Elys - Tome 1 - Sebastien Maietta - E-Book

Elys - Tome 1 E-Book

Sebastien Maietta

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Beschreibung

Elys vit en 2079. Comme chaque enfant de douze ans, il devra effectuer son rite de passage qui consiste à passer une année entière loin de sa famille, dans une autre époque. Seulement, le rite d’Elys ne se passe pas comme prévu et celui-ci est propulsé dans un passé alternatif. Recueilli par Lord Ferrey, un vieil homme très riche, il perd tout contact avec son monde. Comment le jeune garçon va-t-il affronter son destin dans ce monde inconnu ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ayant toujours ressenti le besoin d’écrire, Sébastien Maietta s’est naturellement orienté vers des études de lettres. Il construit à l’encre de son imaginaire, avec "Elys", un univers à la fois proche et éloigné du réel.

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Seitenzahl: 381

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sébastien Maietta

Elys

Tome I

La tablette

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sébastien Maietta

ISBN : 979-10-422-0514-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

Nous sommes en 2079. La troisième guerre mondiale qui eut lieu entre 2027 et 2030 a vu la face du monde changer. À la suite du largage de la quatrième bombe nucléaire sur l’Antarctique, une fonte des glaces à l’endroit de l’impact mit à jour une nouvelle ressource naturelle inépuisable qu’on a baptisée « l’éther ». Celle-ci avait la faculté de se régénérer seule par un processus complexe que les chercheurs ont mis plusieurs années à comprendre. Ses vertus presque magiques furent très vite découvertes et domptées. Grâce à plusieurs milliardaires qui rêvaient d’un monde meilleur, l’éther a rapidement été vulgarisé afin de faire fonctionner tous les objets consommant de l’énergie. Avec son apparition, les ingénieurs ont pu inventer de nouvelles machines pour diminuer la pénibilité du travail, mais également pour donner accès au confort à tout un chacun. En maîtrisant cette matière, on a pu notamment créer des « pavés de contrôles » qui ont remplacé peu à peu les téléphones, ordinateurs, tablettes, et tout objet télécommandé. Par exemple, on pouvait regarder un film en compagnie de dizaines de personnes en le projetant sur un mur simplement en utilisant son pavé de contrôles. Des hologrammes pouvaient être projetés devant soi, et les appels en visioconférence des années précédentes renvoyaient l’image presque palpable de ses interlocuteurs.

En plus de cette nouvelle matière première, la société mondiale subit de grands changements. L’envie de réduire les inégalités sociales, de faire disparaître la pauvreté et de créer une harmonie entre tous les pays poussa ces derniers à réfléchir au meilleur moyen de parvenir à leurs fins. Ils décidèrent de créer cinq États de droits, un par continent. Ainsi, au bout de plusieurs années, cinq grandes capitales virent le jour, dont Pacifia, capitale de l’Europe, ville où naquit Elys. Chaque État était gouverné par une personne entourée de nombreux conseillers. On appelait cette personne l’Éminence à laquelle on ajoutait une lettre pour désigner l’État pour lequel elle exerçait. Dans le récit d’Elys, il s’agissait de L’Éminence E, représentante de l’Europe. L’ensemble des gouvernements avait été nommé « l’Ordre ». En dehors de l’aspect géopolitique simplifié, on restructura la société en la fragmentant en fonction des besoins vitaux de ceux qui la composaient. Six catégories furent alors instaurées :

- Les Mages, en charge de manipuler l’éther à des fins bienveillantes. Les plus puissants d’entre eux sont les Mages Noirs, qui connaissent toutes les vertus magiques de cette ressource et les contrôlent afin qu’elles ne puissent pas servir à faire le mal. Les Mages Bleus se servent de l’éther à des fins bienveillantes pour les hommes, comme soigner, réparer ou renforcer. Malheureusement, à cette époque, certaines maladies, comme le cancer, ne purent être éradiquées malgré la puissance de l’éther.

– Les Officiers avaient pour objectif de veiller sur la population. Ils représentaient la loi, la discipline et le respect.

– Les Cadres quant à eux devaient valider les lois votées, mais aussi coordonner les différentes branches de l’Ordre. La branche des Cadres fut créée à la suite d’une rébellion des Artisans en 2056 qui se sentaient exclus de l’Ordre.

– Les Artisans regroupaient tous les corps de métiers de la construction. Qu’il s’agisse d’un immeuble ou d’un pavé de contrôle, tout ce qui pouvait être fabriqué l’était de la main des Artisans.

– Les Nourrices quant à elles étaient divisées en deux catégories. Certaines s’occupaient de cultiver les champs, élever du bétail, en somme de nourrir la population, et les autres avaient pour mission de prendre soin de l’état de santé physique et mental de la population. Les deux catégories avaient pour seul objectif de prendre soin des habitants de la Terre.

– Les Lois, enfin, étaient chargées de créer des droits et des devoirs pour faire régner la paix, mais aussi d’enseigner aux enfants leur futur métier.

La vie scolaire des enfants démarrait à deux ans. On les envoyait à l’école afin qu’ils apprennent les rudiments de leur langue natale mais également ceux de la langue mondiale. On leur apprenait aussi l’histoire, les sciences et les lettres. À douze ans, ils devaient effectuer leur rite de passage. Celui-ci consistait à rentrer dans un Cube magique, élaboré à partir de l’éther. En traversant ce Cube, l’enfant était propulsé dans une époque et un lieu inconnus et il devait apprendre à vivre seul. Bien entendu, il n’était pas livré totalement à lui-même. Une aide lui était apportée grâce à une tutrice, faisant partie de la branche des Lois. Le but de ce rituel était de lui faire découvrir quelle branche de l’Ordre il voulait intégrer. Après ce rite de passage d’un an, il revenait au sein de la société et on lui enseignait dès treize ans les différents métiers de la branche qu’il avait choisie. De dix-sept ans à la fin de ses études, il se spécialisait dans l’un d’eux.

