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La nouvelle vie de John sur Terre aurait pu être simple et ordinaire, si le destin n’avait pas déposé sur sa route un couffin avec un étrange bébé. Comme indication de provenance de ce dernier, une simple lettre, rien de plus. Des années plus tard, les capacités surnaturelles de Marshall, l’enfant, se développent et il attente accidentellement à la vie de John qui, par chance, sera sauvé par son ennemi juré, le troisième prince vampire. Ainsi, les deux hommes, très attachés à Marshall qui porte le poids d’une prophétie annonçant la fin du monde d’Aurum, tenteront de s’allier malgré leurs différends. Il suffit parfois d’un silence, d’un geste, d’une parole pour que l’illusion d’avoir laissé son obscur passé derrière soi s’effondre. Tous deux l’apprendront à leurs dépens.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Grâce à la saga Harry Potter, Journal d’un vampire et bien d’autres, Delphine Mercier a trouvé l’inspiration nécessaire pour créer son propre univers. Ayant un penchant particulier pour le surnaturel et le fantastique, elle écrit ce premier volume d’Enténébré qui, elle l’espère, attisera la passion des lecteurs pour ce genre littéraire.
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Seitenzahl: 460
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Delphine Mercier
Enténébré
Tome I
À l’aube de l’avènement
Roman
© Lys Bleu Éditions – Delphine Mercier
ISBN : 979-10-377-5332-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Périphérie de Londres, janvier 1870
Londres. Cette ville en perpétuelle évolution où le progrès façonne ses rues et ses habitants, où le traditionnel s’unifie au moderne avec grâce, semble attirer plus d’une personne de tout horizon et de toute classe. Certains de ces nouveaux arrivants réussissent à faire fortune, tandis que d’autres se perdent dans les rues mal famées la nuit. Des imprudents disparaissent dans les ruelles tandis que d’autres attendent sous la lueur des réverbères. La vie à Londres peut parfois être aussi singulière que certains de ses habitants. Étrangement pâle et plus grand que la moyenne, parlant une langue qui ne ressemblait à rien de connu, des yeux aux couleurs changeantes, plus d’un habitant faisait sensation lorsqu’il sortait de sa maison. Ces habitants en question, de toutes les classes et aux métiers bien différents, se disaient toujours être d’ailleurs et si les Londoniens pensaient à un autre pays, il n’en était rien. La plupart vivaient au cœur même de Londres, par choix de facilité pour leur travail ou simplement pour la beauté de la ville industrielle tandis que d’autres, plus rêveurs ou solitaires, préféraient la périphérie. La campagne était plus calme que les usines et plus belle que les machines de fer et d’acier.
L’intendant John O’Connor était un de ces discrets habitants singuliers qui préférait la campagne à l’agitation de la ville. Âgé d’une trentaine d’années à peine, visuellement parlant du moins, le stress qui le rongeait laissait penser qu’il portait sur ses épaules plus d’un problème. Toujours vêtu d’un ensemble trois-pièces noir sans le moindre défaut et aux chaussures cirées, cet homme se séparait rarement de sa cape ornée d’une curieuse broche en or. Ses courts cheveux noirs, fins et séparés par une raie bien centrée, contrastaient avec sa peau finement dorée. Ses yeux verts, aussi glaçants que son intransigeance au respect des règles, faisaient de lui la plus grande crainte de tous les enfants de l’orphelinat des Laird. Ce manoir, le seul endroit où sa singularité n’était qu’un détail, devint le lieu de salut pour son âme enténébrée.
Ainsi, comme chaque matin depuis son arrivée, O’Connor descendait le grand escalier principal à l’heure où la rosée rendait les roses plus fragiles qu’elles ne l’étaient déjà. Le soleil peinait à se lever en ce début d’année mais il n’en avait que faire, ses insomnies lui faisant bien souvent perdre la simple notion de jour et de nuit. Penser et ressasser la nuit, travailler le jour ; la routine qu’il avait grâce à l’orphelinat rythmait sa vie et y donnait le sens qu’elle avait perdu. John maudissait la lenteur dont pouvait faire preuve le temps après le crépuscule, le silence devenant sa seule compagnie dans sa petite chambre confortable. Alors, comme chaque matin John descendait la mine basse, le manque de sommeil apparaissant de plus en plus sous ses yeux dépourvus d’étincelle de vie.
« Monsieur O’Connor », le salua le précepteur aux bras chargés de rouleaux, le tirant brusquement de sa rêverie.
« Oh, monsieur Juno. Je ne vous avais pas vu… Encore les bras chargés ? »
« C’est ça devoir enseigner tant d’enfants dans la même bâtisse, la quantité de travail ne baisse jamais. Auriez-vous vu le comte ce matin ? On m’a dit qu’il était déjà levé mais impossible de mettre la main sur lui. »
« Il doit être dans son bureau, comme d’habitude. Pourquoi le cherchez-vous au juste ? »
« J’aimerais mettre en place une excursion dans la forêt avec les plus jeunes enfants mais il me faut son accord. Il est extrêmement pointilleux avec ça donc je ne vais pas me risquer à les faire sortir sans son approbation, il serait capable de m’envoyer à la potence ! »
« Oh, je pencherais plus pour le renvoi que la potence, il n’est pas extrême à ce point. En tout cas, je serais vous je me dépêcherais parce qu’il a un rendez-vous à huit heures et il doit encore prendre son thé de sept heures. »
Le précepteur acquiesça et doubla son supérieur, se hâtant de monter le grand escalier principal comme il pouvait avant de s’arrêter net.
« Monsieur O’Connor », l’appela-t-il du haut de l’escalier. « Vous devriez prendre une infusion de camomille, cela aide à trouver le sommeil et apaise l’esprit. »
« Pourquoi me dites-vous cela au juste ? »
« Vous semblez constamment tourmenté par quelque chose. Les souvenirs peuvent nous hanter mais il ne faut pas oublier qu’ils ne sont que ça, des souvenirs. Prenez soin de vous, nous n’avons qu’un seul corps et qu’une seule vie. »
« Vous avez raison, je tiendrai compte du conseil. Passez une bonne journée monsieur Juno mais ménagez-vous aussi un peu, il ne faut pas vous surmener ainsi. »
« Je peux vous le dire aussi. À plus tard, monsieur O’Connor, ce fut un plaisir de vous parler ! »
Les deux hommes reprirent chacun leur chemin, tous deux sachant pertinemment qu’ils ne suivraient pas le conseil de l’autre. O’Connor termina sa route jusqu’à la petite salle à manger privée où, sur la table d’ébène, un thé vert fumant et de délicieux scones juste faits l’attendaient.
« Bonjour monsieur O’Connor, ce matin nous vous avons préparé un thé vert à la rose », fut-il rapidement salué comme chaque matin par la gouvernante en chef après qu’il fut assis à sa place.
