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Dolorès Clayfree, une jeune femme intrépide et un peu naïve, se retrouve plongée dans un climat apocalyptique, suite à l’apparition d’une épidémie contraignant la population à éviter toute forme d’interaction sociale.
Vivant seule avec sa grand-mère dans un bel appartement parisien, Dolorès peine à tuer l’ennui jusqu’à ce qu’elle se décide à combattre le fléau en sortant de chez elle, la nuit.
C’est à cette occasion qu’elle rencontre Hector Verneuil alias « H le hardi », chef d’une ligue d’opposants. La jeune femme et les rebelles vont unir leurs forces contre l’Ordre Mondial qui œuvre pour l’expansion du virus.
Critique des dérives de notre société, notamment de l’usage à outrance des technologies, ce roman d’aventure mêlant fantasy et science-fiction invite le lecteur à entrer dans l’univers onirique et plein de promesse d’une héroïne courageuse dont les valeurs morales l’aideront à progresser tout au long du récit.
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Seitenzahl: 388
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Dolores Clayfree
de Lola Giraud
Le temps d’un roman
Editeur
Collection «Roman»
Petits meurtres nocturnes
Cela faisait deux mois que notre planète sommeillait dans un ronron ambiant de torpeur physique et morale. Et pour cause, un virus que nous allons nommerTueur-Sourire frappait comme un coup de massue l’ensemble de la population. En Chine d’abord, s’élargissant aux pays asiatiques voisins, pour atteindre ensuite l’Europe, puis l’Amérique du Nord ; les pays de l’hémisphère sud ayant été moins touchés. Les gouvernements avaient contraint les êtres de type humanoïde à s’enfermer chez eux pour se protéger de Tueur-Sourire et aussi pour éviter de le transmettre aux autres. La majorité obéirent au doigt et à l’œil, même si certains tentèrent quelques escapades nocturnes, à l’abri des regards indiscrets.
Ce fut une guerre mondiale et totalitaire : mondiale parce qu’elle toucha de nombreuses nations, totalitaire en raison de la dictature qui en résulta et fut imposée aux habitants de la terre. On pouvait parler de guerre invisible car les hommes n’avaient pas d’armes sur eux.
Cette planète fatiguée des maux causés par l'espèce humaine assista à un changement radical du comportement de ses habitants. La plupart des gens se cloîtraient chez eux et fermaient leur porte à double tour. Ils n’osaient plus ouvrir leurs volets, c'est tout juste s’ils laissaient passer les rayons du soleil à travers les fenêtres, de peur de faire entrer Tueur-Sourire.
Et d’ailleurs, venons-en à cet ennemi à abattre, d'une nature si volatile que l'on ne réussissait guère à le saisir. Pourquoi l’avoir baptisé ainsi, me demanderez-vous ? La réponse est simple : il se trouve que tout un chacun était invité à porter sur son visage un drôle de tissu jetable afin d'éviter d'être contaminé par ce virus et pour empêcher de le transmettre à ses congénères.
Dès que l'on sortait, on se couvrait le visage si bien que les sourires avaient disparu. Les émotions balayées, les visages ne racontaient plus que la peur ou la lassitude à travers leurs yeux hagards ; et surtout, les relations sociales étaient déconseillées. Finis les rendez-vous amicaux et les virées conviviales, à présent on se fréquentait à distance et si quelqu'un osait nous toucher, on se lavait les mains une cinquantaine de fois au point de se les gercer. Si l’on comptait voir ses amis, rien ne nous en abstenait, mais le poids écrasant de l’État punitif arrêtait toute forme d’initiative. Voyez un peu cette fameuse bien-pensance, cet esprit routinier et avare qui ne prend jamais de risques et se conforme toujours à l’avis général !
Après la période de la Quarantaine où les hommes avaient dû se limiter à un certain périmètre durant leur promenade à l’extérieur, vint la Cinquantaine qui s’inscrivit plus longuement dans le temps que la Quarantaine mais s’avéra beaucoup plus fastidieuse dans son processus.On n'était plus enfermés chez nous ; il était à nouveau possible de reprendre nos activités, on prenait les transports et on allait même jusqu’à voyager !
On entrait dans une époque de latence où l’on était redevenus libres de nosmouvements en apparence quoiqu’encore retenus captifs, si peu invités à entreprendre quoi que ce fût de nouveau !
