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"Je ne suis pas ton père", voilà ce qu'il lui a dit. Alice a bien grandi et fait désormais face aux difficultés du lycée. Dans sa quête d'identité, ce qu'elle découvre anéantit toute l'enfance qu'elle s'était construite. De son côté, Pacôme gère l'agence et les colères de sa fille. Ce qui n'arrange rien lorsque les questionnements d'Alice font émerger certains souvenirs qu'il aurait préféré oublier.
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Seitenzahl: 243
Veröffentlichungsjahr: 2023
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À vous qui me permettez d’oser encore.
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
PACÔME
ALICE
— Alice ! Grand-mère est là, tu descends s’il te plaît ?
Je l’entends d’avance maugréer depuis la mezzanine. Les moments où elle attendait à la porte que ma mère arrive me manquent. Ils me paraissent loin déjà.
Ma mère esquisse un sourire lorsque le bois des marches de l’escalier grince sous les pas délicats de ma fille.
— Ma chérie, comment tu vas ?
Elle serre Alice dans ses bras. Ma fille a envie de s’écarter au premier contact.
— Comme une veille de rentrée.
Alice entre en première cette année, j’ai encore beaucoup de mal à le réaliser. Même si j’ai toujours la sensation que c’est une petite fille, ses traits qui s'affirment me prouvent le contraire.
— Ton été s'est bien passé Alice ?
Ma mère approche la tasse de ses lèvres, prête à accueillir une réponse élaborée de ma fille, qui se conclut finalement par une phrase plus courte que le temps émis à avaler une gorgée de café.
— Paco était chiant.
Je n’en attendais pas moins de son honnêteté. Si je n'avais pas encore compris depuis deux mois, c’est désormais clair.
Elle remonte dans sa chambre en emportant avec elle un biscuit au chocolat, sans embrasser ma mère ou m’accorder un seul regard complice.
Ma mère me scrute, songeuse, et les sourcils arqués.
— Ne t’en fais pas, c’est l’adolescence, tu connais non ?
Elle rit et plonge dans ses pensées. Je n’ai pas besoin d’être télépathique pour comprendre immédiatement ce qui s’y trouve. Je m’aperçois exactement au même âge qu’Alice, balançant quelques horreurs de-ci de-là à ma mère et à mon frère.
L’adolescent est un être prêt à s’enflammer à chaque instant, un parent en moins en est le chalumeau.
— Alors, raconte-moi ce tour de la Corse en caravane ?
Ses yeux s’illuminent à l’évocation de son voyage. Je peux y voir des centaines de souvenirs bien ancrés dans sa mémoire.
Même si je l’ai eue au téléphone durant ces dernières semaines, rien ne vaut des périples imagés par ses innombrables mouvements de mains. Elle n'a absolument rien à envier au président de la République.
Elle reprend depuis son premier jour de juillet jusqu’à la semaine précédente où elle est rentrée. Son regard se perd entre les randonnées dans les montagnes et la dolce vita sur la plage.
Elle n’oublie pas de me parler de l’île Rousse où, d’après elle, j’ai été conçu. Je reste persuadé que cette escapade lui a fait le plus grand bien, non pas pour tourner la page avec mon père, mais pour ne garder que les meilleurs souvenirs. La Corse en fait largement partie.
Je l’interroge quant à mon beau-père qui semble absent aujourd’hui.
— André ne voulait pas me voir ?
Je lui lance un sourire amusé.
— Il est parti en Bretagne rejoindre sa fille et l’aider dans la rénovation de sa maison.
André est son compagnon depuis quatre ans. Ils se sont rencontrés au restaurant d'Élisabeth et de ma mère. André fêtait ses soixante ans avec ses enfants. À la fin du dessert, il a glissé sa carte de visite dans sa serviette et a fait un clin d’œil à ma mère en disparaissant. Elle a tout de suite compris et s’est précipitée vers la table, espérant y trouver quelque chose.
