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Une salle des ventes toulousaine, un tableau apparemment insignifiant qui disparaît, puis deux meurtres, sordides et violents, constituent le début d une enquête en spirale, haletante et sans limites. Une enquête où se croisent un commissaire-priseur, un officier des services de renseignements, la Police, la Gendarmerie... Une banale enquête criminelle qui met peu à peu en lumière une vérité cachée, dans un crescendo d'autant plus terrifiant et angoissant qu'il pourrait ne pas être une simple fiction. Car les auteurs connaissent à la fois très bien le sujet et les mécanismes d une investigation en eaux troubles : ils sont professionnellement bien placés pour savoir que certaines réalités dépassent de très loin ce qu'une fiction raisonnable autoriserait à penser.
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Seitenzahl: 198
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Ce roman est une fiction. Toute ressemblance avec des personnages et des organismes ayant existé ou existant actuellement serait purement fortuite.
Immensité, dit l’être, éternité, dit l’âme.
Victor Hugo
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
– Adjugé, vendu !
Le commissaire-priseur abattit son maillet sur le pupitre puis salua d’un signe de tête discret celui qui venait d’emporter l’enchère, l’un de ses plus fidèles clients, tenace, discret et surtout très riche.
Un simple coup de maillet, pour le début d’une histoire complexe et de plus en plus terrifiante ; mais le commissaire-priseur ne pouvait pas le savoir.
Dans cette vieille salle des ventes toulousaine régnait une atmosphère contradictoire, faite d’émotions anciennes intériorisées et de fébrilité apparente, en raison des enchères qui avaient commencé depuis le début de l’après-midi ; la même impression contrastée se dégageait de la foule des acheteurs.
Ceux présents aujourd’hui étaient finalement les mêmes qu’un siècle plus tôt, lorsqu’une famille de notables de Toulouse fit l’acquisition pour l’un de ses fils d’une charge de commissaire-priseur, qui n’avait, depuis, jamais quitté le giron familial.
Les acquéreurs présents ressemblaient aussi à ceux qui assistaient à des ventes à Paris, Londres, Genève ou New York : un mélange d’ostentation et de pudeur, une puérilité cossue, des regards malicieux ou anxieux, la même envie de jouer et de gagner, comme dans un casino. Les gens étaient élégants, sans que l’on sache s’ils étaient là pour eux ou pour un mystérieux et puissant commanditaire.
Droit derrière son pupitre, le commissaire-priseur jeta un coup d’œil presque affectueux à ses clients bien éduqués, puis tourna la page du catalogue de la vente du jour. La cession d’estampes japonaises d’un lieutenant-colonel de l’Armée française décédé depuis peu dans sa maison de maître du fin fond de la Haute-Garonne pyrénéenne avait donné les résultats escomptés.
La vente qui arrivait maintenant était tout aussi intéressante ; il s’agissait du mobilier et de divers objets d’art mis aux enchères par Madame Haubresse et ayant appartenu à son défunt mari, le mystérieux William Haubresse, très connu à Toulouse dans certains milieux financiers et politiques, même s’il était tout sauf un homme public.
Décédé le 6 juin 2006 dans un accident de voiture à l’âge de quarante-quatre ans alors qu’il revenait d’un voyage d’affaires à Paris, William Haubresse avait légué à son épouse une belle demeure ariégeoise luxueusement aménagée et décorée, ainsi que divers comptes bancaires aux montants particulièrement élevés. La veuve éplorée et injustement frappée par le destin avait décidé, quelques mois après l’enterrement de son mari, de quitter la région Midi-Pyrénées, d’autant plus que le couple n’avait pas eu le temps d’avoir des enfants et que la maison ariégeoise, vide de son propriétaire, était devenue bien triste à vivre.
Ayant opté pour la vie en Californie, madame veuve Haubresse avait dû se résoudre, non seulement à vendre la maison de l’Ariège, mais également la quasi-totalité de ce qu’elle contenait : meubles, bibelots, statues, vaisselle, tableaux, livres anciens, etc. Tout ce qui avait constitué l’univers matériel de son époux n’avait pas sa place dans le container qu’elle avait réservé pour son déménagement outre-Atlantique.
Le notaire familial l’avait aimablement mise en relation avec le commissaire-priseur toulousain, ce qui avait abouti à la programmation du « lot Haubresse », qui ne déparait pas la longue et prestigieuse litanie des enchères de cette salle.
