EV - Tome 1 - Jérémie Gautrelet - E-Book

EV - Tome 1 E-Book

Jérémie Gautrelet

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Beschreibung

Ev est un monde riche en ressources extraordinaires, où les peuples vivent en parfaite harmonie avec leur environnement. Mais croire que l’équilibre suffit à préserver la paix n’est qu’une douce illusion. Lorsque l’ambition dévorante d’un homme brise cette quiétude, la planète tout entière bascule dans le chaos.

Sa quête de domination totale déclenche une série d’événements incontrôlables, plongeant les royaumes dans une guerre sans précédent. Guerriers, pirates et légionnaires, une multitude de protagonistes s’affrontent, tandis que l’avenir d’Ev repose sur sept adolescents. Guidés par une magie ancestrale, ils incarnent les derniers espoirs d’un monde au bord de l’effondrement. La bataille pour leur survie ne fait que commencer…

A PROPOS DE L'AUTEUR

Jérémie Gautrelet crée des univers où la science rencontre la magie. L’âme d’un explorateur, il puise son inspiration dans ses lectures et ses voyages : des tropiques au pôle Nord, en passant par les vastes étendues désertiques. Ancien militaire, passionné d’escalade et d’arts martiaux, il façonne une écriture à la fois épique et introspective. Dans son premier roman, il offre une aventure où la quête de sens et les mystères de la nature s’unissent dans une harmonie saisissante.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Ähnliche


Couverture

 

 

 

EV

Tome 1

 

 

de Jérémie Gautrelet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le temps d’un roman

Collection «Science Fantasy»

www.temps-roman.com

 

1ère Partie – Ouverture

 

1.

 

La fine lame fendait l’air à toute vitesse. Ank modifiait les courbes serrées en piques profondes et accompagnait ses frappes d’expirations puissantes. Le regard vif, il projetait son arme dans toutes les directions. Après plusieurs heures d’exercices soutenus, la douleur irradiait dans son corps à la manière d’une étreinte brûlante qui surgissait en vagues successives.

Le jeune guerrier connaissait ce long processus d’acceptation : un oubli de soi-même qui le plongeait dans un nouvel état de conscience, un univers où la pensée s’étirait au-delà de l’espace et du temps.

Et, il adorait ça !

Soudain, l’appel du maître pénétra son espritavec une rare intensité, — rejoins-moi ! — un bouleversement si puissant que son cœur dérapa. Jamais il n’avait ressenti pareille angoisse au contact d’Hakan.

Il traversa en courant la petite clairière où il s’entraînait et s’enfonça dans la forêt, l’épée à la main et torse nu, tel qu’il était venu. Le soleil perçait timidement à travers l’épais feuillage et malgré l’absence de lumière, Ank se faufilait aisément entre les arbres. Il évitait les racines, sournoises dans la pénombre, sans perdre l’allure pour autant.

Tout à coup, il se baissa pour esquiver une branche et les cuisses en tension, se propulsa au-delà du ruisseau. La berge opposée foisonnait de pièges boueux, mais le jeune homme connaissait le rocher qui se dissimulait dans les touffes d’herbes. Il se réceptionna en souplesse et profita de son inertie pour reprendre sa course effrénée.

Un petit marécage qui s’étalait en parallèle du cours d’eau constituait l’un des passages délicats de son parcours. Il ricocha sur une série de pierres sèches, des sauts explosifs qui lui donnaient l’impression de survoler la vase.

Il quitta ensuite la forêt pour dévaler les douces prairies parfumées qui menaient à Sishiro. Il n’y avait personne dans cette ville abandonnée pour s’inquiéter de sa course folle et le guerrier franchit à toute allure l’enceinte du château.

Il grimpa à en perdre le souffle jusqu’au sommet de la tour. Au dernier étage, il s’arrêta dans une ultime glissade, juste avant de heurter la porte en bois. Le poing levé, il interrompit son geste au moment où une voix grave l’autorisait à entrer.

Il posa son épée contre le mur.

Assis au centre de la pièce, maître Hakan méditait. Ank effectua quelques pas hésitants en s’efforçant de calmer les soubresauts de ses poumons. Il s’agenouilla face au vieil homme qui profita de cet instant pour dévoiler, sous ses épais sourcils blancs, deux perles bleues d’une rare intensité.

