Damage control - François Clapeau - E-Book

Damage control E-Book

François Clapeau

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Beschreibung

Entre une série d'homicides et une épidémie meurtrière, la ville de Limoges peine à garder son calme...

Des taches pourpres dans un décor immaculé… Une ville calme et sereine est soudain frappée par une série d’homicides, une épidémie meurtrière. Alors que la psychose s’installe comme un virus, un jeune réanimateur du CHU se bat pour arrêter cette hémorragie. Du huis clos d’un box des urgences aux rives sauvages de la Vienne, dans un emballement policier et médiatique sans précédent, on ne sait plus qui soigne, qui tue, qui mettra fin à l’hécatombe.

Découvrez une nouvelle face, bien plus sombre, de la ville de Limoges dans ce polar sombre et meurtrier en plein coeur du CHU et sur les rive de la Vienne.

EXTRAIT

Le soleil a illuminé la journée dans un ciel sans nuage. Un croissant de lune vient de le rejoindre dans son infini terrain de jeu. Pourtant, la nuit peine à prendre possession de la ville. Les ombres s’allongent mais ne disparaissent pas. Comme pour donner un dernier coup de pouce à la lumière du jour, l’éclairage public s’est allumé. Mais le combat est maintenant inégal. Le soleil se couche derrière la cathédrale Saint-Étienne. Le ciel devient noir. La lumière des étoiles est masquée par le halo jaune de lampadaires vieillissants. L’obscurité l’a emporté.
Une route à quatre voies longe la Vienne et irrigue le centre-ville. Le ronronnement des voitures couvre largement le bruit de l’eau, même si leur vitesse est limitée à cinquante kilomètres par heure. La plupart des conducteurs sont sagement rangés sur la file de droite et laissent le champ libre aux pilotes imprudents.
Côté ville, une haute cheminée de briques surplombe un fast-food. C’est le dernier vestige d’une usine de porcelaine qui a fait la gloire et la puissance de Limoges. Quand tous ses fours étaient allumés, la lumière des flammes couvrait le ciel d’un voile rouge, visible dans toute la région. La cheminée s’élève toujours dans les airs, si fine qu’elle semble pouvoir tomber au premier coup de vent. Fragile, et solide à la fois, elle raconte un passé : les milliers d’ouvriers qui nourrissaient son ventre de terre et de bois sont partis, mais elle est toujours plantée là, comme Excalibur dans son rocher.
Côté rivière, un pont médiéval mène vers une histoire plus ancienne, celle des fondations ; quand un gué représentait un enjeu stratégique suffisant pour bâtir une cité. Des siècles plus tard, ses arches de pierre se reflètent toujours à la surface de l’eau sous la lumière sélène.

À PROPOS DE L'AUTEUR

François Clapeau est journaliste, spécialisé dans le domaine de la santé. Après avoir travaillé dans de nombreuses villes, il s’installe à Limoges en 2002. Il a écrit des textes pour enfants et joue de la guitare dans le groupe rock Dumont d’Urville ;  Damage control est son premier roman policier. Il vit à Limoges.

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Limoges sombre

Collection dirigée par Thierry Lucas

© 2016 – – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

François CLAPEAU

DAMAGE CONTROL

Limoges sombre

Le Damage Control est une stratégie séquentielle de prise en charge en urgence des traumatisés graves. Il s’agit de contrôler le saignement et les lésions vitales pour assurer la survie du patient. La réparation définitive des lésions est réalisée lors d’une deuxième intervention chirurgicale.

Académie nationale de chirurgie

Jeudi 23 septembre

Chapitre 1

Le soleil a illuminé la journée dans un ciel sans nuage. Un croissant de lune vient de le rejoindre dans son infini terrain de jeu. Pourtant, la nuit peine à prendre possession de la ville. Les ombres s’allongent mais ne disparaissent pas. Comme pour donner un dernier coup de pouce à la lumière du jour, l’éclairage public s’est allumé. Mais le combat est maintenant inégal. Le soleil se couche derrière la cathédrale Saint-Étienne. Le ciel devient noir. La lumière des étoiles est masquée par le halo jaune de lampadaires vieillissants. L’obscurité l’a emporté.

