévisible, féral.
— Nous devons prendre une décision, insiste Zaya.
— Laissez Awu en dehors de ça, grogné-je, sur la défensive.
— Nous n’avons pas le choix, James-Karl. Nous avons des responsabilités. Les aînés disent que c’est un mauvais présage. On ne blesse pas un humain pour le sauver ensuite.
— Awu n’est pas féral, répliqué-je avec ferveur, les poings serrés. Je te l’assure. Mon loup n’est pas sauvage.
— Je sais, James-Karl. Je sais. Et je suis sûre que personne n’en doute. C’est juste le conseil des aînés. Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas.
— Je ne comprends pas ce qui lui a pris… Il n’a jamais fait ça avant, annoncé-je avec dépit.
— Allons-y. Plus vite c’est fait, plus vite on pourra aller dîner à la yourte.
Quand je pousse la porte de la hutte des anciens, ils sont attablés en rond sur les sept majestueux sièges en bois gravés à l’effigie des grandes familles de la meute Roé. Ici règnent les derniers représentants de la Grande Guerre des Clans. Leurs visages sont marqués par les blessures de notre passé.
Et des combats livrés pour sauver les nôtres.
Cette guerre, c’est mon géniteur, Galadriel, qui y a mis fin deux ans avant ma naissance, en tuant Bolor le Féroce, le Pack-Alpha de la meute la plus meurtrière que les lycans aient connue, le clan Sylaé. Ils vivaient sur les mêmes terres que nous, de l’autre côté du mont Roé. Et à l’origine, nous étions alliés. Seulement leur trahison a déclenché un long et terrible conflit lorsque Bolor a orchestré l’assassinat de mon grand-père, notre ancien chef de meute. Bolor était noyé dans son instinct animal et aveuglé par un besoin de domination démesuré. Il était prêt à tout pour régner.
Ont suivi des années de famines et d’assauts entre les villages. Père en est sorti victorieux, puis a unifié les clans. Mais au prix de nombreuses vies sacrifiées au fil de vingt-deux années de guerre.
Le conseil a été créé à cette période. Son rôle stratégique est devenu obsolète à la fin de la bataille, mais père l’a gardé en place en souvenir de nos erreurs passées. Ce conseil représente la sagesse et nous guide dans nos décisions futures afin que notre tribu n’ait plus à connaître la destruction, la faim ou encore le deuil. Il y va de notre survie.
— James-Karl, assieds-toi, mon enfant, m’intime Lucy, notre guérisseuse.
Je m’exécute et salue les Sept avec respect. Lucy est la plus instruite et la plus influente des unifiés de la meute Sylaé. Elle a été la première à accepter de rejoindre le clan Roé et son initiative a convaincu les derniers rescapés de son village à la suivre et à s’intégrer parmi nous. Nous ne faisons maintenant plus qu’un.
Je suis assis à côté du siège sur lequel trône Zaya. Il appartenait à père. Bientôt, il sera mien.
Awu pénètre la hutte et contourne la table pour s’allonger à mes pieds. J’observe la réaction des aînés à son égard. Le dépit et l’agacement peints sur leur visage ne me rendent pas optimiste.
— Conseil des aînés, nous nous en remettons à vous. Vous avez ordonné notre rencontre, nous sommes là, annonce Zaya.
Ma mâchoire se serre. J’espère qu’ils ne s’en prendront pas à lui. Le concerné ne semble pas le moins du monde inquiet, l’encolure appuyée sur ses pattes. On dirait qu’il s’ennuie.
— Je le comprends.
Je fixe la table et ignore les sarcasmes de Karl qui virevoltent dans mon esprit.
— Merci, Zaya, répond l’aîné Solys. Nous devons débattre de la présence de l’humain au sein de notre meute. C’est un événement pour le moins… inattendu.
— Tuez-le, rétorqué-je. Nous ne nous mêlons jamais avec les Hommes. C’est trop dangereux. Il n’a rien à faire ici !
Awu se redresse sur ses pattes arrière et grogne, visiblement pas d’accord avec moi.
— Devons-nous nous inquiéter de votre loup, James-Karl ? demande Luna-Lynn, la matriarche des Omégas, d’un ton sec.
— Non. Awu ne vous fera rien. C’est après moi qu’il en a.