« Mon garçon. Tu as compris que mon appel était urgent et je te remercie d’avoir couru si vite. » Il souriait, mais l’expression dans ses yeux dénonçait une tout autre réalité. « Le moment est venu d’accomplir ta mission ! »

Malgré l’apparente sérénitéde son maître, Ank réagit immédiatement à ses paroles. Les tremblements de la peur s’échappèrent de ses entrailles pour s’immiscer jusqu’au bout de ses doigts. Il voulut s’exprimer, mais le son qui sortit de sa bouche asséchée ressemblait plutôt au râle d’une bête à l’agonie. Soudain, il lui sembla préférable de la fermer le temps qu’Hakan poursuive ses explications.

« Après toutes ces années à comploter dans l’ombre, notre ennemi s’est enfin décidé à passer à l’action. Mes perceptions sont encore rudimentaires, mais je pressens que plusieurs légions se sont déployées avec l’intention d’atteindre nos jeunes amis. »

Percuté de plein fouet par la nouvelle, l’esprit de l’homme vacilla comme un guerrier dans l’arène ; mais ici, nul spectateur pour supporter la révolte de ses sentiments. Lui-même ignorait lequel des deux, de la résignation ou de la détermination, remporterait le combat. Il se préparait depuis son plus jeune âge pour affronter ce moment, mais ne se sentait pas prêt pour autant !

« Si tôt ? lâcha-t-il en déglutissant le caillou qui lui servait de langue.

— Plus tôt que dans mes estimations, je suis contraint de l’admettre. » Hakan le fixa intensément. Nul doute qu’il connaissait les réactions de son élève. « Lutter contre l’évidence est une entreprise perverse, une attitude qui inhibe ton potentiel. »

Le jeune homme s’autorisa un instant pour intégrer ces paroles. Les enseignements du maître n’étaient pas à prendre à la légère, et s’il approuvait la démarche, il n’avait surtout pas le choix.

« Est-ce que les enfants sont en danger ?

— Certes oui, mais Tehau…

— Tehau ? coupa Ank. Pardonnez-moi ! Je pensais qu’il était en sécurité avec Dinan !

— Tu laisses à nouveau tes croyances affecter ton jugement. En découvrant leurs pouvoirs, les enfants ont involontairement révélé leurs identités à nos ennemis. À présent, Tehau est prisonnier à bord du Valtava. Il devient ta priorité. Je compte sur toi pour le libérer avant qu’il ne soit trop tard.

— Bien maître. Et pour le reste du groupe ?

— J’ignore les intentions des légionnaires, mais s’ils synchronisent leurs attaques, et la logique me force à penser que tel sera le cas, alors nous ne pourrons pas tous les secourir. » Le vieil homme perçut la réaction instinctive de son disciple, comme si son corps se rétractait. « Je suis obligé de reconnaître que cette perspective est aussi soudaine qu’alarmante. Mais, si nous agissons intelligemment, nous préserverons à la fois le bénéfice de la surprise ainsi qu’une certaine initiative. Et cela mon garçon, c’est déjà un atout formidable.

— Vous avez raison, je me suis laissé emporté par mes émotions.

— Et c’est compréhensible, concéda le vieillard avec compassion, le contraire m’aurait étonné. Abandonne tes doutes et tu trouveras le chemin !

— Oui, maître. » L’injonction d’Hakan stimula Ank qui décida d’en profiter pour conditionner son cerveau vers de meilleures dispositions. « Je ferai tout mon possible pour les sauver.

— Je sais. »

De retour dans sa chambre, il s’octroya un moment.

Il ne voulait pas confondre état d’urgence et précipitation. Habituellement, ses techniques de respirations s’avéraient un excellent moyen d’évacuer toutes les pensées parasites. Seulement, la menace dépassait la survie d’une poignée d’enfants.

Ank avait peur d’échouer certes, mais également d’appréhender les conséquences de son échec. Les peuples d’Ev seraient bientôt soumis à de terribles épreuves, et assumer la responsabilité de leur avenir le rendait fébrile. De plus, le guerrier savait que pour atteindre son objectif, il devait rester concentré : malheureusement, la peur n’était pas un guide fiable !

En pivotant vers le miroir, il s’aperçut que sa peau cuivrée avait pris une teinte cireuse, presque maladive. Pareils à deux fentes, ses yeux noirs disparaissaient derrière le masque de l’angoisse en laissant à son esprit l’impression désagréable de se retrouver à une distance considérable de son corps.

Déterminé à effacer toutes traces de son désarroi, le jeune homme s’aspergea le visage d’eau froide. Il tira en arrière ses longs cheveux noirs, mais nouer ainsi son chignon au sommet de son crâne n’améliora pas son apparence ; maintenant, ses pommettes saillantes lui donnaient un air encore plus amaigri.

