De sang et d’ocre - Milan Bonnel - E-Book

De sang et d’ocre E-Book

Milan Bonnel

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Beschreibung

En cette fin d’année 2021, la calme et paisible vallée de Saulges en Mayenne est bouleversée par de sombres événements. Alex, un jeune flic parisien, débarque dans ce décor serein, déstabilisé par la sauvagerie du meurtre : un corps soigneusement mutilé exposé dans une grotte célèbre pour ses gravures et ses divers ornements préhistoriques. Des milliers d’années séparent la réalisation de ces ornements du passage des assassins dans la cavité. Pourtant, tout porte à croire qu’un lien existe entre ces œuvres millénaires et la macabre découverte faite dans la grotte Margot. Quel est le secret caché derrière cette sombre coïncidence ? La réponse se trouve entre les lignes.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Milan Bonnel, avec "De sang et d’ocre", donne vie à un rêve longtemps enfoui. Ce premier roman, empreint de sensibilité, rend hommage à l’enfant qu’il était et à son désir de découvrir et d’interpréter le monde à sa manière.

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Seitenzahl: 505

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Milan Bonnel

De sang et d’ocre

Roman

© Lys Bleu Éditions – Milan Bonnel

ISBN : 979-10-422-5723-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Découverte

— Aïe ! Et merde !

Un fin et léger fragment de tabac incandescent venait de tomber de la cigarette d’Alex. Il était venu se loger sur son précieux chinot noir l’obligeant à se frictionner vigoureusement la cuisse pour l’éteindre. Tandis qu’il refermait la fenêtre conducteur de sa voiture de fonction, le soleil lui fit plisser les yeux. La lumière du jour rayonnait dans la vallée en cette matinée de novembre. Saulges, petit village en Mayenne, possédait un paysage et un site naturel unique pour le secteur. Une vallée enclavée entre d’immenses champs et une zone rurale profonde proposait un territoire méconnu, mais fantastique.

Depuis la fin du XIXe siècle, des fouilles archéologiques avaient dévoilé la présence d’hommes des cavernes durant des milliers d’années dans la région.

Alex venait pour la première fois et découvrait cet univers. Parisien accompli, il n’avait découvert la France que par le biais de vacances bobo et avinées sur les côtes françaises. Pour être précis, il ne connaissait que la Côte d’Azur et le secteur niçois qu’il avait arpentés avec ses amis avant d’intégrer la criminelle 4 années auparavant. Depuis, il n’avait plus quitté Paris sauf pour quelques recherches en banlieue.

Le matin même, il avait été affecté à une affaire d’homicide en province, précisément dans cette fameuse vallée de Saulges, c’est pourquoi il avait entamé quelques recherches sur la région. Dans son esprit, campagne, nature, bouseux, et préhistoire. Rien de très aguichant, il aurait nettement préféré travailler sur l’affaire du charnier de Neuilly-sur-Marne qui remuait tout Paris et qui aurait pu lui valoir ses galons.

Malheureusement, Alex avait merdé récemment, quelques abus de pouvoirs, violation de vie privée, il n’était pas vraiment le flic modèle et cette affaire ressemblait à une mise au placard. L’objectif était certainement de l’éloigner de Paris le temps qu’on avance sur l’enquête de Neuilly. Alex avait en effet une fâcheuse tendance à mettre son nez où il ne fallait pas. L’affaire de Neuilly nécessitait discipline, professionnalisme et surtout, pas de dérapage. Quatre corps retrouvés dans le parc des 33 hectares, voilà de quoi rameuter la presse et faire paniquer les gens du coin. Ce qu’il fallait, une main de fer dans un gant de fer, mais surtout, une grande dose de charisme. L’affaire allait être utilisée politiquement et Alex du haut de ses 28 ans n’avait pas les épaules, c’est Frédéric Buzac qui avait hérité du cadeau. Flic plus rodé avec ses 20 années de service dans les pattes, il en avait vu d’autres et saurait faire bonne figure face aux journaleux et autres politicards préparant les élections présidentielles de 2022 sur fond d’insécurité, d’immigration, de crise sanitaire et de bavures policières.

Bref, pas de charnier de Neuilly pour Alex, mais la campagne profonde et un cadavre, retrouvé tôt dans la matinée.

En arrivant sur les lieux, Alex avait dû se garer un peu plus haut, les bagnoles de gendarmerie et autres utilitaires ne permettant pas de descendre, car une unique petite route permettait l’accès à la vallée de ce côté. Il était donc descendu à pied et avait découvert un paysage rocailleux. On aurait dit qu’un morceau d’Ardèche était venu se déposer au cœur de la campagne mayennaise. Une petite rivière coulait au milieu de grands massifs calcaires recouverts de buis, végétation très atypique pour la région. Quelques bâtiments avaient été construits dans la vallée. Devant lui, Alex pouvait observer un musée trônant juste sur la gauche de la petite route par laquelle il descendait. Un peu plus loin dans la continuité de la route, un pont puis une vieille maison qui semblait être un restaurant au vu des tables, des chaises rangées sur la terrasse et du traditionnel panneau MIKO présentant les glaces disponibles. Étrangement, celui-ci était resté affiché malgré le froid mordant de cette période de l’année.

En s’enfonçant un peu plus dans le canyon en direction de l’attroupement caractéristique d’une scène de crime, Alex avait contemplé le décor : de hautes falaises se dressaient de tout côté. Un petit pont en bois à destination des touristes avait été construit pour passer d’un côté à l’autre de la rivière et rejoindre les parois de l’autre rive. Sur celle-ci, quelques tables de piquenique avaient été disposées dans les larges étendues d’herbes qui flanquaient les immenses murs de pierre grise. Un vrai paysage de rêve qui ne collait pas du tout avec les décors qu’il avait observés au cours de son trajet ce matin-là, il n’avait en effet observé que des champs et quelques forêts, mais tout était plutôt plat et assez caractéristique de la région, des vaches, des champs, et des champs, avec des vaches dedans.

Les diverses personnes présentes sur la scène de crimes se trouvaient au pied de la paroi la plus proche sur une petite hauteur accessible par de grands escaliers sculptés à même le sol et maintenus par de grandes planches de bois. En montant les escaliers, Alex s’attendait à voir le cadavre, mais il n’en fut rien. Arrivé en haut, il se présenta et montra son badge :

— Alexandre Barrat, police criminelle.

Un type costaud en uniforme de gendarme se tourna vers lui et lui tendit la main :

— Bonjour, Sergent Ledoux, suivez-moi je vais vous faire le topo.

Alex lui serra la main et lui emboîta le pas. Ils se dirigèrent tous deux vers une grande fente rocheuse débouchant sur une cavité sombre et étroite habituellement clôturée par une porte faite de barreaux métalliques qui semblait être là depuis un paquet d’années. La terre semblait avoir été retournée devant la porte, car des monticules de terre apparaissaient de chaque côté du petit chemin menant à cette dernière.

Alex interrogea le flic :

— Le corps est à l’intérieur.

— Oui, l’un des guides a retrouvé le macchabée au fond de la grotte tôt dans la matinée, il était venu faire un tour dedans pour préparer ses visites du jour, des scolaires apparemment, heureusement qu’il est passé avant… D’ailleurs, si vous pouvez éviter de toucher les parois pendant notre passage, ça nous évitera des emmerdes avec les gars du patrimoine, cette grotte est pleine de gribouillis préhistoriques et autres trucs hyper anciens.

Alex bafouilla :

— Euuh, OK pas de problème.