« Bonjour à vous aussi. Non laissez, je me servirai en sucre ce matin ne vous en faites pas. Retournez donc à vos tâches, je ne compte pas manger rapidement ce matin, les nouvelles sont fraîches ? »
« Le journal vient tout juste d’être livré, monsieur O’Connor. »
« Parfait, merci beaucoup. La journée a l’air de bien commencer, faisons en sorte qu’elle continue ainsi, madame Pommy. »
« Je pense que nous n’avons pas à nous inquiéter de cela. Le ciel est dégagé, il n’y aura pas de neige aujourd’hui et c’est tant mieux. »
« Pourquoi donc ? »
« Les enfants sont ingérables lorsqu’il neige. Ils veulent tous sortir pour aller jouer dedans mais le comte refuse catégoriquement. »
« Ah bon ? Pourtant c’est bien lorsqu’il neige pour les enfants, ils peuvent la modeler et utiliser leur imagination. Pourquoi le comte refuse-t-il de les laisser sortir ? »
« Je n’en ai pas la moindre idée, mais il est réellement intransigeant sur ça. Je pense que cela vient de l’enfance de monsieur. »
« Elle a été compliquée ? »
« Attendez, vous n’êtes pas au courant ? »
L’intendant releva la tête de son journal et haussa un sourcil, faisant perdre le sourire à la gouvernante.
« Cela est une bonne chose que vous ignorez ce genre d’information à propos de la famille de monsieur, croyez-moi. Si je peux me permettre de vous donner un conseil : ne lui demandez jamais, mais réellement jamais, de parler de lui-même », s’empressa-t-elle de le mettre en garde, plus proche de lui qu’elle ne l’avait jamais été.
« Je veillerai à suivre ce conseil à la lettre. »
« Merci beaucoup. Monsieur a beaucoup souffert et lui faire ressasser de telles choses lui ferait plus de mal qu’autre chose. En tout cas, pour en revenir aux enfants, la journée risque quand même d’être longue. »
« Pas plus que d’habitude. »
« Je pense que si. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai le pressentiment qu’ils vont être très agités aujourd’hui. »
« Ne vous en faites pas, je suis sûr que vous gérerez parfaitement bien cela. Il n’y a aucune raison de s’en inquiéter, ne pensez-vous pas ? »
« Vous êtes gentil. »
« Vous l’êtes tout autant pour travailler ici. »
Madame Pommy adressa comme réponse à son supérieur un tendre sourire avant de partir vaquer à ses occupations, autrement dit réveiller les enfants de l’orphelinat des Laird. À nouveau seul, l’intendant John posa son journal qu’il avait terminé entre temps et se perdit dans ses pensées, son regard braqué sur les jardins qu’il apercevait au travers des fenêtres. Toujours parfaitement bien entretenues par un jardinier au talent inégalé, les allées de gravier blanc adoucissaient les contours brutaux des parterres de pensées. L’intendant aimait autant les extérieurs que l’intérieur de la propriété des Laird. Ses recherches à propos de cette famille furent fastidieuses mais intéressantes, la plupart des réponses à ses questions venant d’anciens journaux gardés par le comte lui-même, les dires des anciens domestiques ou encore des commérages des citadins londoniens lorsqu’il se rendait en ville.
La famille Laird est bien différente des autres familles nobles. Il n’y a jamais de réception au manoir si ce n’est pour les rares mariages. Cette famille n’a pas besoin de scandale pour que son nom soit dans les journaux et sur les lèvres des Britanniques, ils ont juste à sortir, furent les paroles du chef cuisinier, présent du temps de l’ancienne propriétaire. Il ne fallut que peu de temps à O’Connor pour réaliser toute la justesse des dires du cuisinier. Craintes à cause de ses fréquentations étranges depuis des siècles, les routes de Londres se faisaient soudainement plus vides lorsque le fiacre de la famille Laird les empruntait. Mais Londres n’était pas le meilleur endroit pour comprendre ; l’archiviste du manoir détenait plus d’un renseignement et secret.
« Des informations sur la tante du comte ? » s’étonna le vieil homme depuis son échelle, les yeux rivés sur les livres qu’il dépoussiérait.
« Si cela ne vous dérange pas. J’avais pensé à les demander au comte mais je me suis ravisé, de peur de le contrarier. »
« Vous faites bien, croyez-moi. Cette comtesse au grand cœur a décidé de fonder l’orphelinat à la mort tragique de son frère aîné. Seule contre tous, elle n’a jamais baissé les bras malgré toute l’encre qui avait coulé à propos d’elle. Une femme non mariée à la tête d’une puissante dynastie et sans héritier de son sang, quel scandale ce fut ! »
« Oh, j’imagine bien. Les journaux furent enflammés pendant un moment, n’est-ce pas ? »
« Vous n’avez pas idée. Malheureusement, telle une flamme dans un bocal de verre, elle s’est éteinte sans un bruit dans son sommeil. Le comte ne s’en est jamais vraiment remis mais comme nous lui avons dit, nous devons tous partir un jour ou l’autre. Aussi, il est bon de voir cette fatalité comme une motivation pour saisir la vie à pleine main et profiter de chaque instant. »
« Profiter ? Ce n’est pas prudent de trop profiter, vous savez. À trop vivre dans l’instant présent on se retrouvera sans rien dans le futur. »
« Tout est une question d’équilibre, monsieur O’Connor. Il faut profiter au maximum des moments de bonheur et saisir chaque opportunité, croire en ses rêves et tout faire pour les réaliser. »
« Tous les rêves ne se réalisent pas. »
« Si votre rêve est de devenir un être de la nuit dont les journaux stupides abreuvent de fausses preuves, alors non. Mais si vous rêvez de vivre ailleurs ou quelque chose du genre, il peut se réaliser. »
« Vous n’y croyez pas, à ces histoires d’étranges personnes à Londres ? »
« Non, absolument pas. Certes, certaines personnes ont des attitudes étranges comme l’ami du comte… Mais franchement, vous pensez vraiment qu’il est un vampire ?
Voyons. Ces histoires sont juste pour vendre du papier et profitent des rumeurs en causant du mal aux vraies personnes, innocentes, qui sont bêtement rejetées. »
John garda le silence et regarda l’archiviste descendre de son échelle avant qu’il ne s’absente un moment dans la pièce interdite. Le tintement bruyant du verrou le fit sursauter alors qu’il se perdait déjà dans ses pensées, son regard se posant immédiatement sur ce livre que lui tendit le vieil homme. Épais et doté d’une couverture rouge sobrement décorée de fines reliures argentées, cet ouvrage suffit à faire sourire l’intendant lorsqu’il vit le sujet du livre. Promptement, il remercia l’archiviste avant de remonter dans sa chambre où il pourrait rassasier sa curiosité cette nuit. Les mystères de la dynastie Laird étaient devenus son passe-temps et son seul moyen de combler le manque de sa terre natale. Parcourir les couloirs jour après jour ne le laissait jamais indifférent, les portraits sur les murs commençant à lui paraître plus familiers à mesure qu’il en apprenait de plus en plus.
Ses découvertes lui permettaient aussi de mieux connaître et comprendre son employeur. L’une des premières choses qu’il avait apprises sur lui était qu’il adorait la musique, n’hésitant pas à l’enseigner aux orphelins qui partageaient sa même passion. Son bureau avait des airs de salle de musique et il n’était pas rare pour John de devoir assister le comte au rythme d’une sonate, qu’elle soit d’un violon ou d’un piano.
