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Sur la ligne 1 du métro parisien, une tragédie inattendue s’abat, défiant le commandant Gonzalez et le commissaire Henri qui se lancent dans une enquête complexe. Pendant ce temps, Sandra redoute le sort de Léo, un habitué de cette ligne. Qui est le responsable de cet acte effroyable, et quelles motivations obscures l’ont poussé à agir ainsi ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Paul Ghiari, avocat corse au barreau de Paris, a toujours été captivé par les thrillers à l’intrigue haletante. C’est cette passion qui l’a mené à l’écriture de "Et si c’était lui ?", un roman mêlant subtilement thriller amoureux et policier. À travers la complexité des liens entre les différents personnages, il propose un livre conçu pour tenir en haleine jusqu’à la dernière page. Ses chapitres brefs et rythmés, alternant les protagonistes, offrent une lecture captivante.
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Seitenzahl: 480
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Paul Ghiari
Et si c’était lui ?
Roman
© Lys Bleu Éditions – Paul Ghiari
ISBN : 979-10-422-0250-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Le jour de l’événement – 7 h 58
« Police secours, à votre écoute ?
Cet appel constitue la toute première information reçue par les forces de police concernant l’événement de la ligne 1 qui enflamma la France entière.
Un mois avant l’événement – peu après 16 h
Prochain patient, Yannick Van Burn, pensais-je, alors que j’étais encore en rendez-vous. Allait-il être aussi déprimé que lors de la dernière séance ? me demandais-je. Il a tout de même évoqué le fait de se suicider. Il l’a fait de manière détachée, mais cela reste inquiétant. Nos rendez-vous ont changé si rapidement, remarquais-je. À la base, je n’étais pas censée soigner un suicidaire… j’ai parfois l’impression de devoir traiter un nouveau patient.
« Vous comprenez ce que je vous dis, docteur ? me demanda la patiente allongée sur mon sofa, et je sursautai presque en l’entendant.
Je la raccompagnais jusqu’à la porte d’entrée et, lorsque je passai devant la salle d’attente, je vis Yannick qui m’attendait sagement. Il arrivait toujours quelques minutes en avance. Je le saluai et l’invitai à me suivre dans mon bureau. La séance commença, nous parlâmes de sa déprime, puis un long silence s’installa pendant lequel il semblait avoir été aspiré dans un autre monde. Je lui demandai s’il était toujours présent, mais il ne répondit pas. Je redemandai un peu plus fort et il marmonna quelque chose d’incompréhensible.
« Pouvez-vous répéter s’il vous plaît, je ne vous ai pas entendu, demandai-je en haussant la voix de manière significative.
19 mois avant l’événement
Il faisait beau. Je me rappelle précisément la lueur des rayons du soleil et la couleur du ciel, un bleu océan très rare pour Paris. Je m’en souviens parce que ça ne s’oublie pas le jour où l’on rencontre l’amour de sa vie. Ce jour-là, même les détails sans importance vous marquent, ils restent accrochés au récif de votre mémoire. Le soleil rentrait par tous les pores de ma studette rue Vavin, je sentais qu’il m’appelait. Je suis sortie de mon lit comme un enfant le matin de Noël, en courant pour répondre à cet appel. J’ai enfilé une tenue simple, mais élégante, j’ai rapidement démêlé mes cheveux pour qu’ils ne soient pas trop frisés et j’ai mis une fine couche de rouge à lèvres comme si j’avais pressenti que je serais regardée. J’ai attrapé La Promesse de l’Aube qui trônait sur ma table de nuit, puis j’ai filé au Starbucks du coin pour acheter un café au nom exotique, et j’ai marché lentement jusqu’à l’entrée du jardin du Luxembourg. Je connaissais ce lieu par cœur et j’adorais serpenter dans les allées sans but précis, juste pour le plaisir de plier le temps à ma volonté, pour le plaisir de le faire disparaître. Mes déambulations me conduisirent au centre du parc où se trouve un grand bassin au milieu duquel une petite fontaine représente des enfants supportant une vasque. Le bassin est encerclé de quelques palmiers posés dans de grands pots et de plusieurs chaises réservées pour ceux qui se lèvent tôt.
Il était là. Assis en train de lire Sa Majesté des mouches. Je me suis assise à quelques mètres sans lui prêter une attention particulière, car il est rare que l’on fasse une forte impression lorsque l’on est enfoncé dans une chaise. Je me suis installée confortablement, j’ai pris un bol d’oxygène puis, avant de me plonger dans mon livre, j’ai fait un tour complet de mon environnement comme on pourrait le faire avant de quitter le quai d’une gare pour monter dans un train.