— Permettez-moi d’en douter, conteste-t-elle, les lèvres pincées. Il est resté nuit et jour devant la cabane de soin, surveillant les allées et venues de tout le monde alors qu’il est celui qui l’a attaqué en premier lieu. Un grossier changement d’attitude, si vous voulez mon avis. Tout cela pour un humain. Nous n’étions même pas un soir de pleine lune.
— Cet homme était sur notre territoire ! rétorqué-je. Vous savez très bien qu’on ne laisse aucun humain entrer sur nos terres. Encore moins quand nous sommes en traque.
— Alors, pourquoi donc était-il sur nos terres ? Alors que c’était à vous de surveiller les frontières ? C’est aussi pour cela que l’on chasse, il me semble. Pourquoi l’a-t-il sauvé ? insiste l’aîné Solys, sans me quitter des yeux.
— Je… Je n’en sais rien.
— Il refuse qu’on l’approche, continue-t-il.
— Awu fera avec, attesté-je d’un ton ferme. Nous pouvons nous en débarrasser.
Ce dernier m’aboie dessus, la gueule pleine de crocs… Il ne plaisante pas.
Je le fusille du regard.
Ce sont les aînés, bon sang !
J’ai conscience qu’il ne peut pas m’entendre lorsque nous ne sommes pas en chasse, mais j’espère qu’il comprend le sentiment.
— James-Karl… un familier ne s’est encore jamais comporté comme ça. C’est inadmissible. Nous ne pouvons pas prendre le moindre risque. Que ferons-nous si les Hommes nous découvrent ?
Je me lève d’un bond et croise le regard de chacun des représentants du conseil.
— Tout est de ma faute ! admonesté-je. J’ai fait une erreur. J’aurais dû me douter que les humains seraient dans les parages avec le solstice d’été qui approche. Awu s’accommodera de votre décision. Je prendrai mes responsabilités.
Ma voix n’a baissé que d’un demi-ton, mais les Bêtas et Omégas dans la pièce frémissent sans pouvoir s’en empêcher. Je suis le futur Pack-Alpha, après tout.
— Je suis le chef de la chasse, continué-je, et il est de mon ressort de garder la meute en vie et en bonne santé. Je m’assurerai que cet humain ne soit plus un problème pour nous. Je suis prêt à l’annihiler moi-même s’il le faut.
Tout pour la meute.
— Il devra transitionner.
Mes yeux s’écarquillent.
Toutes les têtes se tournent soudain vers Lucy. Je ne fais pas exception.
— Impossible, argué-je, désarçonné. Ce n’est pas…
— Nous ne pouvons pas le laisser mourir. C’est incontournable, il deviendra un lycan. Je connais les esprits de nos montagnes et de la forêt, ce garçon ne peut pas périr. Si le loup l’a sauvé, c’est que la Déesse-Lune l’a décidé.
— Mais c’est une infortune pour notre clan ! Une bouche à nourrir supplémentaire, tonne l’aîné Harald, qui n’avait pour le moment pas pris la parole.
— Il sera chasseur.
Je m’étouffe avec ma salive. Nous sommes tous stupéfaits.
— Quoi ?
— Comment osez-vous, guérisseuse !? s’écrie l’aîné Solys. Les chasseurs sont les membres les plus forts et les plus déterminés de notre meute. Nos plus talentueux guerriers. On ne devient pas chasseur d’un claquement de doigts. Certains s’entraînent toute leur vie pour pouvoir atteindre cette distinction.
— Vous croyez que je ne le sais pas ? réplique-t-elle avec fougue. Me pensez-vous idiote ?
Personne ne se risque à répondre.
— James-Karl, vous êtes le chef de la chasse, reprend Lucy. Votre équipe nourrit le clan sans faillir alors que nous avons connu la faim pendant de longues années. Si vous êtes notre prochain souverain, vous devriez réussir à faire de ce jeune homme un chasseur digne de ce nom. Ai-je tort ?
Je serre les dents sous l’irritation. Oui, je suis le meilleur traqueur de toute ma génération. Oui, je suis le futur chef de meute, mais… un humain ? Mon grand-père n’aurait jamais accepté ça. Je me tourne vers Zaya. Elle ne bouge pas. Bien sûr, elle n’a aucune autorité dans ce genre de situation. Elle n’est que Bêta, elle ne prend pas de décisions, elle se contente de les acter. Notre famille n’aura atteint son plein pouvoir que lorsque j’aurai enfin la responsabilité du clan.
