Deux enfants de Texaco - Christophe Junior Olea - E-Book

Deux enfants de Texaco E-Book

Christophe Junior Olea

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Beschreibung

Claude et Jonathan, amis d’enfance originaires du quartier Texaco près de la Tsiémé, se retrouvent par un étrange concours de circonstances à Gisors, en France. Cette paisible cité normande, baignée par les eaux de l’Epte, ravive en eux les souvenirs de leur jeunesse passée sur les rives de la Tsiémé. Pourtant, derrière cette douce nostalgie plane une inquiétude grandissante : leur quartier natal est menacé par des inondations qui pourraient l’effacer à jamais du paysage de Brazzaville. La tension s’intensifie lorsque Claude, officier dévoué à sa patrie, se voit confier une mission par un ministre congolais. Face à lui, Jonathan, exilé volontaire et critique acerbe des régimes d’Afrique centrale, exprime son scepticisme. Leur amitié vacille, prise entre des convictions opposées et des espoirs divergents. Jusqu’où les mèneront ces dissensions ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Christophe Junior Olea, ancien responsable de communication de Radio Campus Rouen, a été animateur et reporter pour la radio éducative RC 2 à Rouen. Militant associatif, il a occupé des postes clés au sein de l’AGOEL et de l’APCCO. Sur le plan politique, il a co-dirigé le réseau de jeunes du parti de gauche de 2011 à 2013. Correspondant pour starducongo.com, il signe avec cet ouvrage son deuxième roman.

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Seitenzahl: 182

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Couverture

Page de titre

Christophe Junior Olea

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux enfants de Texaco

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Christophe Junior Olea

ISBN : 979-10-422-5127-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Dédicace

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je dédie ce roman à celles et ceux

qui avaient pour salle de révision, terrain de jeu,

terrain de football, le vieux cimetière de la Tsiémé

situé au nord de Brazzaville.

Une dédicace spéciale à mon ami et frère

Long-Chris Durbon Bitsanga,

avec qui je révisais mes leçons au cimetière.

Repose en paix, frère de lutte.

 

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

Vous allez lire et peut-être découvrir l’un des plus grands romans d’un auteur qui narre le Congo et surtout d’un auteur qui vient de ce beau quartier dont l’ouvrage nous parle, qui n’est autre que Texaco. Belle comme la vie, des existences identiques, avec leurs moments d’espoir ou de rêve d’enfance qui retombent vite lorsqu’on se sépare sans le vouloir, laissant l’amitié s’envoler vers des horizons inconnus deux adolescents.

D’autres l’ont peut-être dit avant moi et l’on peut se fier à leur jugement. À mon sens, Christophe Olea a écrit ce roman que nous croyons vrai. Une œuvre qui parle d’une amitié de jeunesse que nombreux d’entre nous ont certainement connu étant enfant.

L’amitié qui débute très tôt à Texaco, un des quartiers populaires de l’arrondissement 6 Talangaï à Brazzaville, avec deux adolescents qui vont malheureusement se perdre de vue, en raison des circonstances de la vie, mais une fois adultes, ils vont se croiser par le plus grand des hasards dans les rues de Gisors en France. L’un est en mission militaire, car il a fait carrière dans l’armée au Congo-Brazzaville et l’autre habite la ville Gisors, la ville où se rencontrent les deux amis d’enfance.

Les retrouvailles, rien de plus beau pour ces deux amis qui vont sans tarder se remémorer les vieux souvenirs de Texaco et de leur tendre enfance et des rues qui portent encore des empreintes de leurs pieds. L’ambiance est grande et émouvante, ils ne peuvent s’empêcher d’exprimer cette joie d’être à nouveau ensemble après de nombreuses années de séparation.

Cet idéal est réalisé dans un chef-d’œuvre, l’éducation, l’amitié, la loyauté et surtout la relation qui ne sera plus séparée par des rues ou des avenues de Texaco, mais une relation amicale qui sera dorénavant séparée par deux continents, l’un en Afrique au Congo et l’autre à Gisors en France. Cela marque le début non seulement d’une nouvelle aventure pour les deux amis que nous relate le roman via son auteur, mais aussi la découverte d’une histoire par les lecteurs et lectrices à travers ce roman basé sur la réalité de l’amitié.