C’est à ce moment précis que j’ai trébuché sur son regard. Combien de temps dure un croisement de regard ? Une seconde tout au plus et pourtant, quand j’y repense, je me dis qu’il y avait de l’éternité dans cette seconde. Nous avons tout naturellement détourné nos yeux et fait mine de retourner à nos occupations. Cependant, à chaque fois qu’un bruit de feuille, de craquement de branche ou que sais-je nous donnait l’occasion de relever nos têtes, nous trébuchions à nouveau. La scène se reproduisit si souvent qu’elle en devint gênante. Nos yeux étaient attirés comme deux aimants. Quelque chose de plus fort que notre volonté était en train de se jouer de nous.
Les minutes passèrent ainsi sans qu’il réagisse davantage. Je finis par m’agacer de sa passivité et je commençais à penser furieusement que, s’il n’avait pas le cran de venir me parler, je ne le regarderais plus jamais. Je tins deux minutes qui parurent deux heures avant de céder à nouveau, pour mon plus grand bonheur. Je ne lisais plus la moindre ligne, mon livre était devenu un bouclier et je pestais de ne pas pouvoir l’observer au travers. J’aurais été si heureuse si j’avais pu le regarder sans qu’il le sache. Mon impatience s’accentua tellement que mon corps commença à se rebeller, mes épaules oscillaient d’avant en arrière, mes jambes fourmillaient, ma tête bourdonnait et mon pied droit se mit à danser une macarena nerveuse sans mon consentement. Je ressemblais à un pantin désarticulé dirigé par un marionnettiste en pleine crise d’épilepsie. En face, il n’en menait pas large, une lutte intestine le poussait à intervenir et je notais qu’il se tendait à vue d’œil. Il enleva sa veste et laissa apparaître une silhouette dessinée au couteau, ses bras puissants dont on aurait dit qu’ils étaient faits pour me porter provoquèrent en moi une chaleur inattendue. C’en était trop, je ne pouvais plus tenir et je fis donc mine de m’en aller. Mine seulement, car je cherchais à le faire réagir. Et cela fonctionna.
Il se leva.
Était-ce pour partir ou pour me rejoindre ? pensais-je. Mon cœur resta suspendu et je n’osais le regarder à nouveau de peur d’emporter sa décision, car, si mon regard furieux l’avait fait fuir, je ne m’en serais pas remise et si, au contraire, mes yeux remplis de supplication l’avaient conduit à venir me parler, j’aurais désespérément pensé qu’il venait me voir par pitié.
Non ! pensais-je, la décision lui appartenait, c’était à lui de choisir de venir ou de partir. Je restais donc là, figée comme une statue d’argile qui attend un souffle de vie pour se mouvoir enfin. Il commença à faire quelques pas dans ma direction, puis sembla se raviser.
J’entendis la sirène d’une ambulance et il me sembla que c’était mon cœur qui faisait ce vacarme. Une équipe de secouristes déboula autour du grand bassin à la recherche d’une personne qui venait de faire un arrêt cardiaque. Ce remue-ménage inattendu qui dura plusieurs minutes dut lui donner du courage puisqu’il se décida enfin à venir me parler lorsqu’ils s’en allèrent.
« Bonjour, bredouilla-t-il tout en essayant de trouver de la contenance, tu aimes ton livre ?
Il prit mon numéro puis il s’en alla sans se retourner. Il me laissa là sans trop savoir que faire. J’étais en colère et frustrée par la brièveté de notre échange. J’aurais encore préféré qu’il ne vînt pas m’adresser la parole, pensais-je. Et puis j’avais été froide et hésitante, je n’avais rien trouvé d’intéressant à lui dire. Il avait certainement déjà effacé mon numéro, me dis-je furieusement. Qui voudrait d’une nana qui vous allume du regard pendant vingt minutes, pour à peine vous adresser la parole quand vous l’abordez ?
Sur le chemin du retour, quelqu’un me demanda l’heure et je répondis en le regardant à peine. Je tapais plusieurs fois du pied au sol pour protester contre ma bêtise. Je me rappelle avoir effrayé plusieurs pigeons et un ou deux passants.
