Einstein est un loser - Arthur T. M. Connelly - E-Book

Einstein est un loser E-Book

Arthur T. M. Connelly

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Beschreibung

New York City. Berlin. Deux destins qui se croisent. Arthur, héritier de l’une des plus grandes fortunes américaines, a fait le choix de dédier sa vie aux autres en embrassant une humble carrière d’écrivain public. January, une Berlinoise insouciante et rebelle, est la plus jeune doctorante d’une prestigieuse université américaine, spécialisée en physique appliquée. Tout bascule lorsque la lecture d’une vidéo de surveillance les confronte à un événement mystérieux où l’un des protagonistes semble disparaître sous leurs yeux. La mort, le temps et l’amour se télescopent, bouleversant leurs vies, ébranlant leurs certitudes et remettant en question les théories scientifiques du 21 siècle.




À PROPOS DE L'AUTEUR




Arthur T. M. Connelly a bâti une solide carrière dans le domaine de la finance, mais sa soif de découverte l’a conduit à travers de nombreux pays et cultures dans le monde. Son parcours a pris une tournure inattendue lorsqu’il est tombé sur un article consacré à la relativité et aux travaux révolutionnaires du physicien Alain Aspect. Cet événement a été la genèse de son premier roman, "Einstein est un loser", qui promet d’explorer les liens profonds entre la science, le destin et l’amour.

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Seitenzahl: 261

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Arthur T. M. Connelly

Einstein est un loser

Roman

© Lys Bleu Éditions – Arthur T. M. Connelly

ISBN : 979-10-422-0944-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

C’est l’équation de Dirac, et c’est la plus belle de toute la physique. Elle décrit le phénomène de l’entrelacement quantique, qui affirme que : « Si deux systèmes interagissent entre eux pendant une certaine période de temps puis se séparent, nous pouvons les décrire comme deux systèmes différents, mais d’une manière subtile, ils deviennent un système unique. Ce qui arrive à l’un continue à affecter l’autre, même à distance de kilomètres ou d’années-lumière. »

C’est l’entrelacement quantique ou la connexion quantique. Deux particules qui, à un moment ou à un autre, ont été unies sont toujours en quelque sorte liées.

Peu importe la distance entre les deux, même s’ils se trouvent à des extrêmes opposés de l’univers. La connexion entre elles est instantanée.

C’est la même chose qui se passe entre deux personnes, un lien que seuls les êtres vivants peuvent expérimenter.

C’est la façon dont fonctionne cette relation que nous appelons l’Amour.

Auteur inconnu

Avant-propos

Les sociologues ont démontré que le pouvoir reposait sur trois fondements :

— Le pouvoir traditionnel, basé sur le respect des coutumes.
— Le pouvoir charismatique, impliquant que le dirigeant soit un grand personnage et qu’on lui obéisse par dévouement.
— Et enfin le pouvoir nécessaire, exercé par ceux qui font preuve de compétences pour instaurer leur autorité.

Mon sentiment ? Tout ça n’est que pure foutaise !

L’homme dont je vais vous parler n’était ni un patriarche, ni un Kennedy ou bien encore un Thomas Pesquet.

Encore que pour celui-là, vu son niveau de gendre idéal, tous les mâles rêvent de l’écharper en secret, certainement pas de le suivre.

Cet homme ne rentrait dans aucune de ces cases et pourtant c’était l’individu le plus puissant de la terre.

Je vous vois venir.

Non, ce n’était pas un milliardaire prépubère à qui tout sourit ou bien un dirigeant politique dans son bureau ovale.

C’était une erreur de la nature, une entorse monstrueuse aux lois de la physique, un doigt d’honneur magistral à toutes nos convictions et croyances.

C’était un dieu, même s’il lui arrivait de se sentir aussi seul ou malheureux que nous la plupart du temps.

Je m’appelle Arthur Connelly, j’ai rencontré cet homme et je suis toujours en vie.

Chapitre I

Les faits rien que les faits

Hoboken (New Jersey), 12 juin 2024

Je suis ce que l’on peut appeler un écrivain raté. Précoce, prometteur, surdoué (selon ma mère), mais jamais publié malgré le siège de dizaines de maisons d’édition au cours des cinq dernières années.