L’histoire de notre héros commence le jour de son rite de passage.

I

« Joyeux anniversaire ! »

Sofia était entrée dans la chambre de son frère Elys sans crier gare. Comme à son habitude, elle débordait d’enthousiasme et ressemblait plus à une jeune chèvre fougueuse se perchant partout qu’à une petite fille de sept ans. 

Face à son grand frère qui semblait ne pas vouloir bouger de son lit, elle entreprit de le secouer aussi fort que possible. 

« Allez ! Réveille-toi, Elys ! C’est ton anniversaire ! Tu vas vivre un grand moment aujourd’hui ! »

Tout en criant ces mots, elle le découvrit, bondit sur le lit, et lui embrassa le front, pour finalement courir devant la fenêtre et, d’un geste circulaire devant le pavé de contrôle, ouvrit les volets. 

Dehors, le soleil était déjà levé. Ses rayons se faufilaient à travers les immeubles et les hauts bâtiments officiels. La ville était parée de reflets dorés. Comme des nuages, les arbres, omniprésents, se dressaient fièrement, épars, pour essayer de rejoindre les toits des bâtisses. Le Shadow Building, siège officiel de l’Ordre, affichait sur sa façade une liste projetée en hologramme des noms de tous ceux qui avaient douze ans ce jour, et une voix féminine très douce les énonçait. Des dizaines de drones survolaient la ville, le long des artères principales, en simulant un feu d’artifice. 

« Elys Couttin »

La voix de la ville réussit à sortir le jeune garçon de son sommeil. Il ouvrit un œil, péniblement, et vit devant lui, à quelques centimètres à peine, le visage de sa sœur, souriant. 

« Debout ! »

Cette fois, il réagit. Se redressant, il attrapa sa sœur et la fit bondir sur son lit. Il se forçait, et particulièrement ce matin-là, à rendre à l’enfant cette joie de vivre. Il la chatouilla si fort que très vite ses yeux s’embuèrent et firent couler une larme de bonheur. 

Puis il se leva. Sa chambre immense et peu meublée ressemblait à n’importe quelle chambre de n’importe quel jeune garçon de cette époque. Il se dirigea vers la pièce principale de l’appartement dans laquelle se dressaient cuisine, salon, et salle à manger. Il prit place à la table où se trouvaient déjà ses parents, vêtus des tenues officielles de l’Ordre. 

Son père, Mage des Ombres, était un homme renfermé, peu enclin à exprimer ce qu’il ressentait. Du moins, c’était ce qu’il aimait penser. Mais lorsque quelque chose le contrariait, l’amusait, ou l’attristait, son regard changeait. Alors que les traits de son visage restaient figés malgré quelques rides et ridules qui venaient y écrire son histoire, ses yeux, eux, révélaient la profondeur de ses pensées. 

Sa mère, Officier de l’Ordre, était plus expressive. Mais la rigueur dictait sa vie. Elle savait qu’en tant qu’Officier, sa famille devait être exemplaire. Tout ce qui se passait chez elle, dans son intimité, l’Ordre le saurait. Ainsi était-elle aussi douce que stricte, aussi souriante que sévère. Elle était belle, et ses trois enfants l’admiraient énormément. 

Au centre de la table, comme un trophée exposé, se dressait un gâteau au chocolat, fait à la main par Mam. Mam, une jeune étudiante de l’École des Médecins de l’Ordre, s’occupait des enfants à temps plein. Elle vivait gratuitement chez les Couttin. Chaque famille dont les deux parents travaillaient pour l’Ordre avait obligation, à cette époque, de prendre sous son aile un étudiant afin de lui offrir le gîte et le couvert en échange de divers services. Mam avait eu beaucoup de chance de rentrer dans cette famille. Lorsqu’elle avait commencé ses études, Sofia venait de naître, et l’ancien étudiant qui résidait chez les Couttin venait d’être titularisé. Elle avait dix-sept ans. Le jour de son entrée à l’école, on l’envoya dans cet immense appartement où un bébé hurlait jour et nuit. Sofia avait été un bébé difficile. Même les tentatives de son père de la calmer par la magie runique n’avaient pas fonctionné. Et pourtant, la toute première fois que le regard de Sofia croisa celui de Mam suffit à tout changer. L’enfant sourit enfin, et plus jamais ne pleura sans raison. Il s’agissait peut-être là d’une autre forme de magie. La chance de la jeune étudiante d’être rattachée à cette famille venait du fait qu’elle était fille d’une veuve Nourrice qui n’aurait jamais pu l’aider dans ses leçons. Il ne s’agissait pas de moyens économiques, puisque l’Ordre avait tenu le pari incroyable de donner à chacun les moyens de vivre dignement et sans manquer de rien. Il s’agissait plutôt de moyens intellectuels. Après son rite de passage au sein du Cube, qu’Elys allait bientôt franchir, elle avait choisi la branche des Nourrices comme sa mère, mais de celles qui soignent, contrairement à sa mère qui était cultivatrice. 

Toute la famille, Mam y compris, se retrouvait donc assise à table, autour du trophée de chocolat. 

Elys esquissa un sourire en parcourant du regard toutes ces personnes. Chacune d’elles réveillait en lui un sentiment différent. Mais par-dessus tout, il se sentit heureux, ce qui demeurait assez rare. 

« Tu es prêt pour le grand jour ? s’enquit sa mère.

— Oui.

— Tu te souviens de ce que tu devras faire ? De comment cela va se dérouler ? Tu penseras à prendre ton pavé de contrôles. On ne sait pas encore quand et où tu vas commencer, il te sera indispensable. Tu comprends ?

— Oui, maman. Tu sais, tu m’as répété tout ceci des dizaines de fois cette année. Je sais ce que je vais devoir faire. 

— Elys, ne prends pas tout ça à la légère. À ton retour, tu seras prêt à commencer ta vie d’étudiant et, par-dessus tout, ta vie d’homme. 

