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"Destin troqué" explore l’imprévisibilité de la vie et du futur. À travers l’épopée de Joame, ce récit révèle que le destin n’est en aucun cas figé, mais façonné par nos choix quotidiens. Chaque action, chaque décision tracée ou recalculée, ouvre la voie à des conséquences tantôt lumineuses, tantôt sombres. Cet ouvrage vous invite à reconsidérer vos croyances sur le destin et à vous immerger dans une réflexion profonde sur le pouvoir transformateur de vos actes.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Joel Messou est un passionné de langues étrangères et de littérature française. Actuellement enseignant de français en Allemagne, il intervient dans des instituts de langue et donne des cours à l’Université Friedrich Alexander de Nuremberg.
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Seitenzahl: 282
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Joel Messou
Destin troqué
Roman
© Lys Bleu Éditions – Joel Messou
ISBN :979-10-422-6845-9
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« Notre père qui es dans les cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Que ta volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux… » Ce soir-là encore, ces paroles, je ne les récitais pas avec très grande conviction. Peut-être le fait de les avoir chaque jour récitées depuis tout petit avait enlevé à cette prière son caractère sacré. Vous savez, cette monotonie qui nous poussait non plus à dire les choses avec ferme assurance, mais à les dire de façon superficielle sans penser à ce que l’on dit au moment auquel cela est dit. Je récitais alors cette prière parce que c’était comme ça chez nous. C’était ce que nous, la famille presque entière, devions dire chaque soir avant de regagner nos chambres. C’était le pacte que nous devions renouveler jour après jour avec l’Être suprême pour le remercier pour cette journée qu’il avait rendue possible, pour qu’il nous accorde sa protection tout au long de la nuit qui avait déjà commencé et aussi pendant la journée du lendemain.
Après cette prière, en un temps deux mouvements, je rejoignis ce qui me servait de chambre : maintenant, je la partageais, par la force des choses, avec mon frère cadet et notre benjamine tous encore mineurs. Ce soir, bien qu’étant épuisé, je ne pouvais m’adonner au plaisir de m’assoupir quand je rentrai dans la chambre parce que je devais préparer mon voyage : faire ma valise, ranger dans mon vieux placard ces quelques vêtements qui n’allaient malheureusement pas effectuer le déplacement parce qu’étant pour la plupart usés. Du placard, il ne restait quasiment rien à part de vieux bois rendus en poudre par des bestioles à certains endroits.
C’était ma dernière nuit dans la cour familiale, ou plutôt devrais-je dire tout court ma dernière nuit dans cette petite ville de Douba : ville qui m’a vu naître, grandir et ville dans laquelle j’avais fait mes premiers pas à l’école jusqu’à l’obtention récente du baccalauréat. Demain, je devais aller à la capitale pour mes études universitaires. Le paysage, les ruelles, l’école, la maison, etc. Tout cela allait me manquer. Je me remémorais les heures supplémentaires de révisions que mes amis de classe et moi faisions à l’approche du baccalauréat. Aussi de ce sentiment paradoxal qui, après la composition, nous faisait parfois croire que nous obtiendrons ce diplôme sans souci et d’autres fois nous faisait douter. Les compositions, les résultats ; tous ces événements étaient gravés dans ma mémoire. J’y repensais et j’en riais. C’était donc ça la vie : finir une étape et en débuter une autre. Cette dernière nuit, je restai allongé sur la grande natte de la chambre avec mes frères, leur prodiguant quelques conseils avant que nous ne nous séparions.
