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"Dans l’ombre mystérieuse de la forêt d’Huelgoat, un jeu macabre se déroule. Après la chute de la tour et de la reine, le fou et le pion s’écroulent. Mais, même si les pièces sont couchées, la partie n’est pas terminée. Quel est cet adversaire implacable qui les élimine deux par deux pour les déposer en des lieux emblématiques de la forêt ?La lieutenante Rousseau va assister le capitaine Cassini à la résolution de cette énigme. Chantelle et ses filles, originaires d’Huelgoat, les aideront à se repérer dans les méandres de cette terre imprégnée de légendes. Mais les dons ésotériques conjugués de ces trois sorcerezed seront-ils suffisants pour démasquer ce joueur acharné ? Pour connaître le dénouement de cette partie mortelle, branchez-vous sur XcluTV !"
À PROPOS DE L'AUTEUR
En arrivant à Brest il y a plus de trente ans pour son travail dans le développement informatique,
Jean-Michel Arnaud ne pensait pas y trouver l’opportunité de devenir également bassiste dans le groupe My Bones Cooking et dans la fanfare ouessantine De-Si d’Eusa, comédien amateur dans la troupe brestoise des K-Barrés et surtout écrivain dans la collection Enquêtes et Suspense. Il est également membre du collectif d’auteurs “L’Assassin Habite Dans le 29”.
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Seitenzahl: 301
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Je remercie d’abord Élyse, mon épouse, toujours aussi efficace pour traquer les erreurs d’accord ou de style.
Tous mes remerciements à Anne Février pour ses renseignements sur le club d’échecs Le Petit Pion d’Huelgoat.
Sans oublier Guillaume et Arnaud, pour l’effort…
À tous, un grand merci !
Retrouvez la série de Chantelle sur :https://chantelle-enquetesoccultes.fr/
En ce début du mois d’avril, l’aube accorde à la nuit un long répit pour s’étirer avant de venir l’effacer par de pâles rayons de soleil. Les créatures nocturnes profitent de ce sursis pour prolonger leurs allées et venues dans les sous-bois, qui chassant, qui cueillant, qui fouissant, qui fuyant… Réfugié dans ses limbes, l’esprit de la forêt s’occupe à écouter les conversations entre les espèces ; parsemées dans ces hululements, ces coassements et croassements, ces grognements et ces piaillements, toutes les discussions semblent tourner autour du même sujet en cette fin de nuit.
— Vous avez entendu ? Ça a recommencé ! Deux fois ! Le crissement !
— Oui ! Il est passé dans les grottes ! grince une chauve-souris.
— Et aussi dans ma mare, coasse un crapaud. J’ai failli me faire écraser quand on a balancé ce gros truc !
S’agit-il d’une blague des korrigans s’amusant à imiter le ferraillement des roues de la charrette de l’Ankou pour effrayer quelques humains imprudents au point de s’aventurer dans la forêt ténébreuse ? Cernunnos sait qu’il n’en est rien. La météo est bien trop capricieuse, même lui ne parvient plus à la prédire tant les hommes l’ont déréglée ; et Beltane n’a pas encore été fêtée, la saison claire ne commencera que dans vingt-sept jours ! De plus, beaucoup de sentiers restent difficilement praticables à la suite des dernières tempêtes, malgré le gros effort de déblaiement réalisé peu avant. Il faudrait être inconscient pour se hasarder ici dans l’obscurité ! Inconscient, ou mené par une bien mauvaise raison…
Après-midi du mercredi 3 avril
Émeline Le Duff : fille cadette de Chantelle Marzin et de Gérard Le Duff ; mère de Liwen ; sœur d’Ariana, qu’elle surnomme Ria ou ma Ria ; gestionnaire de bien à Carhaix.
— Mon Dieu ! C’est pas possible ! Tu entends ça, Gérard ?
Papa lève rapidement la tête, abandonnant quelques secondes la préparation de sa sauce pour voir l’écran où la journaliste montre encore une fois la mairie dans son dos. Mon père plisse les yeux pour parvenir à déchiffrer le titre affiché en gros caractères : « Huelgoat. Deux nouveaux morts découverts dans la forêt ! » Je regarde très peu les chaînes d’info, mais j’ai vite décrypté leur mode de fonctionnement. Je suppose donc que, depuis tout à l’heure, il n’y a rien de neuf. Mais pour complaire à sa compagne, papa acquiesce avant de se remettre à sa concoction. Je ne comprendrai jamais comment il fait pour supporter cette femme. Ses longues jambes fines et sa grosse poitrine ne suffisent pas à combler les trous béants de son inculture crasse. Depuis que je suis arrivée, Jennifer est restée scotchée à l’immense télévision, comme fascinée par le manque flagrant d’intérêt de ce spectacle qui tourne en boucle pour ne rien montrer.
— Ta sœur est encore la dernière, comme d’habitude, ronchonne mon père.
Il remarque alors que la table n’a pas été dressée, mais je prends les devants avant qu’il n’apostrophe sa compagne pour lui demander de venir la mettre, préférant qu’elle demeure à bonne distance. Je sais d’ailleurs la réciprocité de cette préférence.
