Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Une soirée ordinaire, une rencontre inattendue, et soudain, tout bascule. Ces deux femmes sont portées par des histoires, des silences et des blessures différentes. Pourtant, ce hasard va peu à peu tisser un lien profond entre elles. De confrontations en confidences, ce récit intime explore la naissance d’un lien improbable, où les différences deviennent une force et où l’amour trace son chemin, là où l’on ne l’attendait pas.
À PROPOS DE L’AUTRICE
À une époque de sa vie où elle se cherchait encore, Jeanne-Lan Perrin a vu un film qui l’a profondément bouleversée. Ce choc émotionnel a déclenché en elle un besoin urgent d’écrire, pour comprendre, pour exprimer, pour guérir. Ce premier geste d’écriture, né d’une vision intime de l’amour, a pris la forme d’une véritable catharsis. Depuis, les mots sont devenus son espace de vérité, de liberté, et de transformation.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 245
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Jeanne-Lan Perrin
Evelyn
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jeanne-Lan Perrin
ISBN : 979-10-422-7627-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ses cheveux, je les aurais reconnus entre mille, d’un blond immaculé, d’une ondulation sans défaut ; et remis en place par une main gantée et sûre d’elle. Je lâche le chemisier que je suis en train de plier et je m’avance dans sa direction. Je peux entendre sa voix, ce qui m’électrise. Oui c’est bien la sienne, profonde, calme, et d’une sensualité à couper le souffle.
Elle ne peut pas me voir, car cachée comme je le suis derrière les portants, je le suis invisible. C’est alors que mes pieds se mettent à avancer vers elle, et, un pas après l’autre, je me rapproche. Je m’arrête à quelques mètres d’elle ; seule une large table nous sépare désormais. Complètement absorbée par sa conversation avec Holly, une autre vendeuse, elle ne relève pas ma présence. Je reste figée ainsi, au milieu du va-et-vient incessant de ce samedi après-midi. Au vu de ma position, je me suis naturellement mise à la dévisager, incapable de faire le moindre mouvement. Les clients pressés se heurtent à mon corps devenu aussi rigide que de la pierre, pestant et me maudissant à voix basse. Je la vois s’animer, et son bras fait un mouvement dans ma direction, suivi de son visage. Son geste s’arrête et son regard rencontre le mien ; tandis que sa main, restée en suspens, se crispe. À cet instant, je sais qu’elle me reconnaît. Tout comme moi quelques minutes plus tôt, je la vois se figer. Je peux lui faire un signe de la main, pourquoi pas entamer la conversation et même l’inviter à prendre un verre ; mais ma bouche, incapable d’émettre un son, reste close. À ma plus grande surprise, c’est moi qui romps la bulle dans laquelle nous sommes prises. Mes pieds, mes jambes, et le reste de mon corps reprennent une consistance normale, et je me mets à courir, ou plutôt à fuir. Quoi, je l’ignore, mais je fuis. Je peux sentir mon cœur battre contre ma poitrine, prêt à exploser. Je traverse le magasin et ouvre la porte des employés qui donne sur notre vestiaire. Je ramasse mes affaires rapidement et sors dans la rue, mon badge de vendeuse encore à la main. Une fois de plus, je me mets à courir, luttant contre le froid qui me fait claquer des dents.
Cinq rues plus loin, je tourne en direction de mon immeuble, et monte les quatre étages aussi vite que mes jambes me le permettent. Mes voisins, peu habitués à me voir un samedi après-midi, me dévisagent sans un mot. Mes mains tremblent et mettent cinq minutes à ouvrir la porte de mon appartement. J’appelle au travail afin de m’excuser de mon départ et me fais porter pâle jusqu’au mercredi suivant. Je me force à aller manger et fais tomber un papier en me heurtant à la commode de mon entrée. Cela devient le cadet de mes soucis, lorsqu’après quelques bouchées je cours aux toilettes, une main sur la bouche, l’autre sur l’estomac.
Je retourne ranger ma table et ramasse le papier tombé en allant vers ma chambre. Je suis dans un état lamentable : faible, fiévreuse et tremblante de la tête aux pieds, je m’installe dans mon lit. En examinant le papier de plus près, je reconnais la carte de visite du traiteur de luxe pour lequel je travaillais il y a dix ans. J’ignore la raison pour laquelle je l’ai conservée, mais à cette époque, j’avais été envoyée pour un dîner chic. Alors qu’épuisée je commence à m’endormir, les souvenirs de cette soirée me reviennent doucement. Cette soirée, c’est celle de notre rencontre.