Mon moment de gloire ? La reprise d’un papier que j’avais rédigé à la fac par THE « New York Times » sur une invasion de criquets asiatiques.

Mon nom n’avait même pas été cité dans l’article.

Depuis ma sortie de NYU1, j’exploitais allègrement mes compétences de linguiste, acquis au sein d’une famille franco-américaine, pour traduire les romans de collègues plus talentueux que moi.

Pour pouvoir vivre dans une mégalopole comme NYC, j’assurais également à l’occasion des missions d’écrivain public. Je m’étais d’ailleurs construit au fil du temps une réputation qui dépassait désormais le quartier dans lequel je résidais.

Moins gourmand qu’un avocat, mais tout aussi enclin à batailler pour de grasses commissions, je m’étais spécialisé dans la rédaction de courriers de réclamations auprès de compagnies de transport, coupables d’avoir provoqué la chute de passagers.

Comme beaucoup d’anciens élèves et malgré plusieurs boulots à plein temps, je parvenais difficilement à joindre les deux bouts.

La moitié de mes revenus étaient engloutis dans le remboursement de mon prêt étudiant et l’autre dans le loyer de mon « penthouse » de 129 Sqft2.

Comme je n’ai jamais su compter, je dépensais une troisième moitié de mes profits pour nous nourrir, mon découvert et moi. Donner des sueurs froides à mon banquier chaque mois était mon sport extrême de prédilection.

Pour ne rien arranger, les accidents se raréfiaient en cette période de l’année et avec eux une bonne partie de mes recettes.

Mon rendez-vous de ce matin tombait donc à point nommé, obsédé que j’étais par l’idée de ne pas mourir de faim à brève échéance.

Starbucks, 46e avenue, 10 h 5

J’étais déjà assis depuis dix bonnes minutes quand mon client, David Matthews, fit son entrée dans le café.

Nous nous étions d’abord parlé brièvement par FaceTime pour évoquer sa mésaventure et fixer un lieu de rendez-vous aussi, notre échange débuta sur les chapeaux de roues. David était un homme constamment pressé. Cela n’avait rien d’inhabituel dans une ville comme New York qui figurait régulièrement dans le top ten des mégalopoles les plus stressées.

Il m’avait rapidement exposé les circonstances de l’accident, sans s’étendre sur le préjudice à réparer.

Il n’eut pas beaucoup d’efforts à faire pour combler cet oubli. Difficile de ne pas remarquer le logo de la compagnie de bus imprimé dans la chair de sa joue.

Notre individu pressé s’était fait percuter en plein visage par le rétroviseur d’un autobus à impériale, Graal absolu des hordes humaines voulant visiter NYC en un temps record.

Couleur du véhicule, immatriculation, heure de la collision, identité du conducteur et des témoins, David semblait intarissable lorsqu’il évoquait les circonstances de l’accident.

Néanmoins, il évita soigneusement de me préciser qu’il était, au moment du choc, occupé à consulter les derniers posts d’une influenceuse écervelée et peu vêtue.

Si mourir à cause d’un bikini échancré sur Instagram était synonyme de postérité sur le net, mon client ne comptait pas se satisfaire de cette occasion ratée d’inscrire son nom dans le panthéon des Darwin Awards3.

Appâté par l’opportunité de s’enrichir facilement, David s’était démené pour collecter des dépositions, photos et images réalisées par les témoins de l’accident.

Aujourd’hui, lorsque survient un événement exceptionnel, le premier réflexe est de dégainer son smartphone et de filmer à la volée dans l’espoir de pouvoir ensuite faire « des vues » sur les réseaux sociaux.

Plusieurs dizaines de personnes avaient ainsi immortalisé sous format numérique un bel exemple de ce qui aurait pu être un fabuleux sujet de philosophie : L’esprit contre la matière.

Dans le cas présent, il s’agissait plus précisément d’une tête percutée à la vitesse de 40 Miles à l’heure par un rétroviseur de bus.

Au sortir d’un interminable monologue, David me gratifia de sept clefs USB contenant, sous de multiples angles de vue, la scène de l’accident.

Starbucks, 46e avenue, 10 h 45

L’échange avait duré 20 minutes montre en main, mais je n’avais pas souhaité quitter le bureau après le départ de mon client. Ledit bureau était la dernière table haute disponible dans le Starbucks qui occupait le rez-de-chaussée de mon immeuble.

