Face B - Caroline Zander - E-Book

Face B E-Book

Caroline Zander

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Beschreibung

La chanteuse Melly Flores disparaît brutalement après avoir annoncé à son entourage une décision cruciale et inattendue influant sur son avenir. La police enquête sur ce fait divers qui agite la capitale. Le producteur de la vedette, Emeric Fisher, anéanti, s’adjoint alors les services d’un détective privé qui s’avérera essentiel dans sa découverte de la vérité.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Caroline Zander a imaginé ce premier roman alors que son activité professionnelle diminuait, lui laissant le temps pour l’écriture. Architecte de métier, cinéphile et férue de faits divers, elle a travaillé à la construction d’une histoire contemporaine et inscrite dans son temps.

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Seitenzahl: 509

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Caroline Zander

Face B

Roman

© Lys Bleu Éditions – Caroline Zander

ISBN : 979-10-377-6364-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Disparition

⸺ Melly ! Arrête s’il te plaît ! Ça fait le cinquième verre…

La voix d’Emeric se noya dans le vacarme ambiant. La musique électro avait monté d’un ton, les basses tambourinaient dans les poitrines. Les visages éclairés par la lumière stroboscopique affichaient des expressions saccadées, au rythme du tapage lancinant. Melly avait choisi l’endroit : le Studio B. Cette boîte de nuit, du 15e arrondissement, se situait dans le quartier qu’elle habitait autrefois. Une arène moderne et clinquante où les danseurs se contorsionnaient en tempo tels des gladiateurs. Elle en connaissait le propriétaire qui savait rester discret sur sa présence, tout en la chouchoutant à chacune de ses visites.

Melly Flores, la chanteuse à succès depuis une dizaine d’années, avait réussi l’exploit de garder un pan de sa vie secret, à l’heure où chaque sortie publique déclenchait une déferlante de photos, selfies et autres tweets sur les réseaux sociaux. Ses apparitions calculées étaient si rares qu’elles devenaient exceptionnelles et précieuses. Ce soir, elle avait décidé de sortir. Changer d’air et décompresser. Tout un programme. Elle avait imaginé qu’elle pourrait passer une dernière soirée entre amis, sans jugement ni représentation. La chanteuse avait pris seule, une décision capitale, quelques jours auparavant et piaffait à l’idée de la partager avec son entourage le plus proche. Espérant que tous, lui donneraient leur aval, elle appréhendait en réalité qu’ils encaissent brutalement la nouvelle. Melly avait donc appelé deux amies, Isabelle et Jeanne, ce cher Andres était forcément de la partie et bien sûr Emeric serait présent… Elle n’avait aucun doute sur la réaction des filles : ses copines de toujours formaient le cercle rapproché de sa garde, partageant une amitié franche, claire et solide. Quant aux garçons, elle en attendait une réaction plus épidermique et amère, des mecs quoi !

Le début de soirée s’était écoulé tranquillement. Tous avaient d’abord grignoté un morceau dans l’appartement de la vedette qui avait préparé avec soin cette petite réception. Jouer les marmitons à la maison lui procurait pleine satisfaction, réalisant avec le temps, que le meilleur moyen d’échapper aux paparazzis, restait la planque à domicile. Lorsque tous furent réunis, accoudés au plot central de son immense cuisine immaculée, picorant sur le plateau les bouchées préparées par leur hôte, Melly leva son verre de vin blanc et choisit de prendre la parole :

⸺ Les amis, je vous ai réunis ce soir, car j’ai pris une décision importante… que je voudrais partager avec vous.

Les convives échangèrent un regard surpris, voire inquiet. Andres, lui, souriait comme s’il savait à quoi s’attendre ou connaissait la chute de cette drôle d’histoire.

⸺ J’ai décidé de quitter la France et de partir m’installer à Londres.

Comme des supporters réagiraient à un but marqué par leur équipe, Isabelle et Andres explosèrent dans un cri et des applaudissements, en face l’équipe qui avait encaissé, resta médusée. Jeanne souffla la première :

⸺ Mais… tu ne peux pas faire ça ?

Emeric enchaîna :

⸺ Comment peux-tu nous annoncer un truc pareil ? dit-il en tendant les paumes devant lui. C’est une blague ! Je suis ton manager, je te rappelle, ce genre de décision sur ta carrière, on doit le prendre ensemble. Tu ne m’en as jamais parlé ! Qu’est-ce que tu vas foutre à Londres ?

Pour la première fois depuis qu’elle avait lâché cette information, telle une bombe, Melly reprit la parole. Cette fois, elle avait posé son verre, et les mains à plat sur le comptoir, se pencha en avant comme pour occuper le centre du cercle. Elle fit un tour de table avec les yeux et finit par se planter dans le regard d’Emeric.

⸺ Écoute-moi bien : tu te dis être mon manager, mon producteur et bien sûr mon ami, mais tu n’as pas été capable de voir à quel point je me sens mal depuis des mois. Je suis fatiguée, je n’ai plus envie de ce métier. J’ai l’impression qu’on a pompé toute mon énergie… Elle fit une pause et reprit. Tu vas me raconter, que mon public m’adore, que mon public m’attend, et bien qu’il attende ! Qu’il attende que j’aie quelque chose à lui raconter, à lui dire. Là, tu vois aujourd’hui je n’ai plus la force.
⸺ Tu ne peux pas dire ça, Melly. Justement, ce que le public aime chez toi c’est cette fêlure, tes chansons, les gens les adorent, parce qu’ils partagent le même sentiment !
⸺ Mais as-tu vu, à quoi je ressemble aujourd’hui ? Je suis restée cloîtrée chez moi à manger et boire, j’ai pris dix kilos en six mois. Tu crois vraiment que « Mon public » comme tu dis, a envie de partager ça avec moi ? Je ne peux plus me voir en peinture, j’ai besoin de couper les ponts et de repartir de zéro… dans une ville où on ne me connaît pas, dans une ville où on peut tout imaginer et où je pourrai chanter la musique que j’aime !

Andres qui n’avait encore rien dit enchaîna :

⸺ Moi je trouve ça génial !

Emeric le fusilla du regard :

⸺ Évidemment, tout ce que tu vois, c’est que tu vas pouvoir encore vivre aux crochets de Melly, dans une des plus belles villes du monde, à faire du tourisme et la tournée des bars…
⸺ C’est ce que tu penses de moi ! C’est comme ça que tu vois ma relation avec Melly ?
⸺ Oui, ta « relation » (Emeric avait mimé les guillemets dans l’air), depuis que vous vous connaissez, dis-moi ce que tu as fait dans ta vie, dis-moi ce que tu as…
⸺ Stop !

Melly avait arrêté net la dispute. Elle avait évidemment envisagé que les personnes qui gravitaient dans son petit univers réagiraient de manière différente, mais pas aussi violemment. De toute évidence, les non-dits et les rancœurs minaient leurs relations à tous. Elle avait toujours considéré Andres comme un vrai ami : ils partageaient la musique, il leur était arrivé de composer une ou deux chansons ensemble… C’était un frère de cœur. Elle aimait sortir et voir le monde avec lui : il était insouciant parfois puéril, mais dans son équilibre personnel, il faisait pencher la balance un peu plus du côté du bonheur. En face, Emeric, le mentor devenu le manager, ne semblait plus voir en elle qu’un produit marketing. Sa belle rencontre avec la jeune chanteuse Mélanie Forestier s’était transformée en affaire de management et de gestion de carrière de Melly Flores.