Avant d’entamer la séance, le commissaire-priseur demanda à ses assistants de réaliser rapidement l’inventaire des pièces proposées, et en attendant cette formalité habituelle, scruta discrètement la salle. Fort d’une expérience trentenaire, il connaissait ou arrivait à situer la quasi-totalité des clients potentiels qui assistaient à ces cérémonies particulières.
La séance du jour était conforme aux habitudes de la maison ; le commissaire-priseur nota juste la présence de trois individus qui portaient le même genre de costume sombre à la coupe classique, et qui surtout avaient le même regard dur de concentration et un peu distant, comme s’ils ne vivaient pas véritablement l’euphorie que connaissent généralement les amateurs de ventes aux enchères. Il n’eut pas le temps de s’interroger davantage car l’un de ses assistants s’approcha et lui dit à voix basse :
– Maître, l’inventaire du lot Haubresse révèle une difficulté grave : l’une des pièces manque !
– Que voulez-vous dire ?
– Elle a disparu.
Contrarié par cet incident extraordinaire qui ne correspondait absolument pas à la réputation sérieuse de sa salle, le commissaire-priseur se rendit immédiatement derrière le rideau rouge, dans la pièce où se faisaient les préparatifs ultimes avant le rituel des ventes.
– Que se passe-t-il ? demanda-t-il.
– Mauvaise nouvelle : la pièce numéro dix-sept est absente du lot, je viens de m’en apercevoir, répondit un autre assistant.
– C’est impossible, voyons ! Cela n’est jamais arrivé dans ma salle des ventes.
– Pourtant, c’est le cas, Maître. Je suis vraiment désolé, j’ai cherché partout mais elle est introuvable.
– De quoi s’agit-il exactement ?
– Un petit tableau champêtre sans grande valeur, de trente centimètres de large sur vingt-cinq de haut ; voici sa description sur le catalogue.
Le commissaire-priseur suivit le conseil de son assistant et regarda l’image de cette peinture à l’huile : elle représentait un paysage anodin, un simple champ avec, disposé en triangle, un château très précisément représenté et, dans le ciel, un soleil au zénith. Le tableau n’était pas signé. L’œuvre était de bonne facture et dégageait un certain charme, voire une émotion indéfinissable lorsqu’on la contemplait attentivement ; c’est la raison pour laquelle elle avait dû plaire à William Haubresse, qui avait toujours préféré la vie champêtre au stress urbain. Cela étant, la valeur vénale de ce tableau était presque anecdotique, ce qui excluait a priori l’hypothèse d’un vol commandité par un amateur d’art rétif à une acquisition par le biais de la vente aux enchères.
Le commissaire-priseur était naturellement très embarrassé par cet événement imprévu et fort désagréable, mais il ne pouvait faire attendre les acquéreurs, sous peine de ternir la réputation de son établissement. Il prit rapidement la décision de revenir derrière son pupitre et entama la vente sans plus tarder ; il se contenta de préciser à la foule des acquéreurs :
– Mesdames, Messieurs, pour des raisons techniques, les enchères pour la pièce numéro dix-sept sont reportées. Nous allons passer directement, si vous le voulez bien, à la pièce numéro dix-huit, une magnifique…
Comme la fameuse toile numéro dix-sept n’était véritablement qu’une œuvre mineure, le commissaire-priseur ne s’inquiétait pas outre mesure d’une éventuelle réprobation de la salle ; il remarqua cependant que juste après qu’il eut annoncé cette modification du catalogue, les trois personnes, qu’il avait remarquées pour leur allure austère, eurent l’air particulièrement désappointées et quittèrent immédiatement les lieux.
Pris par l’ambiance de la vente, le commissaire-priseur n’y accorda aucune importance, se promettant de toute façon de vérifier ensuite qui étaient ces gens, et surtout de retrouver ce tableau mystérieusement disparu.
Une heure et demie plus tard, le lot Haubresse s’était dispersé en totalité chez ses nouveaux propriétaires, antiquaires, riches retraités, représentants de fonds de placements financiers, passionnés d’art. Ce lot était le dernier de la journée, qui s’était comme à l’accoutumée merveilleusement bien déroulée, comme il se doit entre gens de bonne compagnie.
Madame veuve Haubresse était maintenant plus riche de quelques centaines de milliers d’euros, moins le pourcentage qu’elle laisserait légitimement au commissaire-priseur qui avait été si efficace. Il ne restait qu’à régler cette malencontreuse anomalie qu’était la disparition de cette petite peinture à l’huile.