Après quelques expirations infructueuses, il glissa ses pieds à travers un pantalon en peau, un mouvement sec qui termina sa course dans des bottines souples. Il plongea sa tête au cœur d’un vieux tricot en laine, réprima un râle agacé, et retourna la feutrine blanche pour la mettre à l’endroit.

« Ça commence mal ! » s’énerva-t-il.

Il enfila ensuite sa veste, un vêtement renforcé de lamelles en cuir, attrapa ses couteaux de combats, ils étaient suspendus au mur en compagnie d’une fourrure à long poil et d’un sac, et jeta le tout sur ses épaules.

Il quitta la petite pièce en se demandant s’il la reverrait un jour, puis dévala les escaliers vers les étages inférieurs. Gabiel s’affairait dans les cuisines, occupé à mélanger un assortiment de céréales et de fruits secs. Son intrusion dans la pièce surprit le garçon.

« Tout va bien ?

— Je pars avec Siku. »

Gabiel souriait à présent. 

« Tu vas les chercher ?

— Je vais essayer…

— Maître Hakan n’aimerait pas t’entendre prononcer cela de cette façon ! Moi, je crois que tu peux réussir. »

Cette démonstration de confiance lui réchauffa le cœur. Il savait que Gabiel attendait avec impatience de pouvoir rencontrer de jeunes gens de son âge. Lui, qui passait ses journées à étudier et à s’entraîner en compagnie de maître Hakan, menait une drôle de vie. Mais, il ne s’en plaignait jamais et acceptait sa condition en offrant toujours le meilleur de lui-même.

« Tu as raison, admit Ank.

— Cela se pourrait. Promets-moi de revenir ! »

L’homme s’approcha pour poser son front contre le sien.

« Promis ! »

Il aurait voulu le rassurer plus longuement, mais l’urgence de retrouver Siku l’obligea à écourter ce moment. Le sac posé sur la table, il fourra vite fait quelques provisions.

« Bonne chance ! » cria Gabiel en le regardant partir en courant.

Après avoir quitté le château, traversé la cour intérieure et emprunté le sentier qui serpentait au pied de la montagne, Ank grimpa à l’intérieur d’une tour solitaire, un bâtiment élancé qui accueillait les appartements de Siku.

Il poussa les doubles portes sans s’annoncer et pénétra dans une salle lumineuse et richement décorée. Il trouvait difficile de s’inviter chez elle sans contempler les merveilles de sa collection. Cette fois-ci pourtant, il passa rapidement devant les murs couverts de peintures et de fresques antiques, évita les amoncellements de livres à même le sol ainsi que les coffres qui débordaient de bibelots pour atteindre la pièce voisine.

Debout au milieu de la chambre, une femme rayonnait dans sa robe de soie lilas. Le voile transparent, délicatement posé sur ses épaules, enveloppait sa poitrine avant de tomber sur ses chevilles. Siku penchait la tête sur le côté, sa chevelure blonde cascadant depuis son cou gracile jusqu’à la naissance de ses reins. En voyant ses paupières closes, Ank se douta qu’elle projetait son esprit hors de son corps.

Il n’avait d’autres choix que d’attendre la fin de sa méditation. En laissant ses yeux glisser de merveille en merveille, il se remémora les longues heures passées en sa compagnie, à écouter son enseignement et à étudier les vestiges des anciennes civilisations. Soudain, son regard accrocha un objet qui, plus que tout le reste, remua le flot de ses pensées.

« Je perçois toujours les subtiles réminiscences de ta nervosité imprégner sa surface en bois, chuchota tout à coup une voix dans son dos.

— Toujours ? » Le casse-tête possédait un mécanisme complexe : une serrure susceptible de déclencher l’explosion d’une fiole de gaz empoisonné. « Cela aurait-il un rapport avec la perspective de mourir dans d’atroces souffrances ? » ironisa-t-il en se tournant vers elle.

Il pouvait maintenant admirer ses grands yeux dorés qui l’observaient avec une pointe d’amusement et, il éprouvait des difficultés à interpréter ce regard énigmatique, un soupçon de tendresse. Ank s’évertuait, souvent en vain, à analyser les attitudes de sa compagne, ainsi que ses changements d’humeurs soudains.

« Je me trouvais à bord du Valtava », précisa-t-elle.