La grotte était éclairée par de petites lumières dispersées au sol et sur les murs afin de garantir une visibilité aux touristes. Les parois étaient humides et il faisait étonnamment bon en comparaison de la température extérieure. Ils s’enfoncèrent dans la cavité jusqu’à atteindre une grande salle. En face d’eux, la grotte continuait à s’enfoncer beaucoup plus loin, et sur leur gauche, un petit tunnel avait été creusé dans la roche, descendant grâce à quelques marches de terre grossièrement dessinées, sûrement pour y faciliter l’accès. Le tunnel était très étroit, mais c’était visiblement leur destination puisque Ledoux s’y engouffrait déjà en grommelant.

— On va passer par là ! C’est étroit, mais c’est plus court !

Alex du s’accroupir et baissa la tête pour traverser l’embouchure d’environ un mètre. En se redressant, il se cogna violemment la tête sur la paroi.

— Attention la tête !

Lâcha Ledoux avec un sourire.

Alex se frotta vigoureusement le crâne pour faire passer la douleur et continua son chemin, toujours à la suite du gendarme. Ils s’enfonçaient maintenant dans un goulot très étroit descendant dangereusement dans les entrailles de la roche. On voyait désormais des flashs en provenance des profondeurs et Alex manqua par deux fois de glisser et de tomber tout au fond de la cavité.

— Y’a quoi au fond ?

Demanda Alex de plus en plus intrigué par le lieu.

— Un lac souterrain ! Enfin lac faut voir le truc, c’est plutôt une grosse flaque… Mais aujourd’hui, y’a surtout ce qui nous amène.

En arrivant au niveau du lac, Alex découvrit le lac souterrain qui effectivement ne payait pas de mine, la salle était petite, étroite et ne laissait que peu de place pour les différents gars de la police scientifiquevenus faire leurs analyses. Un petit bonhomme dans une combinaison blanche vint se présenter :

— Vous êtes le gars de la crim' ?

Alex lui serra la main et lui répondit :

— Alexandre Barrat.

— Harold Bounic, police scientifique.

Lui répondit l’autre. Bounic avait une petite voix nasillarde et particulièrement irritante.

Alex lui demanda :

— Vous pouvez me faire un brief ?

Le scientifique commença son laïus :

— La victime est un individu masculin de type caucasien, la cinquantaine, il a été retrouvé nu au fond de la grotte, il a reçu de multiples coups avec une arme tranchante, mais assez grossière, semble-t-il. Il a été principalement touché au niveau des avant-bras et aux tendons. L’assassin a terminé par la gorge, ce qui semble être vraisemblablement la cause de sa mort. On note également des hématomes au niveau du crâne, mais difficile de dire s’il s’agit d’un coup porté ou non. Nous en saurons plus avec les résultats de l’autopsie.

— Vous connaissez l’heure du décès ? interrogea Alex.

— Difficile à dire pour le moment, mais j’ai le sentiment qu’il n’a pas été tué ici, il n’y a que très peu de sang et au vu de ses blessures, cela a dû être une vraie boucherie au moment des impacts. Le meurtre doit dater d’hier soir si j’en crois la structure sanguine et l’état des plaies.

Alex observa le corps, un homme gras, mal rasé et plutôt petit, ratatiné même. Effectivement, les blessures à la gorge étaient grossières, les plaies profondes et les chairs déchirées avec une extrême violence, le meurtrier avait dû déployer beaucoup de force pour créer de telles entailles. À l’inverse, les estafilades aux poignets semblaient fines et délicates. Le corps était étendu sur le dos, paume vers le haut, les bras le long du corps, comme si quelqu’un l’avait disposé volontairement dans cette position qui n’allait pas sans rappeler la position des défunts lors de certaines sépultures.

— Des éléments notables ? demanda Alex.

— Hormis le fait que par ici excepté les règlements de comptes familiaux et les rivalités de voisinage les gens ne font pas trop de vagues ? répondit Bounic avec ironie. Alex ne releva pas la plaisanterie.

— Faites-moi passer les résultats quand vous aurez terminé l’autopsie, si vous détectez quoi que ce soit appelez-moi.

Alex resta quelque temps sur les lieux pour observer plus en détail la salle, s’imprégner de l’ambiance, cette profondeur, cette humidité, tout était si lunaire, ce corps gisant au cœur de la roche, dans un site si particulier et hors du temps… Il avait ressenti dès son entrée à Saulges un total dépaysement alors même qu’il n’était qu’à 3 h de route de Paris. Ces paysages, ce meurtre, quelle étrangeté. Il prit le chemin de la sortie en veillant à garder son crâne intact et à ne pas toucher les parois.

Si le corps avait effectivement été déposé là, pourquoi ? Pour le moment, trop peu de réponses et tellement de questions, la première étant évidemment : l’identité de la victime.

Chapitre 2

Démarrage

La chambre d’Alex était spacieuse, moderne et dénotait totalement avec l’ambiance de la matinée. Quand il était arrivé à l’hôtel sur les coups de 15 h, il s’était immédiatement jeté dans son lit, au moins, il y avait un peu de confort autour de ce meurtre sordide.

Il avait sorti son téléphone pour appeler Sophie. Elle n’avait pas décroché. Inhabituel pour cette jeune flic toujours collée à son smartphone pour x ou y raison. Après vingt bonnes minutes, elle finissait enfin par rappeler :

— Oui boss, t’as essayé de m’appeler ? demanda-t-elle d’un ton détaché.

— Oui grommela Alex. J’ai du boulot pour toi.

— Annonce la couleur, j’ai que ça a foutre de toute manière, j’en ai ma claque d’entendre parler de Neuilly et de tourner en rond dans mon clapier, t’aurais pu m’emmener avec toi, je sers à rien ici. La jeune flic venait d’obtenir sa mutation à la crime, elle était le premier élément de la toute petite équipe d’Alex. En gros : elle, et lui…

— Je t’ai déjà dit que j’ai besoin que tu gardes un œil sur ce qui se passe à Paris, si les autres se plantent, je veux qu’on puisse saisir notre chance, et puis tu me seras plus utile d’où tu es ! J’ai besoin que tu fasses des recherches. J’ai un macchabée dans une grotte. Il faut que tu me fasses l’historique des crimes, faits divers et autres éléments notables dans les cinquante bornes autour de Saulges sur les dernières années.

Alex savait que l’enquête de Neuilly pouvait à tout moment déraper, auquel cas, il chercherait sûrement à faire avancer l’enquête en sous-marin. Il voulait être le premier à tenter sa chance si l’occasion se présentait. Il avait besoin de quelqu’un sur place pour rester dans le coup.

— Tu recherches quelque chose en particulier ? demanda Sophie.

— Tout ce qui peut être lié de près ou de loin à des faits divers glauques dans le secteur, des délires de sectes, des disparitions, ce genre de conneries… détailla Alex.

Tu peux aussi récupérer tous les faits divers concernant le musée, les fouilles archéologiques du site, etc. J’ai besoin de comprendre où j’ai foutu les pieds.

— OK boss, je te rappelle dès que j’ai quelque chose d’intéressant. Tu peux m’envoyer toutes les infos dont tu disposes histoire que j’affine un peu les recherches ? demanda Sophie d’un air blasé.

— Ouais, je t’envoie ça dès que j’ai les retours des légistes et que j’ai pu creuser un peu avec les gens du coin. Garde un œil ouvert sur Neuilly quand même, j’essaie de boucler ça rapidement et je remonte sur Paname.

— À plus, boss.

Sophie raccrocha. Alex allongé sur le lit commençait à dresser un rapide état des lieux de cette affaire : zone rurale, meurtre barbare, lieu difficile d’accès et normalement fermé. C’est par là qu’il allait commencer. Pour accéder à cette grotte, il fallait commencer par passer la grille d’entrée, or, personne ne lui avait souligné une éventuelle effraction. Soit l’assassin possédait les clefs, soit la grille était ouverte au moment du meurtre.

