Embellir les jardins et ne pas mourir - Corinne Grivat - E-Book

Embellir les jardins et ne pas mourir E-Book

Corinne Grivat

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Beschreibung

Pour ses quarante ans, Myla reçoit une clé qui provient de la maison qu’elle et son mari viennent d’acquérir. Un jour, elle découvre, au fond de la cave, un mystérieux carton qui va l’amener à enquêter sur sa provenance. Son  contenu énigmatique la pousse à voyager jusqu’en Italie. Au fil de son périple, elle va rencontrer des personnes  fascinantes qui, tout comme elle et son mari, vivent des tempêtes dans leur vie. Vers qui se tourner pour trouver  consolation et résilience ?

Dans ce roman doux et mystérieux, on suit Myla, qui fait face aux défi s relationnels vers lesquels la pousse sa curiosité insatiable… jusqu’à mettre son couple en péril ?


À PROPOS DE L'AUTRICE

Corinne Grivat vit en Suisse, entre Lausanne et Fribourg. Enseignante depuis 38 ans, elle est désormais en pré-retraite. Elle a travaillé 30 ans avec des élèves de 6 à 8 ans puis s’est spécialisée dans l’accompagnement des enfants en difficultés scolaires. Passionnée de lecture et de théâtre, elle publie aujourd’hui son premier roman "Embellir les jardins et ne pas mourir".

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Seitenzahl: 202

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Corinne Grivat

Embellirles jardinset ne pas mourir

© 2024, Corinne Grivat.

Reproduction et traduction, même partielles, interdites.Tous droits réservés pour tous les pays.

ISBN 9782889820542

À mon Papa, qui est parti pendant l’écriture de ce roman À ma Maman À ma sœur Anne À mon mari Jean-Claude À ma filleule Angelina

Première partie

1

–Elle est jolie cette clé, que pourrait-elle déverrouiller ? me dis-je en tournant l’objet dans tous les sens.

Je l’observe de plus près. Elle est en laiton patiné, ce qui lui donne sa couleur cuivre. Elle tient dans ma main. Sa finesse et sa délicatesse me rappellent les vieux meubles, un outil pour ouvrir un tiroir ou une armoire ancienne. Seules quelques légères éraflures montrent qu’elle a été utilisée. Elle brille dans la lumière du matin. Je joue aux ombres chinoises avec le rayon de soleil qui passe par les carreaux de notre cuisine. Tantôt, elle paraît mystérieuse comme un papillon à qui il manquerait une aile. Tantôt, elle est gigantesque et presque angoissante.

Je m’assieds à la table déjà préparée pour le petit-déjeuner, pensive.

Julien, mon mari, entre dans la pièce sur la pointe des pieds. Il m’entoure de ses bras et me souhaite un joyeux anniversaire tout en m’embrassant. Il tient à la main un bouquet de roses rouges. Il me les tend amoureusement.

Il repère très vite le petit outil que je tiens toujours. Il est ravi que j’aie découvert son cadeau sur mon meuble de chevet. Je l’interroge du regard. Je ne comprends pas. Il me raconte que ce sésame provient de notre nouvelle maison. L’ancien propriétaire n’en a jamais trouvé le secret, malgré le fait de l’avoir essayé dans toutes les serrures possibles. Il espère que nous aurons plus de chance.

Je suis étonnée de ce mystère naissant, mais pas surprise qu’il vienne de Julien. Il aime bien tester ma curiosité. Je dirai qu’à cette occasion, c’est réussi ! Je l’embrasse à mon tour pour le remercier.

La cafetière hoquette et diffuse une délicieuse odeur. Sous mon assiette, je vois l’angle d’une lettre qui dépasse. Je m’empresse de la décacheter.

 

Bien chère Myla,

C’est depuis l’autre côté de l’océan Atlantique que je t’envoie mes meilleurs vœux pour tes 40 ans. Comme j’aurais voulu pouvoir te serrer dans mes bras en ce jour de fête ! Je suis de tout cœur avec toi en pensées. J’espère que tu vas bien et que ce mi-été bien festif s’annonce beau et chaud comme ici.

Après avoir bourlingué dans l’Amérique immense, à la recherche de petits boulots et surtout de sérénité, j’ai décidé de m’installer définitivement à New York. Lors d’un de mes cours d’anglais, j’ai rencontré Mary qui m’a donné l’adresse d’une logeuse de sa connaissance à Brooklyn. J’ai donc trouvé un appartement calme et charmant. Je me suis inscrite dans une école pour enseigner le français. Ils m’ont engagée sur le champ. J’y ai été bien accueillie et je m’y plais beaucoup.

