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À l’occasion d’une classe verte, dix-huit jeunes et trois professeurs sont réunis en Auvergne pour renforcer leurs liens. Seulement, un drame survient et met fin à leurs ambitions. Dix ans plus tard, Annabelle Lenoir et Yvon Lagarde, tenus pour responsables de la tragédie, sont froidement assassinés alors qu’ils ne demandaient qu’à s’aimer. C’est la panique sur l’île de Groix. Quel mystère se cache-t-il derrière ces tueries ? Les enquêteurs en charge de l’affaire devront puiser dans toute leur expérience pour arrêter le criminel à une période mouvementée sur l’île…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Pour combattre la solitude et le stress, Françoise Dubois écrit. Avec Escale assassine sur l’île de Groix, elle partage avec nous son plaisir de donner la vie par les mots.
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Seitenzahl: 345
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Françoise Dubois
Escale assassine sur l’île de Groix
Roman
© Lys Bleu Éditions – Françoise Dubois
ISBN :979-10-377-7538-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce livre est une œuvre de fiction. Les personnages, les situations et les lieux décrits sont purement imaginaires. Toute ressemblance avec des personnes ou des événements, ayant existé ou existant, ne serait que pure coïncidence.
Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie.
André Malraux
Le soleil darde enfin ses rayons ardents et ce n’est pas pour déplaire à Julie, qui compte bien en profiter. Hâler sa superbe plastique, qu’elle sait plus qu’avantageuse, est pour elle un bonheur sans nom. Elle connaît le regard des hommes qui s’éclaire d’une lueur d’envie rien qu’à la croiser. Ils en salivent à l’avance, espérant une réponse émoustillante de son corps pour les appâter et leur permettre de l’aborder. Leur rythme cardiaque s’accélère d’un coup ; il les empêche de dominer le tressaillement qui se communique à tout leur être. Un picotement heureux se faufile, le long de leurs colonnes vertébrales, jusqu’à leurs nuques. Ils se retournent, le sourire aux yeux et aux lèvres. Elle aussi, bien sûr, mais rapidement. Il ne faudrait pas qu’elle passe pour une fille facile et, crânement, elle continue sa route, heureuse de l’effet qu’elle produit. Jouer ainsi, au chat et à la souris, l’amuse. La maîtrise de ses sens pour ferrer la gent masculine sans y toucher ; laisser supposer sans se donner, quel bonheur ! Elle en rougirait de plaisir…
Elle a pris place sur une serviette de bain étalée sur la pelouse, à l’arrière du petit pavillon. Son corps y est allongé, avec volupté et grâce. En pensée, elle savoure cette attirance naturelle qu’elle a sur les mâles. Elle prononce le mot en appuyant sur le a circonflexe, avec un sourire qui en dit long. Plus que légèrement dénudée, elle se masse de crème solaire avec délicatesse. Bronzer, oui, mais avec douceur, sans brûler sa peau devenue couleur pain d’épices. Sa longue chevelure noir corbeau, toute frisottée, ramassée sur le haut de sa tête, est attachée avec un chouchou.
Les yeux fermés, elle goutte le soleil qui s’accompagne d’une brise légère. Son souffle, comme une caresse, va-et-vient sur sa peau qui frémit de plaisir. Tout son être ressent des yeux braqués sur elle, qui la mangent de désir. C’est assurément son vieux cochon de voisin qui ne peut s’empêcher de la mâter. Il est toujours là, à épier ses moindres gestes. Elle ne peut pourtant pas, à cause de lui, s’empêcher de vivre comme elle l’entend. Il veut voir… Eh bien qu’il regarde, en se masturbant même s’il le veut, cela ne me dérange nullement, pense-t-elle, si ça l’amuse, ce n’est pas mon problème. Après tout, sa femme n’a qu’à le satisfaire. Que puis-je, moi, si elle est trop prude pour lui ?
Julie s’étire avec des gestes langoureux. Aguicher, elle aime ça, pourquoi le nier ? Sa sensualité est alors à fleur de peau. Elle en rajoute même, en respirant légèrement plus fort du nez, pour faire monter et descendre sa poitrine, en un rythme de désir. Cela lui donne du plaisir d’imaginer l’autre en train de tirer la langue en s’essuyant le front, derrière la clôture mitoyenne. Elle le voit, s’imagine son visage où de grosses gouttes de sueur bien grasses ruissellent. Il doit être en train, de se le tamponner avec un mouchoir, limite salasse, déjà bon à essorer.
Ce soir, songe-t-elle, je compte lui faire passer le goût du voyeurisme : surprise ! Surprise ! Je vais le faire jouir à le faire crever, ce porc et rien de plus simple. Il suffira que je laisse la lumière de ma chambre allumée, avec mes rideaux grands ouverts. Mes gestes, plus que suggestifs, vont lui faire un numéro d’effeuillage dont il se souviendra ; il va pouvoir retrouver une seconde jeunesse. Mon seul regret est de ne pouvoir en profiter visuellement : dommage…
Eh oui ! C’est tout le problème ; à la fois produire et voir le spectacle m’est impossible. Enfin, il faut que je sois logique avec moi-même et que je garde raison. Je ne peux pas être acteur et spectateur.