Si on résidait en banlieue, on pouvait se rendre dans Paris en moins d’une demi-heure en prenant le métro. Mais une fois arrivés, qu’avait-on à y faire à part flâner autour des magasins à nouveau ouverts, mais assaillis par une foule attendant d’entrer dans les lieux ? Et puis tous ces gens masqués, comme c’était écœurant !
C’est ce que pensait Dolorès Clayfree qui s’ennuyait de ne plus pouvoir admirer les sourires des passants dans la rue. Décidément, elle ne s’habituait pas à ce nouveau mode de vie, elle devait faire quelque chose. Agir était son moteur, le carburant qui alimentait son désir insatiable. Elle n'acceptait pas cette passivité généralisée qu’elle se devait de suivre comme un bon petit soldat, simplement pour rassurer les autres qui croyaient être dans le juste en fuyant tout contact. Elle appelait ses amis qui étaient, pour la plupart, réticents à la perspective d’un rendez-vous. « C’est encore beaucoup trop tôt », lui répondaient-ils à l’unisson, à l’exception de quelques électrons libres. Trop tôt pour s’extraire de ce piège dans lequel l’unanimité s’était enlisée, songeait-elle.
Dolorès était persuadée que ce virus n’avait pas atterri ici par hasard, en dépit de tous les efforts acharnés des médias pour nous assurer qu’il ne provenait pas de l’homme mais de la nature. Depuis le début de l’épidémie, on répétait que n’importe quel quidam serait incapable d’éradiquer le sinistre Tueur-Sourire, même s'il était doté de superpouvoirs ou d’extraordinaires talents. Avait-on au moins essayé de vadrouiller dans les rues désertes à partir de minuit, à une heure où les Soldats de Tueur-Sourire envahissaient la ville ?
Au clair de lune, les êtres vivants se métamorphosaient, prenaient une autre forme qu’en plein jour. Le plus souvent, ils augmentaient ou diminuaient de volume ; les pores de leur épiderme se dilataient ou se rétractaient. Alors, ils occupaient l'espace et se surprenaient de constater qu'ils gagnaient en élasticité, en fluidité. Si elle sortait durant la nuit, Dolorès découvrirait les Soldats de Tueur-Sourire en flagrant délit de vagabondage nocturne, prêts à s’infiltrer par les fenêtres laissées ouvertes par des imprudents. Elle les verrait rasant les murs, à la recherche d’un quidam esseulé ou d’une bonne mamie gâteau promenant son chien. Enfin ils seraient tout à fait visibles, exposés au rayon des réverbères, au moins mille fois plus imposants en taille qu’un microbe ordinaire et d’une couleur qu’elle imaginait d’un gris verdâtre. « C’est la couleur de la maladie », déclara-t-elle en accueillant Willy qui rentrait de sa promenade.
Son chat Willy était le seul individu qu’elle avait eu la chance de côtoyer depuis la fin de l’ancien monde. Il s’approcha d’elle et la salua tout en frottant son flanc contre son mollet. Il était presque minuit, elle préparait les quelques armes qu’elle possédait pour mettre un terme à l’existence de l’adversaire à abattre. Elle avait peu d’instruments à sa disposition. Au départ elle avait songé à son très vieux rasoir, doté d’une lame tranchante, efficace pour éliminer quelqu’un d’un coup. Mais elle décida d’opter plutôt pour la somptueuse paire de ciseaux de sa Grand-Mère, destinée à la coupe des cheveux, plus pratique à l'usage, et plus esthétique. Elle posa son index sur la pointe du ferrement long et fin, en esquissant un demi-sourire. La coiffure avait toujours été son dada. De nombreuses têtes s’étaient offertes à elle, s’en remettant avec grâce à son talent de sculptrice capillaire pour un résultat plutôt satisfaisant.
Willy commença à ronronner autour d’elle, bien décidé à la garder auprès de lui. Le félin au pelage tigré plongea ses yeux jaunes dans les siens. Il se mit à parler :
Dolorès se précipita vers l’entrée, prit des gants en caoutchouc pour se protéger les mains, puis enfila ses baskets en une poignée de secondes et quitta son logis, munie d’une sacoche dans laquelle étaient rangés les ciseaux.
