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C’est l’histoire d’un homme qui nourrit le désir d’être artiste. Cadre de société, il souhaite se constituer un héritage pour ensuite assouvir sa passion. Joignant l’utile à l’agréable et peu enclin à la morale, il trouve ses muses chez les femmes de petites vertus. Il se moque du blâme du diable et il n’hésite pas à lui attribuer la responsabilité de son idylle vécue avec l’une d’entre elles. L’art prend enfin corps, il voit en elle une sublime égérie dont il s’est épris. Au grès de ses rencontres, sa vie bascule car des amitiés insolites naissantes la compliqueront. Dieu et le diable ne seraient-ils pas complices ? Égoïste, il agit selon les désirs de l’un pour parfois assouvir ceux de l’autre… Les doutes, les rancœurs, les apitoiements, les vengeances rythment son quotidien, et ce de façon naturelle. Toutefois, que préférera-t-il entre le vice et la vertu ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Artiste peintre,
Angelo Brenez rêvait, depuis plus d’un demi-siècle, de poser la femme sur la toile et le papier… Il publia plusieurs recueils, ses dessins et ses peintures accompagnés de texte et l’écriture devint ainsi sa seconde passion.
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Seitenzahl: 616
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Angelo Brenez
Dieu, le diable et moi
Roman
© Lys Bleu Éditions – Angelo Brenez
ISBN : 979-10-377-8887-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Dieu aurait-il conçu le diable, ou le diable ne serait-il que la conséquence indissociable de Dieu lui-même ?
L’art se veut être cet insaisissable mouvement où les préjugés s’entrechoquent et où les sentiments les plus divergents convergent à s’unir pour vaincre le scepticisme candide. Avec Angelo, nous sommes confrontés à deux entités puissantes et contraires qui s’affrontent en un rituel artistique rarement égalé. On pourrait même surprendre les anges nous dirent que l’artiste est diablement talentueux.
Et si Dieu maintenant nous envoie des messagers pour nous convaincre de la maîtrise de l’artiste, c’est que quelque part, il trouve dans le fusain du maestro quelques talents divins.
Chez Angelo, le fantasme n’est pas issu d’un imaginaire débridé ou d’une transgression quelconque des sens mais plutôt d’une expression fulgurante de désir qui ne peut être le mieux exprimée que par l’habileté étonnante d’un talent consacré. Le support semble toujours vouloir se soumettre à la seule volonté du maître et bien souvent décidé à s’abandonner aux audaces du trait, ainsi qu’à la soie caressante du pinceau. De la sorte, les courbes s’entrelacent et s’enchaînent en des délires évanescents et charnels. Le fil rouge, qui s’entortille aux mouvements des corps en décrivant des arabesques sensuelles, semble se prélasser aux courbures comme une onde alanguie aux méandres d’un fleuve. Ainsi le corps nous devient si langoureux que l’on aimerait durablement l’habiter.
Il n’est rien à devoir justifier lorsque la cause est louable. Le maître pense le corps qui se love comme une anguille danse en son amphore. La magie du mouvement est un perpétuel enchantement, surtout lorsque le maître bien inspiré, le corps, réinvente. Ce qui sait être créé de l’artiste gardera le charme éternel d’un souvenir d’été. Ainsi le monde perçu n’est pas toujours le monde reconnu.
Sachez être audacieux lorsque rien ne vous menace, dirait le maître prudent, artisan d’un réel sublimé.
Lorsque l’on croit n’avoir plus rien à découvrir, c’est alors que le maître encore nous surprend, par une pose lascive, un tissu vigoureusement froissé. Et dans l’ombre, discret, le regard amusé d’un diable princier qui, pareil à un ange, nous sourit.
Michel Cornet, poète et écrivain belge
Rien ne me destinait à devenir artiste, ma vie était celle d’un gamin, au départ, fils d’ouvrier et à cette époque, normalement, ma destinée allait être faite de labeur. À dix ans au maximum, j’allais devoir travailler en usine, le hasard fit que ma mère eut un petit héritage et comme cela l’horripilait de me voir travailler dans ces conditions, n’étant pas des plus valorisante, cet argent fut consacré à ouvrir un petit commerce d’alimentation. Elle ne gagnait pas des fortunes, imaginez qu’on achetait l’huile et le vinaigre juste ce qu’il faut pour une salade, c’était versé dans une mesure en étain d’un centilitre ou deux centilitres et le contenu était versé dans une petite bouteille… que les gens gardaient comme une relique !
La farine était pesée au gramme… comme tout d’ailleurs, je revois encore la balance avec les poids allant de dix grammes au kilo !
La pièce de devant fut aménagée, le comptoir, des planches posées sur deux tréteaux et le tiroir-caisse, une boîte métallique, les étagères… tout n’était que bricolage réalisé par mon père. Elle gagna plus que d’aller travailler en usine ou au charbonnage pour trier le charbon… ce qui me permit de faire des études primaires. Je n’étais pas spécialement doué mais j’étais studieux !
Déjà à cette époque, je dessinais sur n’importe quoi avec n’importe quoi !
Je n’étais pas croyant mais je crois avoir été le plus assidu dans l’église… pas pour prier mais pour m’extasier devant les peintures, le chemin de croix… que je trouvais mal fait, les proportions n’étaient pas respectées !
Mes primaires terminées, je suis rentré en usine comme commis, j’ai gravé des échelons mais en ayant, comme me disait ma mère, l’idée farfelue de devenir artiste peintre !
Mes moments de loisir, je dessinais ou je peignais, rares étaient les loisirs et au début, j’ai réalisé ce que j’appelais des niaiseries des croûtes !
Trop assidu à mon travail, cela m’a valu mon divorce… avec le recul, j’ai été soulagé, je n’aimais pas mon épouse, ça, c’est certain et j’ai pu enfin, peindre le corps humain. Pas religieusement comme dans les églises, non, j’ai trouvé mes modèles chez les prostituées, ce fut donc du nu féminin. Évidemment, j’ai joint l’utile à l’agréable et le hasard fit qu’au fil des rencontres et des amitiés ma vie bascula… amitiés particulières, j’en conviens, elle bascula au début dans l’absurde, pour au fur et à mesure devenir, ce que j’avais rêvé vivre !
Une aventure rocambolesque se fit avec un nouveau mariage mais avec une femme que j’aimais !
Elle m’inspira, l’usine et tout ce qui allait avec furent jetés aux oubliettes, elle fut mon égérie, mes peintures devinrent… enfin des peintures !
Une jeune fille adoptée par la force des choses fut aussi ma muse et me voilà exposant mes peintures que l’on dit géniales et on me dit avoir mon propre style… pas d’amalgame de couleur, le corps est tel quel et un ridicule ruban rouge fait partie de ma réussite… mon épouse et ma fille sont mes premières critiques et mes uniques modèles !
Ruban créé et placé en harmonie avec le corps le plus souvent dénudé d’une femme au fil de mes rencontres !
Installé à la terrasse d’un petit bistrot de village, je savourais un moment de détente et bizarrement en regardant un enterrement !
— Vous connaissez ? demandais-je soudain à un inconnu, à la table voisine, regardant assidûment cette cérémonie.
— Pas du tout, je buvais simplement un verre et ce remue-ménage attira mon regard… d’ailleurs, je n’habite pas ici ? me répondit-il et me demanda à son tour : vous connaissez le défunt ?
— Non, moi non plus, je n’habite pas ici, je visitais un peu l’endroit et j’avais soif, maintenant, j’observe et je vous avoue apprécier ce genre de cérémonie.
— Ah bon ! me répondit l’homme, étonné.
— Ne soyez pas choqué, ce n’est pas morbide, je ne me complais pas dans le malheur des autres, c’est la même chose pour un mariage et n’importe quelles fêtes de famille. J’observe, j’essaie de percevoir qui est qui… je vois que tous ces gens ne sont pas malheureux… il y a beaucoup d’hypocrisie chez certains, cela se voit de suite. Ils sont là parce qu’un acte de présence est nécessaire… observez-les bien et vous verrez !