Encore une fois, elle démontra sa capacité à modifier subitement son comportement. Maintenant, la détermination transfigurait son beau visage. Elle bascula légèrement vers l’avant et le jeune homme eut le sentiment qu’elle paraissait plus accessible.

« As-tu vu Tehau ?

— Oui. » Il aimait quand elle souriait, même avec ce petit air condescendant qu’elle adoptait lorsqu’il prouvait son ignorance dans l’expression de ses pouvoirs. « Je pouvais ressentir ses émotions. »

Siku s’approcha. Elle se tenait tout près à présent et il pouvait sentir son parfum agréable de fleurs fraîches.

« Comment va-t-il ?

— Il a peur. J’aurais souhaité l’aider en lui insufflant un peu de courage.

— J’avoue que ce serait bien pratique, surtout en préparation de son évasion.

— Malheureusement, en agissant ainsi, je mettrais notre mission en péril. »

Il ne put s’empêcher de ressentir une pointe de déception. Mais Ank ne comprenait qu’avec son intellect. L’expérience lui manquait pour appréhender l’entière signification de ses paroles. Il n’ignorait pas qu’en se projetant hors de son corps, Siku pénétrait dans un environnement immatériel où chaque acte laissait une trace énergétique. Ce qu’il maîtrisait mal, c’était l’amplitude de cette interaction.

Si elle utilisait ses pouvoirs pour entrer en contact avec Tehau, son amie deviendrait aussi visible qu’un phare dans la nuit. Elle produirait malgré elle une onde lumineuse qui finirait par atteindre leurs ennemis ; et elle n’était pas disposée à les affronter.

La jeune femme franchit les portes-fenêtres qui accédaient à la terrasse extérieure en portant son attention vers le ciel. La souplesse féline de sa démarche lui donnait des airs de danseuse.

Ank se tenait à l’écart.

Il la regarda s’illuminer d’une lueur dorée qui transforma sa robe en écrin chatoyant, un formidable halo qui dévoila ses formes parfaites. Il adorait contempler son profil, la courbure de son dos qui soulignait l’amorce de ses fesses rondes et fermes et son buste à la taille fine dont les seins pointaient vers l’avant. Voluptueuse, la femme leva les bras au-dessus de la tête.

Elle se dressa alors sur la pointe des pieds jusqu’à s’élever légèrement dans les airs. Tout observateur aurait pris la fuite devant cette scène incroyable.

Pas Ank. Il aimait assister à sa métamorphose.

L’éclat qui émanait de son corps l’aveuglait. Plissant les paupières, il vit ses muscles se déchirer à l’extrême, ses épaules rompre en produisant un craquement effroyable, et son visage s’allonger atrocement. Seulement à la fin, dans une explosion de lumière insoutenable, Siku déploya ses ailes avec une vigueur qui ébranla les lourds pavés de la terrasse.

Lorsque le halo s’estompa, la jeune femme ressemblait à une féroce dragonne aux écailles dorées, une créature titanesque munit de terribles piques. Se tournant vers son compagnon, elle lui présenta la patte avant.

En quelques enjambées, il s’installa à la base du cou. Les cuisses autour de l’encolure, il ferma sa fourrure puis lui donna le signal du départ. Une simple pression des genoux et Siku s’élança d’un bond puissant. Le cavalier sentit les muscles de la bête se contracter sous l’effort tandis que ses ailes faisaient tourbillonner l’atmosphère humide du matin.

En s’élevant au-dessus du paysage, Ank jeta un dernier regard nostalgique sur le château où il avait passé sa vie. Construit dans une veine de diamantin, l’édifice sortait du flanc de la montagne à la manière d’un éperon glacé. La roche, pourtant opaque, semblait transparente lorsque la lumière se réfléchissait sur sa surface miroitante.

Abandonnée par ses habitants, la ville de Sishiro s’étalait dans un défilé, au cœur d’une île lointaine. Sa situation géographique sur la planète Ev, positionnée aux confins des mers australes et à l’écart des principales routes commerciales, lui conférait un isolement propice à demeurer inconnue. Sishiro représentait l’ultime trace d’un peuple oublié, dont l’existence avait disparu des archives de la grande bibliothèque plusieurs siècles auparavant.

Ank se rappelait les histoires au coin du feu en compagnie de son maître. Il aimait écouter le vieil homme lui raconter les péripéties d’un peuple dont il était l’un des rares représentants.

Si la cité de Sishiro était déserte, l’île en revanche abritait encore quelques âmes éparses retirées du reste du monde, des poignées de fermiers et de bergers qui vivaient dans les lointaines vallées de montagnes. C’était dans ce décor rustique qu’il avait vu le jour, à l’écart des principales civilisations d’Ev et des mégapoles où se concentraient des millions d’habitants.

