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Imaginez un château.
Un château vous plaira. Et non pas une vaste fabrique rétablie à grand frais, comme un musée, mais une demeure.
La grosse tour de l’ouest est du XIIIe. La légende veut, comme toujours, que ses fondations remontent jusqu’aux Romains. La tour du levant est du XVe, avec une porte si basse qu’il faut se baisser, curieux vestige d’un âge antérieur. Entre elles, tout le corps de logis est d’une Renaissance retouchée. La petite aile droite a double visage : Empire et Louis XVI.
Il est certain qu’une telle bigarrure serait laide dans un objet récent. Il n’est pas moins sûr que le château de B… est délicieux. Après tout, vous comprenez pourquoi. Chacun a subordonné ce qu’il apportait selon le goût nouveau à ce qu’il laissait par besoin ou par respect. Une sorte d’unité est venue de l’usage et de la succession. Le ciel angevin, pour finir, a doucement mûri ce fruit de greffe. Il vous est arrivé de découvrir au fond d’une belle allée donnant sur la route une de ces maisons qui vous troublait soudain comme une femme. Et vous souhaitiez d’y vivre.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
PAR EUGÈNE MARSAN
© 2023 Librorium Editions
ISBN : 9782385742096
Tout est dans tout. Chaque vertu a son avers, comme une médaille ; et des poisons les plus noirs d’experts praticiens tirent habilement des remèdes capables de guérir. Cette considération nous a fait penser qu’il serait excessif de condamner toujours sans appel les défauts que l’on voit habituellement aux personnes appelées à vivre en commun, c’est-à-dire à toutes celles qui composent la société.
Que penserait-on d’un homme que l’horreur entière du mensonge obligerait à dire toujours la vérité ? Il finirait en cour d’assises, sous l’accusation de calomniateur et perturbateur de la paix publique. Que pourrait-on attendre d’une femme qui ne serait point un peu coquette ? D’un causeur qui se défendrait d’être médisant ? D’un savant qui n’aurait pas de curiosité ? D’un amphitryon qui ne serait pas lui-même adonné à la gourmandise ? D’un homme d’esprit qui ne saurait pas être bête quand il faut ? Ils tourneraient tous bientôt à la misanthropie la plus hypoconde et seraient à fuir, comme Alceste, dont c’est l’erreur d’être à ce point intransigeant sur la vertu.
Philinte n’est pas moins honnête ; mais il sait mieux user des hommes et ne déteste rien tant que l’excès. C’est pour lui que nous avons entrepris cette petite collection d’éloges des défauts commodes, utiles, nécessaires, qui s’appellent la Médisance, la Gourmandise, la Frivolité, le Mensonge, la Coquetterie, etc…
Sous le voile transparent de l’ironie, la morale la plus difficile y trouvera son compte et sera très exactement servie. Mais, pour une fois, avec gaieté, ce dont nul ne pourra se plaindre.
LES ÉDITEURS.
ÉLOGE DE LA PARESSE
Imaginez un château.
Un château vous plaira. Et non pas une vaste fabrique rétablie à grand frais, comme un musée, mais une demeure.
La grosse tour de l’ouest est du XIIIe. La légende veut, comme toujours, que ses fondations remontent jusqu’aux Romains. La tour du levant est du XVe, avec une porte si basse qu’il faut se baisser, curieux vestige d’un âge antérieur. Entre elles, tout le corps de logis est d’une Renaissance retouchée. La petite aile droite a double visage : Empire et Louis XVI.
Il est certain qu’une telle bigarrure serait laide dans un objet récent. Il n’est pas moins sûr que le château de B… est délicieux. Après tout, vous comprenez pourquoi. Chacun a subordonné ce qu’il apportait selon le goût nouveau à ce qu’il laissait par besoin ou par respect. Une sorte d’unité est venue de l’usage et de la succession. Le ciel angevin, pour finir, a doucement mûri ce fruit de greffe. Il vous est arrivé de découvrir au fond d’une belle allée donnant sur la route une de ces maisons qui vous troublait soudain comme une femme. Et vous souhaitiez d’y vivre.