Elle passe avec délectation ses doigts fins et longs, aux ongles manucurés, sur ses lèvres qui continuent de sourire, comme une bienheureuse. Elle savoure cet instant qui l’émoustille au creux de son ventre avec un sentiment de jouissance heureuse. Quel bonheur, ces moments d’extases simples ! Elle aime son corps, plus, elle s’aime. Rien que de penser à la nuit tombée et au jeu de séduction qu’elle va servir, elle succombe sous ses chaudes pensées, dans une sieste heureuse.
Le soir venu, lorsque le noir enveloppe toute la maison, le moment attendu est arrivé. Julie ouvre sa fenêtre en grand et allume dans sa chambre. Comme prévu, elle commence doucement à se déshabiller, à la manière d’une effeuilleuse, jetant avec des gestes lents ses vêtements, du bout de ses doigts. Ils sont cadencés au rythme d’une musique lancinante, elle est prête à vous envoûter.
C’est tout doucement, souplement, lentement qu’elle joue avec son corps sur un slow ensorcelant, en se trémoussant, se tournant et se retournant, pour affoler de plus en plus son public qui ne peut être que présent. Elle lui fait la totale. Une fois nue, allongée sur son lit, elle prend des poses de plus en plus suggestives et osées. Certaine d’avoir envoûté son monde, subitement, elle éteint la lumière et sort en catimini de sa chambre, fière de sa prestation gratuite. Une bonne douche et puis chaud son lit, ne pas penser à demain, au regard cinglant de sa maîtresse femme…
Elle est dans la fleur de l’âge, où la raison, propre à ses 23 printemps, n’est pas encore acquise et, pour elle, le vieux qui la mâte, la soixantaine bien tassée, n’a que ce qu’il mérite. Et comment pourrait-elle expliquer à quiconque que de par sa jeunesse, jouer ainsi avec cette domination simpliste qui accélère son propre rythme cardiaque et qui lui est, disons, agréable, elle se l’estime tout simplement permis, car le mot exact est indéfinissable, tant elle ressent du plaisir qui va bien au-delà de la jouissance. À cet âge où, justement, le fait d’être jeune permet tout, surtout le droit de ne pas avoir deux sous d’indulgence vis-à-vis de la gent masculine.
S’il n’a pas avalé ce soir son extrait d’acte de naissance, elle compte bien rééditer sa prestation, mais une autre fois, plus tard. Laisser du temps au temps, il ne faudrait pas qu’on l’accuse, injustement d’avoir voulu faire trépasser son voisin… Donc, si demain matin il a encore bon œil, elle rééditera, mais vraiment beaucoup plus tard car, demain, par le bateau en provenance de Lorient, arrive son amie Annabelle. Elle lui révélera son jeu de séduction, rien que pour en rire, et pourquoi pas si elle veut participer d’ici la fin de ses vacances…
Le soleil brille ce matin, toujours avec générosité. Seul problème, le vent qui souffle par rafales de 90 à 110 km/h. Le ferry en provenance de Lorient est chahuté par la mer. Le bleu profond de l’eau paraît l’engloutir en le bousculant, le chahutant dans ses flots tumultueux. Il plonge et ressurgit en se cabrant. Ses passagers doivent avoir le cœur bien accroché pour ne pas chavirer. Les novices, qui font leur première sortie en mer, ne sont pas à la fête, le roulis les berce avec brutalité. Les quarante-cinq minutes de traversée leur donnent un sentiment d’écœurement. Seuls les enfants s’en amusent et c’est un réel plaisir que de les voir se tenir en équilibre, partant de droite et de gauche au rythme des rouleaux, des paquets de mer qui semblent s’amuser à déséquilibrer le navire. Ils sourient en criant de joie, au simple fait d’arriver seulement à rester debout.
Le bateau accoste enfin à l’île de Groix, à Port Tudy. Les îliens, tout comme les visiteurs, en descendent à la queue leu leu. Annabelle, petit bout de femme toute en rondeurs, appétissante à souhait, débarque sur le quai, avec les derniers estivants. Ses cheveux bruns, coupés à la garçonne, enfouis sous un volumineux chapeau de paille, lui donnent un air coquin. Ses beaux yeux malicieux se cachent derrière des lunettes fumées. Tout en elle est avenant. Lorsque vous la rencontrez pour la première fois, par réflexe, l’envie vous prend de la serrer dans vos bras, tant son sourire franc peinturluré d’un rouge vermillon vous invite à la cajoler. Julie, qui l’adore, en profite et, justement, s’y jette en piaillant et trépignant comme une gamine.
— Oh là là ! Oh là là ! Comme je suis heureuse, tu as pu venir, comme on va bien s’amuser, tu vas voir, j’en ai à te raconter, si tu savais…
— Toi, tu as encore fait des bêtises ? C’est plus fort que toi, tu les cherches, un jour tu vas t’en mordre les doigts, ma jolie.
Julie hausse ses épaules en riant.
— Écoute Annabelle, on a bien le droit de s’amuser, c’est de notre âge. Non ?
— Je te connais, tu vas avoir encore de bonnes raisons. Tu sais, ta conduite n’est pas sérieuse, parfois même elle me fait peur.
Julie préfère ne pas répondre ; elles sont là pour passer de bons moments ensemble, donc, à quoi bon ? Autant l’aider, sans un mot, à porter son gros sac volumineux dans lequel celle-ci a pris soin de mettre des livres, en grand nombre, pour faire farniente à la plage.
