Dix histoires presque naïves - Daniel Berghezan - E-Book

Dix histoires presque naïves E-Book

Daniel Berghezan

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Beschreibung

Ces dix histoires naïves ne le sont que par leur titre. Ce recueil, à la fois ciselé et empreint d’une fine ironie, s’apparente à une série de fables modernes. Chaque récit s’accompagne de prologues et d’épilogues en italiques, invitant à une réflexion subtile sur les errances et les paradoxes de l’âme humaine. Située, pour l’essentiel, dans le siècle de Maupassant, la narration nous entraîne au cœur d’événements inattendus, où des personnages, confrontés à l’imprévu, empruntent des chemins de rédemption. L’épreuve traversée et la bienveillance rencontrée leur servent de boussole dans un éveil, à la fois ardu et nécessaire. Ces histoires, d’une étonnante modernité, tracent des figures dans lesquelles chacun pourra discerner un reflet de soi-même, tout en suscitant des interrogations essentielles sur notre condition humaine.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionné de poésie, Daniel Berghezan s’attache depuis toujours à éveiller la sensibilité de l’être intime. Devenu récemment artiste-auteur, il s’aventure avec finesse dans l’art exigeant de la nouvelle, où rythme et précision se conjuguent harmonieusement. À travers ces dix histoires anciennes, d’une profondeur délicate, il donne vie à des personnages à la fois caricaturaux et savoureux, esquissant, avec une légèreté teintée d’ironie, une réflexion subtile sur les grandeurs et les fragilités de la nature humaine.

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Seitenzahl: 102

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Daniel Berghezan

Dix histoires presque naïves

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Daniel Berghezan

ISBN : 979-10-422-5697-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Recueils de poésie

Bains

, préface de Chantal Dupuy-Dunier, Éditions Alzieu, 2009 ;

Les Admirés

, Éditions Musimot, 2016 ;

Hommage à Saint-John Perse

, préface de Claude Thiébaut, Président de l’Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse. Dessins de Corinne Heuchel, Éditions L’Harmattan, 2021 ;

Hommage à Simone Weil

, Dessins de Lleann, Éditions du Frau, 2021 ;

Le Grand Oui qui Tremble

, Éditions Sydney Laurent, 2022 ;

Aphorismes

, Éditions Musimot, 2022 ;

Ainsi soit la Mer

, Éditions Vérone, 2023 ;

Méditations poétiques

, Préface de Rachel Deghati et du photographe REZA. Avant-propos de Geneviève Vilon, Éditions Fil de Soi, 2023.

Un élu très républicain

Ne jugeons-nous souvent, bien malgré nous, selon les apparences ? Quelques principes que nous professions, quelle que soit la noblesse de nos sentiments, ne sommes-nous pas irrémédiablement contaminés par l’opinion ambiante ? Nos valeurs morales, que nous croyons si puissamment accordées à notre nature profonde, ne s’évanouissent-elles pas sitôt que confrontées à l’épreuve brute de la réalité ?

Vous trouvez mon jugement bien sentencieux, voire caricatural ? Ce dur constat ne s’appliquerait qu’à des hommes frustres, trop éloignés de nous ? Mais, voyons, que concluons-nous quand une même personnalité nous inspire des impressions mitigées ? Ne restons-nous pas confus, désemparés, quand en premier les actes devraient compter ? Et, par ailleurs, que peuvent vraiment dévoiler les gestes des intentions profondes ?

Laissez-moi vous conter l’histoire d’Archibald Duvernay – du secret, du jovial, de l’énorme Maire de Ravenelle – dont je ne saurai jamais s’il vous donnera envie de rire ou de pleurer.