— Oui, maman… soupira-t-il. 

— Ta mère a raison, Elys. » 

Mam prit part à la discussion alors qu’elle découpait le gâteau. 

« Lorsque je suis rentrée dans le Cube, j’étais tellement angoissée que mes jambes tremblaient. Je tenais mon pavé de contrôles si fort dans la main que je me demande comment il ne s’est pas cassé. 

— Allons, Mam, vous savez bien que les pavés de contrôles sont fendus d’éther, rien ne peut les casser.

— Je sais monsieur, mais je n’avais que douze ans et je ne connaissais rien à l’éther. Il n’empêche que je me souviendrai toujours de cet instant, quand la glace s’est fermée derrière nous. Nous étions peut-être une vingtaine, mais tous, même les plus courageux, étions apeurés. Finalement, ce n’était pas nécessaire. Ce fut le plus grand jour de ma vie ! Et aujourd’hui, c’est ton tour, Elys ! Dis-nous, comment te sens-tu ?

— Je me sens bien. J’ai hâte d’y être. Vraiment hâte ! Et puis, après cette année, je vais pouvoir apprendre avec les enseignants de la spécialité que j’aurai choisie et…

— … et tu veux faire quoi ? l’interrompit Sofia. Être un grand Mage comme papa ou un Officier comme maman ?

— Ou un artisan ! Je ne sais pas, Sofia. Je verrai ce que j’apprends dans le Cube !

— C’est déjà une preuve de sagesse, que je sens dans ces mots, Elys. Je suis ton père, et je dois te prévenir d’une chose. Quoi qu’il se passe d’inconfortable durant cette année, tourne-toi vers toi-même. Concentre-toi. Et garde ton calme. La force que tu renfermes sera celle qui te donnera les réponses.

— D’accord, papa. Tout se passera bien. »

Le gâteau disparaissait au fil des différents échanges. Sofia se leva tout à coup et prit son frère dans les bras. Dans un mélange de sourire et de larmes, elle lui avoua qu’il lui manquerait cette année, et lui ordonna de lui donner des nouvelles aussi souvent que possible. Bien sûr, il le ferait. Chaque fois qu’il le pourrait. Il connaissait l’admiration que sa petite sœur pouvait avoir pour lui, et pour l’ensemble de la famille. Et il était conscient de la sensibilité de ce petit être.

Le temps filait très vite, et il était maintenant impératif de se préparer pour la cérémonie de passage. Seul Elys, qui venait de se lever, n’était pas prêt. Tout le monde portait la tenue officielle de l’Ordre selon son rang. Ainsi, son père revêtait la « robe de mage », comme on la nommait vulgairement, mais qui n’avait de robe qu’une cape noire au liseré doré descendant jusque sous les omoplates. La veste de costume blanc, assortie au pantalon, cachait un veston bleu nuit, couvrant une chemise bleu roi. Sa mère, quant à elle, portait une longue veste qui enrobait tout son corps. Sous elle, un tailleur blanc, lui aussi au liseré doré, était parfaitement ajusté. Mam, en tenue d’étudiante, comme la règle l’imposait, paraissait telle une jeune écolière japonaise des années 2000, à la différence près que le liseré doré courait le long de chaque pli de sa jupe blanche. Les enfants de moins de douze ans pouvant se vêtir tel qu’ils l’entendaient, Sofia avait choisi une tenue classique. Une jupe blanche « pour faire comme Mam », et un t-shirt à l’effigie de son héroïne préférée.

Elys, dans la salle de bain, avait préparé la veille son ensemble pour le rite de passage. Un pantalon bleu sombre, et une chemise blanche. Pour la première fois de sa vie, il avait le droit de porter ce liseré doré que l’on retrouvait sur chaque vêtement officiel. Celui-ci courait de chaque côté de ses jambes. Sa veste, blanche aussi, arborait deux épaulettes à franges que seuls quelques enfants aimaient. Ce n’était pas son cas. 

Une fois prêt, il saisit son pavé de contrôles et le glissa dans la poche intérieure de sa veste. Il y rentra difficilement mais c’était la certitude pour Elys qu’il ne le perdrait pas en chemin. Sofia attendait derrière la porte, assise sur le sol, en jouant avec ses cheveux. 

« T’es beau ! Regarde maman, comme il est beau ! s’exclama-t-elle alors qu’il sortait de la pièce. 

— Tu es magnifique ! répondit sa mère, qui, laissant monter une larme de fierté et une pointe d’angoisse, s’interrompit aussitôt. Tu as bien pris ton pavé de contrôles ? Et puis tu penseras à embrasser ton frère ».

Le bébé, âgé de quelques mois, allait être gardé par une baby-sitter engagée pour la journée. Elys ayant tenu à la présence de Mam pour son rite, et ne réclamant que rarement une faveur, ses parents avaient accepté qu’elle se décharge de la garde du nourrisson. 

Tout le monde était fin prêt. Il était maintenant temps de se diriger vers le Shadow Building. Et c’est ainsi que toute la famille se présenta sur le palier de l’étage, juste en face de la porte d’entrée de leur appartement, et emprunta le véhicule personnel qui l’attendait. Grâce à l’éther, les voitures de cette époque lévitaient sans difficulté et tous les différents accidents de transports avaient été éradiqués. À bord, ni volant ni pédale, juste un petit espace dans lequel on posait le pavé de contrôles du conducteur auquel on donnait l’adresse de destination. Le reste était géré par la magie de l’éther. Comme cette ressource magique se régénérait seule, les concepteurs avaient construit un moteur dont l’énergie dégagée suffisait à la recréer plus rapidement, à la fois sous forme solide pour refaire le noyau central de la voiture qui sinon s’érodait avec le temps sous la puissance de la magie, liquide pour alimenter le moteur, et gazeux pour détruire le dioxyde de carbone dégagé par le trajet. 