Jamais encore nous n’avons laissé un humain devenir lycan. Nous les tuons toujours. S’ils découvrent notre existence, ils meurent. Ce n’est pas arrivé beaucoup de fois, mais c’est incontournable pour préserver le secret de notre espèce. Nous ne sommes même pas sûrs qu’il survivra à sa transition.
Néanmoins, je n’ai pas le choix. La décision des aînés est irrévocable et il n’est pas question que j’utilise ma voix d’Alpha pour faire ce que je désire dans ce village. Le dernier lycan qui a imposé sa volonté aux membres de sa meute, c’était Bolor le Féroce. Même mon père n’usait pas de son pouvoir de domination. Je dois plier sous les sept paires d’yeux qui se demandent comment je vais réagir, si je vais oser outrepasser leur juridiction. Mais jamais je ne ferais ça. Ils sont l’autorité suprême du village.
On ne peut désobéir au conseil.
Ma sœur me toise avec un air inquiet. Elle aussi a les mains liées. Je vais être obligé d’entraîner ce stupide et faiblard d’humain.
S’il survit, il devra supporter un enseignement intensif. Il souffrira le martyre de sa transformation et devra travailler trois fois plus dur que les autres pour être digne de l’unité de chasse. Je ne lui accorderai aucun répit. Aucune chance d’échouer. Il n’est pas question qu’il soit un poids pour le village. Les anciens ont parlé. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il devienne un tueur d’élite et je me rendrai responsable de ses défaillances.
Même si je hais les humains.
— Je peux faire de ce nouveau lycan un chasseur. Il y va de mon honneur. Je ferai ce que le conseil statuera. Je m’en remets à vous, je conclus.
Tout le monde hoche la tête et c’est avec dépit que Zaya, comme l’ordonne la tradition, valide leur jugement.
— L’humain sera donc annoncé demain comme tel à toute la meute Roé. James-Karl prendra en charge son intégration à l’unité.
Telle est la décision du conseil.
Étann
Les nuits sont les pires.
Mes yeux me font souffrir, même lorsqu’ils sont fermés. J’ai l’impression que mes vaisseaux explosent comme une braise qui éclate dans mon crâne. Les odeurs me submergent. Tout sent plus fort autour de moi. Le bois, la nourriture, les onguents qui trônent sur la table… La fièvre me terrasse. Quand celle-ci atteint la limite du supportable, il m’arrive de déchirer le tissu des draps sous sa fulgurante brûlure. Mes ongles lacèrent ma peau et le plus étrange c’est qu’au petit matin les entailles ont disparu. Mes connaissances au niveau médical sont assez restreintes, mais pas au point de croire qu’il est possible de guérir en une seule nuit. Ma blessure à l’épaule est quasiment cicatrisée, elle aussi. Celle sur ma hanche est plus capricieuse. Néanmoins, je n’aurais jamais dû survivre à ce genre de lésions.
Combien de temps ça fait que je suis là ? Dans cette cabane ?
L’homme à la voix apaisante n’est pas revenu me visiter. Je ne comprends pas ce qui se passe avec mes yeux et je me demande si sa réaction quand j’ai ouvert les paupières est la raison pour laquelle il ne vient plus. En réalité, je n’ai vu personne depuis des jours.
D’une certaine manière, ça m’arrange, mais d’un autre côté, qui dépose de la soupe et de la viande bouillie quand je suis endormi ? Que vont-ils faire de moi ? Je voudrais m’enfuir, mais je ne suis pas en état de le faire. Mon petit appartement douillet me manque.
Soyons honnête, personne ne remarquera que j’ai disparu.
Je ne comprends rien. Et ça me frustre. Ne pas savoir pourquoi on me garde enfermé ici n’aide pas. J’en fais des cauchemars toutes les nuits. Ils sont plus réels que jamais. Quand je me réveille, pantelant et ruisselant de sueur, la lune, par la fenêtre, semble briller de mille feux. Elle m’éblouit. Et mes yeux sont de nouveau douloureux lorsque je la regarde. Je n’avais jamais remarqué qu’elle était aussi grosse.