« Pardon de vous déranger dans votre travail mais vous n’avez pas l’air d’aimer mon morceau, je le joue si mal que ça ? » s’inquiéta l’orphelin musicien qui avait subitement cessé de jouer face à l’impassibilité de son père adoptif.
« Oh non, non, tu le joues parfaitement bien, je te rassure. Il n’y a pas la moindre fausse note dans ton morceau. C’est juste que cette musique est si cruellement triste, j’ai l’impression qu’on m’arrache le cœur. Qu’en pensez-vous, O’Connor ? »
« Je pense la même chose que vous, l’air est mélancolique », répondit ce dernier sans même lever les yeux de son document.
« Oh ! je vois… Je pensais que cela vous ferait du bien d’entendre quelque chose de doux et lent, histoire de pouvoir vous concentrer. »
« C’est bien aimable de ta part de penser cela mais vois-tu, pour l’heure j’ai plus envie de sourire. Allez, joue-moi un air joyeux, s’il te plaît. Quelque chose qui puisse faire sourire notre intendant ici présent. »
O’Connor roula des yeux tout en soupirant.
« Je souris, parfois », marmonna-t-il.
« Vraiment ? Je suis sûr que vous notez les dates quelque part, tant c’est anecdotique. »
« Non, je ne le fais pas. »
« Moi je le fais. C’est si rare que je n’oublie pas de l’écrire », avoua le comte avec un grand sourire.
« Dans votre journal ? »
« Oui. Vous devriez en avoir un aussi, vous savez. Moi j’en ai un pour avoir une trace de mes souvenirs si ma mémoire commence à me trahir. Allez, musique ! »
Le jeune homme – qui approchait à grands pas de la majorité – fredonna l’air qu’il s’apprêtait à jouer avant d’obtenir la validation de son père adoptif. Le jeune musicien commença lentement son morceau plus revigorant avec un tendre sourire adressé à l’homme assis à son bureau. Ce dernier se mit à l’écouter avec un peu plus d’attention qu’avant, prêtant attentivement l’oreille lorsque son pupille se mit à jouer avec plus d’entrain la partie la plus vivante du morceau. Les notes résonnèrent agréablement dans le bureau et le comte Laird finit par se perdre dans les délicates notes qui se succédaient, formant une mélodie sans faute. Cette symphonie si parfaitement bien exécutée et le silence du manoir permirent au tout nouveau propriétaire des lieux de se plonger dans ses pensées et d’oublier, l’espace d’un instant, le monde hostile qui l’entourait.
La reprise du travail de sa tante paraissait être assurée, les enfants l’aimaient autant qu’ils avaient aimé sa tante et son personnel lui faisait entièrement confiance. Il ne lui restait plus qu’à refonder sa dynastie et le tableau serait enfin complet. Une femme aimante, un enfant de son sang débordant de vie ; le comte Laird ne demandait pas grand-chose pour terminer le chef-d’œuvre de sa vie, balayant au passage les nuances rouge sang qui l’entachaient.
Mais un tableau ne peut être composé que de lumière et de couleurs vivifiantes.
Une ombre planait depuis des années au-dessus de la famille Laird, une ombre sournoise qui se prénommait Lloyd Jones et qui avait ses propres desseins pour l’avenir de cette famille. Bien qu’il ne se fût pas du tout entendu avec la comtesse Louise Laird qui l’avait chassée du manoir dès leur première rencontre – il avait espéré que les choses seraient différentes avec son neveu en plein deuil, tourmenté par le fantôme de la tragédie de 1837 et de nature naïve.
Les choses le furent, différentes. Bien différentes.
Le comte Laird lui avait grandement ouvert ses portes le matin où il était venu lui rendre une visite pour lui proposer affaires et partenariat, niant les nombreuses mises en garde de l’intendant des lieux. Cet homme, extrêmement persuasif, lui avait alors longuement parlé de ses entreprises, de la durabilité certaine de celles-ci et des postes qu’ils désiraient proposer aux jeunes majeurs de l’orphelinat. En échange de petites sommes d’argent et de la garantie d’un poste à vie pour tous ces nouveaux adultes, il les prendrait sous son aile et veillerait à leur bien-être.
« Ils pourront commencer leur vie avec un travail et donc avoir directement de l’argent en poche, n’est-ce pas un bon marché pour eux ? Ils ne finiront pas à la rue et je les accepterai tous, peu importe leur sexe ou leurs petites particularités. Ils feront tous partie de la famille "Jones et Compagnie" ! Peu d’entreprises accepteraient de tels jeunes gens vous savez comte Laird », lui avait répété le vicomte Jones qui, intérieurement, commençait à véritablement s’impatienter.
« Ces enfants doivent rester libres de choisir où travailler, je ne peux pas leur imposer… »
« Ces enfants ne savent pas se débrouiller par eux-mêmes, ils ne sauront survivre dans un monde si impitoyable ! Souhaitez-vous qu’ils connaissent la même souffrance que vous, souhaitez-vous réellement souffrir à nouveau en apprenant un matin leur mort ? Je vous offre une chance inouïe de leur garantir un avenir, en échange… je vous demande juste une petite somme d’argent », argumenta une énième fois le vicomte Jones en tapant du poing sur le bras de son fauteuil.
« Cela n’est-il pas du trafic ? »
« Pour quoi me prenez-vous là, au juste ? »
« Est-ce que vous êtes bien conscient que cette façon de faire peut nous attirer de grands ennuis comme la peine de mort ou l’enfermement à perpétuité ? »
« Je vous trouve bien sinistre et peu ambitieux pour quelqu’un de votre rang, milord. »
« Je suis ambitieux ! » s’offusqua immédiatement le comte Laird en tapotant à son tour du poing sur le bras de son fauteuil.
« Alors, prouvez-le-moi ! Milord, cela garantira un avenir à ces jeunes gens, ils ne finiront pas à se perdre dans les rues mal famées de l’East End. Vous savez, votre tante aurait accepté les yeux fermés cette proposition si généreuse que je vous fais. C’est une si grande tragédie qu’elle nous ait quittés… »
« Ah oui ? Je veux dire, vous pensez sincèrement ce que vous dites ? »
« Allons, pourquoi mentirais-je sur une telle chose, ce serait abject de se montrer hypocrite sur un tel sujet, ne croyez-vous pas ? »
« Si, bien sûr que si mais vous savez, j’ai perdu mes parents jeune et ma tante a eu du mal à concilier mon éducation avec la direction de l’orphelinat alors, je me montre prudent. J’espère que vous comprenez cela, monsieur Jones. »
« Je comprends tout à fait et je vous assure que mes sentiments de tristesse ont été sincères lorsque j’ai eu vent de sa tragique disparition. Apparemment, elle est morte dans son sommeil, c’est cela ? C’est une bonne chose vous savez, elle n’a pas eu le malheur de souffrir d’agonie et vous n’avez pas assisté à un nouveau drame. »
Le comte Logan Laird ne savait pas vraiment sur quel pied danser mais le fait que quelqu’un d’étranger à l’orphelinat soit attristé par la mort de sa tante l’avait rassurée dans son choix. Quelqu’un en dehors des limites du domaine se souciait encore du bien-être de sa famille, cela ne pouvait qu’être une bonne chose, n’est-ce pas ? Conforté dans l’idée d’avoir un allié dans ce monde si impitoyable, le comte Laird signa le contrat de partenariat du vicomte Jones, sans même le lire ni y jeter un rapide coup d’œil. Il apposa son nom, simplement, avec un grand sourire qu’il put retrouver sur le visage de son nouvel associé. Ce dernier souriait, certes, mais pour une raison bien différente de celle du comte Laird. Une raison bien différente.