Sur le chemin, Sofia, qui d’habitude regardait et commentait tout le paysage, fixait inlassablement son frère. Il semblait qu’elle cherchait à s’imprégner de son image, jusqu’au dernier millimètre de tissu qu’il portait. 

La grande place du gratte-ciel se rapprochait et le monde qui s’y rendait grandissait avec elle. Il avait été convenu que le véhicule serait stationné au deuxième étage, devant le bureau de Jeanne, la mère d’Elys. Presque tous ceux qui travaillaient à la tour faisaient ainsi. Cela évitait d’encombrer les parkings de la ville. 

Le bureau, assez modeste, n’avait pour seule décoration qu’une photo de la famille au complet, suspendue sur le mur. Tout le reste n’était qu’accessoires de travail. Il donnait sur un long couloir au bout duquel attendait un des 7 ascenseurs. Ils y rentrèrent et Jeanne, depuis son pavé de contrôles, demanda le rez-de-chaussée. 

Ils arrivèrent dans le hall principal, immense, et au centre duquel, si l’on prenait le temps de lever la tête, on pouvait voir le dôme en verre de la tour. Au vingt-cinquième étage, soit le milieu de l’immeuble, était harnachée une sphère bleue, semblable à du cristal et de laquelle émanait une lumière douce et puissante à la fois. C’était le noyau d’énergie du Shadow Building, suspendu ainsi dans le vide.

Un banquet se dressait dans le fond du hall. On y trouvait de tout. Boissons, nourriture sucrée, salée, des viandes, des fruits, tout, sauf de l’alcool. Quelques personnes se servaient, dont les Couttin, d’autres se tenaient à l’écart, mais peu se mélangeaient et discutaient entre elles. Au sein de chaque groupe, cependant, régnaient le silence et une certaine inquiétude. On attendait le Cube et bientôt on laisserait son enfant y entrer, seul et livré à lui-même, pour une durée d’un an. La famille Couttin ne dérogeait pas à la règle. Seul Adam, le père, semblait serein. Comme pour rassurer son épouse, il sortit d’une de ses poches une lentille de verre, la déposa à plat sur la paume de sa main gauche et y dessina avec l’index de sa main droite un symbole que lui seul voyait. La lentille se teinta presque aussitôt en rouge, puis en noir, et finalement en jaune. 

« Que dit-elle ? demanda Jeanne.

— Qu’il s’agira de son propre parcours. Qu’il… il s’interrompit.

— Quoi ?

— Le parcours de notre fils sera important. »

Puis il se tut. Son regard cependant n’annonçait rien de bon. Il avait beau essayer de le contrôler, n’importe qui pouvait y lire une appréhension certaine. 

Jeanne se tourna alors vers Elys et le serra dans ses bras. La pudeur dont elle faisait habituellement preuve au sein de son travail n’existait plus.

II

« Bonjour ! Approchez, je vous prie. Allons, ne soyez pas timides. Je vous demanderai juste de laisser les enfants qui effectuent leur rite au premier rang. Voilà, comme ceci. Vous êtes douze, comme convenu. C’est parfait. Je vais pouvoir commencer. Bonjour à toutes et à tous. Je me présente, je suis Aloé. Oui, comme le nom de cette plante pleine de vertus et de jouvence, même si le temps me rattrape, moi aussi. »

Elle s’amusa de son trait d’humour et entraîna la salle avec elle. Son but était clairement de détendre tout le monde, car elle savait l’angoisse que pouvait ressentir une famille à cet instant. Et elle reprit.

« Je vais accompagner vos enfants dans leur voyage au sein du Cube. Comme chacun de vous doit le savoir, puisque chacun de vous est passé par cette étape, je serai le lien entre eux et vous. J’appartiens à la branche des Mages Bleus, et je vois que certains d’entre vous sont mes collègues. »

Elle tourna alors son visage en direction d’Adam, lui adressa un large sourire et continua.

« Dont un parmi vous fut mon instructeur ! Bonjour, Monsieur Couttin ! »

La salle rit. Adam répondit par un sourire poli et un hochement de la tête.

« Quel plaisir pour moi d’accompagner ces douze jeunes garçons et filles dans cette aventure. Mais au-delà de l’aventure, nous allons apprendre. Apprendre vers quelle voie vous orienterez votre vie d’adulte. Apprendre la force de votre esprit. Apprendre l’autonomie. Apprendre tout un tas d’autres choses, en temps voulu. Les enfants, laissez-moi vous expliquer le déroulement de cette journée. Nous allons, ensemble, rentrer dans le “Cube de glace”. Il n’est pas encore là, inutile de le chercher des yeux, jeune fille. Quand nous serons à l’intérieur, nous discuterons un instant pour nous découvrir. Puis chacun de vous sera appelé, devra se rendre sur le pavé, et sera envoyé, grâce à la magie de l’éther, ailleurs. Il peut s’agir de n’importe où et de n’importe quand. Et oui ! Votre voyage va durer une année entière. Vous serez de retour ici même le jour de votre treizième anniversaire. Vous ne serez pas seuls pendant votre parcours. Je serai là. Avec vous. Parfois. Je viendrai vous rendre visite, de temps à autre, et prendrai de vos nouvelles. Avez-vous bien vos pavés de contrôles ? Ils sont indispensables ! Avec eux, vous pourrez me joindre, quand vous le désirez, et je pourrai moi aussi vous contacter. Je rappelle que toutes les fonctionnalités de vos pavés de contrôles ne seront pas activées. Par exemple, vous ne pourrez pas commander une pizza ou jouer à vos jeux vidéo. »

Les familles rirent à nouveau, le stress se dissipant au fur et à mesure qu’Aloé faisait son briefing. Une seule personne se renfermait de plus en plus sur elle-même. Adam sombrait dans ses pensées et son regard devenait de plus en plus noir à chaque minute qui passait. 