— C’est justement ce que je constate, me dit-il, vous avez raison !
Je le vis regarder son verre vide, le mien l’étant aussi, il me demanda :
— Vous reprenez un verre ?
Ne le connaissant pas, un peu étonné, j’ai répondu.
— Pourquoi pas ?
C’est ainsi que commença la première amitié insolite. Pourtant, à part pour le travail, je ne fréquentais pas grand monde.
Pourquoi ai-je accosté cet homme ? je l’ignore.
Parce qu’il observait comme moi cette cérémonie mais ce n’est pas que pour cela, il dégageait de lui une sérénité qui me gagna tout de suite. Je n’avais jamais eu une telle attitude auparavant !
Par contre, lui, j’ignore encore pourquoi il accepta tout de suite ma compagnie et j’ignore aussi pourquoi il me demanda de l’accompagner à boire un verre… et pourquoi il me fit tout de suite des confidences sur sa vie ?
— Il est presque onze heures trente, je vous propose un apéritif, cela marche ? continua-t-il, ajoutant : pour moi, ce sera un pastis !
J’aurais préféré une bière, il y avait même de la bière étrangère sur la carte, en plus, nous n’étions pas très loin de la frontière belge… pays bien plus spécialité que nous dans ce genre de boisson mais j’ai suivi l’idée de cet homme. Il avait sans doute choisi cela, vu le temps ensoleillé ?
— Va pour un pastis ! répondis-je, un peu par politesse.
Et ce Monsieur vint s’installer à ma table et se présenta :
— Je m’appelle Jean Lafontaine, je suis médecin à la retraite. Soixante-trois ans depuis un mois et j’ai envie de souffler un peu. Finis les horaires infernaux ! me dit-il, après un soupir, semblant soulagé.
— Moi, c’est Pierre Office, convalescent et qui avoue être plus que volontaire pour cette nouvelle fonction ! répondis-je, ajoutant : un acompte sur ma future retraite que je compte prendre beaucoup plus tôt que prévu. Un peu comme vous, rares sont les gens qui la prennent si tôt ! disant encore : convalescent d’une simple hernie dans le bas ventre, opérée depuis un peu plus d’un mois, l’opération a bien marché mais si vous saviez ce que j’apprécie cette vie de dilettante !
— Et vous vous y complaisez ? me demanda-t-il, étonné.
— Beaucoup, je l’avoue, m’exclamais-je, j’avoue aussi que j’ai simulé la douleur pour ne pas reprendre trop vite mon travail ! Je plaisante mais comme je compte arrêter de travailler et que j’ai les moyens de voir venir alors, je profite. Je suis plus jeune que vous, à peine un demi-siècle de passé mais c’est ainsi, je n’ai plus aucune envie de reprendre le travail. Rentrant alors dans des confidences sur ma vie privée, je lui dis : je n’ai jamais pensé qu’au boulot mais, qui part de cette planète avec les poches pleines, un portefeuille bien garni ? personne ! ajoutant : mon seul loisir, je barbouille des toiles et cela m’est venu sur le tard, ma fonction me donne peu de temps pour les loisirs. Après un soupir, j’ai ajouté : parfois, je me vois artiste alors… je ne le suis pas mais je reverrai l’être !
— Belle occupation ! me dit-il.
— Oui mais étant cadre dans une grande société métallurgique, départ de chez-moi, six heures, sept lors de grasses-matinées et retour, bien souvent après dix-neuf heures. Si je rentre plus tôt, je ramène bien souvent du travail chez moi. Le dimanche, si je n’ai pas de dossiers, je peux seulement gribouiller un peu !
— Mais douze heures de travail, c’est le lot quotidien de vos ouvriers et pire, il y en a qui n’ont même pas leur dimanche entier pour se reposer.
— Je sais, cela me chagrine d’ailleurs de voir des enfants de dix, douze, treize ans accompagner leur père au boulot. Je vous avoue parfois être un rouge, je brandirai bien ce drapeau ! ajoutais-je sincère, disant alors, sans doute pour me disculper d’être aisé : je viens du peuple moi aussi, mes parents étaient de simples commerçants, leur seul luxe fut de pouvoir acheter leur maison de commerce. Mais pour cela, pas un jour de congé, le magasin était ouvert sept jours sur sept ! Enfin, grâce à eux, j’ai pu faire des études… pas bien longues mais j’ai pu lire, écrire, compter… ce qui n’est pas le lot de beaucoup !
— Moi, c’est de génération en génération, me dit-il, quand et comment cela a-t-il commencé ? je l’ignore mais mon père était médecin, mon grand-père aussi, mon arrière-grand-père n’a même pas commencé la lignée des médecins, son père l’était aussi… paraît-il.
— J’ai eu la chance d’aller un peu à l’école, repris-je, et à treize ans, je suis rentré en usine et heureusement, dans les bureaux comme simple commis. J’ai connu cela, douze heures de travail, six jours semaine, j’ai commencé au bas de l’échelle. Il paraît que j’avais la bosse du commerce, au début, avec mon maigre argent de poche, j’achetais de la mitraille que je revendais où je travaillais mais ensuite, j’ai acheté des pièces à l’usine… pas des grosses mais pour arranger un vélo, une machine à laver. Où je travaille, c’est une fonderie, on y fabrique toutes sortes de pièces, des casseroles aux pièces de rechanges pour des machines à coudre… et maintenant, même pour des machines à vapeur ! Bref, j’ai été remarqué par la direction et à dix-huit ans, je suis passé au service vente… derrière un comptoir, je m’occupais de la quincaillerie mais le décès inopiné d’un confrère m’a bombardé dans les ventes pour les petites entreprises et de fil en aiguille… vous voyez, rien à voir avec la vie d’un artiste peintre ! dis-je pour conclure, ajoutant, mimant la satisfaction : voilà, j’ai eu énormément de chance de devenir bourgeois !
— Vous avez persévéré, bravo mais c’est vrai, on naît parfois du bon côté… ce fut mon cas et un peu le vôtre ! me dit-il, poussant un soupir.
Le serveur apporta nos consommations, mettant fin à nos explications sur nos vies.
— À votre santé ! dis-je.
— À votre santé ! dit-il à son tour.
Devant nous, il y avait presque des bourgeois à cet enterrement, ce qui me fit malgré tout continuer :
— Je voudrais que cela change pour nos ouvriers, tant d’heures de travail pour pas grand-chose mais je ne saurais pas seul – et j’avoue ne pas – avoir le courage de faire changer les choses. Je ne me vois pas politicien, je n’en ai pas l’étoffe, je ne suis pas assez hypocrite ! Je ne me vois pas palabrer pour… ne rien changer mais je travaille au même rythme, sauf que depuis peu, dès le samedi après-midi, c’est le repos… et je peux même m’accorder des vacances. Économe, j’ai acheté des actions de la société où je travaille et grâce au progrès, celles-ci augmentent de valeur.
— Une chaîne sans fin, me dit-il, moi ce fut d’ouvrir un dispensaire… l’appât du gain, je connais !
— C’est tout à fait ça, avec les bénéfices, j’ai acheté d’autres actions… n’empêche, cela m’a valu un divorce, ô combien compréhensible ! L’entreprise grandissant, il y a une dizaine d’années, je suis passé responsable… bref, travail en plus, rentrer avec des dossiers qui ont plus accompagné ma vie que mon épouse. Je ne pense pas avoir été amoureux ou je m’en serais plus occupé et un jour, elle m’a fait cocu… je ne lui en veux pas, je la comprends et elle est partie avec cet homme !
