De si belles déchirures - Moquaden Shomiti - E-Book

De si belles déchirures E-Book

Moquaden Shomiti

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Beschreibung

Cybèle est l’épouse d’un grand reporter international souvent absent. Voyant ses trois adolescents quitter simultanément le cocon familial, elle glisse pas à pas vers une dépression. Son mari lui propose l'aide d'un coach, Alexandra, mais elle découvre plus tard que cette dernière est la maîtresse de celui-ci. Son monde s’écroule. Toutefois, « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », disait Paul Éluard. Parfois, les certitudes ne sont qu’apparences. Cybèle devra plonger dans ses déchirures pour trouver cette vérité enfouie au fond d’elle-même…


À PROPOS DE L'AUTEUR 


Moquaden Shomiti est un passionné de logique mathématique et de littérature. Auteur de nombreux récits, nouvelles et pamphlets, il a participé à plusieurs blogs sur l’écriture. Inspiré par une histoire réelle et par ses lectures, il récidive avec De si belles déchirures.

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Seitenzahl: 425

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Moquaden Shomiti

De si belles déchirures

Roman

© Lys Bleu Éditions – Moquaden Shomiti

ISBN : 979-10-377-9137-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Touché en plein Caire – 2021 – Le Lys Bleu Éditions ;

Les chants d’amour aux lèvres des statues – 2018 – éditions Beaurepaire.

Décalage de mon axe sur un aller Tokyo-Paris

Allongée dans le lit du minuscule appartement que j’occupe dans le treizième arrondissement, je cherchais le sommeil. En réalité, mon niveau vibratoire ne me permettait pas de l’atteindre. Nous étions, lui et moi, sur deux planètes différentes. J’étais plongée dans un rêve éveillé et je me pinçai le bras pour être certaine que j’étais bien là. Cela n’allait pas m’aider dans ma quête de Morphée. Mon monde avait tourné si rapidement en 24 heures !

Si la rotation de la Terre s’effectue en moyenne en 23 heures, 56 minutes et 4,1 secondes autour de son axe de 23 degrés et 26 minutes, la rotation de nos mondes intérieurs peut suivre cette même temporalité et ainsi entraîner un décalage de nos vies sur un axe identique dans cette période si courte. 24 heures, et tout bascule. La terre a fait un tour sur elle-même. Je suis de retour de Tokyo et mon axe de vie est désaxé d’au moins 23 degrés.

Tokyo. Mandatée par mon entreprise pour élaborer un accord de commercialisation d’un logiciel informatique sur l’Asie, avec un partenaire nippon spécialisé dans le domaine, j’avais déjà effectué trois voyages dans ce si fabuleux et contrasté pays. Les discussions avaient été menées tambour battant et nous avions fixé le cahier des charges des modifications à effectuer pour rendre notre logiciel compatible avec les usages en Asie. Cette dernière réunion consistait en une finalisation de cet accord sur le document technique et permettrait d’asseoir la phase marchande proprement dite.

J’avais demandé à mon patron de venir avec moi rencontrer les dirigeants de l’entreprise nippone. J’avais essuyé un refus poli, mais net. C’était à moi de mener cette négociation. J’eus beau arguer que les Japonais étaient sensibles aux honneurs, à la politesse et que sa participation serait un geste qui les honorerait, rien n’y fit. Tout juste consentit-il, après moult palabres, à envoyer un cadeau sous la forme d’une caisse d’excellent champagne. Là encore, j’aurais préféré de loin un grand cru d’un château bordelais avec photo dudit château, plus en accord avec la phase actuelle de nos échanges, et mieux perçu par nos hôtes. Le vin effervescent si réputé aurait été de mise à la signature de l’accord commercial final.

Mon « boss » ne daigna pas me suivre sur ce point. J’appris rapidement que sa famille détenait quelques chais du côté d’Épernay, et qu’il avait peur en avion. C’était ce qu’il racontait. En fait, son épouse était très malade et cela lui interdisait des déplacements lointains. C’était hautement regrettable pour elle, mais aussi pour les affaires.

J’abordai cette réunion à Tokyo avec une confiance toute relative. Je m’excusai au nom de la société de l’indisponibilité de son dirigeant. En retour, j’eus de légers signes de tête qui pouvaient me faire accroire à un assentiment ou à un sentiment de réelle compréhension. Je sentais que derrière l’impassibilité des visages se cachait une vraie déception. J’avais en face de moi sept hommes, cadres de haut niveau. L’ambiance était glaciale. Je frissonnais dans mon corsage bien boutonné sur un tailleur strict bleu. À penser qu’ils avaient diminué exprès la climatisation… Nous étions debout face à face, de chaque côté de la table. Personne ne m’avait invitée à m’asseoir. Aucun rafraîchissement sur la table vide, hors deux contrats posés devant nous.

Nous signâmes l’accord : le cadre technique japonais, sur un signe du dirigeant, parapha les deux exemplaires d’un geste vif, les retourna et les poussa devant moi. Ce fut mon tour d’apposer ma griffe sur les documents. Il semblait hors de question pour le patron de mettre son nom sur cet accord sans avoir en vis-à-vis un interlocuteur d’égal niveau.

Mes interlocuteurs ne voyaient en face d’eux qu’un petit bout de femme et ressentaient de l’humiliation à ne pas être considérés comme ils le devaient. Nous prîmes le vague engagement à continuer à travailler prochainement sur la partie commerciale depuis nos sites respectifs.

Les hommes se raidirent sur un signe du patron, me saluèrent d’une courbette du buste et quittèrent la salle, en me laissant un exemplaire de l’accord approuvé et la caisse de champagne non ouverte, posée sur une desserte éloignée de la table. La secrétaire réapparut pour me guider vers la sortie, avec un sourire poli, et des tout petits pas rapides.

Techniquement, du point de vue européen, j’avais réussi ma mission. L’accord était paraphé. Nous allions pouvoir mettre les équipes techniques en ordre de marche. Du point de vue de la culture nippone, c’était un outrage, malgré la caisse de champagne. L’affront m’avait été poliment, clairement renvoyé. Sachant que j’étais considérée comme le numéro deux de l’entreprise française, le responsable financier japonais aurait dû signer. Le responsable technique qui avait paraphé l’accord devait être le numéro six ou sept dans la hiérarchie de la société nippone.