Il faisait déjà très chaud pour cette période de l’année et un orage monstrueux s’était invité à la fête sans prévenir en cette fin de matinée.

Des touristes assis à côté de moi vociféraient à propos de cet orage qui était selon eux un énième rappel à l’ordre de la nature. Réchauffement climatique, famine, extinction prochaine. Superbe programme en perspective.

Comme tout New-Yorkais désabusé, j’y voyais simplement un prétexte pour ne pas quitter ce lieu rassurant, spacieux et tempéré.

À vrai dire, toute excuse était bonne à prendre pour ne pas rejoindre mon appartement de Hobbits 4qui se transformait en étuve au moindre rayon de soleil.

Accoudé devant la vitre immense du café, je contemplais la course effrénée de centaines de fourmis en cols blancs fuyant les torrents d’eau qui se déversaient à Hoboken.

Rassasié d’avoir succombé à ce plaisir coupable, j’insérai la première des clefs USB dans mon ordinateur portable. Le déroulé des événements était conforme au récit que m’avait fait mon client quelques minutes plus tôt.

Première clef USB.

Ce premier film était l’œuvre d’un touriste qui traquait, depuis le bus, le moindre détail évoquant les États-Unis : taxis jaunes, boîte à lettre US Mail sur la chaussée, vendeurs de hot dog, gratte-ciels géants.

Au bout de deux minutes trente exactement, David rentrait dans le champ de la caméra, pour en disparaître deux secondes plus tard, KO et allongé sur le sol dès son premier round contre le rétroviseur. Cris de paniques, hurlements et communion immédiate de la foule avec le tout puissant : « Oh my God ! ».

La vidéo s’arrêtait brutalement, le téléphone n’ayant visiblement pas supporté d’être lâché par son propriétaire lors de la décélération violente du bus.

Seconde clef USB.

Elle ne contenait pas de film, mais une succession de diapositives façon Selfie. Un jeune homme et sa fiancée prenant la pose devant le port d’Hoboken et la Skyline de l’île de Manhattan. Première photo souriante. Seconde grimaçante. Le paysage ne change pas. Troisième cliché où les deux tourtereaux s’embrassent.

La quatrième était plus intéressante. Elle était saisie quelques secondes après le choc, survenu à quelques mètres d’eux. On y voyait mon champion projeté à la renverse par son adversaire du jour et on discernait clairement le chauffeur de bus en arrière-plan, son téléphone suspendu dans les airs et le visage déformé par l’effroi.

Cinquième photo : mise au point à corriger, inexploitable.

Sixième photo. Le bus est sorti du cadre. On distingue la foule en face du passage piéton, qui attend de pouvoir traverser l’avenue.

Un homme attira mon attention sur le cliché, car il était habillé de la tête aux pieds en joueur des red-sox. Son visage semblait lézardé, comme balafré. À moins qu’il ne s’agisse d’un effet de lumière.

À deux heures d’un rendez-vous décisif pour le titre contre les Yankees, je me souviens avoir pensé que ce gars était suicidaire.

Ce jour-là dans les rues, les fidèles de l’équipe bleue étaient nombreux, se déplaçaient en troupeaux et étaient électrisés par le soleil, l’alcool et la perspective d’un nouveau sacre en championnat.

Une rencontre fortuite entre ce type taillé comme un bretzel aux couleurs des « chaussettes rouges » et une meute de loups bleutée n’aurait pas donné lieu à une bagarre, mais à un véritable massacre façon « Games of Thrones ».

Troisième clef USB.

Un film 4K d’une grosseur monstrueuse ! Mon P.C. ramait, mais la qualité des images était inégalable. Qui plus est, la chaleur que dégageaient les processeurs à travers les ventilateurs suffisait pour maintenir à température mon « latte macchiato ». Que demander de plus ?

La vidéo nous ramène à l’intérieur du bus, côté gauche, juste derrière le chauffeur.

Ces premières images me laissent sans voix. Aucun doute vu le logo aperçu sur le smartphone, le conducteur vient de lancer la lecture d’une série Netflix.