***

L’imposant bourg de Ravenelle escaladait sans vergogne le versant tout fripé de la butte de la Saint-Sulpice. Il serpentait tel un lierre vigoureux à l’assaut d’un tronc séculaire. Les maisons les plus hardies s’agglutinaient comme une nuée de sauterelles sur les pentes burinées de pluies. D’autres, plus timides, plus discrètes, s’étaient lovées dans les creux à l’abri du vent. Elles se bousculaient l’une l’autre, se poursuivant dans une cavalcade désordonnée. Mais toutes, d’un même effort, s’arc-boutaient pour soutenir l’improbable forteresse qui trônait au faîte du relief. Dressée comme un géant fabuleux, la Citadelle du Comte de Chazelle mordait le ciel de sa denture crénelée.

Les jours étaient paisibles à Ravenelle, où chacun s’efforçait de faire bonne figure. Une solide prospérité allégeait la vie des habitants. Le bourg connaissait un essor prodigieux. Affluant de la ville voisine, la population avait triplé en moins de deux décennies. Une kyrielle d’échoppes savamment achalandées s’était déployée comme une ruche autour de sa reine. Des commerçants avisés, flairant les bonnes affaires, négociaient âprement les épices et les vins, puis les revendaient à prix d’or. Les drapiers vantaient la finesse de leur soie, tandis que les détaillants étalaient les trésors de leur devanture. Appâtés par l’opulence du bourg, de Hauts Magistrats s’y étaient coalisés en puissante confrérie. On les voyait parfois l’été, en toilette parfumée, s’attabler le soir aux terrasses, discutant leurs dossiers avec délectation. Banquiers, commissionnaires, bailleurs et trafiquants à leur tour accoururent grossir la foule des nouveaux parvenus. Et l’on ne tarda pas à célébrer dans toute la région la virtuosité industrieuse d’une cohorte d’artisans.

L’école municipale, où Monsieur Lambert exerçait en qualité d’instituteur principal, profitait tout naturellement de cette formidable expansion. Et le vieux Maître répétait à la cantonade combien ce succès reposait sur l’excellence de son établissement. La Maison n’offrait-elle qu’un havre idéal à la dispensation d’un enseignement rigoureux ? Les élèves jouissaient chaque jour d’une instruction qui érige autant qu’elle charpente l’esprit. Ainsi allaitée aux mamelles jumelles de la connaissance et de la raison, leurs jeunes intelligences s’ouvraient à l’admirable richesse du Monde. Ils apprenaient à discerner, sous la diversité des apparences, la cohérence d’une unique beauté. Et tous chérissaient cette terre nourricière, où, à cent lieues de toute intrigue, battait le cœur préservé de Ravenelle.

***

Cette prospérité inédite, ce dynamisme libéral, chacun ici le savait, étaient dus à l’incroyable énergie du Maire, l’excellent Archibald Duvernay. Cet avocat avisé était l’évidence et la providence du bourg. Son esprit d’entreprise était légendaire. Son entregent lui avait valu, jusqu’au Sénat, d’ardentes fidélités dont il savait mobiliser l’influence. Aux affaires publiques, sa forte présence l’avait aussitôt instauré comme un symbole de l’autorité républicaine. Mais jamais nulle arrogance ne venait ternir l’image de cet homme affable et droit. Il était d’une bonhomie tout en rondeur qui aimantait la sympathie.

Dès le premier abord, on découvrait un homme replet, aux contours dissipés. Encadré par de larges bajoues, son sourire arborait invariablement l’éclat de sa bonne humeur. Le front dégarni donnait une allure d’inébranlable sérénité à sa face rayonnante. Toute sa nature adipeuse, assortie à sa gestuelle exquise, semblait lubrifier ses pensées aussi bien qu’elle huilait ses manières. Il transportait, sans sourciller, l’abondance qui encombrait ses déplacements. Et toujours tranchait sous cet aspect débonnaire cet œil vif et pétillant qui imposait un respect teinté d’admiration.