Une route à quatre voies longe la Vienne et irrigue le centre-ville. Le ronronnement des voitures couvre largement le bruit de l’eau, même si leur vitesse est limitée à cinquante kilomètres par heure. La plupart des conducteurs sont sagement rangés sur la file de droite et laissent le champ libre aux pilotes imprudents.

Côté ville, une haute cheminée de briques surplombe un fast-food. C’est le dernier vestige d’une usine de porcelaine qui a fait la gloire et la puissance de Limoges. Quand tous ses fours étaient allumés, la lumière des flammes couvrait le ciel d’un voile rouge, visible dans toute la région. La cheminée s’élève toujours dans les airs, si fine qu’elle semble pouvoir tomber au premier coup de vent. Fragile, et solide à la fois, elle raconte un passé : les milliers d’ouvriers qui nourrissaient son ventre de terre et de bois sont partis, mais elle est toujours plantée là, comme Excalibur dans son rocher.

Côté rivière, un pont médiéval mène vers une histoire plus ancienne, celle des fondations ; quand un gué représentait un enjeu stratégique suffisant pour bâtir une cité. Des siècles plus tard, ses arches de pierre se reflètent toujours à la surface de l’eau sous la lumière sélène.

Ces images semblent éternelles ; elles apaisent les automobilistes qui rentrent tardivement du travail ou qui ont décidé de sortir pour la soirée. Tous connaissent par cœur ces vieilles pierres : ceux qui sont nés ici ont entendu leur histoire pendant toute leur enfance. Ils ont couru sur le pont, s’y sont tordu les chevilles et écorché les genoux. D’autres ont choisi de s’installer dans cette ville. Souvent pour fuir la capitale, ou une autre grande métropole. Lassés, pour chaque décision du quotidien, de devoir prendre en compte la foule potentielle qui ressent la même envie ou le même besoin au même moment. Toujours la foule, oppressante. Un stress devenu rebutant. D’abord hésitants, tous se sont approprié ce nouveau patrimoine avec plaisir. Ils plongent désormais leurs racines dans ce sol granitique. Et ils font des enfants.

Quelle pierre apporteront-ils à cet édifice ? Ils grandiront en tout cas dans un environnement protégé. Un environnement serein où l’on ne connaît pas les embouteillages. Ici, la pollution est causée par les pollens du printemps. Les habitants passent leurs dimanches à la campagne, partent en week-end faire du ski dans le Cantal ou voir la mer à Royan. Comme la rivière coule sous leurs yeux, la confiance coule dans leurs veines.

Le calme. Puis un frémissement.

Sur le bitume, les bandes blanches défilent de plus en plus vite. Au loin, la silhouette d’un immense hôpital se dessine lentement dans l’obscurité.

Une nouvelle lumière, bleue, apparaît dans les rétroviseurs. Elle devient rapidement éblouissante. Une sirène vient frapper les tympans qui hésitent à transmettre à des cerveaux pris de court ces trop violentes vibrations. C’est une ambulance. Elle s’approche de chaque véhicule, puis les dépasse en quelques secondes. Pendant la manœuvre, sur ses flancs blanc et jaune, on lit clairement l’inscription « SAMU 87 ».

Une vie est en train de lutter pour ne pas quitter sa terre. Et, à l’intérieur de l’ambulance, on se bat à ses côtés. Pour tous ceux qui regardent simplement le bolide foncer vers l’imposant Centre Hospitalier Universitaire, un sentiment d’inquiétude apparaît. Les mains se crispent sur les volants : un dérapage peut rompre le précieux équilibre. La physique, d’ordinaire assez pragmatique, décide à son tour de ternir un peu plus la quiétude de cette première soirée d’automne : sous l’implacable effet Doppler, le son de la sirène qui jusqu’ici montait dans les aigus devient maintenant de plus en plus grave, avant de disparaître, inexorablement.

