Extrait : "Le titre de cet essai paraîtra peut-être à certaines personnes en désaccord avec les opinions philosophiques que j'ai professées toute ma vie et avec la grande école vers laquelle m'avait acheminé l'étude des sciences avant que j'eusse entendu la parole du maître. Que ces personnes se rassurent, la contradiction n'est qu'apparente..."
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 336
Veröffentlichungsjahr: 2015
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
EAN : 9782335033342
©Ligaran 2015
Le titre de cet essai paraîtra peut-être à certaines personnes en désaccord avec les opinions philosophiques que j’ai professées toute ma vie et avec la grande école vers laquelle m’avait acheminé l’étude des sciences avant que j’eusse entendu la parole du maître. Que ces personnes se rassurent, la contradiction n’est qu’apparente. En dehors des éléments de géométrie analytique que les biographes oublient de mentionner, je n’ai accepté des écrits d’Auguste Comte que son cours de philosophie positive. Encore ai-je dû retrancher maints passages où se révèlent déjà les tendances bien connues du « grand prêtre de l’humanité », tendances regrettables dans un ouvrage qui comptera parmi les œuvres capitales du siècle, et que je considère comme l’expression la plus haute qu’ait jamais atteint la pensée philosophique. Ce travail d’épuration traçait naturellement mon programme, et les idées que j’expose s’éloignent autant des rêveries du mysticisme que des hallucinations des spirites. Ne sortant pas du domaine des faits, n’invoquant aucune causé surnaturelle pour les interpréter, j’ai cru pouvoir donner à mon livre l’estampille du positivisme. Voici, au surplus, comment j’ai été conduit à des recherches si différentes de mes travaux ordinaires.
Personne n’ignore le grand développement qu’a pris depuis quelques années l’étude des aérolithes, leur connexion avec les étoiles filantes, les rapprochements entre ces dernières et les comètes, le rôle que jouent ces divers astéroïdes dans l’économie du monde solaire, les indications qu’ils fournissent sur la nature chimique de la matière disséminée dans l’espace, expliquent suffisamment le prix que les astronomes attachent à cette nouvelle branche des explorations célestes. Mais il n’y a guère qu’un demi-siècle qu’on a commencé à sentir l’importance de semblables recherches, et chaque fois que les journaux annoncent une chute de météorites, je ne puis m’empêcher de me rappeler le dédain superbe avec lequel les savants accueillaient autrefois toute communication de ce genre, et les dénégations obstinées qu’ils opposaient aux affirmations les plus précises. On connaît la réponse que fit un jour Lavoisier au nom de l’Académie des Sciences : Il n’existe pas de pierres dans le ciel ; il ne saurait, par conséquent, en tomber sur la terre. Il en fut ainsi jusqu’en 1803. Le 26 avril de cette année un bolide énorme, qui éclata aux environs de l’Aigle (Orne), couvrit de ses fragments plus de 40 kilomètres carrés de terrain. Plusieurs milliers de personnes ayant été témoins de ce phénomène qui s’était produit en plein jour, l’Académie des Sciences se décida à envoyer sur les lieux un de ses membres, Biot, pour procéder à une enquête. À son retour, ce dernier mit sous les yeux de ses collègues les échantillons qu’il avait rapportés, et finit par convaincre les incrédules. Il pouvait donc tomber des pierres sur le sol, bien qu’au dire des savants il n’en existât pas dans le ciel. Voulant tirer les astronomes de ce mauvais pas, Laplace calcula que les volcans lunaires possédaient une force de projection assez grande pour lancer des quartiers de roches a la distance où l’attraction de la terre devient prépondérante sur celle de son satellite. Dès lors ces projectiles devaient retomber chez nous. Plus tard on s’aperçut que ces astéroïdes circulaient en légions innombrables autour du soleil, et diverses observations leur firent assigner pour origine les traînées de matière cosmique provenant de la rupture des queues cométaires. Les aérolithes, si longtemps niés des savants, se comptent aujourd’hui par milliers dans nos collections.
Les pluies de pierres n’étaient pas le seul phénomène de ce genre. Nombre de personnes avaient vu tomber une quantité considérable de crapauds au milieu des averses de certains orages ; on répondait à leurs affirmations par une variante du mot de Lavoisier : Il n’existe pas de crapauds dans les nuages ; il ne peut, par conséquent, en tomber sur la terre. Comme il fallait rendre compte de l’apparition de ces animaux qui recouvraient le sol, on ajoutait qu’ils provenaient d’œufs cachés sous les pierres, et que l’éclosion subite de ces œufs avait pour cause la chaleur et l’électricité qui accompagnent d’ordinaire les orages. On aurait pu objecter que le volume des nouveaux venus s’accordait mal avec la petitesse des œufs d’où on les faisait sortir, et que d’ailleurs ils avaient l’habitude de se présenter sous la forme de têtards avant de prendre celle de l’âge adulte. Mais les savants ne se laissaient pas arrêter pour de telles misères, et peu leur importait de donner une entorse aux lois les plus élémentaires de l’histoire naturelle, du moment que leur principe était sauvegardé. Une pluie d’oranges étant survenue à la suite d’un ouragan, on apprit bientôt que ces projectiles de nouveau genre provenaient d’une orangerie voisine qui avait été dévastée par la tempête. Cette découverte donna à réfléchir, et l’on se mit à étudier de plus près la marche et la nature des orages qui produisaient de tels phénomènes. On ne tarda pas à reconnaître qu’on avait affaire à des cyclones, dont les tourbillons emportaient tous les objets qui se trouvaient sur leur passage pour les déposer plus loin. Si une mare se rencontrait sur leur trajet, l’eau était aussitôt aspirée et allait retomber, avec sa population aquatique, dans quelques localités des environs. Il pouvait donc tomber des crapauds sur le sol bien qu’il n’en existât pas dans les nuages.