— Pourquoi as-tu donc besoin d’amener autant de bouquins ?
— Quelle question ! Tout bêtement parce que je compte lire pendant mes vacances. Rêvasser sur le sable à ne rien faire, non, merci, ce n’est pas pour moi. Toutefois, avec une bonne et saine lecture, je dis oui !
Julie hausse ses épaules et lui rétorque :
— Saine, c’est toi qui le dis. Des polars, pour de la bonne lecture, tu repasseras.
Annabelle, du tac au tac :
— Tu apprendras, ma belle, que tout livre est bon à lire et que malgré ton ressentiment d’intellectuelle de bas étage, tu devrais essayer. Cela te remettrait les pieds sur terre. Sache que j’apprends au contraire beaucoup en me distrayant et en passant de bons moments. Contrairement à tes idées préconçues, tu sauras que beaucoup d’auteurs prennent même un grand plaisir à te faire voyager dans ton imagination.
Puis elle enchaîne, comme pour lui faire la leçon, avec une certaine indulgence dans la voix :
— Les personnages, tu te les imagines ressemblant à telle ou telle personne de tes connaissances ; avec leurs travers et leurs sentiments. Parfois aussi, leurs passages dans tel endroit au bord de la mer, ou dans une ville que tu as visitée. Tu te remémores y être allée un jour, tu t’y vois ou t’y revois. De plus, j’apprécie vraiment car l’histoire et la géographie de notre Bretagne y sont souvent présentes. Je veux bien autres temps, autres mœurs, mais, vois-tu, je suis également fière de lire des bandes dessinées. Avec elles aussi, je voyage et même à travers le monde : un cowboy qui mâchouille son brin d’herbe (avant, il fumait une cigarette !) ; et ce gaulois super sympa avec de grandes baccantes qui donne aux jeunes adolescents l’envie de lire ; et notre Achille (pas le talon d’Achille) (Annabelle se met à rire de bon cœur, de son ajout : talon d’Achille), oui, le Achille Talon, toujours bien habillé, avec un vocabulaire digne d’un érudit : « outrecuidant, béotien » ; admets vraiment que tu juges sans savoir…
Julie fait la moue en retroussant ses lèvres et fronçant son nez, en signe de dégoût. Puis désabusée :
— Eh oui, je suis ignare, tu le sais et là tu me cherches.
Annabelle commence à s’énerver ; qui la connaît bien la voit grincer quelque peu des dents ; mais son amie se prend pour qui ? Une vertueuse qui se prétend inculte simplement pour avoir le dernier mot. L’amitié c’est comme l’amour, parfois ça dérape. Elle ne se contrôle plus : est-ce dû à sa nuit agitée, à son réveil en sueur vers cinq heures du matin, après avoir visionné une vidéo retransmise sur une chaîne de télévision ? C’est donc d’un ton violent qu’elle enchaîne :
— Sache d’ailleurs que j’ai en horreur cette nouvelle société sans humanité, aseptisée, qui colle à la peau de certains. Elle n’est pas pour moi et pas pour tout le monde, heureusement. Depuis déjà longtemps, on laisse toujours des personnes s’exprimer à la télévision malgré des mots dits il y a bon nombre d’années, mais ce qui est dit est dit : « Quand une petite fille de cinq ans commence à vous déshabiller : c’est fantastique ! (sic1) ».
Julie la regarde, interloquée :
— Tu plaisantes, ce n’est pas vrai ! Hier au soir, une rediffusion t’a laissée entendre de tels propos ? Un cochon a osé dire ça et, de plus, si je comprends bien, c’était en direct à la télé ? Crois-moi mais ce type est un abruti de première ! En plus d’être un cochon dégueulasse. Et il n’a jamais été censuré ? Donne-moi son nom que je l’écrabouille sur les réseaux sociaux.
— Sors de ta bulle de confort et tu le trouveras toute seule. À moins qu’un organisme audiovisuel ne l’ait fait disparaître ! Hier, la diffusion de trop… Je dois admettre que cet individu, tu vois, je ne dis pas ce monsieur car il ne mérite pas ce respect, a les dents longues, elles rayent même le parquet, donc pour l’atteindre…
Le ton est acerbe et sarcastique, il a monté encore d’un cran. Julie regarde Annabelle avec amitié et indulgence, elle comprend mieux la rage de son amie. Calmement, elle pense que, bien évidemment, tout livre est bon à lire. D’ailleurs, il en faut pour tous les goûts, mais là n’est pas le problème. Elle ressent que son amie est mal, que les propos qu’elle a entendus la veille l’ont ébranlée, même traumatisée au point de la faire dérailler :
— Chérie ! Chérie ! C’est bon ! Ne monte pas sur tes grands chevaux, je vois bien à ta tête, et surtout après une nuit sans sommeil, que tu n’es pas dans ton assiette. J’ai tort, j’en conviens et, surtout, acceptes mes plus plates excuses. D’ailleurs, pour te faire plaisir, je vais essayer de lire l’un de tes bouquins, tu n’auras qu’à me conseiller. Je suis novice avec les polars, il me faut seulement un peu d’aide.
Julie termine sa phrase avec un clin d’œil à son amie, en lui offrant même un franc sourire. Celle-ci n’est toutefois pas dupe :
— Inutile de faire ça pour moi, fais-le donc pour toi et tu verras alors comme j’ai raison et, j’en suis persuadée, tu y prendras vraiment goût.