Lorsque la foule des acquéreurs eut quitté la salle, le commissaire-priseur prit son téléphone portable et appela l’expert qui avait préparé avec lui l’inventaire du lot Haubresse.
– allô, Mongin ? Ici Magnac.
– Comment allez-vous ?
– Bien, sauf qu’il manque l’une des pièces du Lot Haubresse, la numéro dix-sept. Vous pouvez vérifier sur le bordereau d’inventaire ?
L’expert posa son téléphone pour aller consulter la liste puis confirma rapidement la présence initiale de la toile manquante.
– Bon, dans ce cas, répondit le commissaire-priseur, je vous propose, si cela vous est possible, de me rejoindre immédiatement ici pour que nous nous rendions chez la veuve Haubresse avec ma voiture. Nous lui porterons son chèque et nous essaierons d’éclaircir avec elle le mystère de la disparition de ce tableau.
– J’espère qu’elle ne nous en tiendra pas rigueur, dit l’expert.
– Ce n’est pas une bonne nouvelle et cela ne fait pas très sérieux, c’est évident ! Mais globalement, ces enchères ont été un succès et j’espère que le montant de la somme que nous allons lui apporter lui fera relativiser l’importance de cet incompréhensible larcin d’une toile anodine. Allez, venez, je vous attends.
Moins d’un quart d’heure plus tard, Mongin avait rejoint Magnac et leur véhicule quittait Toulouse. Il fallait un peu plus d’une heure de route pour rejoindre la demeure des Haubresse en Ariège, ce qui laissa le temps aux deux hommes d’évoquer la programmation des prochaines ventes aux enchères ; mais ils évitèrent de parler du tableau disparu, comme si, d’un accord tacite, ils voulaient minorer cette contrariété.
Ils quittèrent enfin la route nationale qui reliait Toulouse aux Pyrénées puis traversèrent un minuscule et charmant village ariégeois ; à la sortie, ils tournèrent sur le chemin arboré qui longeait le cimetière puis menait à la maison de maître que William Haubresse avait choisie pour les vieux jours qu’il ne connaîtrait pas.
Là, ils furent immédiatement accueillis par la veuve, qu’ils avaient prévenue par téléphone de leur arrivée, et elle les conduisit aussitôt dans le bureau de feu son mari, la pièce la plus appropriée pour régler ces questions d’argent.
En entrant, le commissaire-priseur et l’expert eurent la même surprise : le tableau prétendument disparu était accroché à sa place, au mur droit, et semblait les narguer en les regardant de haut.
Tout simplement un oubli, pensa tout haut le commissaire-priseur, qui n’eut même pas envie de reprocher à l’expert d’avoir mal réalisé son inventaire. Il présenta ses excuses à madame veuve Haubresse, qui fut d’autant plus encline à être indulgente qu’il lui remit le chèque promis. Mais alors qu’il pensait avoir rationnellement réglé cette mésaventure, il entendit l’expert s’exclamer :
– Regardez, Maître ! Le tableau a été abîmé ! Quelqu’un a grossièrement effacé le château par des coups de pinceau de la couleur du champ de blé.
Maître Magnac s’approcha de la toile et ne put que constater à son tour ces dégâts surprenants ; l’affaire se compliquait. Cela étant, tout ceci ne semblait pas émouvoir particulièrement la veuve, qui était surtout satisfaite du montant inscrit sur le chèque et n’accordait avec raison qu’une importance très relative à ce tour de passe-passe pictural. Ce fut pourquoi elle accepta bien volontiers la proposition du commissaire-priseur de rapporter avec lui à Toulouse le tableau outragé.
Les deux hommes prirent congé rapidement, après avoir convenu entre eux de se revoir dès le lendemain matin pour établir un rapport circonstancié sur cet épisode énigmatique et d’en faire parvenir dans les heures suivantes une copie à Madame Haubresse, qui tenait malgré tout à obtenir une explication sur ce mystère.
La nuit était tombée. Ils retournèrent vers la voiture et le commissaire-priseur ouvrit le coffre pour y déposer délicatement la toile voyageuse ; au moment de refermer, il eut l’impression curieuse que le tableau éclairait d’une étrange lumière froide l’intérieur du coffre du véhicule. Il haussa les épaules, mettant cet artifice visuel sur le compte de la fatigue. L’incident était clos, et hormis le sinistre plaisantin qui s’était bêtement amusé à abîmer une œuvre d’art sans grande valeur, le commissaire-priseur pouvait considérer qu’il avait bien gagné sa journée. Il ne savait pas que c’était la dernière.