— J’ai une seule passion, je vous l’ai dit, la peinture, je voudrais y consacrer plus de temps et un jour, trouver mes peintures valables pour faire une exposition… mais j’en suis encore loin, ajoutais-je, disant ensuite : et je compte vraiment arrêter et me consacrer à ma passion ! Vous êtes marié ?
— Veuf et comme vous, j’ai besoin de dilettante. Tout aussi bien, notre destination est là !
Ce Jean m’indiqua du regard la cérémonie funèbre et je lui fis remarquer :
— Ce devait être un notable, il y a foule !
— Ou un accident, surtout si la personne est jeune, cela attire plus de monde, me contredit-il d’abord pour ensuite approuver mon observation en me disant après un regard circulaire : ici, vous avez sûrement raison, cela doit être un notable, si c’était quelqu’un de simple, il y aurait moins de monde et l’enterrement serait moins cossu ! Il suffit déjà de regarder les draperies funèbres sur la façade de cette demeure… assez imposante d’ailleurs !
Conversation parfois mesquine, du commérage et notre discussion devenait hégémonique… nous voulions chacun être le plus observateur, le plus connaisseur, le plus intelligent, le meilleur et je lui dis pour me mettre en valeur :
— Vous deviez côtoyer dans votre vie professionnelle, beaucoup plus de diversité dans le genre humain pour être si sûr de vos constatations, moi, dans nos bureaux, tout le monde est sapé comme des notables. Même mon cocher est en costume et cravate !
— Vous avez un cocher ? me demanda-t-il, nullement étonné mais curieux… ou suspicieux !
— Uniquement au travail, spécifiais-je, quand cela le nécessite. Il balade presque tous les directeurs. Le grand manitou a, lui seul, le privilège d’avoir un cocher à temps plein. J’ai ma propre calèche plus que confortable, c’est avec qu’elle que je vais au travail mais une fois là… c’est sans doute pour l’image de la société ? J’aurais préféré ne pas en avoir, ajoutais-je, j’aime conduire, j’aime ma jument. Et je m’arrange pour parfois me passer de cet homme !
— Vous m’accompagnez, j’ai faim ? demandais-je soudain.
Pourquoi avoir demandé cela, ne le connaissant pas et malgré être parfois agacé par sa suffisance, je ne le trouvais pas vaniteux, simplement un peu trop sûr de lui et bizarrement, je fus content qu’il me réponde :
— Pourquoi pas, bien évidemment !
II avait dit cela presque en s’exclamant, heureux de ma proposition. Évitait-il ainsi la solitude ?
Auparavant, le soir, le week-end, ma vie active m’imposait celle-ci, maintenant, j’essayais qu’elle ne soit plus en ma compagnie. Pas que je la détestais mais c’est vrai, j’avais l’impression de n’avoir pas vécu, rien connu… au restaurant, le midi, c’était parfois mon chauffeur qui mangeait avec moi, pas d’ami, pas de véritables amis, mes modèles, des prostituées pour joindre l’utile à l’agréable !
Je ne pensais pas m’en faire un ami mais je crois que j’ai apprécié cet homme dès le début, il me parlait sans courbette, pas comme le personnel travaillant sous mes ordres. Même le reste du personnel de l’usine agissait ainsi, je détestais le, « Monsieur » « Bien, Monsieur » « J’y vais de suite, Monsieur ». J’avais commencé au bas de l’échelle et même ceux que j’avais côtoyés en ce temps-là ne m’appelaient plus par mon prénom. J’avais beau leur dire mais rien à faire, la hiérarchie devait être nommée ainsi « Monsieur ».
Les autres directeurs, comme le patron, c’était « Pierre » mon cocher, ma femme de ménage, eux, c’était « Monsieur Pierre ».
Comme si nous nous connaissions depuis des lustres, comme on servait les repas en terrasse, nous avons préféré celle-ci à l’intérieur, il faisait si beau temps !
Nous avons commandé le plat du jour, la carte n’était pas des plus brillantes, ce fut donc un plat qui s’avisa être du réchauffé… comment faire un poulet à la basquaise si vite ?
La carte des vins, elle non plus n’était pas florissante mais le vin du patron n’était pas mauvais du tout et il suffit à étancher une soif que je n’avais d’ailleurs pas !
Nous ne parlions plus de cet enterrement mais pas possible de l’oublier en mangeant en terrasse, alors nous écoutions les discours d’une oreille distraite, les hommages rendus à cet homme. De temps en temps, je jetais un œil, c’est vrai que l’hypocrisie était de mise, certains parlaient tiercé, sport, d’autres du dernier spectacle vu. Deux jeunes hommes discutaient même de leurs exploits amoureux !
Les discours n’intéressaient que ceux qui les déclamaient et les avaient écrits (parfois) et leurs proches, sûrement par vanités. Cela fait du bien d’avoir un mari, un père, une connaissance ayant un titre ou une fonction permettant de se mettre en valeur et je peux parler ainsi par mon vécu de cadre !
Tout en finissant l’apéritif, nous avons parlé cuisine, c’était beaucoup plus intéressant et je trouvais mon compagnon de table, plus sympathique.
La serveuse venait de déposer nos assiettes mais la conversation vile ne fut pas totalement interrompue, elle continua même durant le repas et c’est la curiosité vis-à-vis de nous qui s’installa !
— Divorcé et plus de femme ? me demanda-t-il.
— Si, Jean, mais plus à demeure, et j’avoue que les trottoirs m’ont fourni de quoi assouvir mes instincts. Et vous ? demandais-je, observant plus intensément sa réponse.
— Jamais !
Il s’était écrié cela, semblant offusqué.
« Ne serait-il pas puritain ? » me suis-je interrogé.
— Je vous rassure, dis-je, je ne cherche pas à me disculper, elle me sert en premier de modèle pour dessiner ou peindre et j’essaie de ne pas servir de gagne-pain à ces garçons peu scrupuleux… qui soi-disant les protègent.
— Comment pouvez-vous savoir cela, qu’elles font cela de leur plein gré ? me dit-il.
— J’ai mes habitudes, disons que je n’aime pas le changement… j’ai été fidèle à mon travail, je ne trompais mon épouse qu’avec lui et actuellement, quand l’appel de la chair se fait pressant, ce sont souvent les mêmes prostituées. Je ne vous scandalise quand même pas ? demandais-je vu la direction que prenait la discussion.
Là, il mit un temps d’arrêt avant de répondre.
« On ne parle pas la bouche pleine ! » n’était pas le prétexte à ce silence, il réfléchissait.
— La seule de ces filles que j’ai abordées dans ma vie, m’avoua-t-il enfin, s’est avérée être soumise à l’un de ces tristes individus. La pauvre avait des ecchymoses dissimulées par une épaisse couche de maquillage. Vous devriez y penser ! me dit-il alors, presque hautain.
Cette fois, c’est moi qui mis un certain temps avant de répondre.
— Mais enfin, Jean, vous n’avez rien fait, vous n’avez pas réagi ? demandais-je, un peu consterné.
— Que pouvais-je faire ? s’étonna-t-il.
— L’éloigner, la prendre sous votre aile, que sais-je !
— J’étais marié et mon épouse était en vacances dans sa famille. J’avoue avoir été un peu lâche mais je vous jure ne plus jamais avoir accosté une seule de ces filles !
J’étais outré par son attitude désinvolte. Moi, j’avais risqué la prison un soir de déprime à cause d’une de ces malheureuses obligées de vendre ses charmes. Elle aussi avait dû subir la brutalité de son triste mâle et la voyant ainsi, je n’avais pu satisfaire ma libido. J’ai passé mon temps à la conseiller, à essayer de la raisonner.
Si je lui en parlais « Quoi faire ? » allait me demander Jean !
Et mon complice, Belzébuth, Satan, diable ou tout autre nom désignant le Malin, me suggéra de dire la vérité !