Elles se sont arrêtées au bout du quai ; le gros sac, qui fait son poids, est posé à terre. Cette discussion animée par des éclats de voix et les grands gestes d’Annabelle ne passe pas inaperçue. Julie veut calmer son amie, l’amitié, pour elle, c’est sacré :
— Ne prends pas la mouche ainsi, je vais en feuilleter un, je viens de te le dire, je suis ouverte à toute lecture, tu me connais…
— Oui ! Je te connais et trop bien, justement, tu juges facilement et sans savoir. Même trop souvent, il n’y a que ta façon de voir qui prévaut.
— Hé, cocotte ! Nous n’allons pas commencer nos vacances par un accroc, je suis comme je suis, ce n’est pas maintenant que je vais changer. Allez ! Au diable tout ça, nous sommes là pour nous amuser.
Annabelle comprend qu’elle a, disons, disjoncté (comme disent les jeunes). Elle prend avec tendresse Julie dans ses bras. Celle-ci se laisse faire, elle lui susurre à l’oreille :
— Tu as raison, je ne pourrais et ne veux te changer. De toute façon, c’est impossible. Excuse-moi ! Ton mépris sur mes lectures m’a fait déraper. Pour moi, c’est un sujet sensible, je suis désolée.
Elles reprennent le sac et, comme si rien ne s’était passé, se dirigent vers la voiture de Julie. En passant devant un escalier, à flanc de falaise, sur lequel poussent de l’herbe et des fleurs en été, Julie, qui ne veut pas remettre de l’huile sur le feu en reprenant leurs chicaneries, lui dit :
— Viens ! Je veux te montrer quelque chose.
Après avoir monté quelques marches, elles se trouvent au-dessus du port et se sentent tout de suite ailleurs ! Quelques pas et l’unique conserverie artisanale de poissons encore en activité les accueille.
— Regarde comme c’est beau. J’adore cette île et tout ce qui s’y rattache. Cette vue n’est-elle pas magnifique ?
Julie redresse son menton et, d’un air professoral, enchaîne :
— Je vais t’apprendre un petit bout de l’histoire de mon île, cette île si chère.
— Ton île ! Elle t’appartient donc !
— Ne me cherche pas, s’il te plaît, je disais donc, mon île :
Au début du 20e siècle, on dénombrait cinq fabriques dédiées à la conservation de la pêche au thon, à la groisillonne2, pratiquée sur les célèbres « dundees » thoniers (des bateaux de pêche à voile). Fragilisées par la transformation des méthodes de pêche, les conserveries ont malheureusement toutes disparu, à l’exception de cette conserverie artisanale.
Le pari fut ambitieux de vouloir conserver celle-ci au début des années 2000, le but étant de poursuivre la tradition. Les premiers temps furent difficiles,mais les recettes, toutes plus délicieuses lesunes que les autres, ont reçu un tel accueil du public que la conserverie est aujourd’hui sauvée. Je vais te présenter Jean, Sylvie et Patrick qui font partie des 8 employés qui vivent sur l’île toute l’année.
Le responsable de la conserverie vient à leur rencontre. Il explique, s’adressant à Annabelle, Julie connaît, que la conserverie transforme exclusivement des poissons pêchés en Atlantique Nord-Est, qu’elle se procure aux Marées de Lorient et du Guilvinec. Ce sont de gros mareyeurs qui permettent à la conserverie de disposer de pêches fraîches, en provenance de toute la Bretagne : ports de Roscoff, Douarnenez, Lorient et Guilvinec. La conserverie s’approvisionne également en bars de ligne, fournis par un pêcheur groisillon.
— La cerise sur le gâteau (ajoute Julie avec un grand sourire), toutes les recettes sont cuisinées sur l’île, sans colorants, sans conservateurs, ni exhausteurs de goût ou épaississants. Un travail sur le goût remarquable et remarqué !
— En effet, mesdemoiselles, la conserverie a reçu en 2011 le prix « Coup de Cœur en Bretagne ! ». C’est un coup de cœur également pour ces hommes et femmes qui poursuivent, avec grand talent, la tradition de l’île de Groix.
Après avoir acheté un pot de « Confit au homard, au Kari Gosse à gratiner » sur des tartines de pain à l’apéritif et également un pot de « Rillettes aux noix de Saint-Jacques à la Bretonne à gratiner », elles prennent congé.
C’est en riant comme de petites folles qu’elles se dirigent à nouveau vers la voiture de Julie. Au loin, une petite Twingo de couleur violette, décorée d’autocollants3 de grandes tailles, les attend garée le long du trottoir. Sur chacune des portes sont appliqués avec soin : à droite un titi et un bip bip ; à gauche un gros minet et un coyote. Le diable de Tasmanie est sur le capot ; Bugs Bunny et sa copine sont collés sur le coffre.
Julie, accompagnant sa phrase d’une génuflexion et d’un revers gracieux de la main :
— Chère Annabelle, je te présente ma « Poupette ».
— Eh bien, ma belle !
Rétorque aussitôt son amie :
— Si c’est pour passer inaperçue sur l’île, ce n’est pas gagné. Avec toute cette ribambelle de personnages, collés sur ta carrosserie, ta maîtresse a fait fort. Elle doit vouloir faire sourire sur son passage et surtout qu’on la remarque. Crois-moi, si tu veux mon avis, c’est réussi.