« Je cache mon arme afin de ne pas effrayer les Soldats de Tueur-Sourire. Ils sont malins, les bougres ! S’ils apercevaient cette lame tranchante, ils se déroberaient à coup sûr. »
Elle se cramponna à la rambarde pour descendre les escaliers. Ses jambes flottèrent dans l’espace restreint de liberté qui lui était réservé. Quelques instants plus tard elle se retrouva dans la rue parmi les fantômes déambulant comme des funambules. Presque tous les badauds tardifs portaient un masque, si bien que l’on entendait des respirations bruyantes. Depuis qu’ils revêtaient cet accoutrement étrange, les passants peinaient à avaler de l'air.
La jeune femme tenta de s’approcher d’un noctambule, mais au moment où elle avoisinait la limite de la distance à respecter, les contours du corps de l’homme devinrent flous, puis s'estompèrent sans complètement disparaître.
« Ça alors ! » lâcha-t-elle brusquement.
L’homme ne se retourna pas, elle ne pouvait même pas constater son expression de poisson mort. Alors, elle eut une idée. Elle accéléra son allure pour franchir la limite du noctambule jusqu’à ce qu’elle fût percutée, à une distance d'environ un mètre cinquante, par un mur invisible. Elle s'appuya de toutes ses forces contre l’obstacle, mais les mouvements saccadés du promeneur ambulant la propulsèrent en arrière. Elle tomba, manquant de se blesser. En voyant le noctambule s’éloigner d’elle l’air indifférent, elle comprit qu’elle ne pourrait désormais plus effleurer les inconnus.
La lune se voilait la face à l’aide d’un foulard de soie nuageux. Les flâneurs n’étaient pas nombreux ce soir-là et Dolorès ne distinguait pas l’ombre d’un Soldat de Tueur-Sourire. Non seulement, les gens ne souriaient plus, mais ils ne se regardaient plus. Certains pianotaient sur leur téléphone portable, ils discutaient sans doute avec leurs amis ou leurs collègues à distance et dans un silence religieux. Désormais, presque toutes les interactions sociales se résumaient à ces échanges furtifs sur un petit écran, elles se réduisaient à ces rendez-vous virtuels donnés - parfois manqués - sur les réseaux sociaux ou sur des applications en tous genres.
Soudain, notre héroïne perçut une masse sombre géante d’environ un mètre de hauteur, roulant en boule à la manière d’un hérisson sur le trottoir opposé. C’était une chose horrible pareille à une sphère constellée de picots, d’une couleur vert grisâtre. Ce monstre aux relentsfétides donna d’abord la nausée à Dolorès.
D’un geste mécanique elle se pinça le nez, après quoi elle lutta pour ne pas s’enfuir. Elle aurait mille fois préféré être ailleurs qu’ici même ! Mais elle n’abandonnerait pas ce qu’elle estimait comme étant son devoir. Elle avait devant elle, un Soldat valeureux de Tueur-Sourire se dissimulant dans un coin pour s'emparer des poumons d’un innocent. Caché derrière une voiture, il chemina sournoisement vers Dolorès dont le cœur battit à tout rompre.
« Si j’ai un instant d’inattention il va me contaminer ! »
Discrètement, elle ouvrit son sac pour saisir sa paire de ciseaux. Le Soldat de Tueur-Sourire avançait le long d’une voiture rouge écarlate garée à trois mètres de sa proie, ne distinguant pas l'arme que tenait la jeune femme. Que faisait-il ici, que lui voulait-elle ? N’avait-elle d'autre ambition que d’assouvir une curiosité morbide ? Non, Dolorès n’était pas de cette trempe. Comme l’avait affirmé son compagnon Willy, elle ne faisait qu’écouter sa nature héroïque qui ne désirait riend’autre que de braver les obstacles.
Sa main serrait les ciseaux, lorsque la sphère se précipita vers elle. Dolorès en profita pour se jeter sur cet immense microbe et enfonça le ferrement dans le cœur de son ennemi. Puis prise d’une euphorie teintée de sadisme, elle fit cliqueter son instrument à l’intérieur du corps meurtri.
Le Soldat de Tueur-Sourire se désagrégea tandis qu’une espèce de liquide pestilentiel coulait par terre, arrosant les chaussures de son agresseuse. Heureusement que son corps avait été épargné par ce liquide baveux ! Quelques secondes plus tard, le Soldat s'était totalement désintégré.
Notre guerrière se retourna. Elle vit alors un jeune homme d’à peu près son âge, portant sur lui une tronçonneuse.