Il y a deux jours de ça, j’ai été surpris d’entendre le hurlement des loups. C’était si puissant que j’ai eu l’impression que leur chant émanait de moi, de l’intérieur de ma cage thoracique. Est-ce pour cela que la lune est si imposante ? J’en ai laissé échapper des couinements de nervosité. Je n’arrêtais pas de me retourner dans mon lit, incapable de trouver une position confortable.
Mes mâchoires et mes dents me tiraillent sans cesse.
Je dois être dans un état minable. Je ne me suis pas regardé dans un miroir depuis le jour de mon attaque. Par chance, il y en a un dans un coin de la pièce. De ma paillasse, on ne l’aperçoit pas, mais quand je suis allé vomir hier, je l’ai vu.
Je pose un pied à terre et ma tête tourne quelques secondes.
Je ne sais pas à quoi m’attendre et lorsque mon reflet s’offre à moi, mon souffle se coupe.
Qui suis-je ?
Deux pupilles, luisant d’un or chaud, me fixent sans ciller. Mes lèvres tremblent sous la révélation. Mes iris n’ont plus rien de ceux d’un humain. On dirait les yeux d’un… animal. Mes traits se sont durcis et mes joues sont creusées par le manque de nourriture. J’ai les cheveux ternes et gras.
Je ne connais pas cet homme.
On voit bien que j’ai été attaqué pour mourir. Mon teint blanchâtre en témoigne.
Mais je suis vivant.
Ce n’est pas normal.
Je tends une main fébrile vers la bassine d’eau et y attrape un linge mouillé pour effacer les dernières traces de sang.
Je dois fuir ! Il y a quelque chose qui se trame ici. Quelque chose d’étrange.
La porte derrière moi s’ouvre et je sursaute. Je me retourne et me fige. L’homme et le loup qui viennent d’entrer, je les ai déjà vus. C’était cet homme qui… qui… était là quand je me vidais de mon sang dans la forêt. Lorsque je croise son regard, il s’éclaire d’un rouge vif, écarlate. Quelques secondes plus tard, la lueur a disparu. Ne demeure que son visage dur et son air dangereux. Il me toise avec une aura qui pèse tellement que j’ai envie de baisser la tête.
Qu’est-ce qui m’arrive ?
Je ne peux plus bouger et la pression dans mon crâne revient en puissance. Comme si la gravité ne fonctionnait plus correctement. Comme si ce qui m’attirait dorénavant c’était… lui. Son emprise m’engloutit et la température de mon corps augmente encore. Ce n’est que parce qu’il couine que je regarde le loup qui m’a attaqué. C’est le même loup noir qui était là quand j’ai repris connaissance. Un frisson me traverse l’échine et je suis paralysé lorsque l’animal s’avance pour frotter son flanc contre mes jambes. Je suis surpris de voir qu’il ne m’agresse plus et qu’il me démontre son intérêt. Quelque chose a changé dans son comportement.
— AWU ! gronde l’homme.
L’odeur de chien mouillé, de métal et de musc se mêle à celle puissante de la mousse, des pignes de pin et de la pluie. Comme une averse d’automne dans la forêt de Gymoli. Mon père m’y emmenait souvent petit. C’est ce qui a institué l’amour de la montagne en moi. Seulement, je ne suis pas dans le bois derrière mon village, je suis dans une cabane abandonnée avec un homme dangereux.
Le loup, au ton de reproche de son maître, me met un coup de museau derrière le genou, puis repart à ses côtés. Je me force à relever les yeux pour étudier cet homme, mais, ressentant un grésillement dans ma nuque, je me retrouve à fixer de nouveau le sol.
Pourquoi est-ce que je ne peux pas lever la tête ?
Mon cœur tambourine dans ma poitrine et je surchauffe. Je voudrais qu’il débarrasse le plancher. L’odeur qui sature la pièce me rend nerveux. Je la trouve délicieuse, mais elle est trop forte pour mon nez encore douloureux.
Je ne peux même pas le regarder dans les yeux… argh !
— Q-qui êtes-vous ? chuchoté-je. Que m’avez-vous fait ?
Le loup chouine davantage.
— Dans deux jours, annonce l’homme d’une voix autoritaire, commence ton entraînement intensif.