Mes élèves sont des ados et ils aiment les cours de la langue de Molière.

Un jeune collègue venu tout droit de France me coache. Il est arrivé des USA afin d’approfondir son anglais. Il est de très bonne compagnie. Le soir, après les cours, nous sortons parfois pour aller écouter un concert ou voir une pièce de théâtre à Broadway. Lui aussi est seul dans ce Brooklyn trépidant. Je ne connais pas son histoire. Il ne connaît pas la mienne non plus. Tu sais que j’ai de la peine à me confier.

Ici, il fait très chaud et les orages sont terribles.

Voilà, tu sais l’essentiel et je vais très bien !

Je pense souvent à toi et à la famille, même si je ne regrette pas mon choix. La vie est une aventure et je continue la mienne. Je te souhaite de vivre pleinement ce que l’avenir te réserve.

Je t’embrasse et te dis à bientôt peut-être !

Avec tout mon amour,

Ta cousine chérie,

Jaclyn

P.-S. : N’oublie pas de m’envoyer la suite de tes aventures, j’apprécie toujours de te lire !

 

Ma chère cousine. J’aurais adoré qu’elle soit là aussi. Cinq ans auparavant, elle avait survécu à un drame. À la fin de l’école, elle avait rencontré l’homme de sa vie. Ils s’étaient mariés le jour de ses 20 ans. Tout allait pour le mieux jusqu’au moment où, en se rendant à un festival de musique, le cabriolet d’Yves fit un écart, à cause d’une tache d’huile sur la route.

Leur véhicule s’encastra dans une voiture venant en sens inverse et ce fut le drame. Yves mourut sur le coup et Jaclyn perdit l’enfant qu’elle attendait. Ma cousine resta inconsolable longtemps. Tout, en Suisse, lui rappelait sa radieuse adolescence avec Yves et, lorsqu’elle croisait un landau, elle repensait à ce bébé perdu. Après un long deuil, elle décida de partir en Amérique. Tout changer. La langue, le paysage, les gens. Refaire sa vie, du moins tenter d’y croire.

Je replie soigneusement la fine missive, émue. Julien me fait un clin d’œil en me versant une tasse de café. Je le rassure tout en essuyant une larme qui a perlé au coin de mes yeux.

– Tout va bien ! Ne t’en fais pas. Jaclyn semble se stabiliser et retrouver un bel équilibre. C’est simplement que j’ai quarante ans et que ça m’émeut. Revenons à cette fameuse clé. As-tu appelé l’ancien propriétaire ?

– Oui, c’est fait et nous pourrons retourner admirer notre humble demeure samedi.

Il y a un petit mois, nous avons découvert la maison de nos rêves.

L’agent immobilier que nous avions appelé à la suite d’une annonce parue dans un quotidien nous convia à la découvrir sur-le-champ. Ayant été déçus par tous les biens que nous avions déjà visités et qui ne nous convenaient pas, nous sommes arrivés un peu tendus devant une propriété de caractère. Le jardin arboré, les vieilles poutres, le charme de l’entrée, l’étage, tout nous a émerveillés malgré les quelques travaux de rénovation à prévoir. Le coup de foudre a été total. Dix jours plus tard, nous avons signé l’acte d’achat.

Le déménagement étant prévu pour début octobre, nous avons encore le temps de faire nos cartons. Le jour J, tout sera prêt. Nos familles et amis seront présents pour nous soutenir.

 

Julien était juste divorcé quand je l’ai rencontré il y a maintenant cinq ans et demi. Mes quelques aventures amoureuses avaient tourné court et, étant plutôt solitaire, je sortais peu, mais j’appréciais les apéritifs et les repas entre amis. Un jour, après une belle soirée, j’acceptais de suivre mes copines dans un bar.

Grand timide, sourire rare, amateur de bon whisky, Julien me fut présenté par un ami commun. Nous avions commencé à discuter de tout et de rien. Il était charmant et me plaisait beaucoup. Pas à pas, nous avions fait plus ample connaissance, sans nous transmettre nos coordonnées. Moi qui n’aimais pas trop les sorties tardives, j’étais maintenant devenue fan des samedis soir jusqu’au bout de la nuit avec ma bande. J’attendais avec impatience le week-end, espérant évidemment que Julien serait au rendez-vous tacite. Quelque temps plus tard, mon téléphone sonna. Lui, qui détestait utiliser cet appareil, je l’apprendrai par la suite, m’appelait. Une de mes amies lui avait donné mes coordonnées. Et c’est ainsi que notre belle histoire commença. De rencontre en rencontre, l’évidence de notre amour éclata et, très vite, nous nous installions ensemble dans un appartement en ville.