Melly reprit encore :

⸺ Stop ! Arrêtez ! Je ne vais pas vous écouter vous engueuler, tous, à propos de cette décision. Vous croyez quoi ? Que je n’ai pas réfléchi à tout ça ? Je connais les conséquences pour chacun, et en particulier pour toi, Emeric. Après tout, nous travaillons ensemble, nous avons créé Melly Flores ensemble, et je sais combien je te dois. Mais tu ne me vois plus comme avant, nous n’avons plus ce feeling qui faisait que les projets, les chansons sortaient à flot ! Nous ne ressentons plus rien, c’est sec…

Le débat avait ensuite continué : Jeanne restée discrète depuis le début, s’était ralliée à Emeric, mettant en avant la brutalité de cette annonce, les conséquences sur la carrière et le public de la chanteuse. Isabelle, qui avait applaudi au scoop, ne jurait que par le bien-être de son idole : son besoin de quitter Paris, de changer de vie, elle le respecterait.

Une fois la tension retombée, et quand chacun eut digéré à sa manière la décision livrée par la vedette, Melly proposa en personne de « Sortir… fêter ça ! ». Emeric secoua la tête, peu convaincu par l’engouement de sa protégée, mais Isabelle, Jeanne et Andres répondirent par un « OK ! » Il se plia à contrecœur, à la volonté du petit groupe.

⸺ Je propose le Cabanon ! dit Andres.

Emeric répondit du tac au tac :

⸺ Pour nous conseiller une boîte de nuit dans Paris, on peut te faire confiance…

Melly coupa court à la discussion qui reprenait un tour détestable :

⸺ Non, nous allons au Studio B : j’ai prévenu Jacky, le proprio, il nous a réservé une table, on sera au secret et tranquille…
⸺ En fait, tu avais déjà tout organisé !
⸺ Oui, mais j’avais imaginé que vous seriez plus enthousiastes ! Je ne pensais pas que tu me ferais la gueule à ce point, mon cher Emeric !

Elle avait prononcé ces derniers mots avec un sourire qu’il n’avait pas vu sur ses lèvres depuis des mois : avec ce sourire, elle séduisait le monde entier mais ce soir s’y ajoutait un trait de défi. Elle avait décidé seule. Elle avait envisagé seule, un avenir différent.

Il était minuit trente passé lorsque le taxi s’arrêta rue Balzac. Un ancien cinéma reconverti en night-club accueillait une clientèle jeune et branchée. Sous l’auvent carrossé d’inox, des clubbers s’agglutinaient dans l’ancien hall, d’autres échappaient au tumulte ambiant pour fumer sur le trottoir. Des photos noir et blanc d’acteurs occupaient les cadres autrefois dédiés aux affiches de film. La façade métallique s’étirait jusqu’à une double porte. Melly descendit la première du taxi, pour s’engouffrer sans hésitation dans le couloir sombre. Un des videurs, le plus petit, râblé, avait ouvert la lourde porte métallique tandis que le second, le grand costaud, se plaça sur le trottoir les bras en croix, tel un agent de la circulation.

⸺ Bonsoir ! risqua-t-il en direction du groupe.

Mais tête baissée, le petit cortège fila de la voiture à la discothèque sans répondre au colosse. Seule, Jeanne, qui fermait la marche, osa un geste de la main pour remercier les deux hommes. Au bout du couloir, des éclairs filtraient sous la porte, en rythme, les basses commençaient déjà à marteler les tympans. Sous la lumière blafarde de l’éclairage de sécurité, Jacky, le propriétaire, attendait ses clients VIP.

⸺ Melly ! Bienvenue ma belle ! Je pensais que vous arriveriez plus tard ! Heureusement que tu m’as prévenu !

Il l’embrassa, serra la main d’Emeric qui la suivait et enchaîna deux bises aux filles. Comme s’il cherchait quelqu’un sur un quai de gare, il reprit :

⸺ Andres n’est pas là ? Je croyais qu’il était avec vous !
⸺ Si, si, Jacky, il arrive. Il a insisté pour nous suivre avec son scooter… On ne rentrait pas tous dans le taxi de toute manière, enchaîna Melly moqueuse.
⸺ Je suis désolé de vous accueillir dans une issue de secours mais c’est le seul moyen… Ah, le voilà !

Andres remontait le couloir, tout sourire, dégrafant son blouson de cuir.

⸺ Salut Jacky ! Tu pourras demander à tes sbires de jeter un œil à ma bécane !
⸺ Salut Andres ! dit Jacky après une accolade, tu roules toujours avec cet engin ?

Revenant vers la porte encore fermée, Jacky mit son bras autour de l’épaule de Melly et se rapprocha pour lui parler.

⸺ Viens, je t’accompagne jusqu’à ta table.

Il marqua un temps et posa sa main sur la poignée :

⸺ Prête à entrer dans l’arène ?
⸺ J’espère que tu nous as réservé le balcon, tu sais que j’adore ce coin.
⸺ Tu verras !

Lorsqu’il ouvrit la porte, Melly crut prendre une gifle. Tel un marteau piqueur, elle sentit dans la poitrine, le rythme effréné de la musique électro et une rampe de projecteurs la balaya, l’éblouissant une seconde. À cet instant, elle se demanda si c’était une si bonne idée de venir, ce soir, dans le temple de la légèreté et du superficiel. Il pouvait être midi ou minuit, on était dans Paris ou à Londres, hors du temps et plus de repères. Mais après tout, c’est ce qu’elle était venue chercher : se perdre et disparaître comme engloutie par la foule noctambule.

Après avoir monté un escalier métallique, Melly en tête, découvrit l’espace que leur avait réservé Jacky : tel un cocon, une banquette courbe et enveloppante tournait autour d’une table basse en verre.

⸺ Alors que penses-tu de ton coin ? Jacky se tenait face à la loge, les bras écartés.
⸺ Tu as fait du bon boulot, Jacky ! C’est magnifique ! Très classe !

Melly fit le tour de la table en marchant, caressa la banquette de velours et s’arrêta près de la rambarde. Le propriétaire avait en effet réaménagé le balcon de l’ancien cinéma et créé trois espaces identiques, isolés les uns des autres, surplombant la salle principale de la boîte de nuit. Accoudés à la barre métallique, les clients VIP pouvaient observer les danseurs qui s’ébrouaient, plus bas. Au fond, derrière le bar, des images étaient projetées, transformant les barmaids en ombres chinoises. Jacky expliqua qu’il pouvait, grâce à cet écran, imaginer n’importe quelle ambiance. Ce soir, il avait choisi le thème « Gravity » : les images de planètes et d’espace envahissaient la toile.

Melly s’installa au centre de la banquette. Emeric et Andres prirent place de part et d’autre. Il lui sembla qu’elle se tenait là, entre deux adversaires, arbitre d’un combat dont l’enjeu était finalement son propre avenir. Enfin, Jeanne et Isabelle profitèrent un moment du surprenant panorama.

Jacky se tenait encore debout, il demanda, tournant la tête pour balayer tout le monde du regard :

⸺ Alors, que puis-je vous servir ? Melly… Champagne ?
⸺ Oui Jacky, du Champagne c’est bien. Et une bouteille de Whisky, je crois que ces messieurs ont besoin d’alcool fort ! En lâchant cette phrase, Melly s’appuya sur le sofa et écarta les bras sur le dossier, au-dessus des épaules d’Andres et d’Emeric.
⸺ Je vous fais apporter tout ça !