Lorsque Siku était venue le chercher, il l’avait suivi, rempli de promesses d’aventures.

À l’occasion de ses entraînements, lorsqu’il pénétrait dans les terres, il lui arrivait de croiser les membres de son peuple. À ce moment, il aurait pu envier leur vie pastorale, simple et dépourvue de la moindre menace si ce n’était celle du temps qui défilait. Mais une journée comme celle-ci, chevauchant une puissante créature, tandis qu’il sentait cette formidable énergie remplir son cœur et irradier chacune de ses cellules, il remerciait Siku de l’avoir choisi, lui, le petit garçon des montagnes.

« Tu es une personne exceptionnelle, Ank, et je suis fière de t’avoir eu comme élève. »

Avec ses remarquables dons, Siku percevait ses pensées, ce qui bien évidemment n’était pas réciproque. Ank était habitué à cette connexion qui existait depuis leur rencontre. Seulement, entretenir une relation avec une dragonne s’avérait une chose tout à fait singulière tant Siku, à bien des égards, semblait éloignée des préoccupations humaines.

« Merci. »

 

 

2.

 

Illuminées par un mince croissant de lune, les masses nuageuses glissaient au-dessus de l’océan en dévoilant furtivement la silhouette colossale du Valtava. Le croiseur vinktrien filait à toute vitesse, les voiles gonflées par un puissant vent de poupe, tandis que dans son vol silencieux à travers la brume, il dessinait de longues volutes blanches. Le Valtava était un bâtiment de guerre dont la force de frappe procurait un sentiment d’orgueil si exaltant que son équipage se pensait invulnérable.

Et pourtant ! Suspendu par une élingue attachée dans son dos, un câble qui le reliait à son vaisseau, le capitaine de la Flèche Bleue planait dans la nuit à la poursuite de la forteresse volante. Si petit qu’il paraissait insignifiant, l’homme espérait que cette différence jouerait en sa faveur. Dinan était peut-être l’un des meilleurs pirates de sa génération, mais aucune personne sensée, ni même le plus fou des corsaires n’aurait parié sur ses chances de réussite. Sa mission était périlleuse certes, mais l’urgence de la situation lui imposait cet ultime sacrifice. Il avait fait une promesse qu’il entendait bien honorer, jusque dans la mort… si cette dernière sollicitait une entrevue.

Plus tôt, alors qu’il était confortablement installé dans la Flèche, Dinan avait imaginé un plan avec son second. Le jeune capitaine s’était autorisé un sourire tordu en se projetant au cœur de l’action. « Le meilleur moyen de surprendre la vigie, c’est d’arriver par le haut ! » Sémin avait hoché la tête avant de vider son verre cul sec. Puis, après quelques préparatifs, Dinan avait plongé dans la nuit glaciale.

À présent, l’air fouettait sa combinaison en produisant une vibration désagréable qui raidissait ses articulations tandis que l’humidité givrée glissait sur ses joues douloureuses.

« Enfoiré ! » siffla-t-il entre ses dents après un certain temps à planer dans les nuages. Il visualisait Sémin, au chaud dans son fauteuil de pilote : ce dernier avait soutenu son initiative avec un large sourire. — Tu m’étonnes ! pensa-t-il. C’est pas lui qui se les gèle, suspendu comme un con ! —

Mais devant l’imminence du danger, sa mauvaise humeur disparue pour laisser la place à une froide détermination. Le Valtava était tout proche maintenant et il distinguait l’intérieur de la tour qui se dressait à son sommet.

Il ajusta ses lunettes afin de les rendre parfaitement hermétiques, sortit l’arbalète de son étui, — surtout ne pas la lâcher… — ouvrit l’arc escamotable et dégaina un carreau. — merde ! —

Avec le froid et l’humidité, il sentit le projectile lui glisser des mains. Il retint sa respiration tandis que l’objet tourbillonnait dans la nuit. Il le regarda frôler silencieusement le flanc gauche de son ennemi, mais ce dernier ne s’aperçut de rien.

Sauf que le morceau de bois rebondit un peu plus bas sur la coque. Évidemment, l’autre curieux se pencha par-dessus la rambarde et, comme attiré par une présence, releva la tête.

Les deux hommes s’observèrent le temps d’un souffle.

