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« La vie est un long fleuve tranquille »
Voilà une phrase que j’ai toujours eu du mal à saisir, je crois par ailleurs que c’est tout le contraire, la vie est pleine de péripéties, cette formule ne peut donc être qu’ironique, erronée.
Mais si l’on rajoute « Ce sont les rives qui sont dangereuses », l’expression fait sens.
La vie est pleine de rebondissements, d’incertitudes, de compromis, de blessures de toutes sortes, on peut être libre et se sentir plus enfermé que jamais dans nos propres murs.
La vie est pleine de rebondissements : une certitude !
Il faut garnir sa vie, avancer, se dépasser, la hotte peut être remplie de joies, de belles rencontres, de gratitudes, de réussites inattendues.
Et parfois… souvent, des grains de sables qui viennent enrayer une routine plus ou moins bien installée… créant des "Dommages collatéraux…"
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Seitenzahl: 124
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Publishroom Factorywww.publishroom.com
ISBN : 978-2-38625-784-1
Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Aïsha D.
Dommages collatéraux
Nouvelles
Qui suis-je ?
J’ai déjà dix-sept ans… Il paraît qu’on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Je suis sur l’ordinateur portable familial qui trône sur le bureau du salon. Je me prends la tête avec ma mère au sujet de Parcoursup. Je sais très bien ce que je veux faire, des études littéraires. Donc une licence de lettres modernes. J’ai mis des vœux à travers toute l’académie, dans les Alpes-Maritimes et dans le Var. J’ai mis des vœux en Seine-Maritime aussi, c’est là que vivent mes grands-parents, histoire de faire enrager ma chère mère. Et ça marche, elle est là, penchée au-dessus de mon épaule à me dire « Pourquoi la Seine-Maritime ? Tu vas faire quoi là-bas alors que tu peux poursuivre ici ? Et puis, faut mettre toutes les chances de ton côté puisque tu en as les capacités. Ouvre-toi les portes, mets une classe prépa, hypokhâgne de Toulon, au lycée Bonaparte, ça peut être bien ! ».
Je lève les yeux au ciel quand elle me sort des tirades à n’en plus finir. C’est une femme brillante, appréciée dans son travail par ses pairs, par les élèves et les parents. Parfois, elle me prend pour une de ses élèves oubliant que je suis sa fille ! Je vais dans le jardin pour lui échapper, je reprendrai mes vœux plus tard…
Je me suis allongée sous le saule pleureur. J’aime beaucoup cet arbre. Je trouve qu’il est plein de grâce, et de mélancolie en même temps. Il m’apaise et mes pensées sont alors comme libérées. Je les vois presque sortir de mon cerveau et s’évaporer dans l’atmosphère au fur et à mesure telles des notes de musiques sortant d’un piano. La mélodie qui se joue là, c’est « Qui suis-je ? ». Ma mère, elle-même, parfois j’ai l’impression qu’elle est assise entre deux chaises et qu’elle fait tout pour rester dans cette situation inconfortable ! Elle est née en France, elle est d’origine sénégalaise. Mais comme elle aime le raconter « En France, je peux croiser des gens au supermarché, qui me complimente sur mon physique et qui me demande la seconde d’après, de quel pays je suis ! ».
Et au Sénégal, en vacances, elle s’entend dire au moindre écart « Oh, ils ne connaissent pas nos coutumes, ces Français ! ».
Je suis de la troisième génération, je suis née en France, je suis Française et je ne connais le Sénégal qu’à travers les histoires que me racontent mes grands-parents et les photos souvenirs de ma mère.
Qui suis-je ? On me pose les mêmes questions que celles qu’on adresse à ma mère. Je mets un point d’honneur à parler un français impeccable, je n’utilise presque jamais le langage familier. Je suis toujours parmi les meilleurs élèves de ma classe chaque année. Mais pour prouver quoi ? J’ai besoin de prouver ma légitimité ! Sans cesse !