Pour absorber complètement l’attention d’un homme, installé au volant d’un bus de 12 tonnes et transportant une cinquantaine de personnes, cette série devait être passionnante.

Impossible de discerner le nom du programme néanmoins. Dommage, je l’aurais bien ajouté à ma liste de souhaits sur la plateforme VOD…

Nouvelle chute de téléphone. Maudite gravité.

Visiblement, le système de freinage qui équipait le bus était très performant puisque tout ce qui n’était pas assis ou accroché s’était transformé en projectile lorsque le chauffeur/spectateur avait écrasé la pédale.

La lecture reprend quelques secondes après. Le cameraman a flairé le buzz et commence à filmer la foule qui s’est agglutinée à proximité du bus.

Plan à 360° pour rendre compte, j’imagine, de l’ambiance qui règne à l’intérieur et autour du bus. On entend distinctement les passagers s’adresser à l’éternel et les piétons s’inquiéter de savoir si le punching-ball humain est toujours vivant.

Visiblement, mon fan des Red Sox n’était pas venu seul pour supporter son équipe.

L’un de ses congénères en tenue de base-ball rouge et blanc était maintenant le héros du film qui défilait devant mes yeux. Le héros du jour était affairé à mettre en position latérale de sécurité mon client et à lui prendre le pouls.

Quatrième clef USB.

Je dispose déjà de suffisamment d’éléments pour négocier à l’amiable une indemnisation à 5 chiffres pour mon ayant droit et de quoi honorer mes deux prochaines années de loyers avec ma commission.

Professionnel jusqu’au bout, je décide malgré tout de poursuivre le visionnage des clefs.

La quatrième ne présente pas de réel intérêt. Le film démarre 20 minutes avant l’accident et met en scène un couple de jeunes touristes qui égrène la liste de leurs objectifs matinaux.

Dans le flot de banalités énoncées, une seule retient mon attention. Le meilleur moment de leur visite au MET5 restera le hot dog englouti à la sortie sur les marches du musée.

1 500 likes sur Instagram dans l’heure qui a suivi pour la photo du repas, aucune pour celles prises lors de l’exposition « Surrealism Beyond Borders ».

À ce moment-là, je me suis demandé s’il était plus inquiétant pour notre civilisation qu’une saucisse fasse plus de vues que les maîtres du surréalisme, ou bien que cela n’étonne plus personne.

La suite du film était tout aussi laborieuse à visionner pour moi avec son lot de minauderies et d’attitudes doucereuses, en ma qualité de célibataire aigri à durée indéterminée.

J’avoue avoir éprouvé un plaisir sadique lorsque le téléphone a explosé à la suite du freinage, après avoir rencontré un obstacle que je ne pus identifier.

Si j’en crois l’enregistrement sonore que l’appareil avait continué de capter malgré le choc, mes deux touristes préférés étaient plus affectés par la perte de leur smartphone que par l’accident.

Cinquième clef USB

La vidéo débute quelques secondes après l’accident. Elle est de nouveau filmée depuis une position haute, à l’aplomb de la victime. Un autre voyageur du bus sans aucun doute.

On y distingue clairement le supporter des « Chaussettes Rouges »6 en train de rejouer une scène de Grey Anatomy.

Manifestement, celui-ci était soit un professionnel de santé, soit un spectateur assidu du show Runner médical, car les gestes étaient précis, rapides et visiblement réfléchis.

Filmé de dos, on ne discernait pas son visage, mais on l’entendait à nouveau explicitement réclamer de l’espace pour que la victime puisse respirer. On l’observait après relever la tête, son regard s’attardant de longues secondes sur un passager du bus, qui ne pouvait être que le réalisateur de la troisième clef !

On perd ensuite progressivement de vue la scène, car les spectateurs glissent autour de lui comme une marée humaine. Soit les témoins étaient soucieux de répondre favorablement à sa demande, soit ces derniers ne souhaitaient pas gâcher une miette de la comédie dramatique.

Garde foi en ton espèce, me suis-je surpris à penser à cet instant.

Fin de la vidéo.

Sixième clef USB.

La vidéo démarre par un fondu noir qui laisse progressivement apparaître un « USA 2024 ».

Le clip était d’une qualité remarquable et la mise en scène digne d’un professionnel, d’un dingue voire des deux à la fois.