À cet instant, j’arrive enfin à lever la tête.
— Tu devras prendre part à la vie du village. Un lycan aide sa meute, et malgré le fait que tu ne sois qu’un humain, tu devras t’y plier.
Je plisse le front, une goutte de sueur se faufilant dans ma nuque.
Quoi ?
Même si je souhaitais parler, j’en serais incapable.
— Tu deviendras un chasseur, annonce-t-il. Que tu le veuilles ou non. Dans une semaine, tu te rendras sous le chêne de l’entrée Est. Toute l’unité sera là. Ne sois pas en retard. Tu prendras le logis chez Ilan et, en attendant, tu l’aideras en cuisine. Tu aurais mérité de mourir, mais les aînés et ma sœur t’ont laissé une chance. Sache que, lorsque je serai chef de meute, les choses seront bien différentes. Tu n’as donc pas le droit au trépas comme les autres humains. Tu assumeras la douleur jusqu’au dernier instant. Awu, avec moi.
Sur ces mots, il quitte la cabane, le loup le suivant de près, malgré un ultime jappement. Dès lors qu’il sort de la pièce, je retrouve le contrôle de mes sens et de mes membres. Je me frotte le visage sous la confusion. Je n’ai pas compris un traître mot de ce qu’il a déblatéré. Mais je n’aime pas beaucoup ça. Trop de choses se bousculent dans ma tête.
Ce loup énorme et noir qui se comporte d’une manière étrange.
Cette rengaine qui me rend fou.
Mes plaies qui guérissent trop vite.
Mes yeux dorés qui me brûlent.
Mes sens qui sont décuplés.
La lune, le chant des loups,
Et… cet homme qui a réussi à imposer son aura à toute la pièce, me réduisant à un simple objet dont on dispose…
J’ai échappé à la mort.
Néanmoins, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne nouvelle. Car j’ai perdu toute trace de mon humanité.
— Tu n’as pas l’air très vif, mon garçon.
Mon regard quitte le sol abîmé et j’observe la femme ridée aux cheveux grisonnants s’avancer dans la cahute. Son front et ses joues sont colorés de peinture blanche. Elle dépose son panier de plantes aux feuilles et odeurs différentes sur l’atelier.
Je plisse les yeux. Mon cœur ne s’est pas encore remis de l’intrusion précédente.
— Installe-toi sur le lit, ordonne-t-elle. Je vais changer ton bandage. Awu ne t’a pas raté, ça, c’est sûr.
Elle s’affaire à ses tâches et une vague d’apaisement m’entoure comme une couverture posée sur mes épaules. Je reste pourtant méfiant.
— Il ne t’arrivera rien. Laisse-toi aller au soulagement.
Mes sourcils se relèvent.
— Comment faites-vous ça ?
Ma voix est rauque. Depuis combien de temps n’ai-je pas parlé ?
— Faites-vous quoi ? répond-elle en arrêtant de pilonner les herbes dans son mortier.
— Pour faire en sorte que, comme par magie, je me détende. Comme si vous pouviez éradiquer la douleur par la pensée. La dernière fois, le garçon a déclenché la même chose quand il est venu… L’autre, en revanche, il ne l’a pas fait.
Je ne suis pas sûr qu’elle comprenne à qui je fais référence.
— Assieds-toi, demande-t-elle de nouveau en reprenant son occupation. James-Karl… l’homme que tu as vu avec le loup, c’est ça ? Il n’a aucune raison de t’envoyer ses phéromones pour te calmer. Ce n’est pas de la magie, c’est… nous sommes lycans. Nous communiquons par l’odeur. Il est le futur chef de meute, un Alpha issu de la famille Roé qui plus est. Il n’est pas ravi de devoir t’accueillir parmi nous et de t’avoir dans les pattes, si tu souhaites vraiment tout savoir…
Un Alpha ? Je ne comprends rien. Ça commence à m’agacer.
— Inutile de m’imposer ton odeur de mécontentement. Je me doute bien que ça doit être compliqué pour toi, mais, si tu veux survivre, tu ferais mieux de m’écouter. J’ai réussi à les convaincre de ne pas te tuer, mais, avec ce que j’ai omis de leur annoncer, nous sommes en danger tous les deux désormais. S’ils découvrent ce que je m’apprête à te dire, nous risquons la mort ou pire, nous serons bannis.