Je dis mon complice parce que si j’étais dans une situation que la morale réprouve, je l’accusais, c’est lui qui m’avait inspiré et je plaignais l’autre, le grand barbu que l’on nomme Dieu, de n’avoir pas su m’empêcher d’agir !
Ici, je n’ai pas résisté de lui expliquer :
— Un soir, aucune de mes habituées en vue, sans doute occupées ou prenant du congé, j’ai été accosté par une nouvelle dans ce quartier et je l’ai embarquée. Lorsqu’elle me prit le bras, j’ai deviné tout de suite en la voyant grimacer et elle m’avoua avoir mal aux côtes. Ne voulant pas faire souffrir cette demoiselle, j’ai souhaité arrêter notre entrevue. Elle était en main, comme elles disent, et ce soi-disant protecteur lui avait mis une dérouillée… j’étais scandalisé ! La dédommageant malgré tout, j’ai voulu la conduire chez un médecin mais je l’ai vue un peu affolée. Étonné par cette attitude, j’ai voulu malgré tout continuer la conversation en prenant un verre dans une auberge où j’avais là aussi, mes habitudes. Eh bien, oui, c’est parfois là que j’accomplissais l’acte de chair… par discrétion, pour moi, pour ma position, chez moi, celle qui se présentait ne devait pas paraître en être une !
Ce Jean me regarda en dodelinant de la tête et j’ai continué d’expliquer ma bravoure !
« Ce verre fut bu en chambre, je l’ai questionnée et j’ai réussi à lui tirer les vers du nez. Elle rentra dans de vagues explications pour expliquer une chute et à la fin m’avoua avoir reçu une correction. Ce soir-là, au début, ce ne fut que des palabres inutiles, rien à faire, certaines sont soumises et semblent heureuses de l’être, ce n’est pas possible autrement, cette fille semblait ainsi… ou, son homme devait être un affreux personnage aux représailles épouvantables ! »
Durant notre conversation, elle m’a indiqué par la fenêtre ce triste sire… il attendait dehors son pain gagné à la sueur du cul de cette demoiselle !
Maintenant, Jean m’écoutait, sans dire un mot, attentif !
Elle enleva les traces de ses larmes, devant un miroir, son maquillage ayant sali le pourtour de ses yeux. Je suis sorti en premier de la chambre en rage, dans ma calèche, je ruminais, furieux, incapable de quitter des yeux cet homme… il attendait son gagne-pain et quand il la vit, il quitta son trottoir afin de la rejoindre. Ce ne fut pas un acte de bravoure bien glorieux, comme vous, je me trouvais incapable d’accoster l’individu, de lui rendre la pareille, de le couvrir de coups. Mais la rage me fit quand même agir en donnant de grands coups de fouet à mon cheval, instinctivement, je l’ai dirigé vers lui. Bien que la bête fasse un écart pour l’éviter, j’ai renversé ce pâle individu. Il reçut malgré tout, des coups de sabot, bien involontaire de ma jument et il passa sous une des roues de ma calèche. J’ai tiré sur les rennes pour faire arrêter ma jument et me retournant, je le vis étendu.
J’ai alors observé mon compagnon de table, il n’avait pas l’air sceptique, ni curieux… disons intéressé !
« Je suis descendu hypocrite », repris-je, plaignant même ce triste sire au curieux, il était sans connaissance mais je le vis quand même respirer. La police et le médecin furent appelés et il s’est retrouvé à l’hôpital ! Ma seconde et seule vraie bravoure fut de déclarer qu’il houspillait cette malheureuse, un peu lâche, je n’étais pas intervenu, j’ai alors pris la mimique d’un homme ennuyé et honteux et j’ai alors dit que j’ai commandé à ma jument de démarrer, quand elle s’est enfuie, qu’il la pourchassa et qu’il avait traversé imprudemment. Même si, cette pauvre fille démentait mes dires, toujours par peur de cet homme, les coups qu’elle avait reçus, faisaient de lui un suspect. Mais je l’ai regardée alors plus intensivement, malgré qu’avec son maquillage, plus rien n’apparaissait sur son visage, on pouvait un peu voir sa lèvre fendue, elle n’avait pas pu dissimuler les ecchymoses qu’elle avait au bras et au niveau de ses côtes… et qui croire, ce triste sire, une prostituée couverte d’ecchymoses ou moi, passant importunément, là ? En plus, notable, directeur commercial d’une société employant quelques centaines de personnes dans cette ville ?
Ce jean parut alors curieux… il devait se demander ce qu’avait fait cette fille ?
Était-ce dû à ma soi-disant bravoure, l’aspect bancal de son souteneur, cette jeune fille en pleurs, sachant la vérité, aurait dû sauter sur l’opportunité et rien que le silence quand un des policiers l’interrogea. Je la regardais un peu fâcher et devant mon regard suppliant pour qu’elle appuie mes propos, elle parla enfin et ne me démentit pas. Elle avait sûrement vu aussi comme moi qu’avec la tête sanguinolente et inconscient, son souteneur en avait pour quelque temps à être hospitalisé et sans aucun doute, qu’il aurait des ennuis avec la police. De cela, je ne m’en préoccupais pas, je n’avais aucun remords et n’en ai toujours pas !
— Je n’aurais jamais osé agir de cette façon ! me dit alors Jean.
À cet instant, il écoutait patiemment que je continue !
— Accident banal ! dis-je ironique, ajoutant : et je suis fier de l’avoir volontairement causé ! J’ai accueilli cette demoiselle, elle resta chez moi une dizaine de jours. Je vous avoue que je l’ai fait rentrer en catimini, discrètement… j’ai même chargé une consœur qui ne paraissait pas faire ce métier et qui me servait parfois de modèle, d’acheter une tenue, moins équivoque. Par la suite, nous avons appris que la santé de son souteneur empirait, j’en fus heureux. Je lui ai donné un peu d’argent, lui conseillant de quand même quitter la ville… les amis de ce triste sire ne devaient pas être très fréquentables. Elle est retournée auprès des siens et j’ai reçu un jour une lettre… elle m’annonçait simplement son mariage par un faire-part, sans parler de notre aventure, sans me remercier mais je garde cela, c’est pour moi, une espèce de remerciement.
J’ai observé Jean, il allait sûrement me dire que ce n’était qu’un roman, une fable, une ineptie mais non, il regardait de nouveau vers cette cérémonie funèbre !
J’étais choqué, c’est comme si je lui avais raconté réellement une fable… de toute façon, pourquoi chercher des excuses, toutes ces demoiselles ne sont pas obligées ! J’exagère peut-être, nécessité oblige pour gagner leur vie mais alors, de leur propre chef… la vie n’est facile pour personne dans ce monde !
Je trouvais mes pensées abjectes, j’avais eu beaucoup de chance dans ma carrière professionnelle. Je n’avais pas toujours été au sommet dans cette entreprise, commençant comme simple commis mais j’avais connu les bonnes années, celles où seules les compétences étaient synonymes d’avancement. J’avais dû subir les sarcasmes de fieffés imbéciles diplômés, me commandant au début mais à force…
« Vous savez, dis-je arrêtant mes pensées et pour sans doute, encore une fois, me disculper de profiter des charmes de telles filles, un ami m’a un jour demandé de l’accompagner dans un endroit où vous ne sauriez imaginer le beau monde rencontré. Si je dis beau monde, c’est parce que j’y ai rencontré un bon nombre que notre société dit être des gens bien !
— Où ça ? me demanda-t-il distraitement.
— Dans une maison close ! dis-je, puis j’ai nommé : le commandant des pompiers, un professeur, un riche commerçant, un député ! Tiens, ajoutais-je en mentant, peut-être pour l’impressionner, j’ai même rencontré mon médecin et un de ses collègues ! »
Pas un mot, pas un regard vers moi !
Et oui, mon cher, Jean, dis-je obstiné, mon médecin, il se tenait à l’écart en compagnie d’une autre dame, ils regardaient ensemble une fille copuler avec plusieurs messieurs.