Les années se mirent rapidement à passer pour le comte Logan Laird qui se plaisait avec ce contrat, heureux de voir ces protégés avoir la chance d’avoir une vie comme les autres personnes et de perpétuer le travail de sa tante. Les années passèrent rapidement aussi pour le vicomte Lloyd Jones qui avait obtenu bien plus que ce qu’il avait prévu au départ avec son contrat ; le comte Laird lui mangeait dans la main et croyait dur comme fer tout ce qu’il pouvait lui dire, du plus gros au plus subtil mensonge. L’un et l’autre se complétaient parfaitement bien, l’un ayant trouvé une épaule sur laquelle poser la tête et l’autre ayant trouvé une poule aux œufs d’or.
Mais les années emportèrent non seulement les enfants adoptifs du comte mais aussi son cœur d’or, comprimé dans le gant de velours mais la main de fer de son ami. Celui-ci le menait par le bout du nez et l’homme généreux et altruiste qu’était le milord disparut pour laisser place à sa pâle copie, froide, cruelle parfois et entièrement détachée du véritable sens qu’avait donné sa tante à l’orphelinat. Crédulement, sur les soi-disant conseils de son seul ami dans ce monde si peu enclin à lui laisser une chance de faire sa place, le propriétaire de l’orphelinat des Laird fit lentement dévier le contrat d’avenir vers une affaire d’argent. Par ailleurs, il n’hésita plus la moindre fois de suivre cet homme dans son trafic, ce dernier lui clamant qu’ils faisaient le bien, qu’ils offraient un avenir radieux à ces pauvres âmes sans famille et sans repères et que celles-ci devaient les remercier de leur offrir si gracieusement un travail.
Finalement, après des décennies de loyaux services et d’un dévouement absolu à toutes ses requêtes, le comte Laird finit par être abandonné par son fidèle intendant lors de l’été 1869. Cet homme, vieillissant qui l’avait vu voir sa toute première lueur de soleil, ne pouvait plus supporter de participer à la folie de son employeur qui ne jurait plus que par le vicomte Jones. Ce vieil homme, ayant été autrefois la figure paternelle du comte Laird après la disparition de ses parents, n’était plus qu’un de ses simples domestiques sans le moindre droit de lui faire remarquer quoi que ce soit. Sa haine envers le vil vicomte n’avait cessé de croître et il se maudissait chaque jour de ne pas l’avoir assassiné avant qu’il ne change le propriétaire de l’orphelinat. Il en avait fait de lui une simple et obéissante poupée de chiffon, complètement vide de la moindre notion de jugement et privé de sa capacité à prendre une décision par lui-même et pour lui-même.
Ce fut lors d’un matin, qui s’annonçait pourtant radieux, que l’intendant descendit sa valise pour la première et dernière fois de sa vie. Le vieil homme, d’une loyauté sans nom, s’arrêta quelques instants en bas de l’escalier, hésitant sur son choix puis se retourna vers son ancien employeur qui se tenait fièrement en haut des marches avec à ses côtés son fils.
« Vous faites honte à votre famille milord, enfin si vous méritez encore que l’on vous nomme ainsi. »
« Et vous, comment méritez-vous d’être nommé maintenant ? »
« Vous aviez un avenir radieux, un héritage à polir davantage pour le transmettre à votre fils mais vous l’avez détruit… Votre tante doit se retourner dans sa tombe en voyant ce que vous avez fait de vous et de son cadeau d’adieu. »
« Trêve de bavardage futile veux-tu ? Pars donc puisque tu en as décidé ainsi, je n’ai pas besoin d’entendre tes offenses », le coupa le comte Laird en accompagnant ses mots d’un simple geste de la main.
« Vous avez changé monsieur, beaucoup changé. »
« Tout comme toi. »
« J’implore tous les dieux là-haut pour que votre folie n’ait pas déteint sur votre fils, dont vous êtes incapable de vous occuper correctement ! »
« Je ne suis pas fou. »
« Si. Vous l’êtes ! Qu’il vous enterre rapidement, vous ne priverez plus un enfant de la chance d’avoir une vie qu’il aura choisi, une vie différente de celle que vous avez déjà programmée pour lui avec votre ami !
Mon cher jeune noble, s’il vous plaît, partez d’ici tant que la folie de votre père ne lui fasse pas mettre un prix sur votre tête à vous aussi. »
« Laissez-le en dehors de cela, vous voulez ! »
« Taisez-vous, ce n’est pas à vous que je parle. »
« Je vous interdis de lui parler ! »
« Si vous avez besoin d’un endroit où vous abriter, jeune milord, ou juste quelqu’un à qui parler, sachez que ma porte vous sera toujours ouverte. Il vous suffit de suivre la lumière, Harrismy. »
Le fils du comte, toujours à ses côtés, acquiesça par réflexe et se retourna, le bousculant d’un coup d’épaule avant de partir s’enfermer dans sa chambre. Sans plus attendre, sans ajouter un dernier mot, l’ancien intendant attrapa sa valise par la poignée et sortit dignement, la tête haute et le regard tourné vers l’avenir. Mais une fois monté dans le growler qui l’attendait, l’ex-intendant, Georges Turin, ne put s’empêcher de lever une dernière fois les yeux vers la chambre de son jeune maître. Celui-ci n’était jamais sorti du domaine de son père mais son nom était déjà la risée de la noblesse mondaine. L’ancien intendant admirait et en même redoutait la patience et le silence du jeune homme sur toutes ses moqueries. Jamais il ne l’avait entendu s’en plaindre et il savait pourquoi : Harrismy était trop occupé à haïr les précieuses pupilles de son père.
Que l’ancien intendant dorme sereinement – du moins pour quelque temps encore – sur ses deux oreilles : le dernier descendant Laird en date n’avait pas tardé à prendre son envol à son tour. Si son père ne pouvait lui montrer de la reconnaissance, ne serait-ce qu’un fragment, alors il irait chercher cette reconnaissance auprès des autres et les détruirait, s’il le faut.
L’avenir était face à lui ; sa vie, ses règles, sa reconnaissance. Son credo devint ses mots qu’il fit marquer à jamais sur sa peau.
Pour ce qui en était de l’avenir de son père, ce fut après plusieurs semaines de colère amère qu’il se mit à rechercher un remplaçant pour son « traître de domestique donneur de leçon. » Par chance, il eut rapidement une proposition malgré les on-dit à son encontre et celle de son fils maintenant parti. Cette nouvelle l’avait par ailleurs bouleversé au plus haut point et sans qu’il ne puisse y faire quoi que ce soit, une haine, finement corrosive mais colossalement dangereuse, était née dans son cœur déjà réduit à l’état de simples morceaux. Néanmoins, et avec toute la force qu’il était encore capable d’avoir, il accueillit le plus chaleureusement possible son nouveau bras droit. Celui qui lui sera d’une loyauté sans faute, obéissant au moindre de ses ordres et ne lui dictant pas sa conduite à tenir, celui qui sera prêt à mourir pour lui s’il les choses tournent au vinaigre n’était autre que monsieur Jones O’Connor, autrement appelé depuis son arrivée dans l’allée : l’intendant O’Connor.