« Tiens Wendy, tu prends cette cagette s’il te plaît, je dois prendre les plats derrière. »
Je saisis le cageot qu’il me tendait à bout de bras. Cela faisait 10 minutes que nous déchargions la camionnette avec mes collègues du traiteur pour lequel je travaillais. La maîtresse de maison ne s’était toujours pas montrée et c’est la gouvernante qui nous avait ouvert la porte. C’était la première fois que je me retrouvais envoyée à travailler sur une soirée ; habituellement je restais dans la boutique.
La maison me paraissait immense, de l’intérieur, comme de l’extérieur. Le jardin s’apparentait davantage à un parc privé qu’à un simple jardinet. L’entrée était richement décorée et la cuisine devait, à elle seule, faire les ¾ de mon appartement. Mes collègues, plus habitués à travailler sur ce genre d’évènements, se bousculaient dans la cuisine, déposant plateaux et bouteilles onéreuses sur le comptoir. Alors que je déposais des hors-d’œuvre dans un plat, j’entendis une voix dans l’entrée et je compris que la maîtresse de maison venait de descendre. Elle était tout juste en train de se présenter lorsque j’arrivai avec deux autres collègues.
Je ne pus m’empêcher de dévisager mon employeuse. Âgée d’une trentaine d’années (35 peut-être), grande et sublime, c’était bien sa voix qui m’était parvenue. Chaleureuse, bienveillante, d’une très grande profondeur, elle se faisait entendre malgré le brouhaha que notre équipe faisait. Mrs Davis nous fit visiter la cave, la cuisine et le salon. Malgré son ton toujours égal et son sourire, j’eus l’impression de sentir une sorte de lassitude, ses paroles récitées.
Nous finîmes la visite dans la cuisine. Je restai en retrait, sur le seuil de la porte, ne me sentant pas très à l’aise dans cette luxueuse pièce. Mrs Davis s’arrêta alors de parler après avoir donné ses dernières indications. Alors qu’elle se dirigea dans ma direction, un de mes collègues m’interpella. Nous nous croisâmes sur le seuil, et un court instant, nous nous frôlâmes. Je ne pus m’empêcher de la dévisager, de remarquer ce grain de beauté sous sa paupière gauche, et sa lèvre inférieure qui se mit légèrement à trembler. Elle me dépassait d’une bonne tête et je ne pus apercevoir la totalité de son visage. Notre contact ne s’éternisa pas et dura à peine quelques secondes ; mais me laissa une sensation étrange, comme si, à la vue de mon énigmatique employeuse, mon stress de la soirée s’était envolé. J’étais apaisée, mais ressentis un léger pincement au cœur lorsque j’entendis ses talons monter l’escalier.
Une demi-heure après, les premiers invités arrivèrent, tous plus luxueusement habillés les uns que les autres. Mrs Davis descendit 10 minutes plus tard et sa beauté évinça toutes les autres. Je ne pus détacher mon regard de sa silhouette, sublimée par sa tenue. Perdue dans ma « contemplation », je n’en sortis qu’au moment où un collège me prit le bras pour que j’aille dans la cuisine, chercher les premiers hors d’œuvres. Arrivée dans le salon, je cherchai l’hôte, et la trouvai aux côtés de son époux. Je fus soudainement et bêtement jalouse de cet homme qui pouvait lui parler et la toucher. Il se pencha pour lui murmurer quelques mots à l’oreille. Pourtant pas de nature jalouse, je la sentais m’envahir. Je n’avais que faire de tous ces gens qui me demandaient à boire, tout ce que je souhaitais, c’était lui parler. Son mari, occupé avec des invités, avait délaissé Mrs Davis qui, debout devant le piano, me rappela vivement la Vénus de Botticelli : pure et magnifique. Je me dirigeai vers elle, mon plateau de coupe de champagne à la main.
« Mrs Davis, une coupe ?
Je saisis la main qu’elle me tendit. Ce contact m’électrisa et le sourire qu’elle me fit me bouleversa.
« Vous êtes nouvelle Wendy ? Je ne vous avais jamais vu auparavant. Pas dans une de nos soirées en tout cas.
Au moment où je voulus lui répondre, on l’appela.
« Excusez-moi, toujours des invités à aller distraire. Venez me voir à la fin de la soirée Wendy… Wendy Clarcks. »
Elle sourit avant de s’en aller et de me laisser seule, un peu perdue avec tous ces convives.
Je passais le reste de la soirée à faire des allers-retours entre la cuisine et le salon. À chaque fois que je l’apercevais, elle était à parler avec des invités, elle ne riait jamais, tout juste si elle leur adressait un sourire de temps en temps.