Je sentais que la poursuite des discussions exigerait beaucoup plus : je devrais revoir ce cadre qui avait signé le contrat au nom de sa société, l’inviter à un dîner onéreux et à un spectacle, accepter une invitation en retour à visiter sa famille, offrir un cadeau à sa femme, de préférence un sac à main ou un habit griffé, puis convaincre le directeur financier de me recevoir, renouveler une invitation… Il était même probable que je devrais gravir les échelons de la hiérarchie un à un jusqu’à atteindre « numéro deux ». Quant à voir de nouveau M. Kumosora, le grand patron, cela semblait exclu définitivement.

Tout ceci m’obligerait à revenir à Tokyo plusieurs fois encore et à y rester de longues semaines probablement. Les frais promettaient d’être élevés. Tout cela parce que mon boss avait peur de l’avion ou ne pouvait confier son épouse à une garde-malade. Sachant cela, pourquoi être allé chercher une alliance avec une société nippone ?

La vision étroite d’un cadre formel de relations commerciales à l’Anglo-saxonne se heurtait de front à la culture asiatique et au respect des traditions.

Envoyer une femme seule était une aberration, la caisse de champagne, une idiotie, mes excuses ne valaient rien et restaient purement formelles. Une offense, un cadeau hors contexte pris à la va-vite, des phrases de regret prononcées par une femme à un aréopage de dirigeants masculins. Nous avions tout faux. Je le savais. J’avais tenté de circonscrire ces bévues. J’avais échoué. Je quittai l’hôtel rapidement, commandai un taxi et me précipitai à l’aéroport. Un vol de nuit était possible, via Air France, pour Paris.

Je pénétrai dans l’avion, le moral en berne, l’air maussade, traînant derrière moi un attaché-case rempli d’affaires personnelles. J’avais délesté en soute la valise avec les dossiers techniques de ce projet que je percevais maintenant bien lointain dans sa réalisation finale. Le plus difficile serait de faire comprendre à mon patron en quoi un succès apparent était en fait un désastre. Je n’avais pas besoin de dossiers techniques pour réfléchir à cette question pendant ce vol.

L’hôtesse contrôla mon billet et m’indiqua la classe business sur le pont supérieur du gros A380. Ma place était la dernière de l’espace cabineaux trois-quarts vide. Arrivée à ce stade, je constatai qu’un homme occupait une des deux places prévues.

Occidental, jeune, élancé, il me rappelait vaguement quelqu’un, sans que je puisse mettre un nom sur ce visage buriné par le soleil ou par des séances intensives d’UV. Il se leva souplement à mon arrivée, me gratifia d’un grand « bonsoir… » en traînant un peu sur le mot appuyé d’un large sourire.

Il me proposa de choisir le siège qui me convenait le mieux, côté hublot ou côté couloir, ajoutant qu’il y avait aussi d’autres places disponibles plus avant, que je pourrais utiliser une fois le décollage effectué, si sa présence me gênait.

Il assura tout aussitôt que cela lui briserait le cœur si je dérogeais à la disposition prévue par la compagnie et qu’il aurait du mal à passer une nuit sereine, les turbulences aériennes n’étant rien par rapport à celles de sa déception. Ce serait « comparer un toboggan d’enfant par rapport aux montagnes russes du célèbre grand huit Six Flags Magic Mountain de Santa Clarita, situé à une heure de route au nord-est de Los Angeles. » Il récita cette tirade d’un seul jet, en imitant l’accent yankee un peu râpeux d’un fermier du Minnesota.

« Encore un dragueur, un beau parleur ! » pensais-je, mais forte de son affirmation que je pourrais m’éloigner dès le décollage de l’avion, et soucieuse de me distraire un peu sous un babillage qui promettait d’être divertissant, je choisis le siège hublot pour me délecter des lumières de Tokyo vues du ciel, que mon voisin eut l’aimable gentillesse de me laisser contempler en silence pendant qu’il lisait un magazine japonais. Il parlait le yankee du terroir, connaissait la Californie et lisait les kanjis japonais.

Pour un Français, s’il fut Français, c’était pas mal ! Il avait un regard oscillant, variant entre le bleu et le gris, énigmatique et moqueur tour à tour, mais chaud, doux, profond, enveloppant.

Après quelques minutes consacrées à écouter d’une oreille distraite les consignes de sécurité de l’hôtesse sur un écran vidéo et à parcourir un journal de voyage mis à disposition par la compagnie, nous eûmes les bons souhaits de voyage du commandant de bord, de l’hôtesse qui s’enquit de notre confort et à qui je demandai une couverture supplémentaire, la température étant basse.

Mon voisin se présenta alors :

— Nous ne nous sommes pas encore présentés. Je m’appelle Peter Rawling, globe-trotter écrivain et journaliste à mes heures. J’arrive de Nagasaki où j’ai participé à un séminaire international très ennuyeux sur les finances mondiales pour le compte d’une revue mondialiste.
— Cybèle Cartier, Cybèle c’est C. y. Je suis directrice financière et marketing d’une société informatique française et je rejoins Paris après une séance de travail à Tokyo.
— Votre prénom vient du grec kubelê si je ne m’abuse et fait référence à la nature, non ?
— Je ne sais précisément, mais j’aime passionnément la nature. Merci de n’avoir pas fait les éternelles plaisanteries à l’énoncé de mon prénom « si belle depuis sa naissance, si belle comme le jour sans fin, si belle à croquer ou si belle et si peu intelligente, si belle et si méchante… » J’en entends chaque jour une variante différente.
— Ce genre de blague est très facile et c’est très réducteur. Et puis, vous n’êtes pas responsable de votre prénom… Si cela vous pesait trop, vous en auriez changé ou pris un pseudonyme.
— C’est juste. Je me suis beaucoup fâchée au sujet de ce prénom, puis je l’ai accepté et finalement, je l’aime beaucoup. Tant de personnes se sont intéressées à ma partie physique, l’ont détaillée, l’ont commentée, critiquée et ont ignoré qui je suis réellement à l’intérieur, que j’en ai éprouvé de l’amertume, du chagrin. Mais maintenant, j’en ris volontiers, car cela me sert de protection en quelque sorte.
— Donc, belle à l’extérieur, belle à l’intérieur, vous êtes Sissi, l’impératrice de vos rêves, je suppose…
— Ne soyez pas moqueur… Vos yeux rient, votre sourire s’élargit et vous dîtes des horreurs : comment faites-vous ce tour de magie ?
— Cela relève d’une longue pratique, d’un travail acharné pour charmer les jeunes dames, mais vous m’avez percé à jour à la première réplique. Vous êtes très perspicace. Je vais devoir passer au plan B…
— Ah, il y a un plan B ! En quoi consiste-t-il donc ?
— À chercher en quoi je puis vous aider !
— En quoi vous pouvez m’aider ? Vaste programme qui nécessiterait de me connaître mieux, vous ne trouvez pas ? Désolée, mais vous supposez que j’ai besoin d’aide ! Qu’est-ce qui vous permet de penser cela ?
— Je réponds aux deux questions : vous connaître mieux est bien désormais mon but car vous m’intriguez. Je suis écrivain et les rapports humains me passionnent. Je suis aussi journaliste et enquêter, questionner, chercher la vérité sont des qualités intrinsèques à ce métier. De l’aide, pourquoi ? De manière générale, vous connaissez quelqu’un sur cette planète qui n’ait pas besoin d’aide ?