Le titre est alléchant. L’auteur a su le choisir pour nous captiver, j’ai été captivé, c’est pourquoi j’ai ce privilège de préfacer ce roman qui relate si bien les faits de cette histoire qui commence par la triste réalité de la séparation à Texaco et qui se termine par une joie immense, portée par les retrouvailles de Gisors.

Ory Fabrice Malonga,

Secrétaire général de l’association kartier O'bosso

Natif du quartier Texaco

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

Affalé sur une chaise, le regard nostalgique, Jonathan raconte au couple qui gère le bar café Andzilos du centre-ville de Gisors qu’il fut un élève modèle, travailleur, discipliné, ne craignant pas le soleil ardent du climat tropical pour aller apprendre. Il estime que la génération actuelle ne se rend pas compte de la chance qu’elle a. Lui, Jonathan, fils de fonctionnaires congolais, quittait sa maison située dans un quartier aussi populaire que bruyant, à deux pas d’un « Nganda », un de ces bars en plein air, caractérisé par une rumba mise à fond la caisse, pour aller étudier au vieux cimetière de Brazzaville. Assis sur la tombe d’un inconnu, il ouvrait son cahier et se concentrait pour apprendre ses leçons. Le lieu le plus calme du quartier c’est le vieux cimetière. Jonathan est un enfant de Texaco. Rien à voir avec le Texas, ni avec la célèbre société pétrolière du pays de l’oncle Sam, c’est un quartier populaire de Brazzaville, la capitale de la République du Congo, à la frontière entre l’arrondissement 5 Ouénzé et l’arrondissement 6 Talangaï. Bordé par la rivière Tsiémé, le quartier Texaco tire son nom d’après la légende d’une station d’essence de la société pétrolière Texaco. Jadis présente au rond-point de la grande artère du quartier, cette station d’essence aurait donné son nom à ce quartier. Le couple français feint de croire aux dires du Congolais. En réalité, ils le prennent pour ce genre de charmant mythomane liant l’imaginaire au réel, exagérant sur une Afrique où tout est dur, tout est dramatique. Jonathan ne sert pas à ce couple une affabulation, c’est bien vrai. Oui, le cimetière de la Tsiémé sert de lieu de révision aux élèves et étudiants de Texaco. Jonathan fut un élève dont le sérieux ne souffrait d’aucun doute, il prenait le chemin du cimetière presque tous les jours. Parfois, pour éviter d’être chahuté par sa bande de copains, il cachait sous son Tee-Shirt son cahier, son but n’était pas d’attirer l’attention, il ne souhaitait pas qu’au quartier, tout le monde sache que sa passion c’est les études, et sa muse son cahier. Il quittait son domicile de la rue Mfouati, traversait le marché, longeait toute la rue pour prendre au croisement entre la rue Mfouati et l’avenue papa gâteaux la gauche. Une avenue qui porte le surnom d’un célèbre pâtissier, qui avait sa boulangerie-pâtisserie plus ou moins artisanale, mais ses gâteaux furent appréciés par le peuple. Jonathan marcha les quelque 100 mètres qui séparent chez papa gâteaux du pont qui porte le même nom, Papa gâteaux. En traversant le pont, le manque de civisme de la population qui jette des ordures dans la rivière le révoltait. Il a toujours dit dans son for intérieur, si je deviens maire de la ville, ça va changer. Je vais apprendre aux gens à respecter la nature. Un écologiste avant l’heure, avant que la question soit à la une de l’actualité, et au centre des débats nationaux et internationaux.

À Texaco, il y a deux rives. En traversant le pont, Jonathan se retrouvait à la rive gauche. Deux gangs rivaux appartenant à l’une et l’autre rive guerroyaient et étaient prompts à « castagner » l’intrus. Ces gamins fascinés par le cinéma américain prenaient comme surnoms les noms de héros de films et même les titres des films. Les 12 mercenaires et les Terminators sont les fameux gangs. Le studieux Jonathan était docile et non violent, fils de deux fonctionnaires, un couple stable et avenant, mais son crime est celui d’être de la zone des « 12 mercenaires », la rive droite. Pour les Terminators, il était la proie idéale à « grimacer » et à faire les poches. Dans le langage congolais, grimacer n’a rien avoir avec le fait de faire des grimaces, c’est le fait d’intimider, d’user d’une menace verbale, dans le but parfois et hélas de dépouiller. Malgré tout ça, Jonathan ne craignait pas d’aller étudier au cimetière de la Tsiémé. Il faisait des « rencontres bizarres ». En effet, à cette époque où il était au collège et au lycée, Il était mal vu de fumer le chanvre indien en pleine rue. Beaucoup de fumeurs allaient se cacher là-bas, à son lieu privilégié de révision où la concentration extrême est possible ; malheureusement, ce genre de rencontre lui faisait se faire d’autres ennemis, les jeunes fumeurs ne souhaitaient pas que la nouvelle de leur addiction soit connue de leurs familles. Jonathan était donc menacé, l’un des fumeurs lui avait dit :

