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Sentant la mort proche, André fait jurer à son fils Philippe de retrouver la trace du héros de la famille, son propre père, médecin des commandos Kieffer, disparu en Normandie en 1944. Philippe, héritier d’une tradition patriarcale vouée à la médecine et l’armée, va se lancer dans une recherche difficile et dangereuse, orientée par les précieux témoignages des vétérans, d’un oncle, ancien maquisard limousin, et les lumières d’une jeune femme professeure d’histoire… Tiendra-t-il sa promesse ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Auteur de romans historiques,
Dominique Grouille est médecin au CHU de Limoges. Dans
Disparu en Normandie, 1944, il s’inspire de son patrimoine familial et nous fait revivre la Seconde Guerre mondiale.
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Seitenzahl: 256
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Dominique Grouille
Disparu en Normandie, 1944
Roman
© Lys Bleu Éditions – Dominique Grouille
ISBN : 979-10-377-6589-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À la mémoire de Martin, mortellement blessé dans les Dardanelles en 1915.
À la mémoire de Lucien, grand mutilé de guerre 14-18.
À la mémoire de Jacques, grièvement blessé lors du débarquement en Provence en 1944.
À la mémoire de Jean, ancien membre du maquis limousin.
À Martine, Pierre, Julien et Nicolas.
Avertissement
En dehors des personnalités historiques, tous les personnages de ce livre sont le fruit de l’imagination de l’auteur. Par contre, la trame historique des commandos Kieffer et du maquis limousin est scrupuleusement respectée.
L’homme se promène les bras dans le dos dans cette cour ceinte de hauts murs dont l’ombre envahissante gâche le temps agréable de ce début de printemps ensoleillé. Il écoute d’une oreille distraite une personne de connaissance rencontrée lors de ses séjours précédents. Il en a marre de ses jérémiades sur ses malheurs, de la drogue qui l’aide à tenir, et bla, bla, bla, il l’a entendu cent fois. Il fait semblant d’écouter mais évite de répondre autrement que par de hochements de tête et des « oui, oui » ou « ah bon ». Dit-il vrai, ce jeune abruti ? N’est-il pas là, pour lui tirer les vers du nez, lui faire avouer ses secrets ? Il en a assez de ces soi-disant compagnons d’infortune, dont beaucoup sont sûrement ici pour l’espionner. Des moutons, comme on dit. Marre aussi des interrogatoires en règle. Mais il sait mesurer ses paroles et dire ce que veut entendre celui qui tient son sort entre ses mains. C’est pourquoi l’homme ne se départit jamais du comportement modèle correspondant aux normes en vigueur en ces lieux.
En tout cas, il n’est pas question de croupir ici, car il doit absolument revenir chez lui à temps pour réaliser le projet qui lui tient tellement à cœur.
***
Philippe se tourne et se retourne dans le lit de son appartement de Limoges. Il cherche vainement un sommeil qui se dérobe sans cesse. Une heure du matin en ce 7 avril 1998 s’affiche narquoisement sur le cadran lumineux de son réveil. Pourtant il devrait s’endormir facilement après presque 36 heures de travail sur le qui-vive. Une journée d’activité de jour, suivie d’une nuit de garde – durant laquelle il n’a pu s’allonger que deux heures seulement – débouchant sur une nouvelle prise de fonction au bloc opératoire. Il est vrai que la dernière partie a été éreintante, encore plus que d’habitude, malgré la haute concentration en caféine. Car au lieu du train-train habituel il a dû s’occuper d’un polytraumatisé à problème. Et il ne parvient pas à en chasser les images.
L’opération se termine et Philippe allège l’anesthésie. L’orthopédiste a fixé sans trop de difficulté le fémur fracassé à l’aide d’un long clou enfoncé sur toute la longueur de l’os. Il referme maintenant la plaie provoquée par un fragment osseux en regard de la fracture. Mais Philippe est inquiet en regardant l’écran de contrôle des paramètres vitaux. La tension artérielle reste basse. Pourquoi ? Il reprend le dossier du jeune blessé rédigé depuis son arrivée aux Urgences et dessine un tableau à deux colonnes sur une feuille blanche. Il s’adresse ensuite à l’infirmier anesthésiste qui a réalisé avec lui les transfusions au bloc.
Son assistant hoche la tête :
Philippe se penche alors vivement sous les champs opératoires et palpe le ventre du patient.