Mon ventre se serre.
— Bannis ?
— Quel est ton prénom, mon garçon ? dit-elle en s’approchant, un pot à la main.
J’hésite quelques secondes.
— Étann.
— Et d’où viens-tu, Étann ?
— Du village Lejsae. Où suis-je ?
— Tu es en pleine forêt, au nord du lac Ilman. Quand Awu t’a mordu, il t’a ensuite ramené dans notre village. Ce n’était pas censé se passer de cette manière. Les humains ne survivent normalement jamais à une attaque. Nous les tuons tous. Mais quelque chose en toi a fait changer Awu d’avis.
Mon cœur s’emballe. J’ai atterri chez des autochtones sanguinaires ! Des assassins !
— T’a-t-on déjà raconté des histoires sur les loups quand tu étais enfant, Étann ?
— Oui, dis-je en avalant avec difficulté, la peur altérant ma voix. Mon père. Il connaissait les légendes de nos forêts.
Elle me toise et semble en grande réflexion. Ses yeux me déstabilisent. J’ai l’impression qu’elle parvient à deviner mes pensées.
— Ce ne sont pas des mythes.
— Quoi ? m’exclamé-je avec stupeur, en serrant le drap dans mes mains.
— Rien ne sert d’avoir peur. Allonge-toi et défais ton bandage, veux-tu ?
Je m’exécute, n’osant pas lui désobéir.
— Je te l’ai dit. Nous sommes des lycans, et toi aussi tu en es un, dorénavant, explique-t-elle en articulant chaque mot. Si tu connais nos légendes, cela signifie que tu es au courant qu’autrefois les descendants des loups, les lycanthropes, pouvaient se transformer à leur guise. L’Empreinte est l’âme et le lien entre tous les loups. C’est ce qui nous permet de vivre en meute et de communiquer. C’est en nous. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous métamorphoser, mais…
Elle lève les yeux au ciel et étale le baume qu’elle vient de préparer sur ma chair encore infectée.
— Nous avons gardé nos modes de vie et nous sommes toujours capables de beaucoup plus de choses que les humains. Mais tu as dû t’en rendre compte, non ? Surtout quand je vois la lueur de tes pupilles. Sais-tu ce que ça veut dire ?
Je secoue la tête.
— Je… Non. Je n’ai pas compris. Qu’est-ce que c’est l’Empreinte ?
— Je vais te montrer. Ça doit être encore très faible, car tu n’as pas fini ta transition, mais je suis sûre que tu pourras l’expérimenter.
Elle ferme les paupières. Une chaleur se déploie dans mon abdomen, puis prend toute la place dans mon ventre. C’est délicieux. Ça me traverse telle une nuée de papillons, me prodiguant la sensation de flotter une seconde. Cette chaleur me tire vers la vieille femme, m’appelle.
— Tu le sens très bien, n’est-ce pas ?
Quand je rouvre les yeux, elle me fixe encore avec intensité. J’ai cette impression bizarre qu’elle me scrute de toute part. Je n’ose pas dire que je n’ai eu aucun mal à ressentir ce lien. Ce qu’elle baptise l’Empreinte. Je crains que ce soit dangereux pour moi si je lui annonce ça.
— Ne mens pas.
— Oui, avoué-je dans un souffle.
— Bien. Ta transition se déroule très bien. Je pense pouvoir assurer que tu te remettras très vite et seras un loup parfait.
J’effectue un mouvement de tête vers l’arrière. C’est tout ce qu’il y a à dire ? Que je serai un bon lycan ? Je comprends à peine ce qu’elle vient de m’exposer. J’ai du mal à croire que je suis en train de « transitionner ». J’ai l’impression que je vais finir par me réveiller et quitter ce cauchemar. Comment pourrais-je devenir l’un des leurs ? C’est ridicule. Il s’agirait de magie… de pouvoirs surnaturels. C’est impossible ! Il y a erreur ! Je DOIS retourner chez moi !
— Tu ne pourras jamais rentrer chez toi.
Mes yeux s’arrondissent de stupéfaction.
Comment a-t-elle su ?