Le propriétaire du club disparut dans l’escalier. Melly sentit qu’elle devait débloquer la situation. Emeric n’avait pas desserré les dents depuis qu’ils avaient quitté l’appartement, Andres lui, paraissait ailleurs ! Heureusement, la musique s’entendait moins dans son « coin », elle espérait qu’ils pourraient parler…

⸺ Emeric, est-ce qu’on peut s’expliquer ? essaya-t-elle.
⸺ Expliquer quoi ? Que je l’ai en travers de la gorge, que je suis choqué par ta décision, que je viens de prendre une grande claque ! Tu nous apprends que tu t’en vas, que tu changes de vie avec une facilité qui me sidère. Je vais te perdre…
⸺ Mais il ne s’agit pas de toi ! Je ne cherche pas à m’éloigner de toi : on pourra toujours se voir et travailler ensemble, ce n’est pas parce que je vivrai à Londres que je ne pourrai plus venir en France. Je t’ai dit que je ne me sens pas bien ici… je suis paumée… je ne sais plus ce que j’aime… je suis fatiguée.
⸺ Tu as toujours eu des moments de mélancolie, on les a surpassés, on s’en est même servi pour ta musique. C’est devenu ta marque de fabrique !
⸺ Oui, peut-être, mais maintenant je suis usée : je pense que je me suis vidée de toutes ces émotions et ce qu’il reste de moi ne me plaît pas…
⸺ Tu peux peut-être te faire aider ? On en a déjà parlé… Tu es toujours à la limite de l’autodestruction. Regarde, ce soir, je pense que tu vas te prendre une bonne cuite, juste pour oublier tout ça. Tu n’en as rien à faire qu’on soit là ou pas, tu veux oublier, t’évader pour quelques heures !
⸺ Tu as raison…

Emeric hocha la tête, bien sûr qu’il avait raison. Il déchanta quand il entendit Melly ajouter :

⸺ Tu as raison, je vais me prendre une cuite !

La nuit avança et la première bouteille de Champagne vite descendue : les filles carburaient aux bulles, c’est plus léger, disaient-elles… Emeric n’avait pris qu’un whisky, Andres, égal à lui-même, avait bu les deux. Il avait sûrement fait d’autres mélanges encore, passant près d’une heure, à gesticuler le long du bar. Melly et ses amis l’observaient depuis le balcon, amusés par sa silhouette qui se découpait devant l’écran. La barmaid avait dû le supporter un moment. Jeanne et Isabelle faisaient des allers et retours entre la piste de danse et l’alcôve. À chaque voyage, elles rapportaient à ceux qui voulaient bien les écouter, leurs rencontres sur le dancefloor, leurs flirts près du bar. En s’affalant sur la banquette, une coupe à la main, Isabelle raconta :

⸺ J’ai croisé un beau brun ! Je suis presque sûre de le connaître…

En se tournant vers Melly restée assise, elle continua :

⸺ Tu sais Melly, ce danseur, sur le plateau de télé l’année dernière… Il t’avait branchée à la sortie, quand on quittait le studio ensemble !

Emeric fusilla Isabelle du regard. Celle-ci comprit qu’elle en avait peut-être trop dit et enchaîna avant que Melly ne réponde :

⸺ Comme tu l’avais rembarré le type ! Il est beau gosse mais il a l’air très con…

Isabelle plongea dans son verre, Melly sourit et brandit sa coupe vers Emeric :

⸺ Tu vois qu’il vaut mieux que je parte, je n’intéresse que les cons… Allez ! Sers-moi !
⸺ Melly ! Arrête s’il te plaît ! Ça fait le cinquième verre…

Elle se dressa, trop vite, et tituba entre la table et la banquette, manquant de s’effondrer. Elle avait beaucoup bu et le balcon lui sembla tanguer sous ses pieds. Elle reprit ses esprits pour déclarer un peu solennellement, agitant son verre vide :

⸺ Tu me fatigues, Emeric… Quel rabat-joie tu fais ! Allez ! Sers-moi !

Emeric la fixa. À ce moment, Andres débouchait de l’escalier, tout sourire, tenant son verre du bout des doigts. Melly l’aperçut et lui cria presque :

⸺ Andres ! On s’en va ! On était venu pour s’amuser… Résultat : Emeric fait la gueule, les copines se foutent pas mal que je sois là ou pas… Emmène-moi s’il te plaît !

Emeric, jusqu’ici resté assis, alors que Melly trépignait toujours, s’éjecta de la banquette. La colère montait. Décidément, le comportement de la chanteuse devenait insupportable.

⸺ Melly ! Non !
⸺ Mais si ! Je m’en vais ! Allez Go !

Elle attrapa le bras d’Andres pour opérer un demi-tour et l’entraîna vers l’escalier.

Avec un coup de pied, en rage, Emeric renversa la table basse : le verre brisé et les glaçons du seau à champagne se mélangèrent sur le sol. Il resta figé et Isabelle bouche bée. Ni l’un ni l’autre ne bougea. Le tapis d’éclats, qui scintillait au sol, était infranchissable.

Après avoir dévalé l’escalier, Melly, toujours accrochée au bras d’Andres, s’engouffra avec lui dans l’issue de secours. Ils poussèrent la porte vers l’extérieur d’un même élan pour se retrouver expulsés face aux videurs, à l’air rigolard.

⸺ Eh ! Andres ! Regarde, ton scoot est resté là ! On a assuré tu crois pas ?
⸺ Oui les mecs, vous avez assuré, dit-il tout sourire. En attendant, vous la fermez…

Il avait mis son doigt sur la bouche comme un enfant et expliqua qu’il voulait partir discrètement avec la jeune femme qui l’accompagnait. Melly n’avait plus dit mot depuis qu’ils avaient dégringolé les marches. Après la montée d’adrénaline, le contre coup. Elle sentit la fatigue l’envahir : les jambes cotonneuses avec l’ivresse, un brouillard s’abattait autour d’elle. Elle perçut la voix d’Andres :

⸺ Mets-le ! J’en ai qu’un, je préfère que ce soit toi qui le portes…

Andres tendait son casque vers Melly. Elle l’enfila. Dans un éclair de lucidité, elle se demanda comment Andres pouvait penser à lui faire porter un casque mais n’hésitait pas une seconde à conduire son engin, bourré. Elle reconnut, que bien qu’éméché, Andres avait démarré au quart de tour, descendu le trottoir sans une hésitation et s’était lancé dans la rue à tout ber zinc. Les bras autour de la taille du pilote, Melly sentit que la vitesse et l’air frais qui lui fouettait le visage la revigoraient. Le casque d’Andres était léger et seule la petite visière rabattue lui protégeait les yeux.

Dans la boîte de nuit, Emeric, toujours sur le balcon, avait réussi à se sortir de son piège de cristal. Le dos appuyé à la rambarde, il sortit son portable de sa poche et appela le numéro de Melly. Alors qu’il levait la tête pour approcher le téléphone de son oreille, il comprit en un éclair que la situation se compliquait encore : là, sur la banquette, la pochette de Melly. Il entendait les premières sonneries dans son portable quand il aperçut les flashs filtrer sous le rabat du sac à main.

⸺ Merde !

Jeanne et Isabelle s’étaient finalement rejointes sur le balcon, toutes deux sonnées après la scène qui s’était déroulée sous leurs yeux. Isabelle se tourna vers Emeric :

⸺ Elle ne répond pas ?
⸺ Mais non ce n’est pas ça ! Regarde, elle n’a pas pris son sac. Son portable est à l’intérieur… Je n’ai aucun moyen de la joindre !
⸺ Andres peut-être ?
⸺ Je vais essayer mais après ce qu’il s’est passé, ça m’étonnerait qu’il réponde…

Emeric lança le numéro d’Andres. Après cinq sonneries, il tomba sur la messagerie :

⸺ Oui ! Andres ! C’est Emeric. Allez, rappelle-moi s’il te plaît. Ne fais pas de connerie. Je crains qu’il vous arrive quelque chose… Rappelle-moi quand vous serez rentrés. Je compte sur toi.

La moto fonçait dans Paris. À cette heure de la nuit, les rues s’étaient vidées. Melly ne savait plus depuis combien de temps ils roulaient, mais à nouveau la fatigue l’envahissait. Avec le ronronnement du moteur et la nuit avançant, elle craignit de s’endormir. Elle sentit le téléphone d’Andres vibrer sous sa main, dans la poche du blouson. C’est à ce moment qu’elle réalisa qu’elle avait quitté le Studio B sans son sac. Pas de papiers, pas de portable. Un brin d’angoisse s’insinua alors dans son esprit. Elle dépendait totalement d’Andres.