Elle a toujours été indifférente aux approches masculines, n’ayant jamais envie de donner une moindre chance à ces hommes. Seulement, cette fois, c’était incomparable. Elle a rapidement eu le béguin pour cet homme. Leurs veuvages respectifs les ont liés d'une jolie manière. C'était une fortune d’aimer de nouveau, certes d’une façon moins profonde après de vives cicatrices, mais une véritable aubaine de pouvoir vieillir à deux. Elle a mis beaucoup de temps à m’en parler, par peur de ternir l’amour qu’elle portait et portera toujours à mon père. Je n’ai rien dit, mais je le soupçonnais depuis quelques mois. Ce fameux sourire sur ses lèvres, je ne l’avais plus jamais vu depuis que mon père nous avait quittés.
J’ai rencontré André quelques semaines après son annonce. J’ai eu un léger choc en l’observant embrasser ma mère, mais ce n’était rien comparé à la surprenante ressemblance avec mon père. Je ne saurais dire si j’ai collé le visage de mon père sur le sien par espoir ou si finalement les traits de mon père avaient disparu peu à peu de ma mémoire.
C’est un homme bien et il la rend heureuse depuis plusieurs années, cela suffit à me réjouir de cette relation. Je n’ai rencontré sa fille et son fils que très peu en revanche, mais ma mère semble les apprécier.
Ma mère tente de sonder mon âme à travers mes yeux depuis quelques instants.
— Ton été s’est tout de même bien passé, mon chéri ? Tu as l’air fatigué.
Je reconnais bien l'inquiétude incontrôlée de ma mère. Si je n'étais pas aussi têtu, j'admettrais que cela m'avait manqué.
— Le travail me prend du temps, c’est vrai, mais être père m’en consomme bien plus. Surtout pendant les deux mois estivaux !
Je ris pour cacher les craintes qui ne cessent de m'habiter concernant l’éducation et le bonheur d’Alice. Elle est ma priorité. Parfois, j’ai la sensation de l’étouffer tant j’aimerais la protéger.
— Tu lui as dit ?
Mes poings se serrent. Ma vulnérabilité est au maximum aux côtés de ma mère. C’est la seule personne avec qui j’ai le sentiment d’avoir toujours cinq ans.
— Je ne suis pas son père, c’est ce que je lui ai dit.
— Comment a-t-elle réagi ?
Je peux sentir les larmes brûler le coin de mes yeux. La douce main de ma mère caresse ma joue lentement pour m'encourager à lui parler.
— C’était horrible. J’aurais dû lui dire plus tôt, mais je n’avais pas la force. Elle me déteste. Je le vois dans ses comportements. Je viens de lui briser l’âme et ses origines. Elle ne sait plus qui elle est... Et ça, c’est terrible.
Ma mère secoue la tête, n’y croyant pas un seul mot. Les paroles qui suivent me réchauffent le cœur, au point de nourrir l’espoir d’être de nouveau un père dans les yeux de ma fille.
— Tu crois vraiment que les gènes sont plus forts que l’amour que tu lui portes ? Je n’ai jamais vu quelqu’un aimer autant son enfant. C'est ta fille. Sois-en certain et elle n’en doutera plus une seule seconde non plus.
Mon sourire disparaît rapidement lorsque j’entends la porte de sa chambre claquer avec puissance.
Le chemin est encore long, mais la route en vaut la peine. Sans son amour, je ne suis rien.
Mon père se lamente auprès de ma grand-mère comme s’il était le plus embarrassé, comme s’il venait d’apprendre que son père n’était pas le sien. Comme s’il ne venait pas d’anéantir ma douce enfance avec lui.
Maintenant, je n’ai plus aucun parent. Je suis une enfant adoptée avec pour uniques souvenirs les bribes d’une mère allongée sur le sol.
Peut-être que cette confusion d’identité explique mon décalage avec le monde qui m’entoure, moi qui ne pense jamais être à ma place là où je suis. C’est comme si ma vie était un puzzle dont les pièces étaient disséminées en chacun de mes proches. Ainsi, eux seuls pourraient m’aider à comprendre ce qui cloche chez moi. Mon père vient de fournir une énorme partie dont j’aurais préféré ne jamais avoir connaissance. La pièce est désormais placée, si je suis joueuse, je chercherai moi-même les contours.
Au moment où je ferme brusquement la porte de ma chambre pour ne plus entendre cette conversation entre adultes qui me donne envie de vomir, la sonnerie de mon téléphone retentit.
— Oui Valentine, je sors de chez moi dans cinq minutes.
— N’oublie pas ton paquet.