Chapitre 2

Secrets d’échocardiographie. Un titre austère mais informatif pour un épais livre à la couverture illustrée de schémas colorés. Ces dessins sont incompréhensibles pour un néophyte, mais Martial Boulesteix les assimile sans peine. Assis derrière un large bureau rectangulaire et noir, il tourne lentement les pages de l’ouvrage qu’il vient de se procurer, après s’être assuré d’en avoir intégré chaque notion. L’échographie cardiaque, c’est le sujet d’un Diplôme Universitaire qu’il prépare depuis maintenant trois mois. Déjà anesthésiste-réanimateur avec le statut de chef de clinique, il veut encore progresser dans sa spécialité. Mais ce soir il a du mal à se concentrer.

Il est coincé dans la bibliothèque de son service, au premier étage du CHU. Une salle tout en longueur, au sol grisâtre et aux murs tapissés de livres et de revues scientifiques prestigieuses dans lesquelles il rêve de publier des articles innovants : The Lancet, The New England Journal of Medicine… Un jour, peut-être. Ou plutôt : un jour, sûrement. Il a confiance en lui, même si le chemin à parcourir est encore long avant d’atteindre le très haut niveau d’expertise requis. Il attaque une nouvelle page de son livre et tente de se remobiliser autour d’un chapitre prometteur consacré aux échographies tridimensionnelles.

La nuit est tombée ; sa garde de réanimation a débuté il y a près de deux heures, et les nouveaux patients ne se bousculent pas aux urgences de l’hôpital universitaire. Comme il est le seul réanimateur senior présent ce soir, Martial Boulesteix ne doit pas quitter les murs, contrairement aux chirurgiens qui sont autorisés à aller et venir. Sa présence immédiate est indispensable. Il est condamné à ce long tête-à-tête avec ses études, en attendant qu’une hypothétique fatigue le pousse jusqu’à sa chambre de garde. Il se lève de son fauteuil de bureau pour pratiquer quelques étirements. Il n’est pas très grand, moins d’un mètre quatre-vingt, mais il est fin et musclé par la course à pied. Sa tenue blanche de médecin hospitalier paraît toujours un peu trop large. Comme un adolescent, il passe sa main dans ses cheveux blonds qu’il garde mi-longs plus par paresse que par coquetterie, et il se rassoit devant son livre. Pas pour longtemps. Son téléphone sonne. C’est le régulateur du SAMU. Sa voix est teintée de stress.

— Martial, une voiture arrive avec un blessé par balle qui a été récupéré à Limoges. Un homme jeune. Il a reçu la balle dans le dos, et il a perdu beaucoup de sang. Il est instable.

Martial Boulesteix se lève d’un bond :

— Tu n’aurais pas pu me prévenir avant ?

— Désolé, c’est une grosse soirée pour nous et on n’est pas assez nombreux…

Le réanimateur met fin à la communication et compose le numéro raccourci de son équipe de déchocage tout en s’engageant dans l’escalier menant au rez-de-chaussée, vers le service des urgences. Ses Crocs rouges grincent sur le sol en vinyle. Il irait plus vite avec ses chaussures de running. L’adrénaline est entrée dans son corps comme l’eau salée qui pénètre en bouillonnant dans la coque éventrée d’un navire en perdition.

C’est son premier blessé par balle. La vie du patient est en jeu, mais c’est aussi un challenge majeur pour le jeune médecin. Il a hâte de connaître l’étendue des dégâts, hâte d’agir. Son esprit est entièrement mobilisé sur la situation qui se présente à lui. Concentré, et efficace : pour préparer au mieux sa réanimation, il connaît chaque décision à prendre, chaque consigne à donner. Il parle rapidement dans son téléphone portable à une infirmière qu’il connaît bien :

— Brigitte, on a un blessé par balle. On a perdu du temps, il est déjà en route, il va arriver. Alors vous mettez vite en place la procédure.

Martial Boulesteix arrive devant la salle de déchocage et termine sa conversation en face-à-face :

— Préparez la pompe à sang. Prévenez aussi le scanner, au cas où, il doit être disponible.