Il était permis de supposer que de telles leçons ne seraient pas perdues, et que les personnes se disant sérieuses se montreraient à l’avenir plus circonspectes dans leurs dénégations systématiques. Il n’en fut rien. Les notions fausses que nous puisons dans nos préjugés, ou dans une éducation scientifique incomplète, impriment à notre cerveau une sorte d’équation personnelle dont nous ne pouvons nous débarrasser. Pendant trente ans j’ai ri de la réponse de Lavoisier, sans m’apercevoir que j’invoquai le même argument dans l’explication de certains phénomènes non moins extraordinaires que les pluies de pierres ou de crapauds. Je veux parler des bruits étranges qu’on entend parfois dans certaines habitations et qu’on ne peut rapportera aucune cause physique, du moins dans le sens vulgaire que nous donnons à ce mot. Une circonstance digne de remarque vient doubler la singularité du phénomène. C’est que ces bruits n’apparaissent d’ordinaire qu’après la mort d’une personne du logis. Étant enfant je vis en émoi tous les habitants d’un canton. L’abbé Peytou, curé de la paroisse de Sentenac (Ariège), venait de mourir. Les jours suivants il se produisit dans le presbytère des bruits insolites et si persistants que le desservant qui lui avait succédé fut sur le point d’abandonner son poste. Les gens du pays, aussi ignorants que superstitieux, n’étaient point embarrassés pour expliquer ce prodige, lis déclaraient que l’âme du défunt était en peine parce qu’il n’avait pas eu le temps de dire avant sa mort toutes les messes dont il avait reçu le prix. Pour mon compte, je n’étais nullement convaincu. Élevé dans le dogme chrétien, je me disais que l’abbé Peytou avait définitivement quitté la planète pour une des trois résidences posthumes : le Ciel, l’Enfer, le Purgatoire, et je supposais les portes des deux pénitenciers trop solidement verrouillées pour qu’il lui prît fantaisie de retourner en arrière. Plus tard, étant entré dans un autre courant d’idées autant par l’étude comparée des religions que par celles des sciences, je devins encore plus incrédule, et je prenais en pitié ceux qui prétendaient avoir assisté à de pareils spectacles. Les esprits, ne cessai-je de répéter, n’existent que dans l’imagination des médiums ou des spirites ; on lie saurait donc en rencontrer ailleurs. En 1868, me trouvant dans le Berry, je me fâchai tout rouge contre une pauvre femme qui persistait à affirmer que, dans-un logement qu’elle habitait à une certaine époque, chaque soir une main invisible lui lirait les couvertures de son lit, dès qu’elle avait éteint la lumière. Je la traitais d’imbécile, de pécore, d’idiote. Bientôt après survint l’année terrible. J’en sortis pour ma part, avec la perle de la vue, et chose encore plus grave, avec les premières atteintes d’une paralysie générale. Ayant été témoin des cures merveilleuses que produisent les eaux d’Aulus, dans le traitement de certaines maladies, notamment quand il s’agit de réveiller l’énergie vitale, je m’y rendis vers le printemps de 1871, et je pus arrêter les progrès du mal. La pureté de l’air des montagnes autant que l’action vivifiante des eaux me détermina à y fixer mon séjour. Je pus alors étudier de près ces vacarmes nocturnes que je ne connaissais que par ouï-dire.
Depuis la mort de l’ancien propriétaire des sources, rétablissement thermal était presque chaque nuit le théâtre de scènes de ce genre. Les gardiens n’osaient plus y coucher seuls. Parfois les baignoires résonnaient au milieu de la nuit comme si on les eut frappées avec un marteau. Ouvrait-on les cabines d’où partait le bruit, il cessait aussitôt, mais recommençait dans une salle voisine. Quand les baignoires restaient en repos on assistait à d’autres manifestations non moins singulières. C’était des coups frappés sur les cloisons, les pas d’une personne qui se promenait dans la chambre du gardien, des objets lancés contre le parquet, etc. Mon premier mouvement lorsqu’on me raconta cette histoire fut, comme toujours, l’incrédulité. Cependant, me trouvant en contact journalier avec les personnes qui avaient été témoins de ces scènes nocturnes, la conversation revenait assez souvent sur le même sujet. Certaines particularités finirent par éveiller mon attention. J’interrogeai le régisseur et les gardiens de rétablissement, les diverses personnes qui avaient passé la nuit dans les thermes, tous ceux, en un mot, qui, à un titre quelconque, pouvaient me renseigner sur ces mystérieux évènements. Leurs réponses furent toutes identiques, et les détails qu’ils me racontèrent étaient tellement circonstanciés que je me vis acculé à ce dilemme : Les croire, ou supposer qu’ils étaient fous. Or, je ne pouvais taxer de folie une vingtaine d’honnêtes villageois vivant paisiblement à mes côtés, par l’unique motif qu’ils répétaient ce qu’ils avaient vu ou entendu, et que leurs dépositions étaient unanimes.