Périphérie de Londres, mars 1870
Si le comte Laird était censé accueillir tous les enfants, peu importe leur âge, leur différence ou leur genre, il eut un instant de réflexion fasse au panier qu’il venait de trouver sur son bureau lors d’un pluvieux matin. Qui l’avait posé ici ? Quand ? Comment ? Ce panier, d’un blanc immaculé et étrangement silencieux, semblait avoir été déposé dans cette pièce avec le plus grand des soins ; il n’était pas à même le bord, comme on le ferait pour un simple panier pour lequel on se fiche du futur, ni abîmé. Non, le panier était posé au centre de son imposant bureau, trônant fièrement, parfaitement intact et manifestant il attendait d’être trouvé par le destinataire. Mais le comte Laird n’était pas dupe. Peu importe comment ce panier avait atterri sur son bureau alors que ce dernier était entièrement fermé durant la nuit, il ne contenait certainement pas des fruits à en juger par la forme et la taille propres aux paniers servant à transporter les nourrissons. Immédiatement, il hurla le nom de son intendant et attendit, interdit et pensif.
« Vous m’avez appelé, monsieur ? » le tira rapidement de ses pensées son intendant en arrivant dans l’encadrement de la porte.
« D’où vient ce panier et qui l’a emmené ? »
« Je ne sais pas d’où vient ce couffin, monsieur, personne ne s’est présenté aux portes de l’orphelinat. Je ne savais même pas qu’il y avait un couffin dans votre bureau pour tout vous dire, la nuit a été extrêmement calme. »
« Donc, vous êtes réellement en train de me dire que ce panier est arrivé tout seul sur mon bureau ? Mais bien sûr et moi je suis le roi d’Angleterre ! Dites-moi comment est arrivé ce panier ! » s’emporta subitement le propriétaire des lieux.
L’intendant, ne trouvant rien à répondre pour se défendre, se contenta de hausser les épaules avant de s’approcher du fameux panier en question. Se positionnant face à lui, il observa longuement le si jeune nourrisson sagement à l’intérieur, pleinement éveillé. L’enfant était si petit, si peu empreint d’un désir de bouger qu’il ne devait pas avoir plus de quelques jours. Cependant, le nourrisson à la peau laiteuse le regardait fixement avec ces deux prunelles encore voilées. L’homme le fixa en retour, imprimant chacun de ses détails dans sa mémoire et sans le vouloir, se laissa attendrir par ce petit visage rond et ses joues potelées.
« Sérieusement, d’où vient donc cet enfant ? Il n’est pas venu du ciel à la fin, comment a-t-on pu le déposer ici sans que la moindre présence ait été détectée ? » tenta de comprendre le comte Laird en faisant les cent pas derrière son bras droit.
« Je ne sais pas, monsieur, mais il est mignon, ne trouvez-vous pas ? » questionna en retour celui-ci, un petit sourire commençant à orner ses lèvres.
L’intendant O’Connor entreprit de sortir l’enfant de son couffin – ou plutôt de son panier comme il continuait de corriger le comte. Cela pourrait paraître anecdotique, voire insignifiant, pour les autres mais pour l’intendant O’Connor cela signifiait beaucoup. Le comte ne donnait guère d’importance à la contenance du « panier » noir, que cela soit un être vivant ou non. L’enfant à l’intérieur ne serait en rien différent des autres.
« Il est si petit, si fragile. »
John n’avait pas remarqué qu’il venait de prononcer ces mots à haute voix, ne remarquant pas non plus que son supérieur s’était arrêté et le questionnait du regard. Avec la plus grande des prudences, il découvrit l’enfant et passa sa main droite sous sa tête puis sa main gauche sous son siège, le soulevant délicatement, lentement. Le nourrisson paraissait si petit dans ses bras. L’homme qui paraissait la vingtaine commença à comprendre l’honneur qu’est de vivre. Porter une vie si frêle, si pure dans ses bras fut une troublante expérience. Les autres enfants savaient déjà marcher, penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes alors que cet être, nouveau dans l’univers, ne savait même pas voir correctement.
« Tu n’es plus tout seul, précieux petit enfant », murmura-t-il de manière presque inaudible, ressemblant plus à un marmonnement qu’autre chose pour le comte Laird.
Ce dernier, en dévisageant la mine heureuse de son employé, s’approcha rapidement de lui et observa à son tour l’enfant en question. Bien vite, son regard se posa sur sa main gauche, tachée.
« Tiens, avez-vous remarqué qu’il a une tache de naissance en forme de rose ? Voilà qui est vraiment peu commun, ne pensez-vous pas ? » demanda-t-il en insistant fortement sur les derniers mots qu’il prit le temps de bien traîner en longueur.
Le sang de l’intendant ne fit qu’un tour dans ses veines et il peina à garder sur son visage son air impassible. Il n’y avait pas prêté attention tant il avait été captivé par le regard du nourrisson. Brutalement, il comprit la raison pour laquelle cet enfant lui semblait si différent et ses entrailles se resserrèrent. Ce matin de mars, qui s’annonçait pourtant si ordinaire et calme aux premiers abords, devint sans le moindre doute le jour où le territoire de Géhenne, les Enfers, la fosse de la mort, le terminus des mauvaises âmes, s’ouvrit pour lui et scella sa vie à tout jamais.
« Vous pâlissez », lui signala le comte en posant sa main sur son front. « Tout va bien ? »
« Nous devrions le garder précieusement », trembla l’intendant en ne sachant sur quel pied réellement danser, tiraillé entre le besoin de s’effondrer et celui de serrer l’enfant plus près de lui.
« C’est votre enfant ? Votre marque est extrêmement ressemblante, voire exactement semblable. Cela est réellement peu commun donc je ne pense pas que ce soit simplement une coïncidence. »
« Je n’ai pas de femme monsieur, il me semblait vous l’avoir déjà dit à mon arrivée. Comment pourrais-je avoir un enfant ? » réfuta immédiatement l’intendant O’Connor, peut-être trop rapidement quand il vit un sourire malicieux sur le visage de son employeur.
Celui-ci laissa échapper un gloussement avant de tapoter son épaule.
« Votre innocence vous honore mon garçon, crois-moi. Mais vous savez, l’amour n’est pas un critère pour concevoir un enfant. Certaines femmes pleines de charme et d’attention à donner offrent leurs services et, malencontreusement, un polichinelle dans le tiroir est vite arrivé… »
L’intendant, dont les joues s’empourpraient face au sans-gêne de son employeur, se retint de lancer une pique qui lui vaudrait son emploi et se contenta d’encaisser la remarque plus que déplaisante à son égard.
« Vous ne tentez pas de me donner tort, ai-je raison dans le fond ? s’en délecta le comte en esquissant un grand sourire.
