Danse et vis ! - Sophie Tornier - E-Book

Danse et vis ! E-Book

Sophie Tornier

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Beschreibung

Isabel et François, un couple ébranlé par la passion, la jalousie et la trahison, voient leur monde basculer après avoir survécu à un attentat. Leur amour vacille dans un silence destructeur, les poussant sur des chemins d’infidélité, de fuite et de désespoir. Séparés par les épreuves, marqués par des blessures visibles et invisibles, ils luttent contre eux-mêmes et contre le destin. Mais l’amour peut-il survivre au chaos ? Jusqu’où peuvent-ils aller avant de se perdre définitivement… ou de se retrouver ? Ce récit poignant, ode à la résilience et à la beauté des relations, vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Sophie Tornier, chef de projet en banque, puise dans la rigueur de son métier l’élan créatif pour écrire des histoires audacieuses. Passionnée par la complexité des relations humaines et la liberté sous toutes ses formes, elle explore sans tabou le désir, les non-dits du couple et les illusions de la fuite. À travers ses romans, elle interroge la place de la femme dans la société et invite à une réflexion profonde sur l’épanouissement personnel.

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Seitenzahl: 334

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Sophie Tornier

Danse et vis !

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sophie Tornier

ISBN : 979-10-422-6369-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Une idée folle

Le renouveau est la seule façon de garder l’espoir.

Albert Einstein

— Chérie, je veux un corps.

François avait toujours su ce qu’il voulait. Isabel venait de le sortir de son fauteuil roulant pour l’installer dans leur lit médicalisé. Durant le transfert, il s’accrochait à son cou et tentait de se faire le plus léger possible, culpabilisant chaque jour d’être devenu une charge pour elle. Encore enlacée à son torse, il lui asséna cette sentence. Elle se redressa et le fixa, statufiée par l’incompréhension de sa phrase. Elle s’assit sur le bord du lit, les tongs aux lanières noires alanguies sur le carrelage par une chaleur de juillet accablante et lui prit tendrement la main, l’un des rares membres de contact où elle pouvait lui transmettre ses sentiments à travers le toucher.

— Un corps ? Tu en as déjà un ?
— Mon corps est un corps mort depuis l’attentat.

Un silence s’installa entre eux, pesant et douloureux, et il reprit d’un ton sec la décision qu’il avait longuement mûri depuis plusieurs jours, des mois peut-être sans même lui en avoir touché deux mots, leur complicité, érodée avec les années ne les mettant pas à l’abri des ruminements internes.

— Je veux un autre corps, un corps qui puisse te satisfaire sexuellement.

Mille points d’interrogation piquaient les pupilles d’Isabel tel un Saint-Sébastien transpercé de flèches sanglantes. Un coup de théâtre comme il savait si bien le faire. Une idée renversante. Quand arrêterait-il de la surprendre ?

— Tu as perdu la tête ?

Il continuait de la regarder avec son assurance usuelle. Patience Isabel, patience. Quand cessera-t-il de t’étonner ? Jamais ! Une inspiration à l’hélice sans fin, un esprit créatif hors norme. Une vie paisible, handicapé ou non, n’avait jamais été son dada, obsédé par l’action, par le plein, portant en horreur le vide de l’existence. À cet instant, Alexia diffusait dans la pièce « À nos souvenirs » de Trois cafés gourmands, un morceau joyeux et léger, décalé de l’ambiance qui régnait dans la chambre. Sa nuisette rose fuchsia détonnait avec l’austérité de l’aménagement médicalisé. Chaque installation les ramenait au handicap mortifère. Les corps respiraient, les âmes étouffaient. Placidement, elle reprit :

— Développe, je ne vois pas où tu veux en venir ?
— Avant l’attentat, très régulièrement nous jouissions du feu de l’amour charnel, souviens-toi tu réclamais l’union régulière de nos corps, quand j’avais les batteries à plat, quand nous étions en froid, quand le temps nous manquait, tu me mendiais et tu provoquais ces moments précieux. Nos corps vibraient, se pâmaient, parlaient, chantaient, dansaient, tournaient tels des derviches tourneurs, assoiffés de l’élixir suprême de la jouissance libératrice. Moi calme et comblé de te satisfaire, toi sexy, rayonnante, éclatante, une véritable jouvencelle au visage ivre et pétri de joie. Notre besoin l’un de l’autre était si fort et si vital que la présence des enfants n’a jamais arrêté cette passion sulfureuse de nos corps. Je te vois encore jouir par les yeux. Je nous revois fusionnels. En prenant du recul, cet état de grâce était exceptionnel ! Avec amertume, j’ai constaté que mon corps sans vie avait arrêté cette belle alchimie que nombre de couples d’amis nous jalousaient. Jour après jour, je te vois t’éteindre à mes côtés, morte avant l’heure et ça, je ne peux le supporter. Alors, je souhaite juguler ce sort, quelle que soit la méthode.
— Et donc ?

Ses jambes fondaient à même le sol, ses paumes de main se liquéfiaient, son cœur se suspendait aux paroles de François. Seule une mouche dans cette chambre blanche, briseuse de silence, animait la scène.