Étant d’un tempérament rêveur, mon imagination est sans fin. Lui, par opposition, sait toujours où il va. Il est posé et adorable. Il s’énerve aussi parfois, mais j’ai le pouvoir de le calmer. Je dois dire que l’alchimie entre nous est totale et que je suis la plus heureuse des femmes avec lui à mes côtés. Deux ans plus tard, nous célébrions notre mariage entouré de nos familles et amis.

2

L’automne s’installe tranquillement et nous faisons connaissance avec notre maison. Nous sommes légèrement perdus dans ces grands espaces. Nos amis, bienveillants, nous offrent quelques articles de leur ancien mobilier afin de remplir un peu les pièces. Petit à petit, nous nous organisons, fréquentons les brocantes et les vide-greniers, et notre aménagement prend forme.

Un matin, je range nos affaires de ski à la cave quand je découvre un vieux carton derrière un reste de tuiles et de faïences. Il est bien caché dans un endroit très sombre. Je le tire en avant. L’emballage sent l’humidité et la poussière. Je décide de le sortir de là. Le contenant fait son poids. Je le glisse jusqu’au milieu du couloir entre la buanderie et la pièce qui donne sur le jardin. J’hésite à l’ouvrir. Je ne sais pas pourquoi, je me retiens. J’ai le sentiment que quelque chose de spécial va surgir. Une peur due à mon imagination ou un pressentiment ? À la fois fébrile et bouleversée, je décide d’attendre le retour de Julien pour découvrir le contenu du paquet avec lui. Je remonte au salon, allume un feu dans la grande cheminée, me détends avec une bonne tasse de thé et grignote quelques biscuits. Calmée, je m’attaque ensuite à ma pile de corrections.

Je suis enseignante et c’est mon jour de congé. J’ai une classe d’élèves de cours préparatoire dans la banlieue multiculturelle de Lausanne. Malgré mon adoration pour mon métier, j’ai vécu un burn-out, deux ans auparavant. Des enfants difficiles, des parents qui l’étaient tout autant, des changements constants, la fatigue est survenue petit à petit sans que je m’en rende compte. Et j’ai sombré. Un congé maladie de quelques mois m’a remise sur pied. Puis j’ai repris mon activité à un moindre pourcentage afin de me ressourcer.

Depuis que nous habitons la campagne, j’apprécie les trajets qui font tampon entre mes deux mondes. Pour me rendre sur mon lieu de travail, je monte un petit col qui donne du côté du soleil levant. Le matin, j’admire les Alpes et le lac Léman en contrebas. L’aube orange dévoile d’abord les sommets et la brume se dissipe, petit à petit, sur l’étendue d’eau. À chaque passage, je remercie la vie de m’offrir un tel panorama. Ensuite, je traverse un bois. Sur ce parcours, je me sens toujours en phase avec la nature, les éléments. Je respire lentement et j’observe les bords de route. Une biche ou un renard surgissent de temps à autre. Je ne roule pas trop vite pour faire durer l’instant. Ce sentiment de détente m’encourage avant d’entamer une longue journée.

 

– Coucou, mon amour, tu es là ?

Je n’ai pas le temps de répondre que Julien entre dans le salon et vient s’asseoir près de moi. Il m’embrasse.

– L’entretien avec ton collègue architecte ne t’a pas trop pris la tête ?

– Au contraire, on s’est vite mis d’accord ! Et toi ? Tu as une petite mine.

– Quelque chose me préoccupe.

– Raconte-moi !

Je prends mon courage à deux mains et lui parle du carton que j’ai découvert à la cave.

– Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de bizarre à l’intérieur.

Julien, fatigué, me propose de patienter pour l’ouvrir. Il pense qu’il ne contient que quelques vieilles pièces de plomberie ou des outils de jardinage. De plus, il fait nuit, et au sous-sol le froid est mordant.

Il me rassure avec tendresse et j’accepte d’attendre.

 

Le lendemain, je finalise ma lettre pour Jaclyn. Je partage avec elle comment nous avons découvert notre nouveau cocon.

 

Ma chère Jaclyn,

Comment vas-tu ?

J’espère que tout se passe au mieux pour toi dans ton lycée. C’est génial que tu aies trouvé ce travail ! Je suis contente pour toi.