« Non, monsieur, vous avez assurément tort. Je ne vais pas dans des maisons closes pour avoir un peu d’affection factice et puis d’ailleurs on ne dit pas "polichinelle dans le tiroir" mais "attendre un enfant." En tout cas, je peux vous assurer qu’il n’est pas le mien et dites, vous comptez ouvrir la lettre dans le couffin ou pas ? »
Le comte Laird continua de rire face à la gêne de son employé et attrapa ladite lettre avant de s’asseoir à son bureau. Scellé par un sceau rouge, il dut l’ouvrir par le haut et en sortir une lettre sur laquelle il ne remarqua pas le discret symbole au bas de page arrière. L’intendant O’Connor le remarqua cependant et, intérieurement heureux, il caressa avec toute la douceur du monde la tête de la vie qu’il berçait. Le jeune homme n’écoutait pas un mot de ce que lisait son employeur, il connaissait déjà le nom de cet enfant de toute façon.
« Quelle écriture fine et propre, c’est d’une élégance rare. En tout cas, il s’appelle Marshall et il est seulement âgé de trois jours. Il n’y a pas de nom de famille mais en même temps, quand on ne veut pas d’un enfant, on ne lui affilie pas une famille à laquelle se raccrocher. Il est précisé qu’il est en bonne santé et qu’il pourra faire de grandes choses. Tiens, voilà qui sortent de l’ordinaire, une mère a foi en son fils mais l’abandonne, curieux. La lettre s’arrête là et elle est signée Cirse. »
« Cirse ? »
« Oui, est-ce le nom de la femme avec qui vous l’avez eu ? »
« Je vous ai dit que ce n’était pas mon fils ! »
« Je vous charrie, ne vous emportez pas ou vous allez effrayer ce jeune garçon. Qui est cette Cirse par rapport à vous, vous avez l’air de connaître ce nom ne me dites pas le contraire. Est-ce votre sœur ? Si c’est le cas, vous vous en occupez en votre nom et il sera sous votre entière responsabilité. »
« Je n’ai ni frère ni sœur soyez-en rassuré, monsieur. Cette femme est juste une vieille connaissance avec qui j’ai grandi et savoir qu’elle a eu un enfant me surprend beaucoup. »
« Haha, on n’est jamais réellement préparé à ce genre de nouvelle, parole de père ! Malheureusement, parfois on désire un enfant mais le sentiment de ne pas être prêt, de ne pas être à la hauteur d’une telle responsabilité peut surgir chez les parents. La peur nous pousse alors à prendre de radicales décisions. Crois-moi, j’en sais quelque chose des responsabilités parentales non assumées. »
« Seriez-vous en train de parler de votre fils… ? »
« Ah, Harrismy… Je ne sais pas où il est ni ce qu’il fait. Parfois, je me demande s’il est mort et je me pétrifie sur place tant cela m’effraie. »
« Je comprends, monsieur. »
« Oh non vous ne comprenez pas pour le moment, mais merci d’essayer. En tout cas, puisque vous certifiez ne pas avoir de lien de parenté avec lui, il sera sous ma tutelle jusqu’à sa majorité. Après quoi, il ira travailler dans les entreprises du vicomte Jones. Comme je vous l’ai expliqué lorsque vous êtes arrivé ici. »
« C’est vous qui décidez, monsieur. »
« Exactement, c’est moi et moi seul qui décide de leur sort. Reposez-le dans le panier, il doit aller manger. »
Le comte regarda son bras droit se détacher de l’enfant et le remettre dans son couffin avant de l’amener jusqu’à madame Sophia, la nourrice en chef du manoir des Laird. Sachant pertinemment qu’il ne reviendrait pas avant un moment, l’employé attrapa sa plume et nota sur une feuille la bonne réception de l’enfant avant d’ouvrir la fenêtre. Un simple sifflement puis un cri semblable à celui d’un oiseau suffisent à faire venir une colombe à laquelle il noua la lettre.
« Amène cette lettre à Cirse maintenant, ne t’arrête pas. »
La colombe repartit aussitôt qu’elle fut relâchée avant de disparaître après quelques battements d’ailes. John sourit pour lui-même et nettoya rapidement la plume de son employeur avant de la remettre à sa place et sortir du bureau. Tout en sifflotant il se dirigea à l’étage supérieur, là où se trouvait la pouponnière et rentra dans la pièce qui servait de salle d’examen. La nourrice Sophia était visiblement occupée à peser l’enfant mystérieux sous l’œil attentif de son supérieur qui n’en perdait pas une miette.
« Ah, monsieur O’Connor ! Il est rare de vous voir ici, comment allez-vous aujourd’hui ? » questionna la jeune femme après lui avoir jeté un rapide coup d’œil.
« Je vais plutôt bien merci, son poids est correct ? »
« Il est un peu léger et très petit par rapport aux autres nourrissons, mais il n’a que quelques jours… »
« C’est un bon ou un mauvais signe ? Je veux dire, il ne va pas mourir dans la semaine ? »
« Bien sûr que non, il est en bonne santé alors ne dites pas cela ici, vous allez apporter de la malchance sur lui ! C’est un très mignon petit garçon qui a bien avalé le lait que je lui ai donné, maintenant il faut juste bien le couvrir et le laisser dormir. »
« Il n’a pas de problèmes respiratoires ou autre ? »
« Pas à ma connaissance, il a l’air de très bien respirer. »
« Vous vous inquiétez beaucoup pour un enfant avec lequel vous n’avez pas de lien de parenté », fit remarquer le comte Laird en esquissant un petit sourire.
« Je m’inquiète pour lui parce qu’on ne sait pas d’où il vient, ni comment, donc il aurait pu être blessé ou quoi. Arrêtez de me regarder comme ça monsieur. »
« Je vous regarde ordinairement, bien que votre comportement m’amuse beaucoup je dois bien l’avouer. Vous semblez réellement troublé par cet enfant, peut-être vous rappelle-t-il quelqu’un ? »
« Je n’ai pas connu d’aussi jeunes personnes mais oui, il me trouble beaucoup. Un si petit être, fragile comme tout, qui ne sait même pas où il est ni ce qu’il fait ici… »
La nourrice Sophia et le comte se regardèrent avec un sourire, tous deux surpris d’entendre la voix de l’intendant être plus douce, empreinte d’une émotion dont ils ignoraient l’origine. Il est vrai que John tentait, difficilement, de ne pas laisser ses larmes couler et de ne pas parler, ne pas craquer et tout divulguer. Mais rapidement, l’homme se souvint qu’ils ne le comprendraient pas et au mieux ils penseraient qu’il est exténué, au pire ils le feraient enfermer et sa mission s’arrêterait alors qu’elle venait tout juste de commencer. O’Connor s’était de lui-même enfermé dans son mensonge dont il savait qu’il payerait les conséquences un jour mais il ne pouvait pas briser sa promesse. On le ferait exécuter, aussi simplement que cela. Alors, pour se protéger et protéger le nourrisson dont il avait maintenant la garde, John scella au plus profond de lui ce lourd secret.