18 mois avant l’évènement
Je marchais plus rapidement que d’habitude, car j’étais légèrement en retard et je détestais cela. J’avançais la tête rentrée dans mes épaules et les yeux dirigés vers mes pieds, comme si une ligne blanche m’indiquait la route à suivre. J’arrivais au métro et je m’engouffrais rapidement dans la rame. À cette heure-ci, il n’y avait pas trop de monde et je réussis à trouver une place assise. J’attrapai mon téléphone et, à l’abri des regards, toujours la tête rentrée, je lus quelques versets du Coran pour me donner de la force. Je sortis à la station de métro Esplanade de la défense, sur la ligne 1, et je me mis à courir de peur d’arriver ne serait-ce qu’une minute en retard. Je travaille dans l’une des plus grandes tours d’Europe, la tour Mirail. Elle fut longtemps la plus grande, mais elle a été dépassée par une tour de Londres ou quelque chose comme cela. En tout cas, elle mesure plus de 200 mètres et tous les matins, bien que j’eusse un peu le vertige, je ne pouvais m’empêcher de regarder son sommet en sortant du métro. J’avais l’impression de tomber et, en même temps, je me sentais fier de travailler ici. Je ne suis ni avocat ni comptable, je suis un membre de la sécurité. C’est peut-être moins prestigieux, mais je crois que je fais bien mon boulot. Mon boss dit souvent que je sais faire deux choses en même temps et que ce n’est pas si courant.
« Ça va, Abdel ? demanda Gérard qui exceptionnellement était à l’accueil.
Cédric est un de mes collègues, du genre ours mal léché. Il doit bien mesurer dans les 1m95 pour plus de 100 kilos. Tous ses muscles sont très développés, ce qui le rend très fier. Il aime la musculation et il en parle beaucoup. Il ressemble à un énorme bulldog gonflé à la testostérone, la bave en moins. Encore que, ça dépend des fois. Ses mâchoires sont si imposantes qu’entre collègues, on plaisante en racontant qu’il mange des noix sans enlever les coquilles. Bien évidemment avant de dire cela, on vérifie qu’il n’est pas dans le coin.
Il s’occupe des gars à l’accueil, ceux qui contrôlent les entrées dans le bâtiment, puis dans les ascenseurs. Le boulot peut sembler simple puisqu’il suffit de vérifier que tout le monde a son badge, mais en réalité, passer 8 heures debout n’est jamais évident, peu importe la tâche. On raconte dans les couloirs qu’il a eu ce poste grâce à son oncle qui ferait partie du comité de direction de la tour, mais personne n’a jamais osé lui demander. On s’attend toujours à le voir débarquer à l’improviste pour vous balancer une tape dans le dos qui vous déboîterait l’épaule à coup sûr. Techniquement, Cédric n’est pas mon boss puisque je travaille dans un service différent, mais dans la réalité il se comporte avec tout le monde comme s’il dirigeait la tour.
Mon rôle à moi, c’est de regarder partout, d’avoir les yeux sur chaque personne. Je travaille en salle de vidéosurveillance et dans les étages où je fais des rondes régulières. En salle, je suis autonome et je surveille les étages 1 à 15 qui constituent la batterie basse de la tour et, dans les étages, je suis sous la responsabilité de Gérard, un vieux brisquard qui est plus âgé que les murs. À l’exception du vendredi, mes journées sont rythmées comme du papier à musique : une heure quinze de surveillance vidéo, une heure de ronde, puis quinze minutes de pause jusqu’à 16 h, et j’ai également droit à une pause déjeuner de 13 h à 14 h. Comme du papier à musique. Ce rythme me convient parfaitement, car il me permet de faire toutes mes prières chez moi, à l’exception de celle du déjeuner. Pour celle-ci, je m’isole dans la salle de repos ou dans les toilettes. Toujours à l’abri des regards.
Le vendredi, je termine à 11 h 30 et j’ai tout juste le temps de me rendre à la seule mosquée de la Défense. L’imam, qui ressemble davantage à un homme d’affaires qu’à un religieux, prêche un islam universitaire dont certaines notions m’échappent, mais je sens la présence de Dieu et c’est tout ce dont j’ai besoin. Ce souffle spirituel me pousse tout le week-end durant lequel j’effectue des sorties de course à pied plus longues que celles de la semaine. Tout cela me mène de nouveau au lundi et je reprends le chemin qui a été tracé pour moi avec la même foi.
15 jours avant l’événement – 16 h
« Comment allez-vous aujourd’hui ? demandai-je.
18 mois avant l’événement
Léo, il s’appelle Léo.
Ce soir-là, j’ignorais l’importance que prendrait ce prénom pour moi, j’ignorais que je le prononcerais vingt, trente, cinquante fois par jour ; au réveil, doucement dans le creux de son oreille, en chantant sous la douche, dans ma tête en disant « mon Léo » pour me donner du courage avant d’aller travailler, dans un bar en l’appelant entre deux gorgées de vin rouge ; avant de fumer une cigarette, après avoir fait l’amour, le soir avant de me coucher, etc.
