Et si on vivait ce temps - Mélany Régnier - E-Book

Et si on vivait ce temps E-Book

Mélany Régnier

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Beschreibung

Perdue dans les méandres de la vie adulte, Pomme explore un monde d’incertitudes et de découvertes inattendues. Lorsque l’amour frappe à sa porte, elle se retrouve emportée dans un tourbillon d’émotions qui défie son propre sentiment d’incapacité. Dans cette aventure inédite, elle se lance dans une quête effrénée pour apprendre à aimer et à être aimée, découvrant ainsi les complexités et les joies de cette expérience humaine universelle. Parviendra-t-elle à surmonter ses doutes et à embrasser pleinement cette nouvelle réalité ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Depuis son enfance, Mélany Régnier explore le monde de l’écriture, encouragée par ses enseignants. À l’adolescence, elle découvre cette passion comme moyen de partager des expériences et des émotions qui lui manquent dans ses lectures. Son objectif est d’aborder des thèmes et des sentiments universels, cherchant à créer une connexion entre les auteurs et les lecteurs, souvent si proches dans leurs ressentis.

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Couverture

Page de titre

Mélany Régnier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et si on vivait ce temps

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Mélany Régnier

ISBN :979-10-422-2574-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette histoire est celle d’un coup de foudre, la rencontre de deux âmes qui se sont reconnues l’espace d’un instant.

À toi qui as engendré ses mots,

 

Ce livre est une résilience.

 

Et si on vivait ce temps

 

 

 

 

Mais qu’est-ce que je fais ici ?

Entourée par la masse informe d’une foule d’étudiants qui dansent et transpirent dans le lieu de réception, je lutte pour ne pas fuir. Je ne connais aucun visage ni aucun nom de ces gens qui m’encerclent dans ce nouvel environnement.

La salle est peu éclairée, la lumière n’est émise que par quelques projecteurs au loin sur une piste improvisée et la musique est si forte que nous sommes contraints de crier pour nous faire entendre.

 

C’est bruyant, petit et surtout bondé : tout ce qu’il faut pour me mettre mal à l’aise.

 

Je regarde toutes les deux minutes l’unique porte de sortie, ma dernière issue pour fuir, j’ai envie de m’en aller. La seule chose qui m’en empêche est mon meilleur ami, Samaël, qui m’accompagne. Nous sommes venus et repartirons ensemble.

Il a besoin de cette soirée, en un sens, elle m’est nécessaire aussi, alors nous resterons encore un peu… Juste un peu.

 

Je consulte mon téléphone pour la énième fois, comme s’il allait se mettre à sonner soudainement, comme s’il me restait encore quelqu’un qui penserait à prendre de mes nouvelles. Rien de ce genre ne se passera. J’en profite pour m’informer de l’heure : ça fait moins de vingt minutes que nous sommes arrivés, ça me semble une éternité.

Faisant semblant d’être occupée, je regarde mon fond d’écran qui n’a pas été choisi au hasard. C’est la capture d’écran d’une conversation avec mon ex-copain. Juste un rappel de plus du pourquoi ça s’est fini, une piqûre qui est là pour que je me souvienne de tous les mauvais choix de ces dernières années.

 

Je relis encore une fois ces mots à lui, emplis de haine. Chaque fois que j’ouvre mon téléphone, je me rappelle qu’il ne faut pas que je replonge, pas avec lui, pas dans ses bras. J’ai mis notre conversation comme photo de contact, lorsqu’il m’appelle, ce qu’il faisait plusieurs fois par jour à notre rupture, moins depuis quelques semaines, ça m’empêche de répondre. Heureusement que j’ai pensé à enregistrer ses paroles, car parfois le vide est si grand, la solitude si lourde que je serais tentée d’accepter, de m’excuser, de me sacrifier à nouveau.

 

On prononce mon prénom et je relève la tête vers Samaël, il me sourit, mais je vois bien que ce sourire est un faux. Il vient de rompre, lui aussi, une distance a cassé son couple. Il sourit pour me rassurer, il sait que je ne suis pas à ma place, mais je lui ai promis qu’on ferait la première soirée étudiante qui passait une fois mon installation terminée en ville. Il a fallu que ce soit une soirée de rencontre et que toutes les promotions soient conviées.