Il fait jour, le coq d’une voix semblable à celle d’un trompettiste venait de nous donner le traditionnel coup de sifflet qui faisait débuter nos journées. Ce matin, il régnait un calme inhabituel au sein de la maison des Sémou. Famille qui avait été, ces deux dernières années, le champ d’exhibition de l’oppression et de la méchanceté sous toutes ses formes. Le chef de famille, mon père, était un journaliste de renom qui exerçait son métier avec une ardente passion. S’il y a bien une chose par laquelle il se caractérisait, c’était l’honnêteté. Dans une société où les plus grands oppressaient les plus petits, il était la bouée de sauvetage qu’avaient les personnes démunies pour dénoncer les injustices dont elles étaient victimes chaque jour. Son arme de défense à lui était son stylo et sa feuille. Il rédigeait régulièrement des articles de journaux qui dépeignaient sans voile ni masque le quotidien de ces David face à leur Goliath qu’étaient les plus riches, les gouvernants. Contrairement à la plupart de ses collègues qui ne rédigeaient que des articles pour vanter les mérites des hommes forts de l’État alors que sachant pertinemment aussi leurs odieux agissements, M. Sémou levait le voile sur tout ce qui se passait dans l’ombre qu’il savait. Cet esprit de dénonciation des hors-la-loi, il l’avait développé alors qu’il était encore tout jeune. En fait, cet engouement pour le triomphe de la vérité tire son origine d’une histoire qui l’a marqué à vie : cette histoire, il me l’avait racontée à maintes reprises si bien que je la maîtrisais comme si elle était mienne. C’était la suivante : quand il était encore élève au second cycle du collège, l’un de ses amis de classe avait été lynché par une bande de jeunes garçons d’une année leurs aînés de l’école parce que l’un d’entre eux était amoureux de la compagne à cet ami de mon père et qu’après l’avoir abordée, cet aîné avait reçu un refus catégorique de la fille. Elle lui avait fait comprendre qu’elle était déjà en couple avec une personne qu’elle aimait beaucoup et avec qui elle prévoyait de fonder une famille. Frustré par ce refus, ce dernier avait alors décidé de passer ses nerfs sur l’heureux élu de celle qu’il courtisait. C’est ainsi qu’ils avaient, lui et sa bande, bastonné l’ami de mon père jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ce crime avait eu lieu à l’arrière de leur lycée sous le regard de tous ceux qui passaient ; élèves comme passants ordinaires. L’information de cette tragédie se répandit de bouche à oreille à travers toute l’école et dans toute la petite ville comme de petits pains. Tout le monde connaissait bien l’identité de celui qui avait commandité ce crime, mais qui allait bien pouvoir dénoncer le fils du maire de la ville ? Qui allait s’arrêter au tribunal pour affirmer avoir vu le fils unique du maire et ses amis rouer de coups un élève jusqu’à ce que ce dernier succombe ? Il fallait ne pas tenir à sa vie et surtout être fou pour pouvoir faire cela. Justement, ce fou-là, c’était mon père ! Il l’avait bel et bien fait ! Ainsi, grâce au soutien qu’il reçut des personnes qui, après avoir vu en lui la bravoure et le courage, décidèrent de se joindre à lui notamment le préfet de région, l’ami de l’injuste assassiné obtint gain de cause. Cela ne pouvait évidemment pas faire revenir le disparu à la vie, mais le fait de savoir que le criminel et ses acolytes allaient passer un très long temps derrière les barreaux consola mon père de la disparition si tragique de son jeune ami. Depuis cet événement, bien qu’étant encore très jeune, père avait gagné en estime dans le cœur de tous les habitants de Douba. Il avait même été surnommé le « Robin des bois ». Pour des raisons universitaires, il dut quitter cette petite ville pour l’étranger où il étudia le journalisme pendant cinq années avant de revenir sur la terre de ses ancêtres et de s’installer à Douba, sa ville natale, pour y exercer son métier de cœur. Quoique des années fussent passées, la considération et le respect que les gens lui vouaient étaient restés intacts. Son acte de bravoure avait été raconté aux plus jeunes qui s’étonnaient du fait que presque toute une ville aimait et respectait tant une personne. Cet amour pour lui croissait encore plus à cause de ce qu’il faisait comme travail, sa perception de la