— C’est ici chez toi, désormais. Et ne sois pas surpris que je devine tes pensées. Tu es encore un trop jeune loup pour dissimuler tes émotions. Je lis en toi comme dans un livre ouvert. Il semblerait d’ailleurs que tu aies du mal à traiter toutes ces nouvelles sensations…
Mon front se plisse.
— C’est la Déesse-Lune qui a voulu ça, continue-t-elle. C’est elle qui nous a créés. Nous avons toujours existé. Nous ne faisons juste pas partie de votre réalité et tu ne pourras pas y retourner.
— Pourquoi ?
— Car les humains sont des traîtres. Le peu des seuls qui ont réussi à nous découvrir ont constamment essayé de nous chasser. Nous faisons de même par légitime défense. De plus, toutes les meutes s’établissent dans des endroits reclus. Un humain ne peut pas vivre à une telle altitude. Nos sens sont surdéveloppés, notre peau supporte des températures extrêmes, nous survivons depuis autant de temps que les Hommes. Nous sommes simplement plus évolués.
Ça ne vous empêche pas de tuer de sang-froid.
Je réalise avec horreur que je fais partie de ce « vous » dorénavant. Vais-je assassiner des gens ? Et mon père ? Je ne pourrai plus jamais le revoir. Non ! C’est impossible.
— Pourquoi me gardez-vous en vie ? ne puis-je me retenir de demander.
— Car il a été décidé que tu survivrais. J’ai tout fait pour, en tout cas.
Elle me regarde quitter la paillasse sans démontrer la moindre surprise.
— Je préfère mourir. Je ne veux pas devenir un lycan. Laissez-moi partir !
Avec l’angoisse, tous les maux s’intensifient et quelque chose crie en moi. Mon cœur est douloureux tant il bat fort contre ma poitrine.
— Tu dois te calmer. Ton corps a encore besoin de repos. On lui en demande beaucoup en ce moment. Si tu n’arrives pas à…
— Taisez-vous ! grondé-je. Je dois partir d’ici.
— Tu ne survivras jamais dans la forêt. Un lycan ne peut pas vivre seul, tu deviendrais fou, féral. Et puis, si tu t’enfuis, James-Karl et son unité te trouveront en quelques instants, tant la marque de ton odeur est forte. D’ailleurs, s’il la découvre, tu mourras dans tous les cas.
Sa dernière phrase me stoppe net.
— Quoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle a mon odeur ?
Je hume l’air pour essayer de comprendre, mais ne distingue rien.
— La fragrance d’un Oméga. Tu ne la discernes pas encore, mais même un louveteau te reniflerait à des kilomètres à la ronde. Le miel, les fleurs de prairie et l’orange… Si quelqu’un l’apprend, ils te tueront. Les mâles Omégas sont des occurrences très, très rares chez les lycans.
— Pourquoi cet homme…
— James-Karl.
— Pourquoi James-Karl ne l’a pas flairée tout à l’heure ?
— Car je l’ai dissimulée avec un onguent dès que j’ai compris, c’est trop dangereux de laisser les autres te sentir.
— Je ne saisis rien de ce que vous dites. Je n’ai aucune idée de ce qu’est un Alpha ou un Oméga.
— Ce sont nos statuts dans la meute. Tout notre mode de vie est réglé autour de ça, c’est notre seule manière de survivre. Les lycans savent s’ils sont Alpha, Bêta ou Oméga lors de leur présentation, souvent à l’adolescence. Le statut d’Oméga n’est réservé qu’aux femelles, les mâles sont considérés comme anomalies. Ils sont reconnaissables par leur odeur et sont moins grands et musclés que les Alphas et les Bêtas.
Ma gorge se noue. Comment est-ce possible ? L’inconfort me traverse et je me sens bizarre. Je ne comprends pas. Je ne suis qu’un humain, rien d’autre. Je suis né homme et je le resterai toujours.
J’ai de nouveau l’envie urgente de m’enfuir. Mes mains tremblent, mais je serre le poing pour le dissimuler. Je suis en danger ici.
— Comment vous, vous le discernez alors ?
— Tu es actuellement en transition et tu possèdes une odeur très… marquée. Il se trouve que j’ai également la capacité de connaître les futurs statuts des louveteaux dès leur naissance. Même dans le ventre de leur fécondatrice, je suis en mesure de le deviner.