Plus que tout, Monsieur le Maire était un orateur hors pair. Son éloquence, étayée par une érudition infaillible, savait ciseler les phrases les mieux tournées. Sitôt que risquaient de se crisper les débats, il s’en allait puiser aux sources vives de ses convictions profondes. Il savait convoquer les plus hautes valeurs morales, et les mots de justice et de fraternité affluaient aussitôt à ses lèvres. Ils enflammaient ses discours autant que son visage d’un patriotisme haletant. Alors, transcendé, il irradiait d’une aura derrière laquelle son énorme silhouette s’effaçait comme une étoile sous la poussée du jour.

Le Maire n’accusait qu’une faiblesse, une coquetterie vestimentaire qu’il cultivait avec une application maniaque. Toujours tiré à quatre épingles, il s’était fait confectionner une redingote sur mesure chez un couturier réputé. Chaque jour, il l’enfilait avec le même cérémonial sur sa chemise bigarrée et son gilet anthracite. Puis il ajustait son pantalon après y avoir confortablement logé son éminence ventrale. Il chaussait rituellement ses souliers vernis. Alors que sonnait déjà l’heure de sortir, il affûtait les deux fourches de sa moustache rebiquée. Enfin, jetant mille sourires à un reflet aussi ému que lui, il nouait sa lavallière cerise avant de se coiffer d’un magistral haut-de-forme.

***

Or, il advint qu’au mois de mai, le parfum des fleurs enflait l’air d’une ivresse sucrée. Les narines du Maire frétillèrent. La vie explosait à travers la campagne. Les arbres s’échangeaient des signes de connivence, et toute la nature proclamait l’allégresse d’un prodigieux retour de sève. Archibald rejeta au loin sa panoplie de galant. Devenu simple paysan, il revêtit un pantalon usé, la ceinture fermée sur une chemise chiffonnée. C’était jour de repos pour les domestiques. Il emprunta les bottines du jardinier. Armé d’une canne, il dévala subrepticement l’escalier qui menait à l’arrière-jardin.

— Je vais faire un tour à la Citadelle, taquiner les papillons, avait-il lancé à sa femme médusée.

Et, sans lui laisser le temps de le questionner, se fût-elle avisée de le faire, il se trouva au grand air à humer les divines fragrances du printemps.

Heureux, sifflotant, Archibald dodelinait le long d’un chemin inégal, à l’affût du moindre obstacle à son équilibre. Ses articulations, ses muscles s’étant échauffés, il prit confiance peu à peu, puis raffermit résolument le pas. Le chemin montait-il ? Comme par enchantement, il s’en trouva tout ragaillardi. Son embonpoint pesait-il sur ses genoux ? Il s’en moquait comme s’il s’était d’un coup affranchi de sa constitution généreuse. Il était d’humeur exquise et se mit à siffloter en redoublant d’allure. Il épiait, écoutait. De tous côtés, les rossignols le célébraient !

Il sortit de l’ombre d’un bosquet. Mille pieds le séparaient encore de la crête du promontoire. Le soleil avait colonisé tous les vertiges de l’azur. Une lumière implacable rabattait la poussière que ses pas soulevaient. Sous le ciel vidé de son air, les feuillages se turent. Archibald Duvernay perçut les premières gouttes salées perler sur son front plissé. Sa canne fatiguée se mit à ralentir. La Citadelle, qui docilement l’avait précédé, s’était subitement enfuie aux confins du Monde. Il entendit son souffle enfler à travers sa poitrine comprimée.

Il avançait encore, traînant plutôt que poussant une bottine devant l’autre. Les rayons désormais verticaux le fusillaient. Sa gorge le piquait. Il réalisa enfin, atterré, qu’il était sorti sans la moindre provision. Vacillant, il avisa une ferme où il pourrait quémander un peu de fraîcheur. Mais, soudain, il anticipa les moqueries des paysans :

— Monter à la Citadelle, par une telle chaleur, sans emporter d’eau ! Quelle imprudence !