⸺ Andres ! On va où ? Chez toi ?

Elle avait crié pour couvrir le bruit du moteur. Cette machine, Andres en avait rêvé : le plus gros scooter du marché, surpuissant, capable de rivaliser avec certaines motos lui avait-il expliqué le jour où il était arrivé au bas de chez elle, fier comme Artaban, un grand sourire aux lèvres. Il détenait enfin son jouet. Cette nuit, quand Andres se pencha et tourna sa tête de moitié pour lui répondre, elle reconnut le même sourire. Il aimait rouler à bloc, il lui plaisait aussi de partir sur un coup de tête. Ses cheveux au vent, les yeux embués par l’air et la vitesse, il cria en retour :

⸺ T’inquiète ! Tu voulais t’échapper ? Je connais l’endroit idéal !

Resté au Studio B, Emeric comprit enfin qu’il avait mal réagi. Il aurait dû courir, les rattraper avant qu’il ne soit trop tard. Maintenant, il arpentait le trottoir en invectivant les deux gorilles :

⸺ Comment avez-vous pu les laisser partir ? Vous n’avez pas vu qu’ils n’étaient ni l’un ni l’autre dans leur état normal ?

Le plus petit tenta de se justifier :

⸺ Andres nous a demandé de ne rien dire ! C’est un bon client qu’on respecte. Il n’avait pas l’air plus mal que d’habitude !
⸺ Et Melly ? Ne l’as-tu jamais vue dans un état pareil ? Rien ne vous a choqué ? dit Emeric en faisant des allers et retours entre les deux vigiles.
⸺ Non ! Elle souriait, elle était cool !
⸺ Elle était cool… Emeric avait repris les mots en les étouffant, il baissa la tête et souffla.

La situation devenait maintenant claire : Melly avait disparu dans la nuit, sans son portable ni ses papiers, emmenée par Andres, le champion de l’insouciance et du laisser-aller réunis. Le jeune homme montrait une désinvolture qu’Emeric jugeait dangereuse… Il resta de longues minutes, désemparé sur le trottoir. Jacky le propriétaire et les deux filles l’avaient rejoint pour former une cellule de crise spontanée. Elles proposèrent d’appeler quelques connaissances communes pour tenter de pister la chanteuse. Emeric en fit de même, contactant son réseau pour trouver des informations. Après une demi-heure, à passer des coups de fil ou échanger des textos, Emeric recadra Isabelle et Jeanne.

⸺ Stop ! On arrête ! On va alerter toute la ville avec nos messages… On n’a pas besoin que la fuite de Melly devienne un scoop. C’est déjà bien assez compliqué !
⸺ OK. Mais alors on ne fait rien ? On rentre chez nous et on attend des nouvelles ?
⸺ Oui. À cet instant, je ne vois que ça… On va attendre demain. Je vous appelle une voiture.

Les filles partagèrent le taxi pour rentrer chez elles. Emeric attendit en compagnie du patron de la boîte qu’un autre chauffeur arrive. Jacky s’était voulu rassurant. Pour lui, Melly et Andres rentreraient au petit matin. Au mieux, sortie de sa léthargie, elle l’appellerait depuis chez elle, au pire, Emeric la trouverait comateuse dans son canapé, émergeant d’une nuit de folie.

Il était presque midi, pas de nouvelles. Emeric décida d’aller vérifier l’appartement de Melly. Il possédait un double de clé, confié par la chanteuse, lors de sa première visite dans ce superbe loft. Elle avait expliqué son geste en affirmant qu’il était celui qui avait rendu tout cela possible. Cet appartement, il lui en revenait une part en quelque sorte.

On était samedi et quand il s’engagea rue Blomet, toutes les places étaient occupées. Il restait une chance : empiéter sur le parking moto qui s’étendait le long du trottoir. Emeric se rappela s’être demandé l’utilité de ce si grand emplacement pour les deux roues. Aujourd’hui, il saluait sa dimension. Tant pis pour les PV, il y avait urgence. Il abandonna son coupé sport, tous feux clignotants, qui répondit d’un BIP à l’impulsion de la télécommande. Une fois franchi le petit portail qui séparait la courette de la rue, Emeric ouvrit la porte en haut du perron, grâce au badge. Il grimpa les deux étages du grand escalier lumineux pour se trouver rapidement, sur le palier de l’appartement de Melly, sonna et colla son oreille sur le bois verni mais ne perçut aucun bruit. Il cogna enfin directement à la porte, mais sans attendre une éventuelle réponse, l’avait déjà déverrouillée…

⸺ Melly ?

Répétant le prénom, il arpenta chaque pièce. Dans le séjour, aucune trace. Le grand canapé d’angle était désespérément vide. Le scénario de Jacky ne se réalisait pas. Les trois chambres désertes. Dans la cuisine traînaient les verres et quelques bouteilles laissés en plan, à la suite de leur départ précipité, la veille au soir. Melly avait coupé court d’un geste du bras aux tentatives de nettoyage de Jeanne et Isabelle.

⸺ Laissez, les filles ! On rangera plus tard !

Emeric ne pensait pas que le « on » englobait véritablement Melly. La femme de ménage s’en chargerait lundi.

Il se rendit à l’évidence : il n’avait aucune idée de l’endroit où pouvait se trouver la chanteuse. Les quelques contacts qu’ils avaient en commun n’avaient donné aucune nouvelle. Les filles, Jeanne et Isabelle se désespéraient aussi. Bien sûr, il avait laissé plusieurs messages à Andres et celui-ci ne répondait toujours pas. Le portable de Melly, qu’Emeric avait gardé sur lui, n’avait même pas sonné depuis la veille ! Pas même un SMS n’était tombé depuis sa fuite. Car c’est bien de cela qu’il s’agissait : la jeune femme s’était échappée… Quelques notifications s’étaient affichées sur l’écran mais le téléphone était verrouillé. Même si le producteur était assez proche de sa protégée pour posséder les clés de son logement, il ne l’était pas au point de connaître son code secret de déverrouillage. Ce téléphone était devenu le point d’entrée de l’univers intime de la chanteuse, plus caché et plus protégé encore que son appartement lui-même, et cette entrée-là lui était interdite.

Après avoir fait le tour des pièces, Emeric s’affala dans le canapé pour réfléchir à la situation. Celle-ci devenait de plus en plus inquiétante. Andres avait pu la conduire n’importe où : chez lui en premier, chez un copain pour finir une soirée de perdition… Un accident était ce qu’il craignait le plus. L’image du scooter lancé à pleine vitesse dans Paris lui traversa l’esprit. La prochaine chose à faire était d’aller vérifier l’appartement d’Andres, ensuite il faudrait se résoudre à demander de l’aide…