La soirée toucha à sa fin vers une heure du matin. Assises sur un des fauteuils, elle semblait m’attendre. Tous les invités étaient partis, ne restait que les habitants de la maison, notre équipe de traiteurs et la gouvernante. Toute la maison était calme et seul le bruit des couverts venait perturber le silence. M.Davis était déjà monté, la laissant dans le salon.
« Vous vouliez me parler, Mrs Davis ?
Avant que je puisse ajouter quoique ce soit, elle se leva et partit, non sans avoir posé ma main sur mon épaule. Ce geste eut un effet grisant, que je ne me lasserais jamais de ressentir.
Mes collègues me dévisagèrent lorsque je revins dans la cuisine, mais ne posèrent aucune question. Je débarrassai ce qui restait de plateaux et de bouteilles. La gouvernante nous accompagna jusqu’au seuil de la porte avant de refermer et de plonger la rez de chaussée dans le noir complet.
L’arrière du camion, moitié moins rempli qu’à l’allée, fut plus agréable pour nos jambes. Le conducteur avait mis de vieux airs de blues que nous chantions plus ou moins selon notre degré de fatigue. Ma petite discussion avec Mrs Davis m’avait revigorée, et, à peine arrivée au magasin, vingt minutes plus tard, je sautai hors de la camionnette.
Nos plateaux rangés, je partis en direction de mon appartement, 300 mètres plus bas. En rentrant, je sentis la fatigue s’abattre sur mon épaule. Je m’endormis à peine allongée sur mon lit, bercée par les bruits de la ville qui ne dort jamais.
Ce fut trois coups de sonnettes répétées qui me firent émerger. Ignorant qui pouvait venir me voir à à peine huit heures du matin, j’allai ouvrir précipitamment. Un coursier privé me tendit un recommandé envoyé dans la nuit ; il récupéra son pourboire et partit rapidement, certainement agacé d’avoir dû travailler aussi tôt.
Wendy Clarcks, navrée de vous réveiller aussi tôt. Je ne pouvais attendre plus longtemps pour vous écrire. Que diriez-vous d’un déjeuner mardi en huit ? Nous avons vaguement évoqué l’idée hier. Retrouvez-moi devant le restaurant italien de la 5e avenue à 12 h.
Au plaisir, Mrs Davis,
Evelyn
Je serrai le mot dactylographié contre mon cœur, chérissant ces mots qui m’étaient destinés, bénissant le ciel de m’avoir envoyée à la soirée.
Des coups de sonnette répétés me tirent du lit. J’ai encore la tête dans mon rêve, notre rencontre, mon début de « coup de foudre », le début de notre histoire. Je saisis une chemise qui traîne sur une chaise au passage, et vais ouvrir la porte. C’est Judy, ma meilleure amie, serveuse dans un restaurant. De petite taille, brune aux yeux bleus, je l’ai connue lorsque j’ai quitté mon boulot chez le traiteur. Elle connaît mon histoire avec Evelyn, c’est elle qui m’a aidée à remonter la pente.
« Judy ! Qu’est-ce que tu fais là ?
Elle me fait la bise avant de faire demi-tour et de repartir. Je referme la porte et respire un grand coup. Mon appartement est silencieux, je voudrais la voir là, assise dans mon salon, un verre à la main. Mais elle n’est pas là, pas plus que dans ma vie. Je retourne dans ma chambre, n’ayant envie de rien sauf de la retrouver.
Deux jours passent, où je divise mon temps entre mon lit et mon salon. Pour me changer les idées, je décide de faire un peu de rangement dans l’appartement, et notamment sur mon bureau, où de vieilles photos et des papiers s’entassent. Alors que je commence le tri, une enveloppe tombe d’un tiroir ouvert. Elle contient des photos, dont certaines, aux bords cornés, ne semblent pas avoir été regardées depuis longtemps. J’en choisis une au hasard ; c’est un cliché qui date de dix ans, sur cette photo, c’est Evelyn, à mes côtés. Elle est datée de l’année 1955, l’année de notre rencontre. Elle a été prise une semaine après notre rencontre à son dîner, c’était le déjeuner dont nous avions parlé à la soirée, celui qui m’avait tant touché.
Cela faisait plus d’une demi-heure que je me préparais, cherchant à être parfaite. Je voulais que ce déjeuner soit parfait. J’enfilai une robe que j’aimais beaucoup, noire, à fines bretelles et dos nu, je l’avais achetée la semaine précédente. En claquant la porte de mon appartement, je respirai profondément, oubliant ma nervosité et mon angoisse. Evelyn m’avait rencontrée en tenue de serveuse, elle était mon employeuse, j’étais son employée. Quelle chose avait-elle pu lui plaire chez moi dans cette situation ?
