Dernier report pour l'égoïsme - Mathilde Allaire - E-Book

Dernier report pour l'égoïsme E-Book

Mathilde Allaire

0,0

Beschreibung

Que se passerait-il si la vie nous poussait soudain à des choix égoïstes, nous incitant à prendre des décisions inattendues pour atteindre un bonheur ultime ? Charlotte, au bord d’un burn-out imminent à l’âge de 38 ans, va connaître ce déclic. Embarquant pour un voyage intense, elle découvrira les bienfaits des rencontres sur son chemin…

À PROPOS DE L'AUTRICE

Férue des langues, de littérature et de cinéma, Mathilde Allaire a toujours nourri le désir secret de publier son premier roman. Cependant, tout comme le protagoniste de son histoire, ses passions ont très souvent été reléguées au second plan, se laissant submerger par les obligations du quotidien.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 189

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Mathilde Allaire

Dernier report pour l’égoïsme

Roman

© Lys Bleu Éditions – Mathilde Allaire

ISBN : 979-10-422-2720-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122 – 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122 – 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335 – 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre à danser sous la pluie.

Sénèque

Rien n’est peut-être plus égoïste que le pardon.

André Chamson

1

— Bonjour Madame Baubourg. Je vous en prie, installez-vous et dites-moi ce qui vous amène.
— Bonjour Docteur. Je viens pour mon renouvellement de pilule. Mon ordonnance est périmée, ce qui ne doit pas être encore le cas de mes ovaires, plaisanta alors Charlotte, un grand sourire aux lèvres, en s’asseyant sur la chaise que l’on venait de lui désigner d’un geste de la main.
— Ah, si vous faites référence à la ménopause, à mon avis il est encore un peu tôt pour vous, en effet, renchérit le Docteur Campion, qui venait également de regagner son fauteuil.

Il fixa son écran d’ordinateur en plissant les yeux.

— Date de naissance… le 9 janvier 1985. À 38 ans, vous auriez de l’avance, même pour la préménopause, affirma-t-il encore. Je vais vous renouveler tout cela, évidemment. Est-ce que l’on reste sur la même pilule ? Vous n’avez pas d’effets indésirables depuis le temps que vous la prenez ? Rien d’anormal, pas de gêne particulière… ?
— Non, tout va bien. On repart sur la même prescription que d’habitude, cela me convient, répondit alors Charlotte.
— Très bien. Vous n’avez pas d’oubli de pilule ?
— Non. Je suis plutôt très rigoureuse. Je mets toujours ma petite alarme sur mon téléphone à 20 h le soir.
— Parfait. Puisque vous êtes là, je vais en profiter pour vous ausculter. Je vous en prie, enlevez votre manteau, asseyez-vous sur le lit et donnez-moi votre bras droit pour que je vous prenne la tension.

Charlotte s’exécuta. Elle venait de terminer sa semaine de travail et se réjouissait de bientôt sortir du cabinet médical pour pouvoir enfin savourer sa soirée. Son rituel du vendredi soir était d’être en famille avec son mari et ses trois enfants, tous assis dans le canapé devant la télévision, tomates cerises et olives apéritives sur la table basse du salon.

— Bon… 18/8 de tension c’est loin d’être satisfaisant, grommela le Docteur. Êtes-vous en activité ? Ressentez-vous de la fatigue et du stress ces temps-ci ?
— Humm… eh bien, c’est vrai que je me sens un peu K.O depuis quelques jours et j’ai eu quelques migraines et étourdissements – réfléchit alors Charlotte. Je travaille, 39 heures par semaine, sans compter les heures supplémentaires régulières en ce moment au bureau, mes deux heures de trajet par jour aller-retour pour me déplacer sur mon lieu de travail et mes trois enfants qui me demandent aussi pas mal d’énergie, ajouta-t-elle, avec un léger rictus d’amusement en pensant alors à leur malicieuse frimousse.
— Très bien. Je vois que le programme est bien chargé, effectivement. Je vais écouter votre cœur, cela va être un peu froid – annonça le Docteur Campion, stéthoscope en main. Vous travaillez dans quoi ? Avez-vous songé à prendre un peu de vacances prochainement ?