Andres habitait près du cimetière Montparnasse, Emeric se rappelait la rue, son nom était inoubliable : rue Froidevaux. Andres avait lâché quelques jeux de mots, expliquant même qu’il avait hésité à louer l’endroit, simplement à cause de son adresse. Mais le charme de ce petit deux-pièces de plain-pied avait pris le dessus. Emeric ne s’y était rendu qu’une seule fois depuis les trois ou quatre ans que l’ami de Melly l’occupait. Il n’était pas sûr de retrouver l’adresse exacte. Le portail quadrillé vert en métal qui fermait la cour sur la rue, restait le principal souvenir qu’il gardait de l’entrée. Emeric était reparti de chez Melly, avec un sentiment de tristesse et d’angoisse mélangées. Une vingtaine de minutes plus tard, il rejoignait le quartier du cimetière Montparnasse. Il avait emprunté la Rue de Vaugirard puis l’avenue du Maine, pour remonter lentement la rue Froidevaux et se laisser ainsi le temps de repérer les lieux. Là, entre deux arbres il reconnut le quadrillage vert et la façade de l’immeuble qui donnait sur la cour. Il gara sa voiture dans la première rue perpendiculaire. En revenant sur ses pas pour atteindre l’entrée, Emeric réalisa qu’Andres avait décidément bien choisi ce quartier : de l’autre côté de la rue, la clôture du cimetière formait une muraille de verdure impénétrable et la rangée d’arbres sur chaque trottoir, s’ajoutait au charme de cette artère. Enfin, Emeric s’arrêta devant la grille. Il vérifia que le portillon était bien fermé et en même temps sonna au boîtier qu’il avait aperçu en arrivant : heureusement, Andres avait noté son nom sur le bouton du bas, utilisant un simple adhésif alors que les autres occupants affichaient des plaques avec leurs noms en lettres typographiées. Toute l’inconstance du jeune homme se résumait dans cette vulgaire étiquette. Comme il le craignait, Emeric n’obtint aucune réponse. À travers les barreaux du portail, il jeta un œil dans la cour : il ne voyait pas le scooter d’Andres, qui, lui semblait-il, avait la possibilité de le garer juste devant sa porte d’appartement. Cette porte, Emeric pouvait l’apercevoir, frustré de ne pouvoir y frapper directement. Il recula de quelques pas pour réfléchir à une solution, bloqué devant ce portail et démuni. La rue était calme, peu de circulation en ce début d’après-midi et seuls quelques piétons parcouraient les trottoirs à l’ombre des acacias.

Tout à coup, la jeune femme, en legging et noir et débardeur rose, qu’Emeric avait aperçue, arrivant à grandes enjambées, ralentit sa course en même temps qu’elle portait les mains à ses oreilles. Elle finit par s’arrêter à sa hauteur, sans prêter attention à lui, resté planté sur le trottoir. Elle retira ses écouteurs et sortit un trousseau de clés d’une petite poche dans son dos. Emeric saisit sa chance :

⸺ Excusez-moi mademoiselle ! Bonjour… Je cherche à contacter un ami qui habite votre immeuble : Andres. Il habite au rez-de-chaussée. Andres Romero. Vous le connaissez peut-être ?

La joggeuse avait déjà entrouvert le vantail et le retenait d’une main quand elle se retourna :

⸺ Bonjour. Oui, je connais Andres : je me suis pris la tête avec lui à cause de son foutu scooter ! Il rentre en pleine nuit en le faisant ronfler comme aux vingt-quatre heures du Mans ! S’il est vraiment votre pote, vous devriez lui en parler car toute la résidence est remontée contre lui !
⸺ En fait, j’aimerais vérifier qu’il va bien, qu’il est chez lui… Je n’ai pas réussi à le joindre depuis hier soir et je me fais du souci… Est-ce que vous accepteriez de me laisser entrer pour que je puisse sonner à sa porte ?

La jeune femme le toisa : ce garçon s’exprimait plutôt bien et faisait assez classe, habillé d’un pantalon de toile et d’un pull léger à même la peau, ne ressemblant en rien aux types, un peu paumés qu’elle avait vus défiler chez son voisin.

⸺ OK, je vous laisse passer, mais je vous accompagne jusqu’à la porte de son appart ! On sonne ensemble et s’il n’y a personne vous vous barrez…
⸺ Entendu.

Emeric lui emboîta le pas. Elle avait repris sa course pour atteindre la porte située une vingtaine de mètres plus loin et se planta au pied des deux marches en tendant les bras, pour inviter Emeric à sonner. Il poussa d’abord le bouton de sonnette avec la même étiquette que sur le portail. Comme aucune réponse ne venait après les premiers ding dong, il tambourina en criant le nom d’Andres. Après une minute d’efforts, il descendit les marches pour rejoindre la jeune voisine qui l’observait les bras croisés, impatiente.

⸺ Eh bien je crois que votre ami n’est pas là !
⸺ Non… en effet.

Machinalement, Emeric reprit lentement le chemin vers la rue, dépité. Il pivota enfin pour demander une dernière faveur à la jeune femme :

⸺ Est-ce que je peux vous laisser mon numéro ? J’aimerais que vous m’appeliez si vous voyiez Andres revenir à son appartement.
⸺ Vous ne manquez pas d’air ! Même pas merci… En plus, vous me demandez de fliquer un voisin que je ne connais pas plus que ça !
⸺ Excusez-moi, oui je vous remercie de m’avoir laissé entrer. Maintenant, il est vraiment très important pour moi que je le retrouve, il s’agit d’une amie commune avec qui il est parti hier et pour qui je suis inquiet aussi…
⸺ C’est ça ! En fait, Andres est parti avec votre copine et vous voulez lui régler son compte ! Vous vous foutez de moi ?
⸺ Non, ce n’est pas ce que vous croyez, et d’abord ce que vous croyez je m’en fiche ! Son ton s’était durci, et Emeric se rendit compte qu’il perdait son sang-froid. Il reprit plus calmement : je rentre mon numéro dans vos contacts et c’est tout. Vous pourrez me joindre mais moi je ne pourrai pas. Vous serez libre de m’appeler… ou pas…

Sans un mot, la joggeuse décrocha son téléphone fixé à son biceps par un brassard, et le tendit à Emeric. Celui-ci entra son prénom, son numéro et rendit le portable.

⸺ Emeric, c’est mon prénom. Cette fois, je vous dis merci, et je compte sur votre aide si Andres venait à se montrer…

Le portail franchi, Emeric vit la jeune femme à travers les barreaux, les mains sur les hanches. Elle l’observait pour vérifier qu’il quittait bien la place et exécuta un petit salut militaire avant de tourner les talons.

De retour, à sa voiture, Emeric s’assit au volant. Il faisait trop chaud dans l’habitacle, il descendit la vitre pour poser son coude à la portière. Les yeux sur son portable, il réfléchit. Plusieurs solutions s’offraient à lui : continuer à mener sa petite enquête avec des moyens qui venaient de montrer leur limite ou alerter la police pour obtenir de l’aide au risque de fuites. Comment travailler à la recherche de Melly sans provoquer un raz de marée médiatique et une déferlante sur les réseaux sociaux ? Quoi qu’il soit arrivé, Melly ne voudrait pas de cela, elle qui a toujours cherché à se protéger… Après quelques minutes, Emeric se décida à passer les premiers appels qui, il en était sûr, déclencheraient une série d’évènements imprévisibles.

⸺ Allo ? Pierre ?
⸺ Oui ! Bonjour Emeric, comment allez-vous ? Excusez cette question, je la pose machinalement mais j’imagine que vous ne m’appelez pas un samedi après-midi pour demander de mes nouvelles ! Que puis-je faire pour vous ?
⸺ Pierre, je vous remercie de prendre mon appel, j’ai un gros problème : Melly Flores ne m’a pas donné de nouvelles depuis cette nuit. Je ne sais pas où elle est et je ne peux pas la joindre…
⸺ Mais Emeric, pourquoi vous inquiétez-vous à ce point ? Il est bien déjà arrivé que Melly s’absente quelques jours sans que vous sachiez où elle se trouve ! Je vous sens à cran alors qu’il ne s’est pas écoulé une journée entière…
⸺ Elle s’est enfuie cette nuit, elle est partie sans papier, sans téléphone, sans argent avec un type en qui je n’ai aucune confiance. Depuis, c’est le black-out. Elle n’est pas chez elle, elle n’est pas chez lui, elle…

Pierre Lemeneur interrompit Emeric, pour lui demander de se calmer. Il sentait en effet toute la crispation voire l’angoisse du jeune homme. En tant qu’avocat du producteur depuis cinq ans, il le connaissait assez pour reconnaître son sérieux, son implication dans les affaires de la chanteuse, bref un charisme plutôt rare dans ce monde de la musique. Fisher n’était pas le genre à paniquer ou s’agiter pour un rien.