Dinan fit une nouvelle tentative pour charger son arbalète pendant que son adversaire se ruait sur le signal d’alarme : un pas, deux pas et le capitaine tira ! Mais trop loin pour être efficace. Le vent dévia le projectile qui percuta le métal. Aspiré dans le tourbillon du temps, le pirate vit comme au ralenti le carreau ricocher et changer de trajectoire pour terminer sa course dans la cuisse du vinktrien.

— Merci ! —

L’impact cloua le gars contre la rambarde, mais cet emmerdeur était tenace ! Résolu à déclencher l’alerte, il se relevait déjà. Le capitaine rechargea et un nouveau trait siffla. Enfin, Dinan laissa échapper un rire nerveux en voyant son adversaire s’écrouler.

L’instant d’après, il agrippait le garde-corps pour se hisser dans la tour du Valtava. Il décrocha de son harnais le mousqueton qui s’envola dans la nuit et en le suivant du regard, il aperçut son appareil qui disparaissait dans les nuages.

— Fait chier ! — pensa-t-il soudainement.

Il se retrouvait seul en territoire ennemi, en compagnie d’un cadavre dont les vêtements maculés de sang et de bouts de cervelle étaient totalement inutilisables. Ce n’était pas prévu et il se demanda une nouvelle fois si son entreprise n’était pas trop ambitieuse. À peine venait-il d’apponter qu’il subissait son premier échec. Désormais, il n’avait d’autres choix que d’attendre la relève et espérer avoir plus de chance avec celle-ci.

Un moment se passa pendant lequel Dinan observa le vaisseau impérial, ses poutrelles métalliques et ses assemblages complexes qui zébraient la coque en bois. À l’intérieur de la structure, les engrenages s’entrechoquaient dans un délicat cliquetis ininterrompu. Les sons s’intensifiaient à chaque manœuvre de voiles, alors que le mastodonte, sous l’influence des pressions colossales qu’il subissait pendant son vol, vibrait doucement dans un murmure à peine perceptible.

Un bruit soudain en provenance de l’intérieur fit bondir Dinan. Le souffle coupé, il s’accroupit derrière l’écoutille. La poignée tourna et le panneau pivota sur ses gonds. Une paire de gants agrippa l’encadrement, suivi par une cagoule en cuir. La sentinelle s’extirpa du puits jusqu’à se rétablir sur le pont. Dinan se jeta dans son dos et enroula les bras autour de sa tête. Il n’y eut aucune lutte. D’un mouvement puissant, il lui brisa la nuque qui produisit un horrible craquement.

Il ôta les habits du vinktriens qu’il enfila sur sa combinaison. Malheureusement pour lui, les chaussures impériales semblaient trop différentes de ses bottes, et afin de compléter son déguisement, il dut se résoudre à les changer.

C’était avec un nœud au ventre qu’il s’engouffra dans le puits. De minuscules incrustations de noctilium éclairaient à intervalles réguliers les barreaux de l’échelle. Le métal luminescent luisait faiblement dans l’obscurité, mais suffisamment pour lui garantir une progression confortable. Rapidement, les voix des soldats vinrent couvrir le bruit de ses semelles qui résonnaient dans le conduit vertical.

D’un bond qu’il espérait assuré, il claqua ses talons sur le parquet verni du pont. Il se retourna alors sur une salle bouillonnante d’activité. Presque aussi haute que large, elle constituait un véritable carrefour entrecoupé d’échelles, d’une dizaine d’ouvertures, et d’une brochette de sous-officiers soigneusement planqués derrière leurs pupitres.

Les jambes tremblantes, Dinan se dirigea vers ce qu’il espérait être la bonne sortie. Il traversa la pièce en regardant droit devant lui, résistant à la tentation de vérifier l’attitude des vinktriens à son égard. Il se risqua ainsi, l’air de rien, à atteindre le corridor situé à l’opposé. L’officier de pont, quant à lui, envisageait les choses différemment.

« Soldat ! »

Le pirate espérait s’en sortir en feignant l’indifférence, mais au moment de traverser l’écoutille, il entendit une nouvelle injonction, plus vigoureuse.

« Soldat ! Arrêtez-vous ! »

Dinan disparut derrière l’angle. Il partit en courant et se jeta dans la première intersection disponible. Il priait pour avoir ainsi échappé à la vue d’éventuels poursuivants. Il ne savait pas si l’homme s’était lancé sur ses talons ; lui ou l’un des soldats présents à ce moment-là. Il ne savait pas non plus s’il avait déclenché une alarme silencieuse. Il continua le plus rapidement possible, alternant marche et petites foulées en fonction de la fréquentation. De temps à autre, il regardait en arrière, mais dans cet entrelacs de coursives et d’échelles, difficile de dire si quelqu’un le suivait.