Plus spécifiquement, depuis mon siège au fond de la carlingue, je vous ai vue traverser l’habitacle, déterminée, tendue, stressée. Vous avez buté contre un siège alors que l’avion était bien posé sur le sol et qu’aucun tremblement de terre ne nous avait effleurés. Vous avez jeté votre attaché-case dans le porte-bagage, claqué la porte du coffre, vérifié votre place et votre idée était de maugréer après cet inconnu qui allait être assis à côté de vous.

Une petite voix vous a peut-être même susurré que décidément, non, ce jour, vous n’aviez pas de chance. J’ai donc fait profil bas en vous indiquant que vous auriez de la place dans cette classe affaires après le décollage, mais j’y ai aussitôt ajouté une remarque que j’espérais humoristique sur les montagnes russes d’un grand huit que nous allons survoler dans quelques heures. J’ai tenté de vous rassurer et de vous amuser. Cela fait partie du plan A, et aussi du plan B. C’est le début de tout plan d’approche d’un homme auprès d’une jolie femme pleine de charme…

— Vous revenez au plan A ? Vous êtes insaisissable…
— Oui, je sais, on me surnommait l’anguille quand j’étais jeune… Mais j’aime tellement être saisi par l’élégance, l’humour d’une jolie dame.
— Oui, bon ! Qu’est-ce qui vous fait dire que « décidément, non, ce jour, je n’avais pas de chance » ?
— Ce n’est pas le cas ?
— Vous n’êtes pas drôle, Peter Rawling, vous répondez à une question par une question !
— J’ai supposé que votre attitude physique était le résultat d’une agitation mentale importante traduite par des résultats que vous jugiez négatifs.
— Et si c’était le cas ? »

La discussion fut interrompue par l’hôtesse nous proposant des rafraîchissements. Nous optâmes pour un Bloody-Mary afin d’accompagner notre dialogue plaisant. J’en profitai pour aller me laver les mains et le visage aux toilettes et rectifier mon maquillage déclinant. Je souhaitais rester maîtresse de mon apparence et de ma féminité. Surtout dans un avion en face d’un bellâtre, certes sympathique et cultivé, mais bellâtre toutefois. Mon retour coïncida avec l’arrivée des cocktails. Nous les dégustâmes lentement. L’alcool fort me fit du bien et me donna un coup de fouet, chassant un peu l’humidité régnant dans ce début de saison des pluies de la capitale nippone.

— Le jus de tomate n’est pas assez frais et la sauce Worcestershire est en trop grande quantité, mais cela mérite la moyenne dans un vol classe affaires. Comme on entre dans cette partie de saison appelée tsuyu ou « pluies de prunes », permettant aux prunes de pousser, un umeboshi ou prune-abricot aurait été de bon usage avec ce Bloody. Son caractère amer, acide et salé tout à la fois aurait relevé la vodka. Au bord d’une piscine à Harbour Island, devant la mer turquoise des Bahamas, tous les deux allongés sur un sofa, servis bien frais, ces cocktails seraient délicieusement adoptés.
— Vous rêvez…
— Oui, c’est mon métier d’écrivain de fournir du rêve !
— Non, tous les deux, allongés sur un sofa, là, vous rêvez, je vous assure…
— Ah, d’accord, retour au plan B ! dit-il avec des yeux si rieurs, si gentils, si adorables, que j’en fus toute secouée. Heureusement, l’appareil fit une embardée qui cacha mon trouble.
— Oui, le plan B. Vous vouliez m’aider… J’en reviens à ma question : comment ?
— Ah, ce fameux comment… Pourrions-nous poser en premier la question « pourquoi » ? Pourquoi vous aider ? Parce que vous en avez besoin, parce que je peux peut-être vous apporter conseils, suggestions, relations ou toute autre aide.

Pour ne plus voir sur votre visage la tension de tout à l’heure, pour ne plus voir les cernes se creuser sous vos yeux, ceux que vous avez cachés sous un léger maquillage pendant la digression imposée par notre hôtesse !

— Vous êtes un bien vilain personnage !
— Merci de cette première caractérisation ! C’est un bon début ! Nous progressons ! Vous sortez probablement d’une réunion d’affaires et disons que nos amis japonais n’ont pas été très conciliants.
— En effet !
— Peut-être même, vous ont-ils traitée avec commisération. Les femmes, fussent-elles occidentales, ne sont pas souvent les bienvenues en affaires. Si vous étiez seule pour représenter votre société, ce devait être difficile pour eux de vous accorder l’attention que vous méritez. Je me trompe ?
— Continuez…
— Les Japonais sont pragmatiques, mais ils obéissent à des règles fortes. Si par ignorance, vous avez violé une de ces règles, vous aurez du mal à conclure une affaire avec eux. Même si le business est intéressant pour eux. Il faut respecter les formes, les codes, les normes…

Vous envoyer seule par exemple pour négocier serait une erreur regrettable, peut-être pas rédhibitoire, mais difficile à corriger.