— C’est tout le temps moi qui l’apporte, achète-toi tes clopes aussi !
— Mes parents, tu sais… C’est difficile de leur cacher ça.
— Ah oui j’oubliais ce fléau d'avoir des parents. À tout de suite.
Je coupe court au dialogue, persuadée que Valentine s’apitoiera sur mon sort alors que je n’en ai nullement besoin.
Je prends mon sac à dos, noue mes lacets et dévale les marches à toute vitesse. Je me faufile par la porte d’entrée avant d’être arrêtée dans ma course par mon père.
— Ne rentre pas tard, ta grand-mère mangera avec nous ce soir. N’oublie pas que tu as cours demain !
— Ne t’inquiète pas, juste le temps de fumer deux trois clopes et je serai revenue pour dormir.
J'ai déjà traversé l’allée avant qu'il réponde. J’ai tout de même le temps d’entendre la réplique de ma grand-mère qui me fait sourire malgré le tonnerre qui gronde en moi.
— Tu as beau ne pas être son père, j’ai l’impression que c’est ton clone au même âge.
J’avance, les écouteurs dans les oreilles et l’album de Queen jusqu’au fond de mes entrailles.
Je reconnais, à quelques mètres, le pavillon plutôt confortable des Le Goff et pense à l’appartement minable que nous avions jusqu’à mes huit ans avec mon père.
Nous sommes arrivés dans ce quartier dès qu'il a eu les moyens de devenir propriétaire. Notre maison est simple avec un étage et trois chambres. Grâce à Marie, une vieille amie de mon père, la maison a été décorée parfaitement. Je la remercie de tout cœur de l’avoir conçue à notre image. Si on avait dû se cramponner aux idées de mon père, on se serait retrouvés avec des posters de Jedi dans toutes les pièces en guise de tapisserie et une énorme bibliothèque remplie de bouquins comme cuisine. Je me sens en sécurité dans cette maison. J’ai la sensation que rien ne peut m’arriver tant que j’y suis à l’intérieur avec mon père.
Du moins, je le croyais jusqu’à l’année dernière. Avant que je ne me rende compte que les objets électroniques, aussi infimes qu’ils soient, pouvaient faire bien plus de dégâts qu’un monstre jaillissant de mes cauchemars d’enfance.
Je sonne à la porte. Laurence s’empresse de m’ouvrir et de m’inviter à entrer.
— Bonjour Alice. Alors tu es prête pour la rentrée ?
Je me prépare à répondre lorsque Valentine me tire par le bras, me faisant signe de sortir avec elle.
— ‘Man, s’il te plaît. Tu imagines vraiment qu’il y a un lycéen en France qui est content d’aller en cours demain ?
— Moi je suis heureux d’entrer en sixième.
Nous nous prenons en fou rire en entendant son petit frère, Germain, se réjouir des prochaines années bien mouvementées si on en croit mon expérience.
Nous partons en direction du parc, prêtes à échanger nos potins avant cette nouvelle année scolaire.
Assises au bord de l’étang, le soleil de fin de journée vient réchauffer nos pommettes rosées.
— T’as des nouvelles d’Hugo ?
Je sens mes mâchoires se crisper à l’évocation de son nom. Les souvenirs de ses caresses sur mes joues sont bien plus prégnants que la tornade qui a été déclenchée derrière.
— Non. J’espère seulement que Justine ne sera pas dans ma classe.
Valentine acquiesce, escomptant, comme moi, que l’on ne sera pas séparées cette année.
Elle est mon pilier depuis si longtemps déjà. Sa mère est une des collègues de Marie. Elle est devenue très amie avec mon père au fil des années. Nous invitons régulièrement la tribu des Le Goff.
Lorsque nous sommes arrivés dans le quartier, j’ai vu Valentine deux fois plus que mon père qui travaillait énormément pour sa boîte. Elle a peu à peu pris une place considérable dans ma vie, à tel point qu’elle est une véritable sœur pour moi.