Il informe aussitôt le chirurgien :
Philippe se tourne vers l’infirmier :
Quinze minutes plus tard, le patient est transporté sur un chariot quand le bip-bip du scope ralentit quelques secondes avant de s’arrêter en déclenchant le sifflement suraigu de l’alarme.
Et finalement le cœur est reparti. Mais Philippe n’a été rassuré que lorsque le jeune homme a ouvert les paupières en salle de réveil avec une tension normalisée et stable.
Une foule de questions tourne et tourne encore dans sa tête. N’aurait-il pas pu faire le diagnostic de lésion splénique plus tôt ? N’a-t-il pas tardé à commander plus de sang ? Le jeune homme ne va-t-il pas garder des séquelles cérébrales ? En effet, « bien réveillé » après une anesthésie veut dire que le patient garde les yeux ouverts et qu’il est capable de répondre « oui » ou « non » aux questions simples comme « avez-vous mal » ? Mais un arrêt cardiaque, même de courte durée, peut léser le cerveau et on ne s’en apercevra que les jours suivants. Lorsqu’il a parlé aux parents du blessé ce soir pour les tranquilliser, il a partagé leur émotion d’avoir failli perdre leur fils et leur joie qu’il soit sauvé. Mais comment réagiraient-ils dans le futur s’ils lui imputaient d’éventuelles séquelles ? S’il ne pouvait plus poursuivre ses études à cause de trouble de la mémoire ou de la concentration, par exemple ? Ou plus grave encore…
***
Le ronflement aigu d’un vélomoteur sans pot d’échappement déclenche l’aboiement d’un chien dans un appartement voisin. Philippe est brutalement tiré de la torpeur qui l’avait gagné.
D’autres images pénibles qu’il voudrait oublier ressurgissent malgré lui. Ce jeune soldat était arrivé en même temps que d’autres moins touchés, à l’hôpital de campagne aux fins fonds du désert Irakien. Il était inconscient et couvert de sang. Tandis qu’il l’examinait, son cœur s’est arrêté. Il a réussi à le réanimer et à le maintenir en vie durant l’opération pour stopper l’hémorragie due à la section d’une artère du bras. Il a été heureux de le voir reprendre ses esprits les heures suivantes. Puis le blessé a été rapidement rapatrié en France par avion pour la suite de sa prise en charge.
Quelques mois plus tard, ses parents ont demandé à rencontrer Philippe. Son nom avait été cité par le chirurgien qui l’avait opéré ce jour-là et retrouvé en premier. Un couple d’une cinquantaine d’années était assis en salle d’attente et s’est levé à son arrivée. Auprès d’eux un grand jeune homme triste a simplement tourné la tête.
Bien qu’averti de cette visite par ses supérieurs, Philippe ne le reconnaissait pas avec ses longs cheveux bouclés et son visage un peu bouffi.
Le père s’est approché de lui pour l’aider à se lever :
Il s’est levé à grand peine et a fait quelques pas en titubant malgré le soutien de son père. Il a tendu une main agitée de tremblements à Philippe et a ânonné :
Philippe a senti son cœur se serrer. Le système nerveux du malheureux avait été gravement lésé par son arrêt cardiaque.
La mère a senti sa gêne et a expliqué d’un ton rassurant :
Pauvres gens, a pensé Philippe. Croient-ils vraiment que leur fils va retrouver une vie normale ?
Il faut absolument qu’il dorme un peu. Il allume sa lampe de chevet et avale un Xanax. En attendant son effet, il se remémore comment il avait été entraîné dans cette guerre improbable…
***
Tout a commencé en 1975 quand il a débuté ses études de médecine en s’engageant dans l’armée, car les moyens de ses parents ne leur permettaient pas de financer dix ans d’études. Issu d’une famille de militaires, le port de l’uniforme ne lui posait pas de problème. Son grand-père paternel, Jean Fraisseix, est le héros de la famille, médecin des Commandos Kieffer, malheureusement disparu en Normandie en 1944. Être médecin et militaire comme lui a rempli de fierté son père André qui n’était que gendarme. Ce dernier ne tarissait pas d’éloges sur le glorieux Béret vert et lui avait répété maintes fois dans son enfance : « Nous t’avons baptisé Philippe en l’honneur de Philippe Kieffer, le chef de ton grand-père. »
C’est ainsi que Philippe a fait ses études à Lyon jusqu’en 1986 et qu’il est devenu médecin anesthésiste-réanimateur militaire. Ce n’est que depuis trois ans, en 1995, qu’il est revenu dans sa région natale avec le grade de commandant de réserve et exerce au CHU de Limoges.