— Ne me juge pas ma chérie, j’ai longuement réfléchi et, pour ton bien, pour notre bien, pour raviver cette flamme que je t’ai promise éternelle le jour de nos fiançailles, et parce que seule la folie de l’amour que je te porte me tient encore en vie, je te propose que l’on trouve ensemble un homme qui puisse te faire jouir, te caresser, être moi pour toi et en toi, un homme-corps, corps-objet qui soit notre trait d’union. Je veux te revoir vibrer au diapason charnel, reprenant la danse que je ne peux plus t’offrir.

Ce jour-là, Isabel s’était effondrée sur son torse sans un mot, ne sachant quoi penser de cette folie furieuse intervenue soudainement un jour de fête nationale, le 14 juillet 2024. Huit ans jour pour jour après l’attentat, loin d’être un hasard, François avait dû ressasser cette idée depuis fort longtemps. Son corps luisait à la lumière de la lune traversant leur baie vitrée, les ailes des chauves-souris battaient l’air chaud entre pins et palmiers, la piscine ronronnait et une mouche bourdonnante les agaçait. Il avait raison sur un point : le destin avait rompu en deux leur couple fusionnel. Ils cohabitaient comme deux colocataires, comme deux êtres solitaires renfermant chacun, pensées et émotions dans un silence profond.

Elle se souvenait parfaitement de cette soirée festive où ils étaient allés voir le feu d’artifice tiré en face de la promenade des Anglais dans la baie des Anges niçoise, une soirée rare, seuls sans les enfants adolescents en ce temps. Le feu était magnifique, explosif, le bouquet final vivant, intense, coloré et fleuri, la musique enjouée. Les yeux ne savaient plus où se poser. Les battements de cœur palpitaient au rythme des enceintes plantées sur la plage au sommet de grues.

François entourait les épaules d’Isabel et la serrait fort à chaque tir de mortier. Ils s’étaient installés en face du palace Le Royal au début de la Prom’ avec le vain espoir de partir plus vite de la foule de spectateurs, 30 000 âmes les entouraient ce jour-là. Par sa rareté, ce moment de joie pure les entourait d’une bulle intemporelle, légère et éphémère, précieuse. François était vêtu d’une tenue de lin beige, Isabel d’une robe courte fleurie aux notes printanières, un petit sac en bandoulière pour sentir son téléphone vibrer au cas où les garçons voulaient la joindre. 22 h 30, ils s’orientaient tranquillement vers la sortie, enlacés l’un à l’autre, englués dans la masse de touristes et de niçois, le ciel était clair et les ganses, ces célèbres beignets embaumaient l’asphalte encore chaud. Côte à côte malgré l’allégresse de la foule, François agrippait Isabel par sa taille fine de peur d’être séparé par un mouvement général de foule.

Soudain parvinrent à leurs oreilles des bruits de chocs sourds, des cris, des hurlements, d’instinct, François eut juste le temps d’écarter énergiquement Isabel sur sa droite avant de se prendre de plein fouet le camion fou. Une marionnette percutée parmi 500 autres. Choquée, Isabel s’était vite relevée et s’était précipitée vers un François au bas du corps broyé, inconscient, seul son souffle lent indiquant qu’il vivait encore. Pétrifiée par ce corps inerte, par les cris, les gémissements, les lamentations alentour, elle l’avait enveloppé de son corps telle une patelle sur son rocher croyant inconsciemment lui redonner vie par une énergie ultime. Ce sont les pompiers qui les premiers, lui ont parlé et lui ont invectivé de se détacher pour qu’ils puissent prendre soin de son mari. Zombie de la nuit, elle se souvient les avoir suivis à la lueur des yeux bleus des sirènes jusqu’à l’hôtel Negresco, premier hôpital de campagne monté en urgence pour la triste circonstance, les mains, cou et poitrine rougis par le sang. Plongée dans la stupeur, elle n’entendait plus aucun bruit et voyait des corps s’activer autour d’elle, la bousculer, lui parler. Son corps était là, mais son esprit était plongé dans les limbes morbides de l’enfer, accroché à l’âme de François. Quatre minutes de folie meurtrière avaient suffi pour marquer au fer rouge la vie de centaines de personnes.

Vers 2 h du matin, leurs deux corps furent emmenés à l’hôpital Pasteur et la vraie prise en charge avait pu commencer. Pendant la première opération de François, une infirmière administra à Isabel des comprimés de Divarius, un antidépresseur puissant qui lui permit de reprendre ses esprits et de prévenir leurs fils âgés alors de 17 et 20 ans. BFM tournait en boucle dans les couloirs blancs tâchés de sang, l’hôpital transformé cet été-là en hôpital de guerre où le personnel soignant courant de toutes parts ressemblait à des bouchers. Face à la mort, ce joli petit monde hospitalier était assailli de pulsions de vie – blagues potaches – humour noir, décalé et sardonique – accolades régulières – café, cigarette ou fraise tagada de réconfort…

En visualisant ces images de terreur absolue, elle prit conscience qu’ils y étaient, qu’ils avaient été acteurs de ce funeste drame, que le passage à l’acte d’un terroriste aux troubles psychiatriques indéniables était à l’origine du plus grand malheur de leur vie. Difficile de prévoir un passage à l’acte. La psychologie d’un être humain n’était-elle pas la science la plus inexacte qui soit ? La plus difficile à appréhender ? La folie n’était pas toujours détectée et, l’eusse-t-elle été, sa prise en charge restait incertaine. Le patient rusait tant avec le professionnel de santé qu’avec lui-même, par ailleurs, la camisole chimique réclamait son consentement, ce qui laissait une plus grande marge de manœuvre à la maladie.