— Là, c’est normal, elles sont même surveillées médicalement ! me dit-il simplement, trouvant cela anodin ou voulant m’impressionner, m’empêcher de me disculper car il ajouta : mais, dans la rue, si elles s’offrent, ce n’est pas toujours de bon cœur !
J’ai continué, voulant avoir le dernier mot.
— Je doute que là, elles ne soient pas aussi soumises, puisque la maquerelle, dirigeant l’endroit, vend leurs charmes et touche l’argent, ces demoiselles ne touchent qu’une partie de cet argent. Je vous parie que ce soir-là, bon nombre de participants ont abusé de ces dames de petites vertus, sans s’occuper de leur statut !
Vous ne sauriez me démentir ! insistais-je.
— Que pensez-vous de ce poulet à la basquaise ? me demanda-t-il, pour couper court à cette discussion.
— Ce n’est pas un « Trois étoiles » mais pour du réchauffé, c’est bon. Ma mère me faisait ce genre de cuisine et le soir ou le lendemain, ça semblait meilleur.
— Regardez, me fit-il remarquer, me replongeant ainsi, presque de force, dans ce spectacle funèbre, une jeune éplorée est conduite à l’écart par son soupirant. La veuve la fusille du regard en passant et les deux garçons l’imitent, seule la fille du défunt reste prostrée !
Sûrement une maîtresse !
— Pauvre fille ! dis-je apitoyé, expliquant : Je veux dire, celle que nous supposons maîtresse, j’ai la nette impression que si elle travaillait pour cet homme, son emploi est perdu. Son épouse ne va pas la garder, soyez-en sûr… que va-t-elle devenir ?
— Jouez les chevaliers servants, allez à son secours ! me dit-il ironique.
— Pourquoi pas, répondis-je altier et énervé, je monte dans ma calèche, je fonce dans la foule et en visant bien, j’élimine toute la famille… mais je n’ai pas de calèche aujourd’hui, je voyage en train !
J’avais dit cela en pensant ma fameuse aventure, il haussa simplement les épaules et la serveuse venant desservir, il lui demanda en indiquant le cortège funèbre :
— Qui est-ce ?
— Le maire, Monsieur, un infarctus foudroyant !
— Vous pariez qu’il est mort à la tâche ? lui dis-je, à mon tour ironique, la serveuse partie.
— Que voulez-vous dire ?
— Enfin, Jean, jolie cette demoiselle !
— Ne seriez-vous pas obsédé ? me demanda-t-il, inquisiteur.
— Je plaisantais et pourquoi jouer l’hypocrite, la chose ne me déplaît pas. Mieux vaut se réveiller aux côtés d’une jolie fille que d’une vieille péronnelle !
— Mon épouse n’était plus très jeune mais jusqu’à sa mort, j’ai apprécié sa présence… du matin au soir ! me dit-il, choqué.
— Pardon, Jean, excusez-moi !
Je venais de commettre un impair mais il fut vite oublié. Il avait dû aimer son épouse, peut-être l’aimait-il toujours mais une jolie fille ne le laissa pas indifférent !
Là, je me suis dit que lui aussi devait être tenté par… mais non, à l’entendre parler, ce devait être l’autre, celui qui nous envoie ces petits personnages ailés… moi, mon angelo !
Je devais en avoir deux, un avec des ailes pures et blanches que je surnommais ainsi et l’autre, ses ailes devaient être comme celles de ces bêtes de la nuit… je le surnommais mon diablotin !
Bref, son regard, sans qu’il le veuille, m’indiqua une jeune femme passant là, juste après la fin du cortège. Elle aurait pu effrayer un bedeau, se faire signer une grenouille de bénitier, damner un curé et soumettre à un moine l’idée de jeter sa soutane par-delà les haies. Sa robe était jaune, certes, très légère, elle virevoltait même par ce vent léger mais ce n’était pas que sa tenue vestimentaire qui aurait fait agir ainsi ces gens, elle était tout simplement superbe !
Je l’ai suivi aussi du regard, elle était bronzée, une tignasse noire qui tranchait avec sa robe couleur soleil. Ce jaune la rendait éblouissante !
Elle m’éblouissait surtout parce qu’elle était plus que jolie, elle était belle !
Moi qui dessinais et peignais par loisir, je la voyais déjà alanguie et moi, devant le chevalet, la croquer… faire des croquis… quoique !
Nous étions à cette terrasse, bien à l’abri d’une tonnelle et elle se dirigea vers nous. Elle s’assit en terrasse, juste en face, prenant le soleil. C’était rare les femmes osant s’installer ainsi dans une petite auberge… surtout dans un village !
En ville, dans les salons de thé, c’était courant et même dans les bistrots… mais dans les bistrots, c’étaient souvent des femmes de petites vertus.
Elle ne paraissait pas en être une, elle avait du charme et ses manières étaient distinguées. Quand la serveuse est venue prendre sa commande, j’ai commandé aussi pour moi, j’oubliais presque la présence de Jean. J’étais même ennuyé quand elle apporta mon verre et hypocrite, je lui dis :
— Vous avez mal compris ou je me suis mal exprimé, il manque le verre pour Monsieur !
Elle apporta ce verre et ayant sûrement vu que j’observais trop intensément cette dame pour penser à lui, Jean me fit un clin d’œil. Nous avons ensuite trinqué :
— À votre santé, Pierre !
— À votre santé, Jean !
Cet homme devait avoir un cinquième sens, je l’aurais bien embrassé quand j’ai compris ma bévue… cette attitude prouva ma condition d’homme ébloui !
Je n’arrivais pas à détacher mon regard de cette jeune personne. Elle devait avoir la trentaine, s’approchant plus des trente-cinq que des quarante… pas des trente. Elle sirotait une eau gazeuse, moi, je la sirotais en même temps des yeux. J’aurais voulu être le verre que ses lèvres… et mon nouveau compagnon m’observa avec mes bavardages, il dut me croire pour ce que je ne suis pas !
Jean me remit les pieds sur terre, son âge, ses cheveux blancs, même son physique d’homme un peu fatigué par la vie lui auraient donné le privilège de l’accoster, de ne pas paraître pour un vieil obsédé… mais pour quoi dire ?
— Une Orval, Pierre ! s’exclama-t-il, en regardant la carte, ajoutant : j’ai bu ça du côté de Sedan. Non, ce n’était pas en France mais à Bouillon… enfin, c’était de l’autre côté de la frontière. En hiver, ça se boit à température de cave mais en été, frais, c’est délicieux… cela me faisait m’assoupir si j’en buvais trop !
À notre âge, dit-il alors, se retournant vers moi, nous avons le temps de faire une sieste. N’est-ce pas ?
Avait-il dit cela pour me rabaisser, pour me faire comprendre qu’elle était bien trop jeune pour moi ?
Juste retour des choses et sans demander mon avis, par gestes à la serveuse, il commanda de suite de la bière… moi, trop à l’admirer, je n’avais même pas entendu qu’il en commandait !
— Madame ou Mademoiselle, peu importe, lui dit-il avant qu’elle ne puisse dire un mot, je vous remercie, vous êtes un rayon de soleil, cet enterrement m’avait rendu morose ! ajoutant : excusez-moi d’avoir agi ainsi, je n’ai même pas demandé votre avis, j’ai fait cela instinctivement !
— Merci ! lui dit-elle, avec un merveilleux sourire.
Ce vieux filou devait bien cacher son jeu, il lui avait commandé la même boisson que nous !
Elle avait répondu sans paraître offusquée mais son sourire voulait dire que ce monsieur était un coquin. C’est vrai que sa beauté devait la rendre souvent courtisée.
Excusez-moi de vous avoir accostée, dit-il, je suis réellement désolé !
— Ce n’est pas bien grave, je ne savais pas être un rayon de soleil, c’est flatteur !