vie et sa volonté d’avoir un monde égalitaire, sans discrimination, un monde dans lequel tout le monde avait les mêmes chances. C’était ça, M. Sémou, c’était ça mon père. Naturellement, ce qu’il faisait était dangereux comme métier, mais s’il s’était arrêté là, peut-être aurait-il eu la vie encore sauve. En effet, dans ses recherches, il avait découvert un vaste réseau de blanchiment et de détournement d’argent dont certaines autorités du pays, voire certains ministres, en étaient les auteurs. Je me rappelle aujourd’hui encore la tête que fit maman quand il lui annonça qu’il voulait écrire un article pour le faire savoir au grand public. « Tu deviens fou ? C’est très dangereux cela. La société a toujours été ainsi : les riches se sont toujours livrés aux magouilles pour faire prospérer malhonnêtement leurs affaires. De quoi veux-tu te mêler ? Comme les autres, fais mine de ne rien voir s’il te plaît. Toute injustice n’est pas bonne à être dépeinte. Il y va de ta sécurité et de celle de ta famille. » Il avait esquissé un petit sourire avant de lui répondre calmement et tendrement : « Je sais, ma jolie, je sais. Je comprends aussi tes craintes, mais pour une société meilleure et plus juste, il faut un nouvel élan dans lequel chacun aura les mêmes chances de réussite et où toute fraude sera sue et sévèrement punie. Je rêve d’un monde plus juste et plus honnête. Un monde qui fera reposer son développement sur le travail légal et acharné plutôt que sur des affaires louches. Je suis prêt à endosser la responsabilité de ce qui va suivre après la parution des articles que je compte publier. Ne vous inquiétez pas, je vous ai fait des assurances à vie qui s’occuperont de vous et veilleront à votre sécurité si jamais je dois avoir des problèmes, chose dont je doute fortement d’ailleurs. » Il avait ainsi réussi à convaincre sa femme et par ricochet toute sa petite famille. Obstiné, il fut effectivement paraître cet article qui était la dénonciation du détournement de plus de la moitié du produit intérieur brut du pays. Aussitôt l’article paru, il fut invité sur un plateau de télévision pour une émission qui était suivie partout dans le pays. La rediffusion de cette émission était pour le jour d’après son passage. Ce soir-là, il demanda à ce que sa femme et moi, l’aîné de ses enfants, soyons près de lui pour suivre l’émission. Nous étions assis au salon et avant le début de la rediffusion, il m’avait dit ouvertement « ce combat, je le mène non pas pour en profiter moi-même parce que je suis déjà âgé et je vais bientôt rejoindre mes ancêtres. Je le mène pour tes petits frères et toi parce que je veux que vous grandissiez dans un environnement dans lequel vous pourrez vous épanouir et aussi où toute injustice sera bannie ». Nous suivîmes ensuite l’émission. Cet homme que je voyais devant les médias était la fierté de toute la famille. Il parlait avec une telle assurance et aucun sentiment de peur ne se lisait sur son visage quand bien même il indexait le plus directement possible des personnes connues du grand public et actrices de ce détournement. À la fin de la rediffusion, son téléphone ne cessa de sonner. Combien de fois a-t-il sonné ? Une vingtaine de fois sûrement. C’étaient tous des numéros inconnus qui l’appelaient. Après réflexion, il décida de décrocher à l’un des appels. Il se leva et se dirigea vers le balcon de la maison. Depuis le salon où maman et moi étions, nous pouvions entendre la houleuse discussion entre son interlocuteur et lui. Pendant que celui de l’autre côté du téléphone semblait menacer mon père, celui-ci répondait toujours et toujours « non, je ne supprimerai pas cet article ». Cet appel a duré une trentaine de minutes puis, vers la fin, je me souviens encore de ses derniers mots à son interlocuteur « cela ne vaut pas la peine de vouloir m’intimider, je ne supprimerai pas l’article, honorable Monsieur » après quoi, il lui raccrocha au nez. Il s’arrêta ensuite seul au balcon pendant plus de cinq minutes et réfléchit. On aurait dit qu’il semblait maintenant se rendre compte de la gravité de ce qui se passait et était inquiet pour la suite. Il revint au salon et dit à sa femme :
Il ne restait plus que lui et moi au salon. Même si j’essayais de comprendre ce qui se passait, la situation me paraissait quand même un peu complexe.