Son instinct professionnel reprenant le dessus, rapidement, elle avait entrepris d’organiser une cellule psychologique de fortune dans les couloirs entamant un processus de déchocage psychologique. Rassemblant un petit groupe de huit personnes autour d’elle, Isabel commença alors à distribuer des verres d’eau, à mettre ses mains sur leurs épaules, à jeter ses yeux dans les leurs, à interroger les victimes conscientes, leurs proches, les miraculés d’un soir, les incitant à verbaliser leurs émotions, leurs affects, parlant des siens, échangeant sur la soirée machiavélique, les conduisant peu à peu à se détacher du drame et à penser de nouveau à leurs familles, leurs amis, les menus détails du quotidien auxquels chacun se raccrochait. Il était temps de réaliser ce qui s’était passé et ceci passait avant tout par la communication, appeler ses proches, leur raconter l’indicible, les rassurer ou leur annoncer la soudaine disparition d’un être cher.

Forte de cette mission divine, Isabel se sentait utile aux autres et supportait mieux le malheur qui était le sien ou tout du moins le mettait de côté pour prendre soin des autres. Faire passer les autres avant elle, n’était-ce pas un reproche qu’elle avait toujours reçu de François ? Un château de cartes s’était écroulé, son univers entier ne tenait qu’à un fil, et la passion qu’elle et François entretenaient depuis plus de 35 ans déjà, était mise à rude épreuve. Comme dans tous les couples, il y avait eu des hauts et des bas et le passage à la parentalité fut le plus terrible. François était possessif et souffrait du temps qu’elle passait avec ses fils, Jules et Amaury toujours au détriment du temps qu’elle pouvait lui consacrer. Au moment où Amaury avait fait son coming out, François lui avait reproché qu’elle l’avait trop couvé, expliquant ainsi la raison pour laquelle il avait préféré les hommes aux femmes, se déchargeant ainsi de toute responsabilité, la culpabilisant injustement, feignant de croire qu’un homme viril tel que lui ne pouvait inspirer un fils à devenir homosexuel. Bien que François ne fût pas toujours fin psychologue et sa logorrhée pas toujours agréable à entendre, Isabel lui pardonnait ses défauts qu’elle savait de façade et de passage.

L’opération avait durée plus de 10 h. Le médecin vint la voir vers les 14 h de l’après-midi. Elle s’était endormie de fatigue. Les pilules du bonheur et les rayons du soleil, qui mordillaient la vitre avec fort appétit, avaient eu raison de son inquiétude qui la maintenait jusque-là éveillée. La climatisation battait son plein, frileuse, avec sa couverture de survie dorée et sa chevelure brune, elle ressemblait à Adèle Bloch-Bauer face au pinceau du peintre autrichien Gustav Klimt.

Le médecin lui annonça que François avait été plongé dans un coma artificiel à la suite de graves complications, à deux reprises le cœur avait lâché, à deux reprises l’équipe l’avait réanimé de justesse, de nombreux os avait été broyés par la violence de la collision, mais le plus impactant avait été la vertèbre T6, sectionnée. À ce moment précis du rapport, le docteur avait gardé un instant le silence, éternel pour Isabel suspendue à ses lèvres, palpant ses lunettes comme pour se donner plus de contenance puis après un élan de courage indispensable à sa profession, le verdict tomba : François resterait paraplégique jusqu’au torse, la vertèbre était trop endommagée pour tenter une intervention de substitution sans risque de toucher la moelle épinière de manière irréversible, et qui plus est létale. Plusieurs opérations seraient nécessaires avant que François puisse être pris en charge par un établissement de rééducation, 6 à 12 mois étaient essentiels, laissant le temps à Isabel d’aménager le domicile conjugal pour son retour.

Dévastée par cette nouvelle apocalyptique, elle retomba sur sa chaise, les yeux dans le vide, se renfermant dans son monde intérieur. Un début de culpabilité germait déjà en elle. La scène de la veille tournait en boucle dans sa tête : la personne qui aurait dû être percutée par ce camion de malheur, ça aurait dû être-elle. Comment allait-elle pouvoir vivre avec ce fardeau ? Amaury arriva à ce moment précis, elle se releva et s’écroula dans ses bras en pleurs, incapable de prononcer un seul mot.