Mais dans l’intervalle, la Guerre d’Irak l’a sorti de la routine des missions humanitaires en Afrique ou au Liban. Des mois interminables dans une chaleur écrasante l’attendaient dans les camps du désert d’Arabie Saoudite, tandis qu’hommes et matériels de tous les pays alliés affluaient encore et encore. Philippe n’échappait pas à la question lancinante : l’armée de Saddam Hussein était-elle aussi redoutable que décrite par beaucoup ?
Pendant tout ce temps, sa principale activité était de participer sans enthousiasme aux innombrables exercices de décontamination et aux séances de vaccination à la chaîne contre tous les agents infectieux possibles.
Philippe se voulait rassurant dans les courriers envoyés à ses parents. Mais il sentait bien que son père masquait son inquiétude par des phrases enthousiastes de fierté et d’encouragements le comparant à son glorieux grand-père Jean, lui aussi médecin militaire.
En février 1991, après des semaines d’intense matraquage aérien, débutait enfin l’offensive terrestre. Cette fois, enfin de l’action, une course contre la montre était engagée dans le désert Irakien. Au bout de quelques heures l’équipe médico-chirurgicale de Philippe était embarquée dans des hélicoptères de transport pour suivre les troupes de choc qui rencontraient peu de résistance. Avant le décollage, le chirurgien lui a demandé en lui tapant sur l’épaule :
Philippe a secoué la tête d’un air interrogatif.
Il s’est alors rappelé qu’il avait parlé à son collègue de son grand-père Jean et du Débarquement.
Philippe n’a plus d’autre souvenir marquant de l’avance foudroyante de l’armée française en territoire irakien : 150 km en 48 h. Le nœud routier, la base aérienne et le village d’Al Salman, objectifs de l’attaque, étaient tous pris sans aucune perte de leur côté. Ne se sentant pas la fibre guerrière de son aïeul, il s’était dit qu’il avait eu peur pour rien…
Mais le jour de la fin des opérations allait démontrer à Philippe l’absurdité de cette guerre. En investissant sans combattre le fort de la ville, ancien poste de commandement des Irakiens, les hommes ont été victimes d’explosions de mines d’origine américaine. Des bombes dites à sous-munitions avaient été larguées ici. Elles avaient dispersé une multitude de petits engins meurtriers. Philippe a compris qu’on était loin des « frappes chirurgicales » vantées par les états-majors alliés et à l’origine de « dégâts collatéraux », selon l’expression consacrée. Ce n’était pas seulement des troupeaux de chèvres et leur berger qui en étaient victimes, mais aussi des femmes et des enfants. L’apothéose de l’aberration était atteinte quand deux soldats français ont été tués et 23 autres blessés par ces engins de mort en explorant la place forte. Il en a résulté un brutal afflux de brancards sous la tente où Philippe et ses collègues officiaient. Suivi de plus de vingt-quatre heures ininterrompues d’anesthésies et d’opérations, dont celle du jeune en arrêt cardiaque qui l’a tant marqué…
Le lendemain soir, Philippe exténué, accompagnait le transfert aérien des blessés vers les hôpitaux français. Il terminait cette guerre insensée en avril à Koweit City en sécurisation des équipes de déminage en action dans la ville.
Cette dernière mission avait éteint sa vocation militaire déjà peu ancrée. Comment comparer ce qu’il avait vécu avec l’engagement de son grand-père contre les nazis ? Sa décision était prise, dès la fin de son engagement, il regagnerait la vie civile pour revenir exercer à Limoges, sa ville natale.
Il sent enfin l’engourdissement bienfaisant du sommeil le gagner quand la sonnerie du téléphone brise le silence de la nuit. Il a l’impression d’émerger d’un puits sans fond. Il se croit de garde à l’hôpital et manque de faire tomber le combiné en décrochant trop brusquement. Son cœur s’emballe en entendant la voix de son père.
***
Un comprimé d’amphétamine comme à la guerre et il saute dans son petit roadster Mercedes SLK, son coup de cœur de l’année dernière. « Une voiture de frimeur » avait dit son père. « J’assume » avait rétorqué Philippe. En tout cas, il ne va pas mettre longtemps pour le rejoindre à Saint-Junien. L’air frais qui lui fouette le visage par la vitre ouverte finit de le réveiller complètement.