— J’étais seule pour représenter ma société.
— Aïe, cela ne va pas être facile… » Son visage reflétait un air si contrit et si désolé qu’il devait inspirer et aspirer la tendresse en retour.
— Quel comédien ! pensais-je.
— Et si vous me racontiez votre problème, dans le respect des affaires et de leur confidentialité, naturellement ?
— En quoi cela peut-il vous intéresser ?
— Votre affaire en rien, vous en totalité, et vous apporter une aide si c’est possible, je vous l’ai dit.
— Vous êtes têtu, ce n’est pas croyable… Je n’ai pas besoin d’aide !
— De vilain, je suis devenu têtu. On progresse toujours ! J’ai travaillé au Japon suffisamment longtemps pour en comprendre les rouages, en déjouer les pièges et vous permettre de vous affirmer dans ce pays complexe.
— Et vous vous y connaissez en affaires ? Je vous croyais porté sur le rêve et les enquêtes.
— Je sors d’un colloque international sur les finances. J’ai créé au Japon un business florissant, avec trois sociétés, autour du livre français et de la culture française. Business que j’ai cédé à des amis, il y a trois ans. Alors, je pense que oui, je connais les affaires… »

Je restai coite et repris ma revue, boudeuse. Je n’avais pas à poursuivre cette chicane avec ce Monsieur Rawling trop intentionné à mon égard et trop pédant. Je le surveillai du coin de l’œil. Un sourire perlait sur ses lèvres, mi-ironique, mi-mutin.

Il me regarda avec douceur et ferma les yeux.

— Je vais tenter de faire une mini-sieste. Et je vous précise que je ne ronfle pas.

J’entendis rapidement un souffle lent et long s’échapper du siège d’à côté. Nous en étions là quand le repas fut servi. Mon colocataire de siège fut charmant, surtout avec l’hôtesse, lui prodiguant conseils, remarques et force sourires. Nous soupâmes d’un plat de poisson en sauce piquante, d’un riz gluant, d’un thé vert brûlant pour lui, d’un soda pour moi et d’un gâteau à base de miso d’orge. Il fut prévenant à mon égard, se souciant de la chaleur de mon plat, de mon goût pour le dessert, rappelant l’hôtesse pour qu’elle m’apporte de l’eau minérale.

Le repas se déroula sans débat particulier sinon celui autour des commodités d’un repas. Il m’expliqua les différentes sortes de riz et me vanta les qualités énergétiques d’un riz gluant que je ne terminai pas.

Après le repas, l’hôtesse proposa couvertures et oreillers pour que nous puissions dormir. La lumière fut baissée au minimum. Je n’avais pas eu le temps de statuer sur le fait de dormir à ma place ou à une autre place disponible dans la cabine.

Nous nous mîmes à chuchoter et à rire comme des gamins devant le spectacle devant nous, sur la rangée du milieu. Un monsieur avait retiré chaussures, veste et pantalon, avait plié le tout sur un siège et en caleçon fleuri se balada jusqu’aux toilettes situées un peu plus à l’avant, puis revint. Après quelques allers et retours, il fit quelques exercices d’assouplissement dans le couloir, tendant les bras à l’horizontale et pliant les jambes. Il finit par entrer dans les toilettes, y resta quelque temps et revint. Quelques minutes plus tard, un ronflement régulier s’élevait de la partie centrale.

Adieu, l’idée de trouver une place dans cette partie. Je ferais mieux de rester à ma place assignée.

Puisque j’étais condamnée à la présence de ce Peter au nom étrange, je l’interrogeai doucement :

— Au Japon, vous croyez qu’une femme puisse réussir en affaires ?
— Oui, sans difficulté, si vous portez des jupes longues, des talons plats, pas de lunettes, les cheveux coiffés en queue de cheval, ou en chignon, mais noirs, sans bijoux. Il y a un véritable code vestimentaire pour les femmes.
— C’est fou ! Ils ont des siècles de retard sur ce point !
— Oui, mais ils ont des siècles d’avance sur d’autres points. Au Japon, l’esprit médiéval est encore présent. Ils sont passés de l’époque des samouraïs à celle des ordinateurs avec tous les excès et les désordres liés à ces deux modes de culture qui se télescopent. Le shogunatTokugawa – une dynastie de généraux tout-puissants – se termine à la fin de l’époque d’Edo en 1868 et fait place à l’ère Meiji de restauration de l’empire du Japon. L’année 1868 marque la fin de l’époque des samouraïs. C’est une date relativement récente. L’expansion du Japon, due à la reconstruction à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, a été fulgurante. Les idées n’ont pas été aussi rapides à muter que le fit l’économie.
— Oui, mais pourquoi des chaussures plates ?
— C’est un vrai problème posé et des militantes célèbres ont exigé que, par la loi, ces codes vestimentaires soient revus. Porter des talons hauts, s’habiller avec des jupes courtes sont considérés comme « mauvais genre », « femme facile ». Les Japonais ont un proverbe : « Le clou qui dépasse est frappé avec un marteau. » Il ne faut pas être le clou. Des avancées fortes ont été réalisées à la ville, dans la jeunesse, au cinéma… mais l’entreprise résiste encore.

Pourtant, en 1920, un tiers des enseignants du primaire sont des enseignantes. À cette époque, elles sont autorisées à s’organiser politiquement et à assister à des meetings politiques, mais les guerres, une politique ultraconservatrice vont malmener ces droits naissants.

— Il n’y a donc pas de femmes d’affaires japonaises ?
— Si fait ! Internet a révolutionné aussi les affaires. Il y a de vraies femmes dirigeantes de sites, d’entreprises numériques, vivant d’ailleurs souvent sur la côte ouest des États-Unis, telle Marie Kondo qui a donné son nom à un concept le kondo, inspiré du shintô, qui est un mode de rangement, de classement.

Pour Marie Kondo, tout objet a une âme et on ne doit conserver que les objets qui nous procurent du bonheur, depuis les vêtements jusqu’aux e-mails. Vous voyez, le concept a été poussé très loin, venu du fond des âges dans la modernité.

Elle a écrit un best-seller La magie du rangement où elle explique que si vous rangez, vous serez mieux dans votre tête. Le kondo traverse aujourd’hui les entreprises nippones qui l’ont adopté.

Par ailleurs, au Japon, dans la tradition, tout lieu a un ou plusieurs kamis ou dieux qui l’habitent et le protègent. Quand vous vous rendez quelque part, il vous faut demander aux kamis de l’endroit l’autorisation de venir, de pénétrer en ce lieu. Ainsi, vous auriez dû le faire avant de pousser la porte de la Société avec laquelle vous êtes en discussion. Vous voyez, c’est tout un système de valeurs à connaître, à respecter. D’autant plus si vous êtes une femme.