Bel homme, son fils avait pris l’encre des cheveux de sa mère pour écrire son histoire et le bleu des yeux de son père pour la glacer sur les pages de son livre. Il était mince, les traits fins et mesurait à peine un mètre soixante-quinze. Inlassablement, il s’habillait de manière classique – les fesses recouvertes d’un chino marine – le torse d’un polo blanc Lacoste. Sa seule excentricité résidait dans son collier composé d’un fil translucide muni d’une hématite noire et sphérique. Erwan, son amoureux, portait le même. Malgré leur jeune âge, aidé financièrement par François, Amaury et Erwan avaient repris ensemble un restaurant gastronomique au cœur de Nice, lui était chef cuisinier, menant d’une main de fer sa brigade, et Erwan était le responsable de salle. Bien que récent, le restaurant affichait complet à chaque service. Perfectionniste et créatif, Amaury s’évertuait à surprendre ses clients dans l’assiette tant gustativement que visuellement, faisant de chaque dressage d’assiette une œuvre d’art. Erwan était un amour et son rôle lui allait comme un gant : avenant, bienveillant, souriant, organisé, affable, il avait la fibre commerciale en lui. Après le froid du coming out, Isabel et François avaient vite adopté Erwan comme un troisième fils. D’origine bretonne et issu d’une famille faite de bric et de broc, il voyait peu ses parents séparés depuis son plus jeune âge – le père partit installer une pâtisserie en Californie – la mère, une croqueuse d’hommes aux nombreux compagnons de vie gardant une fois sur deux un souvenir dans son ventre, si bien qu’il avait cinq frères et sœurs de pères différents.

Bien qu’Amaury ne connût toujours pas le verdict quant à l’état clinique de son père, il comprit vite en consolant sa mère la gravité de la situation. Plus rien ne serait plus jamais pareil ! Mohamed Lahouiej-Bouhlel, ce maudit terroriste au passé scabreux, avait démoli une famille, la sienne et celle de nombreux niçois. Fort heureusement, il avait été abattu par la BST, l’état français ne nourrirait pas cette bouche putride. Amaury n’avait jamais vu sa mère dans un tel état, bien connue pour être calme et forte dans toutes les circonstances. Psychologue de métier, elle savait écouter les gens sans aucun jugement et acceptait beaucoup de ses proches, beaucoup trop à son goût. Son père pouvait parfois être odieux, philosophe, elle laissait glisser. Elle avait cette force tranquille et indestructible peu commune, nourrie par sa séance de méditation Nidra quotidienne, le seul médicament puissant non remboursé par la Sécurité sociale. Elle faisait souvent barrage au caractère impulsif de son père quand celui-ci tentait de s’en prendre à l’un de ses fils et se révélait être une véritable louve protectrice. Jules et Amaury idolâtraient leur mère et craignaient leur père au comportement sanguin et au verbe incisif. Ils s’étaient toujours demandé pourquoi leur mère aimait un tel homme : elle la Sainte et lui l’homme d’affaires capitaliste qui écrasait tout sur son passage, elle était magnifique alors que lui arborait un physique commun.

Une fois calmée et bien qu’épuisée, autour d’un mauvais café de la machine de l’hôpital, Isabel expliqua à son fils le déroulement de la soirée, de la nuit et la sentence irrémédiable et irrévocable du médecin. Alors que lui pensait à la charge qu’allait devoir porter et supporter sa mère, elle pensait qu’elle aurait dû être à la place de François, lui devant sans conteste sa vie, sa mobilité. Quoiqu’il puisse lui en coûter, elle ne le laisserait pas tomber. Elle se faisait la promesse d’assumer son rôle de garde-malade jusqu’au bout.

Durant sa convalescence au Centre Atlantis juste à côté de la clinique du parc impérial, Isabel allait le voir chaque jour avant, entre ou après ses consultations. Avec résilience, force et sagesse, elle supporta son humeur irascible, atrabilaire, voir agressive. Fier, il la rejetait systématiquement, ne supportant pas qu’elle le voit dans cet état de délabrement physique, n’acceptant pas lui-même son handicap, mais elle continuait à venir sans relâche, s’imposant en douceur. Quand le maire avait lu la phrase habituelle il y a vingt-cinq ans de cela, « Mademoiselle Luna Isabel Dolores Martinez, consentez-vous à prendre pour époux François Xavier Antonin Colona pour le meilleur et pour le pire… », il ne s’était pas trompé, ni pour le meilleur ni pour le pire.

Le poids de la culpabilité et l’agressivité de François accablaient ses frêles épaules. Elle n’en dormait plus la nuit. Trois mois plus tard, au cœur du mois d’octobre, à bout, son corps exprimait son état de fatigue générale. Par manque de sommeil et par surcharge psychologique, des vertiges s’invitaient de plus en plus fréquemment, le plus souvent au lever du lit ou d’une chaise ou du siège de sa voiture, l’obligeant systématiquement à se rasseoir quelques minutes pour se ressaisir. Une fois, elle avait eu un malaise à la villa, la laissant plus d’une heure inconsciente sur le carrelage froid de sa salle de bain. Frêle, mais combative, n’écoutant pas les signaux d’alerte donnés par son corps, elle avait mis ce malaise sur le compte de la ménopause, s’abstenant bien d’en parler à qui que ce soit de son entourage et encore moins à François. Isabel avait des absences de plus en plus fréquentes durant ses consultations. Elle cherchait ses mots qui ne venaient plus, oubliaient constamment des menues actions du quotidien, jusqu’au jour où elle eut un accident de la route en allant le rejoindre. Accident banal le long de la côte ciselée niçoise, manquant un virage, sa voiture avait effectué plusieurs tonneaux avant de se loger dans le fossé opposé. Rien de grave, pas de blessés, juste de la tôle froissée, mais l’accident était bien réel, suffisant pour une prise de conscience. Elle devenait un danger pour elle et surtout pour les autres. En ville, elle aurait pu écraser passant, maman, enfant ou grisonnant. Sonnée et hospitalisée, les médecins avaient conclu à un surmenage dû à la continuité de son activité professionnelle et aux nombreuses visites à son mari. Elle ne pouvait pas continuer ainsi, elle devait se faire aider et prendre un peu de distance, se reposer pour se protéger. Les accompagnants se voyaient souvent fragilisés durant le soutien inconditionnel de leur proche face à la maladie.