Dans les premières semaines de cours, le bureau des élèves s’était contenté d’un cache-cache géant dans l’université en pleine journée. Cette fois, c’est une soirée « Adopte un psycho », avec une distribution de bracelets à l’entrée pour informer le commun des mortels de votre situation amoureuse. Rouge pour en couple, orange pour ceux qui cherchent un coup d’un soir, et vert pour ceux qui veulent du sérieux. On est arrivé un peu tard, il ne restait que des rouges, ce qui ne me dérange pas, bien au contraire.

 

Samaël m’indique que ses amis ne vont pas tarder, le groupe qui nous entoure est constitué quasi uniquement de sa classe, je ne connais personne. Il m’a parlé de deux camarades qu’il tient absolument à me présenter, un garçon et une fille, je n’ai pas retenu les prénoms, mais il m’a assuré que c’étaient de bonnes personnes.

Sam sait faire la différence entre le bon et le mauvais quand je n’ai, de mon côté, aucun instinct de survie en m’entourant des mauvaises personnes. Il est mon baromètre de moralité lorsqu’il s’agit de faire confiance, je le suivrais les yeux fermés.

 

Mon regard se perd de nouveau sur ma seule échappatoire avant de me souvenir que c’est aussi la seule porte d’entrée et que les amis de Sam vont, d’un instant à l’autre, passer par là. Alors je dévie vite de trajectoire et regarde face à moi la piste de danse, une musique de Bruno Mars dont j’ai oublié le titre semble avoir conquis les danseurs.

 

Comment font ces autres pour s’amuser ? Pourquoi n’y arrivé-je pas ? Même Sam plaisante avec d’autres pendant que mon esprit est perdu dans ce chaos.

Mes bras le long du corps pour ne pas avoir l’air rigide en les croisant, j’essaie de trouver quelque chose qui me fera rester encore un peu ici.

 

Je ne suis pas vraiment sûre que ce soit le lieu, le problème, je me sens mal partout, je cherche juste quelque chose, un signe, un mot, quelque chose qui me dira que ma place est là.

 

Tout ce monde semble heureux, pas forcément alcoolisé et pourtant ivre de vie. Ils sourient, rient à gorge déployée, dansent comme s’ils n’avaient fait que ça de leur vie. Puis il y a moi, loin de ma zone de confort, dans un cercle qui n’est pas le mien. Comme une valeur parasite au milieu d’une expérience qu’on ne peut pas mettre à l’écart par souci éthique.

Pourquoi ne suis-je pas comme eux ? Pourquoi est-ce que je me sens si différente ? On devrait avoir des points communs pourtant, on a tous choisi les mêmes études, on fait partie de la même tranche d’âge, on a une mémoire culturelle commune et bien d’autres similitudes. Alors pourquoi sont-ils si vivants quand je ne connais que le mode survie ? Je ne suis même pas sûre que mon cœur sait battre comme le leur.

 

Ses pensées parasites m’empêchent de profiter et m’enferment un peu plus dans un rôle que je ne veux pas quand soudain, ça me percute !

Un long courant électrique qui se propage dans tout mon corps. Ça relance mon cœur et je l’entends battre dans ma tête. Mon corps entier se retrouve irrigué par un élan de vie. La chaleur me rattrape et une bouffée m’assaille pour m’entourer entièrement.

 

Je n’entends plus la musique, je ne vois plus les corps qui se meuvent, je ne discerne plus rien en dehors de cette sensation, celle d’avoir trouvé ce qu’il manquait ; la pièce perdue du puzzle. Le temps file au ralenti autour de moi et je discerne Samaël faire un geste de la main pour qu’on l’identifie plus facilement dans la foule.

 

Je ne me retourne pas, et pourtant je sais.

 

Mon corps se bat avec mon âme. Alors que mon cerveau est tétanisé par la peur de comprendre ce qui m’arrive, mon âme s’enfuit déjà de cette prison qu’est devenu mon corps.

 

Je tourne la tête pour retarder le moment. Vous entourez Samaël et il vous salue avec chaleur, sa voix me paraît distinctement, a-t-on arrêté la musique ? Vous faites le tour du groupe et Sam vous suit et me présente. C’est d’abord son amie qui m’est présentée. Toi, tu discutes avec d’autres. Elle est sublime et je me sens si minable tout à coup. Les traces de jalousie s’effacent quand je remarque à quel point elle est gentille, ça ne pouvait pas en être autrement avec Sam. Elle est appelée par une autre fille du groupe et je t’aperçois. D’abord de profil.

