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Cet ouvrage rédigé, par Marie Chiocca, offre des éléments de compréhension des déterminants personnels de Marie-CLaire Busnel. Certains sont tributaires de l'Histoire et ont inconsciemment orienté ses chemins de recherche et infléchi le destin extra-ordinaire de sa longue vie de femme.
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Seitenzahl: 45
Veröffentlichungsjahr: 2023
Avant propos
Les souris sourdes
La création
Les bébés
La voix adressée
L’éthologie
L'exil
Les attaques du corps
Après propos
Pourquoi cette œuvre avec Marie Chiocca ? Moi qui ai toujours décrit mes travaux et mes résultats, parler de ma vie personnelle !
Peut-être l'âge a-t-il amoindri mes inhibitions. Peut-être... Peu importe le pourquoi de cette collaboration qui – enfin aboutie – est ici soumise à votre sagacité, chers lecteurs.
Le parcours de chaque chercheur est original, particulier et inattendu et représente toujours une aventure. C'est l'une de ces aventures que Marie Chiocca, l'écrivaine, et Marie-Claire Busnel, la narratrice, vous convient à rencontrer.
Marie-Claire Busnel
C'est ce qu'on appelle la voix du d'dans ça fait parfois un d'ces boucan
Léo Ferré, Vingt ans.
Dans les années quatre-vingt, j’avais lu un tiré à part d’un médecin qui préconisait de cesser de faire travailler les femmes enceintes en usine, sous peine d’accouchement prématuré. Était-ce le niveau sonore particulièrement élevé qui était en cause, provoquant un stress maternel ? Le fœtus lui-même était-il impliqué ? Dans l'affirmative, quelle en était la raison puisque l'époque supposait que le fœtus n'était pas encore « entendant » ?
Je me suis alors lancée dans l’étude des effets sur le fœtus des bruits, intenses ou non, auxquels on exposait la future mère. Selon les pratiques usuelles, j'ai commencé mes recherches sur des animaux avant de tester directement les humains.
Il existait une lignée de souris génétiquement sourdes. En facilitant l'accouplement de femelles entendantes avec des mâles sourds et l'inverse, on pouvait comparer des petits entendants de mères sourdes et des petits sourds de mères entendantes. Il devenait ainsi possible d'attribuer les effets éventuels soit à l'audition du fœtus, soit au stress maternel, soit aux deux.
À mon grand étonnement, alors que le fœtus de souris – comme le fœtus humain – était considéré comme sourd pendant la gestation et jusqu'à neuf jours après sa naissance, je me suis aperçue que l'exposition au bruit affectait tous les souriceaux. En effet, les souriceaux, sourds ou non, qu’on avait soumis à un bruit de métro pendant la gestation et exposés à ce même bruit après la naissance, vivaient leur vie normale. Le groupe-témoin au contraire, préservé de ce même bruit pendant la vie intra-utérine, s’égaillait, comme terrifié. J’en ai conclu que les souriceaux soumis au bruit du métro pendant la gestation s’y étaient accoutumés, malgré la maturation inachevée de leur organe auditif. Cette observation a déclenché à la fin de ma carrière mes recherches sur l'audition prénatale du fœtus humain. D'apparence éloignée de la physionomie humaine, le modèle animal permet de raccourcir singulièrement le temps d'acquisition des premières constatations car les souris se reproduisent en un an, alors qu'il faut environ 20 ans à l'être humain pour atteindre sa maturité.
Une anecdote me revient au sujet des souris. Une autre lignée de souris, lignée phare de notre laboratoire de recherche, occupait plusieurs chercheurs. Celles-ci étaient sujettes à des crises de forme épileptique, provoquées par un niveau sonore élevé. Nous les faisions venir d’un laboratoire de génétique des États-Unis possédant toutes sorte de lignées différentes. À la suite d’un malencontreux incendie dans lequel tout son stock périt, ce laboratoire se mit en quête des clients auxquels il avait livré des lignées avec des propriétés particulières et qui pourraient lui en rendre. Nous décidâmes de l’aider à reconstituer son stock. Devant me rendre aux USA pour un congrès, je décidais de leur rapporter des souris de la lignée à crise audiogène que nous avions gardées. Mais comment éviter que le bruit de l'avion ne provoque chez certaines ces crises, parfois mortelles ?
Il fallait leur injecter un tranquillisant. Or, celui supporté par les souris ne faisait effet que trois heures alors que le voyage en durait sept. À cette époque, la France lançait le Concorde et éprouvait des difficultés à le faire atterrir à New York, après ses trois heures de vol, à cause du bruit. L’avion volait quasiment à vide ; quant à moi, je n’avais pas de quoi financer pareil voyage. Aussi, j’imaginai de me faire transporter par le Concorde, moi et mes souris, gratuitement à titre publicitaire.
— Songez à la publicité que cela vous ferait : « Les souris qui craignent le bruit prennent le Concorde ! »
Air France refusa et je me rabattis sur une ligne ordinaire avec mes trente souris. Après une première injection de tranquillisant à l’aéroport, il en fallait une seconde en vol, à effectuer en catimini sur ces « passagers clandestins » dans mon bagage à main. Je ne décris pas mon angoisse d’en laisser échapper une : quand on la pique, la souris mord, souvent, et instinctivement on la lâche :
— Et si j’en lâchais une ? ne cessais-je de me répéter.
Mais je m’étais inquiétée inutilement. Aucune ne m'a mordue.
Je leur avais fait établir des papiers vétérinaires. En débarquant à New York, je me mis en quête d’un gradé, pressentant des problèmes de douane à n’en plus finir. J’en avise un, qui avait l’air de surveiller l’équipe :
— Sir, I think I have a problem. I have live mice, lui ai-je déclaré.
— Lady, you sure have a problem, répondit-il.
Il m’a emmené lui-même à travers les dédales de l’aéroport jusqu’au vétérinaire, qui a levé la tête et, imitant l’adresse de Stanley au Dr Livingstone, a lancé :
—Dr Busnel, I presume !
Finalement ces précieuses souris me quittèrent sans avoir posé de problème.