Quelle personne saine d’esprit va s’amuser à transformer les rushs d’un accident en un film comparable à une production hollywoodienne… hormis possiblement 2 milliards d’utilisateurs de YouTube me direz-vous ?

Quelques secondes plus tard, la batterie de mes écouteurs sans fils et hors de prix jeta l’éponge. Le son bascula automatiquement sur mon portable qui commença à cracher à un volume assourdissant la chanson de Bruce Springsteen « Born in the U.S.A ».

Je me précipitai sur le bouton « Pause » et la situation fut excessivement gênante pour moi.

Peu m’importait d’avoir fait sursauter les autres clients assis à proximité de moi, puisque je venais de commettre un crime de lèse-majesté en clouant le bec à l’un de mes interprètes préférés.

Habituellement, quand Le Boss7 se mettait à chanter, c’est la touche « Vol + » que j’enfonçai.

Après avoir croisé plusieurs paires d’yeux réprobateurs, je relançai la lecture du film en ayant pris soin de réduire le son au minimum.

Je connaissais par cœur le tracé du bus « drop-off and pick-up »8 pour avoir vanté à des touristes arrivés de tous horizons, deux étés de suite, les charmes de la « ville qui ne dort jamais ». Avancer rapidement la vidéo jusqu’à l’intersection où était survenu l’accident fut ainsi un jeu d’enfant.

Le clip avait été tourné depuis l’étage du bus à impériale et j’avais l’impression d’être complètement immergé dans la cité.

À gauche de l’avenue, aux abords du passage piéton, je distinguais clairement mon premier supporter tout de rouge vêtu.

Je cheminai de nouveau sur le bandeau d’avance rapide jusqu’à l’accrochage.

L’auteur du film devait tenir fermement sa caméra lors du freinage puisqu’elle ne connut pas le même sort que les autres. Malgré un léger soubresaut, il parvint à tourner les minutes qui suivirent l’accident.

Devant mon ordinateur, il m’était désormais offert de contempler mon client allongé au sol, avec à ses côtés le second fan des Reds.

Lorsque notre héros à chaussettes rouges se releva pour hurler à la foule de s’écarter et de laisser la victime respirer, ses yeux et sa tête croisèrent l’objectif de la caméra.

Son regard me donna des frissons. C’était comme si deux expressions diamétralement opposées se superposaient. La haine avait laissé place en un millième de seconde à la panique.

J’imaginais que mon cadreur avait dû éprouver une gêne pareille à la mienne et s’était résolu à cesser de filmer.

La vidéo 4K s’arrêta net sur une dernière image de son visage, impossible à oublier tant la balafre imposante qui courrait de son menton à son œil droit était marquée.

Drôle de coïncidence. Deux personnes qui possèdent des caractéristiques physiques aussi distinctives que similaires. À moins bien sûr qu’il ne s’agisse d’une seule et même personne, ce qui… ne peut pas coller ! Tu regardes la vidéo d’un accident, pas un épisode de Rick et Morty.

Je reviens malgré tout quelques secondes en arrière.

Je zoome sur l’image et recentre l’écran sur le premier supporter des Reds, à gauche du bus, et de l’autre côté de l’avenue.

C’est bien la même personne, aucun doute là-dessus. Même corpulence, mêmes traits et… même balafre.

Je suis en train de délirer ? Mon cœur s’emballe et je perçois distinctement son rythme effréné au travers de la veine qui court sur ma tempe.

Comment une personne pourrait-elle se déplacer aussi rapidement ?

Le bus en freinant a provoqué un arrêt brutal de la circulation. Des voitures sont bloquées de part et d’autre de l’avenue, sans qu’il soit humainement possible de traverser, à moins de sauter de toit en toit.

Comment quelqu’un pourrait accomplir une telle prouesse en…

J’avance le clip et regarde le compteur temps : deux secondes et neuf dixièmes exactement !

Un claquement de doigts qui sépare le moment où le cameraman capte la gauche de l’avenue et sa plongée vidéo sur le corps de mon client, avec à ses côtés quelqu’un qui ne devrait pas être là.

L’avenue fait au moins cinquante mètres de large ici et elle est encombrée d’obstacle. J’ai beau avoir toujours été nul en maths, j’étais très doué en sport.