— Laisse, je m’en occupe ! Ariana a d’excellentes raisons pour être en queue de peloton. Elle ferme sa boutique à midi et, en temps normal, il faut une vingtaine de minutes pour arriver ici, mais avec cette histoire…
D’un geste vague, je montre l’écran où défilent les vues de Huelgoat que la rédaction a considérées comme étant les plus accrocheuses pour retenir l’attention des téléspectateurs afin qu’ils ne zappent pas, même si les endroits présentés n’ont probablement que peu de rapport avec ceux où les corps ont été découverts. La journaliste racole son public en promettant de nouveaux scoops dans quelques instants, sans préciser la durée de ces instants, faute d’information supplémentaire. La pauvre correspondante doit regretter d’avoir été envoyée sur cette affaire au fin fond de la Bretagne, avec ces noms de lieux et ces patronymes imprononçables. Elle n’est pas du cru, étant donné les difficultés qu’elle rencontre pour les articuler. Connaissant l’identité de l’une des deux victimes de cette nuit, j’en sais plus que cette envoyée spéciale. Mais, par respect pour l’adjudant-chef Rivier, je préfère garder l’information pour moi, me doutant que Jennifer ne pourrait pas conserver ce secret bien longtemps.
Un double coup de sonnette me tire de la réflexion dans laquelle je commençais à sombrer. Ma sœur entre de son pas énergique. Rapide signe de la main à destination de la téléspectatrice qui ne se retourne même pas pour saluer l’arrivante, elle s’approche de papa, montrant l’impolie du pouce.
— Jenn la gênante n’a pas trouvé d’excuse pour se soustraire au repas familial aujourd’hui ?
J’ironise, embrassant mon aînée.
— Il faut croire qu’entre ses deux affreuses sorcerezed de belles-filles et le meurtrier de Huelgoat, elle préfère affronter nos regards.
— Arrêtez de vous moquer de Jenny ! ordonne Gérard Le Duff en modulant sa voix de façon à ce que sa compagne ne l’entende pas. Comprenez-la ! Vos yeux la mettent mal à l’aise, comme beaucoup de monde, et…
Mais Ariana l’interrompt avec sa moue railleuse, peu encline à écouter la plaidoirie proférée par notre avocat de père.
— Toi qui t’y connais en législation, l’assassin qui décime la population huelgoataine n’a pas gagné le grade de tueur en série ?
— Cela n’a rien à voir avec la législation. Cette expression n’est qu’une définition établie par je ne sais qui. Je suis prêt à parier qu’elle a été pondue par un quelconque journaliste américain à la recherche du titre qui marque les esprits suite aux actions d’un serial killer. Je suis d’ailleurs étonné que ce terme n’ait pas été déposé…
— Là ! Ils font parler des gens ! s’exclame Jenny.
Sur l’écran, un reporter tourne devant l’église sur la place Aristide-Briand, tentant d’intercepter des passants qui semblent peu enclins à lui répondre. Enfin, une volontaire à l’interview sauvage montre le bout de son nez.
— Oh ! Regardez, c’est Liliane, ma coiffeuse !
La femme se positionne à côté du questionneur en souriant, obligeant l’homme ainsi que le cameraman à changer d’orientation pour l’interroger. Je m’esclaffe de sa fine manœuvre :
— Maligne, la guêpe ! Elle gagne une vue sur son salon et une publicité gratuite sur une chaîne nationale. Elle va bien sûr prétendre qu’elle a maintenant très peur de sortir le soir. Mais, en tant que commerçante essentielle de Huelgoat, elle prendra ce risque pour satisfaire sa clientèle, qui ne pourrait pas survivre sans une mise en plis ou une couleur.
— Mais chut, tais-toi ! Je n’entends pas ce qu’elle dit.
Sur l’écran, la femme se tourne pour montrer le salon au coin de la rue.
— … je ne peux pas me permettre de fermer boutique. Nous avons déjà dû interrompre nos soins plusieurs mois pour respecter les distances de sécurité imposées par la covid. Il est hors de question que je recommence à cause de ces meurtres. Les personnes que je coiffe ne le supporteraient pas. J’ai entièrement confiance dans nos forces de gendarmerie pour me protéger…
En arrière-plan, la coalition de ceux qui aiment faire n’importe quoi pour passer à la télé se met en place, enchaînant grimaces et mimiques digitales diverses – le V de la victoire ou le signe des cornes pour les adeptes de rock plus ou moins dur. Changement de décor, retour devant la mairie et son monument aux morts où se tient la journaliste principale.
— Oui, merci, Jonasz. En effet, la population de Huelgoat a maintenant très peur après la découverte d’au moins deux nouveaux cadavres dans leur forêt ce matin, qui viennent s’ajouter aux deux assassinats de la semaine dernière. Je préfère préciser “au moins deux”, car la forêt est très étendue et, pour l’instant, tous les sentiers n’ont pas encore été inspectés. Nous attendons toujours que le maire nous reçoive afin de nous indiquer les mesures que la Ville va prendre.