La sonnerie du téléphone retentit pour la millième fois de la journée dans le bureau de l’officier de permanence. Le policier décrocha :
– Commissariat de la rue du Rempart, j’écoute ?
– Allô, inspecteur ?
– Les inspecteurs, c’est fini madame. Ici le lieutenant Mirabeau, je vous écoute. Effectivement, hormis quelques dinosaures qui erraient encore dans les services, les inspecteurs de police avaient disparu au moment de la énième réforme des corps et des carrières, au profit d’une hiérarchie militarisée dans ses titres de lieutenant, capitaine et commandant.
– Excusez-moi, lieutenant. Voilà, je vous appelle car je suis très inquiète ; j’attends des nouvelles d’une personne, et je n’arrive pas à la joindre, c’est anormal.
Le lieutenant de police faillit lui dire que ce genre de mésaventure ne justifiait pas forcément de déranger les forces de l’ordre, mais il se retint et à toutes fins utiles, attrapa un stylo et une feuille de papier pour noter d’éventuels éléments intéressants.
– Veuillez préciser, Madame, qui êtes-vous, tout d’abord ?
– Eh bien, je suis Madame Haubresse ; j’habite près de Saint-Girons, et j’attends un appel de Maître Magnac, commissaire-priseur à Toulouse. Il s’agit de quelqu’un de très sérieux, qui devait impérativement me téléphoner ce matin au sujet d’un problème important survenu hier dans une vente aux enchères. Il est reparti hier soir de chez moi en emportant l’un des tableaux que je lui avais confiés. Or, non seulement il ne m’a pas appelée comme promis, mais je n’arrive pas à le joindre à son bureau de la salle des ventes. C’est vraiment étonnant.
– Vous avez essayé à son domicile ou sur son portable ?
– Oui, bien sûr ; il s’agissait d’une vente très importante et il m’avait donné toutes ses coordonnées. Je suis vraiment inquiète, lieutenant. Et je veux absolument récupérer ce tableau !
Le policier, constatant qu’il ne s’agissait pas d’inquiétudes sentimentales comme cela arrivait fréquemment, et faisant confiance au ton posé et convaincant de son interlocutrice, décida de prendre en compte cet appel.
– Bien, donnez-moi l’adresse de la salle des ventes et du domicile du commissaire-priseur.
– La salle des ventes se trouve boulevard Carnot, et son appartement rue Croix-Baragnon, au 66.
– Merci ; laissez-moi vos coordonnées, j’envoie une équipe sur place et l’on vous tient au courant. Ne vous inquiétez pas, nous allons retrouver votre commissaire-priseur et votre toile de peinture.
Pensif, le lieutenant raccrocha ; la profession particulière du disparu retenait son attention car elle sortait de l’ordinaire ; les commissaires-priseurs sont d’habitude des gens fort discrets, comme il sied à un milieu où s’échangent à coût parfois exorbitant des objets de valeur entre gens bien élevés. Son flair de flic lui laissait déjà entrevoir une affaire valable, comme un vol d’objets précieux ou un assassinat de notable. Il fallait vite qu’il positionne son équipe, pour éviter que les spécialistes de la police judiciaire ne lui volent trop vite la vedette. Il reprit son téléphone et composa le numéro du poste de la salle de garde du commissariat :
– Allô, brigadier ? Vous avez du monde sous la main ?
Le lieutenant demanda au brigadier-chef Majoreil, figure truculente de l’équipe de la police en tenue du centre-ville, d’aller faire une vérification aux deux adresses qu’il lui indiqua. Il eut tout juste le temps de donner ses instructions que déjà le téléphone de permanence se remettait à sonner, apportant son flot de petits et grands malheurs du genre humain en milieu urbain.
Le brigadier-chef Majoreil jeta un œil attendri à la croupe ronde de la jeune adjointe de sécurité qui marchait devant lui d’un pas alerte pour rejoindre la salle des ventes. Il n’avait pas tellement envie de se déplacer pour effectuer cette vérification qui lui paraissait inutile, mais trente ans de bons et loyaux services dans la police lui avaient enlevé l’envie de discuter les ordres de ses supérieurs.
– Eh, jeune fille, dit-il à voix haute, doucement ! Nous avons le temps.