Stella, la sœur aînée de trois ans d’Isabel, sitôt informée par Amaury l’incita fortement à faire une pause en la rejoignant à Jerez de la Frontera pour une semaine. Isabel était très réticente à abandonner ses patients du jour au lendemain, et plus que tout, à abandonner François dans un moment où il avait le plus besoin d’elle. Amaury la rassura en lui promettant d’aller voir chaque jour son père au centre. Isabel culpabilisait de lui laisser cette charge supplémentaire si lourde qu’elle s’y était elle-même perdue. Sous l’insistance de son fils et aussi de François, elle céda et partit rejoindre sa sœur.

Cette semaine de parenthèse se transforma en un mois. La première semaine, aidée par les tranquillisants, Isabel avait dormi en continu. La deuxième semaine, elle dormit encore et pleura régulièrement dans les bras de sa sœur Stella. La troisième semaine, elle partit retrouver l’Andalousie de son enfance pour échouer sur la plage de Los Genoveses à San José, passant ses journées à lire des romans légers sur la plage aux températures encore clémentes pour la saison, grignoter quelques tapas locaux et nager, nager et encore nager. L’eau fraîche la dynamisait et ravivait corps et esprit. Nager pour se perdre dans la mer Méditerranée. S’épuiser pour ne plus penser, s’épuiser pour ne plus culpabiliser. À plusieurs reprises, attirée par le fond marin, elle hésita à remonter à la surface. Seul l’instinct indétrônable de survie lui servit de bouée de sauvetage pour aller chercher une bouffée d’oxygène vitale. Sa culpabilité vis-à-vis de François la lestait toujours plus vers les fonds marins. Plus aucune raison valable ne l’incitait à remonter. Autonomes, ses deux fils n’avaient plus besoin d’elle et elle en était fière. François n’avait plus de flamme ni pour elle, ni pour quiconque, et encore moins pour lui-même. Sa présence quotidienne n’avait eu aucun effet sur son état psychologique, tombé au plus bas après avoir pris conscience de sa paraplégie irréversible. Elle se sentait coupable et le seul moyen d’échapper à ce mal-être était la mort, cette anesthésie éternelle. En laissant son regard s’échapper dans l’horizon bleu Van Gogh, prise du sentiment océanique, elle se sentait happée par l’immensité de l’univers et livrait son désespoir à une force supérieure à sa propre condition humaine.

Un jour qu’elle écoutait le soupir des vagues mourir sur le sable tiède et qu’elle lisait d’un œil distrait une romance, elle vit une femme d’une petite trentaine, effondrée en larmes sur son drap de plage. Ce n’était pas à son habitude de se mêler de ce qui ne la regardait pas. Les sanglots étaient violents, si violents que la jeune femme peinait à respirer. Hors saison, la plage n’abritait que des seniors pratiquant du longe-côte, trop occupés par leur maintien en forme, personne ne prêtait attention à cette âme en détresse. Forte de ce constat, Isabel se leva et vint à sa rencontre lui proposer de l’eau et un gâteau sec. La femme s’effondra rapidement dans ses bras. Elle l’accueillit avec sa générosité légendaire, sa chemise de lin crème trempée au chagrin d’amour. Isabel accomplit ce qu’elle savait le mieux faire, écouter et apaiser les âmes en peine. La jeune femme repartit chez elle, réconfortée, dopée de paroles silencieuses, inconsciente d’avoir ravivé les braises humanistes d’Isabel.

Forte de cette rencontre fortuite et intense, elle reprit peu à peu goût à la vie. Si François ne voulait plus d’elle, il lui restait ses fils et surtout ses patients, à qui elle faisait du bien. La quatrième semaine, elle repartit pour Jerez de la Frontera et profita de sa famille qu’elle voyait si peu, éloignée par la distance : son neveu Diego, sa nièce Luna, la première fille de cette génération Martinez, mignonne et souriante, puis elle rendit visite à sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui ne la reconnaissait plus. Difficile d’accepter d’être une étrangère pour sa propre mère !

Durant ce mois d’absence, François se remit en question, aidé par Amaury qui ne le ménageait pas, contrairement à sa mère. Amaury savait être aussi dur que le père lorsqu’il était nécessaire. Certes, il était handicapé, mais il était vivant, il avait une femme formidable à ses côtés et un fils prêt à lui donner main-forte pour mener à bien ses affaires. Son handicap ne l’empêchait pas de continuer son activité d’investisseur chevronné. Amaury l’aiderait à réaménager son espace de vie à la villa pour qu’il puisse gagner en autonomie.