— J’imagine que monsieur le maire lui affirmera qu’il interdit à quiconque d’occire ainsi ses administrés sur le territoire de sa commune, et que ceux qui souhaitent le faire aillent tuer en série ailleurs, plaisante Ariana, aussi dépitée que moi par la pauvreté du reportage. Bon, si on mangeait plutôt ? Je rouvre le “Lak-Pep-Tra”* à 14 heures et je suppose que tu as également du boulot, Em’. À moins que ce ne soient tes clients qui ont été assassinés et que tu te retrouves en chômage technique ?
Finalement, pourquoi ne pas en dire un peu plus ? Je réponds tout en me servant :
— Tu n’es pas loin de la vérité, car l’une des victimes est voisine d’un couple dont je gère l’exploitation.
Ce disant, j’attire l’attention de Jenny qui abandonne quelques instants sa chaîne d’actualité pour m’écouter. Je raconte qu’une voiture de gendarmerie, gyrophare allumé, se tenait dans la rue où habitent mes clients. Me reconnaissant, l’adjudant-chef Rivier est venu pour me saluer lorsque je me suis garée, et surtout pour s’enquérir où je me rendais. Rassuré par ma réponse, il m’a expliqué que deux nouveaux corps avaient été découverts le matin même dans la forêt, et que l’une des victimes vivait juste à côté de là où j’allais. Le gendarme attendait sa collègue psychologue pour annoncer l’horrible nouvelle à la veuve.
— Mais il m’a recommandé de ne surtout pas révéler l’identité de cette victime ! Elle doit demeurer secrète, jusqu’à ce que les enquêteurs autorisent à la divulguer !
J’ai ajouté ce dernier point en fixant Jenny dans les yeux, m’amusant de sa moue de déception. Je suis volontairement restée très vague dans mes descriptions des lieux, ne mentionnant même pas le nom du quartier où l’anecdote s’est déroulée. Elle tente de m’amadouer par quelques regards suppliants, mais renonce vite, comprenant enfin qu’elle n’en apprendrait pas plus de ma part. Me gratifiant d’une grimace boudeuse, elle se remplit une assiette et l’emporte sur la table basse afin de ne rien louper, des fois que la journaliste honore sa promesse et révèle un scoop plus intéressant que le mien. Mais, visiblement, le maire n’a toujours pas décidé de venir répondre à ses questions.
Assis en bout de table, la place du patriarche à laquelle il tient, notre père fronce les sourcils de désapprobation en remarquant mes échanges de regard avec Ariana, qui s’amuse à attiser l’exaspération de papa en s’adressant à moi.
— Je crois que l’on pense toutes les deux à la même chose…
— Quoi donc ? Le plat ? Oui, je me rends compte que je l’ai un peu trop salé. J’ai bien tenté d’allonger la sauce pour rattraper le coup…
Nous nous retenons de pouffer et nous acquiesçons en nous remplissant chacune un grand verre d’eau que nous vidons d’un trait. Car, en effet, la salière a été beaucoup trop généreuse. Nous jouons ensuite à poursuivre notre dialogue silencieux, profitant de notre connivence sororale. Ariana se désigne de l’index avant de monter le pouce au niveau de l’oreille et l’auriculaire devant la bouche ; elle se chargera d’appeler !
*
Léa Rasano : reportrice pour XcluTV, chaîne d’information continue. En déplacement à Huelgoat pour couvrir l’événement
Qu’est-ce que je suis venue faire dans cette galère, comme disait l’autre ? Je crois que c’est du Molière, mais je ne sais plus dans quelle pièce, j’ai oublié le titre de celles que j’ai étudiées à l’école. Je commence à manquer d’idées pour garder l’attention du public. Entre le maire qui n’arrête pas de repousser son interview et les cognes qui ne veulent rien nous dire et qui refusent qu’on approche des lieux de découverte des cadavres. C’est dommage, ça a l’air super joli en plus. La forêt s’insinue dans la ville. Un sentier de randonnée démarre juste derrière la mairie. Si je trouve le temps, j’irai m’y balader. Mais pour l’instant, je ne dois penser que boulot. Merde, ils sont chiants, ces flics ! Les gens ont le droit de savoir ce qu’ils risquent en vivant ici ! C’est notre rôle de les informer. Enfin, ça, c’est la version officielle. Notre rôle consiste surtout à faire flipper les téléspectateurs pour qu’ils restent devant l’écran sur notre chaîne à bouffer une page de pub tous les quarts d’heure…