– Mais j’ai hâte de voir, répondit la fliquette. Je n’ai jamais assisté à une vente aux enchères, sauf à la télé et si on se presse, nous pourrons voir la fin de celle d’aujourd’hui. J’ai regardé le programme dans La Dépêche du Midi, ils sont en train de vendre des objets d’art africain, c’est très beau !
Le brigadier laissa échapper un borborygme, manifestant ainsi son peu d’enthousiasme pour cette forme d’esthétique – ce en quoi il avait tort. Il pensait surtout au moment où il allait pouvoir rentrer chez lui prendre un bon apéritif avec ses voisins, après s’être assuré que le commissaire-priseur n’était pas parti aux Bahamas avec le tableau réclamé avec insistance par la dame Haubresse.
– C’est bien la première fois que je pars à la recherche d’un commissaire, bougonna le brigadier. Cette pointe d’humour à connotation professionnelle fit éclater de rire l’adjointe de sécurité.
– C’est bien que cela te fasse rire, rajouta le brigadier, ça n’arrive pas souvent dans notre fichu métier.
– Oh, rétorqua la jeune femme, moi je trouve que c’est un boulot passionnant. Je ne regrette pas et j’espère bien réussir mon concours de gardien de la paix.
Effectivement, la façon altière dont elle portait son uniforme de police laissait supposer qu’elle était fière et heureuse de travailler dans la Grande Maison. Le brigadier-chef était davantage blasé, même s’il reconnaissait au fond de lui qu’il n’avait pas eu à se plaindre de sa carrière. Quelques années en région parisienne, à l’époque où les banlieues difficiles s’embrasaient moins brutalement, puis le retour à Toulouse où il avait obtenu ses promotions à l’ancienneté, faisant de lui le chef de l’équipe en tenue chargée de la sécurité du centre-ville.
Ils arrivèrent rapidement à la salle des ventes. Le brigadier permit à sa coéquipière d’aller jeter un coup d’œil aux enchères en cours, qui ne furent même pas perturbées par l’intrusion de la jeune femme en uniforme de police, car les acquéreurs potentiels étaient trop concentrés par la dispersion tarifée de superbes objets divers en métal et en bois sculptés. Pendant ce temps, Majoreil s’engagea dans l’escalier qui menait au secrétariat de la salle des ventes ; il frappa à une porte vitrée et entendit aussitôt une voix féminine crier :
– Entrez.
– Bonjour, Madame, dit le brigadier à ce qu’il identifia immédiatement comme étant la secrétaire. Je voudrais parler à Maître Magnac.
– Écoutez, il n’est pas là. D’ailleurs, cela m’inquiète beaucoup. Cela tombe bien que vous soyez là, je commençais à envisager de vous appeler.
– Cela lui arrive souvent de disparaître sans prévenir ?
– Mais non, justement. C’est quelqu’un de très rigoureux, presque maniaque dans son mode de vie, je ne comprends absolument pas. Et impossible de le joindre chez lui ou sur son portable.
– Vous avez vérifié son agenda ? Il avait peut-être des rendez-vous à l’extérieur ?
– Mais non, rien. Il devait animer la vente d’aujour-d’hui. Heureusement, son associé est là. Mais vraiment, je ne comprends pas.
– Vous avez un double des clefs de son appartement ?
– Non, Monsieur le policier. Nos relations ne le justifient pas.
Le brigadier-chef se retint de faire la moue, car le physique avenant et le tailleur élégant de la secrétaire n’interdisaient pas ce genre d’hypothèses. Mais le policier n’en était pas encore à échafauder des analyses pouvant intégrer des suppositions qui allaient au-delà des apparences. Il conclut :
– Bien, merci pour votre accueil. Je vais aller faire un tour à son domicile. Bien entendu, si entre-temps vous avez de ses nouvelles, prévenez immédiatement le commissariat de la rue du Rempart Saint-Étienne.
– Je n’y manquerai pas, promit la charmante secrétaire.
Le brigadier-chef Majoreil repartit par où il était venu et récupéra son associée au rez-de-chaussée.
– J’espère que tu n’as rien acheté, tu y passerais ton salaire, lui dit-il. Ce ne sont pas des endroits pour nous.
– Non, non, ne t’inquiète pas. Mais c’était très chouette à voir, répondit la jeune fille. On sent que c’est vraiment important pour eux, ils se mettent la même pression que les joueurs dans les casinos. Tu es déjà allé à celui qui vient de s’ouvrir à Toulouse ?