« Douze enfants ! Je suis si heureuse pour vous ! Je vais devoir choisir qui j’accompagnerai au moment du départ. Mais je n’aime pas faire ce genre de choix ! C’est pour cette raison que j’ai écrit vos noms sur des bouts de papier, et que je vais demander à… Tiens, toi, viens donc par ici. »

Elle désigna du doigt un garçon d’environ dix ans, dont l’une des deux jambes était faite de métal fondu dans de l’éther. On pouvait facilement le remarquer grâce à la couleur rose et luisante de son membre. 

« Comment t’appelles-tu ?

— Vincent, madame. 

— Madame ? Vincent, tu es si mignon ! Quelle jolie prothèse tu as là ! Te convient-elle ?

— Oh oui, madame ! Je l’ai reçue après ma chute de l’esplanade du secteur quatre. Je suis tombé d’une hauteur de cinq mètres et ma jambe était cassée.

— Eh bien ! Je connais cette histoire. C’est donc toi ce courageux garçon ! Tu voulais aider un chat pris au piège n’est-ce pas ? 

— Oui, madame. Il était tombé lui-même d’un balcon sur une poutre métallique. J’ai voulu aller l’aider et j’ai glissé quand il a planté ses griffes sur mon épaule pour s’accrocher.

— Quel magnifique acte de bravoure ! Vincent, tu es un valeureux jeune Officier, qui sait, peut-être en seras-tu un après ton rite ! Dis-moi Vincent, veux-tu choisir un de ces papiers pour désigner la personne que j’accompagnerai au départ ? »

Le jeune Vincent piocha le nom de Lauren, une fillette blonde, aux cheveux parfaitement tressés. Elle sembla soulagée. 

« Où es-tu, Lauren ? Parfait, je vois qui tu es. Viens me rejoindre, s’il te plaît. Notre voyage commence maintenant. Les enfants, je vous invite à dire au revoir à vos familles. J’invoquerai le Cube dans dix minutes. »

Sur ces mots, Elys se retourna vers ses parents. La réalité du départ était maintenant imminente. Sofia attrapa la main de son frère avec la sienne, qui était moite. Elys se pencha sur son visage et déposa un baiser sur son front. La petite fille versa alors des larmes qu’elle ne pouvait arrêter. Son visage tout entier se déforma comme pour donner vie à sa peine. Elle ne voulait plus voir son frère partir. La ferveur du matin avait laissé place à la douleur et au chagrin. Tout en gardant la main de sa sœur dans la sienne, Elys vint poser sa tête sur l’épaule de sa mère qui l’enlaça et l’embrassa sur les deux joues en lui rappelant qu’il devait être courageux. Adam, quant à lui, prit la tête de son fils entre les mains et lui ordonna d’être fort, et de toujours se tourner vers lui-même s’il était face à une difficulté. Et Mam, la gorge nouée, prit elle aussi l’enfant dans ses bras, le serra un instant et lui dit simplement « amuse-toi bien, mon grand ! ». Le silence s’installa peu à peu. Et les secondes s’égrainèrent aussi lentement que possible. Le temps semblait ralentir. Mais il n’en était rien. Chacun était simplement perdu dans ses pensées. Elys empoigna sa valise et se dirigea vers le centre du Hall, où se trouvait Aloé. La jeune femme lui adressa un sourire franc et plein de bonté. Il répondit par un « bonjour » et baissa la tête, refusant de se retourner pour faire un dernier signe aux siens. 

« Dix, onze, douze… Parfait ! Vous êtes tous là. Mesdames, messieurs, je vous enverrai des messages de vos enfants chaque fois que j’en aurai. De plus, je vous rappelle que vous avez une fenêtre d’une heure par semaine pour prendre contact avec eux directement. Chaque dimanche, à midi. J’espère pour vous que ce ne sera pas la pleine nuit pour eux ! » Aloé s’amusait toujours de ses propres traits d’humour. 

« Je vous demande de reculer derrière la ligne rouge qui est au sol, s’il vous plaît, je vais maintenant invoquer le Cube. »

Puis elle entonna des mots dans une langue que, chez les Couttin, seul Adam comprenait. Ce langage avait été créé afin que les mages puissent communiquer entre eux en toute discrétion. 

« Olean carlan barcalon ! »

Une lumière chaude descendit du noyau d’énergie, au vingt-cinquième étage, tel un faisceau, droit vers le sol. Elle projeta huit autres faisceaux à distance parfaite et similaire les uns des autres. Les coins du Cube se formèrent. Cinq premières faces se dessinèrent, aussi opaques qu’un mur, aussi blanches que la glace. C’est d’ailleurs pour cela que certains l’appelaient le Cube de glace, bien qu’il n’en fût rien. La dernière face du Cube se créa quelques secondes plus tard, dans le dos des enfants, là où les parents pouvaient apercevoir leur progéniture une dernière fois. Le mur de glace prit quelques secondes à se figer, mais une fois relié aux autres, le rite pouvait commencer.

« C’est parti ! s’exclama Aloé. Les enfants, c’est ici que cette grande aventure commence. Je vais d’abord vous demander de vous installer en cercle autour de moi. Voilà, comme ceci. Lauren, étant donné que je pars avec toi, nous partirons les dernières. Alors, les enfants, pouvez-vous sortir vos pavés de contrôles, s’il vous plaît ? »

Ils s’exécutèrent, dans un silence que seul le bruit sourd, continu et léger de la magie venait interrompre. Elys sortit le sien de la poche de sa veste, aussi difficilement qu’il l’y avait inséré, et posa sa main dessus pour l’activer. Cela ressemblait à un pavé de plastique transparent, aussi long qu’une main d’homme adulte et épais de deux doigts. L’objet afficha d’abord sur un écran incorporé un message de bienvenue, puis des petits points lumineux écrivirent juste au-dessus, comme le ferait un hologramme, un « Joyeux anniversaire, Elys ». Sous le message, une icône semblable à un triangle demandait de cliquer. 