Ce résultat inattendu me remit en mémoire des circonstances du même genre qu’on m’avaient racontées à d’autres époques. Connaissant les localités où ces phénomènes avaient eu lieu, ainsi que les personnes qui en furent témoins, je procédais à de nouvelles enquêtes, et là encore je fus forcé de me rendre à l’évidence. Je compris alors que j’avais été aussi ridicule que ceux dont je m’étais si longtemps moqué, en niant des faits que je déclarais impossibles, parce qu’ils ne s’étaient pas produit sous mes yeux, et que je ne pouvais les expliquer. Celle dynamique posthume qui, en certains points, semble l’antithèse de la dynamique ordinaire, me donna à réfléchir, et je commençais à entrevoir que dans certains cas, d’ailleurs assez rares, l’action de la personnalité humaine peut se continuer encore quelque temps après la cessation des phénomènes de la vie. Les preuves que je possédais me paraissaient suffisantes pour convaincre les esprits non prévenus. Toutefois, je ne m’en tins pas là, et j’en demandai de nouvelles aux écrivains les plus accrédités des divers pays. Je fis alors un choix parmi celles qui présentaient tous les caractères d’une authenticité indiscutable, m’attachant de préférence aux faits qui avaient été observés par un grand nombre de témoins.
Restait à interpréter ces faits, je veux dire à les débarrasser du merveilleux qui voile leur véritable physionomie, afin de les rattacher, comme tous les autres phénomènes de la nature, aux lois du temps et de l’espace. Tel est le principal objet de ce livre. Devant une tâche si ardue je ne saurais avoir la prétention de donner le dernier mot de l’énigme. Je me suis contenté de poser nettement le problème et d’indiquer quelques-uns des coefficients qui doivent entrer dans sa mise en équation. Mes continuateurs trouveront la solution définitive dans la voie que je leur ai tracée.
Un mot maintenant sur la marche que j’ai suivie. Au début, j’expose sans commentaire les faits qui me paraissent dignes de fixer l’attention et je ne m’arrête que quand ils sont assez nombreux pour reproduire les diverses circonstances qui peuvent se présenter dans une question si délicate et si obscure. Chaque fois on entrevoit un agent mystérieux qui se révèle par les manifestations les plus singulières et les plus variées. Ne voulant faire appel à aucune cause surnaturelle, je cherche s’il n’existe pas dans la nature vivante un principe peu connu jusqu’ici qui, dans certains cas et dans certaines limites, peut agir comme force active et indépendante. Je trouve ce principe non seulement dans l’homme, mais encore dans les espèces supérieures de l’échelle zoologique, de sorte que l’humanité posthume n’est, à vrai dire, qu’un cas particulier de l’animalité posthume, et que cette dernière se présente comme la conséquence immédiate du monde vivant.
L’étude de ce principe me conduit à celle du fluide magnétique, qui paraît en être le générateur. J’analyse alors les diverses manifestations de ce facteur de la psychologie, notamment dans le mesmérisme, et je trouve l’explication d’une foule de phénomènes, qui, n’étant connus que parleurs côtés merveilleux, semblaient ne pouvoir se rattacher qu’à la théologie proprement dite ou à sa sœur cadette, la démonologie. Débarrassée de toute interprétation surnaturelle, la personnalité d’outre-tombe apparaît dans sa physionomie propre, et l’on entrevoit l’origine des ombres, leur état physique et moral, le sort qui leur est réservé. L’idée philosophique du livre peut donc se résumer ainsi : faire rentrer dans le cadre des lois du temps et de l’espace les phénomènes d’ordre posthume niés jusqu’ici par la science, parce qu’elle ne pouvait les expliquer, et affranchir les hommes de notre époque des énervantes hallucinations du spiritisme.
Ouvrons ce chapitre par l’histoire posthume de l’abbé Peytou, une des plus curieuses qu’on puisse citer, tant à cause de la durée des manifestations qui se produisirent, qu’à raison des formes qu’elles présentèrent ; presque tous les habitants de la localité en furent témoins. Je me contente de rapporter les trois faits suivants, que je dois à l’obligeance de M. Augé, ancien instituteur à Sentenac (Ariège), paroisse de l’abbé Peytou. Ne pouvant me rendre sur les lieux, j’avais prié M. Augé d’interroger les vieillards du village sur ce qu’ils avaient vu ou entendu à ce sujet. Voici la lettre que je reçus :
« Sentenac-de-Sérou, le 8 mai 1879.
MONSIEUR,
Vous m’avez prié de vous raconter, pour cire ensuite discutés scientifiquement, les faits sur les revenants, généralement admis par les personnes les mieux pensantes de Sentenac et qui sont entourés de tout ce qui peut les rendre incontestables. Je vais lus citer tels qu’ils se sont produits et tels que les témoins dignes de foi les rapportent.
