Dardanne et le sang des frères - Wilfried Baron - E-Book

Dardanne et le sang des frères E-Book

Wilfried Baron

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Beschreibung

Frontière Ouest du Royaume de Terpézie : des dizaines de guerriers se font massacrer dans des circonstances mystérieuses. Dardanne, un des rares survivants, est frappé d’amnésie. D’abord accusé de désertion, il deviendra vite l’objet de manigances de ses seigneurs, se livrant à une lutte sans merci pour le contrôle du pouvoir. Tiraillé entre sa soif de vérité et la protection de ses proches, il devra survivre à une multitude de dangers au milieu de terribles conspirations menaçant l’unité du Royaume. Mais Dardanne devra aussi surmonter ses propres démons, entre un mal étrange qui le ronge en passant par le deuil d’un amour perdu, sur lesquels viendront s’ajouter des phénomènes magiques inexplicables, ajoutant du chaos à cette aventure palpitante pleine de vie, d’émotions et d’espoir.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Passionné de fiction depuis toujours, scénariste de plusieurs longs-métrages mais aussi réalisateur, Wilfried Baron s’est lancé récemment en tant qu’écrivain afin d’accomplir son rêve d’enfance. Fasciné par la Fantasy depuis son adolescence à travers les grands noms du genre, il a décidé à son tour de créer son propre univers et sa propre histoire, dans ce qui constitue pour lui le genre littéraire idéal pour exprimer toute son imagination. Avec la sortie du premier roman de la série " Dardanne ", il espère ainsi faire naitre entre lui et son public le début d’une grande aventure.


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Veröffentlichungsjahr: 2024

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WilfriedBaron

Dardanne

Et le sang des frères

Chapitre 1 : Réveil glacial

La légende raconte qu’à la naissance du Monde, un seul grand continent émergeait des eaux. Affamés par des millions d’années d’errance, les Premiers Dieux, dévoreurs de terres et de roches, déferlèrent par centaines…

Ces derniers s’entretuèrent pour se nourrir, tirant de toutes leurs forces sur le coin de terre qu’ils agrippaient. Inéluctablement, le Grand Continent se déchira en plusieurs morceaux éparpillés aux quatre coins du monde. Emportés dans leur élan, la plupart d’entre eux tombèrent dans le néant et disparurent à jamais. De ce terrible combat se dessina une nouvelle terre démembrée, dont les cicatrices témoignent encore aujourd’hui de la Bataille des Premiers Dieux.

Les rares survivants de ce carnage, trop affaiblis pour continuer l’affrontement, créèrent alors de petites créatures qu’ils pourraient manipuler à leur guise… Ainsi naquirent les Premiers Hommes, fruits malsains des Dieux Créateurs.

Tout commença sur cette « terre amputée », portant toujours les stigmates de la fureur divine : une grande tache brune perdue au milieu de l’immensité bleue de l’Océan infini, où plusieurs millions de personnes réparties en une dizaine de peuples cohabitaient tant bien que mal, se livrant depuis des siècles au jeu de la guerre et de lapaix.

Le royaume Massoub se situait tout au sud du continent, contenu par son ennemi historique et voisin au nord, le royaume Samoresh. À l’ouest, deux royaumes se faisaient également face : le royaume Zarruch au sud et le royaume Bouldam au nord. Sans oublier le royaume Hozdaphastemme, abrité sur son île, située entre le royaume Zarruch et le royaume Samoresh. Au centre du continent s’étendait l’empire Koudripak et à l’est, l’un de ses plus grands rivaux : l’empire Povidom, dont la dernière conquête se solda par l’annexion du royaume Fassochide, au sud-est. Et enfin, le royaume de Terpézie au nord-est, surnommé « la grande corne » en raison de sa forme atypique, à moitié glacé la majorité de l’année et protégé par une longue chaîne montagneuse à l’ouest, établissant le seul lien terrestre avec les autres populations et où résidait son plus vieil ennemi : les Dalikrosses, peuplade des montagnes. Au sud, séparé par un long fleuve butant au pied de hautes montagnes, s’étendait son autre grand rival : l’empire Povidom.

Il faisait très froid ce matin-là dans la forêt lugubre qui bordait les hautes montagnes Dalikrosses. La brume opaque de l’aube engloutissait la végétation sous son manteau spectral, recouvrant encore pour quelques instants sa somnolence, percée lentement par les premiers rayons du soleil.