Charlotte restait assise sur le lit en attendant que le pavillon de l’instrument médical lui glisse un petit frisson sur la peau.

— Je suis Assistante commerciale et non, les vacances ne sont pas prévues pour tout de suite, malheureusement. Les prochaines ne seront qu’en juillet, répondit-elle avant de laisser planer un silence nécessaire à l’auscultation du médecin.
— Vous pouvez vous relever et retourner vous asseoir sur votre chaise, c’est bon pour moi – annonça le Docteur Campion, une fois l’examen terminé. Vous ne m’avez pas dit : quels âges ont vos enfants ?
— Maël a quatre ans, Inaya, sept ans et Sarah vient d’en avoir douze ce mois-ci, répondit alors Charlotte en fixant des yeux le médecin traitant, qui enroulait son stéthoscope avant de le ranger sur la table à roulettes où rôdait toute une panoplie d’instruments et de compresses stériles.
— Bon. Je vois que vous avez un quotidien qui ne doit pas manquer de piquant ! Vous avez bien des occupations entre le travail à plein temps, vos loulous en bas âges, la maison et le mari, qui vous demande sûrement autant de temps que votre petit dernier… plaisanta-t-il. Votre fatigue passagère se comprend. Sûrement rien d’alarmant, mais j’ai tout de même entendu quelques palpitations en écoutant votre cœur, avec un léger souffle. J’aimerais que vous voyiez un cardiologue pour faire un bilan. Nous ne sommes jamais trop prudents, même à 38 ans ! Ce qui m’ennuie le plus c’est votre tension : elle est beaucoup trop élevée pour une femme de votre âge. Il va falloir vous ménager ! Je vous prescris de quoi la faire redescendre et il va falloir que nous la contrôlions régulièrement…

Le Docteur Eric Campion annonçait son verdict, tout en s’asseyant de nouveau à son bureau, les yeux fixant son ordinateur par-dessus ses lunettes en demi-lune, comme on en faisait plus. Charlotte, assise en face de lui, l’observait et se disait au fond d’elle-même qu’il était plutôt sympathique, mais assez vieille école. Elle irait de toute manière faire ce fameux bilan, mais seulement lorsqu’elle en trouverait le temps. Tout ce qu’elle était venue chercher, c’était sa précieuse pilule.

Elle acquiesça, et il renchérit :

— Je vous imprime l’ordonnance de votre pilule avec votre cachet pour l’hypertension et celle d’une prise de sang également. Je vous rédige un courrier de recommandation pour mon confrère spécialiste en cardiologie, le Docteur Hermann. N’hésitez pas à le contacter rapidement, car je sais qu’il y a un peu d’attente pour un rendez-vous avec lui. Je vous invite aussi à rappeler mes secrétaires lorsque vous aurez les résultats de l’examen. Nous pourrons alors faire le point avec votre prise de sang également.
— Je vous remercie Docteur, je n’y manquerai pas, répondit Charlotte tout en se relevant.

Elle enfila son manteau, prit son sac à main et les feuilles que lui tendait le généraliste. Tout en le remerciant pour la consultation d’un hochement de tête (à défaut de ne plus pouvoir serrer les mains des praticiens sous l’ère post-coronavirus), elle franchit le seuil de porte du médecin. Du coin de l’œil, elle vit à l’horloge du cabinet, qu’il était précisément dix-huit heures et trente-sept minutes ; l’heure de déguerpir en week-end le plus rapidement possible.

— Au revoir Docteur.
— Au revoir et à bientôt surtout, Madame Baubourg.