⸺ Emeric, écoutez-moi : avez-vous joint sa famille ?
⸺ Non ! La sœur de Melly habite Marseille, elles ne se sont pas parlé depuis trois ans ! Vous êtes bien placé pour savoir que la succession de son père a créé un vrai drame au sein de sa famille… Mais pourquoi contacter sa sœur ? Je ne comprends pas Pierre !
⸺ Je pense qu’il va falloir appeler la police : pour eux, le premier job sera de joindre l’entourage de Melly et sa famille en premier. Ils ne sont pas censés connaître tous les imbroglios familiaux et mettront les pieds dans le plat… Donc plutôt que ce soit la police qui appelle à Marseille, je vous conseille de prendre les devants…
⸺ Donc en fait vous me dites deux choses : je dois demander de l’aide à la police et je dois prévenir sa démente de sœur…
⸺ Oui, Emeric, allez voir la police… Pierre marqua une pause. Voulez-vous que je vous accompagne ? Savez-vous vers quels services vous tourner ?

Emeric, entendit tout juste son avocat lui expliquer qu’il avait un contact. Il enverrait par SMS le nom de la personne qu’il pourrait rencontrer et une heure de rendez-vous. Pour le moment, le mieux était qu’Emeric rentre chez lui.

Il suivit les conseils de Pierre Lemeneur. Ceux-ci s’étaient, jusqu’à aujourd’hui, toujours avérés très judicieux : lors de la bataille judiciaire entre Melly et sa jeune sœur ou quand un parolier leur avait cherché des poux à propos d’une chanson et d’un supposé plagiat… Bref, l’avocat avait tenu son rôle à merveille et avait su les défendre et les épauler parfaitement. Emeric comptait maintenant sur son aide et sa fidélité jusqu’ici sans faille.

Arrivé chez lui, sur les coups de quinze heures trente, Emeric réalisa qu’il avait le ventre vide, que la faim le tiraillait ajoutant à sa sensation de fatigue. Il est vrai qu’il s’était couché très tard, ou très tôt ce matin et avait dormi en pointillés, inquiet du sort de Melly et d’Andres. Il n’était parti vers l’appartement de la chanteuse, qu’après avoir avalé un simple expresso. L’estomac noué d’inquiétude, rien d’autre n’aurait pu passer.

Il se prépara donc, un encas avec quelques tranches de jambon et du pain de mie et les cornichons ajoutèrent une touche finale à son festin. Dans l’attente du message de Pierre Lemeneur, sur la suite à donner à l’affaire, Emeric avait besoin de se changer les idées. Installé dans son sofa, il attrapa la télécommande. Le large écran s’alluma sur un match de foot. Une opposition Bordeaux-Strasbourg ne l’aurait pas passionné en temps normal, mais aujourd’hui il se sentait prêt à regarder n’importe quoi pour se vider l’esprit.

On arrivait à la fin du temps réglementaire et le score affichait un triste 0-0, quand Emeric reçut le message qu’il attendait :

J’ai pu contacter le Capitaine Stéphane Lombard de la B.R.P. Il peut nous recevoir tout à l’heure à 19 h dans ses locaux. Je passe vous prendre chez vous à 18 h 30 ? Cdt. Pierre.

Décidément, l’avocat avait encore assuré, obtenant le contact et le rendez-vous en moins de deux heures, et tout cela un samedi après-midi. Il écrivit en réponse :

OK pour 18 h 30. À tout à l’heure. Merci. Emeric.

À l’heure tapante, Emeric, attendait au pied de son immeuble. Il reconnut la BMW grise qui s’engouffrait dans la rue et leva le bras pour se signaler au conducteur qui s’arrêta pile devant lui. Il traversa devant le capot pour venir prendre place dans la berline. Une poignée de main suffit aux deux hommes pour se saluer et Pierre Lemeneur démarra en trombe.

⸺ Je n’ai pas donné d’information très précise au Capitaine Lombard, sur l’affaire qui nous occupe. J’ai évoqué un problème personnel pour lequel vous envisagiez son aide… Lombard est un bon flic, j’ai eu l’occasion de collaborer avec lui sur une des rares affaires de droit commun sur lesquelles j’ai travaillé. Je suis plutôt spécialiste du droit des affaires et du travail comme vous le savez…
⸺ Je vous suis très reconnaissant, Pierre, d’avoir pu obtenir ce rendez-vous. Il est vrai que j’aimerais pouvoir expliquer la situation en toute confiance d’abord, et en toute discrétion aussi.
⸺ Je pense que nous pouvons compter sur son appui… On approche ! reprit l’avocat, le prochain défi sera de trouver une place !

Lemeneur connaissait bien les lieux, depuis que les bureaux de la police avaient été transférés dans un bâtiment jouxtant le tribunal. Le quartier n’avait plus de secret pour lui. Dès la voiture garée, les deux hommes se dirigèrent à grandes enjambées en direction de ce grand immeuble de verre bleuté, désigné par l’avocat comme le nouveau « 36 ». Ils étaient en retard mais devaient d’abord se présenter à l’agent qui filtrait les entrées depuis son comptoir. Celui-ci leva le nez en guise de question et Pierre s’empressa de lui répondre.

⸺ Je suis Maître Pierre Lemeneur et voici mon client Emeric Fisher, nous avons rendez-vous avec le Capitaine Lombard.

Le jeune agent les dévisagea. Qu’est-ce que fichaient ces deux dandys dans les locaux de la police un samedi après-midi ? Il les aurait imaginés en route pour un restaurant chic de la capitale ou accoudés au comptoir d’un bar d’hôtel. Emeric avait enfilé une veste en lin avant de quitter son appartement et Pierre ne sortait jamais sans son blazer marine qui, porté sur une sempiternelle chemise blanche impressionnait toujours. L’agent n’ayant toujours pas fini de faire le tri dans ses pensées ni ouvert la bouche pour renseigner ses deux visiteurs, Lemeneur s’impatienta.

⸺ Pouvez-vous nous indiquer le chemin vers le bureau du Capitaine Lombard ou dois-je pour cela en référer à votre supérieur ?

Enfin, le policier se décida à leur répondre.

⸺ Une pièce d’identité s’il vous plaît messieurs, articula-t-il, l’air goguenard.

Emeric et Pierre s’exécutèrent, déposant sur le comptoir et la carte d’identité et le passeport. Après une vérification sous les rayons d’un scanner, l’agent rendit les papiers et lâcha sans les regarder.

⸺ Troisième étage, à gauche en sortant de l’ascenseur et au fond du couloir.
⸺ Merci !

L’avocat prit les devants pour appeler l’ascenseur, et en émergeale premier au troisième étage. Lorsqu’ils atteignirent la porte vitrée avec le logo gravé de la BRP, ils comprirent qu’ils étaient arrivés. Tous les deux eurent le réflexe de scruter l’open-space qui s’étendait derrière la porte. Seule une femme, assise devant son écran leur tournait le dos. Les autres ordinateurs étaient éteints ou affichaient le logo de la police nationale. À peine avaient-ils franchi la porte de verre, qu’ils entendirent une voix venir de leur gauche.

⸺ Messieurs ! Lombard les appelait depuis son bureau.

Il les invita à entrer et s’asseoir, expliquant qu’il les attendait. Pierre Lemeneur fit les présentations et donna la parole à Emeric :

⸺ Je voudrais signifier la disparition de la chanteuse Melly Flores.

Adossé à son fauteuil, la lumière du jour commençait à baisser dans son dos, le Capitaine Lombard alluma la lampe posée devant lui. Alors, il s’avança vers ses interlocuteurs en posant ses coudes sur le bureau. Emeric put découvrir en détail le visage du policier éclairé par le cône de lumière : un regard acéré au-dessus du nez fin et des lèvres pincées. Il lui donnait une quarantaine d’années, mince presque maigre, un petit gabarit en définitive… La première question, qu’il posa, surprit Emeric.