L’absence d’Isabel eut pour lui l’effet d’un électrochoc. Sa vue, son odeur, son allure, ses mots précis et économes, sa prestance, sa patience, tout en elle lui manquait. Sur les conseils insistants de Stella, Isabel avait coupé le contact avec lui durant ce mois, sa régénérescence demandait une éviction totale. Bien que ce soit difficile de l’accepter, du fait de son métier, elle était consciente que seule cette solution lui permettrait de revenir plus vite et plus forte. Amaury servait d’intermédiaire et lui donnait régulièrement des nouvelles par WhatsApp. Il se permit d’adresser un seul message de son père, laconique, touchant et rédempteur : « Pardonne-moi, je ne suis rien sans toi, tu es mon essence de vie, reviens, je changerai pour toi, ton amour. ».

Cette rupture fut bénéfique pour le couple en péril. À son retour en novembre 2016, Isabel retrouvait son François d’avant à une différence près : il devenait de plus en plus silencieux, et du même fait, mystérieux.

Le retour à la villa n’avait pas été vain. Fort heureusement, le patrimoine qu’il avait pu constituer fut suffisant pour l’aider à vivre avec son handicap. Tenant à préserver son travail et n’ayant pas non plus la force physique suffisante pour le porter régulièrement sans se détruire le dos, Isabel embaucha rapidement une aide à domicile pour prendre soin de lui au quotidien. Clémence, jeune femme discrète et attentionnée, cochait toutes les cases de l’aide parfaite pour le caractère ombrageux de son mari.

Huit ans venaient de passer et un certain équilibre familial s’était recréé.

Chapitre 2

Première rencontre

La volonté est l’essence même de l’homme.

Érasme

En premier lieu, Isabel avait refusé catégoriquement la proposition de son mari. Elle refusait d’être une femme marionnette, femme-objet, tout ce dont elle détestait dans l’intimité. Bien sûr, cette nouvelle idée interlope était insupportable, malsaine, immorale et malgré tout, avec toute sincérité, elle faisait sens. L’absence de tendresse et de caresses dans sa vie lui renvoyait une fadeur détestable, cynique, inconcevable pour une personne au caractère méditerranéen, connu pour être spécialement épicé.

Avant l’attentat, François et Isabel formaient un couple épanoui, et plus particulièrement, sexuellement épanoui. L’absence de sexe avait vite tendance à créer des tensions entre eux, François devenant plus irritable, Isabel, plus distante, moins câline, boudeuse même. Le sexe était à n’en pas douter le ciment de leur couple. Depuis huit ans et malgré les efforts de chacun pour faire bonne figure face à cette situation imposée par la fatalité, ils devenaient peu à peu ni plus ni moins que des colocataires dont les bons moments n’étaient plus qu’un vague souvenir plutôt que dans l’instant présent. Le sourire n’était plus qu’une façade de circonstance, de bonne conscience. Au fond d’eux, le feu n’était plus qu’un joli lac de haute montagne, magnifique, paisible aux eaux incroyablement sibyllines. Et c’est insidieusement que leur incomplétude avait pris racine.

Relancée chaque soir, elle reconsidéra peu à peu la proposition folle de son mari qui la séduisait de plus en plus. Elle redeviendrait cette femme physiquement désirée et chérie qu’elle avait tant été dans le temps passé. Sans conteste, sa libido avait survécu au passage des enfants et de la ménopause et son brasier interne ne demandait qu’un souffle pour s’enflammer de nouveau.

Mais malgré tout, sa culpabilité quotidienne éteignait sans relâche son feu intérieur – coupable d’être encore entière alors que François n’était plus qu’un esprit vivace dans un corps-légume – coupable d’être en mesure de revivre sa sexualité alors que François ne ressentait plus rien – coupable d’une prochaine infidélité consentie, plaisir égoïste – coupable d’exploiter un être humain pour refaire vibrer leur couple. Sa culpabilité la rongeait chaque jour et l’empêchait de raisonner objectivement.

Le déclic lui vint un samedi de soleil gris en lisant le roman Tamara par Tatiana écrit par Tatiana de Rosnay dessinant la vie de Tamara de Lempicka, cette icône féminine du Paris des années folles. Sulfureuse, émancipée, à la bisexualité déclarée, fascinante et dérangeante à la fois, Tamara, ce parangon de la sexualité libre et peintre libertaire qui répondait à son comte de mari qui la traitait de femme monstrueuse « Non, je ne suis pas un monstre ! Je suis une femme ! Je suis même l’incarnation de la femme ! Une femme moderne qui fait de sa vie, ce qu’elle a décidé d’en faire ». Cette modernité, Isabel en rêvait. Plus elle avançait dans l’âge et plus elle désirait profiter de la vie. Devenir Tamara dans les arcanes de la villa la galvanisait. Depuis l’attentat, elle se mourait aux côtés de son mari tristement handicapé par le destin. Le soir, après le travail, rentrer à la villa s’apparentait à rejoindre son tombeau pour s’enterrer vivante dans ce climat délétère. Alors aussi folle que pût être cette proposition, elle se sentirait de nouveau exister, reprendre sa vie en main, honorant sa formule préférée empruntée au poète grec Pindare « Deviens ce que tu es ». Cette décision lui coûtait par sa culpabilité sans relâche, sa peur de l’infidélité, sa peur de blesser François, son remords d’abuser d’un homme-objet, et malgré sa raison cartésienne indétrônable, son fuego s’enflammait à l’idée d’être cette femme pas comme les autres qui profiterait impunément des plaisirs de la chair en toute discrétion sans que nulle connaissance ne puisse se douter de tels méfaits.