Lorsque j’arrivai devant le restaurant, elle était déjà là, renversante dans un trench qui lui seyait parfaitement, perchée sur des talons aiguilles, ses jambes semblaient interminables. Elle ne me vit pas tout de suite, fumant une cigarette, le visage tourné vers la rue d’en face.
« Bonsoir Mrs Davis.
Le restaurant était sublime, tout comme le menu. Tout me donnait envie, je ne savais plus où donner de la tête. Evelyn regarda à peine le menu avant de le reposer. Sans que nous n’ayons rien demandé, le serveur nous apporta deux dry martini avec une olive.
« Mrs Davis, voici votre habituel cocktail, j’en ai également préparé un pour votre invité. Avez-vous choisi vos plats, mesdames ?
Je ne me sentais pas très à l’aise, pas à ma place. Evelyn, quant à elle, était comme un poisson dans l’eau, le cocktail non commandé, mais servi en était la preuve.
« Et donc Wendy, depuis quand travaillez-vous pour ce traiteur ?
Venais-je de faire une gaffe ? Son regard s’assombrit et je regrettai immédiatement mes derniers mots. Nos plats arrivèrent et elle se détendit de nouveau, changeant néanmoins de sujet.
« Que diriez-vous d’aller marcher dans Central Park après le repas ? Une promenade en cette période est toujours agréable.
Nous finîmes notre entrée ainsi que notre plat principal rapidement. Alors que je m’apprêtai à payer pendant qu’Evelyn était partie se rafraîchir, le serveur m’indiqua que la note avait été réglée par mon hôte. J’en fus horriblement gênée, ayant pris connaissance des tarifs exercés par l’établissement. Je sortis attendre Evelyn dehors, elle arriva cinq minutes plus tard.
« Oh, Evelyn, je suis tellement gênée… Je ne pensais pas que vous m’invitiez à déjeuner… Je n’ai rien fait pour vous…
Je la suivis, elle marchait avec une telle assurance malgré ses talons aiguilles… Elle était si élégante, pas un cheveu qui dépassait, pas d’hésitation dans le moindre mouvement, elle était parfaite, tout simplement. À ses côtés, je me sentais ridicule. Néanmoins, elle réussissait à me mettre à l’aise. Nous débutâmes par l’allée centrale où quelques coureurs s’entraînaient pour le prochain marathon.
« Vous courez, Evelyn ?
Elle me sourit et nous continuâmes à marcher. Les couleurs étaient superbes, dans des tons allant du doré à l’orangé, tout était fait pour rendre cette ballade idéale. Evelyn se mit à fredonner un air de jazz que j’avais déjà entendu à sa soirée, une chanson envoûtante, surtout à travers sa voix, calme, et pourtant entraînante. J’avais encore du mal à réaliser que je me trouvais là, à marcher avec cette femme si étonnante, qui m’avait employée la semaine précédente. En réalité, j’eus l’impression qu’au fil de notre marche, cette barrière, hissée entre les employés et les employeurs, s’était fragilisée, avant de totalement disparaître. Rien n’aurait pu plus me combler que cette aisance qui s’était installée entre nous. Elle me parlait librement, sans gêne ni censure, tant de politique que de son mariage qui battait de l’aile depuis quelques mois. Elle me posa beaucoup de questions sur ma vie, mon travail, elle me parut être sincèrement intéressée par mes réponses.
Nous marchâmes ainsi pendant une heure ou deux, traversant le parc, évitant les coureurs et les enfants, nous perdant parfois dans la contemplation de tel ou tel arbre dont nous admirions la couleur. Après environ deux heures, elle me signala qu’elle devait retrouver une de ses amies et qu’il était temps de nous séparer. Même si je n’en montrais rien, je fus attristée à l’idée de déjà la quitter.
« Evelyn, j’ai avec moi mon appareil, serait-il possible que nous prenions une photo toutes les deux ? J’aime à croire que les photos capturent les souvenirs, et cet après-midi en est un très agréable.
L’homme en question, légèrement surpris par ma demande, me suivit lorsque je rejoignis Evelyn. Côte à côte, je pouvais sentir sa taille contre la mienne. Alors que notre photographe nous demanda de sourire, je sentis la main d’Evelyn se poser sur ma hanche et elle se rapprocha encore de moi. Ce contact me fit sourire, le plus naturellement du monde. Après avoir rempli sa tâche, l’homme s’en alla, attardant son œil sur le visage d’Evelyn, qui le regarda à peine.
« Vous me la montrerez, Wendy ?