Ce qui attriste certains châteaux est un air d’aridité. Ils n’ont aucune eau vive. Et ce peut être l’isolement. Ils perchent ou gisent au milieu d’un désert. B…, à la lisière du bourg, ressemble à une mère poule qui marche en tête de ses poussins, ou bien à quelque capitaine sobrement empanaché qui réunit sa troupe. Je parle comme Aloysius Bertrand. Et le Loir l’embrasse avec tendresse. Le Loir en a fait une île. Les heures reçoivent, dans ce miroir pâle ou ardent, l’image de B…, à demi enveloppée par les arbres.
Nous étions une bonne demi-douzaine qui causions en buvant. La terrasse porte un gros arbre autour duquel l’habitude veut qu’on se range à la fin de l’après-midi. On s’éloigne, à mesure que l’ombre s’allonge. Les derniers rayons nous trouvent établis sur la margelle de la rive, autour d’une petite crique pleine d’algues, d’où nous regardons pencher l’astre du jour. Il était, ce soir-là, et tout le ciel avec lui, d’un blanc d’argent que le fleuve, sans une ride, répétait en moins vif.
Fabrice, Charlemagne, Ghirlandaio, Colbert, Ajax, Savonarole, Livingstone, nous étions plus de six. Vous saurez tout à l’heure l’origine de ces noms bizarres. Nous étions plus de six, et deux dames avec nous. Mme Reine, la dame du château, qui semble une reine, en effet, ou plutôt une bonne sainte de nos églises. Renoir l’a peinte, dans son éclat, mais il l’a épaissie ; la postérité en soit prévenue. Mme Reine et sa belle-fille, la femme de Savonarole : nous la nommions Minerve, parce qu’elle est la raison même, cela va sans commentaires.
Peu à peu, la bulle que formait l’espace parut s’alléger encore, devenir un fluide plus transparent, éthéré, tout à fait impondérable. Puis, des vapeurs en foule naquirent dans le firmament. Il semblait qu’elles se fussent rassemblées à la hâte. Il avait seulement fallu que le soleil les frappât de biais. En même temps, il les avait transfigurées. Un amas d’archanges, de « chars vivants », et de trônes, et de glaives.
— On a beau dire, déclara Fabrice, tout répandu dans l’herbe, la paresse est bonne. Un idiot qui est paresseux, il s’ennuie à ne rien faire. Il me semble pourtant qu’il doit s’ennuyer toujours. Au lieu qu’un paresseux homme d’esprit goûte des plaisirs sans fin.
— Vous ne comptez pas, dit Mme Livingstone, qui nous était arrivée à l’instant (jolie brune aux yeux bleus et gris), vous ne comptez pas tous ceux que la paresse lui fait perdre. La dame d’onze heures ne verra pas ce couchant.
— La malavisée ! dit Mme Reine. A force de bâiller sur un livre ou sur elle-même, elle finira par ne plus rien savoir du globe qui la porte.
— Mais nous, dit Ajax, savons-nous bien ce qui l’enchante ? Je me rappelle une pensée de Jean-Jacques. Ce dément attrapait quelquefois un bon reste de nos moralistes, et il savait une langue magnifique : « L’oisiveté des cercles est triste parce qu’elle est de nécessité ; celle de la solitude est charmante, parce qu’elle est libre et de volonté. »
— En d’autres termes, vous encouragez la dame d’onze heures à nous fuir ?
— Oh ! la pauvre petite. Je crois seulement qu’elle se cherche. Ses pensées, ses livres. Elle cherche à se reconnaître dans cet orage de découvertes qui étonne ses dix-huit ans. De là ses rêveries, sa distraction. Elle est paresseuse comme La Fontaine.
Ainsi naquit un beau soir un beau sujet de conversation.