Il rentra ensuite dans la chambre conjugale où se trouvait déjà son épouse et après avoir longuement discuté avec elle, elle en ressortit puis rentra dans la chambre de leurs enfants, mes frères, et commença à faire leurs valises. Il avait donc réussi, une énième fois, à convaincre ma mère. Cette nuit fut longue pour nous trois : père, maman et moi. Mes petits frères, eux, dormaient encore. De toute façon, même s’ils étaient éveillés, ils n’auraient rien compris à tout ce qui se passait parce qu’étant encore petits.
Le matin, comme prévu, nous nous apprêtâmes et fûmes sur le point de sortir de la maison, quand trois véhicules blindés de la police vinrent garer devant la maison. Les hommes qui descendirent des véhicules et vinrent toquer le portail de notre maison avaient la mine, pour le moins du monde, joviale. Père, depuis sa chambre en haut, ordonna au vigile d’ouvrir le portail. Ces policiers ou plutôt ces hommes en habits de police rentrèrent dans la cour de la maison en presque poussant le vigile.
Nous étions tous cachés dans une chambre en haut. Père, ayant observé la scène, commençait à se sentir triste. Il sortit de la chambre après les efforts vains de dissuasion de ma mère, vint à la porte d’entrée de la maison et leur cria :
Ils vinrent aussitôt tous vers lui.
Il n’eut pas le temps de terminer ce qu’il disait qu’il reçut un violent coup de poing à la bouche.
Ils le traînèrent presque pour le faire sortir de la maison. Ils le mirent à l’arrière d’une voiture et partirent. Ils avaient laissé l’une des trois voitures et quatre hommes pour surveiller la maison.
En haut dans la pièce où nous étions, ce n’étaient que des pleurs ! Ma petite sœur asthmatique, ne pouvant supporter de voir son père battu et traité ainsi, piqua une crise. Elle commença à étouffer. Partagée entre l’enlèvement de son mari et la crise de sa fille, maman cria de toutes ses forces. Elle descendit implorer l’aide des personnes qui surveillaient la maison. Elle leur demanda, ne serait-ce que, de lui permettre de sortir et d’envoyer sa fille dans le centre de santé le plus proche, mais ils refusèrent catégoriquement. Moi aussi, pris de panique, je ne savais quoi faire. Qu’est-ce qu’il fallait bien faire pour sauver la vie d’une fillette qui était en train de trembler et qui semblait agoniser ? La laisser le temps qu’elle revienne à elle-même toute seule ? La jeter dans de l’eau pour qu’elle reprenne ses esprits ? Lui dire de douces paroles à l’oreille ? Je ne savais pas, j’étais perdu ! Plus le temps passait plus elle suait à grosses gouttes et devenait pâle. Elle arrivait très difficilement à respirer, mais que diable fallait-il faire ? Maman qui était descendue depuis un certain temps ne remontait toujours pas ! Comment devrais-je gérer autant de pression ? J’eus soudainement un déclic ! Sa Ventoline ? Oui, sa Ventoline ! Pendant qu’elle souffrait de ce mal les autres fois, père lui mettait dans la bouche un objet qui avait la forme d’une pipe, elle en aspirait ensuite le contenu et quelques minutes plus tard son état se stabilisait. Mais où est-ce que j’allais trouver cet objet ? Dans sa chambre sûrement ! Je la confiais à mon frère qui continuait toujours de la souffler en pleurant. J’allais dans sa chambre, je la fouillais de fond en comble, mais je ne trouvais cet objet nulle part ! Ni dans les tiroirs de la petite table de sa chambre ni sous le lit ni dans son placard. Elle seule savait où elle rangeait cela, elle seule était celle qui pouvait nous renseigner, mais elle était inconsciente, entre la vie et la mort. Je retournais donc dans la chambre où tout le monde était. Maman était de retour, elle réessayait tant bien que mal de la réanimer. Je l’informais que je n’avais pas trouvé la Ventoline de la petite. Elle descendit encore pour implorer ces personnes en bas pour qu’elles puissent, cette fois, seulement laisser le vigile aller acheter une Ventoline pour la petite à la pharmacie de proximité. Elle leur avait tout expliqué : l’état dans lequel la petite se trouvait, mais là encore, ils ne voulaient rien comprendre. Ils disaient avoir reçu l’ordre de ne laisser