Elle me comprend toujours même lorsque je ne sais plus qui je suis. Elle me ramène à la réalité lorsque je pars à des années-lumière et me fait me sentir importante lorsque j’ai la sensation d’être une fourmi dans un monde gigantesque. Elle me fait rire aux éclats lorsque la présence d'une mère me manque. Elle me pousse à être la meilleure version de moi-même lorsque je crois n’avoir que des noirceurs à offrir. Elle fait tout simplement en sorte que je sois moi-même à ses côtés et je suis persuadée que je ne serais pas moi sans elle. Elle déclarerait certainement le contraire, mais je lui dois beaucoup.
Je la fixe de mes yeux bleus perçants. Elle réfléchit et je vois bien qu’elle a quelque chose à me dire. L’air sérieux qu’elle prend soudainement me fait peur.
— Tu as parlé avec ton père récemment ?
Je suis soulagée qu’il s’agisse de lui et pas d’autre chose. J’ai appris, ces derniers mois, à m’attendre au pire.
— Non pas spécialement, on mange ensemble, mais personne n’ose parler. J’vois bien qu’il aimerait, mais je m’énerve dès qu’il pose une question. J’ai pas envie qu’il s’intéresse à ma petite existence. Il n’a qu’à faire la sienne, je m’occuperai de la mienne puisque nos vies ne sont pas aussi liées que je le croyais.
— T’es dure Alice… Tu sais, maman m’a parlé… Et si on allumait une deuxième clope ?
Je ne comprends pas son retournement de veste tout à coup. Elle qui était autant en colère que moi lorsque je lui ai annoncé la nouvelle au début de l’été. Elle prend soudainement parti pour mon père.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
— Non rien. Je ne sais pas. Je pense juste que c’est ton père quand même.
— Elle a dit quoi Laurence ?
— Rien de spécial, oublie ce que je voulais dire. Ce sont vos affaires après tout.
Je ne cherche pas plus loin et passe à la conversation suivante. Je garde dans un coin de ma tête le plaidoyer de Valentine envers mon père, mais je préfère taire ses potentiels arguments pour le moment. Cette histoire m’affecte trop et je ne veux plus jamais laisser quiconque me faire de la peine. Encore moins l’homme que j’estimais tant, l'homme qui était incapable de me causer une seule souffrance. Je hais mon père pour avoir terni ces certitudes. C’était l'unique être masculin en qui j’avais une totale confiance.
Maintenant, je ne crois ni en mon père ni en ce crétin d’Hugo.
J’avais oublié le bruit de la douche si tôt le matin pendant les vacances. C’est le rituel d’Alice avant d’aller à l’école. De cette façon, je sais si elle a manqué son réveil ou si elle est malade.
C’est sa rentrée ce matin et je suis inquiet pour elle. J'ai conscience que l’été a été difficile à cause de moi, mais j’ai aussi senti qu’un tas de choses la tracassait. Je connais le lycée, je faisais partie de ces quelques tyrans à l’époque et je sais qu’il n’est pas toujours facile de s’y intégrer. Alice a toujours eu beaucoup d’amis, je n’ai jamais eu peur pour elle. Jusqu’à cette année où j’ai intuité que certains faits changeaient. Lorsqu’on est parent, on perd aisément le contrôle sur ces événements. On ne se rend pas compte que notre enfant va mal jusqu’au jour où on le surprend en train de vomir. Elle m’a assuré que c’était un virus ce jour-là, mais je n'ai pas pu la croire. J’ai toujours cette image en tête et je sais qu’il me faudra faire plus attention à elle.
Je me lève tranquillement, enfile un jean et un t-shirt et gagne la cuisine pour mettre en route la bouilloire. Alice est quasiment prête. Ses cheveux mi-longs bouclés sont encore mouillés et ses yeux sont très maquillés. J’étais contre l’idée du mascara et tout ce qui va avec au début, mais l’adolescente a remporté la manche lorsqu’elle m’a dit que j’étais un homme et qu’ainsi je ne pouvais pas comprendre qu’une femme ait besoin de cela pour se sentir belle. Sur ce point, je suis en accord avec l’envie de vouloir plaire. Toujours est-il qu’il ne faut pas ressembler à un panda tout droit sorti de Chine pour en arriver là.
Je la regarde étaler son pain de pâte à tartiner ou plutôt agrémenter sa pâte à tartiner de pain. Je ris en l'observant faire.
— Quoi ?
— Tu devrais en ajouter, il en manque sur le coin à gauche.