Ce garçon aux yeux d’un bleu brillant et aux cheveux désordonnés esquissa un léger sourire. Soudain, elle ressentit un soulagement à l’idée de pouvoir parler avec un de ses semblables. Mille questions l'assaillirent, si bien qu’elle fut dans l’impossibilité de prononcer un seul mot. À un moment, elle voulut se rapprocher de lui, mais elle craignait d’être arrêtée par une barrière invisible, comme avec le passant qu’elle avait croisé un peu plus tôt.
H. le hardi enfonça sa main inoccupée dans sa jungle capillaire.
Dolorès Clayfree baissa la tête pour regarder cette espèce de bave verte échouée sur ses baskets, ressemblant à de la morve.
H. le hardi tendit la main à Dolorès. Une nouvelle recrue n’était pas de trop, ils étaient si peu à se porter volontaires ! La jeune femme n’en croyait pas ses yeux, lorsqu’elle serra la main de l’intrépide guerrier. Deux mois qu’elle n’avait pas touché une main !
Les deux jeunes gens pénétrèrent aux confins de l’obscurité nocturne, peuplée de fantasmes aussi délicieux qu'horrifiques. Des ombres palpables, évidemment vivantes, se mouvaient comme des vents tumultueux à la recherche d’un carré de lumière dans lequel elles s’introduiraient. C’étaient des spectres mouvants rasant les murs à l'instar de prisonniers évadés. La plupart d'entre eux avaient l’apparence de feuilles d’arbres, leurs silhouettes oblongues s’écrasaient sur le sol comme des gouttes de pluie.
Parfois, Dolorès et H. le hardi repéraient des espèces humaines de taille géante, d’un embonpoint considérable. Ils surprirent aussi quelques boules puantes au loin dont certaines qui, se joignant à eux avec un entrain menaçant, furent éradiquées d’un coup de maître.
Les immeubles n’avaient plus leur physionomie habituelle, les édifices s’étaient étirés de telle façon que leurs toits atteignaient des hauteurs incalculables. On peut ajouter à ce détail un élément intéressant, non négligeable. Les façades ne dessinaient plus un angle droit mais une suite ininterrompue de courbes, ce qui avait pour effet de faire croire aux spectateurs que les immeubles dégoulinaient dangereusement.
Notre héroïne acquiesça. Une jusqu’au-boutiste comme elle n'abandonnait jamais. Ils vadrouillèrent ainsi pendant des heures, les rues interminables se succédant les unes aux autres. Vers trois heures du matin, les rangées de bâtiments disparurent, cédant la place à une colline surplombée par une usine aux allures de château fort et de gare, dont les cheminées expulsaient des nuages de fumée, restés en suspens dans le vide.
Ils mirent le plan à exécution. Des minutes s’écoulèrent, jusqu’à ce qu’ils atterrissent sur une terrasse exiguë bordée d’une large vitre. Ils se faufilèrent à travers les toitures afin de s’approcher de la vitre. Ce qui se révéla alors à Dolorès l’inquiéta au-delà de tout ce qu’elle avait pu imaginer. Des hommes en charge de canons projetaient dans le ciel les Soldats de Tueur-Sourire.
Entre l’ombre et la lumière
Tous les ouvriers de l’usine portaient une combinaison blanche hermétique qui leur couvrait la peau et empêchait par ailleurs leurs pores d’absorber la moindre particule étrangère à leur organisme. Ils se déplaçaient sans aucune hâte.
Comme des bêtes de somme, ils faisaient le travail qu’on leur demandait. Comme des esclaves, ils exécutaient les ordres qui leur étaient assignés sans broncher. Ils portaient un masque hermétique, dissimulant une partie de leur visage. Dolorès s’appuya contre la vitre, complètement anéantie par le triste spectacle qui s’offrait à elle, le regard perdu dans le vide. Hector l’invectiva, cette fois, en la tutoyant.
Notreamie faillit avaler de travers en déglutissant. Il lui semblait que les sueurs froides coulant sur son dos atteignaient sa moelle épinière.
Dolorès opina du chef, manifestement contrariée de ne pouvoir en savoir davantage. Ses longs cheveux blond vénitien volaient au vent cependant que son interlocuteur se soulevait sur ses avant-bras pour grimper sur le muret.
Debout sur le muret, Hector tendit la main à Dolorès pour l’aider à grimper.