Alex laissa ses affaires dans la chambre, saisit sa veste, de quoi écrire et se dirigea vers la sortie. Il ferma la chambre à clef et se dirigea jusqu’à sa voiture. L’hôtel se situait à quelques minutes du site des grottes, il prit la route et arriva rapidement sur le parking où il s’était garé plus tôt dans la matinée. La petite route permettant de descendre dans la vallée était enfin dégagée. Il s’y engagea et se gara à côté du musée. Pour commencer, il allait poser quelques questions aux employés afin de comprendre comment fonctionne l’accès à cette grotte et qui en possède les clefs.

Alex se présenta à l’accueil, mais il était fermé. Rien d’étonnant. Quand un gus se fait dézinguer sur un site culturel, on laisse pas les gens aller et venir faire du tourisme. Toute la zone avait été quadrillée, le musée fermé et les visites annulées.

— On est exceptionnellement fermés, Monsieur, lui indiqua une voix sur sa droite. Alex se tourna et aperçut un jeune homme mince d’une trentaine d’années portant un blouson orné du logo du musée : un carré noir arborant un losange orange symbolisant une pointe de silex taillée en feuille de laurier sur son côté droit. Le type avait le teint pâle, des cheveux très courts, presque rasés, délimitant des golfes calvitieux. Son sourire laissait éclater des dents du bonheur et un réel sentiment de chaleur et d’hospitalité.

— Je suis de la brigade criminelle. Vous travaillez ici ? demanda Alex.

— Euh oui, je peux faire quelque chose pour vous ? balbutia timidement le jeune homme, manifestement intimidé par la fonction.

— J’aimerais comprendre le fonctionnement de l’établissement, vous me faites entrer ? Alex avait parlé d’un ton ferme ne laissant pas vraiment d’option à son interlocuteur.

— J’arrive, je fais le tour pour vous ouvrir, répondit l’autre.

Alex entendit une porte se fermer et après quelques instants, il vit le bonhomme se présenter à travers la vitre. Un tour de clef et la porte s’ouvrit devant lui.

— Entrez, je vous en prie, invita-t-il.

Alex pénétra dans le musée et découvrit un endroit particulièrement moderne, propre et neuf. Sur sa gauche, une grande pièce où étaient exposés divers graphiques sur la géologie, la préhistoire, des outils divers et variés trouvés sur les lieux : silex, haches, tranchoir… Sur sa droite, un espace boutique où l’on pouvait observer divers ouvrages sur la préhistoire, la Mayenne, des peluches et autres souvenirs à destination des touristes.

En face de lui, une porte menait vers ce qui semblait être une arrière-salle. Sûrement une zone de stockage ou une salle de repos pour les salariés.

— Comment vous appelez vous ? demanda Alex.

— Éric, je m’occupe des ateliers pédagogiques et des visites sur le site, répondit-il.

— C’est vous qui aviez trouvé le corps ?

— Non, c’est mon collègue Farid, il a été emmené à Laval pour sa déposition. J’ai été appelé pour tenir une permanence au cas où des visiteurs viendraient, je dois signaler qu’on ne reçoit personne et que la vallée n’est pas visi…

Le téléphone sonna l’interrompant dans sa phrase, il décrocha :

— Musée de préhistoire et grottes de Saulges bonjour. Une voix parla dans le combiné, mais c’était inaudible pour Alex. Non je ne sais pas ce qu’il s’est passé, non je ne sais pas si c’est un meurtre ou un accident. Bonne journée Madame, répondit-il d’un air agacé. Ça n’arrête pas depuis 2 heures, tout le monde veut savoir ce qu’il se passe, expliqua Éric.

— Les gens sont déjà au courant ? interrogea Alex.

— Vous savez, par ici, on voit rarement passer des convois de polices ou de gendarmeries… Y’a bien quelques patrouilles qui passent de temps à autre, mais jamais un tel volume. Puis vous savez, c’est très calme par ici, donc les informations circulent vite, pas mal de mères Michu dans le coin si vous voyez ce que je veux dire, répondit le guide en souriant.

— Vous avez pu parler à Farid avant son départ pour Laval ? continua Alex.

— Non j’ai déboulé juste avant son départ pour fermer le musée et prendre la permanence. Je l’ai vu embarquer dans la voiture de flic, il était blanc comme un linge.

— Parlez-moi un peu plus de lui, il travaille ici depuis longtemps ? continua Alex.

— J’ai connu Farid il y a quelques années, il travaillait à Jublains pas loin d’ici, c’est un site gallo-romain à une trentaine de bornes. Il était guide dans les vestiges de l’ancienne forteresse. On s’est rencontrés sur un salon touristique où on met en avant nos brochures, nos sites pour fournir de la doc à tous les hébergeurs, office de tourisme tout ça. On a eu un bon contact et quelques années plus tard, il a voulu changer un peu d’air et a déposé une candidature chez nous. On a appelé Jublains et ils ont été unanimes concernant son boulot. On lui a donc fait un retour favorable il y a 3 ans, d’abord en tant que saisonnier, puis on l’a titularisé l’année suivante, détailla Éric.

— C’est quoi son poste exactement ?

— Grosso merdo comme le mien, mais il est en plus responsable de la préservation des objets du musée, c’est lui qui s’assure que tout soit bien conservé. Vous savez, les bonnes températures dans les vitrines, les mises en valeur visuelles des objets, tout ça quoi. Si vous préférez, c’est un peu un guide/conservateur chez nous, expliqua-t-il.

— Et sur le plan personnel, vous le connaissez ? Niveau vie privée ? enchaîna le flic.

— Pas vraiment, on s’apprécie, mais ça reste assez professionnel, bien sûr il nous est arrivé de boire un verre de temps à autre après le boulot, mais c’est jamais allé beaucoup plus loin. Il habite à Vaiges, vous avez dû y passer en venant. Je sais qu’il a une nana depuis quelques mois avec qui ça se passe bien. Une connaissance d’enfance si j’ai bien compris, Sarah, je crois.

— Vous pouvez me parler un peu plus de la grotte où on a retrouvé le macchabée ?

— C’est la grotte Margot, une grotte ouverte à la visite pendant une grande partie de l’année. Elle est assez fantastique, car elle est remplie de gravures préhistoriques, Alex le coupa pour remarquer :

— J’y suis passé ce matin et j’ai pas vu l’ombre d’une gravure…

— C’est normal, il ne faut pas s’attendre à ce que des gravures de plusieurs milliers d’années ressortent comme un dessin fait la veille. La calcite recouvre petit à petit les fentes, c’est pour ça qu’il faut un guide pour voir quoi que ce soit. Les gravures sont très difficiles à voir, il faut savoir où elles sont et connaître la bonne orientation lumineuse pour les observer convenablement. En plus de ça, le passage n’aide pas à la conservation et la grotte est visitée depuis des centaines d’années. Y’a plein de légendes locales autour de cette grotte, des histoires de fées, de sorcières… Y’a même des soldats qui s’y sont planqués pendant la guerre. Ça n’aide pas à garder toutes les gravures intactes, tout ça…

Nouveau coup de fil, cette fois, Éric prit un air beaucoup plus sérieux lorsqu’il entendit la voix.

— Excusez-moi un moment, je reviens tout de suite ! lança-t-il en se dirigeant vers l’arrière-salle.