En plus, la rédaction ne m’a refilé qu’une équipe réduite ! Marie m’a expliqué que c’est parce qu’ils ont reçu la nouvelle super tôt. Un e-mail est arrivé à 6 heures du mat’ pour les alerter de ces deux nouveaux crimes. Il paraît que c’est le meurtrier lui-même qui le leur a envoyé. Malheureusement, les autorités nous ont prévenus qu’il était interdit de divulguer cette information pour l’instant. Alors, l’équipe de management a appelé tous les journalistes disponibles et capables de se rendre à la gare Montparnasse pour sauter dans le premier TGV avec leur matériel, en direction de la Bretagne. De fait, je me retrouve avec Jonasz le flemmard et deux gamins à peine sortis de l’école. Ces newbies doivent être bien contents d’avoir trouvé du boulot, bien qu’ils soient sous-payés. Je crois bien que je suis tombée sur les derniers de la classe : dans le train, j’ai tout de suite remarqué qu’Afid est plus intéressé par les culs de nanas que par des plans accrocheurs pour attirer l’œil du téléspectateur. Et Louis passe son temps sur son téléphone à jouer, même pendant qu’il fait des prises de vue. Jonasz est relax. Il a un peu plus de bouteille que moi, mais il n’a pas encore été capable de trouver le témoin qui nous raconte qu’il a peur et qu’il n’ose plus sortir sa poubelle de crainte d’être enlevé par le tueur des bois. Pourtant, il doit y en avoir un paquet dans le coin : un bon gars bien rougeaud, une petite mémé attendrissante en tenue bretonne. Mais peut-être qu’elles ne portent plus ça que le dimanche pour aller à la messe. Il faut que je me renseigne avant de faire une bourde…
Jonasz a préféré repartir en surveillance au bout du lac où plein de voitures de gendarmerie sont garées. Ah ! Il me prévient que ça bouge de son côté ! Les gars dans leurs tenues stériles reviennent avec des boîtes et des sachets. Comment ont-ils pu ramasser des indices dans cette forêt ? Le sol est couvert de feuilles et de branchages, surtout après les tempêtes qui leur sont tombées dessus ces derniers mois. J’espère qu’ils vont enfin nous révéler une exclu ! Jonasz part aux informations. Il va encore se faire refouler. Non ? Le haut gradé s’approche ! Il est à quel niveau celui-là ? Merde, je ne réussis toujours pas à me souvenir de leurs grades, entre les traits droits et les trucs tordus sur leurs galons. Lui a trois barres, il doit être au moins commandant ou je ne sais plus quoi… Il est beau gosse en plus. S’il avait dix ou quinze ans de moins, je lui aurais bien fait du rentre-dedans pour lui tirer les vers du nez, sans doute parce qu’il a comme moi le charme méditerranéen. Tiens, il regarde sa montre. Ça sent le rendez-vous pour un point presse. Chope un truc avant tout le monde, Jon’ ! On s’en fout d’avoir les mêmes commentaires que les autres. Nous, on veut de l’exclu ! La page de pub touche à sa fin. Marie, dis-moi ce que je dois raconter ! Attention ! Cinq, quatre, trois, deux, un, direct !
*
Céline Flavien-Dulac : psychanalyste installée à Huelgoat depuis une dizaine d’années
Le comportement humain m’étonnera toujours, et ni Freud ni Lacan ne pourront me permettre de comprendre ce qui peut se passer dans la tête de certaines personnes. Si je m’étais trouvée à la place de Laura… Non, il ne faut surtout pas réfléchir de cette façon ; ne jamais se mettre à la place du patient pour essayer de saisir ce qui le pousse à agir ainsi, principe de base de la psychanalyse ! Pourquoi pleurait-elle à chaudes larmes alors que ce gars était un monstre ? D’après ce qu’elle me racontait, il opérait avec elle à la façon d’un pervers narcissique, et il n’hésitait pas à la battre brutalement de temps en temps. Mais l’homme était malin, il ne laissait pas de marque visible…
Je n’ai jamais reçu de formation pour ce genre de situation. Accompagner un gendarme lorsqu’il vient annoncer à une femme que son mari a été assassiné n’est pas censé être dans mes attributions. Je n’ai accepté que parce que Laura me consulte depuis de longues années. À force de travail, je suis parvenue à la convaincre d’aller porter plainte contre lui. J’ai dû menacer cette pauvre femme d’utiliser l’extension de la loi sur le secret médical qui permet aux psychologues de divulguer des informations concernant les violences conjugales. Mon nom apparaît d’ailleurs dans la main courante, raison pour laquelle le sous-officier Rivier m’a appelée pour que je l’assiste. Il n’avait personne d’autre sous la main…
Maintenant que j’y pense, qui sait si les larmes et les gémissements de Laura n’étaient pas feints ? Quelle aurait été la réaction du gendarme si la veuve s’était mise à danser de joie en apprenant la nouvelle ? Rivier a eu la décence de ne pas immédiatement lui demander où elle se trouvait à l’heure du crime. D’ailleurs, il m’a avoué avant d’entrer qu’il ne disposait que de très peu de renseignements sur l’acte. Ses supérieurs ne lui avaient même pas indiqué la cause du décès. Avaient-ils peur que l’adjudant-chef ne gaffe ? Je ne crois pas, Rivier n’est pas du genre écervelé qui parle sans réfléchir, rigueur martiale oblige.