PREMIER.– Quand il y a environ quarante-cinq ans, Monsieur Peytou, curé de Sentenac, fut mort, on entendait chaque soir, à partir de la nuit tombante, quelqu’un remuer les chaises dans les chambres du presbytère, se promener, ouvrir et fermer une tabatière, et se produire le même bruit que fait un homme qui prend une prise. Ce fait là, qui se répéta pendant longtemps, fut, connus cela arrive toujours, admis immédiatement par les plus simples et les plus peureux. Ceux qui voulaient paraître ce que vous me permettrez d’appeler les esprits forts de la commune, ne voulaient y ajouter aucune foi ; ils se contentaient de rire de tous ceux qui semblaient, ou pour mieux dire, étaient persuadés que M. Peytou, le curé mort, revenait. Les nommés Eycheinne (Antoine), maire de la commune à cette époque, et décédé depuis cinq ans, et Galy (Baptiste), qui vit encore, les deux seuls de l’endroit qui fussent un peu lettrés, et partant les plus incrédules, voulurent s’assurer par eux-mêmes si tous les bruits nocturnes qu’on disait entendre au presbytère avaient quelque fondement ou n’étaient que l’effet d’imaginations faibles trop faciles à s’effrayer. Un soir, armés chacun d’un fusil et d’une hache, ils résolurent d’aller passer la nuit à la maison presbytérale, bien déterminés s’ils entendaient quelque chose, à savoir si c’étaient des vivants ou des morts qui faisaient ce bruit. Ils s’installent à la cuisine, près d’un bon feu, et commençaient à causer sur la simplicité des habitants, disant qu’eux n’entendaient rien et pourraient parfaitement reposer sur la paillasse qu’ils avaient eu le soin de préparer pour cela, quand, dans la chambré qui est au-dessus de leur tête, ils entendent un bruit, puis les chaises remuer, quelqu’un marcher, puis descendre l’escalier et se diriger du côté de la cuisine. Ils se lèvent ; le sieur Eycheinne va à la porte de la cuisine tenant la hache d’une main, prêt à frapper celui qui osera entrer, et le sieur Galy en joue avec son fusil.
Celui qui semblait marcher, arrivé en face de la porte de la cuisine, prend une prise de tabac, c’est-à-dire que les hommes entendirent le même mouvement que fait un homme qui prise, et au lieu d’ouvrir la porte de la cuisine, le revenant passa dans le salon, ou il parut se promener. Les sieurs Eycheinne et Galy, toujours armés, sortent de la cuisine, passent au salon, et ne voient absolument rien. Ils montent dans les chambres, parcourent la maison de haut en bas, regardant dans tous les coins, et ne trouvent ni chaises ni rien autre chose qui ne fût à sa place. Le sieur Eycheinne, qui avait été le plus incrédule, dit alors à son compagnon Galy : Mon ami ! Ce ne sont pas des vivants qui font ce tapage, ce sont réellement des morts ; c’est M. le curé Peytou ; c’est son marcher et sa manière de priser que nous avons entendu ; nous pouvons dormir tranquilles.
DEUXIÈME.– Marie Galvet, servante de Monsieur Ferré, successeur de M. Peytou, femme courageuse s’il en fût, ne se laissant impressionner par rien, n’ayant aucune foi à tout ce qu’on racontait, qui aurait sans crainte couché dans une église, comme l’on dit vulgairement pour désigner une personne qui n’a pas peur ; cette servante, dis-je, nettoyait un soir à la nuit tombante, et dans le corridor de la grange, les ustensiles de cuisine. M. Ferré, son maître, qui avait été voir M. le curé Desplas, son voisin, ne devait pas rentrer. Pendant que la susdite Calvet était occupée à bien laver ses ustensiles, un curé passe devant elle sans lui adresser la parole. « Oh ! vous ne me ferez pas peur, Monsieur le curé, dit-elle. Je ne suis pas si bête de croire que Monsieur Peytou revient. Voyant que le curé qui était passé et qu’elle prenait pour son maître ne lui disait rien, Marie Calvet lève la tête, se tourne et n’aperçoit rien. Alors la peur commença à s’emparer d’elle, et elle descendit rapidement chez les voisins pour leur dire ce qui venait de lui arriver, et prier la femme Galy de venir coucher avec elle.
TROISIÈME.– Anne Mauretre, épouse Ferrau (Raymond), encore vivante, allait à la pointe du jour, à la montagne, chercher avec son âne une charge de bois. En passant devant le jardin presbytéral, elle voit un curé qui se promenait, un bréviaire à la main, le long de l’ailée. Au moment où elle voulait lui dire : Bonjour ! Monsieur le curé, vous vous êtes levé bien matin, le prêtre se tourne, continuant la récitation de son bréviaire. La femme, ne voulant pas interrompre M. le curé dans ses prières, poursuit son chemin sans qu’aucune pensée de revenant se présentât à son esprit. En rentrant de la montagne avec son âne chargé de bois, elle rencontra M. le curé de Sentenac devant l’église : « Vous vous êtes levé bien matin, Monsieur le curé, dit-elle, je croyais que vous vouliez aller en voyage, quand en passant je vous ai vu dire l’office dans votre jardin. – Non ! ma bonne femme, répondit M. le curé, il n’y a pas longtemps que j’ai quitté mon lit ; je viens à peine de dire la sainte messe. – Et alors, répliqua cette femme, comme saisie de frayeur, quel était ce prêtre qui récitait à la pointe du jour son bréviaire dans l’allée de votre jardin, et qui s’est retourné au moment où je voûtais lui adresser la parole ! J’ai été fort heureuse de croire que c’était vous-même, Monsieur le curé ; je serai morte de peur si j’avais pu croire que c’était le curé qui n’est plus. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Je n’aurais plus le courage de repasser le matin.