 

J’admire ta stature, tu es grand et je lève la tête pour remarquer cette façon dont tu te tiens et avec laquelle tu te déplaces. Le menton haut, tu ne baisses pas la tête, regardant les gens à ta hauteur. Ton port est altier et on ressent cette confiance que tu as en toi, une certitude que ce monde est le tien, que ton monde à toi tourne encore rond. Ton corps parle pour toi et je te sens confiant, tout ton être rythme cette assurance.

Je n’ai pas le temps de t’admirer davantage que Sam te tapote l’épaule pour nous présenter. Je le maudis intérieurement un quart de seconde avant que tu te tournes entièrement vers moi. Nos yeux se rencontrent et mon souffle se perd quelque part. Mon âme m’a bel et bien quitté.

Sous nos yeux, entre nos deux corps qui se rapprochent par tes pas, elle tente la tienne. Alors que mon corps est immobile et le tien en mouvement, cette étincelle jaunâtre fonce précipitamment en direction de ton propre feu. Elle le jauge, l’approche, le touche et se laisse totalement aller dans une étreinte que ton âme laisse couler. Ce spectacle est incroyable, mais personne n’y fait attention, je ne sais même pas si tu l’as remarqué, mais j’ose croire que si. Une forme féminine toute vaporeuse, d’un jaunâtre maladif, se meut contre cette flamme rougeoyante que tu as fait apparaître. Tu te tiens devant moi et ta voix enfin me parvient, c’est une caresse.

 

 

 

 

 

Je suis encore hypnotisée de cette rencontre, lorsque je me rends compte que tu t’abaisses pour me faire la bise, c’est cet instant que choisit mon corps pour se réveiller. Il reprend les rênes sur mon esprit et mon âme est projetée si violemment dans mon corps qu’un long courant d’air vient défaire la chaleur qui m’irradiait un instant plus tôt. Je vois cette flamme tenter de l’attraper alors qu’elle se fait aspirer. Elle tente de s’accrocher, tend un bras vers celui tendu par ton âme, mais c’est déjà trop tard, le charme est rompu.

 

Mon corps fuit tout contact, c’est comme ça depuis toujours. Enfin pas tout à fait. Depuis presque une décennie, ressentie comme un siècle. C’est comme une annonce météorologique qui indiquerait les degrés. Il doit bien faire plus de trente dans ce lieu confiné, pourtant il en fait à peine cinq dans mes veines. Le froid et le chaud ne se mélangent pas, le baromètre de ce corps est déréglé.

Je m’excuse aussi vite de ma fuite et te propose de te serrer la main à la place. Ton regard me jauge une seconde qui dure trop longtemps et je sens de nouveau cette tension dans tout mon être, un stress énorme vient de s’installer en moi. J’ai peur de ce que tu pourrais dire, de comment tu pourrais réagir face à cette situation des plus gênantes pour moi. Je fixe la main que je te tends en attendant ton accord alors que ton propre regard me brûle le crâne. À notre époque, et dans notre culture, qui refuse de faire la bise à des inconnus qu’on nous présente en soirée ?

 

J’entends en boucle tous les commentaires qu’on a pu me faire à ce sujet. Les voix sont fortes et familières, discernables entre toutes. Elles forment une collection, ma liste de lecture personnelle, je la nommerai : reproche à moi-même.

J’y entends distinctement ma mère souligner le fait que je ne l’aime plus, c’est certain, sinon pourquoi refuserais-je la tradition du bisou du soir ? Une tradition qui enjoint ma mère à embrasser le front de ses enfants avant d’y signer du pouce une croix. De peur d’une telle situation, je m’entends demander à Sam le jour même, de dire à ses amis de ne pas m’embrasser. Tout comme j’entends mon ex-copain, le lendemain de notre rencontre, me proposer une autre alternative tout en soulignant le problème.

 

 — Je sais que tu n’es pas trop fan de la bise alors comme tu veux, un bisou ou un check.

Je lui tends mon poing fermé et il cogne dedans, un peu déçu.