« Si ma famille apprend que je fume le chanvre, je saurai que c’est toi la balance, je réglerai ton compte. »

Jonathan avait peur, c’est humain. Par contre, rien, alors là rien du tout, ne pouvait l’empêcher d’aller au cimetière. Il alla sur la tombe carrelée s’asseoir, la fraîcheur des carreaux lui procurait une douceur en cet après-midi. En lisant son cahier, il retenait facilement ce qui était écrit.

Au bar-tabac Andzilos de Gisors, sur la rue de Vienne, Jonathan adore conter son passé d’élève et d’étudiant congolais, parler de son quartier Texaco. Avait-il la nostalgie du Pays ? Lui qui est venu en France après avoir obtenu sa licence en philosophie à l’université Marien N’gouabi de Brazzaville s’est retrouvé à Gisors, suite à son mariage avec Ikram, une fille qu’il a connue en cité universitaire, une belle brune venue d’Algérie. Ikram, la passionnée des chiffres, bachelière en mathématiques appliquées de l’université d’Alger, musulmane, fille d’un mécanicien n’a jamais été deuxième de la classe. Toujours Première, elle n’avait rien avoir avec les idées reçues que Jonathan se faisait de la femme musulmane. On lui a souvent présenté la femme arabe comme une femme voilée, vivant l’intégrisme religieux, extrêmement raciste, surtout négrophobe. À sa grande surprise, il a découvert la petitesse de ces fameux clichés ayant la peau dure et le goût du voyage, car même au nord de Brazzaville, ces clichés ont pénétré son subconscient. La première fois qu’il a vu Ikram à la cuisine commune de la cité universitaire de Saint-Denis, en banlieue nord de Paris, Jonathan lui a dit bonjour du bout des lèvres. C’est elle qui a engagé la conversation. Sa grande culture l’a frappé, sa gentillesse, et le fait qu’elle parlait du Congo, de sa population, le situait sur la carte, et connaissait tous les pays frontaliers de sa patrie originelle, a fini par agréablement surprendre Jonathan. Ikram connaît bien le couple de gérants du bar, l’épouse du gérant, la nommée Marie demanda à Jonathan comment est perçu leur couple dans leurs deux familles. Jonathan lui répondit : « Un couple aussi particulier que le nôtre avec un chrétien protestant évangélique noir et une musulmane arabe fait jazzer et fera toujours jazzer. » Il allait poursuivre quand son regard a été attiré par une silhouette qui ne lui est pas étrangère. Un homme de 30-35 ans, de sa génération, d’origine africaine, élancé, ayant l’accent de chez lui, entra et demanda un paquet de cigarettes au gérant. Après avoir réalisé qu’il ne rêve pas et que c’est bien lui, il s’écria :

— CLAUDE !

— Ah, mon ami Jonathan !

Les deux se lancèrent l’un dans les bras de l’autre avec émotion et se donnèrent l’accolade de « coup de boules » propre aux Africains. Sous le regard souriant, rieur du couple gérant, les beaux yeux bleus de la gérante s’humidifiaient, sa sensibilité à fleur de peau faisait son charme.

— Qu’est-ce que tu fais ici, lui demanda Jonathan, tu viens en France sans m’aviser ?

— Je suis en séjour en France, envoyé en mission par le ministre de l’Enseignement primaire et secondaire dont je suis l’aide de camp. Et toi ?

— Je vis ici, Gisors c’est ma ville, je suis Gisorsien.

— Ah bon ? Il y a des Congolais ici ?

— Il y a des Congolais de Brazzaville partout en France, c’est notre deuxième patrie, mon frère.

— Le ministre m’a confié une mission, je t’expliquerai…

— Ah bon ? Vous êtes toujours cachottiers, vous autres de la grande muette.