Dolorès Clayfree et H. le hardi se faufilèrent furtivement le long du mur. Tandis que la lune rousse grossissait à toute vitesse, le ciel tantôt noir commençait à avoir des lueurs orangées mâtinées de rose. Ils entendirent le bruit d’un tic-tac, qui s’avéra être un son de cloche. C’était le cadran de l’horloge de l’usine au sommet de la tour, qui abritait à l’intérieur une cloche d’une ampleur extraordinaire. La nuit allait bientôt s’effacer au profit du jour. Hector accéléra le pas.
La lune avait désormais un fort embonpoint. Elle éclairait toute la ville et même bien au-delà, aussi ronde qu’une pomme et d’une rougeur aveuglante. C’est tout juste si l’on pouvait contempler l’astre en pleine inflation, tant la lumière qu’il dégageait nous renvoyait l’agressivité de sa conquête. La lune, pourtant symbole de fertilité et de réceptivité, devenait virile. Elle s’apprêtait à avaler la terre.
Un chat flanqué d’un unique œil d'un vert fluorescent inquiétant, miaulait sur le rebord d’une fenêtre. Sa voix rauque s’élevait dans les airs tel un hurlement de loup annonçant un danger. Le rugissement de ce mystérieux félin interpella Dolorès. Cet ami à quatre pattes alertait-il du cataclysme à venir ? Peut-être faisait-il partie de la bande de son chat Willy ? Il lui aurait indiqué alors de précieuses informations, si elle s’était présentée à lui. Mais elle n’avait pas le temps ; elle et son camarade couraient à toute allure.
Soudain, il y eut comme un grondement de tonnerre, suivi d’un calme étrange exacerbant la nervosité de nos protagonistes. Le silence complet ne dura pas et nos deux nouveaux alliés furent balayés par une violente tempête de sable ; s’ensuivit une secousse terrible, les obligeant à se coucher à plat ventre sur le sol. Le souffle coupé, Dolorès arriva malgré tout à concentrer toute son attention sur les immeubles qui se mirent à trembler. Puis ce fut un trou noir et l’instant d’après, elle se retrouva avec un garçon très différent de celui avec qui elle avait été jusqu'alors. Elle se frotta les yeux pour vérifier qu’elle ne rêvait pas.
La lune avait disparu, cédant la place au soleil qui offrait déjà ses premiers dards. Le jour se levait, plein d’un optimisme neuf bafouant les ténèbres gémissantes. Les cheveux de H le hardi n’avaient plus la couleur de l’argent mais celle du miel. Elle releva aussi qu’il était assurément moins haut de taille et d’une apparence plus normale.
L’aventurier se sépara de son amie de fraîche date, lui volant un baiser sur la joue et la laissant tout émoustillée. Il s’en alla dans une atmosphère de brume. Un nuage de brouillard recouvrait partiellement les corps ambulants des passants qui marchaient presque tous en dormant. Dolorès songea alors à ce jeune homme intrigant qu’elle venait de rencontrer et sentit son cœur battre la chamade. N’était-elle pas un peu amoureuse ? Elle rentra chez elle exténuée, saluant à peine Willy qui la toisait avec dédain comme le font toujours les chats lorsqu’ils sont de vilaine humeur.
Elle fut réveillée par un grincement de porte accompagné d’un courant d’air. Willy la surveillait d’un coin de la pièce pendant qu’elle s’étirait comme un fauve assoupi, allongée sur son lit trop étroit pour elle.
Dolorès se leva, puis s’approcha de la fenêtre cachée par un rideau rouge flamboyant. Et c’est toute une scène théâtrale qui s’exposa devant ses yeux quand elle ouvrit le rideau. Le soleil embrasait à cette heure tout l’univers, brûlant d’un feu vigoureux et réchauffant les cœurs d’hiver, dont les corps refroidis recherchaient une source de chaleur. Au contraire les cœurs d’été déjà éprouvés par la température élevée trouvaient cette étoile voisine si incandescente qu’ils se déshydrataient comme des lézards, alors que le roi de la Voie Lactée était à son zénith. Dolorès, elle, faisait évidemment partie de la deuxième catégorie de la population mais n’en avait cure car elle voulait sortir.