— Ce matin, je n’ai rien demandé à quiconque, je n’ai pas vu de kami, mais peut-être le chauffeur de taxi, muet comme une tombe, portait-il ce nom…
— Ne vous moquez pas, sinon votre éducation sera incomplète…
— Mon éducation ? Monsieur Rawling, vous êtes pédant !
— Non, n’y voyez pas malice ! Ne pas connaître les règles vous rend fragile. Fragile, vous êtes exposée. Exposée, vous êtes à la merci du premier coup de ken, le sabre des samouraïs, ou de bô, ce long bâton des anciens guerriers qui sommeillent au fond de vos hommes d’affaires cravatés, policés et manucurés.

Pour en revenir à votre question, il y a de grandes dames nippones. Des sportives : au tennis, la championne Naomi Osaka, a été victorieuse à l’US Open en 2018 et de l’Open d’Australie en 2019, excusez du peu. Des écrivaines : Mieko Kawakami ou Ito Ogawa. Des politiques : Yuriko Koike, première femme ministre de la Défense, gouverneure de Tokyo, elle avait en charge la préparation des JO 2020 reportés. Elle souhaitait placer ces jeux sous le signe du développement durable. On pourrait citer des comédiennes, des chanteuses…

— Oui, mais à la tête d’entreprises ? m’impatientais-je en élevant la voix.
— Chut, vous allez nous faire remarquer. Une femme qui élève la voix est incorrecte. Même dans un avion en partance pour Paris. Il y a peu de femmes aux postes suprêmes des entreprises, il est vrai. J’ai la connaissance d’une femme d’affaires à Kyoto qui a succédé à son père à la tête d’une énorme entreprise. Le conseil d’administration a voté contre sa nomination. Son père l’a imposée contre vents et marées. Elle était bardée de diplômes étrangers et avait travaillé comme CEO (Chief Exécutive Officer) dans une grande société américaine.

Malgré le fait qu’une partie du staff soit partie suite à sa nomination, elle a remis la direction en ordre de marche, s’est appuyée sur des investisseurs étrangers et le chiffre d’affaires a été multiplié par deux.

La question de l’égalité entre les sexes est un véritable problème dans le pays. Une institution, le World Economic Forum, souvent appelé forum de Davos, place sur ce point, le Japon au 110e rang sur 149 pays étudiés, derrière la Chine (103e), et très loin derrière tous les autres pays du G7.

Pensez que dans le Japon médiéval, des onna-bugeisha, des femmes combattantes issues de la haute société, se battaient aux côtés des samouraïs. Plusieurs films ont retracé ces épopées.

Dans le Japon actuel, parmi les mères de famille, un quart seulement travaille à plein temps. Mais les choses évoluent, car la jeunesse pousse fortement au changement. »

Je restai quelque temps sans voix devant cette description. L’imbrication de la féodalité et de la modernité rendait le pays complexe à comprendre pour un étranger de passage et je me rendais compte du nombre d’erreurs que j’avais dû commettre pendant cette année, à mon corps défendant. Mais comment faire pour redresser cette situation ?

Tout doucement, d’une voix câline, qui cherchait à se faire pardonner des propos antérieurs un peu rudes, je demandai à mon compagnon de voyage si je pouvais lui raconter ma situation actuelle avec l’entreprise nippone.

— Oui, me répondit-il, parlez bas et appuyez votre tête sur le dossier, près de mon épaule, comme cela vous serez proche de mon oreille. Ce sera plus discret et plus sûr pour les secrets que vous allez me confier.

J’eus un mouvement de recul.

— Je blague, jolie Cybèle, je blague.

Son ton avait baissé, était doux, son souffle léger. Ses yeux gris acier semblaient s’amuser une fois encore, mais j’étais contente qu’il ait mentionné mon prénom, associé à cet adjectif court : jolie.

— Ne revenez pas au plan A », lui dis-je, mais ma voix était chevrotante, hésitante. Je perçus un sourire éclatant dans la pénombre. Il semblait heureux, ce bougre, de la situation créée.

Je lui narrai dans les grandes lignes mon projet puis je m’enhardis et revins sur de nombreux détails, concernant l’entretien du jour et la signature de l’accord technique. Peter m’écouta sans m’interrompre, concentré, et garda le silence quelque temps.

— Merci de la confiance que vous m’avez accordée, dit-il enfin. J’en suis touché. Le plus important du point de vue des affaires est la signature de cet accord. Vous avez réussi et vous devez être fière, très fière. Connaissant maintenant ce que je vous ai dit sur la place des femmes dans les entreprises, le fait que le patron et le comité de direction se soient déplacés est indiscutablement une marque de respect pour le travail que vous avez accompli. Bravo. Je vous le dis en toute franchise. C’est à noter, car c’est rare.

Et il répéta ce mot « bravo » en me tapotant la main, comme à un vieux pote. Dans ce geste, il n’y avait pas de référence à un plan, mais uniquement de la sincérité et du respect pour ce que j’avais accompli. Je le perçus comme tel.

— Maintenant, que faire ? C’est la question que tu te poses. Je passe au tutoiement, c’est plus facile et je pense qu’on peut procéder ainsi. La situation est simple et compliquée toute à la fois.

La direction nippone est pragmatique et si elle a signé, c’est qu’elle y trouve son compte. Il y a des perspectives rapides de développement pour eux. Mais cela, tu le sais.

Le problème est dans le ressenti, dans la forme, dans le code d’honneur, dans la place de chacun, selon sa culture.

Tu as froissé des sensibilités. Mais pour un Japonais, le pire, c’est d’être mortifié ou de le ressentir. Tu n’en es pas là. Tu n’as humilié personne. Tu as blessé, mais tu es une étrangère, un Japonais considérera que c’est par ignorance, pas par volonté.

Le patron a mal vécu de devoir signer avec toi. Il a refusé de signer. Mais il est réaliste, l’accord a été signé par un adjoint. Tu l’as mis dans une position délicate devant son staff, mais il t’a renvoyée dans les cordes. Point final. Tu as raison, il ne te recevra plus.