— Évidemment ! Être heureux n’a jamais tué personne, bien au contraire. Avec moi, la grisaille n’est pas de mise. L’on me prend comme je suis, sinon, adieu va.
— Je sais, je sais…
Nos deux petites folles ne pouvaient, de toute façon, pas être remarquées : deux fofolles, heureuses de vivre. C’est bras dessus bras dessous, avec le gros sac et la valise qui se traîne en arrière, forçant parfois le passage, qu’elles arrivent enfin à destination : le coffre de la voiture. Bien évidemment, plus d’un passant s’est cru dans l’obligation de se retourner, leur jeunesse étant un atout supplémentaire. Rien qu’à les croiser, les yeux brillent de convoitise et les sourires se montrent avenants, presque coquins. Allez ! Mettre les bagages dans la voiture et la montée qui se gère en un tour de main.
— Julie, sais-tu qu’en patientant sur le bateau, j’ai lu un article dans le journal sur la « Sailing Valley », située entre Brest et Vannes ? Si tu le veux bien, nous pourrions y aller un de ces jours.
— C’est tout toi Annabelle, tu ne viens qu’un petit mois et à peine arrivée, tu veux visiter un tel endroit ? Tu me barbes !
— Je sais, mais je ne peux venir ici sans m’y rendre ; une journée, ce n’est pas la mer à boire… Tiens écoutes ! Je te lis le début de l’article et pour la suite je t’en fais un résumé. Sois sérieuse écoutes, c’est super bien, tu vas apprécier :
« L’excellence » bretonne est à l’honneur, avec sa « Sailing Valley », qui s’est formée depuis une dizaine d’années, tirée par une course au large, qui exige toujours de nouvelles technologies ; son nom a été choisi, en référence à la « Silicon Valley ».
Cette « Sailing Valley » est organisée en filières ; des architectes, des équipes performantes aux teams de course, constructeurs de voiliers, fabricants de mâts en carbone, de voiles légères et résistantes ; de pièces en composite, fabriquées sur mesure, font que la Bretagne concentre à elle seule, 90 % de ce qui se fait de mieux, dans la course au large.
Des entreprises ont su tirer parti, de ces innovations technologiques, en diversifiant leurs activités : hydroliennes, matériel médical, aéronautique, industrie du luxe…
Une étape est prévue à Lorient du 9 au 16juin : « La Volvo Océan Race » va offrir : une belle vitrine internationale du savoir-faire, de la « Sailing Valley ». En 2014, lors de la précédente émission, les concurrents avaient été impressionnés, par la qualité du site et les compétences du tissu économique, impliquées dans la course au large.
Et puis nous y verrons de beaux garçons bronzés, aux muscles saillants, tu pourras leur faire ton œil de gazelle ; tu sais, comme tu le fais si bien, l’air de pas y toucher ?
Julie fait la moue, son amie la connaît parfaitement, mais pas la peine d’en rajouter. Elle répond d’un air évasif :
— C’est à voir, peut-être…
— Parle-moi un peu de ton île. J’ai lu : « Qui voit Groix, voit sa joie ! ». Certains disent aussi : « Qui voit Groix, voit sa croix ! », mais personnellement je préfère la première version, elle est plus à mon goût.
— Avant d’aller à la maison, je te fais faire un tour rapide ; nous prendrons les prochains jours à venir, le temps de la visiter à vélo, c’est plus agréable.
Tu sais notre Église est spéciale, regardes en haut du clocher, nous avons un thon qui fait office de girouette et non pas un coq, comme les autres. Admets que tu n’as jamais vu ça ailleurs ? Nous avons également une spécificité, des roches bleues qui ne se trouvent que chez nous et au Groenland ; elles sont striées de couleurs bleu vert et jaune, nous les appelons : Grenats.
De 1870 à 1940, nous étions le premier port français de thon : c’est notre fierté. Nous regrettons seulement que cela n’ait pas perduré…
Notre île fait 8 km de long et 3 km de large. Port Lay, petit port de pêche, regarde comme c’est beau ! Et le port Saint-Nicolas, tu vas voir : un réel joyau.
Sur cette île, tout m’enchante, de plus, le climat est tempéré. Nous apercevons de la pluie sur le continent et nous, nous sommes bien au sec ; admets que nous avons de quoi garder notre sourire, rivé en permanence sur nos lèvres.
— Pour avoir l’air idiot !
— Annabelle si tu me cherches, tu vas me trouver ma belle, surtout si tu continues sur ce ton… Ton humour à deux balles, tu sais ce que j’en pense ?
— Si on ne peut plus plaisanter, je retourne direct sur le continent.
Elles se toisent toutes deux du regard, puis éclatent de rire. C’est ça l’amitié : un sentiment fort partagé ; s’amuser à agacer gentiment et plus durement parfois, pour mieux se retrouver. C’est comme en amour disent certains, il faut savoir se taquiner, se chiner, se chercher, se tester même, pour mieux se connaître et s’apprécier et s’aimer toujours plus. Le trop plat ne conduit à rien et le coup de foudre est plus que rare.
La petite « Poupette » se gare, à l’intérieur d’un jardin fleuri, devant une petite maison de pêcheurs de couleur blanche, aux volets bleus. De jolis rideaux blancs, crochetés à la main, habillent les fenêtres.