Qui suis-je ? Il paraît que je ressemble à mon père. Tout le monde me le dit ! Je sais bien que c’est de plus en plus vrai, mais je n’aime pas cette idée… argh ! J’espère que les similitudes s’arrêtent à la ressemblance physique ! Mon père, on ne peut pas dire qu’il a inventé la poudre. Je n’ai jamais trop compris comment maman a pu l’épouser… Ils n’ont rien en commun. Maman, après tout le mal qu’il lui a fait, met toujours un point d’honneur à ce que je respecte cet homme.
Ils se sont rencontrés grâce à un collègue de travail de mon oncle. Il avait certifié à ma mère que mon père était quelqu’un de bien. Il travaillait dans la restauration, était plutôt gentil et beau garçon ! Comme si ces seuls critères étaient suffisants pour se décider à épouser quelqu’un ! Le seul hic, c’est qu’il était un sans-papiers ! Ça aussi, je n’ai jamais compris comment on pouvait travailler sans papiers. Ma mère m’a expliqué que les clandestins ont mille combines pour arriver à leur fin ! Elle était bien sur ses gardes devant cette révélation, mais faut croire que l’amour rend aveugle et que mon père devait être un sacré baratineur !
Après quelques rendez-vous en cachette, mais sous la chandelle de mon oncle tout de même, mon père fut présenté à mes grands-parents et quelques semaines plus tard le mariage fut célébré. Sans papiers ou pas, puisque ma mère semblait enfin accepter le mariage, il fallait se dépêcher avant qu’elle ne change d’avis. À vingt et un ans, il était temps ! Un an après, je venais au monde.
Qui suis-je ? Je crois qu’elle l’aimait vraiment, mais lui ? L’avait-il aimée ? M’avait-il désirée ? Ou je faisais juste partie de son plan comme un dommage collatéral ?
D’après ma mère, il a été un bon mari prévenant, attentif et présent. C’est après qu’il avait commencé à changer. Après quoi ? Après sa régularisation. J’étais le passeport qui lui assurait une régularisation certaine, qu’il avait obtenu un an après… Il est resté encore deux ans avec ma mère, cherchant mille prétextes pour la quitter. Mais il fallait que la rupture vienne d’elle. Il ne voulait pas qu’on l’accuse d’avoir profité de ma mère ! Surtout pas ! Elle était patiente, bien patiente, mais trop, c’est trop. Il ne montrait plus le même courage au travail, restait des heures entières, avachi devant la télévision. Un jour, elle l’a surpris, parlant au téléphone, il disait : « Oui, ce n’est plus qu’une question de temps, je vais me séparer d’elle bientôt, Maman. Et je viendrai épouser ma cousine Binta au village ! » Soudain, il s’est aperçu de la présence de maman à la porte.
Amère, elle finit par capituler, j’avais quatre ans. Parfois, il se souvient de moi et demande à me voir… à défaut de régler la pension alimentaire, il me donne vingt euros chaque fois qu’on se voit. Quelle bonté !
Mon portable sonne et me tire de mes méditations. C’est Alexis. Il me demande de le rejoindre à l’endroit habituel. Je connais Alex depuis mon entrée en seconde. On était dans la même classe, on a tout de suite accroché. Il a deux ans d’avance au niveau scolaire et il est sacrément mature pour un garçon de quinze ans. Il est fils unique, son père est gendarme, sa mère travaille dans l’évènementiel.
On discute beaucoup ensemble. Il a besoin de me parler… Je lui réponds « OK, dans une heure ». Il faut que je me prépare, que je trouve une raison crédible pour sortir…
Ma mère, toujours assise inconfortablement sur ses deux chaises culturelles, et avec tout l’amour qu’elle me porte, ne résiste pas au fardeau des traditions ancestrales… Elle m’a fait comprendre dès l’arrivée de mes règles qu’il y a une tradition à laquelle on ne déroge pas. Les jeunes filles doivent se préserver pour leurs futurs maris, c’est une question de respect de soi-même ! Et les hommes ? Qu’en est-il des hommes, ont-ils cette même exigence envers eux-mêmes, ce même respect ? Ça y est, je repars dans mes réflexions philosophiques ! Je quitte mon arbre rassurant et je vais voir ma mère dans le salon :
— Il faut que je sorte, Maman… Je vais retrouver des copines en ville.