2

Arrivée devant chez elle, Charlotte actionna le badge de son portail afin qu’il s’ouvre à distance. Une petite merveille de technologie qui lui évitait de sortir de sa voiture par ce temps de pluie assez désagréable pour une fin de journée qui l’avait littéralement lessivée. Elle appuya également sur la télécommande de son double garage et y stationna sa DS7 gris métallisé. Elle sortit de voiture, à l’abri du froid et des giboulées du mois de mars, pour s’engager dans son cellier et rejoindre sa cuisine où elle prévoyait déjà de s’emparer d’une tomate cerise.

À trente-huit ans, Charlotte faisait attention à ne pas se laisser aller à grignoter n’importe quel gâteau apéritif et elle essayait de réfréner ses fringales du milieu d’après-midi au travail, en préférant boire une tisane pour compenser ses envies. Le vendredi soir, elle avait bien le droit de faire une entorse au reste de la semaine, en s’octroyant un verre de vin avec son conjoint, Thomas. Charlotte s’était pesée la veille et maintenait son poids à 58 kg pour 1,65 m. Plutôt sportive à l’origine, elle avait délaissé la course à pied, le handball et la salle de fitness après la naissance de son troisième enfant, Maël. Elle savait qu’elle reprendrait ses activités lorsque ses bambins auraient davantage grandi. Pour le moment, ils lui demandaient beaucoup d’attention et elle faisait d’eux sa priorité.

— Maman ! Maman !

Inaya accourait dans la cuisine pour sauter dans les bras de sa mère.

— Bonjour ma petite puce chérie d’amour ! Comment s’est passée ta journée ? demanda Charlotte.
— Bien. J’ai eu tout bon à mon évaluation sur les tables de multiplication aujourd’hui !
— Super ma chérie, comme d’habitude, tu es la plus douée d’entre nous, sourit maman. Et ton frère et ta sœur, où sont-ils cachés ?
— Maël t’attend déjà dans le canapé avec papa qui bouquine et Sarah est dans sa chambre, elle écoute de la musique et elle ne veut pas qu’on la dérange. Elle a un devoir d’Arts plastiques à rendre pour lundi. Elle flippe comme d’hab. En plus, je sais qu’elle va tout déchirer au final. Elle a de bonnes idées, mais elle manque de confiance en elle.

Charlotte sourit à la réflexion un peu trop mature de sa fille de tout juste sept ans.

— Merci ma chérie. Allez, viens. On va prendre l’apéro. Je sors les tomates du réfrigérateur et toi tu vas chercher les olives dans l’arrière-cuisine et après tu amènes les deux bols sur la table basse du salon le temps que j’aille dire bonjour à ta sœur. Tu veux bien ?
— Oui maman !

Charlotte alla frapper à la porte de chambre de son aînée, Sarah. Elle attendit d’être invitée à y entrer pour aller embrasser sa fille.

— Coucou ma grande… je viens te faire un bisou.
— Bisou m’man.
— Comment s’est passée ta journée ? dit Charlotte en s’asseyant à côté de sa fille, sur son lit.
— Fantastique ! ironisa Sarah, les yeux levés au ciel.
— Qu’est-ce qui ne va pas ma poupée ?
— Rien. C’est juste que j’ai eu encore plein de devoirs sur table aujourd’hui et j’en ai marre de l’école.
— Je sais que ce n’est pas ton fort ma belle, mais tu t’en sors bien.
— Non. Papa n’est pas fier de mes notes. Je le sais. Pas besoin de me rassurer.
— Eh… écoute ma chérie. Moi, tes notes me conviennent. Je n’attends pas que tu me ramènes des 18/20 à chaque évaluation. Tu as des matières où tu cartonnes… comme les Arts plastiques.
— Oui, mais papa veut des 18/20 et des 20/20 en Maths, en Français, en Anglais et il veut que je choisisse Allemand en deuxième langue vivante l’année prochaine et moi je n’en ai pas envie.
— Je sais ma Sarah… mais ce n’est pas parce que papa est Directeur financier d’un grand groupe de luxe qu’on doit tous devenir Astronaute, Chirurgien cardio-vasculaire ou prix Nobel de Physique, pour obtenir son respect et l’impressionner. Je n’ai pas fait des « Albert Einstein » moi, j’ai fait des enfants. Je veux que mes enfants soient heureux et si cela passe par les Arts plastiques, alors fonce ma puce. Mais là tout de suite… c’est apéro ! s’exclama Charlotte en chatouillant sa fille qui se mit à grimacer et rouler sur son lit.