personne entrer ou sortir de la maison, et que celui ou celle qui n’obtempérait pas à cette consigne et qui essayait de la braver devait être abattu ; c’était ainsi le moyen qu’ils avaient trouvé pour avoir un œil sur la famille de ce journaliste qu’ils détenaient dorénavant. En haut, l’état de la petite allait de mal en pis. Elle commença à trembler fortement pendant près d’un quart d’heure sous nos regards impuissants. Toutes nos tentatives de réanimation entreprises jusque-là demeurèrent vaines. Puis au bout de ce long moment d’agonie, la môme fit un grand bruit qui jusqu’à présent est resté gravé dans ma mémoire avant de rendre l’âme… Elle n’avait que quatre ans. C’était la première victime de ce combat de justice que mon père venait d’entamer. Maman mit plus d’une heure à accepter ce décès. Elle n’était pas la seule d’ailleurs, nous tous étions sous le choc. On essayait tout ce qui était humainement possible pour la faire revenir à la vie, pourtant rien ne se fit. On commençait à réciter des prières de miracle qu’on avait apprises à l’église, le résultat ne changea pas malgré cela. Ah ! Était-ce donc ça le prix à payer pour le simple désir de voir un monde juste ? Un monde dans lequel tous seront égaux ? Une vie si innocente enlevée. Un décès que l’on aurait pu éviter si nous étions vraiment dans un État démocratique dans lequel chacun pouvait dire ce qu’il pensait et demander des comptes aux dirigeants s’il sentait que quelque chose n’était pas fait de façon transparente. Nous voici aujourd’hui privés de notre père, à côté de cela, il y avait aussi le décès de notre benjamine qui ne savait même pas ce qui se passait, mais malheureusement mourut aussi inutilement à cause de la méchanceté du régime. Quand mère eut accepté que c’était vraiment fini et que jamais plus sa fille ne reviendrait à la vie, elle souleva le corps sans vie et vint le mettre devant les hommes qui nous surveillaient au portail : « Ma fille est morte, voici le corps, prenez-le ! Quand vous nous aviez interdit de sortir, n’est-ce pas ce but-là que vous vouliez atteindre ? Vous l’avez fait ! Bravo ! Merci ! Voici là tout ce que vous savez faire : créer la désolation et la tristesse partout où vous allez. Prenez là, mangez là si vous le voulez ! »
Elle se tourna vers nous et nous dit : « Rentrons dans la maison et laissons le corps ici, qu’ils en fassent ce qu’ils veulent ces sorciers ! »
Ces paroles traduisaient sa désolation et la haine qu’elle ressentait à l’égard de ces hommes-là au moment de l’action. Nous restâmes dans la maison hautement surveillée pendant des heures. Vers quatorze heures, d’autres policiers vinrent à la maison pour une perquisition. Ceux-là semblaient être de vrais policiers. Ils s’exprimaient bien et rien qu’à regarder leur expression faciale, on pouvait comprendre qu’ils compatissaient à notre douleur. Ils étaient, malgré eux, contraints à faire une chose que leur morale n’acceptait pas. Ils se mirent au travail après avoir brièvement échangé avec maman en lui expliquant que c’était indépendant de leur propre volonté et que l’ordre venait tout droit d’en haut. Ils fouillèrent entièrement la grande maison pendant des heures. Puis sans preuves matérielles en main, ils partirent après nous avoir dit que père avait été emmené à la prison de la ville suite à une plainte déposée contre lui et ses amis pour diffamation et qu’ils y seront jusqu’à son jugement. S’il s’agissait de diffamation, pourquoi alors une perquisition au domicile du présupposé menteur ? Depuis quand l’on a menti avec des preuves ? N’est-ce pas que cette perquisition fut une idée de ceux que père avait ouvertement dénoncés et de qui il avait dit avoir des preuves les compromettant ? Tous dans la pièce en étions conscients, même les policiers. Deux heures encore s’écoulaient après le départ de ces récents policiers sans qu’on ne puisse sortir de la maison. Nous étions pris en otage dans notre propre maison. À la tombée de la nuit, l’un des hommes rentra dans la maison et nous demanda de sortir sans prendre d’effets et de ne plus jamais revenir dans cette maison parce qu’elle allait être saisie.