Malgré ma froideur, je reçus le message suivant, le lendemain de notre rencontre : « Salut c’est Léo, le gars du parc, ça te dirait d’aller boire un verre pour que tu m’expliques la fin de ton roman ? Bises ». Après de longs efforts pour trouver une réponse détachée sans être trop froide, je répondis simplement : « Avec plaisir, mais j’ai peur que tu sois déçu par mes explications » suivi d’un smiley qui faisait un clin d’œil. Je dois reconnaître que j’hésitai longtemps entre ce smiley et celui qui se contente de sourire.
Nous nous retrouvâmes le samedi suivant dans un bar à vin du VIe arrondissement de Paris qu’il avait choisi. Une coque de bateau servait de comptoir, les murs étaient remplis de bouteilles de telle sorte qu’on ne les voyait plus, et il régnait une ambiance chaleureuse et feutrée à la fois. C’était l’endroit idéal pour un premier rendez-vous. À en juger par la façon dont il salua les serveurs, je crains que ce lieu ne fût son repère, son « attrape-nana », l’endroit où il les faisait chavirer, mais il n’en fut rien.
« J’ai choisi ce bar, car j’y travaillais pendant mes études, je sais que c’est un endroit bien, me dit-il.
Une fois que notre éclat de rire fut calmé, il me répondit : « j’ai tout compris, mais c’est la seule chose que j’ai trouvé à te dire pour t’aborder » puis nous rîmes de nouveau. Cette joyeuse partie de tennis propre aux premiers rendez-vous continua longtemps. Nous parlâmes de nos métiers, de nos études, de nos dernières vacances, de nos loisirs ainsi que de plein d’autres choses sans réelle importance. La conversation coula comme un fleuve tranquille emportant avec elle les sourires gênés, les silences inattendus et les brèves hésitations. Léo était beau et calme. Sa beauté était celle d’un jeune homme à la carrure sportive et au charisme magnétique. Il avait des cheveux épais et très noirs, ses yeux étaient très légèrement bridés et il avait la peau dorée. Les traits de son visage étaient si réguliers qu’on eût dit qu’il avait été dessiné au pinceau par un artiste obsédé par la symétrie. Un petit grain de beauté logé sur le bas droit de sa mâchoire, à l’endroit où elle rejoint le cou et le menton, venait fêler cette symétrie pour le rendre encore plus désirable. Ses yeux noirs pleins de détermination contrastaient avec sa bouche qui avait un côté hypnotisant comme seules les bouches des femmes en sont normalement dotées. Il se dégageait de son regard une certitude inhabituelle chez les hommes de son âge. Il semblait avoir devant lui une route toute tracée que l’on avait envie de suivre. Et pourtant, de manière assez étonnante, cette certitude n’entraînait pas l’excitation que l’on retrouve chez les hommes ressorts qui se tendent et se détendent à longueur de journée, ces hommes qui ne tiennent pas en place et voient la vie comme un projet avec des étapes et des points d’évaluation. Il savait où il était et où il voulait aller sans que cela ne crée une quelconque urgence. Pour le décrire, on aurait pu citer à la troisième personne cette phrase connue qu’on imagine aisément se retrouver dans une papillote de Noël : « Il était maître de son destin, il était le capitaine de son âme ».
Il avait de l’assurance et, auprès de lui, je ressentais comme une toute-puissance. J’avais envie qu’il m’encercle, qu’il m’entoure et que nous ne devenions plus qu’un. Par conformisme et parce que je voulais garder un peu de mystère, je ne répondis pas favorablement à ses yeux qui m’encourageaient à l’inviter chez moi. Nous nous séparâmes après avoir pris un dernier verre dans un bar à cocktails, tout à fait charmant, dans lequel les serveurs ne se prenaient pas pour des demi-dieux, ce qui constituait le charme du lieu. Il régla les deux additions et, bien que je puisse éventuellement me qualifier de féministe, je n’y trouvai rien à redire. Bien évidemment, je fis mine de refuser et j’insistai pour payer ma part tout en sachant pertinemment que cela ne changerait rien à l’issue.
Quatre jours plus tard, lorsqu’il m’invita à boire un dernier verre chez lui, je le suivis sans sourciller. Je répondis sobrement : « d’accord, mais juste un verre ». Cependant, j’avais tout prévu puisque je disposais au fond de mon sac d’une tenue de rechange au cas où il faudrait aller directement de son appartement à mon boulot, le lendemain matin. J’avais également emporté de quoi me démaquiller, mon savon pour le visage, ma plaquette de pilules et deux préservatifs pour être certaine que rien ne pourrait gâcher cette première nuit. Je le suivis donc avec un sourire rempli de malice, car bien qu’il ait l’impression d’avoir emporté mon choix, j’avais prévu de le suivre bien avant qu’il ne me pose la question.