Sa voix grave qui tranche avec la jeunesse de son visage impose toujours un certain respect. Plusieurs infirmières et un interne sont maintenant à son écoute. Ces collaborateurs connaissent sa rigueur et savent qu’il a beaucoup étudié la prise en charge de ce type d’urgence : c’était le sujet de la thèse qu’il a réalisée ici, au CHU de Limoges. Le traumatisme balistique. Il attend ce premier cas concret depuis des années.

Organisé et prévoyant, le jeune réanimateur téléphone à un radiologue et à un chirurgien thoracique pour leur demander de le rejoindre toutes affaires cessantes : il doit disposer au plus tôt de ces ressources potentiellement nécessaires, car toute perte de temps peut être fatale. Dans ses yeux bleus, on peut lire une grande détermination.

Au fond de la large pièce aux murs blancs et au sol orange, un interne en réanimation prépare le matériel qui sera indispensable dans les prochaines minutes : le scope va contrôler les battements du cœur grâce à des capteurs posés sur la poitrine de la victime. L’oxymètre, pincé au bout d’un doigt, vérifiera que la respiration est efficace. Le tensiomètre s’assurera que le cœur fait bien circuler le sang. Devant le brancard, là où se trouvera la tête du patient, les fluides sont prêts à être utilisés : oxygène, azote, air médical. Une infirmière manipule l’ordinateur qui permettra de récupérer des résultats d’analyses. Une aide-soignante équipe des tables à roulettes pour que tous les outils nécessaires à des prélèvements où à des injections soient à portée de main. Les pieds à perfusion sont en place. La salle de déchocage, souvent calme et silencieuse, ressemble maintenant à une ruche. Ce box des urgences doit toujours être disponible : même quand le service est surchargé de malades en attente de soins, cette salle reste vide, prête à recevoir les cas les plus extrêmes. Ses équipements sont vérifiés tous les jours.

Ce soir, la pression monte rapidement.

— Où est le radiologue ? On le rappelle s’il n’est pas encore là !

Martial Boulesteix donne ses instructions aux membres de l’équipe médicale tout en enfilant une blouse de protection et des gants stériles. Contrairement à un bloc opératoire, le code vestimentaire est assez souple, ce n’est pas une priorité en cas d’urgence vitale.

L’ambulance du SAMU s’arrête devant la porte vitrée du sas des urgences. Une équipe médicale en descend : un médecin urgentiste, une interne, et un infirmier. Tous sont vêtus de blanc et tachés de sang. Ils suivent les deux brancardiers qui transportent le matelas coquille sur lequel est allongée la victime. Le convoi se dirige vers la salle de déchocage. La traversée du service des urgences, pourtant encombré de lits et de patients, est effectuée en quelques secondes.

Le patient arrive. C’est un jeune homme, maintenant éclairé par une lumière blanche et puissante. Des infirmières le déshabillent et préparent son corps ; l’interne de réanimation engage déjà dans son cou une voie veineuse centrale. C’est par là que passeront les médicaments. Du sang s’échappe par vagues et commence à apporter une touche dramatique à un décor jusqu’ici net et innocent.

Il doit avoir 20 ans. Un visage lisse, des cheveux châtains collés entre eux par un sang pâteux. On voit un hématome sur sa joue droite, peut-être aussi une plaie sur son crâne, causée par une chute. Il a souffert, mais dans son état d’inconscience, les yeux clos, il semble maintenant étrangement calme. Presque résigné.

Un autre médecin entre dans la salle. Il se dirige vers le brancard et se penche sur le visage de cet être trop jeune pour mourir. On aperçoit ses tempes grises sous sa coiffe bleu foncé. Il relève la tête et repositionne des lunettes métalliques sur son nez. Il s’adresse à Martial Boulesteix :

— C’est bon, je gère. Merci d’avoir prévenu la radio.

Échographe portable à la main, le radiologue vient en effet d’arriver. Il se met immédiatement au travail pour tenter d’évaluer les dégâts et pour rechercher les causes de traumatisme. Martial Boulesteix s’est figé, comme un lapin dans la lumière des phares.