— Tu vas retrouver qui exactement ? Tu sais bien que je n’aime pas te voir traîner !
Quel alibi je vais prendre aujourd’hui ? Sarah, elle aime bien ma copine Sarah.
Elle connaît Alexis, elle sait qu’il fait partie de mon cercle d’amis, mais bon, je serai plus vite libérée de ses questions si je dis que c’est Sarah !
— Euh, je vais avec Sarah et d’autres filles.
— OK, ne traîne pas et réponds quand je t’appelle sur le portable.
— OK, Maman…
J’enfile mes chaussures, je jette un coup d’œil rapide dans le miroir et me sauve.
À peine le portail de la maison franchi, j’envoie un SMS à Sarah pour lui dire de me couvrir auprès de ma mère si besoin. Elle me reçoit cinq sur cinq, elle a l’habitude. Puis j’appelle Alexis.
— Salut, Alex !
— Salut, Mariam !
— T’es où, on se retrouve où ?
— Comme d’habitude, après le pont, on sera tranquille.
— OK, à tout de suite !
J’ai au moins quarante minutes de marche, il n’y a pas beaucoup de monde dehors. Quelques joggers battent le pavé au rythme de leurs musiques. Je passe devant la poste et je marche tout droit le long du chemin de fer. Je regarde les trains passés et je m’imagine toutes les destinations que je voudrais découvrir ! Voyager, oui, j’aspire à faire de grands voyages, partir à l’aventure et faire la connaissance d’une multitude de cultures et de personnes plus intéressantes les unes que les autres. Le paysage est toujours si magnifique dans le Sud ! Il sera toujours temps d’y revenir.
J’approche de notre lieu de rendez-vous, je passe le pont. Alexis et moi avions trouvé cet endroit par hasard lors d’une sortie improvisée comme celle-ci. Depuis, c’est devenu notre lieu à nous. C’est paisible, peu de passages, et surtout on n’y croise pas des gens qu’on connaît !
J’aperçois ses grandes jambes, il est adossé au muret qui longe le bas du pont. Il ne me voit pas arriver, c’est trop tentant. « Bou », fais-je. Il ne sursaute même pas.
— Salut, Mariam !
— Salut ! Bah, t’en fais une tête, qu’est-ce qui t’arrive ?
— Viens, on va un peu plus loin, on va s’asseoir dans l’herbe dans la petite grotte.
On aime bien la petite grotte. En fait, c’est un enfoncement dans le muret, il y a assez d’espace pour deux personnes et on y est à l’abri.
— Tes parents se sont encore disputés ?
— Non, c’est pas ça… Enfin oui, mon père continue ses délires de plus en plus, je vois bien comment il me jauge de haut en bas…
— Bon, plus que quelques mois à tenir. De toute façon, tu ne seras plus avec eux l’année prochaine !
— C’est bien ce qui m’inquiète.
— Tu n’as pas trop le choix ! Tout va bien se passer.
— Et toi ? Où tu vas aller alors ?
— Je ne sais pas encore… Enfin si, j’aimerais bien faire des études de lettres, mais j’aimerais tellement m’évader d’ici. Moi, je ne rêve pas comme beaucoup de rester cloîtrée à Saint-Raphaël, même s’il y a pire comme confinement !
Alexis devient encore plus taciturne, j’ajoute :
— Mais on gardera le contact, t’en fais pas, Alex !
— Je sais… C’est plutôt : que va devenir ma mère si je m’en vais ?
— Ah, c’est ça qui t’inquiète… Tu n’es pas responsable de ta mère, tu sais…
— Je ne peux pas la laisser seule avec mon lunatique de père !