— Annulez mon odeur. Vous semblez avoir des pouvoirs magiques ou je ne sais quoi… Supprimez-la !
— Impossible. Cette fragrance te définit. Aucune n’est identique. Notre odorat est en grande partie la raison pour laquelle nous avons survécu au fil des lunes. Nous nous reconnaissons, partageons nos émotions grâce à lui, flairons nos proies pour les traquer… Je ne peux pas l’effacer. Cependant, je peux t’aider à la dissimuler.
Je la regarde avec détresse. Est-ce que c’est pour ça que mon nez me fait mal ? Que toutes les odeurs sont trop fortes depuis mon attaque ? Comment une morsure de loup peut-elle altérer à ce point mon corps et mes sens ? Je suppose que je dois accepter que l’ancien Étann n’est plus. Que je suis un lycan. C’est un peu comme si j’étais déjà mort au fond.
Je ne verrai plus jamais mon père…
— Tu es triste.
— Mais comment savez-vous ça, bon sang ? m’alarmé-je.
— Je viens de te le dire… L’odeur, explique-t-elle avec calme. Quand tu es heureux, on le remarque. Si tu as peur, il en va de même.
N’importe qui peut donc deviner ce que je ressens sans que je puisse le contrôler. Quel genre d’intimité cela me laisse-t-il ?
— Il est important que tu comprennes, ajoute-t-elle d’un ton sérieux. Ton odeur est dangereuse pour toi. Un mâle ne peut être un Oméga. D’autant plus que tu feras partie de l’unité Roé, tu seras un chasseur dans notre meute. Beaucoup de difficultés t’attendent, mon garçon. James-Karl est ton plus gros souci dorénavant. Il sera sans pitié, et il sera encore plus ardu de réussir à t’intégrer dans le village, apprendre nos traditions et t’adapter à cette nouvelle vie. Les autres loups te verront toujours comme un humain.
Mais je suis un humain !
Un grognement s’échappe de mes lèvres. Argh ! Ça aussi c’est bizarre. Ça m’arrive sans cesse. On dirait un chien menaçant !
— Plus tu lutteras contre la transition, plus ce sera douloureux. À présent…
Elle me recouche sur le dos, d’une poigne impressionnante pour une femme de son âge. Elle s’éloigne ensuite pour se tourner vers la table et me tend un petit pot sur le couvercle duquel une empreinte de loup est gravée.
— Tous les matins et tous les soirs, tu devras appliquer cet onguent de camphre sur tes glandes olfactives.
Ses deux index tracent des ronds sur l’intersection entre mon épaule et la base de mon cou. Dès qu’elle touche ma peau, tout mon être se détend instantanément. Le rouge me monte aux joues. Cette sensation d’étreinte maternelle et de possessivité, je ne l’ai pas ressentie depuis longtemps.
Trop longtemps…
Je me sens soudain mal à l’aise, comme si on entrait dans mon intimité, et les larmes inondent mes yeux.
— Qu’est-ce que vous faites ?
— Cette partie de ton corps est très sensible. C’est ici que tout ton flux énergétique et olfactif se diffuse. Arrête ça.
Elle me met une tape sur la joue et j’ouvre les paupières sous la surprise.
— Tu es en train de ronfler comme un louveteau. Je ne suis pas ta Veilleuse. Reprends-toi.
L’humiliation me terrasse, et je me crispe. Je n’ai pas fait exprès. Je ne contrôle rien de mes réactions. C’est très handicapant. J’ignore comment je vais réussir à vivre comme ça. Moi qui suis habituellement aussi lisse qu’une mer d’huile. L’imprévisibilité de mes émotions m’embarrasse.
Elle ôte ses doigts de ma peau et la sensation s’évanouit peu à peu. Mes paupières se ferment toutes seules. Je suis épuisé. Je voudrais dormir et oublier tout ça.
— Je pense que ça suffit pour aujourd’hui, conclut-elle. Ne néglige jamais que le flair d’un loup n’est pas dupe. Si tu omets d’utiliser l’onguent, ce sera à tes risques et périls. Il existe des choses bien pires que la mort, mon garçon. Surtout pour un lycan. Ce sera notre petit secret, tu n’en parleras à personne.
La guérisseuse retourne à ses occupations dans une autre pièce de la cabane et je reste allongé, le baume au creux de ma main.
Tout