— Voici mon paradis. Cette maison était à mes grands-parents. Aux vacances, elle m’a vue revenir plusieurs fois l’année. La visite va en être sommaire, deux petites chambres à l’étage, avec un grenier où des vieilleries sont entassées. Au rez-de-chaussée, un cabinet de toilette spacieux, avec douche et lavabo. Les w.c. sont indépendants mais surprise !
Elle ouvre la porte en grand :
— Regarde sur le mur du fond, un pote sympa m’a peint ce phare qui éclaire les bateaux sur la mer. Admets que c’est réussi. Ici, nous sommes dans la cuisine ; cette porte franchie, c’est la salle à manger et le salon avec cheminée, que nous n’allumons jamais, puisque cette maison ne sert, pour ainsi dire, qu’aux vacances. Voilà tu as tout vu, nous avons le minimum vital, pour passer justement de bonnes vacances.
— Pour un mois de farniente, c’est parfait. Je suppose que pour le ménage, pas besoin d’en parler, puisqu’on a vite fait le tour de ta propriété.
— Quel mot tu viens d’employer ? Ménage ! Sache qu’ici il est inconnu. Lorsque je rentrerais sur le continent, une femme charmante est prévue, elle a d’ailleurs la clef ; donc tu me fais le plaisir, de bannir ce mot de ton vocabulaire.
Pour la mer, elle est à 10 minutes à pied et pour s’y rendre, c’est tout en descente. Après au choix, soit : on se fait dorer la pilule sur la plage, ou derrière la maison, sur le petit carré de pelouse que tu as vu en arrivant. Tu peux même le faire en monokini, pour que le vieux derrière le mur bave. De la bonne chair fraîche, qu’il ne peut pas toucher, c’est un régal pour ses yeux avides.
Elle accompagne sa dernière phrase, en agitant et recroquevillant ses doigts devant elle, comme pour mimer un loup-garou, avide de viande qu’il ne peut toucher.
— OK ! Je comprends mieux, tu as un voyeur assidu et tu veux ma contribution pour le faire tanguer et même chavirer, que dis-je succomber, pour lui faire passer l’envie de te mâter dans ton pré carré, et tout ça sans rien donner ?
— C’est de bonne guerre, je suis chez moi et il doit monter sur un escabeau, pour regarder de ses gros yeux globuleux. Avec deux nanas, il va devenir fou.
— Et s’il nous fait un malaise ? Là, on est mal…
Julie hausse ses épaules. Il peut trépasser, cela l’indiffère. Un pourri de moins, songe-t-elle, cela ne m’empêchera pas de dormir.
Le soleil, ce matin, contrairement à la veille, brille par son absence. Quelques brumes, ou nuages bas persistent ; le vent est faible à modérer. Le capitaine Michel Le Goff lit son journal, en prenant son petit-déjeuner au café du coin. Ce matin, de devoir rester seul chez lui devant son bol, il n’en avait pas vraiment envie. Bon Dieu ! Prends une femme. À l’heure actuelle, on n’a pas besoin d’épouser pour être accompagné… De plus, si elle ne te convient pas, libre à toi d’en changer. Tu vieillis Michel, tu vas commencer à avoir de la bouteille, méfie-toi, les belles plantes intelligentes ne vont pas t’attendre… Tu rabâches encore et toujours la même chose et tu n’agis pas, mais bouge-toi donc.
Avec un peu de nostalgie, il pense à ce week-end à Bristol, en Angleterre. À Christine Murphy4, son amie anglaise, qui possède tous les attraits qu’il désire ; mais lui demander de quitter son pays et son travail, il ne faut pas y songer. Pourquoi ne pas l’appeler, pour cette fin de semaine ou la suivante ; il pourrait prendre l’avion…
Yann le patron l’a encore accueilli en bougonnant et toujours avec la même petite phrase monocorde :
— Bienvenu capitaine, aujourd’hui vous allez encore nous arrêter des méchants ?
— Oui ! Yann, comme toujours. Croyez que nous allons faire de notre mieux.
C’est bien installé devant son café fumant et ses tartines largement beurrées, au bon sel marin breton, qu’il plonge le nez dans son quotidien, pour ne parler à quiconque.
Il y lit : « Bac » une grande organisation, qui demande une mobilisation du proviseur aux surveillants et aux enseignants. Ce jour « J » les candidats vont être en pleine réflexion, toute la matinée ; espérons qu’ils sauront donner la pleine mesure de leurs connaissances et qu’il y aura beaucoup de réussite.
Arrivé à la gendarmerie, notre capitaine se rend directement au bureau du commandant Le Bihan. Dès la porte passée, le gendarme de service posté à l’entrée l’a prévenu :
— Capitaine bonjour, le commandant veut vous voir illico presto.
— Qu’y a-t-il donc de si urgent ?
Le gendarme hausse ses épaules, il ne sait, il transmet. En traînant ses pieds, le capitaine va frapper à la porte du commandant, il ne veut pas penser ; il n’a rien à se reprocher, donc ! Voyons voir ce qu’il attend de moi aujourd’hui et de si urgent.