Bruit de porte, et plus rien. Alex vagabonda dans le musée pendant son absence. Il découvrit que le musée possédait beaucoup de restes d’objets néandertaliens et d’homo sapiens. Alex ne connaissait pas bien cette période de l’histoire, il n’avait jamais été très attentif pendant sa scolarité. Lui c’était un homme d’action, sportif, impulsif. Il avait dû s’employer afin de décrocher son baccalauréat et enfin passer le concours de gardien de la paix. Il avait ensuite passé trois années en école de police. Puis parcours classique, mais laborieux, quatre années en tant qu’agent de police. Trois tentatives de concours d’OPJ, avant de finalement l’obtenir en 2018. En bref, pas un grand historien malgré quelques notions basiques. Ses connaissances sur la préhistoire s’arrêtaient à l’Odysée de l’espèce et à la Guerre du feu. En bref, des références générales et parfois un peu dépassées. Une bonne occasion de remettre le nez dans les origines de l’humanité.

Nouveau bruit de porte, puis des pas dans le couloir. Éric revenait.

— Toutes mes excuses, c’était la responsable du musée qui me demandait ce qui se passait. Elle a été appelée par la gendarmerie ce matin et ne comprend rien à ce qui se passe. J’ai dû lui faire un petit débrief… lâcha-t-il un peu dépassé.

— Qui est la responsable ici ? demanda Alex.

— Ingrid Mortin, elle est responsable du site depuis une vingtaine d’années. Autant vous dire qu’elle a tout vu, les fouilles, la construction du nouveau musée et j’en passe. C’est notre bible ici, une vraie salle d’archive ce cerveau-là.

— Vous avez son numéro ?

— Bien sûr. Éric prit un post-it, un bic et commença à recopier les chiffres qu’il lisait visiblement sur une fiche collée à la caisse du musée. Il donna le morceau de papier à Alex en souriant.

— N’hésitez pas à l’appeler, mais préparez une bonne demi-journée, une vraie pipelette quand on lui parle de ses grottes ou de son musée.

— Je lui passerai un coup de fil dans la soirée.

Alex enchaîna avec une autre question :

— Comment vous fonctionnez au niveau des clefs des grottes, j’ai remarqué une grille qui je suppose, est fermée une majorité du temps si vous voulez préserver les parois ?

— Les clefs sont bien en sécurité dans le coffre-fort du musée le soir, et la journée, les guides en service ont leur jeu de clefs, répondit-il.

— Pour la grotte Margot, il y a combien de clefs ?

— À ma connaissance, seulement trois : deux pour les guides de la journée et un jeu pour les éventuelles urgences : un guide qui oublie sa clef et qui part en congé, ce genre d’imprévu vous voyez ?

— Pas d’autres détenteurs de clés ? Des pertes à signaler dans les derniers mois ou années ? creusa Alex.

— Non pas à ma connaissance, en tout cas, pas depuis que je suis là. Ingrid est sacrément à cheval là-dessus. Les clefs des grottes c’est précieux et elle tient à ce que quelqu’un vérifie qu’elles sont toutes là tous les soirs, répondit l’autre.

— Vous avez les trois actuellement ? renchérit Alex.

— Non seulement deux, Farid a dû donner la sienne aux gendarmes quand ils sont arrivés pour qu’ils puissent faire leur tambouille.

Alex sortit son paquet de cigarettes, en tira une et la tendit vers Éric :

— Clope ?

— Allez, ça me fera pas de mal, acquiesça-t-il. Suivez-moi, on va sortir par derrière comme ça je ferme devant.

Il reprit le chemin de l’arrière-salle, Alex lui emboîta le pas. L’arrière-salle était en fait un lieu d’exposition qui retraçait la découverte d’une grotte, on retrouvait ici tous les équipements spéléo de l’époque, des photos en noir et blanc de l’équipe et diverses documentations sur la grotte. Alex demanda :

— C’est quoi cette salle ?

— Une exposition sur la découverte de la grotte Mayenne Sciences, c’est notre grotte star, mais elle n’est pas ouverte à la visite. C’est un peu notre Lascaux à nous, sauf qu’on veut pas faire les mêmes conneries qu’eux. Du coup, fermée, bouclée, cadenassée pour qu’on vienne pas dégrader les peintures dedans. De toute façon, elle est accessible qu’en spéléo. Du coup, on a fait une reproduction virtuelle en 3D au centre du musée, répondit Éric.

Les deux hommes prirent une petite porte s’ouvrant sur quelques marches, à l’intérieur : une petite salle avec des casiers, des bureaux et de l’équipement pour les guides. Ils sortirent par la porte par laquelle Éric était sorti quelques minutes plus tôt. Une fois dehors, Alex sortit une cigarette pour lui, l’alluma et tendit son briquet au guide.

— Depuis combien de temps tu bosses ici ? Alex avait choisi de passer au tutoiement, après tout ils étaient de la même génération et il voulait entrer dans un échange moins formel et plus intime. Éric ne parut pas choqué par le changement de registre et répondit :

— Ça va faire six ans que je bosse ici, j’ai commencé en tant que saisonnier comme la plupart des salariés du site, puis j’ai réussi à être titularisé rapidement dès que le nouveau musée a ouvert ses portes en 2017. Qui dit nouvelle structure dit nouveau besoin de personnel, j’étais au bon endroit au bon moment !

— Et ça va tu t’éclates ici ? Pas trop mort comme coin ? demanda Alex qui n’arrivait pas à comprendre qu’on vienne s’installer et travailler dans un trou paumé pareil.

— J’ai toujours été de la région donc j’ai pas vraiment été dépaysé, puis je suis plutôt du genre nature, rando et feu de bois pour mes week-ends. Pas trop mon truc l’émulation des grosses villes. Et puis ici, je connais les gens, j’ai ma famille enfin tu vois le truc, je suis né dans le coin, je mourrai dans le coin. Éric avait répondu tout sourire. On sentait une grande joie de vivre chez ce garçon malgré la tragique nouvelle qui l’avait obligé à se lever.

Alex eut soudain le sentiment qu’il devait s’imprégner des lieux pour mieux comprendre ce qui se passait dans cette vallée.

Il finit sa clope rapidement et salua le guide :

— Merci pour les infos, je vais appeler ta boss ce soir. Je repasserai sûrement rapidement quand tout le monde sera là, on va devoir poser pas mal de questions à tout le monde. À plus tard, Alex se déplaça vers le cœur de la vallée et se dirigea vers le petit pont de bois permettant de traverser la rivière. Arrivé au pont, il choisit de ne pas traverser et de longer la rive gauche puisqu’un petit sentier le permettait. Il passa une petite clôture et marcha tranquillement le long de la rivière. Sur sa gauche se situait une immense masse rocheuse sur laquelle poussait la végétation. Divers buis et feuillus y avaient élu domicile depuis des lustres. Sur sa droite, la tranquille rivière qui avait par endroit des airs de ruisseaux.

En flânant sur la rive, Alex passa à côté de plusieurs panneaux indicatifs, dont un qui retint son attention : Mayenne Sciences. La grotte dont Éric lui avait parlé était là. Il avança vers la cavité et se rendit compte qu’elle n’était pas profonde, au maximum deux à trois mètres dans la roche, rien sur les murs, pas de réelles grottes. Il ne comprit pas tout de suite puis il vit une petite trappe métallique sur sa gauche juste dans une petite fente rocheuse. La grotte devait être derrière. Au vu de la taille de la trappe, il comprit ce qu’Éric avait mentionné, on ne peut y accéder qu’en spéléo. Alex se dit que même en spéléo, il fallait certainement rentrer le ventre…

Il reprit sa promenade, au bout d’une dizaine de minutes et quelques petites grottes sur son chemin, il revint sur ses pas et traversa le pont. Face à lui, une grande prairie suivie d’une immense paroi rocheuse. D’autres grottes devaient se cacher ici. Il traversa la prairie et commença à monter : grotte Rochefort : fermée, grotte de la chèvre : ouverte, mais assez étroite et peu profonde.