Un jeune homme, roulé en boule sous une souche d’arbre partiellement déracinée, finissait de dormir, ou de mourir… Il gisait là, seul et abandonné de tous. Ses haillons ensanglantés laissaient apparaître de profondes blessures gelées aux teintes bleues et violâtres. Il tenait une épée dans sa main droite, collée par le givre à sa peau frigorifiée. Ce jeune corps que la vie délaissait peu à peu semblait se statufier dans sa position fœtale ; et seules ses bottes de fourrure, étrangement intactes, semblaient encore lui offrir un aspect humain. Son souffle haletant rythmait l’unique signe d’une vie si friable, qu’une légère brise aurait certainement éteinte pour de bon. De toute évidence, personne ne se souciait de la mort d’un simple soldat. Oh certes, sa famille pleurerait sa disparition et ses amis videraient quelques chopes de bière en trinquant à sa mémoire tout en se narrant quelques anecdotes croustillantes que l’ébriété rendrait moins futiles. Mais le temps recouvrerait vite son effet estompant avant qu’une nouvelle et douloureuse perte achève d’enterrer son insipide existence…

C’est un craquement de branche qui l’extirpa de sa lente agonie ; il ouvrit ses paupières avec peine, la vision troublée par le froid saisissant qui avait glacé ses yeux. Un immense cerf apparu dans son champ visuel ; l’animal remarqua instantanément le jeune homme allongé sous la souche et s’immobilisa devant lui, le fixant avec attention, attentif au moindre geste. Cette vue splendide de la bête posant majestueusement dans la brume épaisse de la forêt, magnifiée par la lumière pâle des premiers rayons se reflétant sur ses bois humides, rappelait au jeune homme une peinture qu’il avait bien connue. Et malgré la douleur de ses fraîches entailles, le temps semblait s’être suspendu telles les gouttelettes gelées, pétrifiées comme des perles sur les feuilles argentées des végétaux qui le fondaient dans le décor.

Cette scène aussi simple que somptueuse aurait adouci l’aigreur du plus torturé des esprits. Néanmoins, elle produisit chez lui un accès de rage incompréhensible. Ainsi, son corps reprenait vie et ses traits se durcissaient alors que ses muscles se raidissaient. Enfin, des tremblements le parcoururent des pieds à la tête. Son regard noyé dans l’affliction et la colère n’était plus qu’un volcan en furie et il aurait certainement craché de la lave s’il en était pourvu. Il entreprit de se lever et pivota sur le ventre, lui provoquant tant de douleurs qu’il ne put retenir un cri de déchirement effroyable, brisant le silence assourdissant qui fit aussitôt décamper le cerf dans la broussaille. Le jeune soldat poussa sur ses bras et ses jambes violemment, mais la souffrance fut si foudroyante qu’il manqua de s’effondrer. Il réussit toutefois à s’agripper in extremis aux branches souples d’un arbuste qui retinrent sa chute. Il prit quelques secondes pour se ressaisir et esquissa un sourire amer en se comparant à l’arbre à demi déraciné sous lequel il s’était endormi. Mais l’inquiétude relaya vite l’ironie frêle de son visage meurtri.

Il s’arma alors de courage et s’engagea pas à pas dans la direction qu’il se souvint être celle de la route. Il n’avait aucun souvenir de ce qui l’avait amené ici ni de ce qui lui avait infligé de telles taillades. Malgré quelques brefs moments de lucidité, c’est quasiment son instinct qui le guida à travers ce labyrinthe de feuillages obscurs. Chaque pierre ou racine qu’il enjambait exigeait un effort considérable et le tapis de feuilles mortes et de mousse ajouta du péril à l’adversité. Geignant à maintes reprises, il s’aidait de son épée comme d’une canne pour appuyer sa démarche titubante et grelottante, pendant que ses yeux scrutaient le sol à l’affût d’un piège naturel qui l’aurait aisément fait trébucher, conscient qu’une fois à terre, il n’aurait peut-être plus la force de se relever. Mais il était déterminé à survivre et, quoi qu’il en soit, il finirait sa progression en rampant si ses jambes ne le portaientplus.

Finalement, la route n’était pas aussi loin qu’il le craignait et une quinzaine de minutes à faible allure suffirent à l’atteindre. L’éclat du gel sur les pavés brillait comme une rivière de diamants blancs avec un tel réalisme que tout fervent du précieux caillou s’y serait sûrement fracassé les dents en y plongeant la tête la première. La meilleure portion se situait en parallèle entre la route et la forêt, il se préserverait ainsi d’une glissade spectaculaire sur les pavés érodés tout en se gardant bien du danger d’une trop grande exposition dans le cas d’une rencontre inopinée.

Après quelques heures de marche solitaire, il s’adossa à un arbre massif au détour d’un virage, brisé et à bout de force, se laissant glisser lentement au pied du tronc. Il ferma ses paupières, essayant de ne pas sombrer, mais ne résista pas longtemps et s’assoupit quelques minutes plus tard… Le silence était presque total, seuls la légère brise dans les arbres et les gazouillis des oiseaux composaient la mélodie defond.

Soudain, le bruissement d’un vol continu le fit sursauter ; le bourdonnement des battements d’ailes se fit de plus en plus net derrière le jeune blessé qui n’osa plus bouger d’un cheveu, appréhendant la chose qui sortirait des bosquets d’un instant à l’autre. Il voulut passer la tête pour identifier son prédateur, mais il préféra tendre délicatement la main vers le pommeau de son épée. Tout à coup, plusieurs créatures volantes surgirent à sa droite, traversant la route et disparaissant aussitôt dans la végétation. Le jeune homme fut soulagé en reconnaissant ces volatiles véloces : une petite meute d’hippo-volants en file indienne probablement à la recherche de leur prochain repas. Fort heureusement, il ne faisait pas partie du régime alimentaire de base de ces charmantes petites créatures, que l’on pourrait qualifier d’hippocampes volants.