Puis, Jonathan ayant une aisance relationnelle, le verbe haut et beau, expliqua au couple gérant, Jean-Marie et Marie, que c’est un ami d’enfance, un ami du quartier Texaco. Au-delà des relations de bon voisinage, Jonathan et Claude ont fini par être plus que des frères.

Marie lui demanda :

— Vous avez joué au Foot au cimetière, vous aussi ?

— Ah bien sûr, j’ai joué au Football, étudié, et même fait des cours d’EPS au cimetière. C’est vous dire que ce lieu mythique nous a vu grandir.

Et il avait dans son portefeuille une photo de lui en train de jouer au Football avec des copains. Marie était interloquée quand elle l’a vue. Elle a compris que les récits de Jonathan n’étaient ni fantasmés ni exagérés. Un cimetière servait de terrain de jeu à des enfants. Elle n’a pas pu dire qu’elle n’y croyait presque pas aux histoires de son sympathique client, mais sa sensibilité a encore une fois été touchée. La femme de gauche, qu’elle est, humaniste extrême, ne pouvait tolérer que les pouvoirs publics puissent laisser des enfants sans terrain de jeu, et les obliger à jouer dans un cimetière, et surtout, ne pas respecter un endroit où reposent pour l’éternité ceux qui nous ont précédés. « C’est un sacrilège, on profane l’endroit en agissant ainsi, même si c’est un vieux cimetière. Même si on enterre plus des gens », dira-t-elle dans un ton doucereux et un sourire amical. Claude et Jonathan étaient d’accord. Claude déclara :

— Avec le temps, je me rends compte que l’on a mal agi, on aurait dû sécuriser l’endroit, interdire les gamins et même les élèves et étudiants qui venaient réviser. On connaît tous l’adage quand tu donnes la main, le malin prend tout le bras ; aujourd’hui, plusieurs tombes ont été cassées par des inciviques, des commerçants y ont même érigé des débits de boissons, des stands de grillades, des plus malins volent même les pierres et briques ayant servi à bâtir les tombes pour les vendre aux plus offrants.

— Non, on m’a souvent dit que l’Africain a du respect pour les morts, il voue un culte aux ancêtres, comment peut-on agir ainsi en Afrique ? s’interrogea Marie, avec sa sensibilité légendaire et naturelle.

— C’est triste, c’est lamentable.

La réponse laconique et courte de Claude prouve comme s’il le fallait encore qu’à partir du moment où on désacralise à tout va, on ne respecte rien, ou la loi faiblit quand sa force et sa rigueur doivent être mises à contribution, on a plus d’arguments solides. De toutes les manières, on ne justifie pas l’injustifiable, on a que ses yeux pour pleurer et sa déception au fond du cœur lorsque l’on reconnaît avoir fait fausse route, lorsque l’on admet que du haut sommet à la base, on est tous fautifs. L’État qui devrait veiller à ce que force soit à la loi a faibli. Il détient l’imperium, la justice et la police sont des tentacules de l’état, refuser de les renforcer mène au déluge social, au crash comportemental et l’on est contraint de vivre l’invivable. Même ceux qui ne vivent plus méritent le respect. Les morts méritent d’être respectés. Quand le respect aux morts meurt, la loi doit le ressusciter. Or, dans ce cas précis, force est d’admettre que faiblesse est restée à la loi.

De passage à Gisors, Claude est resté boire un café vite fait avec son vieux pote de Texaco, lui a promis le rappeler, car il était en mission à Gisors pour le compte du ministre. Il est parti en saluant le couple gérant, et Marie lui a lancé :

— Ça doit changer hein !

— La génération de nos enfants changera les choses, la nôtre a échoué, dira Claude d’un ton ferme.

Silencieux depuis un moment, Jean-Marie entra dans la danse en marmonnant : il n’est jamais trop tard…

Le fidèle du bar Andzilos, Jonathan resta. En automne, il adore siroter son café ou sa bière au bar ; lui qui ne connaissait pas comment décapsuler une bière au Congo, voire même le goût du café est devenu un expert en la matière. Le couple lui a donné plus de crédit en voyant Claude et surtout la photo, il s’est mis à l’interroger davantage sur le cimetière de la Tsiémé.

 

— As-tu revu la tombe sur laquelle tu t’asseyais lorsque tu allais réviser au cimetière, Jonathan ?