En face de chaque grotte, on pouvait lire quelques informations qui décrivaient qui et quand on avait fouillé le site, ce qu’on y avait trouvé, les déductions qu’on avait faites à la suite des fouilles… Alex ne prit pas le temps de lire et revint sur ses pas. Assez perdu de temps pour aujourd’hui, les légistes devaient avoir bien avancé sur l’autopsie.

Il traversa la vallée, remonta dans sa voiture et fila vers l’hôtel.

Arrivé à l’hôtel, il saisit son téléphone et appela Bounic, le médecin lui avait donné son numéro pour qu’il puisse le contacter.

— Bounic, c’est Barrat l’OPJ, t’as du nouveau ? lança Alex sans préambule.

— Bonjour, Barrat, oui et non c’est un vrai merdier ce macchabée. On a quelques certitudes, mais surtout beaucoup de questions supplémentaires.

— Dit moi ce dont tu es sûr, on verra le reste après, répondit Alex d’un ton blasé. Décidément, la voix du médecin l’agaçait.

— La première chose surprenante c’est que le coup fatal n’est finalement pas le coup à la gorge. Il est mort d’une crise cardiaque, certainement dans la nuit d’avant-hier.

Alex s’écria :

— Avant-hier ? Mais comment c’est possible qu’on ne l’ait retrouvé que ce matin ?

— De toute évidence, il a été déplacé, quelqu’un est venu le déposer là dans la nuit. Le peu de traces de sang au sol suppose qu’il était là depuis quelques heures à peine, répondit le légiste sur un air détaché.

— On a retrouvé des traces de sang ailleurs dans la grotte ?

Alex essayait de creuser, l’assassin avait dû laisser des traces s’il avait transporté le corps jusqu’au lac souterrain…

— Rien du tout, du travail de pro, pas une goutte hors de la salle où on l’a retrouvé. Si vous voulez mon avis, le corps a dû être bien emballé et apporté jusqu’ici avec le plus grand soin, développa Bounic.

— On sait qui est la victime ? continua Alex.

— Pas de certitude pour le moment, on n’a pas son ADN dans nos fichiers. Il va falloir attendre que les gendarmes creusent sur les disparitions récentes dans le coin, une famille va bien signaler une disparition.

Comment avancer sans l’identité de la victime… Sans ça, pas de mobile et pas de piste hormis cette histoire de clef… Alex devait se concentrer là-dessus en attendant un retour plus probant.

— Et les différentes blessures, tu as pu creuser là-dessus ? Alex cherchait désespérément d’autres branches auxquelles se raccrocher.

— Pour les blessures, on est sûr de la bonne boucherie, mais de la boucherie bien orchestrée, commença le légiste.

— Comment ça ?

— En gros, tout a été fait avec un outil grossier, type hache de pierre genre silex. Mais les zones d’impacts sont parfaitement sélectionnées, le boulot paraît brouillon au vu de l’outil utilisé, mais c’est un putain de chef d’œuvre de découpe.

— À quoi bon mutiler un corps sans vie ?

— Le motif, j’en ai pas la moindre idée, mais ce que je sais, c’est que les zones d’impacts sont précisément des zones qu’on aurait touchées si on avait voulu vider le corps de tout son sang, le tueur a tranché la zone de bifurcation carotidienne du cou, les veines basiliques sur les avant-bras, les tendons… Et tout ça, avec un outil rudimentaire si tu veux mon avis.

— Donc, pour toi, le tueur a voulu vider la victime de son sang ? demanda Alex.

— Je vois pas l’intérêt de viser ces zones sinon pour ça, mais ça n’explique pas pourquoi le macchabée ne s’est pas complètement vidé dans la grotte. Et pour ça, j’ai un début d’explication. J’ai creusé un peu dans ce sens et je me suis aperçu qu’il manquait pas mal de sang dans le cadavre, il en a donc bien perdu une grande quantité. Où : je ne sais pas, quand : je dirais quelques heures avant qu’on le dépose, détailla le légiste.

— OK, donc si je résume quelqu’un a charcuté le corps, l’a vidé de son sang et l’a emballé avant de le rapporter dans la grotte ?

— Ça m’a tout l’air d’être ça, là je suis en train d’analyser le sang pour comprendre pourquoi il ne s’est pas répandu partout dans la grotte, confirma le légiste.

— Ça roule, tiens-moi au courant dès que tu as du nouveau, clôtura Alex.

Il raccrocha, se posa sur son lit, saisit son MacBook dans son sac, l’ouvrit et lança Google. Il tapa : charnier Neuilly-sur-Marne.

Chapitre 3

Le village de Saulges

Les recherches d’Alex ne donnaient pas grand-chose, que des banalités médiatiques auxquelles on ajoutait un peu de fantasmes pour les gros titres. En soi, les journalistes commençaient à dérouler des hypothèses plus ou moins farfelues sans réels fondements. Départ classique d’une enquête médiatisée, certains évoquent des rites sataniques, d’autres un mystérieux serial killer ou encore un suicide collectif, mais rien de concret ni de documenté ou sourcé. La police ne s’était encore que très peu prononcée. Buzac n’avait fait qu’une seule déclaration, une déclaration à la Gérard Darmon ! Dans les grandes lignes :

Laissez la police faire son travail, dès que j’aurais de plus amples informations, croyez bien que vous en serez les premiers informés.

Après avoir passé une heure à naviguer d’un site à l’autre, Alex décida de faire un break et d’aller visiter ce petit village de Saulges où il logeait. Il voulait s’imprégner de l’ambiance de ce petit village, côtoyer ses habitants, échanger avec eux. D’expérience dans ce genre de lieux un peu reculés, on en apprend beaucoup en allant au troquet.

Première destination : le bar du coin. Il chercha sur son téléphone le bar le plus proche et trouva une destination : La Cuvée des grottes. Contrairement à ce qu’il pensait, le bar ne se situait pas comme dans la plupart de ces petits villages sur la place de l’église, mais il était hors du village près d’un ancien oratoire. Il décida d’y aller à pied, son GPS lui indiquait onze minutes, de quoi prendre un bol d’air.

Vingt heures, il se mit en route et traversa le village, sur sa gauche l’église puis diverses habitations et enfin, une route de campagne ce qu’il y a de plus classique descendant vers une petite vallée où coule une rivière.

Le bar se trouvait là, non loin de la rivière, dans un petit coin de verdure où se dressent saules, pleureurs, hêtres, chênes et autres arbres typiques du paysage.

Il s’installa en terrasse et sortit une cigarette qu’il alluma dans la foulée. Autour de lui, la terrasse était peu animée. Au vu de la température extérieure, rien d’étonnant. Seulement deux groupes de clients, un premier groupe, de quatre hommes âgés d’une soixantaine d’années, buvait bières et pastis en jouant aux cartes et en fumant. Le second groupe était composé de deux femmes encore plus âgées, environ quatre-vingts ans. Elles s’étaient installées sous un saule pleureur. L’une des deux fumait la pipe, l’autre sirotait une boisson marronnasse, peut-être du café. Elles discutaient tranquillement les yeux dans le vide en fumant et buvant machinalement.

Une jeune femme d’une vingtaine d’années se présenta :

— Bonjour, Monsieur, je vous sers quelque chose ? demanda-t-elle dévoilant un sourire éclatant.

La jeune femme était tout à fait au goût d’Alex, elle était assez petite, brune avec un visage rond plein de douceur et un corps sportif, mais pas trop musculeux. Elle avait noué ses cheveux en chignon décoiffé, ce qui laissait tomber deux mèches de chaque côté de ses yeux verts.