Dans les tréfonds de son âme brisée, à l’abri de la curiosité du monde, son secret qu’il transportait comme un fardeau survivra et le fera se taire à jamais. Il en avait fait le serment il y a bien longtemps et l’épreuve de sa loyauté avait maintenant commencé. Tout son avenir était en suspens maintenant et sa vie ne dépendait plus que d’un sablier représenté par un nourrisson venu d’ailleurs.
Sans dire un mot du profond lien qui l’unissait à cet enfant, sans montrer le moindre signe de la douleur du poids de son mensonge qui lui faisait constamment face, l’intendant de l’orphelinat des Laird regarda son sablier s’épanouir, grandir dans un monde qui n’était pas le sien, vivre comme un enfant ordinaire dans l’orphelinat de la famille Laird. Un mot aurait suffi à soulager sa conscience mais il ne pouvait pas, il n’en avait pas la force. Mentir était son fardeau de l’instant, la vérité sa damnation éternelle. Les jours, les mois, les années furent comme un souffle pour l’intendant O’Connor tant elles passèrent rapidement sans lui. Toujours en arrière-plan, à veiller d’un œil sur Marshall, il ne put qu’admirer ce qu’il devenait jour après jour.
« Il grandit bien votre favori, je l’ai aperçu ce matin en train de lire le journal que j’avais laissé sur la table dans le jardin d’hiver », lui rapporta un jour le propriétaire des lieux.
« Ce n’est pas mon favori, je ne fais pas de préférence entre ces enfants. »
« Ah oui ? Et pourquoi donc une telle impartialité ? »
« Cela est mauvais pour leur développement. »
« Comment ça ? »
« Certains pourraient se sentir délaissés si je le faisais et ils se mettraient en tête qu’ils ne sont pas assez bons pour "mériter" l’attention que je leur porte. Bien que l’amour et l’attention ne soient pas une question de mérite ou non. »
« Excusez-moi de vous dire cela mais j’ai quand même l’impression que vous vous préoccupez plus de Marshall que des autres. »
« Vous trouvez ? »
« Oui mais cela est compréhensible, ne vous inquiétez pas. Il vient d’une personne que vous avez connue donc forcément, instinctivement, vous vous sentez plus proche de lui. Je ne vous blâme pas de l’aimer, bien au contraire. »
« Vous, non. »
Ces deux derniers mots, prononcés comme un murmure, n’atteignirent pas les oreilles du comte qui prit le livre des comptes qu’il était venu chercher avant de ressortir. John avait essayé de parler à nouveau, de lever un brin de curiosité sans s’effondrer mais il savait que s’il parlait plus fort sa voix se déchirerait. Parfois, il tentait de lancer plus fortement une corde à son employeur mais cela finissait toujours de la même façon : son nombre d’échecs grossissait.
Lorsqu’il eut grandi et mûri dans sa façon de voir et comprendre le monde, ce trésor nommé Marshall, si cher aux yeux de John finit par se métamorphoser en un beau jeune homme svelte, à la chevelure noire comme les plumes d’un corbeau et au corps d’une blancheur proche de celle de la neige. Ses yeux, d’un vert comparable à celui des émeraudes incrustées dans les poignées de portes, refroidissaient les cœurs des autres enfants lorsque ceux-ci le croisaient au détour d’un couloir. Sa froideur, son manque de tact et sa distance du reste du monde qu’il côtoyait lui valurent rapidement le surnom de « cœur de glace. » John avait trouvé ce surnom amusant quand bien même il était certainement faux et laissa donc les autres le prononcer. De ce fait, il savait quand les enfants parlaient de Marshall ou non ; il n’y avait plus de mauvaises interprétations. Mais face à la solitude qui le remplissait un peu plus chaque jour, le tout récent jeune homme prit exemple sur son gardien insoupçonné et plaqua perpétuellement un petit air indifférent sur son visage.
L’orphelin savait parfaitement bien mentir lui aussi, trop bien même et malheureusement, il choyait la liberté extérieure.
Marshall haïssait le fait qu’on ne lui laisse pas le droit de sortir plus longtemps, qu’on le prive de toucher aux fleurs ou de les sentir, qu’on le prive de la forêt qui l’appelait. Le jeune homme haïssait qu’on le nomme cœur de glace dès qu’on lui parlait pendant les heures d’études ou qu’on chantonne qu’il était le préféré de l’intendant et du directeur quand il essayait de trouver un coin où s’isoler. Il appréciait certes passer du temps avec l’intendant – sa présence, même lointaine, lui conférait un sentiment de bien-être – mais il n’en était certainement pas le préféré. Bientôt, il trouva l’endroit parfait qu’il nomma rapidement refuge dans sa tête et Marshall se surprit même à penser que le paradis existait bel et bien sur Terre. Lorsque les moqueries, perpétuelles, se faisaient trop abondantes, il venait s’y réfugier. Dans ce lieu où son masque si parfait – grâce auquel personne ne voyait le vide d’amour au fond de lui – pouvait être retiré sans danger. Un refuge où son sourire qui cachait continuellement ses mensonges pouvait s’effacer l’espace de quelques heures. Un repère dont l’intendant O’Connor soupçonna rapidement l’existence. Sans même parler à Marshall, sans même regarder dans quelle direction il s’éclipsait tard le soir, il trouva un indice sur son emplacement et décida un soir de l’attendre à l’extérieur, assis dans les escaliers.
« Tu es en retard de cinq heures », lui indiqua John lorsqu’il le vit bouger derrière plusieurs arbustes.
Le jeune homme s’arrêta net un instant avant de se mordre la lèvre.
« Sors, je ne vais pas te passer un savon. »
Marshall hésita un court moment avant de sortir de sa cachette et s’avança vers l’intendant avant de prendre la parole.
« Comment saviez-vous que j’étais sorti ? » le questionna-t-il en resserrant sa prise sur la lanière de son sac.
« Parfois, il suffit d’observer attentivement les personnes pour connaître les secrets qu’ils gardent enfouis au plus profond d’eux », avoua John avec un petit rire avant d’avaler sa dernière gorgée de thé.
« C’est-à-dire ? »
« Tu vas y réfléchir pour le reste de la nuit, cela te fera du bien. Allez, file dans ta chambre maintenant avant que je ne me décide à te sanctionner ! »
Marshall s’empressa d’obéir, redoutant plus que tout au monde la cravache que possédait l’intendant et qu’il utilisait pour claquer les paumes des mains. Une fois lui avait suffi ; la brûlure avait mis deux jours à disparaître totalement. De son côté, les cheveux flottants légèrement au gré du vent, l’intendant sourit pour lui-même. Un sourire, un regard, un mot peut trahir le plus grand des secrets, aussi bien protégé soit-il, pensa-t-il avec amertume. Dans le cas de son protégé, celui-ci revenait toujours à la même heure lorsque le soir tombait en se croyant assez discret pour échapper à sa vigilance. Mais ses chaussures vernies, grossièrement nettoyées de la boue et la terre qui restaient encore sous les semelles et sur les lacets, le trahissaient à chaque fois sans qu’il le remarque. L’intendant O’Connor en avait donc très rapidement déduit qu’il allait dans la forêt située non loin du manoir seul et loin parce qu’il n’avait visiblement pas le temps de les nettoyer correctement.