Où étions-nous censés partir à cette heure assez avancée de la nuit ? Nous étions dans cette ville comme de parfaits étrangers, sans famille. Même si nous avons, au fil des années, noué de solides contacts avec certains citadins, qui s’aventurerait à héberger chez lui la famille d’un prisonnier politique sachant que ses bourreaux ont les yeux partout et savent tout ? Nous étions conscients que nous étions comme des orphelins désormais, sans soutien ni aide, mais que pouvions-nous faire ? La maison allait être fermée aujourd’hui et sûrement vendue dans les jours à venir. Il fallait alors sortir et laisser derrière nous tout ce que mes parents avaient pu bâtir après des années de dur labeur. Nous partîmes vêtus comme nous l’étions depuis le matin. Le corps de ma petite sœur décédée depuis des heures maintenant était exposé dans la cour de la maison, au même endroit où maman l’avait laissé quand nous étions descendus un peu plus tôt dans la journée. Ces hommes faisaient mine de ne même pas le voir. Ils riaient, se taquinaient, parlaient à côté du corps sans vie.
Ce truc dont il parlait, c’était le corps sans vie de cette innocente petite fille. Le vigile de notre maison le prit, l’emballa dans un grand sachet noir, le mit sur son épaule et nous suivit. Maman décida que nous l’enterrions à l’arrière de la maison, près d’un arbre. C’est alors dans cette froideur de la nuit que le vigile et moi creusâmes une tombe ; celle qui allait être la dernière demeure de ce corps inerte qui était emballé dans le sachet noir. Elle allait dorénavant se coucher éternellement près de sa maison, mais pas dans sa maison, près de sa chambre, mais pas dans sa chambre. Maman refusa de voir cela de ses propres yeux. Elle alla loin de nous avec les deux autres enfants et pleura. Les cris des meurtrissures de son cœur étaient tellement forts qu’ils déchiraient le calme et la douceur de la nuit de ce jour sombre pour nous. Quand nous eûmes fini, le vigile et moi retournâmes près de maman et des enfants. Le vigile nous fit ses adieux en nous disant qu’il retournait près des siens dans son pays natal. Il nous souhaita tout le bien du monde, et nous aussi. Ce soir, nous avions dormi à la gare routière de la petite ville. C’était là l’explication la plus basique de rien n’est jamais acquis, tout peut basculer du jour au lendemain. C’était l’une des plus longues nuits pour nous, entre fraîcheur et cris incessants d’animaux.
Le matin, maman décida de se rendre à la prison pour essayer de mieux comprendre cette affaire qui paraissait jusque-là floue et pour surtout savoir de quoi on accusait réellement son époux. Elle laissa mes frères et moi à la gare et nous donna, pour acheter de quoi manger, un peu de l’argent qu’elle avait réussi à dissimuler dans ses vêtements hier quand nous quittions la maison. Elle y passa la journée entière. Le soir à son retour, je lui demandai ce qui s’était passé :