— J’aurais pris le bisou à ta place, ajoute une camarade juste à côté.

 

Je suis ramenée au présent par ta voix qui me répond juste : « d’accord ». Ta main tape doucement dans la mienne et c’est une secousse qui me traverse cette fois. Comme un coup de jus, mais en un peu plus grand et sans électricité statique.

Tu te détournes bien vite et ça m’arrange. Je ne sais pas où regarder de peur de te dévisager.

À la lumière des lieux, je ne discerne pas bien la couleur de tes yeux, mais leur pénétrance reste déroutante dans la semi-obscurité qui nous entoure. J’ai l’impression que tout ce que je veux cacher, tout ce qui me concerne, peut être lu de toi avec facilité. Mais je ne veux pas me dévoiler, pas maintenant, pas après l’abus de confiance que je viens d’essuyer. Je n’ai pas envie qu’on puisse encore utiliser cela contre moi. Alors tant que tu regardes ailleurs, ça peut aller.

 

Une nouvelle barrière mentale enferme mon âme à double tour. Mes sentiments, qui débordaient un instant plus tôt, sont priés de faire silence et je m’enferme un instant en moi-même avant de revenir à cette soirée. Mes propres bras m’entourent, ils sont croisés contre mon ventre et c’est exactement l’attitude que je ne souhaitais pas avoir. De l’extérieur, je suis fermée au monde, de l’intérieur, je me protège de celui-ci. Mes bras m’enserrent comme l’étreinte réconfortante d’un câlin, et ça fonctionne, mais ça me fait régresser dans ma zone de confort. Ce soir, je suis venue m’ouvrir au monde, ou du moins le découvrir avant de m’y jeter, ce serait affreux de s’y noyer.

 

Je coule un regard vers Samaël pour retrouver du courage et je le vois discuter avec toi. Ses yeux dans les miens m’encouragent et je remarque qu’il a également les bras croisés sur son manteau qu’il tient. Il ne semble pas introverti malgré ce fait, peut-être qu’il est juste plus souriant que moi. C’est un échange silencieux entre nous, mais tu l’interceptes et ta tête tourne vers moi. Un faisceau blanc passe au même instant sur ton visage et je détourne le regard. Tes yeux en pleine lumière sont impossibles à soutenir pour moi. Leur bleu céruléen les rend trop profonds pour oser les affronter, comme une vague qu’on n’a pas vue arriver et qui nous fait boire la tasse. Sam arrive à mes côtés la minute suivante, il pose son manteau et me demande si je passe une bonne soirée. Je hausse mollement les épaules avant de me souvenir que je suis là pour lui et d’afficher un nouveau sourire en lui retournant la question. Ce même rictus manque de se faner quand je comprends qu’il est ravi d’être là et pas le moins du monde pressé de rentrer.

Quel genre d’amie suis-je ? Incapable d’être heureuse de l’insouciance qui émane de Sam ! Je sens encore ton regard sur moi et refuse de tourner la tête, ça me brûle et me démange, mais je tiens bon, priant n’importe quelle distraction qui détournerait ton attention.

 

Mes prières sont entendues lorsqu’une nouvelle tête apparaît dans le groupe, celle d’une danseuse qui s’enflamme sur une danse latine. Tous les regards convergent vers elle et je comprends qu’elle fait partie de votre groupe. Elle danse avec une maîtrise incroyable et on a affaire à une femme dans son élément naturel. Sa place à elle est ici, c’est certain.

Alors que personne ne dansait jusqu’ici, ou alors très peu, elle enjoint tout le monde à faire de même et prend les mains de plusieurs membres du groupe pour lancer quelques duos. Elle se dirige d’abord vers Samaël qui décline poliment et elle se rabat sur moi, mais je refuse également. Elle insiste un peu face à nos deux refus, mais renonce bien vite et se retourne avant de trouver un partenaire qui veut bien la suivre, toi. Tu tentes deux, trois pas, et ça ne te réussit pas vraiment, mais loin d’être ridicule tu profites de l’instant présent. Les autres membres du groupe vous observent avant de se lancer eux aussi dans quelques mouvements inventés.