Ce qui s’était produit durant la nuit, était-ce la réalité ou un pur fantasme de sa part ? Depuis qu’elle avait ouvert les yeux, elle avait la sensation de s’être échappée d’un rêve qui s’était déroulé à la vitesse de la lumière, tant les événements se rétrécissaient dans sa mémoire à la manière d’une succession d’images volées, voilées par une ombre planante. À peine distinguait-elle les traits du visage de H. le hardi, les détails s'estompaient… Willy lissa ses moustaches avec soin, puis s’adressa à elle.
Dolorès se souvint de la crise de jalousie de Willy à son retour, au petit matin. Pas le moins du monde inquiète de ses réactions de chat offensé, elle fut rassurée de découvrir que ce qu’elle avait vécu quelques heures plus tôt n’émanait pas de son imagination.
Dolorès fronça les sourcils, n’ayant aucune idée de l’identité de cet individu - probablementun chat - que Willy évoquait. Son ami à quatre pattes connaissait si bien la société des rôdeurs de nuit aux yeux fluorescents, qu’elle ignorait de qui il pouvait bien s’agir.
Willy bondit sur le bureau, fouillant les piles de paperasses à l’aide de ses pattes agiles. Il saisit un dépliant chiffonné qu’il rapporta à sa maîtresse. C’était un plan de la ville de Paris, vieux de plusieurs années. Il fit dérouler les pages puis posa une griffe au niveau du jardin d’acclimatation.
L’agitation urbaine d’autrefois n’était plus. Les boulevards et les avenues, les monuments et les parcs, se lamentaient en silence de leur splendeur déchue. Jadis peuplés de badauds arpentant les trottoirs en tous sens, ils pleuraient la désertion de leurs espaces.
Dolorès n’était plus bousculée par les gens et elle s’étonnait de ne plus subir leur acrimonie. L'individu le plus proche d’elle respectait la distanciation règlementaire d’un mètre cinquante, bien que la majorité d'entre eux craignait de dépasser la limite de trois ou quatre mètres, marchant la peur au ventre.
Le soleil dominant revêtait une nouvelle apparence, son exubérance réputée se révélait à son degré le plus élevé comme si ses caractéristiques avaient été caricaturées par le Créateur. Son corps avait gagné en diamètre et en luminosité, cependant que ses dards aussi incisifs qu’un glaive brûlaient la peau de ses victimes. Par cet après-midi torride, le monarque céleste semblait être le seul à briller au milieu de toute cette monotonie généralisée.
On ne lisait guère plus les sourires sur le visage des gens ; presque tous recouvraient le leur d’un masque. Ceux qui n’en portaient pas se gardaient bien de se faire remarquer, de peur d’être montrés du doigt par leurs congénères qui considéraient désormais tout un chacun comme un danger potentiel. Les femmes, les hommes ne s'exprimaient plus avec autant de spontanéité, leur agacement devant la moindre broutille s’était évanoui en même temps que leur excitation pour une bagatelle. Les enfants, quant à eux, ne s’époumonaient plus pour jouer au chat perché ou à la marelle, pas plus qu’ils ne s’essayaient à relever un défi ou à tester l’autorité des adultes par le biais d’une quelconque bravade. Leurs visages muselés les dispensaient de tout ébranlement, leur respiration était coupée au même titre que leur élan. Les marmots à la figure dénudée examinaient les Presque Voilés - ceux qui portaient un masque - avec un regard dépité. Les Presque Voilés se résignaient au statut d’opprimés, ils conservaient ce bâillon, même pour faire quelques pas dehors.
Dolorès, elle, refusait catégoriquement de se conformer à une telle contrainte, elle s'arrangeait du mieux qu'elle pouvait pour éviter une pareille charge. L’aiguille de sa montre n’avait pas encore atteint le chiffre trois. Tout en suivant l’itinéraire indiqué par Willy, elle fut soulagée de ne sentir aucun effluve issu des pots d’échappement, si bien qu’elle se grisa de ce vent oxygéné qu’elle consommait sans modération. C’était une moindre consolation, étant donné toutes les contraintes auxquelles la condamnait une vie recluse.
Notre héroïne examinait les passants qui retenaient leur respiration, à quelques exceptions près. Les plus téméraires optaient pour la méthode de l’apnée, très efficace dans la lutte contre l’absorption du virus. Dolorès s’adonna à cet exercice par pure curiosité, mais faillit s’étrangler à l’instant même où elle retint l’air dans ses poumons. Quel dommage de se contraindre à ne plus respirer normalement, alors même que l’air devenait plus sain… !