Nous nous remettons de notre déménagement et nous nous accoutumons gentiment à notre lieu de vie qui ne manque pas d’originalité.

Mais, en écrivant ceci, je me rends compte que je ne t’ai pas encore raconté le trésor que Julien et moi avons déniché fin août ! Nous cherchions, nous aussi, un autre logement qui correspondrait mieux à nos envies. Alors, imagine la scène :

Nous prenons la route un samedi et nous partons pour la campagne. Dans une jolie vallée bien verdoyante, nous arrivons devant une ancienne maison qui a un charme fou avec un sous-sol en pierres de taille. Une cour à gauche sert d’espace de stationnement et est enserrée entre deux piliers en béton. Julien entre dans la propriété tout en faisant bien attention de ne pas griffer la voiture. Le poteau de droite est suivi d’un muret qui longe les places de parc, puis d’un grand portail en fer forgé qui ouvre sur une allée piétonne de dix mètres de long.

De chaque côté du chemin, deux plates-bandes se terminent chacune par un magnifique hortensia, garni d’une multitude de pompons roses, on dirait un château. Nous gravissons les quatre marches qui nous séparent du perron et, sur celui-ci, nous découvrons un balcon qui borde tout le flanc de la demeure.

Les colonnades et les voûtes qui surplombent le garde-corps sont stupéfiantes. Nous tirons la chaînette de la petite cloche qui sert de sonnette et le propriétaire vient nous répondre.

C’est un monsieur âgé qui nous accueille avec un beau sourire. Nous pénétrons dans la maison et nous nous trouvons directement dans la cuisine. Celle-ci, spacieuse, occupe la moitié du rez-de-chaussée. De grandes fenêtres amènent beaucoup de luminosité. La première éclaire la cour et la seconde, à gauche au-dessus de l’évier, s’ouvre sur une haute haie de charmilles qui sépare le domaine de la ferme voisine.

Nous nous avançons ensuite dans le salon qui a été rénové. Les deux chambres qui servaient de living et de salle à manger ont été réunies en un seul espace. Le long du mur gauche s’étale une superbe cheminée. La pièce est immense et illuminée par une large fenêtre sur la paroi du fond qui donne à son tour sur un balcon parallèle à celui de l’entrée.

Au sud, en face de l’âtre, une grande baie vitrée éclaire le jardin et s’ouvre en son centre sur un escalier majestueux. Le propriétaire nous propose de le descendre.

Nous arrivons sur une pelouse en pente douce, bien entretenue, qui mène au verger.

Le cerisier, le cognassier, le prunier et le noyer s’étalent magnifiquement. Leurs feuillages reflètent la lumière du soleil dans la chaleur montante de ce matin estival.

Tant de beauté et de calme nous laissent sans voix et c’est avec les larmes aux yeux que nous apercevons une terrasse décorée d’un joli dallage rosé ainsi que d’une fontaine ovale, reliée à une source appartenant à l’habitation. Les émotions me submergent et je repense au jardin de notre enfance chez nos grands-parents. T’en souviens-tu ? Julien et moi sommes profondément bouleversés. Est-ce possible qu’un bien pareil soit à notre portée ?

Nous retournons dans la maison et montons les quelques marches qui nous mènent au deuxième étage et découvrons trois superbes pièces mansardées. Nous sommes ébahis par tant d’espace. Nous redescendons à la cuisine et le propriétaire nous propose un café. Nous nous asseyons autour de la table et nous lui demandons pour quelle raison il désire se séparer de cette magnifique demeure. Il nous raconte qu’il est seul, que sa femme est décédée quatre ans auparavant. Personne de sa famille ne souhaite reprendre ce lieu. Il ne nous cache pas qu’il y a des rénovations à mener : chauffage, toiture, isolation. Lui, ne pouvant plus vivre sans aide, doit partir en établissement médico-social et la vente de la résidence lui permettra d’honorer sa pension.

Le prix étant dans nos cordes, nous décidons malgré tout de réfléchir, mais, au fond de nos cœurs, nous savons déjà que notre choix est fait.

Le lendemain, Julien confirme notre souhait d’acheter. Nous ne tardons pas à signer et emménageons début octobre. Chez le notaire, le vieux monsieur a glissé à Julien une clé qui appartient à la maison, et dont il n’a jamais trouvé l’usage. Et ce sésame plein de mystère, Julien me l’a offert pour mon anniversaire connaissant ma passion pour la résolution d’énigmes ! Je te raconterai mes découvertes au fur et à mesure !