Charlotte s’avança vers le salon, suivie de Sarah. Elle fit un baiser furtif sur la bouche de Thomas qui releva la tête, par-dessus le canapé. Allongé sur la méridienne, un livre axé sur la politique dans la main gauche, il tentait d’apaiser Maël avec quelques massages machinaux dans le dos de son fils, de la main droite.

— Oh alors mon loulou ! Tu ne fais pas un bisou à maman ? Tu préfères te faire papouiller par papa on dirait…

Charlotte s’était maintenant assise près de Maël pour lui décrocher un énorme câlin.

— Bonjour maman ! s’exclama Maël.
— As-tu été sage aujourd’hui ?
— Oh non ! répondit Thomas à la place de son enfant, en relevant la tête de son livre. J’ai dû le punir dans sa chambre plusieurs fois depuis que nous sommes rentrés. La nourrice m’a dit qu’il était excité dès la sortie des classes. Encore une vraie pile électrique. Je viens de le convaincre de se calmer pour qu’il puisse faire l’apéro avec nous.
— Je ne suis pas contente de ce que j’entends, dit Charlotte à son fils. J’espère que tu t’es bien calmé, sinon tu risques d’aller au lit plus vite que prévu ce soir, Maël ! Tu peux aller chercher une boisson pour toi et tes sœurs s’il te plaît.

Le garçon s’exécuta alors, plutôt ravi de pouvoir bientôt grignoter ses chips préférées.

***

La soirée ne s’était pas déroulée dans le plus grand des conforts, comme Charlotte l’aurait pourtant désiré très fort. Inaya, de nature maladroite, s’était prise d’une dispute avec son petit frère, pour savoir qui allait manger la dernière chips et avait d’un grand geste du bras, renversé le sirop de Sarah. Maël, hargneux, s’était empressé de finir tous les bols de gâteaux apéritifs lorsqu’Inaya s’était éclipsée pour aller chercher de quoi nettoyer ses dégâts. Au passage, elle avait marché dans le sirop qui avait dégouliné par terre et elle en avait mis partout sur son chemin, du salon à la cuisine. Sarah, quant à elle dépitée, s’était levée du canapé pour s’enfuir à nouveau dans sa chambre, en soulignant que les « mioches l’avaient soûlée » et qu’elle préférait dorénavant rester seule plutôt qu’on lui impose ce « ridicule chaos hebdomadaire en famille ». Quant aux parents, l’énervement était arrivé à son paroxysme. Après s’en être pris aux enfants et les avoir punis, Thomas avait reproché à Charlotte d’avoir voulu mettre trop de gâteaux apéritifs, reportant ainsi l’excitation des bambins sur les épaules de sa femme.

Charlotte, excédée par l’accumulation de sa mauvaise semaine de boulot, les débordements de ses enfants, les sempiternelles complaintes de son mari, les recommandations du médecin et son indéniable manque de temps pour elle-même, avait fini par aller se doucher et se coucher plus vite que prévu, sans manger.

Au fond de son lit à 20 h 30 pétantes, frustrée et blottie sous sa couette, elle avait allumé la télévision. Elle s’était dit que pour une fois, son imposant mari gérerait bien lui-même la fin de soirée avec les enfants. Énervée, elle avait prévenu tout le monde de ne pas venir la déranger. Braquée dans sa colère intérieure, elle regardait alors les images qui défilaient à l’écran sans véritablement suivre le journal télévisé qui se déroulait sous ses yeux. Elle pensait à son homme qu’elle avait aimé éperdument depuis leur rencontre, lorsqu’elle avait dix-neuf ans et lui vingt-deux, mais dont l’amour avait quelque peu terni au contact des années et de leur folle vie de famille. Plutôt sur la même longueur d’onde, une bonne partie de leur vie commune, il y avait pourtant quelques ombres au tableau qui renfermaient régulièrement Charlotte dans ses interrogations et ses craintes.