La crainte d’une interpellation impromptue provoquait un excès d’adrénaline qui embrouillait ses sens chaque fois qu’il croisait des soldats. Son rythme cardiaque s’emballait alors, et des perles de sueur glissaient entre ses omoplates. Il ressentait chacun de ses pas comme s’il marchait sur un nuage. Conscient que cette impression s’estomperait difficilement, il attendait de se retrouver seul pour expirer profondément.

Ce ne fut qu’après une longue progression silencieuse qu’il parvint enfin à stabiliser ses émotions, ces décrochages successifs l’ayant incité à redoubler de vigilance alors qu’il s’enfonçait dans les entrailles du Valtava.

Et pourtant, malgré l’appréhension d’évoluer dans un environnement hostile, il ne put s’empêcher d’admirer le travail formidable accompli par les ingénieurs vinktriens lors de la conception du destroyer. Les coursives, en bois minutieusement assemblé, poli et verni, laissaient apparaître dans une union impeccable le métal de son armature. Ce dernier se constellait d’éclats de noctilium diffusant une belle lumière blanche qui inondait l’intérieur du vaisseau. Une ligne de vie courait le long des installations. Elle permettait aux hommes de s’accrocher en cas de changements brusques de cap.

Dinan progressait à l’intérieur de la plus impressionnante réalisation technologique jamais construite. Cependant, plus il s’enfonçait dans ce dédale d’échelles, d’écoutilles et de couloirs successifs, plus il devait fournir un effort pour se remémorer le chemin à parcourir et espérer ainsi se diriger dans ce labyrinthe inextricable.

En avançant, il s’appliquait à visualiser les plans vendus par le traître vinktrien. Au cœur du bâtiment, plusieurs centaines de sikas supportaient le vaisseau. Après des siècles de manipulation, les paisibles herbivores ne ressemblaient plus vraiment à leurs ancêtres sauvages. Enfermés dans leurs carcans biomécaniques, ils étaient soumis à différentes drogues qui les maintenaient dans une profonde stase psychomotrice. Toutes leurs fonctions vitales tournaient au ralenti, au profit du seul métabolisme utile : les excrétions de leurs glandes postérieures qui produisaient un gaz particulièrement volatile.

Après de multiples détours angoissants, hésitant devant une échelle ou rebroussant chemin dans une impasse, Dinan finit par atteindre son objectif. Il entendait déjà la mélodie assourdissante des ouvriers à la tâche ; les échos rythmés en provenance des quartiers de maintenance. Son système nerveux désireux de participer à la fête, le capitaine franchit l’écoutille d’accès en ramassant ses tripes.

De part et d’autre, les vestiaires s’étiraient en longues allées successives. Les hautes bordées d’armoires constituaient le seul rempart avec les hangars de réparation. Dinan aperçut quelques artisans qui gravitaient autour de leurs machines et s’engagea aussitôt dans le premier passage sur sa droite. Une fois à l’abri des regards, il ouvrit plusieurs portes au hasard avant de trouver une cotte de travaux acrobatiques adaptée à sa morphologie.

Il se dépêchait de changer de tenue lorsqu’un homme apparut.

— Il a bien choisi son moment, celui-là ! —

Il comprit en le voyant approcher qu’il ne pourrait pas se dérober à la conversation. Les vêtements perlants d’humidité et le visage rougi par le froid, le vinktrien posa ses yeux sur les mains du pirate. Évidemment, ce dernier gesticulait comme un ver en enfilant le haut de sa cotte : en vérité, il priait pour que l’autre ne remarque pas sa combinaison de corsaire cachée en dessous.

« T’as bien raison de foutre une sous-couche ! s’exclama-t-il d’une voix nasillarde. Moi, j’suis congelé ! »

— Quel crétin ! — pensa Dinan en le regardant ouvrir le panneau voisin.

« Tu pars sur la section des mâts ? » enchaîna aussitôt le technicien. Il jeta son équipement au fond du placard. « Le problème vient d’une poulie de jonction médiane. Y paraît qu’elle est carrément fendue. » Il dégrafa ses gants. « Je pense que vous avez du boulot jusqu’à demain matin !

— Je veux bien te croire », accorda Dinan en plongeant la main dans l’armoire.

Il attrapa le harnais qui contenait l’aile indispensable pour progresser en sécurité à l’extérieur du vaisseau.