— OK, mais alors comment avancer ?
— Tu pourrais, comme tu le proposes, contacter le signataire et remonter dans la hiérarchie. Ce serait agir comme ils l’attendent de la part d’un Gaijin, d’un étranger. Ce serait te mettre dans une position d’infériorité, de culpabilité, de soumission aux règles. Tu as fait une erreur et tu chercherais à la réparer, mais à « l’occidentale ».

Le jour où tu entrerais dans l’entreprise de nouveau, chaque employé connaîtrait tes motivations et celles du boss. Ils ne connaîtraient pas en détail le but de ta venue, mais simplement que tu n’es pas dans les bonnes grâces du boss. En gros, ils s’autoriseraient à s’essuyer les pieds sur toi. Avec courtoisie, sourire et une vraie ignorance de toi, de ta personne.

— C’est plus compliqué que ce que je pensais, Peter, et mon sang se glace. J’étais déjà catastrophée et là, je me sens dépassée, déboussolée devant des règles que je ne comprends pas.
— Ne t’affole pas, je vais t’aider. Tu n’es pas dépassée, tu as su mener des négociations, tu as les bons réflexes, mais tu n’as pas été suivie par ta hiérarchie. Il t’est impossible d’aller trouver ton boss et lui dire « Vous nous avez mis dans une situation difficile ». Il ne comprendrait pas. Tu restes sur le sentiment de première victoire et tu fêteras cela dans ton entreprise. C’est important pour toi, pour ton assise dans l’entreprise. Tu as droit à des compliments, à des félicitations. Mais tu as un problème et tu ne peux résoudre la question seule. Il faut la régler à la Japonaise, aller sur leur terrain et quitter le tien.
— Comment ?
— Le patron japonais est blessé dans son orgueil, doublement, par son rang non reconnu par ton responsableet par le fait que ce soit une femme envoyée pour signer. Il faut donc s’excuser et se faire pardonner. L’idée du cadeau était bonne, le champagne est une ânerie. Tu vas devoir passer par un intermédiaire. Tu aurais froissé un employé, un cadre, il suffisait de connaître dans quel izakaya, quel bar à vin, il se rendait avec ses collègues pour décompresser et boire le soir avant de retourner chez lui. Là, l’intermédiaire l’aurait contacté et lui aurait proposé quelques verres, un spectacle, des jeux pour les enfants… En ton nom.

Pour le patron, il faut au moins un « bar à hôtesses » réputé, un kyabakura où il sera accueilli par plusieurs hôtesses qui lui tiendront des propos de haut niveau pendant deux heures, feront attention à lui, lui laveront les mains, lui serviront des alcools forts, et simplement mentionneront dans la discussion le nom de ton entreprise.

Il comprendra le geste et cela suffira pour effacer l’affront. Il ne te reverra probablement pas, mais il restera neutre et te saluera s’il te croise dans un hôtel ou dans son entreprise.

— Qui va faire l’intermédiaire ?
— Une société japonaise spécialisée dans ce business.
— Cela existe ? dis-je tout haut.
— Chut, ne réveille pas notre ami au caleçon fleuri. Pour l’instant, il ne t’a pas vu, sinon, il n’aurait pas déambulé dans cette tenue… S’il te voit, il sera gêné, honteux, furieux contre toi, contre la compagnie et qui sais-je encore. Ce sera un véritable affront… Pour répondre à ta question, oui, cela existe. Il y a des règles, des codes pour les trouver, les faire intervenir. Pour ta gouverne, ce sont des sociétés tenues par les Yakuza, la mafia japonaise.
— La mafia ?
— Oui. Ce sont les seules personnes habilitées et rompues à ce genre de transaction. C’est une activité légale, honnête, qui a pignon sur rue. Tu n’auras pas à te confronter à eux. Je ferai l’intermédiaire. Tout le restant est une simple question de finances.
— Quelle garantie j’ai ?
— Aucune, et cette question ferait sourire un Japonais. Un clan yakuza a un code d’honneur. S’ils s’engagent, ils font. Tu n’auras pas de retour, moi non plus. Il faut leur faire confiance. Mais si tu veux une facture pour ta comptabilité, tu l’auras sans difficulté. C’est une société de conseils. Cela te coûtera moins cher que des séjours répétés à Tokyo. Ils sont discrets, rapides et efficaces.
— Et cela va marcher ? Tu es sûr ?
— Merci d’utiliser le tutoiement. Oui, cela va marcher et tu régleras le problème à la Japonaise, de manière feutrée, sans heurts, sans cris, sans procédure, avec un cadeau pour le patron, un autre pour sa femme, une journée dans un parc de jeux pour les enfants ou une visite au Tokyo Game Show dans le quartier de Mihama à Chiba, à l’est de la capitale. La société va se renseigner, enquêter, évaluer le degré de la faute et statuer. Il n’y aura pas de surenchères, de négociations, de palabres. La société de conseils décide, tu payes, le patron offensé acceptera le deal sans objection. Il sait que les yakuzas sont derrière et leur décision est souveraine. La question est réglée.
— Incroyable ! Peter, tu es mon sauveur, mon Dieu ! (Je lui sautai au cou et lui plaquai un gros baiser sur la joue. Dans la pénombre, je le vis rosir.) Et toi, dans l’opération, qu’y gagnes-tu ?
— Un bon repas dans un restaurant parisien pour oublier le repas de l’avion !
— Tu mérites mieux. Tu sauves mon projet que je voyais enlisé jusqu’au cou. Tu ne prends même pas un pourcentage sur la transaction ?
— Je ne travaille pas au pourcentage. Le seul pourcentage que je veux prendre, c’est un peu de ton temps. Et un baiser chaste !

Tendrement, il se tourna vers moi et déposa une bise appuyée sur mon front. Il fixa mes yeux un long moment et avec une douceur infinie, il releva mon menton et déposa un baiser sur mes lèvres. Le choc électrique ne dura qu’un instant. Il prit mon visage entre ses mains et il embrassa mes yeux, mon nez et revint sur mes lèvres. J’accueillis ce nouveau baiser avec volupté. Je chavirai. Peter mit les sièges en couchette, cala un coussin sous ma tête et reprit durant de longues minutes l’investigation de ma bouche et de mon visage avec ses lèvres et ses mains.

Je perdis pied. Le besoin de cet homme, après les émotions violentes ressenties pendant cette journée, montait en moi, des picotements de plaisir inondaient mes reins, et sous ses caresses précises ma respiration devenait plus rapide.