⸺ Qui est-elle, pour vous, Melly Flores ?
⸺ Je suis son manager depuis neuf ans. C’est moi qui l’ai découverte lorsqu’elle a participé au concours de télé appelé The Best… Enfin, le public l’a découverte à ce moment-là, moi, je lui ai alors proposé un contrat et la production de son premier album. Depuis je gère ses affaires, son programme de concerts, ses contrats publicitaires…
⸺ C’est tout ? interrompit le policier, c’est tout ce qu’elle est pour vous ?

Après une brève hésitation, Emeric raconta.

⸺ Nous avons eu une aventure ensemble au début de notre relation. Mais cela n’a pas duré, six mois tout au plus. Nous nous sommes séparés d’un commun accord.
⸺ Mais vous avez continué à être son manager malgré cela ? enchaîna le policier sarcastique.
⸺ Oui, cela, comme vous dites, ne nous a pas empêché de travailler ensemble, et plutôt bien d’ailleurs, sa carrière a décollé rapidement. Melly Flores est maintenant dans le Top trois des chanteuses françaises en vente d’albums.
⸺ Monsieur Fisher, je n’ai pas besoin que vous me fassiez un cours de marketing, tout cela je le sais déjà… Ce que je veux que vous me racontiez c’est ce qui n’est pas dans les journaux ou sur les réseaux sociaux.

Lombard fit une pause, recula dans son fauteuil et attrapa son carnet et un stylo.

⸺ Pouvez-vous me raconter ce qu’il s’est passé depuis hier soir, puisque c’est bien depuis cette nuit que vous êtes sans nouvelles ?

Emeric commença son récit de la soirée. Le policier l’interrompait de temps en temps afin de noter dans le détail, les heures, le nom de la boîte de nuit, les personnes présentes…

⸺ Quand je vous écoute, Monsieur Fisher, vous paraissez contrarié. Pouvez-vous m’en dire plus sur l’annonce faite par Melly Flores en début de soirée ?
⸺ En effet, elle nous a expliqué qu’elle voulait partir s’installer à Londres…
⸺ Elle ne vous en avait jamais parlé ? Elle ne l’avait même pas évoqué auparavant, ces derniers mois ?
⸺ Non ! répondit Emeric un peu sèchement et il reprit : Non, elle ne m’en avait jamais rien dit. Il est vrai que depuis quelque temps, nos relations étaient tendues : Melly s’est beaucoup renfermée sur elle-même. Elle a annulé des apparitions prévues sur des plateaux télé, elle a refusé des invitations en fait, elle ne s’est pas produite ou présentée en public depuis sept ou huit mois…
⸺ Et cela vous a mis en colère, n’est-ce pas ?
⸺ Oui ! enfin… pas de la colère mais je me suis senti trahi !

Maître Lemeneur prit la parole pour la première fois.

⸺ Capitaine Lombard, ce que tente d’expliquer Monsieur Fisher, peut-être maladroitement, c’est vrai, c’est qu’en réalité Melly Flores a disparu alors que son comportement a changé ces derniers temps et que le déroulement de cette dernière soirée a pris une tournure toute particulière…
⸺ J’entends bien, répondit Lombard plus calmement. Il reprit. Résumons la situation et les éléments d’information que vous m’apportez : vous êtes en possession du téléphone de Melly Flores mais vous ne pouvez pas le déverrouiller, c’est bien cela ?

Emeric posa le téléphone devant lui en hochant la tête. Le policier fit glisser le portable de Melly près de lui et continua son exposé.

⸺ Vous êtes allé vérifier les logements de Melly Flores et d’Andres Romero, vous n’avez trouvé personne. Andres Romero ne répond pas au téléphone, et la dernière fois qu’il a été vu, il quittait la boîte de nuit sur son scooter avec mademoiselle. Vous n’avez aucune idée de l’endroit où il a pu la conduire ? Chez un ami, de la famille, une maison de campagne ?

Emeric articula, médusé.

⸺ Une maison de campagne ? Andres a tout juste de quoi payer sa location, je ne vois pas comment…
⸺ J’évoque toutes les possibilités, dans ce genre d’histoire on peut tout envisager…
⸺ Et un accident ? coupa Emeric. Andres est le seul à avoir ses papiers sur lui, s’il est arrivé quelque chose, lui seul peut être identifié !
⸺ Vous pensez vraiment que s’ils avaient été victimes d’un accident, votre chanteuse serait passée inaperçue ! À mon avis, vous le sauriez déjà !

Emeric s’écroula sur sa chaise, le Capitaine Lombard avait décrit très froidement et en toute clairvoyance la situation actuelle. Le policier lança encore quelques questions.

⸺ Quelle relation avait-elle avec cet Andres Romero ?
⸺ Andres est son ami. Il la connaît depuis des années. Melly le considère presque comme son frère… Pas d’équivoque dans leur relation, juste Andres qui s’accroche un peu trop à sa star à mon goût…
⸺ Vous jugez Andres suspect ?
⸺ J’ai toujours mis en garde Melly sur le comportement de ce garçon : je le trouvais trop envahissant et intéressé. Mais de là à imaginer qu’il puisse la kidnapper ou lui faire du mal… Non, je ne pense pas.

Lombard prit quelques notes pendant une courte pause, entourant certains noms, tirant des flèches entre les colonnes d’informations qu’il avait accumulées. Il finit par le sujet qu’Emeric appréhendait d’aborder :

⸺ Avez-vous essayé de contacter sa famille ? A-t-elle des parents à Paris ?
⸺ Sur les conseils de Maître Lemeneur, il tourna la tête vers l’avocat, j’ai contacté la sœur de Melly. Elle habite Marseille, elle est la seule famille qui lui reste à ma connaissance. Toutefois, les deux sœurs sont en froid… une histoire d’héritage les a brouillées. Enfin, tout cela pour vous dire que Sylvia Forestier n’a bien entendu, pas reçu de nouvelles de sa sœur depuis hier soir… ni depuis deux ans d’ailleurs.
⸺ Sylvia Forestier ? Forestier est son nom d’épouse ?
⸺ Non, Forestier est leur vrai nom de famille ! En réalité, Melly Flores est le nom d’artiste de Mélanie Forestier !
⸺ Monsieur Fisher, vous auriez dû commencer par cela ! Je ne suis pas fan au point de connaître ce genre d’information, s’exclama le policier.

Il finit par poser des questions d’usage.

⸺ Pouvez-vous me décrire les vêtements que portait Melly Flores lorsqu’elle a disparu ?
⸺ Melly portait un pantalon cigarette noir et une chemise blanche avec un grand col noir. Elle n’avait pas pris de veste, il faisait doux hier soir. Je me souviens qu’elle a changé de chaussures au moment de partir de chez elle : elle a expliqué qu’elle préférait des talons moins hauts pour aller au club. Elle est donc sortie avec des escarpins noirs, pas trop hauts, ils ont une bande de strass sur le dessus : des Louboutin, forcément…
⸺ Portait-elle des bijoux ?
⸺ Je ne suis pas sûr de me souvenir : elle avait sa montre, je crois, une grosse bague fantaisie en résine, en forme de papillon. Elle avait son pendentif bien sûr !
⸺ Quel est ce pendentif qui semble si évident ?
⸺ Il s’agit d’une chaîne en or avec une clé.

Emeric fit une pause alors que le Capitaine le fixait l’air interrogateur.

⸺ Melly porte toujours ce pendentif, jamais autre chose. Cette clé est même devenue au fil du temps, son logo. Sur toutes les affiches, couvertures d’album et autres publications, cette clé est maintenant sa marque. Nous l’avons même déposée… Sur ces mots, Emeric croisa le regard de Pierre Lemeneur qui acquiesçait. Regardez, dit-il en montrant une photo sur son téléphone.