Voilà, Monsieur, trois faits qui ne sont pas le produit d’une imagination faible et effrayée. Je doute que la science puisse naturellement les expliquer. Sont-ce des revenants ? Je me garderai de l’affirmer, mais c’est toujours quelque chose qui n’est pas naturel.
Votre bien dévoué,
J. AUGÉ. »
Nous regrettons que M. Auge n’ait pas cru devoir pousser plus loin ses investigations. Nous aurions surtout voulu connaître à fond ce qu’il y avait de vrai ou de faux dans certaines manifestations de l’abbé Peytou, qui semblait indiquer de sa part le désir de dire la messe. Les gens du pays, simples villageois sans instruction, en avaient conclu que l’abbé Peytou était en peine parce qu’il avait reçu l’argent d’un certain nombre de messes, et que la mort l’avait surpris avant qu’il eût achevé de les dire. M. Augé m’a avoué qu’il ne s’était pas arrête à ce qu’il avait entendu raconter à ce sujet, croyant que la chose était absolument impossible, d’après ce qu’il avait lu dans les ouvrages de théologie. Il ne s’était pas aperçu que la lecture du bréviaire était non moins extraordinaire que la velléité de dire la messe ; il ignorait, d’ailleurs, que le posthume, comme nous aurons maintes fois occasion de le remarquer, aime à revenir aux occupations qui lui étaient familières.
L’histoire suivante n’est pas moins caractéristique et n’a pas fait moins de bruit que celle de l’abbé Peytou :
Il y a une vingtaine d’années, M. X…, âgé d’environ soixante ans, habitant d’une commune du canton d’Oust (Ariège), mourut à la suite d’une maladie assez courte. Comme il avait joué quelque rôle dans son pays, cet évènement produisit une certaine sensation. Aussitôt après sa mort, sa maison devint le théâtre d’une foule de scènes nocturnes que je ne raconte pas ici, parce que j’aurais plusieurs fois occasion de revenir, dans la suite de ce chapitre, sur des faits analogues. Cela dura plusieurs années. Je rapporterai seulement trois faits que je donne comme authentiques, les tenant des témoins eux-mêmes. Le premier de ces témoins était un jardinier. Voici son récit :
« Le soir de la veille de Pâques, je m’étais attardé dans un jardin pour quelque travail que je n’avais pu faire le jour. Ma besogne terminée, comme j’allais me retirer, j’entendis brusquement, par deux ou trois fois, le cri aigu d’un ciseau qui taillait la vigne. À ce bruit je me retourne et me trouve nez à nez avec le défunt M. X…
« – Comment était-il habillé ? lui demandais-je.
– Comme de son vivant, chapeau sur la tête, cache-nez au cou et l’air souriant.
– Pourquoi ne lui avez-vous pas parlé ?
– J’allais le faire, puis j’ai hésité, et alors, gagnant la porte du jardin, je me suis retiré.
– Êtes-vous demeuré longtemps face à face ?
– Le temps de dire un Ave Maria.
– Avez-vous eu peur ?
– Non, je vais de nuit et de jour, et je n’ai jamais rien vu. Cependant, en rentrant chez moi, peu à peu je me suis pris de frayeur. »
Le second fait qui se passa le même soir avait eu pour témoin le fossoyeur de la commune qu’avait habitée et où était mort M. X… Voici sa narration :
La veille de Pâques, ayant à creuser une fosse, et trompé par les cloches qui sonnaient le réveillon vers minuit, dans un village voisin, je crus que c’était l’Angelus, et me rendis au cimetière pour me mettre au travail. En ouvrant la porte, je fus surpris de voir près de la grande croix, et à peu de distance de la tombe de M. X…, un homme debout.
Tiens ! me dis-je, en voilà un qui s’est levé bien matin pour suivre les stations, » et, comme je cherchais à comprendre qui ce pouvait être, je remarquai que l’individu s’avançait vers moi, et je reconnus M. X… Alors je refermai la grille du cimetière, cherchant à mettre le pilier de la porte entre ce personnage et moi, et je rentrai dans ma maison non sans être saisi de frayeur.
« – Comment était-il habillé ?
– Comme de son vivant, avec son cache-nez et son chapeau.
– Pourquoi ne l’avez-vous pas attendu pour lui parler ?
– Je m’en serais bien gardé. »
Comme ses camarades le plaisantaient quelquefois à propos de cette histoire, il répondait invariablement : « Croyez ou ne croyez pas, peu m’importe ; je raconte ce que j’ai vu, je n’ai pas autre chose à vous dire. »
Le troisième fait se passa sous les yeux d’un douanier en retraite. Je reproduis textuellement ses paroles. Circonstance à noter, cet évènement eut lieu dans la même soirée que les deux autres : « La veille de Pâques, j’étais de garde avec un autre employé près d’une propriété ayant appartenu à M. X… Je vis un personnage qui allait et venait près de moi, ouvrant et refermant une porte d’entrée.
« Je me dis : L’homme d’affaires de M. X… est bien matinal aujourd’hui. Puis, observant plus attentivement, je reconnus M. X… lui-même. Mon premier mouvement fut d’éveiller mon camarade, pour lui faire part de cette apparition extraordinaire. Cependant je m’abstins.