« Attendez tous avant de cliquer sur le petit triangle, les enfants. Je vais d’abord vous dire ce qu’il va se passer. Dans un premier temps, lorsque vous allez cliquer dessus, le pavé de contrôles va vous demander de vous identifier de trois façons. Par empreinte digitale, par reconnaissance rétinienne, et enfin par ADN salivaire. Bien sûr, vous n’allez pas baver, ou pire cracher, sur votre pavé de contrôle. Il vous suffira d’ouvrir la bouche et de pointer le laser vers votre langue. Lorsque vous serez identifiés, un carré bleu lumineux apparaîtra devant vous sur le sol. Il vous suffira de vous placer dessus pour aller dans votre lieu et votre époque de destination. Nous allons procéder par heure de naissance, car vous conviendrez que ce serait n’importe quoi de partir tous en même temps. Lorsque vous arriverez à destination, votre pavé de contrôles va automatiquement redémarrer. Oui, Eléo ? Tu as une question ? »

Un garçon levait le doigt pour prendre la parole.

« Est-ce que c’est un endroit réel ? Parce que je connais quelqu’un qui m’a dit qu’en vrai on est endormi pendant un an et que tout ce qu’on voit est virtuel.

— Ah ! Je connais cette légende ! Et dis-moi, qu’aimerais-tu que ce soit ?

— Virtuel, Madame. C’est plus rassurant !

— Oui, à ce propos, j’ai oublié de vous dire de m’appeler Aloé, s’il vous plaît. Nous allons passer une année entière ensemble, alors s’il vous plaît, Aloé, ce sera très bien ! Tu aimerais que ce soit virtuel. Peut-être que ça le sera ! La réponse, vous l’aurez à la fin de votre rite. On en reparlera sûrement. Quoi qu’il en soit, une fois là-bas, vous serez seuls. Rassurez-vous, vous ne serez pas totalement seuls. Il y aura des personnes autour de vous, vous serez envoyés dans des villes ou villages. Pour la suite, c’est à vous de voir. Voudrez-vous voyager ? Rester sur place ? Rester seul ? Vous faire des amis ? Vous serez seuls maîtres de vos décisions, et seuls responsables aussi ! Je viendrai vous voir dans les heures qui suivront votre arrivée. Grâce à vos pavés de contrôles, je saurai où vous trouver. Est-ce qu’il y a d’autres questions ? »

Aucun enfant n’ouvrit la bouche. Certains paraissaient impatients de partir, d’autres très nerveux. Elys commençait simplement à se lasser de ces explications.

Le premier enfant à se connecter était une jeune fille. Elle était la première née, douze années auparavant. Elle procéda à toutes les identifications et, dans un sursaut lumineux, un nouveau faisceau, jaune cette fois, vint fendre le haut du cube et projeta devant la fillette un carré lumineux sur le sol. Elle s’y plaça et le rayon devint rouge, s’élargit afin de l’encercler puis elle disparut. Tous les enfants eurent un sursaut. Le jeune Eléo qui s’interrogeait plus tôt sur la véracité du monde parallèle murmura alors :

« Mais en fait, c’est réel !

— Je ne sais pas, répondit Aloé, tu crois ? Où est-elle maintenant ? Dans une chambre en train de dormir ? Ailleurs ? Bien éveillée ? Tu le sauras dans une année ! Et justement, jeune homme, c’est ton tour ! Je t’en prie, à toi de jouer ! »

Les doigts branlants, la gorge nouée, Eléo, hésitant, s’exécuta. Après lui, trois autres enfants, puis vint le tour d’Elys, soulagé de ne pas avoir été avant-dernier. 

La main moite de sa sœur auparavant se rappelait à lui. C’était maintenant la sienne qui transpirait, ce qui n’empêcha nullement le pavé de contrôles de détecter ses empreintes, puis son iris et enfin son ADN salivaire. Le carré au sol apparut. Il prit une profonde inspiration, et s’y plaça. Mais quelque chose de différent se passa. Les six faces du Cube devinrent aussi rouges et sombres que le sang, le bruit continu de la magie s’accentua. Elys eut à peine le temps de lever les yeux vers Aloé qui elle-même regardait la face au-dessus de leurs têtes, qu’il sentit une pression dans sa poitrine. Ce n’était ni douloureux ni gênant. Mais il la sentait. Des fourmillements dans ses doigts se propagèrent rapidement dans ses bras, son ventre, ses jambes, ses pieds et finalement sa tête. En un clignement d’yeux, il disparut à son tour. 

Les enfants s’affolèrent. Dans un brouhaha continu, Aloé discernait quelques questions.

« Que s’est-il passé ? », « Il est mort ? », « Pourquoi le Cube est-il devenu rouge ? ».

L’instructrice rassura tout le monde.

« Tout va bien, les enfants ! Cela arrive parfois. Mais soyez sans crainte, notre ami Elys Couttin va bien ! Allez, au suivant… »

En réalité, Aloé n’avait jamais assisté à un tel événement. Elle l’avait lu dans un des nombreux manuels des Mages, mais elle allait découvrir si ce qui y était écrit était fidèle à la réalité. 

À l’extérieur, Adam frémit en voyant le Cube tout entier prendre cette couleur de sang. Il espérait que ce n’était pas pour son fils. Mais il se souvint de la lentille qu’il avait précédemment interrogée. Elle avait pris cette couleur dans un premier temps. Était-ce de cela qu’il s’agissait ? Il garda malgré tout son sang-froid et alors que Jeanne lui demandait des explications, il entra dans un détachement et une froideur sans pareils. 

« L’un des enfants va être projeté dans un passé, un présent, ou un futur alternatif. Je plains ses parents car sur toutes les très rares fois où cela s’est produit, seul l’un d’entre eux est revenu.

— Est-ce qu’il peut s’agir d’Elys, monsieur ? interrogea Mam, soudainement très anxieuse.