Il habitait dans le VIIIe arrondissement de Paris du côté de Saint Augustin. « Ce n’est pas le quartier le plus dynamique de Paris, mais je loue l’appartement à mon oncle, donc le loyer est très intéressant », me dit-il en sortant du métro. L’immeuble était classique, de l’Haussmannien pur jus, et son appartement était décoré avec goût et avec une extrême simplicité. Il me servit un verre de vin blanc pétillant italien qui ressemblait à s’y méprendre à du champagne et dès que j’eus fini ma coupe, il s’approcha doucement, imposa son corps et m’embrassa. Il passa ses mains dans mon dos, puis il les laissa glisser le long de mes reins avant d’attraper mes fesses pour me soulever avec force et délicatesse, comme si je faisais le poids d’une plume. J’encerclai son cou avec mes bras et j’entourai mes jambes autour de sa taille. Il se déplaça ainsi jusqu’à sa chambre tout en continuant de m’embrasser, puis il me déposa au milieu du lit. La lumière du salon qui éclairait la chambre à travers une porte aux vitres teintées créait une luminosité tamisée qui mettait nos corps en valeur. J’étais face à lui encore habillée, allongée sur le dos et redressée sur mes coudes. Il déboutonna sa chemise pendant que j’enlevais mon haut, puis il se pencha sur moi, son bras gauche le maintenait dans une forme de lévitation à la manière d’un gymnaste en plein exercice. Il passa sa main droite sous ma nuque et déposa un baiser sur mon front de telle sorte que je me retrouvais encerclée par son corps. Il m’embrassa encore une ou deux fois puis enleva mon pantalon et mes sous-vêtements que j’avais pris soin d’assortir. Il déposa de légers baisers sur mes joues puis sur ma poitrine en prenant soin d’éviter ma bouche comme pour faire naître une frustration, puis il descendit jusqu’à mon bas-ventre. Après un moment, je l’invitai à remonter en caressant ses cheveux et pour qu’il ne croie pas que cela ne me plaisait pas, car c’était tout l’opposé, je l’attrapais avec délicatesse et je le dirigeais en moi. Il commença alors une danse sensuelle faite de remous plus ou moins rapides comme un tempo africain. Nos corps ne faisaient plus qu’un, je m’abandonnais et calquais mes soubresauts sur les siens. Comme dans un film à l’eau de rose, nous jouîmes presque en même temps et lorsqu’il redressa sa tête pour m’embrasser une nouvelle fois, nos yeux se croisèrent et nous fûmes un peu gênés, car nous avions le regard de ceux qui ont perdu le contrôle. Il s’allongea sur le dos et me prit dans ses bras. Ma tête reposait sur son torse encore chaud et j’entendais nettement les battements de son cœur.
Je me rappelle parfaitement ce que j’ai pensé à ce moment-là ; je me suis dit que la vie serait belle à ses côtés.
Je suis allée prendre une douche et, à mon retour, il dormait paisiblement. Je décidai de dormir chez lui pour marquer que la relation pouvait devenir sérieuse et qu’il ne s’agissait pas d’un simple coup d’un soir.
Au réveil, il n’était plus là.
18 mois avant l’événement
Quand je termine ma journée, il est encore tôt et la rame de métro est souvent vide, ce qui est très agréable. J’aime regarder la Seine entre les stations Esplanade et Pont de Neuilly. Je me mets à l’avant de la première rame et j’ai l’impression d’être sur la proue d’un bateau. Quand il neige, le spectacle est féerique. Dieu est grand pour nous offrir des choses si belles. Ensuite, c’est plus sombre jusqu’à Charles de Gaulle Etoile, mais la vue de l’Arc de Triomphe vaut le coup d’attendre quelques minutes sous terre.
Une fois sorti, je fais un tour sur les Champs-Élysées, je déambule et je regarde de loin les devantures des boutiques de luxe. Je n’ose pas m’approcher, car elles m’intimident. Je serpente entre les passants et j’essaie de deviner leurs nationalités. Quand il fait doux, je traîne jusqu’au McDo, j’achète un café et je vais me poser sur un banc. J’ai les moyens d’aller dans un vrai café, mais je ne me sentirais pas à ma place. Moi ce que j’aime, c’est qu’on me laisse tranquille ! J’aime observer, déambuler, sans que l’on me remarque.
Ensuite, je rentre chez moi, je fais ma prière puis je pars courir une heure sans mon téléphone. C’est mon moment de déconnexion. Ou plutôt de reconnexion. Avec Allah. Je pars toujours sans itinéraire et je le laisse guider chacun de mes pas. Il me ramène chez moi à chaque fois et je peux admirer toute sa Grandeur.