Avec son « Merci ! », prononcé auparavant, je n’avais pas pu discerner valablement sa voix mais cette fois, je pus enfin l’apprécier. Elle devait avoir des origines complètement opposées aux nôtres. Le timbre de sa voix, en plus de son physique, indiquait le Sud. Une voix légèrement cassée, chaude comme le soleil !
La conversation ainsi engagée me permit de la regarder plus intensément. Sa peau ambrée que dévoilait un décolleté avantageux, devait être agréable au toucher… moi aussi les souvenirs refirent surface !
Ma jeunesse défila, durant les rares vacances dans la famille de ma mère, je n’en ai d’ailleurs eu qu’une seule et à cause d’un enterrement… je revis cette plage, un simple étang mais mon esprit enfantin avait vu ses berges ainsi, pas d’une mer chaude mais d’un immense lac dans le Sud !
À cause de sa petitesse et le soleil, l’eau y était chaude, je n’arrivais pas à différencier la chaleur de ce liquide limpide au toucher de cette peau que mes mains frôlaient… un amour de jeunesse, une jolie demoiselle à la peau, elle aussi ambrée !
Ce jour-là, sans pudeur, l’inconscience de notre jeunesse, me permit de la parcourir du regard et évidemment, j’avais osé la toucher… pas la caresser mais la frôler, au point quand même de la voir se cambrer, de bomber le torse. Je pense que c’est le premier portrait de femme que j’ai réalisé… de jeune demoiselle et pas nue !
Le décolleté de cette dame, l’échancrure de sa poitrine, c’est ce qui me fit penser à cette Josiane !
Mon regard devait être trop soutenu, avant d’atteindre son visage, il s’est attardé sur son décolleté et elle rougit. Moi, j’ai essayé que mon sourire soit naturel mais sûrement que moi aussi, j’avais les joues en feu. J’avais l’air d’un jouvenceau, d’un puceau pris en flagrant délit… et ce n’était pas l’abus de boissons fortes, le pastis, le vin, l’eau-de-vie et maintenant cette bière, tout cela aurait pu donner le rouge aux joues, non, c’était mon attitude audacieuse… émettant même temps un soupir.
Il fut impossible de cacher mon émoi, je l’ai alors regardé un bref instant, droit dans les yeux mais je ne la voyais plus en réel, elle posait, je la peignais… nue évidemment !
Jean ne disait rien, il nous observait, semblait s’amuser. Au début, je lui en voulais un peu, pourquoi s’était-il permis d’accoster ainsi cette jeune femme, parce que je lui avais fait connaître mon penchant pour la gent féminine ?
Mais maintenant, je ne pouvais plus mal de lui en vouloir, cette jeune femme n’avait fait aucun sous-entendu, j’étais plus heureux que soulagé !
Jean me donna un léger coup de coude, m’indiquant les verres vides.
— Excusez-moi, cher ami, je vous ai oublié !
Maintenant, j’avoue qu’une certaine gêne m’a envahi quand en se levant, elle me fit un sourire à faire pâlir la Joconde… comme si elle s’excusait de devoir partir !
Elle fit un geste refusant mon verre, dit un « Au revoir, Monsieur ! » à Jean et n’ayant pu que voir mon attitude, mon désarroi, elle cligna discrètement des yeux vers moi… sans un mot.
J’aimais ces femmes n’étant pas sottes, suffisamment extraverties pour troubler un homme, le laisser croire que, sachant que…
Se doutait-elle en plus que j’aimais la jeunesse ?
Mais jamais je n’aurais fait des propositions à une femme qui n’était pas libre !
Je le faisais mais dans ces maisons closes ou dans des soirées spéciales, où se trouvaient là ces demoiselles et ces dames qui n’étaient pas de bois !
Je me souviens que ma gêne est devenue en une fraction de seconde, de la fierté !
Je me sentais fier, sans être vulgaire ni grossier, j’avais fait comprendre à cette jeune femme combien elle était jolie, superbe. Beaucoup de femmes intelligentes qui se savent jolies, apprécient être ainsi désirées et subtilement vous le font comprendre. Les pimbêches sont souvent des qui s’y croient, parfois instruites mais fréquemment sottes : « Pour qui se prend-il, ce vieux con ? » se disent-elles.
Cette présence féminine avait même permis à de beaux souvenirs de sortir de l’ombre !
Jean et moi l’avons regardée s’éloigner. Je n’ai pas pu m’empêcher d’émettre de nouveau un soupir quand elle disparut, bifurquant vers la gauche, vers la gare. Ce qui me remit mon travail en tête, nous étions à l’époque où le train prenait de l’essor, mon usine travaillait de plus en plus pour ce genre de transport, plus facile de faire des grands parcours, je me suis dit avoir un peu exagéré avec ce petit bobo, résolu depuis un bon moment. Il y avait même l’automobile mais rare puisque réservée aux gens aisés. Cette jeune dame partie, Jean soupirant à son tour, me dit :
— Plus de notre âge, Pierre, que voulez-vous !
— Et bien, dis-je, étonné, le croyant au départ un peu puritain, vous aussi vous la trouvez superbe ! ajoutant : Au fait, vous venez d’où et où allez-vous ?
— Je vous ai dit être médecin, à Lille, mon dispensaire en plus, j’étais plutôt un petit chirurgien, opérant plus les appendices et les amygdales que les cas graves mais ainsi va la vie ! ajoutant : Le destin m’a fait connaître une épouse très attachée à sa région, moi, venant du Sud, j’y suis resté mais quand même heureux. Maintenant, étant seul, le Nord et son climat m’ennuient, me rend de plus en plus triste, j’en ai marre et je vais chercher le soleil. Et vous ?
— Mon corps, mon pauvre corps réclame, lui aussi réclame la chaleur, lui dis-je blagueur. Disant alors : Avouez que le soleil, c’est plus agréable qu’un cataplasme chaud, posé par un infirmier bedonnant !
— Vous avez une idée où aller ? me demanda-t-il.
— Aucune, Jean, mais je vous avoue chercher le calme. Travailler où tous se croisent, se recroisent, sont stressés, vous appellent, souvent pour des futilités car ils n’osent prendre aucune initiative, cela invite à un peu de calme. C’est ça aussi, ma fausse convalescence, mais les grandes stations balnéaires ne me verront que passer et comme j’ai quelques affaires à régler à Lyon, je vais vers le Sud et je verrai ensuite… je compte bientôt arrêter de travailler et ce n’est sûrement pas dans le Nord que j’essaierais d’être un artiste à temps plein !
— J’ai une petite propriété dans l’arrière-pays, me dit-il, du côté de Valence, à Vaunaveys-La Rochette, une petite piscine vient d’être installée, il ne reste plus que quelques bricoles à terminer à l’intérieur… déjà très habitable mais c’est parce que je suis perfectionniste et comme j’aime bricoler !
« Une piscine, m’étonnais-le intérieurement, même le patron de notre entreprise n’en possède pas, rare sont les gens pouvant se permettre un tel luxe ! »
Si cela vous tente, ajouta-t-il, venez y passer quelques jours ? disant encore : Avant de me répondre, je tiens à vous dire que mon offre est égoïste, j’ai acheté là-bas pour ma retraite avec mon épouse mais j’ai horreur de la solitude. Donc, j’avoue que le temps de faire un peu plus de connaissances dans le coin, cela m’arrangerait !
— Et bien, au moins vous êtes franc ! m’exclamais-je, un peu médusé.
C’était la première fois qu’on me disait aussi crûment les choses. Cette franchisse me plut et j’ai accepté. Égoïste aussi de ma part, la solitude, pour le moment, me pesait autant que la sienne, j’avais envie de côtoyer des gens mais pas la foule !