— Je ne sais pas, nous le saurons bientôt, lorsque l’Instructrice Aloé nous donnera des nouvelles. C’est une Mage Bleue puissante. Qu’il s’agisse d’Elys ou de n’importe quel enfant, elle veillera sur lui. Je l’ai formée. Elle saura quoi faire. 

— Tu ne réponds pas à sa question clairement ! remarqua Jeanne. 

— Parce que je n’ai pas la réponse. 

— Toi aussi tu es un Mage puissant ! Noire de surcroît ! Réponds, Adam !

— Je pense que oui. »

À ces mots, Jeanne sentit son cœur battre à toute vitesse. L’angoisse montait et la petite Sofia se mit à pleurer sans vraiment comprendre ce qu’il se passait. Elle sentait cependant que quelque chose n’allait pas. Jeanne se ressaisit au plus vite. Elle savait que l’Ordre la surveillait. Mam emmena l’enfant à l’extérieur pour ne pas déranger les parents inquiets. Les pavés de contrôles de Jeanne et d’Adam émirent un bip. Un appel entrant de l’Éminence E, l’un des cinq régents de l’Ordre. Le plus important de tous. Le plus communicant aussi. Chacun d’eux représentait un continent. Il en était aussi le commandant. Celui-ci qui représentait l’Europe.

« Monsieur et Madame Couttin, pouvez-vous venir immédiatement dans mon bureau, s’il vous plaît ? Je vous attendrai sur la passerelle. Soyez rassurés, Elys va bien. Nous recevons le signal de son pavé de contrôles. Nous sommes en mesure de savoir qu’il va bien, mais j’aimerais m’entretenir avec vous. »

Aussitôt, Adam appela Mam et lui demanda de rentrer à l’appartement avec Sofia par le biais d’un taxi automate. Ce qu’elle fit sans poser de question. 

Les parents prirent l’ascenseur numéro huit, celui qui ne desservait que le sommet et qui s’ouvrait sur la fameuse passerelle de verre. 

L’Éminence E se tenait face à lui, attendant que les portes s’ouvrent. Il était vêtu d’un costume blanc, d’une chemise blanche, et ses cheveux semblaient faire partie de son habillement tant ils étaient parfaitement blancs eux aussi. Le soleil qui traversait le dôme et se projetait sur la passerelle le fit presque passer pour un ange. 

« Suivez-moi », ordonna-t-il en les conduisant dans son bureau qui dominait toute la ville depuis le sommet du Shadow Building. Il les fit asseoir et depuis son pavé de contrôles fit descendre du plafond un écran géant sur lequel apparaissaient les constantes des douze enfants, leur position géographique et l’époque dans laquelle ils se trouvaient. Un voyant rouge indiquait la fonctionnalité du pavé de chaque enfant. On pouvait ainsi voir que onze d’entre eux se situaient à tel ou tel endroit, à telle ou telle époque, que leur cœur battait à telle vitesse. Le douzième ne laissait apparaître que les constantes cardiaques. Au-dessus, un nom : Elys Couttin. 

« Voyez par vous-même, Elys va bien. Nous ne savons simplement pas où et quand il se trouve. 

— Votre Éminence, interrompit Adam, je sais tout cela. Je l’enseigne tous les jours. Cependant, je n’ai jamais vécu cette situation. Vous conviendrez aussi que pour une première, il s’agit de mon propre enfant. Votre Éminence, j’aimerais vous poser une question.

— Je vous en prie.

— Pouvez-vous, vous, contacter Elys afin que nous entendions sa voix ?

— Malheureusement non. Seules les informations entrantes peuvent être déchiffrées. À cette heure, Elys doit penser que ce qui lui arrive est normal. Nous devons attendre qu’Aloé se rende auprès de lui pour avoir de ses nouvelles. Vous connaissez la règle, Adam, ils doivent être isolés. 

— Mais pas indéfiniment, Votre Éminence. »

Jeanne ne pouvait plus retenir ses larmes. 

« Prenez congé pour le reste de la semaine, monsieur et madame Couttin. Je vous l’ordonne. Ce qu’il vous arrive est inhabituel. Je comprends votre désarroi. Soyez-en sûre, madame. Je vous donnerai des nouvelles moi-même aussitôt que j’en aurai. Ayez confiance en Aloé. Elle saura gérer la situation. »

Les Couttin retournèrent chez eux sans s’adresser la parole. Jeanne regardait dans le vide, Adam cherchait dans ses connaissances une formule, une incantation, un moyen, magique ou pas, de voir son fils. La journée arrivait peu à peu à son terme et la nuit s’installait au milieu des lumières de la ville. Où avait pu être envoyé Elys ? Est-ce qu’il se sentait bien ? En temps normal, toutes ces questions auraient disparu rapidement grâce à la raison et à l’expérience. Mais ce soir, au contraire, elles s’enracinaient dans l’esprit des parents aussi profondément que durablement.

Mam préparait le repas du soir lorsque le pavé de contrôles de Jeanne se manifesta. Un message enregistré de la part de Son Éminence venait d’arriver.

« J’ai de très bonnes nouvelles pour vous. Elys est en sécurité. Aloé a réussi à le joindre et m’a ensuite contacté. Il n’est pas seul. Votre fils ne sait pas exactement ce qu’il lui arrive. Il ignore également quand et où il se trouve. Donc je ne peux pas vous en dire plus. Aloé vous contactera certainement demain. Malheureusement, les communications directes ne sont pas possibles dans son cas. Il ne pourra pas vous appeler et vous non plus. Adam, pouvez-vous travailler pour nous sur cette difficulté ? Je compte sur votre entière discrétion dans cette affaire. Nous aurons l’occasion de nous parler à nouveau demain. Pour l’heure, essayez de dormir. Elys va bien et ses constantes sont parfaites. Soyez rassurés. Nous le ramènerons. Nous avons une année pour trouver un moyen. Nous le trouverons. » 

La froideur des propos et le détachement dont faisait preuve l’Éminence glaçaient le sang de Jeanne. Une forme de colère l’envahit peu à peu.