– Comment M. X… était-il habillé ?
– Comme de son vivant, avec le chapeau et le cache-nez qu’il portait toujours.
– Dès que vous l’avez reconnu, avez-vous eu quelque frayeur ?
– Je suis un vieux douanier, et je n’ai eu aucune peur, à preuve que je n’ai pas éveillé mon camarade. Cependant, j’avoue que le reste de la nuit je n’étais pas dans mon assiette ordinaire. »
Les apparitions sous forme humaine, comme celles que je viens de raconter, sont rares. Les manifestations les plus familières à la personnalité posthume paraissent cire des bruits qui se produisent de diverses façons et dégénèrent parfois en tapage inquiétant pour les gens de la maison qui en est le théâtre. C’est d’ordinaire pendant la nuit qu’ont lieu ces vacarmes. On entend, mais on n’aperçoit rien, pas même les projectiles lancés contre les murs ou les parquets. Quelquefois, cependant, ces scènes nocturnes sont accompagnées de circonstances particulières qui permettent d’en désigner l’auteur.
Telle est la relation qu’on va lire, et que j’emprunte au savant traducteur des œuvres de Gorres, M. Charles Sainte-Foix :
« Le fait suivant s’est passé dans la maison même de mon père, vers l’an 1812 :
Un soir, vers dix heures, ma mère fut éveillée par un bruit inaccoutumé dans la cuisine, séparée par la salle à manger de la chambre où elle dormait avec mon père. Elle le réveilla en lui faisant part de ses inquiétudes, et le pria d’aller voir si la parte qui donnait dans la cour avait été bien fermée, car elle croyait que c’était le chien qui était entré et avait causé tout ce bruit. Mon père, certain d’avoir fermé la porte le soir, attribua à un rêve ou à une illusion les impressions de ma mère, et l’engagea à se rendormir, comme il le fit lui-même. Mais au bout de quelques minutes, ma mère entendit de nouveaux bruits, et réveilla une seconde fois mon père. Elle ne put cependant parvenir à le convaincre ; et, ne voulant croire qu’à soi, il se mit sur son séant pour ne pas s’endormir, attendant que le bruit recommençât. Il n’attendit pas longtemps, et finit par croire que sa mémoire l’avait mal servi, qu’il avait effectivement oublié de fermer en dedans la porte de la cuisine, que le chien de garde y était entré et frappait les uns contre les autres les pots, les plats, les casseroles et tous les autres ustensiles de ménage ; car c’était un bruit de cette sorte que l’on entendait. Il se leva donc, prit une lumière, visita la cuisine, y trouva tout en ordre et la porte fermée, de sorte qu’il finit par croire qu’il avait été trompé par ses sens et qu’il n’était pas peut-être éveillé lorsqu’il avait cru entendre le bruit. Il se remit au lit, laissant toutefois sa bougie allumée pour voir si le bruit recommencerait. À peine était-il couché qu’un tapage bien plus considérable encore se fit entendre. Certain que ce ne pouvait être dans la cuisine, il visita toutes les autres chambres de la maison, depuis la cave jusqu’au grenier. Le vacarme continuait toujours, mais rien ne paraissait. Il réveilla les domestiques, qui dormaient dans un autre corps de logis, visita de nouveau avec eux toute la maison, entendant toujours, mais ne voyant rien. Le bruit avait changé de place et dénaturé ; il avait passe dans la salle à manger, où il semblait que des pierres de vingt à trente livres tombaient de huit ou dix pieds sur un meuble qui était appuyé contre le mur. Après huit ou dix coups de cette sorte, un dernier coup beaucoup plus fort que les autres annonçait une pause ; puis, aussitôt après, il semblait qu’une main vigoureuse remuait une barre de fer entre des pavés. Plusieurs voisins, réveillés par le bruit, vinrent à la maison pour savoir ce que cela voulait dire et aidèrent mon père à faire de nouvelles recherches, car il croyait si peu aux revenants que l’idée même ne lui en était pas venue à l’esprit, et toute sa crainte était que ce ne fussent des voleurs. Il se disait, d’un autre côté, que les valeurs avaient tout intérêt à se cacher, et qu’il était bien peu habile de leur part de manifester leur présence d’une manière aussi bruyante. Il pensa donc que ce pouvait être des rats. Mais comment des rats pouvaient-ils faire un tel vacarme et des bruits si divers ? Tout cela le jetait dans de grandes incertitudes, et il ne savait à quoi s’arrêter. Vers trois heures du matin, il congédia ses voisins et ses domestiques, en les invitant à se remettre au lit, certain que ce ne pouvait être des voleurs, et c’était là le point capital pour lui. Le bruit avait duré quatre heures environ et avait été entendu par sept ou huit personnes. Il cessa vers quatre heures du matin.
Vers sept heures, un exprès vint annoncer à mon père qu’un de ses parents, nommé F…, était mort dans la nuit, entre dix et onze heures, et que, près de mourir, il avait exprimé de nouveau le désir que mon père se chargeât de la tutelle des enfants qu’il laissait après lui. Il avait, en effet, manifesté bien souvent ce désir à mon père dans le courant de sa maladie, sans pouvoir jamais vaincre sa résistance. En vain mon père lui avait opposé la multiplicité de ses affaires et des soins dont elles étaient pour lui la cause. En vain lui avait-on désigné d’autres personnes mieux en état que lui de se charger de la mission qu’il voulait lui confier, il n’avait pu, malgré toutes les raisons, le détourner de cette idée qu’il avait emportée avec lui dans l’autre vie.