Il reconnaît que les troubles neurologiques de sa mère deviennent extrêmement difficiles à gérer pour son père. Au début, en 1992, il y a 6 ans déjà, elle se plaignait de quelques trous de mémoire. Elle oubliait parfois un rendez-vous chez le coiffeur – pourtant important pour elle – perdait ses clés, etc. Rien de trop inquiétant en prenant de l’âge. Puis de plus en plus souvent. Les accrochages en voiture se sont multipliés. Leur médecin traitant a annoncé le douloureux verdict à son père : Alzheimer. Au début celui-ci l’a caché à Philippe. Quand il rendait visite à ses parents, sa mère lui semblait, comme d’habitude, souriante et attentionnée. Mais elle se montrait évasive sur les sujets complexes et, sous le regard gêné de son mari, elle apportait des explications plausibles à ses difficultés :
Philippe avait trouvé étrange que son père fasse la cuisine alors que sa mère était un fin cordon bleu :
Philippe était alerté mais ne voulait pas voir la réalité. Cependant, un jour où il passait le seuil de la maison, sa mère venue l’accueillir a eu un mouvement de recul et elle a appelé son père :
Philippe a dû alors affronter la vérité. Sa mère perdait complètement ses facultés intellectuelles. Peu à peu, la situation s’est aggravée. Elle parlait de moins en moins et restait assise dans son fauteuil le regard dans le vide. Elle prenait soudain une expression angoissée, traversée d’on ne sait quelle noire pensée. Ou elle se levait brusquement et tournait dans la pièce à la recherche de quelque chose connu d’elle seule.
Son père lui avait expliqué à voix basse et les larmes aux yeux :
Philippe a le cœur serré en se remémorant cette lente déchéance. Mais déjà il passe le panneau « Saint-Junien ». Peu après il voit son père qui l’attend devant sa maison.
Ils partent chacun de leur côté. À une centaine de mètres, passé l’angle de la rue, l’attention de Philippe est attirée par une silhouette immobile, assise dans un Abribus sous la lumière blafarde de l’éclairage public. Il accélère le pas et arrivé plus près, il reconnaît sa mère très digne, en robe de chambre, un foulard sur la tête et son sac à main sur les genoux. Elle lève les yeux et lui sourit :
Avec beaucoup de douceur et de paroles apaisantes, il réussit enfin à la ramener chez elle. Il fait tout pour lui cacher les larmes qui coulent sur son visage…
***
L’homme est allongé sur son lit, immobile dans la pénombre. Son regard est fixé sur la fenêtre dont les volets clos laissent filtrer la vive lueur de la pleine lune. Il perçoit une sourde menace et sa poitrine est serrée par une angoisse diffuse. Il redoute que le sommeil ne le plonge à nouveau dans un monde peuplé de visions effrayantes. Mais il a pris soin de faire semblant de dormir quand il a entendu la porte s’ouvrir doucement, des pas discrets s’approcher et un regard insistant se poser sur lui.
Il sait qu’il doit absolument ne rien laisser transparaître de ses démons s’il veut réussir à convaincre celui qui décide de son avenir. Il attend avec de plus en plus d’impatience le jour de la décision. Mais quel en sera le résultat ?
***
Une semaine après la fugue de sa mère, au retour de sa journée de travail, Philippe tourne la clé de la serrure de son appartement. Il est heureux d’avoir eu confirmation que son jeune réanimé ne garde aucune séquelle apparente de son arrêt cardiaque au bloc opératoire. Seule la consolidation de sa fracture du fémur demandera un peu de temps pour n’être plus qu’un mauvais souvenir. La porte à peine ouverte, la sonnerie du téléphone retentit. Philippe se précipite pour décrocher en se demandant s’il n’a pas oublié quelque chose à l’hôpital. Non, c’est encore la voix de son père :
Le lendemain à 8 heures, le Dr Broussaud a appelé Philippe pour l’avertir qu’il allait opérer son père. À la fin de l’échange, il a eu une phrase sibylline : « J’espère que ce sont bien des calculs que je vais trouver… » Philippe n’a pas relevé sur le moment, mais il y repense durant le trajet de Limoges à Saint-Junien.
Il se dirige d’abord vers la maison des voisins de ses parents pour s’assurer que tout se passe bien pour sa mère. Rassuré, il se rend ensuite au centre hospitalier. L’infirmière qui le reçoit en service de chirurgie lui explique que son père est déjà en salle de réveil et que le Dr Broussaud l’attend dans son bureau. En s’y rendant, Philippe est étonné sur la rapidité de l’opération. Il se dit que c’est bon signe, car enlever une vésicule pleine de calcul ne prend pas longtemps pour un bon praticien. « Dr Dominique Broussaud » est inscrit sur une plaque métallique apposée sur la porte. Après un instant d’hésitation, Philippe frappe :
Le médecin se lève et serre la main de son visiteur, puis il se rassoit derrière son bureau en l’invitant à en faire autant dans le fauteuil en face.