Chapitre 3

Le jeune réanimateur balbutie :

— Michel, qu’est-ce que vous faites là ? C’est ma garde, vous êtes censé être en vacances…

— Oui, je devais partir ce soir, mais je suis repassé prendre un dossier. Ma femme attendra un peu, elle a l’habitude… 

En disant cela, il fait un clin d’œil peu discret à l’aide-soignante qui lui apporte une paire de gants stériles. Elle n’y répond pas mais défait l’emballage des gants avec un respect appuyé, comme on prépare une offrande pour une idole.

Les mains de Martial Boulesteix deviennent subitement moites. Comme si l’énergie qu’il allait mobiliser pour sauver son patient cherchait à s’échapper par tous les pores de sa peau. Il transpire, il trembleaussi. Et il reste sans voix.

Son chef de service va prendre en charge ce patient. Lui était prêt à mettre enfin en pratique des théories étudiées pendant de longues semaines lors de la rédaction de son mémoire de thèse. Mais ce soir, au mieux, il va assister à la prise en charge d’un choc hémorragique comme un simple observateur.

Le Dr Michel Mautrat est conscient du malaise, mais il ne se formalise pas. Il parle avec autorité même si, à près de 70 ans, sa voix est un peu cassée. L’homme règne sur le service des urgences depuis des décennies et la retraite ne fait pas partie de ses préoccupations.

— Si tu veux, tu peux rester, on ne voit pas souvent de cas comme ça dans le coin…

Certes. La bouche de Martial Boulesteix est de plus en plus sèche. Ses jambes ne le portent plus, comme s’il venait de courir un marathon.

— Mets-toi à côté de Guillaume, c’est un externe de deuxième année, tu pourras lui dégrossir le truc.

— Docteur, on y va ?

Brigitte Martin est une infirmière dont les gestes précis et rapides illustrent l’expérience. C’est elle qui vient d’interpeller le docteur Mautrat, et même si la réputation de ce grand médecin n’est pas à faire, elle a parlé sans ambages. Façon de lui rappeler que, malgré le changement de leader, il y a toujours urgence. Comme un pantin, Martial Boulesteix respecte la consigne de son supérieur et s’adosse à un mur, à côté de cet étudiant qui découvre la médecine. Le chef de la réanimation du CHU regarde le visage éteint du patient, puis s’adresse à son tour à Brigitte Martin, lui aussi sur un ton cassant : il n’a pas apprécié son rappel à l’ordre infantilisant :

— Bon alors ? Qu’est-ce qu’on a ?

C’est le médecin du SAMU qui répond. Ses épaules sont carrées, sa moustache fournie ; l’intervention de cet homme au physique imposant permet de recentrer le débat.

— C’est un homme de 19 ans, touché dans le dos par une balle, un tir d’arme à feu. C’était il y a vingt-cinq minutes. Glasgow à 3. Il saigne énormément. On a intubé et passé de l’adré, et puis on a foncé ici… 

— On a une tension ?

— C’est très bas, autour de 5. Le rythme cardiaque est trop rapide, il tachycarde.

— La colonne est touchée ?

— Non, c’est rentré bien à gauche, répond le radiologue qui vient de réaliser un cliché. 

Le Dr Mautrat donne ses premières consignes :

— Bon, c’est un choc hémorragique. Déjà, vous le remplissez de sérum. Faites une échographie pour voir où ça saigne, regardez s’il y a un hémothorax.

Martial Boulesteix sort enfin de sa stupeur et prend la parole comme par reflexe :

— Il faut lui passer de la noradrénaline, vite. Ça fera remonter sa tension. 

Sans le regarder, Michel Mautrat lui répond sèchement :

— Non, Martial, moins il a de tension, moins ça saigne. 

Martial Boulesteix secoue la tête mais ne dit rien. L’externe, un étudiant plutôt grand à la blouse blanche beaucoup trop courte, lui pose une question en chuchotant, à peine audible dans le brouhaha :

— C’est quoi la noradrénaline ?

— C’est un vasoconstricteur, ça réduit la taille des artères et ça fait augmenter la tension mécaniquement. Le sang circule plus vite et il fait mieux son job… Si le sang ne circule pas, les cellules du corps vont se mettre à faire de l’acide et ça, c’est très mauvais… 

Le radiologue a enfin repéré la balle précisément, sur un cliché du thorax. Elle se trouve dans un poumon. Avec son échographe, il évalue l’hémothorax, la présence de sang dans la plèvre. Le chirurgien thoracique est prévenu : il attend au bloc opératoire, prêt à ouvrir la poitrine du patient.