Il tenta de se raisonner. Allons ! Ces fermiers, si frustres puissent-ils être, ne seraient-ils pas ravis de lui porter secours ? Et peut-être secrètement flattés de le recevoir ? Il était leur Maire, après tout !

Il pénétra à pas feutrés dans la cour. Un molosse au poil hérissé se mit à aboyer à crocs furieux. En une seconde, Archibald Duvernay entrevit l’étendue de son naufrage. Les yeux clos par la terreur, il entendait déjà craquer ses os sous l’étau d’une mâchoire formidable. Ou étaient-ce les vertèbres de son cou qui céderaient les premières ? La bave immonde bientôt se mêlerait au sang giclant. Toute son existence engloutie dans cette gueule immonde ! Quelle triste fin pour tant de dévouement ! Combien d’administrés tragiquement orphelins !

Glacé, pétrifié, l’infortuné édile jeta un dernier regard au ciel ingrat.

Confus, stupide, il remarqua enfin l’énorme chaîne qui entravait les soubresauts du monstre !

Alerté par ce charivari, un fantôme d’enfant à demi nu sortit de la grange. Il était malingre et sale, et ne portait qu’une culotte déchirée. Toute sa physionomie affichait les stigmates d’une misère profonde. Le nez tailladé, les yeux exorbités donnaient à son regard l’expression d’un mourant. Les joues taries répandaient jusqu’aux lèvres leur sécheresse. Et, sur les côtes d’un torse diaphane, la faim avait creusé ses sillons effrayants. À cette vue d’Apocalypse, le Maire de Ravenelle s’était figé.

Ému jusqu’aux larmes, Archibald put enfin articuler l’objet de sa requête :

— Un peu d’eau, je t’en prie, mon bonhomme. Je meurs de soif… Je suis parti sans réserve.

Il attendit en s’efforçant de sourire, mais l’enfant ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre cet adulte trop lourd, trop rond pour lui. Ou peut-être le comprenait-il, mais il ne savait pas quoi répondre, manquant de tout, manquant du vocabulaire le plus élémentaire. Et soudain, parce qu’il n’avait pas les mots, parce qu’il avait honte de son état, le gamin fut pris de panique. Il recula, croisa des mains noires sur son visage diaphane. Puis il courut se réfugier dans les blés environnants.

Le premier élu repartit tout penaud. L’épuisement l’avait rattrapé. À bout de force, titubant, il s’affala dans un remblai au bord du chemin. C’est là que Monsieur Lambert le découvrit. C’est là que l’instituteur lui tendit sa gourde. Le Maire but longuement, à pleines gorgées. Il remercia. Il but de nouveau à grosses lampées. Remercia encore. S’ébranla. S’agita. Et soudain, l’inconcevable ! Archibald Duvernay sanglotait comme un gosse ! Désaltéré, sauvé, il versait des océans. Le bon Maître était désorienté. Était-il vraiment possible que se fissurât ce roc indestructible ? Ou était-ce le soleil qui ébouillantait la raison du sémillant avocat ?

Le Maire enfin raconta sa rencontre. Il parla de ce gamin si maigre, si pâle, si crasseux :

— Voyez-vous, Monsieur l’instituteur, ce petiot, j’ai cru que c’était moi. J’ai été un enfant abandonné. Enrôlé pour cent corvées, j’ai connu la paille du couchage, le claquement du martinet et la tenaille de la faim. Oui, j’ai été un larbin de ferme, torturé, méprisé.

Il parla longuement de son enfance de pupille, de son adoption par une famille d’exploiteurs. Archibald finit par sécher ses larmes, reprit un peu de consistance. Ne trouvant rien à ajouter, Monsieur Lambert sortit de sa poche un flacon d’eau-de-vie. Il porta aux lèvres taries quelques gouttes de la substance miraculeuse :

— Allez, buvez donc, Monsieur le Maire ! Buvez à la Fontaine du réconfort !

***