La coïncidence de cette mort avec le bruit qui s’était fait entendre pendant la nuit frappa ma mère, et lui fit penser qu’elle n’était pas seulement l’effet du hasard. Elle insista donc auprès de mon père pour l’engager à accepter la tutelle des enfants du défunt. Mon père, ne partageant pas ses craintes, opposa toujours la même résistance. Cependant, pour la tranquilliser, et croyant par là ne s’engager à rien, il lui promit que si le bruit recommençait, il accepterait la charge qu’on voulait lui imposer. Croyant toujours que ce bruit provenait de quelques hommes qui lui en voulaient ou qui avaient l’intention de se jouer de lui, il résolut de prendre toutes ses précautions pour découvrir leurs artifices. Il fit donc coucher dans sa chambre deux hommes très forts et qui passaient pour très courageux, et il attendit patiemment dans son lit. À minuit, le bruit recommença, mais bien plus fort et bien plus terrible que la veille. Mon père se lève, et dit aux deux hommes qui couchaient dans sa chambre de se lever aussi et de l’aider à visiter tous les coins de la maison ; mais ils étaient saisis d’une telle frayeur que rien ne put les décider à sortir de leur lit, et qu’une sueur froide coulait de tout leur corps. Mon père parcourut donc seul avec ses domestiques toute la maison sans rien découvrir. Le bruit dura très peu, mais fut beaucoup plus violent que la première fois. Mon père, de retour dans sa chambre, céda aux instances de ma mère, plutôt pour lui faire plaisir que parce qu’il croyait que ces bruits venaient d’une cause extranaturelle ; et l’on n’entendit plus rien dans la maison. Trois ou quatre témoins de ce fait vivent encore et peuvent en attester la vérité. Je l’ai entendu raconter bien souvent par mon père, qui jamais cependant n’a pensé qu’il eût rien de surnaturel. Une chose cependant l’avait frappé et lui avait donné quelques craintes. La première nuit, au moment où le bruit était le plus fort, il avait appelé son chien en lui criant : « À moi ! » Ce chien était énorme, très fort, lies méchant, et ce cri de mon père suffisait ordinairement pour le faire bondir et hurler. Mais cette fois, au lieu de sauter comme d’habitude, il se traîna en rampant jusqu’aux pieds de mon père, comme saisi d’épouvante. Cette circonstance fit sur mon père une impression très vive, et déconcerta ses pensées sans changer néanmoins sa conviction. »
Parfois on reconnaît la personnalité posthume à sa manière de marcher, lorsqu’on l’entend se promener dans une chambre. Ces exemples sont assez fréquents. Tel est le suivant :
Au mois de janvier 1855 mourut le propriétaire des anciens thermes d’Aulus. Aussitôt des bruits insolites eurent lieu dans cet établissement. Le gardien qui y couchait chaque nuit entendait, sitôt que la bougie était éteinte, le bruit que fait un homme qui remue des papiers ou des registres, bien qu’il n’y eût aucun de ces objets dans la chambre. Parfois, c’était les pas d’une personne se promenant à côté de lui, ou montant et descendant l’escalier. Un autre jour il sentait quelqu’un essayant de soulever son lit. Certaines nuits un vacarme effroyable avait lieu au rez-de-chaussée. On eût dit que des coups de marteau résonnaient à la fois sur toutes les baignoires. Le gardien se levait, allait visiter les cabines une à une, et ne voyait rien. Le bruit cessait dès qu’il ouvrait les portes, mais recommençait aussitôt qu’il était parti. Des choses non moins étranges se passaient quelquefois en plein jour. À une certaine époque, vers une heure de l’après-midi, un cri désespéré partait d’une extrémité de l’établissement ; le gardien s’y rendait, examinait soigneusement l’endroit d’où était parti le cri, sans rien rencontrer, et pendant son inspection le même cri se reproduisait à l’autre extrémité. Cela se renouvela plusieurs jours de suite. Une autre fois, des douaniers, revenant de la montagne et passant sur la colline qui avoisine les thermes, entendirent un vacarme épouvantable, comme si les bâtiments allaient s’effondrer.