Elle me tire la langue avant d’esquisser un sourire. Un sourire que j’ai perdu l’habitude de voir ces derniers temps.
Je lui sers son thé à la menthe avant de me préparer un café. Le reste du petit-déjeuner est calme. Seules les informations matinales diffusées à la radio sonorisent la pièce.
Comme toujours, je l’attends en bas de l’escalier, criant son nom pour la presser. Elle descend en faisant la grimace, m'expliquant qu’elle n’arrive pas à cacher ce fameux bouton. Je lui répète quotidiennement qu’elle est la plus belle et chaque matin elle me dit que ce n’est pas objectif puisqu’elle est ma fille. Mais pas ce matin.
— Je ne suis pas ta fille donc c’est peut-être réel finalement.
Je suis partagé entre le fait qu’elle prenne conscience de sa beauté et le fait qu’elle appuie, dans chacune de ses paroles, que je ne suis et ne serai jamais son géniteur.
Elle claque la porte en entrant dans la voiture et je peux sentir une montée d’angoisse la parcourir. J’ose lui prendre la main avant de démarrer. Elle ne retire pas la sienne et regarde ce qui se passe au-dehors.
Je la dépose sur le parking du lycée avant de partir moi-même au travail.
— Bonne rentrée mon lapin, à ce soir.
Elle sort rapidement, sans se retourner, me laissant seul avec la nostalgie d’une petite fille qui ne sera plus jamais la même.
Je ravale les larmes qui menacent de couler et enclenche la première.
J’arrive au bureau, déjà fatigué.
— Salut chef ! Alors cette rentrée ?
Thomas me donne une accolade comme chaque matin. J’opte pour un demi-sourire qui en dit long.
— Ça reviendra, tu es celui qui l’a élevée et aimée, qu’elle le veuille ou non.
Je ne réponds rien à cette remarque qui me touche pourtant bien plus que cela n’y paraît.
— Allez, au boulot !
Au même moment, les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur l’équipe de l’agence où je travaille depuis plus de dix ans. Ils sont devenus, pour la plupart, bien plus que des collègues.
Ils sont déjà concentrés à leurs tâches, mais me saluent avec vigueur lorsque je passe à côté de leurs bureaux.
J’entends l’ascenseur s’ouvrir de nouveau puis un bruit de talons joncher le sol avec force.
— Désolée pour le retard Paco, les enfants sont insupportables en ce moment. La rentrée les a rendus complètement maboules. À moins que ce ne soit leurs parents qui le soient finalement devenus.
Joséphine pose délicatement ses lèvres sur celles de Thomas avant de s’installer à son bureau. Je ris en pensant aux deux petits monstres qu’ils ont créés tous les deux.
J’annonce la pause-café à dix heures et demie avant de regagner l’ascenseur avec Thomas.
— Joséphine a des sautes d’humeur en ce moment, c’est incroyable.
— Tant qu’elle est dynamique au travail, ça me convient.
Nous ricanons tous les deux avant de retrouver chacun notre bureau. Lui, le rédacteur en chef, moi le chef. Nous formons une belle équipe tous les deux.
Je suis dégoûtée. Ils ont osé nous séparer avec Valentine. Heureusement, nous avons choisi les mêmes enseignements de spécialité pour être ensemble quelques heures par semaine.
Pour couronner le tout, je dois me coltiner Justine quotidiennement. L’ambiance est tendue, la seule chose dont j’ai envie en ce moment c’est de devenir invisible.
J’entends à l’avance les moqueries de cette pimbêche derrière mon dos, mais j’essaie de ne pas y prêter attention.
Je tente de me concentrer sur le premier cours de l’année qui a commencé depuis simplement une heure et qui me paraît déjà durer une éternité.
— Alors c’était comment ton été ?
Mariam chuchote à mon oreille, attendant ma réponse avec impatience.
— J’ai connu mieux. T’as pu profiter de ta famille au Maroc ?
J’ai eu peu de nouvelles durant ces derniers mois, mais je crois qu’elle est une amie sur qui je peux encore me reposer. Je l’ai rencontrée au collège, nous formions un quatuor avec Anabelle et Jeanne. Sans compter la bande de garçons qui nous suivaient de temps en temps. Lorsque nous sommes arrivées au lycée, j’ai retrouvé Valentine, qui n’était pas dans le même collège que le mien. Depuis, elle fait partie intégrante du groupe et nous sommes passées de quatre à huit avec ses amies. Je ne m’entends pas avec toutes, mais nous passons de bons moments. C’est ce qui compte.