 

J’ai toujours été admirative des talents des autres, danser est l’un de ces dons qui m’impressionnent particulièrement. Ma petite sœur en a été dotée, pas moi. Alors qu’elle serait capable d’inventer une chorégraphie en moins de quelques minutes, il me fallait des mois pour retenir les pas de nos cours de danse et une concentration intense pour les exécuter. La dernière fois que nous avions dansé ensemble, c’était au spectacle du club de hip-hop dans lequel nous étions inscrites toutes deux.

 

Nous étions un groupe exclusivement féminin et avions chacune un duo à différents instants de notre prestation. Ma cadette enchaînait les figures les plus complexes, des portées au grand écart de voltige, pendant que j’essayais vainement d’indiquer à mes jambes et mes bras la bonne direction. À la fin de notre représentation, ma mère dans la voiture nous félicita avant de rire de mon sérieux. Je n’ai pas compris jusqu’à ce qu’elle me dise que je ne souriais pas pendant la chorégraphie.

J’avais oublié ce détail, c’était si insignifiant pour tout le monde, si commun pour notre professeur de danse, qu’à aucun moment elle ne nous a rappelé de sourire pendant notre prestation. Ne pas remettre ses cheveux en place, oui. Penser aux placements de chacune, quelle sortie prendre, droite ou gauche, ou traverser la scène, d’accord. Mais jamais elle n’a parlé de sourire.

Elle était au bord de la scène, à gauche du premier rang, reproduisant la chorégraphie en même temps que nous pour être sûre qu’un oubli ne gâcherait pas tout, elle souriait toujours en dansant, comme toutes nos danseuses. En regardant la vidéo prise par ma mère, je remarquais d’abord les mouvements de chacune, l’oubli parfois. Mais, si on ne s’était pas moqué de mon sérieux, jamais je ne me serais aperçu que tout le monde souriait sauf moi.

 

D’une soirée à une autre, je me remémorais la dernière soirée à laquelle j’avais assisté, celle de l’anniversaire d’une camarade. Ses dix-huit ans avaient été célébrés en grande pompe avec une salle louée pour l’occasion, tous ses amis et toute sa famille étaient conviés. Je m’y suis rendue avec une amie qui avait une technique peu commune pour la danse. Facile, tu plies les genoux et tu lèves les bras en l’air. Ça ne ressemblait pas à de la danse, mais elle bougeait plus que n’importe quel autre invité. La piste a été, à ce moment-là, remplie par les proches de notre hôte qui s’amusaient sur les musiques des années 80, la nouvelle génération qui était restée attablée et qui discutait tranquillement.

 

J’étais au milieu de ces adultes, immobile, comme dans cette soirée étudiante.

 

La réalité me frappa brusquement lorsque deux filles vinrent me chercher pour danser en me prenant un bras chacune. Perdue dans mes pensées, il me fallut quelque temps pour les entendre, me concentrant pour dépasser les décibels de la musique qui hurlait à présent, ou peut-être n’étais-je plus habituée.

 

Elles veulent aller sur la piste de danse, là-bas, bondée.

 

Je me demande si elles ne se sont pas trompées de personne par mégarde avant de reconnaître leurs visages, elles étaient dans le bus avec Samaël et moi.

Nous avions rejoint deux camarades avant d’arriver ici, car nous ne connaissons pas encore assez cette nouvelle ville. Elles avaient été nos guides et venaient de réapparaître dans notre groupe qu’elles avaient quitté à notre entrée.

 

Je décline poliment la proposition, mais elles insistent : « On va s’amuser », proclament-elles.

 

Nous sommes obligés de crier pour nous comprendre, mais elles ne me lâchent pas. Je fais contrepoids en me penchant vers l’arrière pour lutter contre leur force alors qu’elles me tirent par les deux bras. La piste au loin semble pleine à craquer, il n’y a aucun espace pour respirer pour ces danseurs qui s’entrechoquent pratiquement à chaque pas. Comment pourrait-on danser là-bas et que pourrais-je y faire ?

Cette lutte, entre elles et moi, dure d’interminables secondes et une brûlure qui commence à être familière m’indique que tu nous observes. Tournant la tête, je vous aperçois : Samaël, votre amie et toi ; aucun de vous ne parle. Une sorte de malaise s’installe quelque part, honteuse de refuser de danser et d’imposer un tel spectacle. C’est trois fois rien, mais ces regards agissent sur moi comme un jugement.