— Ah ! Le Goff bonjour. Bonne nouvelle, votre demande de vacances est acceptée, vous pouvez partir comme vous le souhaitiez, ce soir pour trois semaines. Je sais, elles sont bien méritées ; vous avez fait, ces derniers mois, de l’excellent travail. Nous avons quelqu’un pour vous remplacer ; il nous arrive cet après-midi, vous aurez ainsi le reste de la journée, pour le mettre au courant sur les affaires en cours : le capitaine Jean-Paul Le Meur,5 vous connaissez ? dit-il, avec un sourire à peine esquissé.
— Merci commandant. C’est un homme que j’estime, il sera en parfaite adéquation, avec le lieutenant Cipriani ; c’est déjà une bonne chose, que de se connaître et s’apprécier. Quant à moi, j’ai bien besoin de respirer, au moins pendant un temps, l’air du grand large ; c’est avec grand plaisir que je lui passe le relais.
— Où comptez-vous vous rendre, si ce n’est pas indiscret ?
— Sur l’Ile-aux-Moines, dans le golfe du Morbihan. Là-bas, notre famille possède une petite maison, que mes grands-parents ont héritée de leurs parents. Maintenant, seule ma grand-mère y réside en permanence. Je peux dire, qu’elle y est d’autant appréciée, qu’elle y est née et connaît tout le monde sur « son île », comme elle aime nous le rappeler. Nous nous y retrouvons, tantôt avec les uns, tantôt avec les autres : oncles, tantes, cousins, cousines, neveux, nièces, avec le plus grand des plaisirs. Nous sommes trop nombreux, pour y être tous ensemble réunis, mais chacun vient dans l’année, au gré de ses envies.
— Quelle chance vous avez, moi je dois louer…
Le capitaine Michel Le Goff se trouve à Port Blanc, sur la cale de l’embarcadère, sa valise à ses pieds. Il embrasse l’Ile-aux-Moines, d’un regard intense. Enfin me revoilà chez moi ; il respire la mer à pleins poumons, tout simplement heureux d’être là.
Cette île est un joyau, située au milieu du golfe du Morbihan ; elle fait 7 km de long, sur 3 km de large. L’ambiance y est douce, parfumée ; ses chemins étroits enjambent de mini-collines et de mini-vallons. Ses mini-bois de pins portent des noms idylliques : bois d’amour, bois des soupirs, bois des regrets. Au printemps : les camélias, hortensias, mimosas, envahissent l’île, c’est une féérie de couleurs.
Sa grand-mère, une petite femme quelque peu voûtée, par son grand âge, l’accueille à bras ouverts. Son sourire à pleines dents, fait resplendir son visage ; il reflète son amour pour son petit-fils, qu’elle accueille avec chaleur. Il en est heureux, pendant quelques instants il redevient gamin, devant ses petits yeux malicieux qui se plissent pour mieux le regarder. D’un geste rapide, elle essuie la larme qui coule discrètement, avec un coin de son tablier.
— Mon grand, quel bonheur, tu ne changes pas. Toujours aussi grand et toujours aussi beau ! Tu dois faire des ravages…
Il l’attire contre lui avec tendresse et la soulève d’un coup, pour faire claquer un bon gros baiser retentissant, sur chacune de ses joues. Elle rit aux éclats, comme une petite fille surprise, vraiment tout heureuse, même si ce même rituel se répète plusieurs fois dans l’année.
— Gros bêta, tu ne changeras jamais. Allez viens, entres ! Tu es ici chez toi…
À la terrasse d’une brasserie, quatre femmes entre deux âges rient aux éclats ; elles attirent les sourires et les regards des gens, qui passent devant elles et de ceux qui sont assis à proximité. Les histoires qu’elles se racontent doivent être bien croustillantes, pour leur faire un tel effet. Jugez plutôt :
« Vous savez les filles que les portables, près des pompes à essence, sont dangereux ? Toutefois, les ondes ne suffisent pas pour les enflammer, il faut au minimum une étincelle et qui sais en plein été, la chaleur et le soleil combinés… »
Elle s’arrête un instant, pour juger de son effet et enchaîne aussitôt : « une femme avec le feu aux fesses, c’est du pareil au même, près d’une pompe elle peut se faire sauter ! ».
« Les filles ! Moi aussi, j’en ai une bonne ; vous allez vous plier de rire, je l’ai reçue hier dans ma boîte mail, elle provenait de ma filleule, écoutez plutôt :
Dans le slip d’un homme, il y a 6 arbres :
c’est un petit hêtre,
plein de charme,
qui peut être dur, comme du chêne,
mais, quand il a fini son bouleau,
c’est un saule pleureur !
Sans oublier, qu’il peuplier. »
Les éclats de rire fusent de plus belle. Au bord des larmes et en suffoquant, l’une d’elles s’écrie : « n’en rajoutez pas s’il vous plaît, c’est trop bête, nous allons mourir de rire et nos culottes… » Elle accompagne ses mots, en balançant sa main droite devant elle, en signe d’arrêt et en se tordant sur sa chaise. En un mot, elles sont toutes au bord de l’asphyxie.
Presque timidement, l’une d’elles : « Excusez, les filles, moi je n’ai pas de telles histoires comme vous à raconter ; mais je peux vous dire qu’à l’université j’ai connu une fille, du nom de Kareskakis, que j’avais surnommée, avec un brin d’humour cela s’entend : “caresse les cuisses”. Je sais, ce n’est guère gentil, mais ma jeunesse si ce peut être une excuse… ».