À peine le temps de se détendre que la fatigue l’emporta de nouveau dans un sommeil agité, mais il réussit cependant à se reposer suffisamment pour reprendre la route peu après. Il continua désespérément son long périple en se rendant à la triste évidence : jamais il n’aurait l’énergie d’atteindre sa destination. Aller le plus loin possible en se rapprochant le plus de son but ou attendre tranquillement la mort sur place. Tels étaient les deux choix qui s’offraient à lui. Un voyageur inconnu ; une patrouille de soldats ; des marchands ou même des bandits de grand chemin… Tout aurait pu lui convenir au point où il en était, alors que le sablier de son existence laissait s’écouler ses derniers grains.

Il aurait tout donné en cet instant pour revoir une dernière fois sa famille ; ressentir encore la chaleur et le réconfort de son foyer qu’il n’avait pas vu depuis trop longtemps. De nombreux souvenirs se bousculaient dans sa tête et le temps d’un songe tout devenait réel : la vision de la grande citadelle gravée dans l’horizon, là où il avait grandi avec tous ses proches jusqu’à son départ en formation militaire trois ans auparavant. Le temps d’un songe, le petit garçon qu’il était, allongé sur une paillasse rembourrée, frissonnait au contact des lèvres maternelles posées sur son front fiévreux. Le temps d’un songe, le petit garçon qu’il était vibrait dans la flamme de fierté du regard de son père lorsqu’il s’entraînait vaillamment avec sa petite épée de bois. Le temps d’un songe, le petit garçon qu’il était pleurait de rire avec ses frères et sa petite sœur, en épiant le meunier poursuivi par quelques cabots après avoir tartiné abondamment de confiture le derrière de son pantalon.

Soudain, une multitude de craquements le ramena à la réalité. Il examina les branches de plus près, mais ne décela aucune présence. Quand tout à coup, de nouveaux craquements plus bruyants dans l’arbre qu’il observait se firent plus précis en son centre. Le jeune homme recula brutalement lorsqu’il comprit la nature de ce qui le menaçait alors que d’épaisses racines s’étaient déjà déterrées et s’enroulaient sauvagement autour de ses jambes. C’est à ce moment que des dizaines de visages de bois fendirent l’écorce de l’arbre, s’agitant furieusement, éternels prisonniers du tronc dans lequel ils paraissaient vouloir s’échapper. La terre s’effondra subitement au pied de l’arbre, faisant apparaître une gueule gigantesque prête à avaler la proie que ses racines saisissaient et que les braillements d’hommes qui s’en échappaient rendaient encore plus terrifiante. Le garçon sectionna plusieurs racines, mais l’une d’entre elles arracha sa botte gauche qu’elle jeta dans la gueule de terre béante. Il planta son épée dans la dernière racine qui tentait de l’étrangler, mais de nouvelles s’enroulèrent autour de ses jambes et l’attirèrent dans le gouffre mortel. Ses coups de lame s’abattirent avec encore plus de puissance et il se dégagea péniblement en rampant vers la route. C’est à ce moment qu’il vit débarquer un homme en charrette se précipitant vers le tronc avant d’enfoncer son poignard dans l’un des visages de bois rageurs. De suite, tous les visages se volatilisèrent, la gueule se reboucha d’elle-même et les racines reprirent leur forme originelle. L’homme d’âge mûr s’avança près de lui et l’observa quelques secondes, dubitatif. 

–Ce sont ces racines qui t’ont mis dans cet état ? demanda-t-il.

Le garçon eut tout juste le temps de lâcher un « non » imperceptible avant de s’évanouir, exténué par l’effort intense qu’il venait de fournir. Un long trou noir s’ensuivit, entrecoupé de brefs moments d’éveil incommodant lorsqu’il se cognait contre de longues parois rugueuses et que la résonance des roues de bois frappant les pavés sonnait jusque dans son crâne.

La nuit tomba rapidement et il reprit connaissance quelques heures plus tard, couché au fond de la charrette du marchand, sous le crépitement et la douce chaleur d’un feu de bois. Le camelot et un petit garçon maigrelet s’affairaient à concocter une soupe à laquelle ils ajoutaient de petits quignons de pain sec. Le jeune terpézien fut surpris en constatant que ses blessures étaient pansées avec des bouts de chiffons grâce à de minces ficelles qui l’enroulaient comme un vulgaire morceau de viande. Ces premiers soins l’avaient gardé en vie et il se rendait compte que la souffrance qu’il éprouvait encore n’était que le langage du sursis que le destin lui avait accordé ; et que les séquelles le marqueraient probablement au fer rouge jusqu’à la fin de ses jours…

Le marchand et le petit garçon parurent étonnés par la vitesse de guérison de leur protégé en le regardant s’asseoir presque normalement sur le rebord de la charrette. Le marchand fit un signe de tête au petit garçon qui trottina joyeusement en lui apportant une écuelle de soupe pleine à rasbord.