Voilà, ma chère Jaclyn, tu sais tout de nos dernières aventures ! Je te souhaite un tout bel automne de l’autre côté de l’Atlantique !

À très vite, je t’embrasse bien fort.

Myla.

P.-S. : Prends bien soin de toi.

3

Après avoir terminé ma lettre tout se bouscule dans ma tête. Le déménagement, mes 40 ans, la clé et… ce carton. Tout a été si vite que j’en ai le tournis.

 

Le samedi arrive et nous descendons au sous-sol. Je trébuche sur une marche. L’impatience et la curiosité me rendent fébrile. Nous nous asseyons au milieu du hall éclairé par la lumière du jour diffusée par la fenêtre de la buanderie. Mais qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? Julien écarte les côtés de l’emballage. Je retiens mon souffle.

– Attention, j’ouvre !

– Sois prudent !

– Tu crains qu’un serpent me saute au cou ? me demande Julien avec humour.

– Arrête de m’angoisser !

Un nuage de poussière se répand dans l’air. Un objet en bois apparaît. J’essuie le haut avec un vieux chiffon. C’est une fine pièce de marqueterie. Délicatement, Julien l’extrait de la boîte et nous apercevons un coffre en cerisier. Mon mari le soulève et le tourne lentement de tous les côtés afin de trouver une ouverture. Nous découvrons sur le devant une petite serrure verrouillée.

– Je vais chercher un tournevis pour tenter de la crocheter !

– Non, Julien ! Je crois que je sais comment faire ! Attends-moi !

Je monte les escaliers en prenant soin de ne pas perdre l’équilibre sur les marches inégales. Je reviens avec le sésame dans la main et j’essaie une première fois. Avec la nervosité, je tremble et ne réussis pas à enfiler la clé. Ma clé d’anniversaire ! Aurais-je trouvé son utilisation ?

Julien, patient et méticuleux, tente :

– Ça y est, ça tourne !

Nous retenons notre souffle. Mon mari lève le couvercle et un emballage en papier journal apparaît noué par un fil de lin. Une forme allongée et renflée se profile. Julien soulève délicatement le tout.

– C’est assez lourd !

Il défait le galon qui encercle l’objet. Nous déplions le papier et apparaît une petite tête toute potelée. Un visage de fillette, entouré de cheveux enserrés dans un ruban terminé par un nœud, nous regarde. Julien défait le reste de la feuille de journal et un buste apparaît planté sur une tige fixée sur un épais socle. Nous ouvrons complètement l’emballage et déposons l’objet sur le sol.

Comme elle est jolie !

C’est une statuette aussi gracieuse qu’un ange. Son visage légèrement penché diffuse une vague mélancolie. Nous la soulevons avec délicatesse et cherchons de tous les côtés afin de trouver une inscription, voire le nom de l’auteur.

– J’ai quelque chose ! dis-je

« Angelina, née en 1960, par Eleonora Pitti » est sculpté au-dessous de la base.

Nous restons ébahis devant ce trésor de vingt-cinq centimètres de haut. D’où provient cette merveille ? Qui a gravé le visage d’un enfant dans la pierre et surtout qui l’a caché là, et pourquoi ?

Sur le papier journal encore lisible, nous cherchons des informations sur le lieu et la date.

– « Le Petit Provençal, 24 juin 1965 », lit Julien.

Que de mystères ! Qui est cette enfant ? D’où vient-elle ? Est-elle issue de l’imagination d’une artiste ou a-t-elle existé ? Mon intuition me dit qu’il s’est passé quelque chose d’étrange et qu’elle n’est pas là par hasard ! Nous remontons au salon et déposons la sculpture sur la cheminée.

Nous l’observons incrédules. C’est comme si elle avait toujours été là. La statue irradie de tendresse et d’amour.

 

Nous reprenons gentiment nos esprits.

Après avoir bu un café en silence devant cette mystérieuse apparition, nous enfilons nos manteaux et nous allons nous promener au marché de la ville voisine. Dans une des ruelles, une inconnue, vêtue d’une veste rouge flamboyant qui fait ressortir la brillance de ses cheveux gris, nous reconnaît et nous demande si nous nous plaisons dans notre nouvelle maison. Nous lui répondons aimablement que nous sommes heureux d’habiter là. Mais je suis surprise et cela transparaît sur mes traits.

– Excusez-moi, je me présente, Mme Martin, la femme du facteur.

– Ravie de vous rencontrer. Je suis Myla et voici mon mari Julien.