— Bonjour Mademoiselle ! répondit-il d’un air enjôleur.

— Vous avez des bières pression ?

— Oui, actuellement j’ai Grim, Chouffe, ou Leffe en Blonde et j’ai une bière blanche locale. Sinon j’ai des bières bouteilles : Despe, Corona, etc., répondit-elle.

— Mettez-moi votre pression préférée !

Alex savait créer le contact avec les serveuses, à Paris, il avait passé des soirées entières dans les bars et la situation s’était déjà présentée. D’abord, la mettre en valeur en la laissant choisir sa boisson. Une marque de considération qui permettait de créer une bonne première impression. Ensuite, il passerait à l’attaque.

— Demi ou pinte ? demanda-t-elle.

— Pinte s’il vous plaît.

— Très bien Monsieur, je vous apporte ça tout de suite, conclut-elle.

La serveuse s’éloigna ce qui permit à Alex d’admirer sa silhouette. Elle avait des formes très proportionnées, ce qui dégageait une grande beauté dans sa démarche. Elle rentra dans le bar qui semblait un peu plus animé qu’à l’extérieur.

Elle revint quelques minutes plus tard avec une pinte de bière blanche.

— Je vous ai pris la bière locale, ça fait travailler les gens du coin, lui dit-elle en posant la pinte sur sa table.

— Merci beaucoup Mademoiselle, répondit Alex poliment. Vite, il devait relancer la conversation s’il voulait avoir une chance d’aller plus loin avec elle. Alex avait toujours eu un problème avec la séduction, il développait un grand besoin de plaire, en particulier avec la gent féminine. Il sortit son plus grand sourire et demanda : Je suis de passage dans la région, vous savez ce que je peux faire dans le coin ?

Question bateau, mais qui aurait le mérite d’ouvrir la conversation et qui sait, peut-être glaner quelques informations sur les grottes et les potins du coin.

Elle lui fit un large sourire et répondit :

— Vous êtes au cœur de l’animation du village ici. Elle rit et reprit. Malheureusement à cette période de l’année vous ne trouverez pas beaucoup d’animations. Qu’est-ce qui vous amène ?

Elle venait de relancer par une question, très bon signe pour la suite.

— Déplacement professionnel, lâcha Alex sans donner plus de détail.

— J’ai entendu parler des grottes de Saulges, vous me les conseillez ? reprit-il tant pour entretenir la conversation que pour capter des informations.

— Je crois que c’est fermé aux touristes en ce moment, ils se contentent des scolaires si je ne me trompe pas. Elle regarda autour d’elle et ajouta en baissant la voix : Les vieux du coin racontent qu’il s’y passe des choses étranges ces temps-ci. Il y aurait eu un mort hier, on a vu plein de voitures de police passer.

Alex venait de gagner la première bataille, assez facilement, mais rien d’étonnant, dans ce type de village, véhiculer les rumeurs et autres commérages est un vrai passe-temps. Maintenant, il devait creuser. Rien de tel que la serveuse du coin pour rapporter ragots, potins et soupçons en tout genre. De quoi nourrir son enquête de quelques éléments.

— Comment ça des choses étranges ? Le coin me paraît tout ce qu’il y a de plus calme et charmant ! affirma-t-il d’un air surpris et détaché.

— Certains agriculteurs qui possèdent les parcelles surplombant le canyon des grottes racontent voir régulièrement des silhouettes se déplacer dans le fond de la vallée en pleine nuit ces temps-ci, raconta-t-elle à voix basse.

— Et c’est interdit ? Alex posa la question, mais il savait que rien n’interdisait l’accès au fond de la vallée, le site était avant tout un site naturel accessible à n’importe qui, n’importe quand.

— Interdit non, mais ça n’arrive jamais, ou alors l’été, quand il fait bon et que le musée organise des balades nocturnes ou des animations sur les chauves-souris. En cette période de l’année, il n’y a rien à faire là-bas en pleine nuit. Et le plus étrange c’est qu’apparemment les silhouettes se déplacent sans lumière. Dans le noir complet, de vrais fantômes. Je connais un peu les gars qui les ont vus, c’est pas vraiment des trouillards, pourtant je vous garantis qu’ils y mettront pas les pieds pour vérifier qui se balade là-bas.

Des silhouettes noires, des fantômes dans la vallée… Alex se retrouvait dans une mauvaise série. D’expérience, il savait que l’imaginaire collectif s’emballait dans quatre-vingt-dix pour cent des cas. De plus, ces agriculteurs étaient certainement des poivrots notables auxquels il n’accordait que très peu de crédit, surtout après vingt heures. Ces informations lui semblaient sans intérêt, il passa donc à son second objectif, la séduction.

— C’est effectivement très étrange ! répondit-il machinalement pour ne pas la vexer en démontant son histoire. Il reprit : Puis-je vous demander votre nom ?

La jeune femme sourit, se tourna et répondit en s’éloignant vers le bar :

— Julie.

— Julie, marmonna Alex en la regardant s’éloigner. Dès qu’il lui avait posé une question personnelle, elle était partie. Elle était partie, mais elle avait répondu. En homme confiant et arrogant qu’il était, il ne vit que le positif, elle lui avait répondu. Son ventre se mit à gronder, la faim commençait à le tenailler. Il était vingt et une heures trente et il n’avait pas mangé depuis son fabuleux repas composé d’un sandwich Sodebo poulet mayo et d’une canette de RedBull sur la route le matin même. Il sortit une nouvelle cigarette qu’il alluma directement en regardant la carte du bar. Par chance, c’était un bar restaurant et il pourrait manger ici, au menu principalement des pièces de viande. Il fuma rapidement sa clope et se dirigea vers le bar. Il entra et croisa le regard de Julie qui servait une bière à un homme au comptoir. Pour ne pas avoir à crier, il lui demanda à l’aide de mime, s’il pouvait manger ici. Elle confirma d’un signe de tête et lui indiqua une table pour deux dans l’angle de la pièce. Alex s’y assit et observa autour de lui.

Le bar possédait un grand comptoir en bois devancé par quelques tabourets. La décoration semblait venir tout droit des années soixante ou soixante-dix : un baby-foot trônait encore au fond de la salle, de vieilles affiches de Jupiler et des photos de sportifs ornementaient les murs. Il en reconnut certains : Poulidor, Platini, Hinault… Ici, on était loin du Padel, nouveau sport à la mode à Paris qu’il pratiquait depuis quelques mois. Ici, c’était principalement Football et cyclisme. Le reste de la salle était composé de quelques tables dressées pour accueillir des clients pour le souper.

Au comptoir, trois hommes discutaient en buvant leur bière. Au fond de la salle, quatre autres jouaient bruyamment au baby-foot en jurant et riant à gorge déployée.

Julie approcha munie d’une carte qu’elle déposa sur sa table en glissant un sourire.

— Je vous laisse faire votre choix, lui dit-elle en repartant vers le comptoir.

Il regarda rapidement la carte et se décida. Elle revint quelques minutes plus tard munie d’un petit calepin pour prendre sa commande.

— Vous avez choisi ? interrogea-t-elle.

Alex passa sa commande, la jeune femme repartie en cuisine et se replaça au bar pour nettoyer des verres et refaire le plein pour les joueurs de baby-foot.