Avec douceur et lenteur, il effleura mes seins, mes fesses, mon dos. Il déboutonna mon corsage et glissa une main dessous. Ses lèvres exploraient mon cou. J’étais tendue, mais dans l’attente de ses mains sur mon corps. Quand il libéra mes seins qui jaillirent, gonflés de désir, j’eus presque honte d’être si facile, si disponible.

Mais la sensualité qui s’était réveillée en moi était saine, inondait mon physique et je me cabrai plus avant pour que sa bouche puisse atteindre mes aréoles brûlantes. Sa bouche engloutit mes mamelons tandis que sa main chaude les massait. J’ahanais. Puis sa main descendit, me massa tendrement le ventre, s’enhardit, ouvrit le bouton de mon pantalon, tenta de descendre encore.

Je l’aidai à enlever ce qui me restait de vêtements. Sa main se posa sur ma courte toison et mes cuisses s’ouvrirent presque contre mon gré, tant l’envie de cet homme était forte. Ses doigts jouèrent un instant avec mes lèvres. Il descendit encore, me caressa les cuisses, les fesses, souleva mon bassin, effleura mon anus et revint se poser sur mes lèvres. Il en caressa l’intérieur avec volupté et remonta chercher mon petit bourgeon qu’il trouva, et fit rouler sous la pulpe de ses doigts. Je le mordis à l’épaule pour ne pas crier. Il continua en imprimant une poussée de la paume de sa main sur mon bourgeon. La caresse était incroyable, tout mon ventre était tendu, dans l’attente de la jouissance.

Il abandonna quelques instants mon corps, le laissant se reposer, au bord de l’explosion. Il se déshabilla et vint se coller contre moi. Je sentis sa force virile battre à ma hanche. Je la pris dans ma main et la caressai. Elle grossissait sous ma caresse et j’eus peur de sa taille, en largeur. Elle était trop grosse. Nous étions contraints au silence, mais j’avais l’impression que nos ébats allaient réveiller tout l’avion. Nous prîmes un court moment de silence et d’immobilité et un capuchon de latex fut promptement posé sur sa hampe.

Il reprit ses caresses avec hardiesse, autour de ma vulve. Je tentai de maintenir entre mes doigts son sexe et je trouvai ses bourses que je caressai du dos de la main puis que je pris et pressai doucement. Quand son doigt se glissa à l’entrée de ma fente, y pénétra puis roula de chaque côté, je sus que j’étais perdue.

— Viens, prends-moi, lui dis-je.
— Oui, j’arrive, mais avec tendresse et silence, me chuchota-t-il avec douceur.

Il se mit au-dessus de moi et me pénétra lentement. Mes lèvres s’ouvraient, mes cuisses s’écartaient. Jamais, il ne pourrait rentrer, il était trop gros. Mais mon corps ne suivait plus mon esprit. Il me pénétra lentement, mais puissamment.

Je faillis hurler de plaisir. Il cacha ma bouche de sa main puis la scella de ses lèvres. La suite ne m’appartenait plus. L’incendie déferla en moi tel un tsunami de flammes, indécent, violent, ruinant mes certitudes et mes retenues, détruisant ce qui restait de ma conscience, m’envahissant de la tête aux pieds. Je n’étais plus que feu, volcan, incandescence.

Je perçus un instant qu’il me relevait, me portait littéralement pour me remonter sur le siège car nous avions glissé. Toujours en moi, plus profondément, la position fut plus confortable et je jouis longuement, puissamment, le corps en arc de cercle, sa main posée sur ma bouche.

Puis je m’effondrai. Aucun mouvement ne nous anima pendant plusieurs minutes. Je sentais sa protubérance plus légère dans mon corps, mais toujours présente.

Puis je la sentis grossir lentement, écarter mes parois et je sentais le sang battre dans son membre, qui m’apparaissait démesuré, mais qui me comblait. Il eut un grand spasme et je compris qu’il se libérait. Je l’embrassai fougueusement sur la poitrine pendant qu’il remplissait le réservoir en latex. J’eus une courte prière pour que celui-ci ne se rompe pas.

Une lumière filait vers l’avant dans la travée perpendiculaire et nous reprîmes rapidement une allure plus digne, chacun allongé sur son siège. L’hôtesse ne fut pas dupe de notre manège et Peter lui fit « chut » avec un doigt devant ses lèvres et lui envoya un petit baiser avec un grand sourire. Elle nous abandonna sans rien dire, mais son attitude exprimait la désapprobation.

— Elle est jalouse, dis-je et nous éclatâmes de rire sous la couverture.

Peter mit à profit cette pause pour explorer une nouvelle fois mes formes, principalement mes seins, mes fesses, mes cuisses puis mon dos. Il caressait, massait, tapotait et j’eus bientôt envie de lui de nouveau. Je le lui fis comprendre par des gestes précis sur son sexe qui s’enflamma d’une belle manière. Je le chevauchai hardiment et le regardai s’enfoncer en moi. J’intimai par gestes à Peter de faire silence et de ne pas bouger. J’étais la seule à remuer, lentement. Il me prit les seins puis les lâcha et me prit les mains qu’il posa sur mes seins, les forçant à me caresser.

Impudique comme jamais je ne l’avais été, dans la lumière bleutée des rampes de spots des deux travées qui couraient dans la carlingue, je me caressais devant lui pendant que j’allais d’avant en arrière de plus en plus frénétiquement sur son membre. Quand je compris qu’il allait jouir, je me retirai et mes doigts bien serrés autour de son membre le guidèrent à sa libération. Sa semence se répandit dans la couverture dorénavant bonne à jeter et une odeur salée se répandit autour de nous. Je n’avais plus joui physiquement, mais j’avais éprouvé pour la première fois la double sensation de prendre le pouvoir, de diriger ce jeu si pervers, de me donner, de me montrer nue et plus que nue, de me donner en spectacle à mon amant en lui montrant ma lubricité, mon plaisir tout en prenant le sien, maintenu sous mon contrôle.

Nous restâmes enlacés de longs moments et nous nous rhabillâmes, puis allâmes silencieusement aux toilettes pour quelques ablutions bien nécessaires.

Le pilote annonçait la descente prochaine au moment où nous nous endormions assis, nous tenant gentiment la main.