Cette performance équivaut à parcourir 100 mètres en 5,8 secondes quand Usain Bolt a inscrit son nom au panthéon des sprinteurs avec un record du monde à 9 secondes et 58 dixièmes.

À ce moment-là, je me souviens avoir pris une profonde inspiration pour retrouver un tant soit peu de calme et de lucidité.

Cette technique de yoga avait été un échec complet puisque la seule hypothèse rationnelle que mon cerveau m’avait soufflée était que je venais tout simplement de découvrir une nouvelle pépite du sprint mondial.

Ce sont obligatoirement deux personnes différentes !

Même si la tenue, la taille, la corpulence, la cicatrice et le visage sont strictement identiques ?

Des jumeaux ! Comment n’y ai-je pas pensé immédiatement ? C’est à coup sûr la réponse.

Je mets en pause la vidéo, m’inflige une autoflagellation mentale pour avoir pu échafauder brièvement un scénario digne de X-Files, puis porte de nouveau ma tasse à mes lèvres.

Mon cœur bat à tout rompre. L’explication ne peut être que celle-là.

Je relance la lecture au moment où mon fan des Sox délivre les premiers secours.

Les sons ont été écrasés par la chanson du boss, mais je reconnais parfaitement le film des événements, déjà vu sous deux angles différents.

Deuxième crise d’angoisse en approche. Alors que la foule glisse autour du corps pour ne pas perdre une miette de la pièce et que le samaritain lève la tête en direction du bus, un sac apparaît littéralement à ses côtés.

Le « compteur temps » n’affiche pas de saut dans l’horodatage, ce qui exclut un montage.

Une seconde quarante plus tard, le secouriste et son sac ont disparu de l’écran. Volatilisés.

Malgré la centaine de spectateurs présents, personne ne semble avoir remarqué son absence soudaine.

L’explication ne traîne pas à émerger sous mes yeux. Les têtes se sont toutes tournées vers l’arrière du bus. Des personnes paraissent crier même si le film est désormais muet. Les autres saisissent leurs crânes entre leurs mains.

La vidéo s’interrompt brusquement et j’en profite pour relire les notes prises lors de l’entretien avec mon client.

Bingo ! L’arrêt brutal du bus et l’attroupement qui s’en est suivi ont provoqué deux minutes plus tard un carambolage.

C’est en direction du bruit engendré par le suraccident que les personnes ont toutes détourné simultanément le regard, loupant par la même occasion le plus grand tour de magie jamais réalisé en direct dans la rue.

Chapitre II

Berlin

Berlin, Allemagne, 12 juin 2024

La durée du vol retour entre New York et Berlin fut plus brève qu’annoncé, ce qui n’était pas pour déplaire à ma jeune voisine. Le petit bout trépignait d’impatience à l’idée de retrouver son frère et sa mère restés en Allemagne, ce qu’elle m’expliqua un peu plus tard.

Notre conversation avait débuté à son réveil, au milieu de l’Atlantique, par une question assez déconcertante.

— Est-ce que vous pensez que nous allons plus vite au retour à cause de la rotation de la Terre ?

Salomé était âgée de neuf ans. Elle avait besoin d’un réhausseur pour être à hauteur d’yeux de l’écran d’info divertissement qui équipait les sièges.

Ma réponse tardant à arriver, elle reformula sa question dans un anglais parfait.

— Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour mon temps de réponse, mais je ne m’attendais pas à une telle question de la part d’une jeune fille.
— Je suis jeune, il est vrai.
— Mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années, complétai-je.

Sourire complice.

— Merci pour le compliment. J’aime beaucoup cette pièce.
— Tu as lu le Cid.
— Pas vous ?

La fée de la répartie s’était, elle aussi, penchée sur son berceau.

Son père était endormi dans le siège de gauche, et Salomé me confia qu’il n’aimait pas qu’elle discute avec des inconnus. Elle se présenta donc en bonne et due forme et je l’imitai.

— Salomé Ryōsuke. Enchantée de faire votre connaissance.
— January Weber. Heureuse également de vous rencontrer.
— Nous ne sommes plus des inconnus désormais.
— Tout à fait. Souhaites-tu toujours savoir pourquoi nous allons plus vite au retour ?