Nous nous sommes donc donné rendez-vous à Valence, l’endroit étant isolé, paraît-il que ce n’était pas facile de s’y rendre. J’ai quitté ce Monsieur Jean Lafontaine, je devais lui envoyer un télégramme pour dire le jour de mon arrivée afin qu’il vienne me chercher. De toute façon, s’il s’avérait que l’homme, l’endroit, ou les deux ne me convenaient pas, j’étais libre de partir.
Comme ce rayon de soleil en la personne de cette jeune femme, je me déplaçais aussi en train, ce nouveau moyen de transport prenant de l’ampleur. Plus facile de se déplacer… c’est une métaphore mais il réduisait les distances. Même dans nos usines, tout allait plus vite avec l’invention des machines à vapeur !
Tout allait plus vite, avec le progrès, même les missives, le télégramme s’installait lentement mais sûrement. Votre message arrivait chez votre correspondant dans l’heure et même parfois plus vite. On parlait même du téléphone, notre entreprise avait d’ailleurs des actions dans la société qui mettait tout en œuvre pour que cela se développe. Plus besoin d’attendre, on se parle directement grâce à un appareil permettant de parler et de discuter… un embout à l’oreille, l’autre devant la bouche et c’était parti !
L’électricité aussi, autre invention permettant plus de facilité. Même nos éclairages de rue étaient en voie de remplacer partout l’éclairage au gaz.
Cette fois, aucune hâte, mon demi-siècle avait passé si vite, comme j’avais décidé de vivre enfin, de prendre mon temps, j’ai eu une envie phénoménale de flâner. Arrivé à Lyon, je n’ai plus envie de prendre le train, je désirai le calme et je n’avais aucune envie de me retrouver en compagnie d’étrangers… la promiscuité est inévitable dans un train.
Qui m’a suggéré cela ?
Personne, pas le grand Cornu, ni le grand Barbu, j’ai fait un caprice, un caprice d’homme aisé et j’ai cherché, un attelage que je pourrais revendre avant mon retour.
On m’a renseigné un quartier de Lyon, il s’y trouvait un endroit où l’on vend des chevaux et je suis tombé en admiration devant une jument, sept ans, superbe bête, robe noire, brillante, élancée mais robuste… elle pouvait tout aussi bien être montée qu’attelée. J’avais même émis l’idée de la faire ensuite prendre ce fameux train et de la ramener chez moi. Ma jument dans le Nord, avait mérité sa retraite et je ne le destinais pas à la boucherie, une vie au grand air allait l’accompagner jusque sa fin. J’ai acheté une calèche d’occasion, un cabriolet anglais d’occasion, léger mais en parfait état ce qui me permettrait ainsi de transporter mes bagages à l’arrière.
Vers sept heures du soir… bizarrement, moi qui cherchais le calme, c’est près de la gare que je me suis retrouvé… par facilité, là, tout s’y trouve, ou presque. Déjà, j’y ai trouvé mon bonheur, avec cet hôtel, je n’allais y passer qu’une nuit, ce n’était pas le Ritz mais il était plus que convenable. J’étais maintenant aisé mais pas dépensier… ni avare mais si je voulais avancer ma retraite, je regardais à mes deniers. Là, on se chargea de mon cabriolet, de ma jument et mes bagages une fois déposés dans cet hôtel, il était trop tard pour l’affaire m’ayant conduit dans cette ville. Je joignais l’utile à l’agréable, un lointain héritage, une sœur de ma mère qui avait marié un homme du sud… les héritages devenaient coutumier dans ma vie, il y eut mes parents, le frère de mon père, un chef porion, son épouse était responsable des herscheuses, ces femmes tirant les wagonnets, ils étaient dans la fosse quand il y eut un coup de grisou et maintenant, tante Estelle. De tante Estelle, j’avais surtout souvenance de son parfum quand elle est revenue dans le Nord lors l’enterrement de mon grand-père… et de son décolleté !
Bizarre, cette mode cachant entièrement le bas du corps mais dévoilant plus le haut !
Enfin, mari décédé et sans enfant, j’ai eu la surprise de recevoir une lettre d’un notaire… héritage qui une fois passé entre les mains du notaire et de l’état, n’allait peut-être pas être très conséquent mais suffisant pour me permettre de mieux vivre. J’avais calculé, c’était suffisant pour rendre la rente que je versais à mon ex-épouse, insensible à ma bourse, cet héritage serait destiné à cela.
Ne dit-on pas que les petits ruisseaux font les grandes rivières ?
Trop tard pour mon affaire mais pas trop tôt pour le dîner mais le déjeuner en compagnie de Jean, suivi du pousse-café et cette bière, avec cette superbe jeune femme, ne m’incita pas à gagner un restaurant. J’ai flâné, être assis toute l’après-midi dans ce train, m’invita à dégourdir mes jambes. J’avais quand même décidé que la promenade ne serait pas longue, j’étais parti tôt le matin, et cela, deux jours de suite.
Quand les instincts se réveillent… là, je sais qui m’a suggéré cela, sûrement le grand Cornu !
J’avais dit que l’on trouve de tout aux abords d’une gare et un peu avant de gagner un restaurant, une prostituée m’accosta. Était-ce le hasard qui voulut parachever la discussion matinale sur ces filles… jolie fille mais pas toujours le style de demoiselle avec qui j’assouvissais ma libido.
Cependant, suffisamment jolie cependant, pour éveiller mes sens en sommeil et inconsciemment, j’ai bien observé les autres demoiselles… on ne sait jamais !
Il y en avait de tous genres et le plaisir des yeux encouragea une promenade supplémentaire. Je suis un homme, l’acte de chair ne me déplaît pas, que du contraire mais mes sens endormis par mon opération et ma fausse convalescence, ne s’étaient pas encore réveillés… cela faisait un bail que j’avais réalisé la chose !
« Non, pas celle-ci, pas assez… oh non, encore moins celle-là trop, c’est trop… »
Bizarrement, moi, le bourgeois, le maintenant notable, j’aime la femme quand elle se veut un peu provocante. Pas vulgairement provocante comme justement, certaines dames de petite vertu que je venais de croiser mais qu’elles dégagent de la sensualité, un érotisme naturel. Et encore plus, si l’une d’elles se promène à mon bras et que je sais qu’elle m’est destinée. Bref, ce n’était jamais dans l’intention d’un suivi, encore moins pour la vie mais pour un soir ou une nuit et cela me suffisait… après le départ de mon épouse, j’aimais trop la femme, plutôt les femmes, pour n’en aimer qu’une seule !
Quand l’une de ces demoiselles était choisie, dans ces cas-là, j’oubliais mes soucis. Pas de maux de tête comme dans le passé avec mon épouse, pas de blabla !
Ah, leur parfum, malgré parfois être agressif, il respirait la sensualité, la sexualité… le futur plaisir charnel, j’adorais !
Ce soir-là, je me suis donc baladé dans ce petit passage vers l’oubli et cela, avec délice.
Je suis soudain resté un moment pantois, me disant rêver… c’était elle, je ne pouvais me tromper, c’était la jeune femme de la terrasse et j’ai pressé le pas.
Nous avait-elle menti, elle partait dans la direction opposée à ma promenade libidineuse, je voulus m’assurer ne pas m’être trompé et j’ai accéléré mon pas !
Arrivé à sa hauteur, devinant sûrement mon approche par ma respiration accélérée, elle se retourna… ce n’était pas elle mais elle était pourtant tout aussi superbe !
Mon opération, ma convalescence, mes envies d’évasions avaient enlevé de mon esprit un peu de ces choses-là, de ses choses du sexe et c’est au galop qu’elles ont resurgi !
Le restaurant du soir fut oublié et bizarrement, ma fatigue disparut !
Elle s’approcha directement et malgré sa tenue provocante, elle avait de l’élégance. C’est sans retenue et cette fois sans discrétion que je lui ai posé l’immuable question :
— Combien ? demandais-je sans un bonjour.