Les quelques passagers de la classe affaires s’éveillèrent, s’étirèrent puis accomplirent le trajet siège-cabinet de toilette, chacun à leur tour, dans un ballet bien rodé. Notre voisin au caleçon fleuri bâilla, se releva, déplia ses vêtements, se rhabilla sans hâte, mit son chapeau, se rassit et se prépara à l’atterrissage.

L’hôtesse vint nous réveiller, nous demander de vérifier notre siège et d’attacher nos ceintures, l’avion étant en phase d’atterrissage. Peter la remercia et lui fit un clin d’œil amical. Elle haussa les épaules.

Mon axe de vie avait fléchi dans un corps-à-corps sauvage et inattendu. Il avait bien changé de plusieurs dizaines de degrés. Vers le plaisir. Vers le bonheur. Vers un avenir que je percevais radieux.

Je finis par m’endormir dans ce petit coin de Paris où je vivais, la tête remplie d’images et de sensations. Un terme pour décrire mes sentiments ? Comblée. J’étais comblée.

J’eus une idée furtive, un mot, juste au moment de sombrer dans le sommeil. C’était « pourcentage ».

Je me demandais quel pourcentage Peter voulait prendre sur la transaction. Il avait souri et dit que non, il ne travaillait pas ainsi, pas au pourcentage.

C’était évident. Il m’avait prise tout entière. À deux cents pour cent.

Je souris à cette idée en plongeant dans le noir.

Japon toujours, Boston, mais aussi Ghyvelde

Je suivis professionnellement les conseils de Peter. Mon boss me félicita. Devant toute la société assemblée, je fus honorée par un special speech comme le patron l’avait dénommé, avec des brassées de remerciements pour le développement qui s’ouvrait. Nous allions avoir beaucoup de travail et nous allions embaucher. Ceux qui seraient sur le pont aujourd’hui seraient ceux qui seraient à la tête d’une entreprise rénovée et agrandie demain.

Chacun repartit à ses occupations, gonflé d’avenir prospère et j’eus droit à des tapes dans le dos, des poignées de mains, des chocolats, des fleurs, des mots amicaux, des sourires, du bon café chaque matin à mon arrivée. La secrétaire de la direction devint ma secrétaire attitrée. Nous nous entendions parfaitement. Mon bureau fut promptement rénové. Un nouvel ordinateur plus puissant y fit son apparition, bardé d’outils modernes. Même ma place de parking fut repeinte et mon nom affiché sur une plaque apposée au mur. Je savourai ces multiples petits gestes qui vous font savoir que vous comptez. J’accueillis le tout avec bonheur, reconnaissance et joie, en gardant la tête froide. Il y avait tant d’inconnues sur ce dossier et de tâches complexes à réaliser.

Je partageais mes soirées et mes nuits avec mon nouvel amant, dans un vertige des sens, d’émotions et de plaisirs. Il possédait un petit pied à terre dans le quinzième arrondissement, coquet, bien arrangé, où nous passâmes de longs et agréables moments quand nous n’étions pas au cinéma ou au spectacle. La vie rayonnait. Je rayonnais la vie.

Le boss souhaitait foncer. Il voulait que je retourne à Tokyo dès qu’une difficulté surgissait dans la réalisation technique, afin de connaître le sentiment de nos associés. Je le freinais, lui expliquant que nous avions un accord, mais que la réalisation technique des modifications sur nos programmes était bien de notre seule responsabilité. Le prochain rendez-vous serait celui qui présenterait la version finale. Elle devait être parfaite et convaincante. Serait alors définie précisément la force de vente mise en place par la société nippone sur les objectifs convenus. Le patron allait houspiller les techniciens, les mettre sous pression, leur enjoindre de se hâter. Je devais de nouveau les rassembler pour expliciter la pensée brouillonne du patron et mettre de la lumière dans les fonctionnalités à développer et dans les méthodes de travail. J’avais la chance d’avoir d’excellentes relations avec l’ingénieur responsable des développements. Il avait mon âge et beaucoup de calme intérieur. Nous étions « raccord » ou « en phase », comme il disait, et nous calmions le jeu, afin de garder une équipe sereine, ayant l’envie de donner le meilleur d’elle-même.

Peter prit lien avec la société nippone pour l’intermédiation en plusieurs échanges téléphoniques. Un contrat fut établi qui stipulait une étude marketing à partir de la présentation de notre solution à la société nippone, afin qu’elle relaie ces éléments auprès des institutionnels. Cela rentrait dans le cadre de mon activité et j’eus peu de mal à convaincre mon patron de cette sous-traitance.

— Que la société commence à réaliser des présentations commerciales était de bon augure… argumentai-je.

Je savais que, derrière ces mots un peu vagues, c’était une phase importante de crédibilité de notre société et notre retour « en grâce » qui se jouaient à Tokyo.

Je n’étais pas très à l’aise avec ce mensonge, mais Peter me rassura.

— C’est un investissement, ni plus, ni moins, me dit-il.

Un échange de fonds fut réalisé et plus rien ne se passa.

Peter repartit un mois du côté de Boston pour réaliser une étude croisée complexe à partir de bases de données sur les échanges commerciaux entre les USA et le Japon sur le secteur de la construction navale.

J’étais en manque de Peter. J’étais en manque d’information du côté de Tokyo. Je me sentais prise dans un filet qui s’appelait Peter, qui avait la clé de ma félicité et dans une nasse qui s’appelait Peter, pour une transaction spéciale afin de revenir « en selle » auprès de la société ISC pour Ippon Software Company, qui détenait la clé de ma réussite professionnelle.

Je me sentais décidément attirée et amoureuse de ce mec, pleine de lui physiquement. Son contact, sa peau, son odeur me manquaient. J’avais avec lui ressenti des sensations érotiques nouvelles et merveilleuses. À ses côtés, j’étais rassurée, protégée et enviée. Nous étions complices. Il était spirituel, amusant, joueur, blaguant, provocateur et aimant. Il apportait calmement une solution aux problèmes du quotidien. J’étais féminine, attentive, gaie, cajolante, affamée de volupté et de caresses, et fidèle à une ligne de vie qui impliquait que j’existe, que ma valeur soit reconnue, que ma parole fut prise en compte, écoutée. Peter respectait cela. Je ne me sentais pas sa « moitié », mais la moitié d’un tout que nous constituions. Quand il était là, à mes côtés, l’espace était plus grand. Nous étions plus grands. Nous formions un couple à trois : lui, moi et quelque chose d’