C’est un dimanche matin de fin juillet en dégustant son thé vert aux notes de rose et de gingembre qu’elle lui annonça sa décision.

— Chéri, j’ai longuement réfléchi et j’accepte ta proposition.
— Vraiment ?
— Oui mais laisse-moi parler. Si le recours à un tiers peut nous permettre de fusionner de nouveau, j’accepte cette offre délirante sous trois conditions : premièrement, personne ne doit être informé de notre accord, deuxièmement, tu ne seras pas autorisé à être présent pendant que je serai avec lui de manière intime, et troisièmement, le choix définitif de la personne m’appartient.
— Mais…
— Laisse-moi finir, veux-tu, le gronda-t-elle telle une mère avec son enfant capricieux. Puisque c’est ton idée et que tu es naturellement doué dans ce domaine, je te délègue la recherche de cet homme et toute la phase de recrutement. Pour faciliter celle-ci, je vais t’établir une liste des caractéristiques du type d’homme que je souhaite et celles à bannir. Afin que personne ne se doute de notre stratagème insolite, cet homme sera présenté à nos proches comme le remplaçant de Clémence pour les nuits, les week-ends et les vacances. Sa fiche de poste sera celle d’un homme de maison apte à te toiletter, te donner les repas et te promener au quotidien.
— À t’entendre parler de mes besoins, on croirait que tu évoques ton chien de compagnie, reprit-il d’un petit rire jaune.
— Ne sois pas ridicule, tu m’as fort bien comprise.
— Tu es dure en affaires, dit-il en prenant l’air d’un petit garçon à qui l’on vient de confisquer son jouet. Je ne pourrais vraiment pas être présent pendant qu’il s’occupera de toi ? insista-t-il de nouveau.
— Assurément non, ta présence passive me mettrait trop mal à l’aise, répondit-elle sèchement en croisant ses bras sur sa petite poitrine.
— Et tu me raconteras tout ? l’implora-t-il.
— Peut-être, peut-être si tu es sage, minauda-t-elle.

Rien qu’à l’idée de faire de nouveau l’amour, Isabel redevenait doucereuse et terriblement séduisante.

À peine la liste de critères obtenue, François entama ses recherches et commença par rédiger une annonce sur le champ, retrouvant l’énergie entrepreneuriale de ses jeunes années.

« Urgent : Recherchons auxiliaire de vie à domicile pour la nuit, le week-end et les jours fériés.

Mission principale :

— Faciliter la vie quotidienne d’un paraplégique.
— Accompagner la personne dans la vie quotidienne (aide à la toilette, aux repas, aux déplacements…) tout en favorisant son autonomie
— Mise en œuvre des gestes et techniques appropriés dans le respect et l’écoute de la personne
— Respect des habitudes de vie de la personne, les règles d’hygiène et de sécurité du lieu de vie
— Observation, identification et transmission des signes révélateurs d’un problème de santé, de détresse ou de douleur, est vivement attendu.
— Forte contribution au maintien et au développement des liens familiaux et sociaux.

Genre : masculin

Aucun diplôme exigé – Salaire : 30 k€ brut + variable

Qualités requises : discret, sensible à la question du handicap, rigoureux, motivé et bienveillant

Avantage : logement et repas compris

Lieu : Sud-Est de Nice – Mont Boron

Contact : Franç[email protected] »

Quelques clics lui suffirent pour que l’annonce soit propagée à un large panel de sites d’emploi. Bien que physiquement diminué, il n’avait pas perdu la main. Au bout de quelques jours, foule de CV se bousculaient dans sa boîte mail. C’est certain que le salaire et le lieu attiraient des candidats de la France entière et de ses frontières.

Après un premier écrémage de rigueur, il commença à organiser un speed job dating par jour. La pauvre Clémence, qui ne comprenait pas bien ce qui se passait dans cette maison, était perdue entre la sonnette, mitraillette à oreilles, la queue dans le hall d’entrée, chaque jour de plus en plus longue, le nettoyage des toilettes nécessaire après ce passage intensif d’hommes prétentieux, persuadés de viser juste.

Après une semaine d’entretiens acharnés, François retint cinq candidats. Il organisa un deuxième job dating un samedi après-midi, en présence d’Isabel cette fois-ci. En pleine canicule, François les faisait défiler à l’instar de Misters France. Bien que les candidats ne comprissent rien à ce petit manège, ils se prêtaient volontairement au jeu et s’en amusaient, fiers de parader devant cette belle femme aux allures de danseuse professionnelle, altière, silencieuse et aussi droite qu’un if. François observait le regard de sa femme qui en disait bien plus que les mots blottis dans sa gorge.

Elle jeta son dévolu sur un jeune sénégalais de 25 ans qui convoitait ce travail pour financer la fin de ses études d’ostéopathie. Il étudiait sur le campus de Sophia Antipolis au centre d’ostéopathie ATMAN. Elle appréciait son sourire, son calme, sa posture, ses fesses rebondies, ses pectoraux joliment dessinés que l’on devinait sous son T-shirt, sa peau foncée qui lui semblait douce et soignée, sa tenue modeste qui en disait long sur son besoin d’argent. Il se déplaçait à vélo, ce qui au vu du relief niçois lui conférait un véritable corps d’athlète.