Le jeune soldat s’empressa d’ingurgiter le contenu en manquant de s’étouffer à deux reprises.

–Tu récupères vite, petit ! s’étonna son sauveteur en les rejoignant.

Il était raide et élancé, typique de la physionomie terpézienne. Il portait un gros gilet de laine sur une longue toge fripée d’un mauve décoloré camouflant mal deux petites bottes noires esquintées aux bouts pointus. Ses yeux vert clair et étirés perçaient comme deux petites fentes son long visage anguleux emmitouflé dans un bonnet sombre et miteux pinçant les fines bouclettes blondes de sa volumineuse chevelure.

–Merci, chuchota sobrement le jeune homme en baissant le regard, honteux à cause de l’inversion des rôles qui s’était opérée, le civil volant au secours du soldat n’étant pas très valorisant pour ce dernier.

–Je n’allais quand même pas te laisser crever sur la route ! Comment t’appelles-tu et d’où viens-tu, soldat ? demanda le marchand avec le plus vif intérêt.

–Dardanne, je suis de Bartonne. Et vous ?

–Je suis Matibanne, et voici mon fils Pajissonne. Nous venons de Kerjinne et nous sommes venus faire des affaires dans ta ville, répondit-il en s’asseyant à côté delui.

–Où sommes-nous, l’ami ? Je dois retourner dans mon camp au plus vite ! s’alarma Dardanne en balayant du regard les alentours.

–Lequel ? Celui de la chute des Karmosses ou celui de la route des condamnés ?

–Celui du carrefour de l’Ouest. Je dois y retourner avant qu’ils ne croient à une désertion.

Matibanne regarda son fils avec incompréhension avant de reprendre d’un ton grave.

–Mon garçon, nous ne sommes qu’à deux jours de marche de cheztoi.

–Comment ?! C’est impossible ! Combien de temps suis-je resté inconscient ?!

–Quelques heures tout au plus… dit le marchand en allant remettre du bois dans lefeu.

–Tu te fiches de moi ?! lança Dardanne, en descendant vigoureusement de la charrette.

–Non mon garçon, je suis sérieux ! Et je crois que nous nous posons tous les trois la même question…

–Comment ai-je pu me retrouver aussi loin de mon camp sans m’en souvenir ?

–À vrai dire, je ne pensais pas que tu te poserais cette question, reprit le marchand. Tu ne te souviens vraimentpas ?

–Non, je n’en ai aucune idée… Alors, dis-moi, quelle est la question que nous sommes censés nous poser tous les trois ? demanda Dardanne avec un air dedéfi.

Le petit Pajissonne répondit avant sonpère…

–Qui a brûlé ton camp ?

–Qui a brûlé ton camp ?! répéta Dardanne avec colère.

–Tu ne t’en souviens pas non plus ? s’inquiéta Matibanne en se servant un bol de soupe.

–Non ! Comment sais-tu cela ?! s’exclama le soldat en s’approchant à grands pas du marchand qui reposa son bol précipitamment avant de se lever et de tendre son bras afin de reprendre calmement son explication.

–Nous sommes passés devant ton camp il y a quelques jours, c’est la route pour Bartonne. Tout était en cendres, cela venait de se produire, il fumait encore. Il n’y a plus rien, mon garçon, je suis désolé.

–Par Faron ! C’est impossible ! s’exclama le jeune soldat en regagnant la charrette. Le petit Pajissonne rejoignit son père et approcha ses mains du feu pour les réchauffer, en observant furtivement la réaction de Dardanne qui semblait réfléchir profondément aux derniers événements.

–Tu devrais nous accompagner à Bartonne et tout raconter à ton Seigneur, conseilla le marchand après avoir avalé une gorgée de soupe.

Dardanne réfléchit encore quelques instants, puis se retourna vers le père et sonfils.

–Je serais pendu en place publique pour désertion si je rentrais sans ma compagnie.

–Je témoignerai en ta faveur, soldat. Je dirai la vérité, que je t’ai ramené chez toi, annonça Matibanne d’un ton décidé.

Le jeune homme soupira en se recouchant sur la masse de tissus remplissant la charrette.

–Personne ne me croira si je leur explique que je ne me souviens de rien !

–Alors, invente quelque chose ! insista Matibanne, convaincu du bien-fondé de sonplan.

–Si j’inventais quelque chose et que tu soutenais ma version, nous finirions tous les deux pendus, répondit Dardanne, désespéré par l’impasse dans laquelle il se trouvait.

–D’accord… Alors s’il n’y a aucune solution, tu peux toujours prendre la corde dans la charrette et te pendre tout de suite. Ce n’est pas les arbres qui manquent par ici, continua Matibanne, tu n’auras qu’à choisir au bout duquel tu voudras te balancer.

Dardanne fut troublé par la spontanéité de son sauveur, puis sourit en se frottant le menton. Il prit quelques secondes de réflexion en se prenant la tête dans les mains.