Les infirmières continuent d’équiper le patient pour la chirurgie. Les deux voies périphériques et la voie centrale sont maintenant posées. Elles pénètrent dans le corps du patient pour permettre aux drogues de s’y infiltrer.

Mais la tension est toujours basse. Le sang semble de plus en plus clair. Martial Boulesteix a les yeux rivés sur les moniteurs qui rapportent en temps réel les constantes du patient. Et il ne peut s’empêcher de prendre à nouveau la parole :

— Michel, il faut le réchauffer, il faut monter la température là, il se refroidit…

— On s’en fout de la température, pour l’instant ce n’est pas son problème principal ! Et en plus on ne va pas laisser les bactéries proliférer. 

— Mais regarde, il est froid, on est en train de le perdre !

— Martial, si tu n’es pas content tu sors de ma salle. Depuis trente ans je pense que j’ai sauvé plus de patients que toi. Tiens regarde, son rythme cardiaque baisse.

Effectivement, le cœur s’était d’abord emballé. Une réaction logique en cas de choc hémorragique. Le corps saigne, le cœur compense comme il peut pour faire circuler ce qui reste et nourrir le corps. Maintenant le rythme cardiaque est toujours rapide, mais plus proche de la normale.

— C’est une bonne chose que le rythme baisse ? demande le grand étudiant un peu plus fort, le volume général de la pièce ayant encore augmenté.

— Ça peut, répond Martial Boulesteix. Mais c’est peut-être aussi le début de la fin si on a atteint le triangle de la mort…

— Le triangle de la mort ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Le jeune réanimateur soupire, agacé par le rôle d’enseignant qu’il doit endosser, lui qui devrait être aux commandes.

— En termes médicaux, c’est la « triade létale ». Le corps est trop froid, trop acide, et le sang ne coagule pas assez. Quand on en est là, c’est foutu.

Cela fait plus d’une heure trente que l’équipe d’urgence travaille dans la salle de déchocage. Martial Boulesteix évacue comme il peut sa frustration : il a brisé un à un tous les stylos qui se trouvaient dans la poche de sa blouse. Sa colère n’est visible que par les taches d’encre qui maculent le tissu blanc.

Et ce qu’il redoutait se produit. La vitesse des battements du cœur n’a pas cessé de diminuer. Alors qu’on se prépare à partir vers le bloc opératoire, le bip métronomique qui jusque-là rythmait le travail des réanimateurs devient beaucoup trop lent. Il se transforme en long signal sonore, comme si tout le monde dans la pièce était atteint simultanément d’un même acouphène assourdissant.

Martial Boulesteix prend sa tête entre ses mains toujours gantées de latex : le cœur de la victime s’est arrêté.

— Il brachycarde ! Encore de l’adré ! lance le Dr Mautrat en se précipitant vers la poitrine de son patient pour commencer un massage cardiaque.

L’injection est faite. Le réanimateur appuie de ses deux mains, fermement, sur la cage thoracique de la jeune victime. Cela dure de longues minutes. Les tempes grises du Dr Mautrat sont maintenant trempées de sueur. Mais sa dernière tentative de sauvetage reste vaine : le patient n’ira jamais jusqu’au bloc. Le silence s’installe dans la pièce. Le son du moniteur est toujours là, mais, après une trop rapide accoutumance, plus personne ne l’entend. Le Dr Mautrat annonce l’heure de la mort : 22 h 50.

Il donne quelques consignes à ses infirmières, puis se dirige vers la sortie du box tout en retirant ses gants ensanglantés. En passant devant Martial Boulesteix, il lui tape sur l’épaule :

— C’est pas le froid dans la salle qui l’a tué, Martial ; c’est un coup de fusil dans le dos.

Le grand externe s’apprête à demander un dernier éclairage à son professeur d’un soir, mais il se ravise devant un regard fumant.