Nous ne connaissons pas encore notre voisinage, mais celui-ci sait qui nous sommes. Nous quittons le marché chacun dans nos pensées.

 

– Et si nous allions au bord du lac ? suggère Julien. Une balade nous ferait du bien.

Nous partons en voiture à vingt-cinq kilomètres de là.

Arrivés, nous sommes surpris par la bise, un vent bien frais et mordant.

Lorsque cet air vivifiant souffle, il est toujours accompagné de son ami le soleil. Nous nous emmitouflons dans nos vestes et marchons le long de la pièce d’eau agitée. Les vagues sont des lames d’acier qui brillent au soleil. Une bourrasque siffle dans nos oreilles et son chant nous transporte dans l’univers de l’automne et des premiers frimas. Les mâts des bateaux de plaisance s’entrechoquent dans un concert dissonant. Au retour, un salon de thé doté d’une belle vitrine de pâtisseries nous fait de l’œil. Nous nous attablons près de la fenêtre où nous dégustons un bon chocolat chaud. Il y a du monde ce samedi après-midi. Un monsieur à la chevelure argentée murmure quelque chose à la dame qui l’accompagne et ils éclatent de rire. Une demoiselle à la longue chevelure brune et aux mains fines et manucurées consulte son téléphone avec un sourire radieux. Un homme âgé lit le journal. Julien et moi nous regardons et sommes toujours dans l’émotion de notre découverte.

– Qu’est-ce qu’on fait de cette sculpture ? dis-je.

– On pourrait très facilement garder cette statuette sur la cheminée sans plus se poser de questions !

– Tu n’as pas envie de savoir d’où elle vient ?

– Là, je te reconnais, ma belle ! Je craignais que tu n’acceptes ma proposition ! Je pense qu’on doit se laisser le temps de réfléchir comment mener l’enquête. Qui pourrait nous renseigner sur la provenance de cet objet ?

 

Le lundi suivant, je pars tôt pour l’école. Heureusement, le trafic est fluide et, malgré les basses températures, il n’y a pas encore de gel sur la route. Tout au long du trajet, je pense à ma statuette.

Elle me parle, cette petite fille ! Je ne peux pas l’expliquer, mais j’ai l’impression qu’un fil me relie à elle. Pourtant, objectivement, cela me paraît impossible.

Au repas du soir, je confie à Julien mon intuition.

– Tu sais, Julien, je crois que ce n’est pas par hasard si nous avons trouvé cette sculpture !

– Comment ça ? dit Julien.

Je lui dévoile le fond de ma pensée.

– Je sais, Myla, que tu aimes bien te raconter des histoires, mais là, franchement…

– Ça paraît tout à fait irrationnel, mais c’est quelque chose que je ressens à l’intérieur de moi.

– Ma chérie, tu regardes trop de séries !

La réponse de mon mari ne me surprend pas. Je reconnais bien son esprit cartésien. Mais, à ce moment-là, je ne plaisante pas !

Après le repas, je m’assieds dans mon fauteuil beige, celui dans lequel j’aime lire et je m’enroule dans mon plaid. Je contemple le feu qui ronronne dans la cheminée, une tasse de thé à la main, et admire la douce statuette.

 

Le lendemain, en me réveillant, je pense à mon enquête. Je pourrais simplement rechercher des pistes dans le village. Certainement que quelqu’un sait quelque chose. Je déguste mon café dans la cuisine et réfléchis à comment aborder le sujet qui me préoccupe avec mes voisins.

Justement, je vois sortir Mme Katalina de sa maison située un peu plus loin dans la rue. Elle va prendre son courrier. Je vais de ce pas récupérer le mien. Je la salue et lui demande comment elle va. Comme il fait froid, je lui propose de venir boire quelque chose chez moi, afin de faire connaissance et nous nous installons au salon.

Je lui sers un café assorti de biscuits que j’ai confectionnés.

– Savez-vous, Mme Katalina, quand cette maison a été construite ?

– Je me souviens d’une famille avec quatre enfants, qui habitait ici. Lorsque les petits sont devenus grands, les parents ont vendu et c’est Grégoire et Gladys qui sont arrivés. Nous avions à peu près le même âge et nous nous sommes liés d’amitié. Ils auraient voulu avoir des héritiers, hélas, cela n’a pas marché pour eux. Mais je ne peux pas situer la date de construction. Peut-être en vous adressant au bureau municipal, aurez-vous plus de chance ?

– C’est une bonne idée !