Ce fut un dimanche matin, lors du mois de février 1888, que le bras droit du noble se leva avec la ferme intention de savoir ce que faisait Marshall dans la forêt, seul durant les journées où il n’avait pas études. S’il y allait constamment depuis des années, toujours dans la même tranche d’heure, c’est qu’il devait certainement y retrouver quelqu’un ou quelque chose. Pour filer son protégé en toute discrétion sans le perdre, il sortit un quart d’heure après que l’objet de sa bonne humeur a quitté la salle de repas et prit le chemin vers la forêt. L’homme traversa d’une traite l’entièreté des splendides jardins verdoyants et s’enfonça dans la forêt qui se faisait de plus en plus dense au fur et à mesure de sa progression.
« Heureusement que j’ai un peu de vivres avec moi, je vais finir par me perdre. C’est un véritable labyrinthe cette forêt, je ne la pensais pas si grande », se dit-il à haute voix en s’arrêtant un instant pour analyser son environnement.
Hormis de la végétation sauvage, il n’y avait rien dans cette forêt, pas le moindre indice de la quelconque présence d’un humain dans les environs, si ce n’est les traces de pas dans le fin sentier de terre et de boue qu’il ne tarda pas à remarquer. Enfoncés dans la terre qui regorgeait d’eau, les pas étaient assez visibles pour que John comprenne que Marshall courait à travers la forêt, ce qui expliquait sa rapidité à aller aussi loin dans un environnement aussi dense. Prestement, l’intendant contourna la grande étendue de boue et enjamba les souches couvertes de mousse avec une agilité hors du commun. À son tour, il se mit à courir et son écart fut rapidement réduit entre lui et Marshall. Il sentait sa présence accroître près de lui, s’agiter et dévier plus d’une fois à quatre-vingt-dix degrés. Il fallut une heure à l’intendant – qui alternait entre courir et marcher rapidement – pour que la forêt se fasse bien moins dense et la lumière bien plus vive. Marshall n’était plus très loin, ses pas n’étaient plus si espacés et enfoncés, ils se faisaient proches, plus nombreux. Il fallut un quart d’heure de plus – durant lequel il dut traverser un pont de pierre et monter un escalier de pierre couvert de mousse – pour que l’homme se retrouve face à un vieil édifice.
Couvert de mousse et de végétation en tout genre, dans un état plus que déplorable, l’intendant contempla avec émerveillement la vieille église gothique face à lui. Elle n’était certes plus aussi resplendissante, ses vitraux appartenaient maintenant au passé depuis bien des siècles mais voir la nature reprendre ses droits sur un tel édifice avait quelque chose d’agréable. Quelque chose d’apaisant. L’église était dépourvue d’un toit ce qui avait laissé la place à un arbre, plus haut que ce qu’il restait des façades, de pousser à sa guise et recouvrir de ses branches une partie du lieu. Tout son décor, cette nature sauvage conférait au lieu un soupçon de magie, une impression d’être hors du monde. Une anomalie dans cette forêt en sorte mais à qui on pouvait rapidement trouver une raison d’être.
Prudemment, d’un pas solennel, l’intendant s’avança vers l’église abandonnée et s’aventura agilement parmi la flore, se frayant astucieusement un passage parmi le dense lierre et le liseron qui s’entremêlaient autour des derniers pans de pierre. Mais alors qu’il était bientôt hors de ce piège naturel dans lequel il s’était intentionnellement engouffré, un menaçant sifflement résonna à ses oreilles. Ce même sifflement ne tarda pas à se faire entendre de plus en plus près et l’homme, qui tentait de ne pas se laisser dominer par sa nervosité, se hâta d’atteindre la sortie en écartant sans délicatesse les derniers lierres. John eut un mouvement de recul après que ses yeux se furent posés sur le serpent qui lui faisait face. L’animal aux yeux rouges et aux écailles noires s’était présomptueusement redressé en position de défense, prêt à attaquer, et avertissait grâce à sa langue bifide qu’on avait pénétré sur son territoire.
« Vous devriez partir avant qu’il ne vous saute à la gorge. Il n’aime pas les intrus de votre genre sur son territoire », conseilla la raison de l’exploration en sortant de derrière l’imposant tronc d’arbre.
Marshall ne fit aucun pas pour s’avancer et ne prononça plus un mot pendant qu’il caressait un serpent blanc posé sur ses épaules. Le jeune homme paraissait si serein et à l’aise dans un environnement aussi lugubre et délabré que cela déconcerta, un instant, l’intrus du territoire.
« Je ne te veux aucun mal Marshall, je ne viens pas te demander de rentrer », s’empressa de mettre au clair l’homme plus âgé en avançant d’un pas.
Inéluctablement, à peine le mouvement fut terminé que le serpent se jeta avec ténacité sur sa jambe, plantant ses deux crochets blancs et acérés dans la chair à sa portée. Pas prêt de hurler pour si peu, l’intendant O’Connor ne lâcha pas son protégé du regard et saisit la tête du reptile avant de l’arracher de sa jambe.
« Si tu crois m’effrayer avec un serpent, sache que j’ai connu bien pire », signala John en secouant le reptile comme un hochet.
Si le serpent était étonné de s’être fait si facilement avoir, Marshall lui était abasourdi et ses yeux exprimèrent – à la place de sa voix – une certaine admiration. Le plus vieux des deux, voyant la garde de son protégé baissé, entreprit alors de s’avancer vers lui avec le serpent encore en main.
« Tu me donnes du fil à retordre Marshall, tu sais ? Mais je ne t’en veux pas, je m’y attendais », soupira avec une certaine fatigue l’intendant après s’être retrouvé face à lui.
« Je suis surpris de vous voir ici », lança sarcastiquement ce dernier en croisant les bras contre sa poitrine. « Le roi de l’élégance et des vêtements impeccables a sali ses belles chaussures vernies, que cela est exceptionnel ! Un élan d’aventure, du moins si l’on peut appeler ça une aventure, dans votre existence si morne doit vous chambouler à l’intérieur, non ? »
Une silencieuse colère pulsait dans ses veines et rendait tous ses muscles durs et douloureux.
« Ma vie est loin d’être morne, crois-moi. Mais avant que la colère en toi n’explose, j’aimerais te poser une question », lui demanda John en se rapprochant un peu plus de lui, la différence de taille entre eux paraissant bien plus évidente maintenant.
« Je vous écoute, mais vite je n’ai pas que ça à faire et votre présence dans mon lieu de paix me dérange beaucoup. »
« Je comprends cela, tout comme toi tu comprends le langage des serpents, n’est-ce pas ? »
« Peut-être bien oui. »
« Parler aux serpents est une faculté qui ne s’apprend pas dans les livres. »
« Merci je le sais ça, et je sais que je suis différent des autres et vous n’allez pas arranger cela. Si les autres apprennent que vous êtes venu me trouver, non seulement ça va parler mais aussi déformer les faits. »
« Personne n’est au courant que je suis là, j’ai simplement dit que j’allais prendre l’air.
Qu’as-tu dit pour justifier ta sortie ? »
« Que j’avais envie de sortir, tout simplement. Elles sont habituées maintenant. »