Les divers gardiens qui se sont succédé dans cet établissement ont été témoins des mêmes manifestations nocturnes. Je les ai tous connus et je puis affirmer que c’étaient des hommes peu accessibles à la peur. L’un d’eux, qui sortait d’un régiment de zouaves, avait reçu de ses camarades, à raison de son intrépidité, le surnom de Chacal. Un autre est aujourd’hui chasseur de tigres dans les pampas de l’Amérique du Sud. Cependant, il leur était souvent arrivé de faire coucher des camarades avec eux pour ne pas être seuls dans rétablissement. Inutile d’ajouter que ces derniers entendaient les mêmes bruits. Parfois il se présentait des variantes assez singulières. Une femme, qui était venue coucher dans une chambre voisine de celle du gardien, sentit une main invisible lui tirant ses couvertures. Elle sortit en toute hâte de la chambre, et ne voulut plus y rentrer. D’autres fois, c’était des coups qui se faisaient entendre sur les cloisons. Une nuit, la galerie du premier étage fut sillonnée, vers une heure du matin, par un bruit étrange et rapide, rappelant celui que produit une locomotive lancée à toute vitesse. Ce bruit se répétant chaque soir, le gardien, qui alors était le chasseur de tigres dont je viens de parler, prit son fusil, attendit le convoi au passage et déchargea son arme au moment où il crut le sentir devant lui : il cassa une branche d’un des acacias de l’allée des thermes, mais n’atteignit nullement l’ennemi invisible, qui recommença de plus belle. Tous ceux qui avaient assisté aux promenades nocturnes qu’on entendait parfois dans les chambres, les galeries et les escaliers reconnaissaient la marche de l’ancien propriétaire de l’établissement. Une circonstance à noter, c’est qu’il ne s’est jamais rien produit de semblable dans un autre petit établissement thermal, qui n’était situé qu’à trois ou quatre mètres environ du précédent, mais qui appartenait à un autre propriétaire. Ces bruits se ralentirent à la longue, mais ne cessèrent complètement qu’en 1872, époque à laquelle on démolit l’établissement pour faire place aux thermes actuels. Cependant, une dame de Saint-Girons, Mme Rameau, qui venait chaque années à Aulus pendant la saison thermale, pour prendre soin du linge de l’établissement, et logeait dans les nouvelles constructions, m’a raconté qu’en 1877 elle avait plusieurs fois entendu, te nuit, dans la buvette, un grand cliquetis de verres et de bouteilles. On eut dit que ces objets se brisaient en morceaux en se heurtant ou en tombant sur le sol. Elle allait visiter la bavette, et trouvait verres et bouteilles à leur place. Cette circonstance bizarre se présente très fréquemment dans les manifestations posthumes ; j’aurais plusieurs fois occasion d’y revenir.
Dans certains cas on distingue, en même temps que la marche d’une personne, le frôlement d’une robe. Les manifestations qui ont lieu sont alors attribuées à une femme.
Vers 1830, une dame d’un âge assez avancé, Mme X…, mourut dans sa maison de campagne, aux environs de la Bastide-de-Sérou (Ariège). Des manifestations nocturnes, quelquefois même diurnes, se produisirent aussitôt, soit dans sa chambre à coucher, soit dans les autres pièces de l’habitation. Quand la famille recevait un étranger et qu’on lui donnait pour passer la nuit la chambre de Mme X…, dès qu’il était au lit et qu’il avait éteint la bougie, il entendait quelqu’un se promener dans la pièce qu’il occupait, ou remuer les meubles. Parfois le mystérieux personnage s’approchait du lit, et essayait de tirer les couvertures. Le dormeur devait retenir les draps avec force pour ne pas être mis à découvert. Le frôlement d’une robe de soie accompagnait chacun des mouvements du visiteur nocturne ; aussi la cause de ces étranges évènements fut-elle aussitôt attribuée, par tous les gens de la maison, à Mme X… – D’autres fois, c’étaient les verres et les assiettes de la salle à manger qui s’agitaient, s’entrechoquaient, tombaient sur le parquet et se brisaient avec fracas. On accourait pour connaître la cause de ce tapage et ramasser les débris. Le bruit cessait aussitôt, verres et porcelaines étaient à leur place habituelle, aucun débris ne couvrait le parquet. Ces scènes avaient lieu quelquefois le jour aussi bien que la nuit, et se produisaient même en l’absence des gens de la maison. Non loin de l’habitation se trouvait une ferme. Un jour de foire, le fermier, voulant conduire ses bœufs à la ville, se leva de grand matin pour les faire manger, puis il les mena à l’abreuvoir, situé à côté de la résidence de Mme X… La famille étant partie depuis la veille, et personne ne se trouvant dans la maison, on pouvait espérer que rien d’insolite ne se produirait celle nuit. Néanmoins, au moment où les bœufs s’abreuvaient, on entendit un vacarme si épouvantable dans l’intérieur de l’habitation, que les pauvres bêtes, affolées de terreur, se débandèrent, et le fermier perdit toute la matinée à les rattraper et à les ramener. La famille de Madame X…, pensant que l’âme de la défunte était en peine, ne négligea ni les messes, ni les prières pour la tirer d’embarras. Tout fut inutile, les manifestations posthumes de Mme X… se continuèrent pendant plusieurs années.
Ne sachant plus que faire pour sortir de cette situation, on imagina l’expédient suivant : une nuit, avant l’heure du coucher, on plaça du papier, de l’encre et une plume, sur une table, dans la pièce où se produisaient le plus fréquemment les bruits nocturnes, et en tête du papier on écrivit quelques lignes qui invitaient le revenant à manifester ses désirs, afin qu’on pût les satisfaire. Le lendemain on s’aperçut que le papier, l’encre et la plume avaient été déposés, intacts, aux pieds de la table. Mais sur cette même table se trouvait un dictionnaire qui avait été ouvert pendant la nuit, et sur l’une des pages mises à jour on remarqua trois petites taches rouges, de la dimension d’un grain de maïs qu’on aurait écrasé, et qu’on assimila à des taches de sang. Les bruits cessèrent peu après cette singulière aventure, et, chose remarquable, ils se renouvelèrent quelques années après ; mais, cette fois, ils furent de peu d’intensité et de courte durée. Je tiens tous ces détails, que j’ai beaucoup abrégés, de la famille de Madame X…