III

Comme s’il était tombé subitement dans un sommeil profond et commençait à rêver, Elys se trouva tout à coup dans une ruelle qu’il ne connaissait pas. Il lui fallut quelques secondes avant de pouvoir faire un pas en avant. Le temps de faire un état des lieux. Le sol pavé en pierres usées était encerclé de façades de maisons et courts immeubles. Face à lui, un abri en bois sous lequel un cheval semblait aussi surpris que lui de sa présence soudaine dans cet endroit. L’animal s’abreuvait dans une vieille baignoire en cuivre.

Que faire, maintenant ? La nuit semblait venir, et le sol humide laissait penser que la pluie était fraîchement tombée. Cela marquait une réelle différence avec son lieu de départ, où c’était le milieu d’après-midi sous un soleil généreux. Il fallait trouver un endroit où dormir et peut-être de quoi manger car, étrangement, son estomac se manifestait déjà. Il quitta alors son compagnon équin pour se diriger vers la rue principale désertée probablement par la pluie. Une atmosphère totalement différente se dépeint à lui. Certes, l’artère principale de la ville était elle aussi détrempée, mais les murs tout autour étaient vieux, et même sales par endroit. Toutes les habitations semblaient occupées. Il se demanda s’il devait aller frapper à une porte pour passer la nuit ou s’il devait essayer de se débrouiller à trouver un endroit. Il n’était pas vraiment timide, mais il n’aimait pas déranger. Il se mit alors en quête de trouver un endroit au sec. Il déambula dans la rue en observant tout ce qui se trouvait autour de lui. Toutes les maisons étaient collées les unes aux autres. Parfois, l’une d’elles, au contraire, était isolée. Généralement plus belle et plus imposante que les autres, elle suggérait qu’une famille aisée vivait ici. Puis des immeubles, pas très hauts, mais tous identiques. Quelques pas plus loin, se dressa face à lui un bâtiment en ruines. Il regarda autour de lui, personne ne pouvait le voir, et il s’enfonça dans la bâtisse par la porte en bois, branlante, et qu’il n’eut aucune difficulté à ouvrir tant elle était pourrie par l’usure du temps. Il prit soin de la refermer et s’aventura à l’intérieur. Une cour, encerclée par des coursives elles-mêmes maintenues par des piliers en pierre. Au fond, une autre porte grande ouverte donnait sur des escaliers immenses qui se séparaient à droite et à gauche au premier étage. Après une courte hésitation entre rester en bas ou monter, il l’emprunta et, sans vraiment y réfléchir, tourna à droite. Un long couloir desservait plusieurs pièces. Peut-être était-ce un hôpital désaffecté ? En tout cas, la nuit tombait de plus en plus vite et il fallait vraiment qu’il s’installe quelque part. La première pièce à sa droite lui servirait de chambre pour la nuit. Dans un coin, un gros tas de paille avait été jeté là, en quantité suffisante pour trouver un confort rudimentaire. Il en étala une partie sur le sol, et s’y allongea. Soudain, il réalisa que sa valise ne l’avait pas suivi dans son voyage. Où était-elle passée ? Il se souvenait très bien qu’elle avait été entreposée avec celles des autres enfants, mais qu’en avait fait l’Ordre ? N’était-il pas censé la recevoir rapidement ? Tout en se posant toutes ces questions, il avait tiré quelques brins de paille sur son corps. Non pas qu’il faisait froid, mais il avait surtout peur que l’humidité n’en donne la sensation. Son pavé de contrôle émit un son. Puis un autre. Il reconnut le bruit d’une communication entrante. D’un geste de la main sur l’objet, il décrocha. L’image nette d’Aloé fut projetée quelques centimètres devant son visage.

« Elys ! Quel plaisir de te voir ! Comment vas-tu ? Est-ce que tu vas bien ?

— Oui, Aloé. Enfin, je crois. La nuit tombe ici. Il a dû pleuvoir. Je ne sais pas où je suis.

— Tu as croisé des gens ? Quelqu’un a pu t’aider ?

— Non, personne. Je suis dans une ville occupée mais déserte. Je verrai demain. J’ai trouvé un endroit pour dormir.

— Très bien. Elys, j’ai quelque chose à te dire. Je suis dans une situation délicate. Je ne peux pas te rejoindre pour le moment. Ton rite ne se déroule pas comme il le devrait. Tu comprends ?

— Non. Je ne comprends pas. Que se passe-t-il ? demanda-t-il en sentant une pointe d’inquiétude monter en lui.

— Tu n’as aucune raison de te faire du souci. La situation va vite rentrer dans l’ordre. Il faut que tu saches que, par le passé, quatre cas similaires au tien ont été observés. C’est la première fois pour moi, mais j’ai longuement étudié la situation à l’école des Mages. Je vais te rejoindre, tôt ou tard. Pour le moment, je suis contente de te savoir en pleine forme.

— Mais je ne comprends pas, pour quelle raison ne pouvez-vous pas me rejoindre ?

— Parce que tu as été envoyé dans un passé ou un futur alternatif. Cela signifie que tu n’es nulle part dans le temps de notre Monde. Tu es dans un monde inconnu, à une époque inconnue. Et de ce fait, je ne peux venir tant que je ne t’ai pas situé. Rassure-toi, par le passé, nous avons réussi à faire rentrer dans notre monde un enfant.

— Un sur quatre…

— Oui, un sur quatre. Mais c’est la preuve que nous avons déjà réussi. Et sur les trois autres, deux ont rompu d’eux-mêmes le contact avec nous. Et le troisième, lui, nous n’avons jamais réussi à le localiser. Je me dois d’être franche avec toi.

— Ce qui veut dire que vous ne savez pas si je vais pouvoir rentrer chez moi un jour.

— Tu le pourras, je suis confiante.

— Puis-je vous demander de dire à mes parents que je vais bien, et surtout de ne pas les affoler sur ma situation ?