–Nous devrons nous mettre d’accord sur une version, en espérant que personne ne viendra la démentir unjour.

–Marché conclu, soldat ! déclara Matibanne en attrapant les bouts de pain au fond de son écuelle. Il paraissait amusé par la situation et sa désinvolture désarçonnait le jeune blessé.

Les trois voyageurs se reposèrent pour la nuit. Le marchand et son fils, abrités sous une petite tente, s’étaient endormis à côté du feu. L’âne au long pelage noir et blanc se reposait lui aussi devant la charrette après avoir avalé quelques herbes que le gel avait épargnées au bord de la route.

Le vent s’était levé peu après et étouffait les bruits lugubres des animaux nocturnes de la forêt.

Quelques heures plus tard, une envie pressante réveilla Dardanne. Il se leva en grimaçant et alla se soulager contre l’arbre le plus proche. En revenant, il jeta un coup d’œil au marchand et à son fils qui grelottaient dans leur sommeil malgré de lourdes fourrures qui les enveloppaient des pieds à la tête. C’est à ce moment qu’il se rendit compte de la vie qu’il avait mené ces trois dernières années, à subir la rigidité d’un camp militaire. Lui ne souffrait plus du froid, en tous cas, plus de ce froid-là. Il se demandait à quel autre élément il était devenu insensible et il se projeta quelques jours plus tard, lorsqu’enfin il reverrait sa famille. Avait-il beaucoup changé ? Sera-t-il devenu un étranger à leurs yeux ou pire, est-ce lui qui ne les reconnaîtra plus ? Une angoisse le prit aux tripes et une pensée sinistre lui traversa l’esprit : seront-ils tous encore en vie ? En trois ans, beaucoup de choses peuvent se passer et le « revenant » qu’il était devenu s’épouvantait de son retour au monde réel. Il était un soldat accompli désormais et il ne savait plus si c’était l’enfant ou le jeune soldat qui revenait auprès des siens. D’autres questions se poseraient rapidement et il les redoutait tout autant : combien de temps restera-t-il auprès de sa famille alors que la possibilité d’une guerre civile était sur toutes les langues depuis la mort de leur roi Partianne IV quelques semaines auparavant ? Mourra-t-il lors de cette guerre ou verra-t-il ses futurs enfants grandir ? Et aura-t-il des enfants ? Pour cela, il lui faudrait trouver une femme à épouser et selon la tradition terpézienne, un jeune soldat de retour après ses trois années de formation doit se marier expressément afin d’éviter de mourir à la guerre avant d’avoir engendré sa descendance.

Ainsi, tous les hivers, on célébrait des mariages à la chaîne après un grand tournoi ouvert à tous les jeunes guerriers souhaitant démontrer leur force et leur courage. Comme un accord de principe, les parents des jeunes femmes nobles offraient à la famille du prétendant une clé d’or ou d’argent sur laquelle étaient gravés leur nom de famille et leurs armoiries ; tandis que les plus modestes se contentaient de graver le prénom de la jeune demoiselle sur une clé de bois. Les meilleurs partis n’offraient de clés qu’à un ou deux prétendants seulement. En cas de litige entre plusieurs prétendants, la famille de la mariée avait toujours le dernier mot, moyennant une compensation financière pour le préjudice causé. Avant toute entrevue officielle, il suffisait que la famille de la jeune femme vienne offrir sa clé au prétendant, qui devait la rendre à la famille de la jeune femme en déclarant au père, « votre clé est mienne », ce qui signifiait « votre fille est mienne ». Ou bien « vous avez égaré votre clé, monsieur. Je me devais de vous la rendre » si la famille du prétendant refusait le mariage. Si les deux familles étaient d’accord, une rencontre était organisée entre elles et les futurs mariés afin de négocier les termes du contrat.

À l’inverse, il était courant de voir les filles du bas peuple amener des dizaines de clés à distribuer à n’importe quel combattant qui se présentait dans l’arène. Ces fameux combats, attendus avec grande impatience, étaient loin d’être des simulacres insipides ; et il arrivait souvent que les plans d’une famille soient révisés au dernier moment à la suite d’un grand duel perdu ou, a contrario, lors d’une performance exceptionnelle d’un combattant. Les finalistes, et surtout le grand gagnant du tournoi, recevaient les honneurs de la cité ; une coquette somme d’argent et un poste de prestige dans l’armée.

Dardanne, toujours perdu dans ses pensées, l’adrénaline ayant momentanément remplacé son angoisse grâce à la perspective d’une victoire retentissante dans l’arène sous les acclamations d’une foule en délire, fut ramené brusquement à la réalité par une déflagration terrifiante qui projeta une lumière aveuglante dans le ciel étoilé. La terre trembla en se fissurant à de multiples reprises et les secousses le plaquèrent sur le dos ; il parvint de suite à se retourner sur le ventre, attendant une accalmie. À quelques mètres devant lui, il distinguait le marchand et son fils, piqués au vif dans leur sommeil, s’agrippant l’un à l’autre comme si des forces invisibles voulaient les séparer.