— Une demi-heure, une heure ou la totale ? me demanda-t-elle, me détaillant de la tête aux pieds.
Ce fut pourtant étrange, son regard et malgré ses paroles crues, elle avait comme une douce sensualité dans sa voix !
— La totale, la totale, la totale ! répondis-je, plusieurs fois, subjugué.
Cette fille avait des yeux couleur de nuit… indéfinissables, suivant l’éclairage, d’une vitrine, d’un lampadaire, ils changeaient, passaient du brun clair au brun foncé… si ce n’était d’un noir profond !
— Un franc cinquante plus quinze centimes pour la chambre, chéri !
Je n’ai même plus pensé au prix, c’était la moitié de ce qu’un bon ouvrier gagnait en un jour mais un peu choqué par son « Chéri » je lui répondis sèchement :
— Pas de chéri, pas de prénom, pas de phrases ou de cris m’indiquant que je suis le meilleur amant… ou le mieux membré !
Un soir, toutes ces paroles destinées à rendre le mâle fier, avaient agi en sens contraire, elles m’avaient coupé mes effets… terminé de rêver, même si j’avais été comme cette fille le décrivait.
Le rêve vaut souvent mieux que la réalité !
Je suis un client, continuais-je moins âpre, je le sais mais ne me faites pas passer pour un étonnant pervers ou un vaniteux idiot. J’ai besoin de vous, de votre compagnie, dis-je alors, presque mielleux, et de m’imaginer plein de choses. Vous êtes superbe, Mademoiselle, ne brisez pas les rêves que je me mets en tête. Comprenez-moi, si vous voulez jouer un rôle, faites-moi croire que je suis quelqu’un que vous aimez. Pas amoureuse, j’aurais du mal à le comprendre mais qu’il y a entre nous une autre relation que…
Elle me regarda étonnée… comment lui expliquer sans parler de sa profession, bizarrement, j’ai eu de l’aversion de parler de ces choses bassement sexuelles… le client et la putain !
Elle dut remarquer ma gêne et me dit :
— Vous paraissez ennuyé, vous pouvez dire votre pensée, je suis habituée. Vous voudriez une relation autre que celle du client et de la pute ! ajoutant : Je sais ce que je suis mais je vous ai compris !
Et cette voix, elle n’avait pas l’accent ni l’intonation des gens du peuple et des prostituées que j’avais rencontrées, elle avait la voix posée de quelqu’un d’instruit.
— Justement, c’est ce que je souhaite, que vous oubliiez cela ! lui dis-je alors et le regard presque suppliant, j’ai ajouté : Que vous soyez ma maîtresse, même une rencontre de passage avec qui s’est créé une amitié… mais qu’il n’y ait rien de mercantile entre-nous !
J’avoue que j’étais compliqué dans ce genre de relation et c’est pour cela que j’avais mes habituées… mais je savais aussi être galant avec ces dames, j’agissais avec elles comme si elles n’étaient pas des femmes vendant leurs charmes !
Mercantile, j’exagère mais une fois que la transaction sera faite, dis-je encore, faites comme si elle n’avait pas eu lieu. Je sais, je suis compliqué mais si vous réussissez à me faire croire que vous êtes éprise, j’en serais émerveillé ! ajoutant en m’étonnant : De vous, il ne doit pas être difficile de tomber amoureux, vous êtes jolie !
Voilà, vous êtes, belle, superbe et le hasard d’une rencontre… oui, pas difficile de tomber amoureux !
Elle me regarda surprise et me sourit.
Sourire de femme, quand il est sincère, il nous fait fondre !
Auparavant, elle devait être étonnée de mes demandes mais elle sembla ravie du compliment… et fermant un court instant des yeux, elle émit un presque inaudible soupir.
Elle venait de réaliser le même acte que la jeune femme, cet après-midi.
Imaginez un scénario de théâtre, dis-je encore, pas un scénario de vaudeville… je sais être compliqué mais je ne veux plus parler d’argent ensuite… dites-moi, combien pour le reste de la soirée et la nuit ? ajoutant : Nous pourrions passer une soirée comme tous les couples, restaurant, et cetera !
J’avais envie d’une réponse affirmative et qu’elle semble aussi ravie de cette demande que de mes éloges. Était-ce son sublime sourire qui me fit demander cela ?
Dieu ne le sait sûrement pas et je parie que le diable, tout comme moi, l’ignore !
— Nous verrons ! me dit-elle de plus en plus étonnée, me prenant le bras et m’entraînant.
Dans une rue adjacente se trouvait un hôtel, dont la clientèle le fréquentant n’était pas difficile à deviner, malheureusement, c’est là que cette jeune femme m’emmena. Elle respectait pourtant le pacte que j’avais proposé, rien d’autre entre-nous que des sourires et le silence. Un regard, un sourire, cela vaut mieux que mille paroles, j’étais sous le charme mais un peu déçu que cela aille si vite !
Donc l’acte se ferait de suite, pas de restaurant, ni de passage ailleurs !
Après qu’elle eut discuté avec le réceptionniste, j’ai réglé la chambre, les quinze centimes. Ce qui m’étonna, c’est qu’elle ne me répondait pas au sujet d’acheter ses charmes jusqu’au lendemain, d’habitude, ses consœurs sont plus directes.
— Vous ne m’avez pas répondu à ma proposition, lui demandais-je de nouveau, avant de rentrer dans la chambre, vous n’êtes pas d’accord ?
— Pour la nuit, ici, spécifia-t-elle, le patron n’est pas souvent d’accord ou il exagère ses prix, alors, c’est ailleurs et là…
Elle ne continua pas sa phrase, ouvrit la porte de la chambre, me fit rentrer et referma de suite. Pas d’autre réponse à ma question !
— Je crois avoir compris ! répondis-je déçu.
Elle semblait ennuyée, c’est vrai que l’intonation de ma voix indiquait être un pauvre niais, agissant avec une prostituée comme un homme qui n’avait jamais réalisé l’acte de chair… pourtant, je lui avais pourtant expliqué qu’elle n’était pas la première !
— Vous n’avez pas bien compris, me dit-elle, vous êtes un peu compliqué, laissez-moi déjà essayer de ne pas vous décevoir !
Me disant cela, elle s’était rapprochée et s’occupait déjà de déboutonner ma chemise, moi, je fermais les yeux, je respirais son parfum… j’avais déjà oublié sa réflexion, ce parfum n’était pas trop fort, pas provocateur, il était plutôt discret, un parfum de femme de bon goût… pas le genre habituel de parfum que ces femmes mettent. Quand elle fit glisser ma chemise, je pus même savourer l’odeur de sa chevelure, son frôlement sur mes joues.
Chose bizarre, chez ces filles, on paie d’avance et elle ne m’avait encore rien réclamé. N’avait-elle pas l’habitude qu’un client agisse comme-moi et pour cela, n’osait pas réclamer… ou faisait-elle cela pour la première fois… ou occasionnellement, par besoin pécuniaire ?
Je ne voulais pas rompre le charme, je ne pensais pas la léser mais j’étais trop bien pour engager la conversation sur ce sujet.
Maintenant, je soulevais son bustier, de derrière, je caressais sa peau, sa jeunesse. J’ai dégrafé le fermoir de son soutien, je l’ai fait se retourner, voulant prendre ses lèvres mais elle me repoussa gentiment.
— Attendez, me dit-elle doucement, presque à voix basse, débarrassez-vous, mettez-vous à l’aise.
Soit, cette fille me subjuguait démesurément ou jouait le rôle que je lui avais demandé à la perfection, elle avait réussi à me faire oublier qui elle était. Inconsciemment, j’ai fait comme d’habitude, j’ai enlevé d’abord mes chaussettes, trouvant horrible un homme nu et ainsi fabulé. Mon pantalon ne fut pas long à joncher le sol, cette fille m’envoûtait !