« Bon courage ! »

Le vinktrien s’assit sur un banc et Dinan suivit son regard. Les vêtements volés à la sentinelle s’étalaient toujours à ses pieds. En voyant son expression, il sut qu’aucune explication ne serait valable. D’instinct, il lui balança son pied dans le visage, frappant de toutes ses forces. Dans un hurlement de douleur, son adversaire bascula à la renverse avant de s’éclater sur le sol. Dinan sauta par-dessus le banc et d’un coup de talon impitoyable, il lui écrasa la gorge.

Son cœur s’emballa si fort qu’il avait l’impression que le muscle battait directement dans ses oreilles. Les techniciens de l’autre côté des vestiaires avaient certainement entendu le cri de sa victime. Conscient qu’un soldat pouvait surgir à tout instant, il saisit précipitamment le cadavre et avec un effort colossal, réussit à le tracter jusqu’au casier. Comme pour confirmer ses craintes, un bruit en provenance de l’entrée lui glaça le sang.

Alors qu’il écoutait se rapprocher le claquement d’une paire de bottes, il poussa tant bien que mal le corps dans son cercueil improvisé. — Rentrera jamais ! — Les mains tremblantes, tandis qu’il le retenait avec l’épaule, il enfourna à l’aide de son pied droit les vêtements de la sentinelle. L’inconnu était tout proche maintenant.

« J’ai entendu crier ! C’était toi ? »

Il voulut refermer la porte, mais celle-ci bloquait sur la masse de sa victime qui débordait de tous les côtés. Il prit alors une attitude affligée, ce qui, compte tenu de la situation, lui parut assez facile. L’autre continuait d’avancer.

« Ouai, » répondit Dinan. Il grimaça. « Je me suis méchamment coincé le doigt.

— Ça va aller ? Tu veux que je regarde ?

— Non ! c’est bon. » Il n’avait absolument pas envie de voir cet abruti venir plus près. « Suis en retard ! Faut que je me dépêche. Merci ! »

L’homme effectua un geste négligent de la main avant de tourner les talons. Dinan attendit qu’il disparaisse puis, avec un soupir de soulagement, il lâcha la porte. Sa victime retomba lourdement sur le sol en produisant un crac désagréable.

— Ça, c’était les cervicales ! — 

Au moins, il était sûr que celui-ci ne se relèverait pas pour donner l’alerte. Il enfila son harnais d’un air dépité et bascula le sac contenant l’aile dans son dos. Tout en s’éloignant, il attacha la ceinture d’outils en essayant de faire correspondre au mieux les multiples points de fixation répartis entre le torse, la taille et les cuisses.

Soudain, un bruit retentissant envahit le vaisseau à la manière de minuscules clochettes qui tintinnabulaient furieusement dans leur chape de métal.

« Tant pis pour l’alarme ! » lâcha Dinan, qui pensait bien qu’elle lui était destinée.

Il visualisait déjà les gardes parcourir le Valtava à sa recherche. Il avait un peu d’avance sur ses poursuivants ; mais compte tenu des cadavres qu’il laissait derrière lui, difficile de les imaginer chercher bien longtemps !

En pénétrant dans les hangars, il prit conscience de l’ampleur des moyens mis en œuvre pour faire voler l’énorme croiseur. Avec ses dimensions démesurées, le Valtava ressemblait à une cité maintenue en l’air grâce au travail permanent de ses techniciens. Des dizaines d’établis s’éparpillaient au milieu des machines, tandis qu’une armée d’ouvriers s’affairait à marteler le métal, à usiner le bois et à assembler les différentes pièces.

Il se demanda à quel moment ils se précipiteraient dans sa direction, tandis qu’ils quittaient tous leurs travail soumis par la contrainte du protocole de sécurité. Il obtint sa réponse au moment où l’un d’eux, forcément un chef, l’interpella avec exaspération.

« Toi là-bas ! Qu’est-ce tu fous ? »

Dinan cherchait l’écoutille d’accès à l’intercoque sans prêter attention au vinktrien qui avançait vers lui. Il repéra enfin la lourde porte de métal. Elle était située de l’autre côté de l’atelier. Il franchit la distance en quelques foulées rapides, indifférent aux sommations de l’ouvrier qui le poursuivait. Il actionna la manivelle au moment où une main se posait sur son épaule.

Il se retourna. À présent, ils étaient seuls dans le hangar. Avec un sourire narquois, Dinan lui asséna un violent coup de genou entre les jambes.