Le bref instant d’apocalypse lui parut une éternité et il eut l’affreuse impression de vivre un cauchemar éveillé, de ceux où l’on chute d’une hauteur vertigineuse pour s’écraser par terre, ce qui sonne le gong de notre réveil. Mais la pression des ondes rudoyant sa chair déjà mutilée lui coupait le souffle pendant que son cœur martelait si puissamment dans sa poitrine qu’il l’aurait cru devenir l’épicentre du tremblement de terre. Le jeune homme rampa péniblement vers Matibanne et Pajissonne, craignant que l’un des arbres qui les surplombaient ne vienne les écraser comme de vulgaires insectes. Sur sa gauche, il remarqua l’âne terrorisé à travers les nuages de poussière que crachait la terre qui se débattait dans tous les sens pour se débarrasser de son attelage qui se brisa incessamment sous ses soubresauts répétés. Soudain, la résonance d’un craquement de bois se dédoubla du vacarme ambiant et ce qu’il craignait le plus arriva : un chêne massif se déracina et s’abattit sur le père et son fils. Dardanne, ne réalisant pas pleinement la gravité de ce qu’il vivait, resta cloué sur place, comme s’il attendait de se réveiller de son cauchemar. Mais le calvaire continuait bel et bien, aussi surréaliste soit-il. Il reprit ses esprits en faisant fi de la souffrance qu’il endurait à cause de ses blessures ravivées et entreprit de ramper à nouveau en direction du chêne assassin, espérant malgré tout y découvrir ne serait-ce qu’un petit signe de vie. Subitement, un autre craquement survint et un arbre plus petit se déracina, manquant de peu de l’écraser à son tour, lui barrant désormais le chemin qui le distançait de ses nouveaux amis. Les tremblements s’atténuèrent enfin jusqu’à s’évanouir totalement, les nuages de poussière se dissipèrent peu à peu et la lumière, de moins en moins intense, laissa apparaître une fêlure ardente dans le ciel ; une large entaille se dessinait, dégoulinante d’une lumière jaune et brillante, semblable à une marmite percée déversant son or fondu sur une nappe ténébreuse.

Tout à coup, des claquements de sabots sonnèrent aux oreilles du jeune guerrier qui pivota sur son flanc droit. À peine le temps de réagir que le sabot de l’âne terrifié vint lui frapper la tempe en l’assommant au passage. Le quadrupède s’engouffra à toute allure dans la forêt saccagée pendant que Dardanne, inconscient, gisait avec ses compagnons de voyage au milieu d’un véritable cimetière végétal parmi les troncs démembrés, les racines arrachées et les branches éclatées.

Cette nuit-là, non loin d’ici, dans la cité natale du jeune guerrier, on avait aussi ressenti les secousses du tremblement de terre. Mais de plus faible intensité, si bien qu’aucun dommage conséquent n’était à déplorer. Personne ne se souciait des quelques abris de bois pourris et des vieilles bicoques délabrées qui s’étaient effondrés comme des châteaux de cartes. En revanche, tout le monde se demandait comment un tremblement de terre était possible dans cette région et, de mémoire d’Homme, personne ne se souvenait d’un tel événement.

Les petites gens comme les notables s’étaient agglutinés sur la Grande Place autour de la statue du Dieu et de la Déesse créateurs des Terpéziens : le Dieu et la Déesse des Cycles, comme ils aimaient les nommer, devant lesquels étaient sculptés leurs enfants-dieux. La plupart des personnes étaient affolées et les magiciens, quant à eux, se querellaient déjà en analysant à leur manière les causes de ce double phénomène inédit. Les nobles et les bourgeois spéculaient eux aussi sur les raisons de cette inquiétante étrangeté et exigeaient la tenue immédiate d’une réunion extraordinaire. Pendant ce temps, les plus pieux, craignant l’apocalypse, ne savaient plus vers qui se tourner : la Terre, la fêlure dans le ciel ou encore la statue devant laquelle ils s’agenouillaient. Certains d’entre eux décidèrent donc de rebrousser chemin pour prier au temple. Toutefois, quelques personnes, majoritairement des prêtres, ayant une tout autre interprétation du spectacle qui s’offrait à elles semblaient s’en donner à cœur joie et versaient des larmes de bonheur en clamant toute leur gratitude aux dieux pour ce qu’elles considéraient être un cadeau divin. Ou une sorte de communion mystique dans laquelle elles pouvaient démontrer toute l’étendue de leur piété.

Leur désillusion ne se fit pas attendre lorsque la statue du Dieu et de la Déesse des Cycles, initialement tenue au garde-à-vous, se recroquevilla sur leurs quatre enfants assis à leurs pieds : Selsanne, la Déesse de l’Eau ; Darssinne, le Dieu de l’Air ; Eldinne, la Déesse de la Terre et Faron, le Dieu du Feu. Les Terpéziens et plus généralement les peuples du continent, pourtant habitués aux différentes expressions de leurs déesses et de leurs dieux, n’avaient encore jamais rien vu de tel. Le brouhaha s’estompa sèchement et tous les regards se tournèrent vers la statue. Le message était aussi limpide qu’effroyable : celles et ceux redoutant la colère divine devaient maintenant craindre quelque chose de beaucoup plus dangereux et de beaucoup plus puissant, bien au-delà des frontières de leur imagination et de leurs croyances.