Dans les séries policières, les flics disent souvent que le conjoint ou la conjointe sont les premiers suspects. Est-ce le cas dans la réalité ? Le nombre de féminicides ne baisse malheureusement pas, pas plus que celui des violences faites aux femmes. Mais qui pourrait imaginer Laura Seztrek tuant son époux et le transportant dans la forêt. Ce n’est pas qu’une question de carrure, il s’agit surtout de sa volonté. Elle est faible, ce dont profitait son salopard de mari… Un amant ? Elle ne m’en a jamais parlé, mais cela ne veut rien dire. Toutefois, certains de mes patients m’avouent leurs adultères. C’est une façon pour eux de se libérer du poids de la culpabilité. Ils me prennent pour leur confesseur, s’attendant à ce que je leur ordonne de réciter deux Avé et trois Pater pour effacer le péché.
L’adjudant-chef Rivier m’a également indiqué que l’affaire passe dans les mains de la brigade de recherche de Brest. Un gradé va arriver pour diriger les équipes et mener les interrogatoires. Il a aussi dit qu’un analyste comportemental interviendrait en support. Peut-être m’appellera-t-il ? J’aurai des questions à lui poser sur les formations qu’il a reçues. Entre collègues, ou presque collègues, il ne pourra pas refuser de me répondre…
*
Ariana Le Duff : fille aînée de Chantelle Marzin et Gérard Le Duff ; sœur d’Émeline (qu’elle surnomme Em’) ; tient la boutique le Lak-Pep-Tra, rue Brizeux à Carhaix
Je contemple ma nièce Liwen, confortablement assise sur les genoux de m’man. Elle profite des caresses que sa grand-mère lui octroie généreusement, tout en observant avec curiosité le plan de la forêt que nous avons installé sur la table. Elle doit se demander ce que font la salière et la poivrière à cet endroit.
La gamine a remarqué que sa mamie Chantelle les a aussi examinées d’un air inquiet et elle a ressenti le léger malaise qui émanait d’elle. Mais, à trois ans, elle ne doit pas encore être capable de comprendre ni d’interpréter ces sensations, d’autant plus que les cajoleries de sa mamm-gozh n’ont pas cessé pour autant. Et moi, à cet âge, avais-je le droit à autant de mamours ? Et étais-je déjà si apte à percevoir ce genre de choses ? Em’ nous dit que Liwen est très précoce et qu’il est nécessaire de l’aider à appréhender ses dons. Mes réflexions sont interrompues par ma sœur, qui a également capté la contrariété de notre mère.
— Qu’est-ce qui te dérange ?
— Les emplacements ! répond m’man en haussant les épaules. La forêt est un site touristique fort fréquenté. Nous aurons beaucoup de mal à filtrer les informations qui nous intéressent parmi le fatras que nous récolterons, même en conjuguant les pouvoirs de trois sorcerezed.
Sans trop y croire, et sans masquer ma moue de déception, je fais une proposition :
— Peut-être que les deux autres corps se trouvent à des endroits où le passage est moindre. Sinon, officier Marzin, avez-vous une solution pour contourner ce problème, un plan B ?
M’man se retient de sourire devant ce rappel de son grade imaginaire dans la non moins imaginaire sous-division des enquêtes parallèles créée quelques années plus tôt**.
Elle nous indique que quelqu’un va arriver sous peu ; Laurence doit venir pour nous fournir toutes les informations qu’elle a pu récupérer sur l’affaire et surtout sur les deux cadavres découverts ce matin. Mais elle n’est pas seule : son accompagnateur n’est pas Sébastien Jodoin, qui assiste d’habitude la lieutenante de gendarmerie. Alors qui ? Quand même pas… Cette fois, c’est la sonnerie de la porte qui interrompt ma réflexion. La réponse est proche !
*
Capitaine Lisandru Cassini, de la brigade de recherche brestoise : supérieur direct de la lieutenante Laurence Rousseau
J’ai ordonné à Laurence de prendre le volant. Elle s’est déjà rendue chez cette personne, elle connaît donc le chemin. Mais en réalité, si je l’ai laissée me conduire, c’est pour ne pas trouver l’occasion de changer d’avis et de direction à mi-chemin ! Pourquoi ai-je accepté quand elle m’a proposé de faire les présentations ? Je ne voulais pas lui montrer mon hésitation, alors j’ai dit oui, et un Corse ne revient pas sur ce qu’il a dit ! La route de Huelgoat à Carhaix est courte. Tant mieux, parce qu’aucun de nous deux n’a prononcé un mot ! Moi, j’avais pour mauvaise excuse de ne pas déranger la conductrice avec mon “bavassage”, je préférais surtout éviter qu’elle nous perde dans les monts d’Arrée ! Est-ce vrai ? Ça aurait été une excellente raison pour annuler cette rencontre. Quand nous sommes arrivés à destination, elle m’a montré la maison en me fixant de son petit regard énigmatique, celui qu’elle utilise pour sonder les suspects en salle d’interrogatoire. J’ai répondu « Va Bé ! » et je suis sorti pour aller sonner. Je voulais le faire moi-même, car je suis le capitaine Lisandru Cassini, son supérieur hiérarchique.