Philippe pressent qu’il y a un problème et, sentant le malaise de son interlocuteur, il lui demande :
Philippe sent son corps se glacer.
Philippe sonné se tait. Le Dr Broussaud respecte son silence avec une expression sincèrement désolée. Puis il reprend la parole sans conviction :
Le chirurgien opine en soupirant puis reprend :
Deux jours se sont écoulés quand le malade est autorisé à se lever. André est au fauteuil dans sa chambre d’hôpital une couverture sur les genoux et sourit à l’arrivée de son fils après sa journée au CHU. Philippe s’assoit face à lui, satisfait que son ami chirurgien lui ait trouvé une chambre seule. Pour la première fois il se rend compte de l’amaigrissement de son père. Lui qui était solidement charpenté, flotte dans sa chemise d’hôpital. Ses yeux ont pris une curieuse couleur jaune. Cependant André veut rassurer son fils :
Philippe sent alors qu’il peut avoir une véritable conversation avec son père et questionne :
André joue avec la tubulure de la perfusion d’un prend un air pensif et répond :
Philippe approuve de la tête. Son père continue :
Quelle lucidité et quel courage ! songe Philippe avec admiration. Je reconnais bien mon père.
André tend le bras et attrape une boîte sur sa table de nuit. Il la présente à son fils qui reste silencieux :
Philippe se sert machinalement.
***
Deux semaines plus tard, André est rentré chez lui. Il est encore en capacité de se débrouiller seul, mais s’occuper de sa femme est devenu de plus en plus difficile pour lui malgré le passage journalier de l’aide-ménagère.
Philippe est assis au salon avec ses parents et sirote à petite gorgée le tilleul menthe brûlant préparé par son père qui s’active autour de lui. Sa mère est devenue totalement passive depuis l’hospitalisation de son mari. Elle est incapable de boire seule et attend son tour le regard vide, un bavoir attaché autour du cou. André a attendu que l’infusion refroidisse et l’a épaissie avec une poudre spéciale. Il porte les cuillérées à la bouche de sa femme avec une grande douceur. Il se tourne vers son fils avec un triste sourire :
Pendant que le père termine sa tâche, il redécouvre la pièce si familière dans le passé. Des photos et décorations sous verre tapissent les murs. Photos de lui enfant dans différentes villes de France où son père a été affecté, car les gendarmes ne doivent pas rester trop longtemps dans la même ville pour éviter le « copinage ». Cliché de sa mère jeune, l’allure et le regard déterminé d’une femme très active. Qui n’a pas exercé son métier d’aide-soignante pour suivre son mari dans sa carrière militaire. Toujours en mouvement, s’occupant de son mari et de Philippe sans répit. « Ma petite fourmi » ou « ma petite abeille » la surnommait son père, car elle avait des réparties parfois piquantes. Ne pouvant s’imaginer ce que le destin lui réservait. Au milieu de cette exposition de toute une vie sur quelques mètres carrés de papier peint trône une photo. C’est un agrandissement flou de Jean Fraisseix en uniforme britannique, celui des hommes du commandant Kieffer, les premiers Français qui ont foulé le sol de la mère patrie le 6 juin 1944.
Un craquement sort Philippe de sa rêverie. Il tourne la tête et voit que son père a pris place à côté de lui sans qu’il s’en rende compte. Sa mère somnole sur son siège.
André se penche vers lui :
Suivant le regard de Philippe, il ajoute :
Philippe pose sa tasse sur la table basse en hochant la tête. André fait alors part de ses dernières volontés. Croyant et pratiquant, il a déjà eu un entretien avec le prêtre de la paroisse. Il a aussi contacté la Maison de retraite pour y installer sa femme le plus confortablement possible, entourée de ses objets familiers. Il sent bien qu’il ne pourra plus l’accompagner bien longtemps. Comme Philippe est fils unique, il lui lègue sa maison et son épargne, sauf un don à l’Hôpital et au Secours catholique.
André se lève et va retirer de son support la photographie de son père Jean et revient s’asseoir. Il la pose lentement, d’un geste quasi mystique sur ses genoux. Il la caresse du regard les yeux humides et explique :