J’habite tout près de l’Arc de Triomphe dans un petit deux pièces en rez-de-chaussée, situé dans le XVIIe arrondissement. Je pourrais avoir beaucoup plus grand ailleurs, mais j’aime cet endroit, car c’est calme et c’est tout près du travail. Et puis il y a une autre raison, plus difficilement avouable.
4 jours avant l’événement – 16 h
« Vous avez l’air fatigué, remarquais-je, car il n’arrêtait pas de bâiller.
18 mois avant l’événement
J’ouvrais les yeux difficilement comme lorsque l’on a mis du temps à s’endormir après un début de nuit en pointillé. J’étendis mes bras en étoile et je fus surprise de ne pas heurter Léo. Je regardai autour de moi et je réalisai qu’il n’était plus dans la chambre. Je prononçai son prénom une ou deux fois sans obtenir de réponse. Il était probablement allé chercher des croissants, pensais-je en me recouchant dans le lit. Vingt minutes plus tard, j’en venais à la conclusion qu’il était parti sans me prévenir. Je commençais à ruminer, je pensais furieusement qu’il se comportait comme un pauvre type et, lorsque je m’apprêtai à franchir le pas de la porte pour partir, je découvris un Post-it avec un petit mot déposé sur la poignée.
« Chère Sandra, j’ai dû partir très tôt pour une urgence au boulot. C’était totalement imprévu. J’ai hésité à te réveiller, mais tu dormais si bien et il était si tôt que j’ai préféré ne pas le faire. Tu trouveras un petit déjeuner dans le frigo. Il te suffit de claquer la porte en partant, mais si tu préfères tu peux rester jusqu’à mon retour.
J’ai passé une soirée et une nuit délicieuse.
J’espère te revoir très vite.
Léo ».
Ces quelques lignes suffirent à me remplir d’un bonheur immense.
J’ouvris le frigo dans lequel il avait laissé une assiette avec deux tartines beurrées avec de la confiture, quelques grains de raisin et un œuf dur. En refermant la porte, je remarquai que son Frigidaire était rempli de magnets aimantés avec de nombreuses citations de Churchill. Je me rappelle celle qui était en plein centre, il était écrit : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin. »
17 mois avant l’événement
La raison un peu moins avouable, c’est une femme qui n’est pas musulmane, mais dans ses yeux le créateur a réuni toute la bonté du monde. Parfois quand je rentre du travail, elle me dit bonsoir et nous discutons un peu. Elle est gentille comme peut l’être un enfant, sa voix est douce comme du miel en hiver. Avec elle, je me sens en confiance, je peux lui parler de mon travail, des ennuis que je rencontre avec Cédric et elle est toujours de bon conseil. Je peux lui parler de tout sauf de ma foi, car elle ne comprendrait pas.
Parfois, je rêve et je nous vois tous les deux marchant côte à côte, je l’imagine se convertir à l’Islam puis se marier avec moi. Au fond, je sais très bien que cela n’arrivera pas, car ce n’est pas ma destinée. Je sais que ce ne sont que des rêves, mais parfois, quand j’ai du mal à dormir, j’y pense et cela me fait du bien.
Le jour de l’événement – 16 h
J’ai regardé ma montre et j’étais surprise de ne pas le voir à l’heure. D’habitude, il arrivait toujours avec 5 minutes d’avance et, lorsque je quittais le patient précédent, je pouvais le voir redresser sa tête dans la salle d’attente.
Cette fois-ci, il n’était pas là. J’ai pensé brièvement qu’un patient en moins ne me ferait pas de mal. Surtout un patient qui s’enfonce séance après séance. Et puis, avec ce qu’il s’était passé ce jour-là, j’allais probablement être sollicitée, on allait avoir besoin de psy ! avais-je pensé terrifiée par les événements.
Je regardais de nouveau ma montre lorsque mon téléphone sonna.
« Docteur Stefani ? demanda la voix au bout du fil.
15 mois avant l’événement
« Lalalalala…
Il ouvrit la porte et je poussai un petit cri comme s’il ne m’avait jamais vue nue, puis il m’envoya un baiser que j’attrapai sans peine. Cela faisait trois mois tout pile que j’avais eu la chance de croiser sa route. En trois mois, il était entré dans ma vie comme par effraction, il avait dépoussiéré mes habitudes, bousculé ma solitude et envahi presque tout l’espace. En le voyant fermer la porte, je pensais que trois mois auparavant je ne le connaissais pas et qu’aujourd’hui je ne pouvais plus imaginer ma vie sans lui. Mon Léo était beau comme un ange, ses yeux étaient d’un noir qui vous fait oublier la beauté des yeux bleus et ses cheveux tout aussi foncés lui donnaient un côté poupon. Et puis il était honnête, sûr de lui, et il me faisait rire aux éclats.