Elle suivait son itinéraire lorsqu’elle surprit une dame âgée au dos courbé, dont le visage voilé de noir suscitait la terreur. La vieille ne parut pas la remarquer, de telle sorte qu’au lieu de la contourner, elle la heurta de plein fouet. Gênée d’entrer en collision avec une Presque Voilée, Dolorès feignit un sourire poli en se retenant de rire face au comique de la situation. Hélas, la dame sombra dans une folie brutale.
Elle poussa un cri aigu qui ameuta tout le quartier en l’espace de quelques instants. Ses hurlements rauques retinrent l’attention des policiers qui débarquèrent à la hâte, leur tête coiffée d’un scaphandrier. À l’aide d’un tuyau d’arrosage, ils aspergèrent abondamment cette créature hystérique, si bien que grâce à leurs efforts soutenus, son masque sombre s’envola, dévoilant son visage. Le masque courbé tel un accordéon chuta auprès d’un vulgaire chewing-gum écrasé.
La dame qui s’en rendit compte tâta ses joues ridées et, à la manière d’un enfant que l’on punit, bredouilla :
Le chef de police avança prudemment en faisant des arabesques avec ses mollets, tandis que la vieille tremblotait, toute pétrifiée.
L’homme leva son bras, puis prononça d’une voix forte, cependant atténuée par son équipement :
Ce dernier se retourna et salua de la main ses confrères afin qu’ils imitent sa démonstration. Alors ils élevèrent tous leur bras au ciel et répétèrent exactement le même geste que leur supérieur avant de clore leur interprétation en entonnant à l’unisson :
Les spectateurs de cette désopilante cérémonie s’arrêtèrent, intrigués par le côté cocasse de la situation. Dolorès eut un mouvement de recul en s’apercevant que certains des passants étaient vêtus d’une tenue d’hôpital, leur visage couvert d’un masque chirurgical. Certains d’entre eux avaient même poussé le vice jusqu’à se coiffer d’une charlotte. Mus par la vague contagieuse essaimée autour d’eux, ils imitèrent à leur tour les forces de l’ordre en tendant les bras en l’air et en crachant un féroce « Le masque est tombé ! », conférant à l’ensemble de cette fresque une tonalité plus que dérangeante.
Ne sachant comment elle avait pu débarquer dans cet endroit envahi par des fous, Dolorès projeta de filer à l’anglaise lorsqu’un des membres de la sécurité l’interpella :
Elle se mit à galoper le corps léger, mais le cœur alourdi par l’accélération de son rythme cardiaque.Elle circulait si vite qu’elle se retrouva à l’entrée du parc d’attraction en moins de dix minutes, alors qu’il lui aurait fallu une demi-heure en adoptant une allure normale.
Elle reconnut d'emblée le chat correspondant aux descriptions de Willy. C’était un grand matou au corps longiligne, au visage maigre et au pelage d'un roux mâtiné de rose et d'un aspect soyeux. Il dormait paisiblement, étendu de tout son long comme un pacha sur le muret avoisinant le guichet.
Mais sa sieste ne s’éternisa pas, il ouvrit un seulœil d’un vert si cristallin que Dolorès Clayfree sursauta. Son regard avait la même mobilité inquisitrice que celui qui l'avait accaparée la nuit dernière. Elle espérait voir s’ouvrir le deuxième œil, ce qui ne se produisit pas.
Mélocoton miaula fortement, ayant identifié l’humaine. Il se leva tout en secouant la tête. Interloquée, notre protagoniste vint tout près du félin et lui gratta le cou, ce qui eut pour effet de déclencher un ronronnement sonore.
Dolorès se racla la gorge avant de se présenter :
En voilà du toupet ! Un chat qui, en parfait inconnu qu’il était, exigeait déjà des caresses spécifiques. Cependant, cette véritable démarche de séduction constituait un préliminaire indispensable pour obtenir la sympathie de cette boule de poil.
Mélocoton s’allongea sur le dos, tandis que le soleil poursuivait son déclin. Des rayures soulignées par l’éclairage se mêlaient aux filtres d’ombres. Ces faisceaux s’alignaient en diagonale, traversant le corps du matou en lui créant des zébrures artificielles.
L’œil unique de Mélocoton s'assombrit comme s’il avait appris une mauvaise nouvelle. Il scruta les curieux autour de lui, redoutant d’être entendu :
Il posa sa patte sur son museau tout en chuchotant.