Elle me lança un dernier sourire avant de partir, et de s’enfoncer dans la ville qui l’avala. Très vite, je perdis de vue sa merveilleuse silhouette et je m’en allai à mon tour, hélant un taxi par la même occasion.
Je m’arrêtai à cinq minutes de mon appartement, déposant la pellicule terminée de mon appareil photo avant de rentrer.
Arrivée chez moi, je déposai toutes mes affaires dans ma cuisine avant de m’installer au balcon de mon salon, respirant l’air frais d’une belle fin d’après-midi. Les photos seraient prêtes le lendemain, j’étais impatiente de voir le résultat.
Vers 14 h je descendis chercher les clichés et remontai, enveloppe en main, vers 15 h. Installée à la table de ma cuisine, j’avais presque peur de découvrir le résultat. Je mis de côté mes autres travaux, qui se partageaient entre les scènes de rues et les portraits d’amis (dont je n’étais pas très fière). Enfin, je tombai sur le seul et unique cliché que nous avions pris ensemble. Comme je m’y attendais, Evelyn était superbe, souriant avec un naturel et une élégance qui lui était propre ; et semblait attirer sur elle, toute la lumière de la photo.
J’aperçus sa main sur ma hanche et frissonnai. Je contemplai le cliché une quinzaine de minutes, m’attardant sur ses fossettes, admirant l’intensité de son regard, me perdant dans son sourire.
Ce matin, plus que les autres, j’ai un mal fou à me lever et à sortir de mon lit. La journée d’hier m’a épuisée. Retrouver la photo a fait remonter une foule de souvenirs que j’aurais préféré ne pas revoir dans l’immédiat. Ses mots, ses gestes, tout était encore clair dans mon esprit, comme gravé. Lorsque j’arrive enfin à quitter ma minuscule chambre, j’ai l’impression de sentir son parfum partout dans mon appartement, sur mes vêtements, partout sauf dans la réalité.
L’horloge du salon affiche à peine 6 heures du matin, je dispose de trois heures avant de devoir partir travailler. Hier soir, j’ai décidé de retourner au magasin ; mieux vaut être partout sauf dans mon quatre pièces chargé de souvenirs qui ne partiront sans doute jamais.
Je me fais un léger petit déjeuner avant d’aller dans la salle de bains. Lorsque je me regarde, je ne vois plus grand-chose de la jeunette qu’il y a sur la photo. Ma charmante accompagnatrice, d’après ce que j’ai pu constater, n’a pas changé ; elle est toujours aussi exquise.
À 8 h 30 je suis à la porte de l’immeuble, le froid environnant me faisant frissonner. Je marche rapidement jusqu’à l’entrée des employées. Je salue rapidement mes collègues, aucune ne semble avoir remarqué mon absence. Je referme mon casier, saisis mon gilet et file au rayon auquel je suis affiliée. Holly, dont seule la queue de cheval dépasse des présentoirs.
Lorsqu’elle m’aperçoit, elle s’avance vers moi, un grand sourire aux lèvres. Elle m’enlace une fois arrivée à ma hauteur.
« Oh, Wendy, je suis contente de voir que tu vas mieux ! Excuse-moi de ne pas être repassée te voir, mais je pensais que tu préférais être seule. J’étais vraiment inquiète la dernière fois que je t’ai vue, mais tu as déjà repris un peu de couleurs ! Tu es de retour pour de bon ? Tu n’es partie que quelques jours, mais cela m’a semblé être beaucoup plus long !
La cliente impatiente se trouve juste derrière moi et me hurle dans l’oreille. Holly lève discrètement les yeux au ciel et retourne à son rayon. La dame qui m’accapare n’est jamais contente de rien et m’occupe une bonne demi-heure, s’acharnant à dénigrer le moindre de nos produits. Je regrette presque mon calme appartement, car les clientes désagréables s’enchaînent. À la pause déjeuner, Holly me rejoint derrière le magasin, un sandwich dans une main, une enveloppe dans l’autre ?
« C’est déjà le jour de la paie Lyly ?
Mon cœur s’arrête avant de se mettre à battre la chamade. Oserais-je espérer une quelconque attention de sa part ? Rien n’est inscrit sur l’enveloppe et lorsqu’Holly me la tend, je la saisis avec le plus grand soin. Elle s’éloigne un peu en commençant son sandwich pour me laisser un peu d’intimité. Je reconnais au premier coup d’œil ces lettres délicates aux courbes épurées. Je caresse le papier des doigts, sentant les endroits où elle a appuyé son stylo, car l’encre y est plus épaisse. Au moment où mes yeux se posent sur ses lignes, j’ai l’impression d’entendre sa voix qui me les lit.