– Moi, tu sais, ce n’est pas mon truc. Moi, c’est les matches de rugby, le vélo, la chasse, la pétanque… Tranquille, quoi !
L’hiver toulousain était particulièrement doux et presque printanier, incitant les deux policiers à marcher d’un pas paisible qui contrastait avec le motif potentiellement alarmant de leur déplacement.
Tout en devisant, ils parvinrent à la rue où demeurait le commissaire-priseur. Ils sonnèrent à l’interphone de son appartement, mais personne ne répondit et la porte cochère resta close. Par chance, l’immeuble bénéficiait encore d’une concierge et avec cette autorité naturelle qui faisait le charme du métier, même après trente ans de police, le brigadier-chef engagea la conversation en s’exprimant avec assurance dans l’interphone :
– Bonjour Madame, c’est la police. Est-ce bien ici qu’habite Monsieur Magnac ?
– Oui, oui. Rien de grave, j’espère ?
– Je ne pense pas, mais nous sommes là pour vérifier. Veuillez nous ouvrir.
La concierge jeta un coup d’œil par la fenêtre, pour s’assurer qu’elle avait bien affaire à des policiers, puis se hâta d’ouvrir la porte de l’immeuble, plutôt contente de ce petit événement qui meublait son après-midi paisible de gardienne d’habitation bourgeoise du centre-ville. Alors qu’ils montaient dans les étages, le brigadier-chef commença immédiatement à interroger la concierge :
– Vous le connaissez bien, ce monsieur Magnac ?
– Il habite ici depuis très longtemps. Mais c’est quelqu’un de très discret, surtout depuis son veuvage. Il ne fait que travailler, il a une salle de vente aux enchères à Toulouse.
– Oui, je sais. Vous n’avez rien remarqué de bizarre ces derniers jours ?
– Oh non, tout était comme d’habitude.
– Très bien. Vous avez pris les doubles des clefs de son appartement ?
– Oui, bien sûr. Oh, j’espère qu’il ne s’est rien passé de grave !
– Ne vous inquiétez pas, nous sommes là.
L’adjointe de sécurité ne put s’empêcher de sourire en coin en entendant l’affirmation paternaliste de son collègue, qui évoquait quotidiennement son heureux départ à la retraite mais prenait encore plaisir à jouer son rôle de policier, rassurant les populations honnêtes et craintives dans ce monde de brutes.
Arrivés devant la porte de l’appartement du troisième étage, qui était fermée et ne portait aucune trace d’effraction, ils sonnèrent à plusieurs reprises.
– Bon, dit le brigadier-chef, allez-y, ouvrez.
La concierge engagea la clef dans la serrure et la porte blindée s’ouvrit doucement. La situation semblait tout à fait calme, mais un réflexe professionnel poussa le policier à mettre la main sur son arme rangée dans son étui, et surtout à s’engager le premier dans les lieux. À sa suite s’engagèrent sa jeune collègue, puis la concierge qui ne voulait surtout pas perdre une miette d’un drame éventuel.
Ils ne furent pas déçus ; le couloir de l’entrée conduisait directement à un vaste salon richement meublé, au centre duquel se trouvait un magnifique canapé en cuir noir. Allongé sur le canapé, Maître Magnac semblait s’y reposer ; à ceci près qu’il était ligoté et bâillonné, et que ses poignets tranchés avaient abondamment laissé écouler son sang.
– allô, lieutenant ? C’est Majoreil. Il y a un gros problème !
– C’est-à-dire ?
– Le commissaire-priseur ! Saigné comme un cochon.
Le lieutenant n’en souhaitait pas tant, d’abord parce que le décès prématuré d’un des concitoyens du centre-ville de Toulouse, dont il avait la responsabilité, ne pouvait le réjouir ; ensuite, parce que cet assassinat barbare signifiait des complications et des rapports à n’en plus finir.
– OK, brigadier, ne touchez à rien évidemment, et faites les premières constatations. De mon côté, je préviens l’identité judiciaire.
L’officier de police mit fin à la conversation pour appeler immédiatement le PC du central, l’hôtel de police du boulevard de l’Embouchure, et demander qu’une équipe de l’identité judiciaire se déplaçât aussitôt au domicile de la victime. La machine était en route ; il venait tout juste de la lancer que déjà son téléphone retentissait à nouveau : une plaignante qui s’inquiétait car la blanchisserie où elle avait déposé son tailleur sale était fermée depuis plus de deux semaines.