La charmante personne qui a ouvert la porte n’a pas semblé décontenancée de se retrouver face à moi. Contre l’avis de Laurence, j’ai préféré garder l’uniforme et je lui ai ordonné de faire de même. Notre visite n’a absolument rien d’officiel, mais je tenais à montrer à ces femmes que je reste avant tout un officier de gendarmerie ! J’espérais les impressionner avec ma rigueur martiale et ma tenue impeccable – nous avions prévu du rechange, car nos vêtements ont quelque peu souffert de cette journée passée à crapahuter dans les sous-bois – et voilà que c’est moi qui suis désarçonné. Son regard m’a forcé à descendre de mes grands chevaux, et je me suis senti irrémédiablement attiré par ce puits sans fond. J’ai même commencé à basculer en avant, mais ce n’était que parce que Laurence me poussait.
— Avance que je puisse faire les présentations ! Ne te fatigue pas à essayer de les intimider avec ton air militaire, tu n’y parviendras pas !
Et sans que je lui en donne l’autorisation, elle va embrasser tout le monde dans la pièce, m’indiquant tour à tour les identités de chacune. D’abord Émeline, notre hôtesse, la cadette, puis Ariana, sa grande sœur, et Chantelle, la mère, dont je croise parfois le nom dans les rapports alambiqués que me fournit la lieutenante Rousseau après la résolution de certaines affaires. Et elle n’oublie pas la gamine qui est montée sur une chaise pour lui sauter dans les bras, Liwen, la fille d’Émeline. Je ne peux avoir aucun doute sur les relations entre ma subordonnée et cette étrange famille, étant donné le comportement de la guivanotta*** à son égard. Mais cela ne doit surtout pas influencer mon jugement ! Car je ne suis venu ici ce soir que pour déterminer si l’on peut accorder notre confiance à ce trio qui se prétend capable de nous aider dans cette enquête, et seulement pour cela. Et, pour l’instant, hormis leurs regards anormaux – trop sombre pour la plus jeune et trop coloré pour les deux autres –, je ne vois rien de particulier chez elles.
Mais la mère se lève et se dirige vers moi, comme si elle avait deviné mes pensées. Non, je ne dois surtout pas réfléchir de la sorte. Ce sont des roublardes, capables de lire dans nos comportements, alors je me dois de demeurer stoïque pour ne rien leur montrer. Elle vient se placer devant moi et pose sa main sur ma joue en me fixant de ses yeux irisés, sans un mot. Le contact est bref, si bref que je n’ai pas le temps de me révolter en lui repoussant le bras. Elle a déjà reculé en me toisant d’un air ironique.
— Pour un enquêteur, la curiosité n’est pas un vilain défaut, au contraire, mais ce n’est pas beau de se mentir à soi-même…
Je la regarde avec étonnement. Que veut-elle dire par là ? Quelle curiosité, et quel mensonge ? Mais cette diablesse semble avoir deviné mes interrogations muettes.
— Tu es venu ce soir pour lever le voile sur un mystère qui te perturbe depuis que Laurence t’a avoué utiliser nos services, enfin, surtout les miens… Plusieurs courriers sont arrivés à la BR**** de Brest juste avant ton départ pour Huelgoat. Tu ne les as pas ouverts, mais, étant donné l’expéditeur, tu te doutes qu’il s’agit des avis de mutation pour plusieurs membres de ton équipe, toi y compris. Alors, tu t’es dit que cette enquête serait probablement la dernière occasion de satisfaire ta curiosité. Raison pour laquelle tu as accompagné Laurence, qui a dû sous-entendre que nous participerions à cette affaire…
Cazzo***** ! Comment sait-elle tout cela ? Laurence n’a rien pu lui dire, elle n’est pas encore au courant pour les lettres. D’ailleurs, il y en a une pour elle. Je suis obligé d’admettre qu’elle n’a pas tort.
— Vé ! Tu es trop forte. Je comprends mieux pourquoi Laurence te fait confiance. Tu as le don !
Tout est dit dans ma dernière phrase. Je fixe tour à tour chacune de ces trois sorcières dans les yeux. Maintenant, je me sens apte à soutenir leurs regards, même s’ils me fascinent toujours autant. Les filles sont-elles aussi douées que leur mère ? J’aurais bien aimé que celle aux iris sombres vienne à son tour poser sa main sur ma joue ! Eh ! Stop, Capitaine ! N’oublie pas ce dont ces femmes sont capables ! J’espère d’ailleurs que la mamma n’a pas ressenti mon attirance pour sa cadette… Vite ! Il faut que je change de sujet ! J’avise la table et le plan déployé dessus, avec la salière et la poivrière qui incarnent probablement les deux premiers cadavres. Pour détourner l’attention, je me permets de déplacer la première, le menhir se trouvant légèrement à l’extérieur de la carte. Je cherche d’autres substituts pour représenter les deux morts de la nuit dernière, et je remarque le mouvement de la gamine. Elle court dans ce qui doit être sa chambre et elle revient m’apporter une paire de figurines articulées en plastique. Est-ce un hasard pur et simple, un geste naturel d’une enfant qui veut jouer, ou bien a-t-elle deviné ma demande silencieuse ? Comme elle retourne immédiatement se glisser entre sa mère et sa tante, je suis obligé de pencher pour la seconde option. Vergine santa, est-ce possible ? Quel âge a-t-elle ? Certainement pas plus de trois ans, et déjà… Je dois me concentrer ! Alors, je la remercie d’un sourire sans doute crispé, et je positionne les deux personnages sur le plan, aux endroits où les deux nouveaux cadavres ont été trouvés ce matin. En découvrant les lieux, la sœur aînée affiche une moue de désappointement en forme de grimace qui fait rire sa nièce. La tata lui tire la langue avant de se plaindre.