Le silence a remplacé les éclats de rire. Les yeux de ces dames se sont braqués sur elle, dans un silence presque religieux ; ils la fixent avec interrogation, semblant ne pas comprendre. Elle continue, dans un filet de voix qui s’étrangle :
« Elle avait des yeux, d’un bleu si translucide, qu’ils faisaient fondre le slip d’un homme. Ça compte ? »
Elle quémande une réponse favorable, peu sûre de son histoire et de son effet. Pendant quelques secondes, à la fin de sa dernière phrase, le silence s’est installé, avant qu’elles ne pouffent toutes de rire en cascade. Les larmes coulent, trop c’est vraiment trop.
Le capitaine est aux anges ; il a entendu leurs propos, savoure et se délecte de leur franc-parler ; son sourire et l’éclat espiègle de ses yeux, en disent long. Ces femmes libérées, qui n’ont pas peur de s’exprimer avec simplicité, gentillesse et un peu de verve crue, lui plaisent. Par contre, les chochottes, aux petites voix de gamines, celles que tout offusque, qui ont des airs de chasteté, lui donnent des boutons. C’est plus que compréhensible pour un homme libre, avec ses sens en éveil…
D’ailleurs, à y regarder de plus près, notre capitaine assis seul à deux pas, n’a pas l’air de laisser indifférentes ces dames. Il a terminé de déguster son bock de bière (breton cela s’entend) et se lève pour partir ; en passant devant elles, il incline légèrement sa tête pour les saluer, en appuyant son regard d’homme en vacances, disponible, prêt à les satisfaire si elles le désirent bien entendu. Son signe de tête lui est rendu avec de francs sourires, tous plus câlins et enjôleurs les uns que les autres.
Il est évident que des rencontres impromptues vont avoir lieu ; ces dames ne sont pas nées de la dernière pluie et pour les favoriser, il sait qu’il pourra compter sur chacune d’elles… Enfin peut-être, de bonnes vacances en perspectives…
Le portable du capitaine Le Goff se met à vibrer dans sa poche ; il prend l’appel d’un air chagrin, faisant même la moue, pressentant que cette vibration ne présage rien de bon.
— Bonjour capitaine. Je me présente : capitaine Paul Barnès, de Lorient. Excusez mon intrusion dans vos vacances, mais vous sachant si près, sur l’île aux Moines, je n’ai pu résister. Je suis dans l’embarras, mon second est indisponible et comme votre perspicacité n’est plus à prouver… Il me faudrait un petit coup de main, sur deux meurtres à l’île de Groix. Vous m’obligeriez vraiment, en acceptant de me donner un coup de main dans cette affaire.
— Vous êtes bien gentil, mais vous me cassez ma baraque. Mes touches non négligeables, auprès de la gent féminine, me prévoyaient un avenir proche des plus sympathique…
— Je compatis croyez-le bien. Vous vous rattraperez en revenant… Je vous fais confiance, d’autant que vous ne quitterez votre île que peu de temps, tout du moins je l’espère ; car avec votre aide, cette enquête va être menée tambour battant. Si vous acceptez, votre commandant étant d’accord, oui je me suis permis de le contacter, mais à vous de prendre la décision, il vous en laisse le choix…
Le capitaine Le Goff ne connaît pas son correspondant, mais il est toutefois persuadé qu’un large sourire illumine son visage ; même si ses flatteries à deux balles, il n’en a cure, comme son commandant a donné son aval, difficile de l’envoyer paître… D’un ton bourru :
— Nous nous retrouvons où ?
Barnès lui répond aussitôt :
— Le plus tôt possible, je suis à l’embarcadère de Lorient, je vous y attends ; le bateau en partance pour la traversée est prévu dans une heure trente : pour le prendre en ma compagnie, il vous suffit d’appuyer un peu sur le champignon, mais encore libre à vous. Toutefois, si vous pouviez venir maintenant ce serait parfait, nous ferions ainsi connaissance pendant la traversée…
Le capitaine Le Goff est passé rapidement embrasser sa grand-mère et prendre quelques effets ; puis il a sauté dans le premier bateau à quai, pour traverser le bras de mer, qui le sépare de l’île aux Moines du continent. Pour arriver à l’heure à l’embarcadère de Lorient, il a mis le gyrophare. Arrivé disons à bon port, dans le hall de la compagnie maritime, il aperçoit déjà à quai, le bateau qui doit l’emmener sur l’île de Groix. Il regarde avec attention autour de lui ; un homme assis à la cafétéria semble en attente… Un léger sourire satisfait effleure ses lèvres, en le reconnaissant ; une description précise de sa personne a dû en être faite par le commandant, car il se lève aussitôt la main droite tendue. En quelques secondes, le capitaine Barnès est jaugé et détaillé, d’un seul coup d’œil : de taille plutôt moyenne 1,60 m, 1,65 m tout au plus, rondouillard, disons bien en chair. Des lunettes fumées, derrière lesquelles il se cache ; un chapeau-feutre noir et un imperméable gris foncé, qui épouse ses formes : rien pour l’avantager. De plus, il a des moustaches discrètes, trois poils qui se battent en duel ; mais comme le dit si bien sa grand-mère, paroles d’un autre temps, « un homme sans moustaches, est comme une soupe sans sel » : comprendra qui veut !
— Merci encore d’accepter de m’épauler capitaine ; ma satisfaction est grande, de faire enfin votre connaissance, depuis le temps que je désire vous rencontrer.