Elle piaffait d’impatience et me répondit d’un grand oui.

Je démarrai mon exposé en lui expliquant que la translation de la planète n’influençait pas la rapidité de l’avion et la durée du vol.

Contre toute attente, elle le compléta en ajoutant que la Terre tournait sur elle-même dans une journée et que sa cadence de rotation avoisinait les 1670 km/h vers l’est.

J’avais rarement eu l’occasion d’échanger avec une étudiante aussi studieuse.

— Au-dessus de dix kilomètres d’altitude, les appareils et leurs pilotes doivent composer avec le jet-stream. Ce courant permanent se déplace d’ouest en est donc…
— Donc le vent fait accélérer l’avion qui va vers l’est et le ralentit s’il se dirige vers l’ouest.
— Précisément. Excellente déduction, mademoiselle.

Après cet échange, et puisqu’elle était la curiosité incarnée, elle témoigna d’un intérêt particulier pour ma personne et mon parcours universitaire.

— Entre filles, nous pouvons nous parler franchement.

Ce petit bout me parlait comme si elle avait déjà vécu mille vies de luttes pour l’émancipation des femmes.

— Nous, les filles, sommes bien plus douées pour les maths que les garçons. Aujourd’hui, l’opinion publique justifie le manque de représentativité de notre genre dans les sciences parce que l’ON ferait croire aux filles qu’elles ne sont pas solides en mathématiques. Moi, je pense que c’est uniquement du fait que les garçons s’intéressent plus aux choses, alors que NOTRE priorité, ce sont les êtres vivants. Cela explique notre présence plus marquée en médecine et en biologie.
— Mademoiselle Salomé, que pensez-vous dans ce cas d’une jeune femme docteur en physique appliquée ?

J’avais pris un malin plaisir à la titiller pour me régaler de sa fraîcheur et de sa répartie. Malheureusement, je n’eus pas la joie de profiter d’un dernier trait d’esprit de ma jeune voisine. Lorsque les lumières s’allumèrent dans le cockpit et que le pilote annonça notre arrivée prochaine, son père se réveilla et l’interrompit.

— Ne dérange pas la dame, mon ange.
— Mais je ne la dérangeai pas. Nous échangions entre femmes. Qui plus est, Miss Weber n’est pas une inconnue.

Le père de Salomé se rendit vite compte qu’elle avait dû profiter de son sommeil pour engager la conversation avec moi.

Il se pencha en avant pour capter mon regard, puis me pria d’accepter ses excuses au cas où sa petite se serait montrée trop intrusive durant le vol. Tout en adressant un clin d’œil complice à sa fille, je lui indiquais en retour qu’elle ne m’avait nullement dérangé.

Quelques minutes à peine après l’annonce sonore, l’avion toucha terre. La procédure de débarquement fut tout aussi expéditive et les passagers commencèrent à abandonner rapidement leurs sièges.

Avant de nous quitter, je fis cadeau à Salomé du tangram9 que je portais toujours autour du cou.

Je m’étais inspiré du puzzle traditionnel chinois à sept pièces pour créer ce bijou en bois. D’apparence banale, celui-ci contenait néanmoins un redoutable casse-tête qui, une fois résolu, renvoyait vers l’adresse IP d’un serveur de la MENSA10.

Salomé devina presque immédiatement de quoi il s’agissait : « C’est une énigme ».

— Disons simplement qu’il s’agit d’une invitation sophistiquée pour rentrer dans un club un peu particulier.
— Tu en es membre ?
— Exactement. Si tu as besoin de moi un jour, tu me trouveras dans le tangram.

Ce petit bout m’avait fait mourir de rire à plusieurs reprises, mais aussi rendu espoir dans l’avenir.

Elle me tendit son auriculaire pour un denier check. Elle me gratifia ensuite d’un « ne lâche rien, Princesse » avant de sauter dans les bras de son père.

Quant à moi, je fus la dernière passagère à quitter l’avion. J’avais embarqué à New York avec seulement mon passeport et cinq dollars en poche. Mon téléphone, mon sac et mes clefs de voiture s’étaient volatilisés après l’accident de bus.