Chapitre 2 : La chaleur d’unfoyer

Au cœur du rude hiver terpézien, balayé par le souffle glacial des esprits sifflant dans les innombrables grottes Dalikrosses, s’adossait à flanc de montagne la grande citadelle de Bartonne. Ultime barrière contre les barbares des montagnes et dernière frontière de l’ouest séparant la civilisation des nombreuses tribus de sauvages sanguinaires.

L’une des particularités de l’architecture terpézienne résidait en ses formes triangulaires, symboles de la pointe d’une lance, leur arme de prédilection. Ainsi, la toiture de leurs tours, mais aussi les créneaux de leurs fortifications et la plupart de leurs bâtisses s’inspiraient de la sacro-sainte pointe métallique.

La citadelle se découpait en trois terrasses distinctes délimitées par d’épais murs d’enceinte. L’une des autres originalités terpéziennes se définissait dans l’inversement de l’organisation naturelle de toute autre construction défensive. À savoir que le donjon s’érigeait sur la partie la plus basse dominant malgré tout par sa taille la partie la plus haute de la citadelle, faisant comprendre à sa population que, malgré sa position avantageuse, le pouvoir de leur Seigneur demeurerait, quoi qu’il en soit et où qu’il se trouve, le plus grand et le plus fort. Quant aux menaces des montagnes Dalikrosses, une position excentrée du front garantissait un moindre risque.

La neige tombait abondamment le soir où Dardanne reprit conscience dans la chaleur réconfortante de son foyer retrouvé. Il était allongé sur l’une des paillasses de sa chambre qu’il partageait autrefois avec ses deux frères et sa petite sœur. Lorsqu’il ouvrit les yeux et pencha légèrement la tête, il reconnut cette dernière à travers l’entrebâillement de la lourde porte de bois, fredonnant sagement des airs ancestraux en tricotant encore et toujours ses petits bonnets de laine devant l’imposant feu de cheminée de la salle à manger.

Dardanne se demanda de suite où se trouvait le reste de sa famille, mais pour le moment, tout portait à croire qu’ils étaient absents. Qu’importe, car désormais il savait que plus rien ne le séparait d’eux et que le moment où il les reverrait tous n’avait jamais été aussi proche. En attendant, il se contentait d’admirer la dextérité des longs doigts de sa sœur s’articulant machinalement autour du petit bonnet de laine qui viendrait sous peu grossir le rang de ses jumeaux dans le panier d’oseille. De temps à autre, une saccade de vent s’engouffrait dans le conduit de la cheminée, faisant danser maladroitement ses flammes et laissant jaillir une lumière fugace se reflétant sur les cheveux blonds de la belle jeune femme joyeusement concentrée à sa tâche.

Pour Dardanne, ces trois ans de séparation étaient sa pénitence ; et il comprit qu’il avait certainement manqué des choses essentielles de la vie de ses proches. Sans nul doute que sa sœur s’était déjà mariée et peut-être même avait-elle au moins un enfant. Il se remémora alors l’attitude de ses aînés au retour de la formation militaire et admit rapidement qu’eux aussi avaient eu besoin d’un temps de réadaptation pour recouvrer le cours normal de leur existence.

Dardanne serait resté des heures à regarder tricoter sa petite sœur Talinne, tant cette scène, empreinte d’une tendre nostalgie, remédiait à ses nombreuses afflictions. Mais il s’en voulait de ne pas être en état de se lever pour venir la serrer vigoureusement dans ses bras. Il ne savait pas comment il avait quitté cette forêt dévastée ni comment il s’était retrouvé chez lui. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il était vivant et qu’il aurait crié de joie à s’en rompre les cordes vocales s’il en avait eu la force. Néanmoins, il demeurait pour l’instant prisonnier de son corps, sentant l’éveil de ses blessures le traverser de part en part ainsi qu’une terrible soif probablement due à la durée prolongée de sa léthargie. Il détourna son regard et tomba nez à nez avec un petit bol de bois qu’il chercha à atteindre, mais devina qu’il n’aurait jamais l’énergie de se relever suffisamment pour en avaler le contenu sans s’étouffer. Il se glissa donc mollement hors de sa paillasse et plongea littéralement la tête dedans, le renversant par la même occasion. Talinne, qui s’aperçut aussitôt de sa lamentable tentative pour étancher sa soif, accourut après avoir jeté son tricot par terre.

–Dardanne ! Reste tranquille ! Tu ne dois pas bouger ! s’exclama-t-elle en repositionnant confortablement le blessé sur sa paillasse.