Avec lui, la vie était belle.
14 mois avant l’événement
C’était une journée presque comme les autres. Comme d’habitude, j’ai lu le Coran dans le métro à l’abri des regards. Quand j’eus fini, j’ai écouté la radio sur mon téléphone et on parlait du risque d’attentat qui n’avait jamais été aussi élevé. En arrivant sur mon lieu de travail, j’ai croisé Cédric qui était en train de faire des pompes sur un seul bras pour impressionner les jeunes recrues. Il en faisait cinq sur le bras gauche puis changeait de bras sans poser le genou à terre, simplement en donnant de l’impulsion. Je me suis arrêté pour voir de plus près et j’aurais mieux fait de poursuivre mon chemin.
« Hey, Abdel, tu ne veux pas nous montrer ce que tu as dans le ventre ?
7 jours après l’événement
Où suis-je ? Qui suis-je ?
C’est quoi ce néon dégueulasse au-dessus de ma tête ? C’est quoi tous ces tuyaux ?
Oh putain de merde, qu’est-ce qui m’est arrivé ? Putain je ne me rappelle rien, je ne me rappelle même plus mon prénom, c’est quoi ce bordel ! Ferme les yeux, tu vas te réveiller, calme-toi, me répétais-je pour me rassurer.
C’est qui cette vieille dans le fauteuil en face de moi ?
Elle s’approche, oh ! merde, mais qu’est-ce qu’elle fait ?
« Ça va mon chéri ? chuchota-t-elle en passant sa main dans mes cheveux et je remarquai qu’elle avait une broche avec la Vierge Marie au niveau de sa veste.
Je ne réponds rien et je laisse les infirmières s’affairer autour de moi. Je ne sais plus qui je suis, mais je sais que ces gens ne sont pas de ma famille. Je le sens dans ma chair, c’est plus fort que moi. Et puis ce prénom, Yannick, il ne me dit rien, j’ai l’impression que c’est la première fois que je l’entends. Je creuse au plus profond pour trouver ne serait-ce qu’un souvenir auquel me raccrocher. Si j’en attrape un, je pourrais escalader la paroi de ma mémoire et retrouver qui je suis.
Rien. C’est le vide sidéral, je suis comme dans un cauchemar. Le docteur arrive et m’explique que j’ai fait une tentative de suicide. Il pose sa main sur mon avant-bras et me dit très calmement que j’ai eu beaucoup de chances. Les forces de l’ordre m’ont trouvé seulement quelques minutes après ma tentative. S’ils étaient arrivés ne serait-ce que cinq minutes plus tard j’étais mort. « Un vrai miraculé », répéta plusieurs fois le médecin, puis il ajouta : « Cet épisode doit vous permettre de repartir sur des bases solides, vous êtes un survivant. »
C’est étrange, car je ne ressens aucune envie de me suicider, je n’ai pas l’impression d’être un survivant. Je ressens une situation d’urgence, de détresse comme si quelque chose de grave était arrivé, mais, en aucun cas, je n’ai envie de mettre fin à mes jours. C’est comme si tous ces gens parlaient d’une autre personne. Le médecin s’écarte avec la vieille pour lui dire quelques mots. Il parle trop fort et j’entends que je développe un trouble post-traumatique, je refuse de voir la réalité en face parce qu’elle est trop dure. Il lui dit qu’il ne faut pas qu’elle s’inquiète, que je vais probablement retrouver mes esprits.
13 mois avant l’événement
Mon téléphone sonna une première fois et, comme je ne connaissais pas le numéro, je ne décrochai pas. Puis le même numéro s’afficha une seconde fois sur mon téléphone. Ils laisseront un message, pensai-je. Je reçus finalement le message vocal suivant : « Bonjour Madame, nous avons retrouvé un téléphone et, en lisant les derniers messages, nous comprenons que c’est celui de votre petit ami. Vous pouvez me rappeler au 07.18.87… ».
J’attrapai mon téléphone et j’appelai Léo immédiatement, mais je tombai sur le répondeur. J’appelai donc le numéro indiqué et c’est la même personne que celle qui avait laissé le message qui décrocha.
« Bonjour, j’ai eu votre message, je suis Sandra, la copine du téléphone perdu… enfin de la personne qui a perdu son téléphone.