Le retour à l’appartement s’annonçait laborieux puisque je n’avais aucun ami à appeler ici. Tout du moins, aucun d’eux n’avait l’âge requis pour conduire.

Je traversai l’aéroport, tête basse. Une nuit de galère serait le prix à payer pour retrouver mon lit.

— Mademoiselle Weber ?
— Mes sauveurs !

Mes deux seuls amis berlinois étaient venus m’attendre à l’aéroport. Ils se jetèrent littéralement sur moi pour me tartiner de bisous.

— Tu nous as trop manqué !
— Ce n’est pas une raison pour en profiter quand même ! Je vous rappelle que je n’aime pas les bisous mouillés en plus !

Paul et Samuel, alias « Ghostshell and Thunder » dans le Darkweb, étaient pour moi ce qui ressemblait le plus à une famille.

Nous nous étions rencontrés en foyer il y a une dizaine d’années et l’attachement avait été immédiat. Je n’avais jamais connu mes parents et les leurs étaient morts dans un accident de voiture. J’étais devenu leur grande sœur et leur mère. Pas une journée ne passait sans nous voir ou nous appeler.

Lorsque la maison d’accueil m’avait convié « à prendre mes dispositions » le jour de mon 18e anniversaire, la rupture fut très difficile pour eux. Peu de temps après, ils multiplièrent les fugues pour me rejoindre dans mon studio.

Si j’avais toujours eu l’intention de les adopter, leurs évasions répétées et la dénonciation d’une voisine mirent un coup d’arrêt brutal à l’instruction de notre cas par le juge aux affaires familiales.

Le fait d’avoir toléré leur présence chez moi, sans avoir informé immédiatement leur autorité de tutelle, témoignait selon le magistrat « de mon incapacité à assumer la charge de jeunes enfants ».

« Le peu de surface financière dont dispose Madame Weber » fut l’estocade finale portée à notre dossier.

J’avais pu néanmoins obtenir un droit de visite chaque mois. Je n’avais jamais manqué de rendez-vous.

— Qu’est-ce que vous faites ici en pleine nuit ? Nous allons encore avoir des problèmes !

Ils étaient surexcités.

— C’est fini tout ça !

Ghost mit un coup d’épaule à son frère.

— C’était moi qui devais lui annoncer.
— Oh, ça va. Tu ne vas pas en faire un drame.

Je les interrompis.

— Qu’est-ce que vous allez me dire à la fin ?
— On a trouvé un emploi. Du coup, le juge a accepté notre demande d’émancipation.
— Vous êtes sérieux.
— On ne peut plus sérieux
— Qui vous a embauché ?
— Tu te souviens du site qui commercialisait les antivirus.
— Celui que vous avez piraté ?
— Celui-là, exactement. Eh bien, on s’est un peu embrouillé quand on est sorti de leur serveur.
— Ils vous ont trouvé.
— À vrai dire, ils sont venus arrêter l’éducatrice puisque l’attaque provenait de son P.C.

Je pris ma tête entre mes mains.

— Non, ne t’inquiète pas. On a tout réparé.
— Qu’est-ce que vous avez fait exactement ?
— On a envoyé un message à la société pour nous dénoncer. Au lieu de nous expédier la police, ils nous ont adressé un contrat de travail, à tous les deux !
— On voulait également t’inviter à notre crémaillère
— Vous pouvez me rappeler depuis combien de temps je suis parti aux États-Unis.
— Ça fait deux semaines, un jour, six heures et quarante-deux secondes.
— En deux semaines, vous avez trouvé un job, un appartement et vous vous êtes fait émanciper
— Yeah baby !
— Est-ce que le site du tribunal a été piraté ?
— Nous avons simplement aidé au désengorgement de la justice dans notre pays. En tout cas, les éducateurs du foyer étaient très heureux de nous voir partir.
— Pourquoi cela n’a-t-il rien d’étonnant venant de vous ? Mais dites-moi, où avez-vous emménagé ?
— On a l’étage au-dessus du tien.
— Il n’y a qu’un plateau de bureaux au-dessus de mon appartement
— On n’a pas encore eu le temps de tout réaménager, mais tu verras, c’est cosy.
— Vous avez sérieusement loué tout l’étage.
— Acheté en fait.
— Qu’est-ce que j’avais dit sur les cryptos ?
—