Alors qu’il attendait son plat, Alex se souvint qu’il devait appeler la directrice du musée. C’était pourtant un appel capital, il aurait dû l’appeler plutôt que de passer une heure à rechercher des informations sur Neuilly. Pas grave, il l’appellerait demain à la première heure. Pour aujourd’hui, c’était trop tard, il allait manger et rentrer dormir. Le lendemain allait lancer le vrai feu vert de son enquête. Il aurait certainement le rapport d’autopsie, il pourrait réunir les employés du musée et avancer rapidement sur l’enquête. Sophie aurait également sûrement des informations complémentaires à lui communiquer d’ici là.

Julie revint avec son plat quelques minutes plus tard. Au menu : le classico entrecôte frites accompagné d’un verre de rouge. Niveau culinaire, Alex n’était pas vraiment ce qu’on peut appeler un viandard. De manière générale, il suivait plutôt les habitudes du microcosme parisien. En ce moment, la mode était aux produits végans : soja, boulgour, quinoa et autres produits du style. Il n’avait jamais fait tout ça par conviction, le sort des animaux ne l’empêchait pas de dormir, tout comme la crise écologique qui pour lui n’était que la chimère justifiant un comportement condescendant et particulièrement hypocrite de la part de certains. Il souhaitait avant tout entrer dans le moule que ce soit auprès de la gent féminine, ou auprès des puissants de ce monde. Malheureusement ou heureusement, ici, pas de produits végan ou écolo, ici, c’était le terroir, la France franchouillarde et agricole. En bref, des pièces de viandes en sauce, en grillade, à l’huile… N’importe quoi tant que c’est local, traditionnel et que la quantité de beurre est suffisante. Dans ce restaurant, personne ne jugerait sa commande ni ne ferait de commentaire sur ce pauvre bœuf qu’on avait abattu pour son repas, Alex comptait bien en profiter.

Julie déposa le plat sur la table en lui souhaitant bon appétit et repartie aussi sec. Il savait qu’elle avait repéré son intérêt et qu’elle utilisait la méthode classique du fuis moi je te suis. Du moins, c’est de cette manière qu’il interprétait son comportement. Alex se pensait grand maître de la psychologie féminine et croyait systématiquement capter et bien interpréter les signaux. En réalité, sa vie sentimentale était un peu le mal de l’époque, une succession de plans cul sans réels saveurs, sentiments ou engagements. En gros du sexe, de l’alcool, quelques drogues à l’occasion et surtout jamais d’attachement. Son orgueil l’empêchait de se poser, de s’attacher à qui que ce soit. Incompréhensible au vu de son bagage familial. Il avait vécu une enfance heureuse à Paris, ses deux parents étaient amoureux, heureux et il n’avait jamais manqué de rien. Peut-être avait-il une volonté de rupture avec ce couple si parfait. Il ne souhaitait pas se ranger de sitôt, mais il comptait bien conquérir cette jeune serveuse. Il le ferait comme il l’avait toujours fait, en insistant jusqu’à ce qu’elle craque.

Alex savait qu’il plaisait physiquement, il avait passé des heures dans les salles de sport à se sculpter une plastique parfaite. Résultat : abdos apparents, corps galbé et dessiné et musculature apparente sans être trop imposante. Il avait comme body objectif la plastique parfaite de Brad Pitt dans Fight Club et il l’avait globalement atteint. Il avait une belle gueule plutôt harmonieuse, des cheveux bruns courts et lisses laissés au naturel, des yeux noisette et une dentition impeccable.

Tout ce package lui donnait une confiance en lui un peu excessive, de ce fait, il osait tout.

Il détruisit son entrecôte en quelques coups de fourchette. Un réel orgasme culinaire, il n’avait pas mangé d’entrecôte depuis au moins deux années et celle-ci fit exploser ses papilles et son estomac. En mangeant, il regrettait déjà tous ces repas au restaurant où il s’était contenté de verdures et de divers placebos culinaires.

Son plat terminé, Julie vint débarrasser sa table et prendre la commande de son dessert.

— Tout s’est bien passé Monsieur ? demanda-t-elle en commençant à débarrasser.

— Parfait merci beaucoup, répondit-il tout sourire. Son repas l’avait mis en joie. Un peu assommé, mais enchanté.

— Vous prendrez un dessert ? demanda-t-elle en terminant d’empiler couverts et assiettes.

Alex profita de la question pour tenter une pointe d’humour et un rapprochement.

— Seulement si vous le prenez avec moi !

La jeune femme le regarda, cette fois sans sourire et répondit.

— Désolé, malheureusement je travaille et je ne finis mon service que dans deux heures.

Cette apparente froideur stupéfia Alex qui s’attendait à un refus, mais la manière l’avait touché à l’orgueil. La jeune femme lui résistait et ne manifestait pas le moindre intérêt.

— Et si je repasse dans deux heures ? lança-t-il d’un air enjôleur.

— Dans deux heures, je ne servirais plus de dessert, répondit-elle sèchement en s’éloignant, son plateau chargé de vaisselle.

Raté. Décidément, il n’était pas sur le bon registre. Le rentre dedans ne semblait pas fonctionner. Il allait donc user de la même stratégie qu’elle : l’indifférence.

Alex prit sa veste, déposa de quoi payer son repas, se rhabilla et sortit une cigarette. Il ne lâcha ni mot ni regard en direction de la jeune serveuse et sortit du restaurant. Une fois dehors, il alluma sa cigarette et se mit à marcher en tirant de grandes bouffées de tabac.

Avant de prendre la route du retour, il fit un détour pour aller voir l’oratoire qui se trouvait juste à côté du restaurant. Un magnifique monument religieux en calcaire construit sur un petit promontoire rocheux où coule une source d’eau réputée pour son impact positif sur les récoltes et sur les élevages. Il ne resta pas longtemps, car il ne voyait pas grand-chose, la nuit était obscure et le flash de son téléphone ne suffisait pas à saisir pleinement la beauté de l’édifice.

Il reprit la route de l’hôtel et regagna sa chambre. Il prit une douche, s’allongea sur son lit et s’enfonça dans les ténèbres d’un sommeil profond.

Chapitre 4

Farid

Le réveil d’Alex sonna sur les coups de sept heures. Une grosse journée s’annonçait pour lui. Première étape, il devait se rendre à Laval où la brigade de gendarmerie avait amené Farid la veille pour qu’il soit entendu. Il fallait également qu’il appelle cette fameuse Ingrid pour lui demander de rameuter toutes ses troupes. Il comptait bien rencontrer tout le monde et comprendre comment le tueur avait pu passer cette imposante grille. Il en était sûr, quelqu’un avait la clef et il découvrirait qui.

Alex s’habilla d’un pantalon chino noir et d’une chemise blanche qu’il rentra à l’intérieur du pantalon. Il ajouta une ceinture marron pour le style et agrippa son grand trench-coat noir de la marque Burberry pour lequel il avait dépensé une petite fortune. Il enfila sa paire de Timberland, vestige de son adolescence qui ne l’avait jamais quitté, car jamais déçu. Ce type de chaussures alliaient selon lui : classe, confort et efficacité sur le terrain. Elles dénotaient clairement avec le reste de sa tenue, mais il s’en moquait.

Une fois habillé, il se lava les dents, prit sa mallette d’ordinateur dans laquelle il déposa son mac, papier, crayon et son arme de service. Il sortit de l’hôtel et se dirigea vers sa voiture.

Il alluma le contact, configura son téléphone sur le Bluetooth du véhicule, ainsi, il pourrait appeler Ingrid pendant le trajet pour lui donner ses directives et lui poser quelques questions.

Après quelques kilomètres de route de campagne, il arriva sur un grand axe direction Laval. Il composa le numéro qu’Éric lui avait donné la veille et lança l’appel. La directrice décrocha après 2 sonneries :

— Oui allo bonjour, dit-elle en décrochant d’une voix parfaitement éveillée malgré l’heure matinale.