Je sautai dans le premier taxi et lui demandai d’allumer la radio. Tout le monde ne parlait que de cela ! Un obus de la Première Guerre mondiale encore fonctionnel plus d’un siècle après avait été déclenché accidentellement par un militant écolo qui voulait dépolluer la Seine. À l’heure des réseaux sociaux, la nouvelle avait fait le tour du monde en quelques minutes. Isolée dans mon appartement sans consulter mon téléphone pendant plus d’une heure, j’étais complètement passée à côté. Les journalistes se voulaient rassurants, car aucune des victimes n’était dans un état grave à l’exception du pêcheur qui avait été le plus touché par le gaz. Une fois arrivé sur place, je retrouvais l’interne qui m’expliqua qu’il s’agissait de gaz moutarde et que seuls le pêcheur et l’homme qui l’avait aidé étaient sévèrement touchés. Cette phrase me paralysa, car je fus pris de panique en pensant que « l’homme qui l’avait aidé » pouvait être Léo. Il me conduisit dans une salle où l’on avait pris en photo tous les blessés et me demanda de regarder chacune des photos.
Il y avait Léo. Je le vis tout de suite comme si on avait pointé un laser sur sa tête. Il avait les yeux fermés, on aurait dit qu’il était mort. Je fondis en larmes en désignant la photo du bout du doigt : « C’est lui, c’est Léo, oh ! mon Dieu, mais pourquoi c’est tombé sur lui ? »
L’interne me regarda avec les yeux remplis de frayeurs et regretta d’avoir été si rassurant au téléphone, car c’était bien Léo qui était venu aider le pêcheur.
« À quel point est-ce grave ? Ne me mentez pas, je veux tout savoir ?! dis-je en l’attrapant par le bras.
Le docteur Mallot qui était un spécialiste des grands brûlés se voulut plus rassurant que son interne. Certes, Léo avait été le plus touché après le pêcheur, car il était venu lui porter secours immédiatement, mais on s’était occupé de lui dans les minutes qui avaient suivi. Il me conseilla de rentrer et de revenir le lendemain, car ils seraient davantage fixés après une première nuit d’observation. Je refusai et je trouvai un fauteuil sur lequel passer la nuit, car l’idée de rentrer chez nous pour attendre que mon téléphone sonne me terrifiait davantage qu’une nuit blanche dans un hôpital.
Au bout de quelques heures, on me laissa voir Léo pendant qu’il dormait. Le haut de son corps et son visage étaient recouverts de compresses. J’appelai ma mère et je lui racontai tout d’une seule traite avant de m’effondrer en larmes. Elle me rassura comme sait le faire une mère, en m’entourant, à distance, de tout son amour.
14 jours après l’événement
« Bonjour, Yannick, comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
11 mois avant l’événement
Léo avait un coussin dans une main et un lampadaire dans l’autre. Il entra dans l’appartement, déposa les objets dans le salon qui était rempli de cartons, s’avança près de la fenêtre et murmura dans sa barbe : « on va être bien ici ». En pleine lumière, on pouvait apercevoir distinctement sa peau brûlée du cou jusqu’au bas du menton. Son visage s’était très bien remis, mais son cou était encore marqué. Il ne faisait rien pour le dissimuler, bien au contraire, il était presque fier de cette brûlure qui lui avait valu tant de félicitations. Peu après sa sortie de l’hôpital, il avait eu droit à toute une série d’honneurs pour féliciter le héros du gaz moutarde. L’association du jeune militant écolo l’avait reçu dans son siège et lui avait remis une carte de membre à vie bien qu’il n’ait jamais été donateur. La maire de Paris en quête de popularité en avait fait des tonnes, en l’invitant à plusieurs manifestations et en faisant de lui l’un des rares citoyens d’honneur de la ville. Il avait été très sollicité par la presse française pour son exploit qui, grâce à la vidéo d’un passant, avait été vu par des millions de personnes. Il répondit à quelques interviews pour expliquer qu’il avait simplement versé son verre d’eau sur les brûlures du pêcheur, puis il décida très rapidement de cesser tout cela, car il sentait naître une forme d’imposture tant son exploit avait pour lui le goût d’un réflexe heureux et non d’un acte de bravoure. La mayonnaise qui était montée très vite redescendit tout aussi rapidement pour son plus grand bonheur.
Moi, j’étais encore plus amoureuse. Cet accident avait joué le rôle d’un accélérateur à sentiments. Ayant cru le perdre, je ne voulais plus le quitter et j’étais rentrée dans une forme de dépendance affective. C’est ainsi que j’avais minutieusement manœuvré pour que nous nous installions ensemble lorsqu’il avait dû rendre l’appartement de son oncle.