Mariam débute son récit d’aventures marocaines avant que le professeur ne nous interrompe.
Il est dix heures lorsque la sonnerie de la récréation retentit enfin. J’accours chercher un fruit tout en regardant mes messages. Ma grand-mère demande si ma première matinée se déroule bien, ce à quoi je réponds un simple oui.
J’entends la voix d’Hugo qui m’interpelle, je me retourne le cœur légèrement battant.
— Tu vas bien ? Je voulais te dire… Je… On s’est séparés avec Justine.
— Je n’ai absolument rien à te dire Hugo. Tu n’es qu’une merde et tu le resteras.
— Je n’ai rien mesuré, tu sais, les sentiments tout ça. C’était une blague qui a mal tourné. Tu n’en fais jamais toi ?
Sa voix rauque traverse tout mon corps et j’en veux à mon cœur d’éprouver autant de passion à son égard.
— Je ne joue pas avec les gens moi.
Je prends ma collation sans me retourner et pars en direction des filles qui m’attendent auprès d’un banc.
Ce garçon ne me mérite pas. C’est ce que je tente de me répéter pendant que je marche.
Toute la journée, j’ai la désagréable sensation que les filles ont des choses à me reprocher. Ce n’est qu’au moment où les garçons de la bande prennent la parole après les cours que je prends conscience du revirement de situation.
— Bon alors Alice, on a agrandi le trou cet été ?
Boris parle le premier, fier de ses mots odieux. Je me tais et détourne le regard, feignant ne pas comprendre où il veut en venir.
— Visiblement on a aussi élargi ta connerie en deux mois.
C’est Valentine qui répond la première. Elle qui me défendra toujours envers et contre tout.
— Oh allez Alice, on sait tous que tu t’es fait plaisir cet été, il faut l’assumer derrière.
Mes yeux s’écarquillent lorsque j’entends Anabelle prononcer sa phrase. C’est vrai que je n’ai que très peu discuté avec les filles durant ces deux mois passés, mais je ne comprends pas sa réaction.
— Il t’arrive quoi Anabelle ? J’vois pas en quoi ma vie privée vous regarde. On est amies, non ?
Je les fixe, les joues rougies.
— Détends-toi, on charrie. C’est juste qu’on entend beaucoup de choses ces derniers temps. Et, parce que nous sommes amies, je croyais qu’on se disait tout.
Anabelle enchaîne et, à cet instant, je comprends qu’elle est simplement jalouse de ma relation avec Valentine. Cette relation fusionnelle qui a tendance à agacer le reste du groupe.
Je ne réponds pas à sa provocation. Je salue les copains et traverse la cour, prête à rentrer chez moi. Au même moment, j’entends ces quelques phrases qui me font l’effet d’un coup de poignard.
— Eh Alice ! Pour combien tu me suces ? Adam a dit que c’était vraiment pas mal.
Je déteste les gens qui inversent leur entrecuisse et leur cerveau. Jamais je n’aurais pensé que mes propres amis sortiraient des choses pareilles. Boris est mon ami depuis sept ans et pourtant il n’a pas pu s’empêcher de lâcher cette phrase.
— Je ne suce que les garçons qui me donnent envie !
Ma réponse se veut aussi puérile que sa mentalité. Je suis totalement dévastée par son comportement.
Je poursuis mon chemin avec assurance, ne laissant paraître ni mon mal-être ni ma colère.
Ce n’est que lorsque je monte dans la voiture de Marie que la pression se relâche et déclenche une cascade de larmes.
Elle me serre dans ses bras avant de démarrer la voiture. Le trajet se fait en silence. Il n’y a que Louise à l’arrière qui continue le monologue avec ses doudous. J’aimerais n’avoir jamais quitté l’innocence qu’elle a du haut de ses cinq ans.
Nous prenons le goûter toutes les trois avec, comme fond, un documentaire sur les animaux marins qui semble passionner la petite.
— Tu veux m’en parler ?
— Ça ne serait jamais arrivé si papa ne m’avait pas fait cette annonce.