— Bonjour Mme Mortin, Alexandre Barrat de la brigade criminelle. Je me permettais de vous appeler pour échanger au sujet de la découverte qui a été faite dans l’une de vos grottes hier. Je suppose que vous avez été informée, commença Alex.

— Bonjour, Monsieur, oui j’ai évidemment été informée le plus tôt possible. J’étais malheureusement en convention dans le sud de la France sinon vous m’auriez vu sur place hier. Que puis-je faire pour vous ? répondit-elle dans la foulée.

— J’ai échangé avec l’un de vos employés hier qui m’a donné votre numéro, j’aurais besoin de faire le point avec vous sur divers sujets, reprit Alex.

Elle le coupa et répondit directement :

— J’arrive sur Saulges dans une heure, on peut faire ça dans mon bureau si vous le souhaitez, je suppose qu’il va vous falloir la liste des employés, des informations sur les clefs, le fonctionnement du musée et des grottes, enfin tout ce qui peut vous avancer dans votre enquête ?

Éric n’avait pas menti, visiblement le débit de parole allait être rapide et les réponses très complètes. Et encore, il n’était pas entré dans le vif du sujet pour le moment.

— Je dois malheureusement passer sur Laval pour récupérer officiellement l’affaire. Ce sont les gendarmes qui sont arrivés les premiers sur place et qui ont auditionné votre employé Farid. Je dois reprendre les rênes et je reviens au musée. Pouvez-vous contacter tous les employés ? J’ai besoin de rencontrer tout le monde cet après-midi. Je serai là sur les coups de quatorze heures.

Elle répondit positivement à sa requête. Ils se saluèrent, et Ingrid raccrocha.

Alex arriva à Laval aux environs de 9 h. Il gara la voiture à quelques pas de la gendarmerie sur un grand parking gratuit. Il devait normalement être à destination du public de la salle de spectacle de la ville. En l’absence d’événement, il était presque vide.

Il sonna à l’interphone de la gendarmerie, après quelques sonneries, un gendarme parla dans l’interphone.

— Bonjour, comment puis-je vous aider ?

— Bonjour, je suis Alexandre Barrat de la criminelle, je viens voir le sergent Ledoux rapport au corps découvert hier sur Saulges.

Pas de réponse, mais un clic au niveau du portail. Le gendarme venait de lui ouvrir. Il entra et passa les deux portiques de sécurité sans encombre. Pour accélérer les choses et éviter un contrôle approfondi, il avait anticipé et laissé son arme de service dans la voiture. Pas très autorisé, mais personne ne viendrait lui faire de remontrance à trois heures de Paris.

À peine entré dans la salle d’accueil, le sergent Ledoux déboula des escaliers, le type avait vraiment une sacrée envergure, un colosse comme rarement on en croise. Malgré ce physique imposant, il avait un visage très doux et une voix grave, mais apaisante. Il s’approcha d’Alex en tendant la main, le type était tout sourire. Il s’exclama d’une voix forte.

— Bonjour, Barrat, comment allez-vous aujourd’hui ? Pas trop retourné par la journée d’hier ?

— Bonjour Ledoux, oh vous savez j’en ai vu d’autres, répondit Alex un peu déstabilisé par l’intensité du regard du sergent.

— Suivez-moi, on va aller dans mon bureau puis je vous emmènerai voir Farid, lâcha le colosse sans préambule.

Les deux hommes prirent les escaliers d’où venait Ledoux, ils montèrent deux étages, prirent un petit couloir et entrèrent dans la seconde pièce sur leur droite. Le gendarme contourna son bureau et s’assit derrière son ordinateur. Il invita Alex à s’asseoir sur la chaise disposée juste en face de lui. Alex posa sa pochette d’ordinateur à ses pieds et s’assit. La pièce qui l’entourait était petite, mais très chargée. Sur les murs, de grandes étagères exposaient divers objets provenant vraisemblablement de saisie ou de confiscation : grinder, bang, pipe à crack et autres objets liés à la drogue. Tous ces objets donnaient une coloration vert jaune rouge à la pièce en raison des multiples drapeaux jamaïcains présents sur une grande partie des objets saisis. Sacré Bob Marley, se dit Alex en souriant.

— Vous avez fait bonne route ? demanda Ledoux pour amorcer la discussion.

— Excellente, merci ! répondit poliment Alex.

— Parfait ! De notre côté, on a pu auditionner le jeune guide qui a découvert le corps. Ça lui a fait un choc au gamin, il a mis plusieurs heures à se remettre de la scène et il a eu pas mal de mal à mettre des mots sur ce qu’il a vu, commença Ledoux.

— On n’a pas pu en tirer grand-chose, il est juste arrivé le premier au mauvais endroit. Je ne pense pas qu’il sache quoi que ce soit malheureusement, mais je vous laisserai en juger par vous-même.

— Il est encore là ? demanda Alex, un peu surpris par la longueur de la déposition.

— On l’a raccompagné chez lui hier en lui demandant de revenir ce matin, on se doutait que vous voudriez le voir, répondit calmement Ledoux. Il a l’air d’avoir repris des couleurs après une nuit de sommeil. On l’a fait patienter dans un bureau juste à côté, je vous y emmène ?

— Dans une minute oui, mais avant je voudrais savoir s’il est possible que je fasse appel à vos services si le besoin s’en fait ressentir ? On m’a envoyé ici sans équipe et il est probable que j’ai besoin de bras pour venir à bout de ce micmac. Alex allait sans doute avoir besoin de locaux pour auditionner du monde ou même de force vive pour appréhender le meurtrier quand il l’aurait coincé.

— Sans soucis, répondit le colosse.

— Vous me passez un coup de fil et je débarque. Si je suis pas dispo, je vous enverrai mes gars. Pas de guéguerre police-gendarmerie par ici, on bosse main dans la main et on s’entraide. C’est le meilleur moyen pour que tout se passe bien et qu’on attrape les méchants comme dirait l’autre. Ledoux éclata d’un rire sonore en se levant.

— Allez je vous emmène, suivez-moi !

Alex se leva, prit sa sacoche et lui emboîta le pas. Ils redescendirent d’un étage et entrèrent dans un petit bureau assez similaire à celui de Ledoux à la différence qu’il n’avait aucune décoration, rien que des armoires à dossiers, une table et quatre chaises. Sur l’une de ces chaises était assis un homme basané d’une trentaine d’années. Farid très certainement. Le jeune homme était petit, un mètre soixante-dix à vue de nez, il avait les cheveux mi-longs et frisés laissant percevoir qu’une coupe afro pourrait rapidement pointer le bout de son nez s’il laissait sa chevelure sans contrôle. Il possédait un visage anguleux, de larges cernes traversaient son visage du haut des joues jusqu’au coin des yeux. Il avait l’air exténué, pas étonnant au vu de sa journée d’hier, son regard restait malgré cela vif et éveillé.

Ledoux fit rapidement les présentations :

— Farid, je te présente Alexandre Barrat de la police criminelle, c’est lui qui va s’occuper de l’affaire. Le ton du gendarme était très familier. Alex se dit que les deux hommes avaient dû passer plusieurs heures ensemble, cela crée forcément une certaine proximité. Surtout quand il s’agit de ce genre de sujet. Le colosse avait en plus une grande aisance et joie de vivre qui l’amenait à tutoyer facilement.

— Barrat, je vous présente Farid Dorne.

Alex et Farid se serrèrent la main en prononçant le « enchanté » d’usage puis le gendarme repris.

— Je vous laisse faire connaissance, je vais chercher des cafés pour tout le monde. Le colosse sortit de la pièce en sifflotant, ferma la porte et laissa les deux hommes seuls dans la pièce.