Aucune famille en France, réel atout pour leur projet occulte. Jusqu’à présent, il travaillait au noir dans un restaurant du centre-ville et logeait soit chez des connaissances, soit à la belle étoile sur la plage. Un oncle londonien lui avait avancé 30 000 euros pour qu’il puisse réaliser son rêve et payer ses premières années d’étude de cette spécialité fort coûteuse. Dans le dessein d’atteindre son objectif, le jeune homme vivotait et travaillait dur pour économiser.

Sa situation émut immédiatement Isabel qui voyait avant tout en lui un homme à aider. Toutefois, compte tenu de leur écart d’âge, elle s’interrogeait sur le fait qu’il puisse la désirer. Elle était bien conservée, de petite taille, fine au ventre plat, le corps ferme et s’entretenait quotidiennement, mais elle avait tout de même 30 ans de plus que lui. Était-ce bien moral de profiter d’un homme qui avait l’âge de ses fils ? Avant ce jour, elle ne s’était encore jamais posé la question ! Jusque-là, elle n’avait été que spectatrice de tels faits et non actrice. À n’en pas douter, la réponse à cette question morale relevait plus souvent de la culture du pays. À son sens, le plus important demeurait d’œuvrer sans jugement aucun, seul comptait d’être entre personnes majeures et consentantes.

Le jeune homme s’appelait Zacharie, ce qui signifiait « se souvenir de Dieu ». Il lui lançait en toute discrétion des œillades langoureuses finissant par lever en un tour de main ses doutes sur le fait qu’elle puisse lui plaire.

François renvoya les cinq candidats en leur promettant une réponse rapide. Il devait débriefer avec Isabel avant de décider.

— Que penses-tu de mon casting ?
— J’avoue que tu es doué en recrutement. Un léger sourire se dessina sur son visage.
— Penses-tu avoir le feeling avec l’un d’entre eux, ou dois-je continuer mes recherches ? insista-t-il en touchant les roues de son fauteuil de manière compulsive, exprimant ainsi son impatience.
— Toi d’abord, qui choisirais-tu ?
— Le dénommé Frédéric.
— Tu plaisantes ? Il ressemble à notre comptable ! Comment peux-tu imaginer une seule seconde que je puisse être attirée par une tête à chiffres ?
— J’en conviens, ce n’est pas le plus séduisant du panel, mais qui alors ?

Redoutant la réaction de François, elle observa une minute de silence, pris le temps de boire une gorgée d’eau au goulot de sa gourde en verre. François était souvent imprévisible et avec le temps la communication directe s’était érodée, et la franchise avec.

— J’ai bien apprécié le dénommé Zacharie, qu’en penses-tu ?
— Je te le concède, Zacharie a un profil très intéressant, un homme discret qui présente un avantage majeur, celui de ne pas crier sur les toits le job singulier que nous voulons lui proposer.
— Ravie qu’il te convienne aussi. Et quelle est la prochaine étape ?
— Nous pourrions le recevoir à dîner à la maison… pourquoi pas samedi prochain ?

Il la toisait, essayant de deviner ses non-dits difficiles à interpréter. Il aimait le contrôle absolu et sa femme était l’une des rares personnes qu’il ne pouvait contrôler entièrement à sa guise. Pris à son propre jeu, en plein paradoxe, François se voyait à la fois contrarié et amusé par la résistance qu’elle lui opposait.

En vérité, elle était déçue que le prochain rendez-vous fût si loin. Des projections torrides avec Zacharie défilaient dans son esprit et son bas ventre s’enflammait, frétillait à l’idée de le voir prochainement. Elle resta de glace, cachant sciemment cette vérité à son mari par peur de le blesser dans son amour propre : cet enthousiasme le crucifierait une deuxième fois insistant sur le fait qu’il n’était plus assez homme. Elle opta pour un sourire hypocrite tout en pensant se faufiler rapidement vers la salle de bain assouvir en cachette ses besoins primaires. Bien que ménopausée, la disette sexuelle pesait terriblement sur son équilibre général et la douche était devenue le seul refuge où elle pouvait encore se donner du plaisir en toute discrétion.

Loin d’être dupe de son petit manège et frustré de ne pas pouvoir assister aux futurs ébats de sa femme, François avait profité de l’absence de Clémence durant les courses ménagères pour faire installer des caméras dans toute la maison y compris les salles de bain, certain que majeure partie des ébats commenceraient ou se termineraient dans ce lieu. Seules les toilettes se virent dispenser de ce joujou de voyou. L’ensemble des caméras étaient connectées à son iPad qu’il véhiculait partout avec lui tel un doudou, outil indispensable à son autonomie. Il commandait toute la domotique de la villa juste avec sa voix et quelques clics, une technologie révolutionnaire pour un handicapé à domicile tel que lui.

Curieux du comportement de sa femme, il visionna toute la scène humide et regretta de ne pouvoir contribuer à ce scénario excitant où les caresses érotiques étaient seules maitresses et l’orgasme divin. Il put constater que son stratagème fonctionnait à merveille. Retrouvant sa libido, Isabel redevenait celle qu’il avait aimée dès leur première rencontre. Dans le miroir, elle s’observait, évaluait son potentiel de séduction et sa désirabilité corporelle.