— Encore des zones de grand passage ! Nous ne pourrons rien récolter à ces endroits.
Je fronce les sourcils, ne parvenant pas à comprendre ce dont parle cette autre charmante jeune femme aux yeux si fous. Laurence ne m’a que rapidement expliqué les pouvoirs de ces sorcières bretonnes, capables de récupérer des informations par le sol en se positionnant à la bonne place. J’ai d’ailleurs remarqué qu’elles se promènent toutes pieds nus dans la maison. Mais peut-être est-ce juste pour un souci d’hygiène domestique ? C’est fort probable, car je constate que la lieutenante Rousseau a aussi abandonné ses lourdes rangers et ses chaussettes réglementaires dans l’entrée. Pendant quelques secondes, j’hésite à faire de même. Hors de question ! Même si ma visite dans cette famille n’a rien d’officiel, je ne m’abaisserai pas à suivre aveuglément les consignes locales. D’ailleurs, personne ne m’a donné ordre de me déchausser, mais personne ici n’a le grade suffisant pour m’ordonner quoi que ce soit ! Je repense à ce que la mère m’a affirmé et je me rends maintenant compte qu’il n’y a rien de magique là-dedans. Mon bureau n’est jamais fermé à clef, il est possible que Laurence ait vu les enveloppes et qu’elle en ait discuté avec cette Chantelle. Et la lieutenante lui a certainement parlé des fiches de préférence pour une nouvelle affectation que l’on a transmises il y a quelques semaines au service qui s’occupe des mutations. Dans cette armée, on ne reste pas en poste indéfiniment ! Et le fait que je sois soudain pris d’une envie de rencontrer cette femme n’a rien d’étonnant non plus. Un enquêteur, gendarme ou policier, est curieux par nature. Je me suis sans doute trop vite emballé en voulant croire l’incroyable ! Mais elles ne me berneront pas avec leurs numéros de passe-passe !
— Je ne divulgâcherai pas le contenu de ton courrier. Toutefois, je peux te dire que tu seras satisfait de la réponse, mais en partie seulement. Maintenant, c’est au tour de mes filles de te montrer ce dont elles sont capables, alors laisse-toi faire ! m’intime Chantelle.
A-t-elle perçu la subite houle d’hésitation qui m’a assailli ? Je ne veux plus que quiconque me touche ici ! Mais sans attendre que je les autorise à le faire, Ariana et Émeline me prennent chacune une main. Un doux frémissement, comme si un flux me parcourait les doigts. J’imagine un déferlement de données qui m’échappe, sans parvenir à résister. Ce n’est pas possible ! D’une façon ou d’une autre, ces deux simulatrices réussissent à me persuader qu’elles sont en train de puiser dans ma mémoire pour en extraire des informations. Je revois ces deux corps, l’un baignant dans une mare, le second démantibulé au pied de cette échelle métallique. Et cette particularité que le médecin légiste nous a ensuite montrée. Il savait exactement où regarder, en comparaison des deux premiers cadavres. Mes pensées basculent sur mon excitation à changer de poste ; une nouvelle brigade de recherche à intégrer, dans une région différente, d’autres collègues. Si je n’ai pas ouvert mon enveloppe, ce n’est que pour le plaisir de faire durer le suspense : où vais-je partir ? Mais je sens que mon esprit dérape vers la cadette aux yeux sombres, charmante, tout à fait à mon goût. Je commence à l’imaginer dans… Stop !
Je tente de rattraper cette considération hors sujet avant qu’elle ne leur parvienne, mais le tressaillement de la main de la concernée m’indique qu’il est trop tard…
— Arrêtons-nous là avant que les choses ne deviennent trop chaudes ! propose Ariana en s’écartant, une moue énigmatique sur les lèvres.
Cazzo ! Elle aussi l’a ressenti ! La tête me tourne, je vacille et m’écroule sans douceur sur une chaise que quelqu’un a tirée derrière moi. Je reste quelques instants silencieux, les yeux dans le vague, essayant de comprendre ce qui vient de m’arriver.
Sont-elles vraiment entrées dans mon esprit pour en extirper des renseignements ? Hors de question que je crois une telle chose ! Mais comment expliquer que je me sente maintenant vidé, au bord de l’épuisement ? M’ont-elles hypnotisé de leurs regards étranges ? Quelqu’un me tend une tasse fumante à l’agréable odeur. Un goût sucré, un parfum suave dont je ne parviens pas à déterminer la composition. Quelques gorgées suffisent à me revigorer.