Au moment où les mots sortent de ma bouche, le couteau qui sert à tartiner la biscotte de confiture fait un bond jusqu’au bout de la cuisine. Marie demande à Louise de monter dans sa chambre, sentant que la discussion va virer à des propos que les enfants n’ont pas à entendre. Elle fait la moue. En me calmant soudainement, je lui promets de jouer avec elle tout à l’heure. Son sourire infantile est communicatif.
— Qu’est-ce qui ne serait pas arrivé ?
— Rien. Je voudrais seulement effacer ces derniers mois. Je déteste Pacôme, c’est à cause de lui tout ça. Si maman était encore en vie, tout serait beaucoup plus simple.
Marie réfléchit, cherchant les mots justes. Pendant toutes ces années, elle est devenue la mère que je n’ai jamais eue lorsque mon père ne parvenait pas à calmer mes angoisses ou à comprendre mes hormones. Elle sait toujours me réconforter.
— Nous avons déjà eu cette discussion ma puce. Ton père est une personne merveilleuse. Il n’est peut-être pas la personne que tu croyais, mais il reste la personne la plus digne de ton amour. Tu ne connais qu’une partie de l’histoire.
— J’en sais suffisamment. Ma mère trompait mon père. Je suis née d’un homme dont elle-même n’expérimentait pas plus que son pénis, mais maman est morte et je ne peux pas en vouloir à une personne décédée.
Je laisse l’anxiété m’encercler avant de reprendre la parole.
— Je me sens seule Marie… Je pensais déjà que ma mère était nulle, mais je croyais quand même que mes parents s’aimaient.
— Ton père l’aimait comme un fou.
— Je sais.
Marie détourne le regard. Je sens qu’elle a une question à me poser.
— Est-ce que tu as cherché les lettres dont je t’avais parlé ?
— Non. Je ne veux pas les lire.
— Tu as tort. Tu sais que ton père me tuerait de t’en avoir parlé, alors fais l’effort de les trouver au moins.
Elle rit, pensant sûrement au sort que mon père lui réserverait s’il savait que j’étais au courant que des lettres, soi-disant importantes, étaient cachées dans la maison. Marie n’a pas voulu me dire qui les a écrites et je crains que ce soit ma mère. Je ne suis pas certaine d’avoir envie de les découvrir.
— Ton père ne parviendra jamais à te dévoiler ses plus grands secrets, tu le sais. S’il a mis autant de temps à t’avouer qu’il n’est pas ton père, c’est parce qu’il souffre. Tu crois que tu es la seule à être blessée, mais il y a des choses que tu dois connaître. Et si ton père ne réussit pas à te les dire, j’imagine que ces lettres sauront répondre au flou qui imprègne ta vie.
— Pourquoi tu me dis pas toi-même la vérité ?
— Je ne pourrais jamais trahir ton père. Si tu trouves ces lettres, je n’y serai pour rien.
Elle me fait un clin d’œil complice, me laissant une nouvelle fois perplexe quant à l’existence de ces lettres.
Depuis que je suis directeur, écrire des dépêches me manque. C’est une pression différente qui s’est installée et même si je fais tout pour conserver les relations avec mes collègues, je dois bien avouer que ce ne sont plus exactement mes camarades. Les journées sont intenses et j’aimerais parfois passer davantage de temps avec Alice. Malgré le fait que Marie vienne régulièrement la chercher après l’école me réconforte. J’aimerais tout de même être présent lorsque Alice rentre des cours. Les soirées sont trop courtes après le travail.
Ce soir, je décide de partir un peu plus tôt. Alice aura sûrement envie de parler de sa rentrée. Je fonce la récupérer chez mes amis.
— Salut mon pote ! Comment tu vas ?
Gabi m’ouvre la porte tout souriant, ce qui me laisse espérer qu’Alice n’a pas été désagréable avec eux. Depuis l’annonce de cet été, elle sait que mes amis lui ont aussi menti pendant tout ce temps. Elle leur en veut terriblement.
— Comme un lundi. Alice tu viens ? Je suis rentré plus tôt aujourd’hui, j’ai une surprise pour toi !
Je l’entends s’exclamer de joie à l’autre bout de la pièce avant de se reprendre et de marmonner de nouveau.