— Non, ma chère Marie. Elle fait partie des tombes disparues. Je me mets à la place des familles, on tue pour une deuxième fois leur proche parent décédé lorsqu’on agit ainsi. Un matin, tu viens fleurir la tombe et tu ne la vois pas, elle a disparu, c’est un choc.

Le couple gérant est à l’image de Gisors, Jean-Marie est un Normand pur jus. Il a toujours vécu en Normandie et plus particulièrement dans l’Eure, l’un des départements de la région Normandie, Marie est de l’Oise, un département des hauts de France. Cette Isarienne amatrice de voyage a eu un faible pour Trie château, un village de L’Oise frontalier de Gisors. Elle y vivait dans ce petit bourg lorsque Jean-Marie a succombé à son charme. Une cour assidue a fini par faire craquer la belle Isarienne, et après le mariage le couple s’est installé à Gisors. Leur bar a du succès, ils ont trouvé le nom en lisant le roman En première ligne. Séduit par le nom Andzilos, un nom assez spécial, ils ont décidé d’appeler leur bar ainsi. Andzilos est le nom d’un bar ou le héros du roman En première ligne a rencontré l’amour. Les deux tourtereaux qui ont aimé le roman signé d’un romancier africain ont adoré ce nom. Ils sont à l’image de Gisors, car on trouve des Normands qui sont sur leur terre, et des nordistes qui ne sont pas loin de là. Ces voisins nordistes ne se sentent pas dépaysés au bord de l’Epte. Cette douce rivière, turbulente par intermittence et par endroit au gré de la météo, rappelle à Jonathan une autre rivière : La Tsiémé. La couleur café, le calme, et parfois l’affolement de ses courants, le téléporte ; il se voit à Brazzaville lorsque des pluies tropicales durent des heures et causent des inondations. La Tsiémé se jette dans le fleuve Congo, fleuve ayant inspiré poètes et sculpteurs, fleuve qui a donné son nom à deux pays. C’est dans cette rivière que Jonathan a appris à nager, en ce temps immémorial où la clarté de l’eau laissait transparaître un sable fin au fond de la rivière, les familles y venaient faire la vaisselle, la lessive, faire des baignades festives accompagnées de chants et cris de joie. L’agréabilité de la vie, doublée de l’innocence de l’enfance, ont enjolivé les souvenirs de Jonathan.

En quittant le bar, il s’assied sur un banc public. Écouteurs sans fil aux oreilles, volume à fond, il déguste une rumba du crooner de Brazzaville : Doudou Copa. Jonathan est un fan invétéré de la belle voix lourde de Doudou Copa. Ils sont originaires du même département, la cuvette centrale. Doudou Copa est un natif d’Owando comme son grand-père, il se sent fier d’écouter l’enfant du pays dans tous les sens du terme. Ils sont d’une même région, ont grandi dans la même ville Brazzaville, et sont tous les fils d’un même pays le Congo. Il adore un couplet de cette chanson « Pondu ya Limbondo », et le traduit souvent à sa dulcinée Ikram qui doute de la poésie romantique de la rumba :

Quel moustique t’a piqué afin que tu puisses avoir la force de me quitter, moi, l’épris de toi.

L’amour m’a fait chanter de la note Do à la note La,

L’amour s’est transformé en jeu de saut à la corde,

N’importe qui peut venir y jouer.

Me voici en train de pleurer l’amour tel l’enfant de Dieu sur la croix « ELI, ELI, LABA SABATANI ».

Son regard rivé du l’Epte et sa musique exotique, celle qui l’a bercé lors des jours de peine et de joie au gré des intempéries sociopolitiques de son pays résonnant dans ses oreilles, Jonathan a en un laps de temps, la possibilité de quitter la France sans avoir pris un billet d’avion, pour Brazzaville. Le climat d’automne ne le décourage point, il se sent à son aise, est heureux, heureux de savourer les notes de la musique, qui est le patrimoine immatériel de son cœur. Il est né avec la rumba, il mourra avec. Il ignore quand, et où, mais il sait juste qu’il inscrira sur son testament, le plus tard possible, qu’une chanson du crooner de Brazzaville accompagne les pleurs et son cercueil lorsqu’il ira être déposé dans sa dernière demeure, plutôt crever qu’être enterré en France, dit-il à ses enfants, il oublie qu’après avoir crevé, la responsabilité de son enterrement reviendra à son épouse et ses ayants droit.