Au fond d’elle-même, elle savait qu’elle se forçait à sourire dans son quotidien pour « garder la face ». Elle savait que faire bonne figure auprès des collègues, auprès de familles, auprès d’inconnus, c’était là le nouveau monde d’aujourd’hui, baigné dans des eaux superficielles. Bien que peu présente sur les réseaux sociaux, Charlotte n’y coupait pas. Il fallait sans cesse prouver aux autres, prouver au monde que l’on peut très bien avoir trois enfants du même mari, une silhouette acceptable – notamment à l’approche de la quarantaine – et un job de rêve avec télétravail à volonté à la clé. Bref, réussir sa vie… sans faille.

Mais des failles, il y en avait bien, à commencer par son mari qui ne l’était pas officiellement, d’ailleurs. Après 19 ans de vie commune et trois enfants, Thomas et Charlotte n’étaient même pas mari et femme. Thomas ne voyant pas la nécessité de mettre « autant » d’argent dans un mariage, avait seulement dénié accepter un PACS discret, en tête à tête, à la mairie de Vendôme où le couple résidait.

Avec le temps, Thomas était resté svelte et la barbe poivre et sel de ses quarante et un ans le rendait plutôt bel homme, mais Charlotte voyait désormais en lui toutes les raideurs d’esprit avec lesquelles il avait évolué au cours de sa vie de carriériste. Cet homme, qui avait été doux, devenait de plus en plus aigri et strict, surtout avec elle, pensait-elle. Les jolis mots des premières années avaient petit à petit laissé place à de subtiles, mais permanents reproches, que Charlotte ne supportait plus.

Elle ne voulait pas quitter son homme. Elle ne voulait pas lui faire ce mal ni rompre la structure et l’équilibre d’un cocon familial pour ses enfants. Elle n’était même pas sûre de pouvoir de nouveau aimer la vie ailleurs, la vie autrement qu’ici et maintenant, pourtant recluse dans le fond de son lit.

3

Charlotte venait de se garer sur le parking de son travail, situé à Beaugency. Comme chaque lundi matin, la circulation intense l’avait amenée à se demander pourquoi elle allait travailler aussi loin de chez elle. Bien sûr, pour le salaire avant tout. Cela était un point primordial aux yeux de Thomas et Charlotte ne voulait pas le décevoir. Au fond d’elle-même, elle savait que ce rythme de vie ne la rendait pas heureuse. Elle, elle aimait jouer de la guitare en autodidacte, juste pour son plaisir personnel, avant d’être mère de famille. Elle aimait écrire aussi. Elle aimait faire des choses de ses mains. Créer et rêver étaient sa passion. Mais cela ne payait pas les factures, surtout en période de crise où l’inflation était au bord des lèvres de tous les Français. Alors elle franchissait chaque jour le même portique de sécurité avant d’accéder au bâtiment où se trouvait son bureau, depuis maintenant treize ans.

— Bonjour Charlotte !
— Bonjour Maud. Comment vas-tu ce matin ?

Charlotte venait de croiser sa collègue, télévendeuse. Elle n’avait pas très envie de rentrer dans la routine sociale des discussions banales, mais elle savait qu’elle n’y échapperait pas tout le long du chemin.

— Ça va, je te remercie. Prête à vendre comme un lundi quoi… Et toi, comment s’est passé ton week-end ma belle Charlotte ?

Charlotte songea un instant à tout le remue-ménage du vendredi soir et au reste du week-end mené par les lessives, le ménage de la maison, les activités sportives des enfants… Elle n’avait pas pris une seule minute pour elle.