Dardanne geignit de douleur puis émit un profond soupir de lassitude, contrarié par sa dépendance physique et honteux de l’image qu’il renvoyait à sa petite sœur. D’autant plus qu’il avait souvent imaginé son arrivée à Bartonne, défilant fièrement aux côtés de ses camarades sous les applaudissements et les acclamations de la foule comme le voulait la tradition au retour de leur formation des jeunes guerriers. Qui aurait cru qu’il serait revenu infirme et alité, contraint de compter sur autrui pour subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Mais au fond, il était incroyablement chanceux de s’en être sorti et il en avait parfaitement conscience. C’est bien ce qui l’accablait leplus.

Talinne aida son frère à boire tout son soûl et reposa sa tête consciencieusement sur son oreiller. Dardanne la fixa d’un air navré, ne sachant comment exprimer ce qu’il ressentait tant les sentiments s’entremêlaient dans son esprit, mêlant à la fois la culpabilité d’avoir laissé sa famille si longtemps ; la peur de lire la déception dans les yeux de l’un d’entre eux et enfin la peine de leur infliger le souci de sa guérison. La belle jeune femme tint fermement la main de son frère entre les siennes et, ne pouvant retenir de chaudes larmes de joie, brisa le silence d’une voix frêle et chevrotante :

–Tu m’as manqué…

Dardanne pressa délicatement sa main en guise de réponse ; un geste d’affection se substituant aux mille paroles qu’il n’aurait pas eu la force de prononcer ce soir-là. Éreinté, il sombra à nouveau en quelques secondes.

Bien plus tard, le jeune homme se réveilla dans l’obscurité la plus totale et, une fois de plus, incapable d’estimer la durée de son somme. Il avait globalement bien récupéré et ses douleurs avaient quasiment disparu. Sans plus attendre, il entreprit donc de se lever pour retrouver sa famille au plus vite. Il avança ses pieds sur le sol et ressentit une étrange humidité. Une curieuse impression l’envahissait, quelque chose de dérangeant et d’inhabituel se tramait à ses dépens. Il voulut regagner la salle à manger au plus vite et s’aida de ses bras pour se mettre debout. C’est à cet instant qu’il sentit les menottes autour de ses poignets entraver son action. Par réflexe, il tira dessus avec insistance, en vain. Il appela sa petite sœur à la rescousse en continuant à se débattre contre la chaîne qui le reliait aumur.

Mais c’est l’écho de la pièce qui lui révéla la nature inquiétante de sa situation : il n’était plus chez lui ! Dardanne, prit de panique, tira de toutes ses forces sur ses menottes en appelant au secours. Se tortillant dans tous les sens, il faillit s’écarteler en voulant arracher son lien qui ne lui laissait que peu d’espace pour se mouvoir. Quelques minutes plus tard, à bout de souffle, il abandonna ses efforts et s’adossa contre le mur. Il tenta de se calmer et de reprendre ses esprits… « Où suis-je ?! » se répétait-il en scrutant la moindre lueur extérieure qui lui donnerait peut-être une indication sur le lieu de sa geôle. Mais rien ne pouvait lui révéler une quelconque information au cœur de cette noirceur absolue.

Soudain, de lourds pas de bottes résonnèrent de plus en plus distinctement dans l’escalier menant à sa cellule et la petite mélodie angoissante des clés du trousseau qui s’entrechoquaient les unes aux autres lui glaça le sang. La minuscule porte de fer grinça férocement à son ouverture avant que quatre hommes entrent d’un pas décidé, s’alignant face à lui. Parmi eux, deux gardiens vêtus de noir munis chacun d’une torche enflammée. Le plus vieux d’entre eux, petit et ventripotent, était à moitié bossu et son visage figé d’un pâle macabre ressemblait de près à un masque mortuaire. Le second, quant à lui, gardait sa capuche sur la tête et la balafre qui lui fendait la figure ne faisait qu’accentuer son aspect redoutable, tandis qu’il fixait Dardanne comme un chien de garde prêt à bondir au moindre geste déplacé. Les deux autres, au centre, vêtus de longues toges en soie, appartenaient à la noblesse. Le plus puissant d’entre eux semblait être celui à la parure bleu et or au col de fourrure blanc. Un homme élancé et austère à l’air condescendant et implacable. Quant à l’autre, Dardanne le connaissait bien. Il s’agissait du Seigneur de Bartonne, le Kère (comte en Terpézie) Merguadanne : une brute épaisse au regard sadique qui exprimait toute son « ingéniosité » par l’oppression et la torture.

–Alors, c’est lui ? commença le grand noble, les deux mains plaquées sur ses hanches.

–Sans nul doute mon Dore (duc en Terpézie) ! Mes hommes l’ont cueilli tout à l’heure chez lui ! Il dormait tranquillement pendant que les cendres de ses frères d’armes se mêlent à celles du bois et de la terre ! répondit le Seigneur d’un ton accusateur en fixant son prisonnier.

–Connais-tu la raison de ton arrestation, soldat ? demanda le Dore comme s’il n’avait pas entendu la réponse de son vassal.