Dolorès se sentit remplie de confusion. Elle admettait qu’il y avait une part de vérité dans ce que Mélocoton venait de dire, bien qu’elle fût résolue dans sa quête. Une multitude de questions l’assaillirent, mais il ne lui restait plus beaucoup de temps car elle avait beaucoup à faire.
Mélocoton se tira les griffes, tandis que la brave Dolorès s’éloignait, après avoir inspecté l’iris du chat, lequel voyait bien mieux que mille yeux assemblés.
La promesse
L’heure indiquée sur son réveil affichait minuit moins le quart. Comme à chaque fois qu’elle avait rendez-vous quelque part, Dolorès était sacrément en retard. C’était encore et toujours pour la même raison. Elle était restée devant son placard durant d’interminables minutes, à regarder sa pile de vêtements sans savoir quelle tenue choisir. Avec la coquetterie précieuse d’une femme de goût, elle étudiait son apparence dès lors qu’elle était invitée à une réception officielle. Jusque dans les moindres détails, elle s’appliquait à soigner son apparence, poudrant ses joues et rehaussant son regard à l’aide de différents maquillages, se parant de ses plus beaux bijoux pour ajouter de l'originalité à son allure.
Mais ce soir-là, elle n’avait eu qu’une inspiration mitigée pour revêtir un habit, elle aurait presque préféré se pointer place de la Grande Espérance en Elle-Même, sans aucun artifice. Elle opta finalement pour une robe empire assortie à une paire de boucles d’oreilles en émeraude que sa mère lui avait offertes pour ses dix-huit ans. Pas de fards, le joli joyau au vert aussi éclatant que l’œil vif de Mélocoton ferait assurément l’affaire. Tout à coup, elle se souvint que Hector lui avait avoué que, durant la nuit, elle paraissait plus grande et surtout, plus fine. À cette pensée, une vague d’inquiétude l’assaillit et elle demeura immobile quelques instants.
Elle leva le camp à minuit moins le quart et posa sa première ballerine vernie à rubans sur le bitume peu de temps après. Sa règle d’or était de ne jamais entrer dans une folle course contre le temps, ce pourquoi elle ne portait jamais de montre sur elle.
La nuit claire avait déjà modifié l’aspect du paysage urbain. Les immeubles ondulants penchaient dangereusement vers les routes, les voitures, quant à elles prenaient l’apparence d’insectes fantastiques aux carapaces stylisées. La lune reflétait ses voluptueuses teintes nacrées sur les objets terrestres. Dolorès sautillait dans la rue comme une écolière déchaînée, d’une humeur gaie à attendrir le cœur le plus sec. Cependant qu'elle se dépêchait, le tissu de sa robe s’élargissait. Elle était prise d’une fièvre extatique à l'idée de ce rendez-vous nocturne.
Alors qu’elle regardait autour d’elle avec une attention soutenue, elle découvrit des éléments nouveaux qu’elle n’avait pas remarqués la nuit précédente. De récurrents promeneurs masqués avançaient dans le néant de l’obscurité, enfermés dans des bulles géantes. Ces sphères roulaient sur elles-mêmes tout en opérant des mouvements rotatifs accélérés, tandis que les captifs installés à l'intérieur de l'espace avaient les yeux rivés sur leur téléphone portable. Autour de ces prisonniers des temps modernes, des hommes et des femmes en tenue d’hôpital erraient comme des âmes en peine.
Le visage découvert, contrairement à ceux qu’elle avait croisés lors de son escapade diurne, ces malades exposaient à la vue de tous leur teint blafard, leurs yeux entourés de cernes, déambulant sur le bitume tout en déversant une floraison de logorrhées issues des méandres du chaos, qu'eux seuls pouvaient comprendre. Certains hurlaient à la mort tels des aliénés se purgeant du démon, éveillant la crainte de quelques infirmiers et médecins qui, tiraillés entre le monde des malades et celui des préservés, circulaient en tous sens.
Agacée par l’invective de cette médecin acariâtre, la jeune femme s’enfuit en courant sans regarder où elle allait, si bien qu’elle se retrouva sur un parterre de fleurs. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir une rose aux pétales ternis, dont la tige était entourée d’une pellicule de boue noirâtre ! Derrière elle étaient alignées des fleurs aussi moroses, embourbées dans la fange marécageuse qui recouvrait le sol d’une nappe épaisse.
Dolorès