Ce n’est pas à cause de Sam que je me sens honteuse, je sais qu’il n’émettra aucun avis public sur ma résistance, mais c’est l’image que je vous renvoie à vous deux. Deux personnes à qui il tient. Si jamais vous ressortez de cette première soirée avec une mauvaise impression, nous ne referons sûrement aucune autre soirée ensemble. Et si Samaël doit faire un choix, je lui demanderai de vous choisir vous plutôt que moi, car vous êtes cette lumière dont il a besoin pendant que je survis dans l’ombre.

L’une des filles a fini par lâcher l’affaire, mais la seconde en profite pour me saisir les deux bras et continue d’insister. Je lui réponds que je ne sais pas danser, et qu’il y a trop de monde, je ne serais pas à l’aise dans une telle foule.

 

Je vise une parfaite honnêteté pour la convaincre, mais elle ne m’écoute guère. C’est finalement son amie qui lui fait signe de la suivre, accompagnée de cette danseuse confirmée qui nous avait rejoints, et enfin la paix revient. Vos regards toujours tournés dans notre direction, j’ai maintenant envie de me cacher dans le premier trou de souris qui apparaîtra. Mes yeux fuient à nouveau vers la sortie.

Samaël apparaît soudain juste à l’endroit que viennent de quitter les trois danseuses. Il me demande si je vais bien en effaçant d’un geste de la main la sensation, encore existante, de la force des deux jeunes femmes sur mes bras. Je hoche péniblement, mais rapidement la tête pour acquiescer, alors que mon cœur tambourine dans ma tête à une vitesse folle, oubliant de lui retourner sa question.

Ma motivation à rester pour qu’il passe une bonne soirée s’effrite de plus en plus. Peut-être accepterait-il de rester ici et de me laisser rentrer seule, il trouvera forcément le chemin jusqu’à mon appartement, c’est juste à côté de notre faculté.

Je n’ai pas le temps d’émettre l’idée que nous sommes interrompus par ton arrivée. Tu danses toujours et Samaël finit par tenter un peu de te suivre sans y parvenir, son regard toujours un peu inquiet jure avec le reste de l’attitude qu’il se donne. Immobile entre vous, je suis de trop. Je fais tache dans ce paysage. Une fois de plus ce soir. Tu me proposes de danser et je décline encore une fois. Ma tête est remplie d’un boucan infernal.

 

Cela n’a rien à voir avec la musique ou la fête. C’est un genre de cumul de tout ce qu’il y a ici et de ce qu’il y avait également dans mon esprit avant de venir. Toute la pression que je me suis imposée, celle de faire des rencontres intéressantes, de faire bonne impression, de ne pas être hors des clous. Tout ça se lie aux diverses propositions que le monde extérieur m’a proposées et de mes multiples refus. Ce n’est peut-être pas ce monde qui ne veut pas de moi, mais bien moi qui ne veut plus de ce monde.

Mes pensées font un bruit d’électricité sourde, ça remplit ma tête au point de m’en donner la migraine. C’est un bruit qui ne s’arrête jamais, parfois il désemplit. D’autres fois, il est si faible que j’arrive à dormir avec. Mais depuis qu’il est apparu, je n’ai plus eu un seul jour de paix hantée par ses sombres idées.

 

Un frisson glacé me percute brutalement. Il transperce ma peau à l’endroit même où tu viens de poser ta main, sur mon épaule. Il me faut un instant pour comprendre ce qui vient de se produire, mais mon corps a déjà parlé pour moi. Je me suis reculée, mes jambes ont buté contre un meuble derrière moi manquant de me faire chuter.

 

Sam vient de s’interposer entre nous, il ne danse plus, ne joue plus.

 

Tout se passe très rapidement, trop rapidement. Je n’ai pas le temps de m’adapter. Mon souffle a été coupé par la peur, juste en un simple contact. Je me transforme instantanément en une statue de sable. Une bourrasque suffirait à me faire disparaître. Le rictus que j’affichais jusqu’alors comme un masque vénitien se fane d’un seul coup. La chaleur du lieu ne me parvient plus, tout n’est plus qu’un frisson glacé, mordant ma peau depuis l’intérieur comme l’auraient fait les grains de sable balayés qui fouettent sans cesse la peau des vacanciers.

 

« Danse, il faut s’amuser ».