Lombard attrapa le portable et découvrit un portrait de la chanteuse, chevelure brune au vent, les yeux perdus vers le ciel, les bras croisés sur sa poitrine. Sur son décolleté, la clé brillait d’un éclat particulier : le regard convergeait forcément vers ce bijou, pas ordinaire et énigmatique… Emeric crut bon d’expliquer.

⸺ C’est la couverture de son dernier album…
⸺ Et cette clé, elle ouvre quelque chose ?
⸺ Peut-être… J’avoue que je ne me suis jamais posé la question. Je l’ai toujours considérée comme un bijou.
⸺ À propos de photos, en avez-vous pris hier soir ? Des selfies peut-être ?
⸺ Moi, non. Mais demandez à Isabelle et Jeanne, il ne se passe pas une soirée sans qu’elles publient quelques Tweets…

Cela faisait près d’une heure que l’entretien avait démarré et le Capitaine de police avait cerné cette affaire de disparition. Au départ, une disparition comme tant d’autres signalées dans leurs services, pensa-t-il, mais ici, il s’agissait d’une célébrité : une starlette, une cible potentielle d’un fan déséquilibré ou une proie d’un entourage étouffant ou intéressé. La chanteuse dépressive aurait-elle voulu tout plaquer, plus vite et plus tôt qu’elle ne l’avait évoqué la veille ? Il conclut leur conversation en expliquant à ses deux visiteurs, la procédure qu’il allait suivre. En accord avec eux, il allait d’abord à nouveau faire vérifier les logements de Melly et d’Andres, avant la nuit. La consultation des admissions aux hôpitaux et des rapports d’accidents serait la prochaine tâche à accomplir. Il pourrait aussi lancer une recherche sur le scooter… En ce qui concerne le portable d’Andres, qu’il serait envisageable de tracer, cette étape ne pourrait être franchie que si l’affaire passe entre les mains d’un Procureur. Pour cela, il faudrait que le magistrat qualifie cette disparition d’inquiétante… Alors, des moyens d’investigations complémentaires seraient mis en place.

⸺ C’est une disparition inquiétante ! Qu’est-ce qu’il vous faut ? Ne put s’empêcher de marteler Emeric.
⸺ Monsieur Fisher, nous allons nous mettre au travail. Je vous tiens au courant demain, sans faute, des avancées de notre enquête.

Le Capitaine de police avait coupé court à l’entretien avec cette conclusion. Il se leva et tendit la main vers Emeric. Tous les trois se saluèrent et les deux visiteurs parcoururent le chemin de retour à leur voiture, sans dire un mot. Ils articulèrent tout juste, un « Bonsoir » à destination de l’agent de l’accueil, sans même le regarder. Chacun avait plongé dans ses pensées, ressassant l’entretien avec le policier.

Assis dans la berline, alors qu’il démarrait la voiture, l’avocat finit par demander.

⸺ Vous n’avez pas été trop offusqué par les questions du Capitaine Lombard ?
⸺ Le ton de suspicion m’a déplu au début. Mais je reconnais qu’il a visé juste et je l’ai trouvé pertinent, même si ses questions m’ont parfois dérangé. Il est allé au fond du problème et je crois qu’il envisage bien les différents scénarios. Je vous remercie encore de m’avoir assisté, Pierre. Grâce à vous, nous avons fait ce qu’il fallait…

Emeric se sentit épuisé et demanda à Lemeneur de le ramener directement chez lui. L’avocat, bienveillant, attendit d’être arrivé dans la rue, pour interroger son passager :

⸺ Excusez-moi cette question, mais allez-vous rester seul ce soir ?
⸺ Oui Pierre. Merci de vous en inquiéter. Mais ça va aller. Je vais essayer de dormir, ce que je n’ai pas pu faire la nuit dernière…

En ouvrant la porte de son appartement, l’idée lui passa par la tête que Melly l’attendait peut-être, pelotonnée dans son plaid dans l’angle du sofa. Mais, le séjour était plongé dans le noir, pas âme qui vive. Il pensa à Stéphanie, en allumant le salon. Stéphanie l’avait quitté, il y avait quatre semaines exactement. Elle lui avait fait une scène, lui reprochant d’avoir passé la soirée avec Melly, chez elle qui plus est ! La grande jeune femme, d’habitude si élégante, avait surgi chez lui à la mi-journée, telle une furie, perdue dans un sweat avachi, sur un jogging déformé et les cheveux relevés négligemment. Elle lui cracha toute sa colère.

⸺ J’en peux plus des caprices de ta star ! Elle te demande de passer la soirée chez elle, tu t’exécutes ! Elle te demande d’aller la voir au milieu de la nuit parce que, Madame, a des angoisses, tu accours ! Elle te demanderait de te jeter sous un train, tu le ferais !
⸺ Stéphanie, tu sais très bien quelle relation j’entretiens avec Melly. Elle est fragile, je dois l’aider !
⸺ En fait, tu ne t’es jamais vraiment remis de votre séparation et tu dois tous les jours la supporter. Elle ne te lâche pas !

Elle avait hurlé en pointant son doigt vers Emeric. Elle l’accusait et finit par livrer son verdict :

⸺ Je m’en vais, Emeric. On arrête tout, et surtout on arrête cette mascarade : à jouer le petit couple bien sous tous rapports lors de tes soirées mondaines.

Il l’avait regardé alors, quitter l’appartement sans protester. Tel un électrochoc, la scène jouée par Stéphanie l’avait laissé pantois. Emeric se repassa le film des semaines précédentes : abandonnant la jeune femme à quelques tristes soirées, seule, alors qu’il essayait de requinquer Melly qui sombrait déjà. Stéphanie lui plaisait beaucoup mais il réalisa que ce qu’il aimait surtout, c’est qu’elle était reposante : d’une beauté lisse et sage, elle n’avait pas d’état d’âme à propos de son image. Auprès de cette compagne de caractère plutôt effacé, les mois s’étaient écoulés sans heurts, sans complications, mais sans magie non plus. Pour le jeune producteur, le constat de ce soir était consternant : il n’avait plus de petite amie ni de star à consoler.

Évasion

Le scooter roulait toujours à vive allure et un frisson lui parcourant tout le corps, sortit Melly de sa torpeur. Elle comprit que malgré les soubresauts, elle s’était endormie, assommée de fatigue. Elle avait réussi à garder ses bras autour de la taille d’Andres, se laissant aller aux balancements de la machine et n’opposant aucune résistance à son pilote lorsqu’il se penchait dans les courbes. Mais le froid la saisissait maintenant. Elle ne savait plus depuis combien de temps ils roulaient. En regardant autour d’elle, une évidence la saisit, ils avaient quitté Paris : de petits pavillons noyés dans la verdure émergeaient de la pénombre et les réverbères et leur lumière orange défilaient sous ses yeux comme un clignotement. C’en était trop, ils devaient s’arrêter : la fatigue et la fraîcheur de la nuit avaient raison de leur escapade, Melly n’en pouvait plus.

En se redressant sur la selle du scooter, elle relâcha quelque peu son étreinte. C’est alors qu’elle sentit d’abord comme une compression de tout son corps puis, telle sur un siège éjectable, elle s’envola les bras encore autour d’Andres. Lui, avait lâché le guidon après le choc et se voyait propulsé vers le bas-côté. Melly comprit qu’elle allait retomber lourdement, la tête la première sur le bord de la route. Il lui semblait voir ces quelques instants défiler au ralenti : le scooter se couchant sur le côté, Andres près d’elle, planant les bras ouverts… Sa tête toucha le sol, la visière du casque vola en éclat et Melly sentit une vive douleur au visage : à mi-chemin entre une brûlure et un coup de poing. Ce fut tellement douloureux, qu’elle ne put réagir quand le reste de son corps percuta la terre : sa jambe se tordit sous son poids et son épaule s’écrasa dans l’herbe.