— Oh… tu sais, avec les enfants c’était la course. Le week-end est passé comme une flèche. Vivement le mois de mai avec tous les fériés qui nous attendent.
— Oui je les attends aussi avec impatience les week-ends de trois jours ! Moi, mon gamin a eu la gastro toute la nuit dernière. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Elle va être belle la journée, je te le dis ! Vivement qu’on se casse et qu’on se couche ce soir ! pouffa Maud de rire.

Maud, 32 ans, mère célibataire un peu rondelette, était dotée d’une certaine bonhomie. De son franc parlé, Charlotte savait qu’elles n’échangeraient jamais de grandes conversations philosophiques ensemble. De toute façon, au travail, elle s’en tenait au strict minimum dans les relations. À part bien sûr avec son binôme de travail, Carine, devenue sa meilleure amie dans la vie.

Arrivée à son poste, elle ôta son manteau, alluma son ordinateur et pointa son heure d’entrée à l’écran, avant d’aller saluer chaque collaborateur présent sur l’open space. Ce rituel était devenu moins fastidieux malgré tout aux yeux de Charlotte, depuis l’arrêt des bises et des poignées de mains crasseuses d’hommes tout juste sortis des toilettes sans passage hygiénique par le robinet des commodités…

Après salutation de tous les « costards-cravates » (comme elle aimait les appeler secrètement), Charlotte se dirigea au bureau de son amie Carine, qui embauchait 30 minutes plus tôt qu’elle.

— Coucou ma belle, comment vas-tu ? demanda Carine, un grand sourire aux lèvres.

Comme à son habitude, Carine, grande rousse svelte aux formes avantageuses, irradiait la pièce de sa joie de vivre quotidienne.

— On ne peut mieux ! sourit Charlotte qui savait pertinemment de qui sa fille Sarah tenait ses traits d’ironie.
— Oh toi, vu ta tête, tu as passé un week-end déprimant. Allez, viens ma grande, on va commencer la journée par un bon café. Je prends ma clé, c’est moi qui t’invite ce matin !

Charlotte sourit à la proposition spontanée de son amie et acquiesça volontiers sans se faire prier. À la machine à café de la salle de pause, elles se racontèrent toutes les deux leur week-end respectif. Carine, célibataire de 40 ans et sans enfant, s’était inscrite à une randonnée nordique avec ses deux belles-sœurs. Elles avaient vu de superbes paysages ressourçant lors de leur excursion bretonne sur le sentier des douaniers du GR34. Charlotte s’était confiée quant à elle sur son excursion « merdique » au fin fond de son lit le vendredi soir et ses disputes à bâtons rompus, en comparant toujours railleusement son week-end avec celui de son amie. Elles avaient beaucoup ri, malgré tout, de la situation.

— On plaisante ma belle, mais tu ne peux pas rester comme ça. Tu as besoin d’air, sinon un jour, tu exploseras en plein vol, ma luciole. Dis à Thomas qu’il mette un peu plus la main à la pâte et qu’il soit plus cool avec toi. Je le trouve un peu trop autoritaire, or tu n’es pas sa fille.
— Merci. Tu es mon rayon de soleil du matin ma bichette…
— Tu dis ça parce que je t’ai payé un café, plaisanta Carine.
— Oui. On peut dire que tu me connais bien, sourit Charlotte.

Elles rirent de bon cœur toutes les deux, tout en retournant à leur poste de travail : Carine dans son bureau, et Charlotte sur le plateau commercial de l’open-space du service RHD. Toutes les deux Assistantes commerciales, elles avaient des fonctions à la fois similaires et différentes. Elles n’exerçaient pas pour les mêmes responsables, mais il arrivait qu’elles aient besoin de travailler ensemble sur certains projets ou qu’elles se relayent sur leurs temps de congés. Elles avaient ainsi appris à se connaître treize ans auparavant et avaient établi leur amitié au-delà de la frontière du travail.

L’heure de la pause déjeuner sonna assez vite pour ces deux collègues qui, comme chaque midi, grignotaient ensemble. Elles se trouvèrent une table pour deux au self de leur entreprise, sans passer par la salle des plateaux-repas, puisqu’elles amenaient toujours leur propre nourriture.

—