— Qu’est-ce qu’il a fait encore ?
— Oh, Monsieur me prend toujours de haut, il me regarde avec un tel dédain… Au fur et à mesure, ça devient quand même de plus en plus invivable… Il se dispute de plus en plus avec ma mère à cause de moi… Il trouve qu’elle me couve trop !
— Ah, et c’est le cas ?
— Peut-être, oui… Quoi que je fasse, ce n’est jamais assez bien, de toute façon !
Je pose ma main sur son genou.
— Tu veux faire quoi l’année prochaine ?
— Je voudrais intégrer l’INSA de Lyon.
— Tu l’as mis dans tes vœux ? Tu as toutes les chances d’être pris.
— Je sais… Non, j’ai pas mis encore… j’ai mis un BTS SIO.
— Rien à voir, non ?
— Ben, disons que ça m’intéresse moins…
— Elle en dit quoi, ta mère ?
— Elle me voit déjà à Lyon ; pour elle, ce n’est qu’une formalité !
— Arrête de te prendre la tête alors ! Il s’agit de ton avenir et de ta vie… Et puis, elle va mieux maintenant… c’est fini, Alexis.
Il pose sa main sur la mienne, et nous restons là côte à côte sans prononcer un mot. La tête sur son épaule, je me dis qu’Alexis est un garçon charmant, sa mère a de la chance d’avoir un fils aussi dévoué ! Je me surprends à penser « il ferait un excellent mari ». Mon téléphone sonne, c’est ma mère, je regarde l’heure, ça fait déjà une heure et demie qu’on est là. Il faut que j’y aille avant qu’elle fasse une scène. Je lui envoie « je suis en route, j’arrive ». Je fais un bout de chemin avec Alex puis on se sépare devant le chemin de fer.
Que sommes-nous ?
J’ai rendez-vous avec mon père à 12 heures. Je ne l’appelle jamais papa. En fait, je ne l’appelle jamais. Quand je parle de lui avec maman ou Alexis, je l’appelle Freddy. Elle me demande toujours d’arrêter, mais n’ayant pas obtenu gain de cause, elle a abandonné. C’est une affaire entre mon père et moi. Il a ramené depuis longtemps sa « Binta » en France. Je l’ai rencontrée les rares fois où je suis allée chez eux. Je crois qu’il n’est pas très sympa avec elle. Un vrai macho ! Alors qu’il fait la plonge et le commis de cuisine au restaurant, chez eux, il s’évertue à ne toucher aucune marmite, à aucune vaisselle !
Je suis partie avec Freddy au marché, avant qu’on mange ensemble au McDo. Il veut voir son ami, que j’ai dénommé JR. Enfin, cette fois, c’est maman qui a trouvé ce nom, il paraît qu’au niveau caractère, il est identique à ce célèbre frère Ewing de la série Dallas. J’ai regardé la série par curiosité pour me faire une idée de cet homme impitoyable ! J’y ai pris goût, et c’est vrai, c’est le même, ce copain. Je le déteste !
C’est quelqu’un d’antipathique. Je l’ai entendu dire une fois à mon père, flânant dans sa boutique : « Quoi ? C’est l’anniversaire de Binta, tu veux lui acheter un cadeau ? Ça y est, tu te prends pour un toubab ! » Mon père a eu l’air tout gêné devant cette réplique, JR rigolait à s’en décrocher la mâchoire… Freddy, vexé, est alors sorti de son magasin sans rien acheter.
JR n’a pas d’enfant, il en est à sa troisième épouse. À aucun moment, j’imagine, il ne songe que le problème peut, peut-être, je dis bien peut-être venir de lui ! Non, je l’entends dire sans cesse à Freddy « Eh non, aucune n’est encore enceinte, je fais suivre celle qui est ici à l’hôpital, elle fait des tests pour voir ! ». Je me demande bien qui il essaie de berner par ses discours !