Devant moi, les trois sorcières m’observent, semblant attendre mon bon vouloir. La lieutenante Rousseau me sourit ironiquement, me faisant comprendre par sa gentille moquerie : « Je t’avais pourtant prévenu ! » À cagna****** !
— Je pense que tu as maintenant retrouvé tes moyens, avance l’aînée des filles, nous allons donc essayer de traduire ce que l’on a pu récolter de ce contact.
Les deux sœurs se rapprochent l’une de l’autre et discutent quelques secondes à voix basse avant d’énoncer le verdict. Émeline commence :
— Malgré ta certitude en arrivant à Huelgoat, tu es à présent convaincu que les cadavres découverts ce matin et les deux de la semaine dernière sont les victimes du ou des mêmes meurtriers. Nous n’avons pas pu voir nettement la raison principale de cette certitude, mais nous avons perçu une sensation olfactive de chair brûlée.
— Les corps n’ont pas été carbonisés, nous supposons donc des marquages au fer rouge, complète Ariana. Ces marquages ont été effectués post-mortem. Pour la cause des décès, il faut attendre les résultats de l’autopsie, mais il y a de fortes probabilités que ce soit identique à ce qu’ont subi les deux précédents. La technique est si particulière que tu n’arrives pas à te la représenter clairement. Nous voyons une surcharge, un éclair, un survoltage…
— Le cerveau grillé ! intervient Émeline, enfin parvenue à préciser cette image si floue moissonnée dans l’esprit du capitaine. Personne ne sait encore exactement comment l’assassin s’y est pris.
Fin de l’analyse ! Je ne peux qu’applaudir la performance en souriant jaune. Mais, peu à peu, je suis submergé par la honte. Honte qu’elles m’aient manipulé avec autant de facilité, honte de m’être laissé dénuder sans pouvoir réagir, honte de n’avoir pas pu empêcher mes pensées de divaguer vers mes attirances sexuelles ! Et maintenant, j’éprouve une honte profonde de me retrouver ainsi devant cette jeune femme. Comment a-t-elle pris la chose ? A-t-elle effectivement rougi, ou s’agit-il seulement d’une illusion ? Ses yeux sombres se détournent de moi. Je la gêne, sans aucun doute ! Alors, pour ne pas la déranger plus longtemps, j’ordonne à Laurence de renseigner ces trois sorcières et je vais me réfugier dans la voiture…
*
Émeline Le Duff
Heureusement que ma Ria a rompu le contact, sans quoi je ne sais pas jusqu’où cela serait allé. Quelle étrange impression de se sentir devenir le centre d’attention, surtout pour ce genre de pensées ! Lors de notre formation, maman nous a prévenues que cela risquait d’arriver. Naïvement, à l’époque, j’ai cru qu’elle plaisantait. Quelle idiote !
Ma sœur me remet sur les rails de l’enquête et nous échangeons nos analyses : cette certitude, associée à cette odeur, ces formes bizarres, ces éclairs. Nous sommes synchrones, nos décryptages concordent. Mais, tandis que nous exposons nos résultats, je sens l’embarras qui envahit peu à peu le capitaine, à tel point qu’il préfère s’enfuir. Tant mieux… ou dommage ? Laurence prend alors sa relève pour nous détailler l’état actuel de l’investigation, avec quelques photos à l’appui.
— Vous avez de qui tenir toutes les deux. En effet, les victimes ont toutes été marquées au fer rouge après leur mort. Nous n’avions pas encore de certitude après la découverte des deux premiers cadavres, mais la livraison de la nuit dernière confirme notre hypothèse. Les formes imprimées sur les corps représentent…
Elle laisse volontairement traîner sa phrase en une interrogation sous-entendue. Bonne élève, je me concentre pour disperser la brume qui estompe les images perçues dans les pensées du capitaine. Les dessins se précisent progressivement. Je parviens à devancer Ariana d’une demi-seconde dans la résolution de cette énigme :
— Des pièces d’échecs !
L’enquêtrice hoche la tête affirmativement avec un petit sourire rassuré. Excellente réponse ! Elle part alors sur la cause des décès et sur la complexité à décoder les rapports d’autopsie. Il semblerait que les crânes des victimes aient été soumis à un courant électrique de forte intensité qui a grillé plusieurs zones neuronales, provoquant l’arrêt de la respiration et la mort par hypoxémie.
— Nous avons d’abord eu un homme de trente-six ans et une femme de trente-quatre ans. Les deux cadavres retrouvés ce matin sont deux hommes, de trente-six et quarante-quatre ans. Les quatre habitent Huelgoat ou ses environs proches…
— Avez-vous découvert autre chose qui relie ces individus ? demande maman.
Laurence pince les lèvres et secoue négativement la tête.
— Les deux morts de la semaine précédente ont passé leur enfance ici, fréquentant les mêmes établissements scolaires. Nous n’avons pas encore pu creuser dans le cheminement des deux personnes tuées la nuit dernière pour vérifier si elles ont un lien avec les deux autres. Nous nous y attellerons dès demain.
Elle fait une pause, nous estimant du regard, ma sœur et moi.