Fange - Nathalie Ketchabia - E-Book

Fange E-Book

Nathalie Ketchabia

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Beschreibung

"Fange" explore les destins entrelacés de personnages évoluant dans les recoins obscurs des villages oubliés et des quartiers défavorisés. Refusant de céder à la fatalité, ces âmes écorchées mènent une lutte acharnée pour métamorphoser leurs existences fracassées en havres d’espoir. À travers ces récits poignants, empreints de douleur et de courage, se dresse un vibrant hommage à l’humanité et à la résilience. Une invitation à plonger dans les profondeurs de vies ignorées et à en émerger transformé.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Nathalie Ketchabia puise dans son expérience et dans les confidences de son cahier intime une force d’écriture d’une intensité remarquable. Par la puissance de ses mots, elle met en lumière des réalités souvent occultées, révélant les vies oubliées et les combats silencieux d’une société tiraillée entre ombre et lumière.

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Seitenzahl: 235

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Nathalie Ketchabia

Fange

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Nathalie Ketchabia

ISBN : 979-10-422-5821-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Présentation de la nouvelle

Il est écrit qu’au commencement, l’Éternel Dieu forma l’Homme de la poussière de la terre. Il souffla dans les narines de celui-ci le souffle de vie et l’Homme devint un Être vivant. L’on ne sait tout de même pas si cette poussière était trempée ou non.

Si déduction faites de ce que, cette vapeur qui s’éleva de la terre et arrosa toute la surface du sol ; la poussière, un des éléments constitutifs de la terre, aussi légère fut-elle, aurait été mélangée à de l’eau et il en résulta de la boue. Dès lors, ce souffle de vie, le Saint-Esprit ; l’Esprit de Vie qui s’accompagna de l’air ambiant ; institua dans l’ensemble une sorte d’homogénéité. D’où sortirent ces humains que nous sommes aujourd’hui ?

Cependant, ce symbole de légèreté, propre à cet élément poussiéreux par rapport à d’autres matières, comme la boue, devint une fange en des moments inopportuns. Ces fentes, ces ombres, ces nuées ardentes et mygales, nodules de nos vies inassouvies. Nos ordures ; ce mélange gazeux que constitue l’atmosphère. Ignominies, abjections ; nos tares et avatars ; insatiable à satiété ! À nos actes manqués. Et puis, quoi encore ! Après nous, l’orage ! Avé Maria ! Bourbe !

Cela se déroule dans une bataille intérieure, parfois tout aussi extérieure, à laquelle nous sommes mal préparés. Selon la loi divine de l’Évangile, tirée de l’Ecclésiaste, chapitre 3, versets 16 à 20, la vie est remplie de défis et d’adversités, souvent plus que d’opportunités, âpres et difficiles. Elle est le reflet de la puissance qui naît de l’affrontement de nos deux entités constitutives, qui se heurtent au fond de notre âme, à l’image de Caïn et Abel. Et pourtant, de ce chaos naît un héritage, une transmission pour la génération suivante. C’est cela, la fange.

Presque toutes ces histoires sont vraies ; parce que ce sont les mémoires de petites gens, ces êtres fragilisés. Les ombres de vies inassouvies de personnes ordinaires, ces laissés-pour-compte qui pensent vivre en deçà de la lumière du jour dans les bas-fonds des villages et des taudis des quartiers. En revanche, pour les uns, ils ont refusé de se passer pour des victimes conscientes qui survivent et qui se plaignent ; ou de devenir à leur tour des bourreaux. Ils ne pouvaient ni prendre de l’envol comme des aigles, ni même encore courir ! Leur situation ne le leur permettait pas.

Ils pouvaient marcher à la traîne avec beaucoup de peines, et ils l’ont fait ; dans la douleur et au prix de multiples efforts ; réaliser ce en quoi ils croyaient pour impacter positivement la pensée des siens et par-delà celle du monde. Essayant de vivre par eux-mêmes tout en continuant seul leur route. Acceptant de devenir un objet de leçon pour les autres ; ils ont refusé de tomber dans la fosse du désespoir ou de la vengeance. Ils ont plutôt choisi de se battre, pour faire de leur vie bancale une oasis, une source d’eau vive abondante ; un héritage malgré tout. Très souvent au grand dam des leurs et de la société offensants.

Fange, une nouvelle de sept (7) titres, est aussi un peu de mon imagination !

Une journée peu ordinaire

Le climat en ce début de matinée s’annonçait beau. Sous un ciel arc-en-ciel, dont je pouvais apercevoir au sortir de la maison pour le chemin de mon lieu de travail. Le soleil avait pointé très tôt ses faisceaux de rayons à l’horizon. De toute la journée, la chaleur avait au fur et à mesure atteint son paroxysme. Mais, assise à mon bureau, je ne pouvais vraiment mesurer l’ampleur de cette journée caniculaire. N’eut été l’arrivée de quelques visiteurs et clients ; ou même ces vendeurs ambulants suant à grosses gouttes au moment où ils faisaient leur entrée à mon secrétariat. Certains parmi eux s’affalaient alors manu militari sur le canapé de la salle d’attente où je les introduisais. Leurs premiers réflexes étaient aussitôt d’appuyer de leur main le bouton « on » du vieux ventilateur qui s’y trouvait ; avant de prendre place. Malgré l’air plus ou moins frais renvoyé par le climatiseur du secrétariat. Pour ces autres marchands à la crié, ils usaient de tacts et de ruses, feignants de m’amadouer à acheter leurs articles. Or, par leur insistance, ils cherchaient tout simplement à profiter de ce milieu frais et doux que leur renvoyait l’atmosphère du secrétariat. Pourtant, il leur était interdit de traîner les pas au sein des entreprises où généralement l’accès leur était difficilement possible à ces heures de travail.

— Ouf ; je peux, madame ? Quelle journée ! Quelle chaleur brûlante !

— Oui, oui, allez-y, monsieur ! Faites comme chez vous. Puisque vous me devancez ; prenez place, leur répondis-je à l’accoutumée, courtoisement.

Le visiteur généralement se laissait alors aller de tout son poids en perdant l’aplomb, au moment de s’affaisser sur le canapé velouteux, véniel. Ils n’hésitaient pas, pour d’autres de ces insatisfaits, à utiliser la télécommande qui traînait par là. Il faut augmenter le degré de l’air frais de la salle d’attente.

L’on pouvait aussi s’en rendre compte, à ces soupirs de soulagement d’inspirations prolongées qu’ils relâchaient avec force, dès qu’ils avaient pris place assise. L’on observait alors s’installer à l’instant sur leur visage maintenant relevé, un air de bien vivre instantané et spontané. De même, on observait les manifestations agrées de leurs gestes, au contact de cette bouffée d’air glacé et frais qu’ils recevaient, aussitôt que la secrétaire ouvrait la porte du bureau de monsieur Djoko pour les y introduire.

Ce fut alors un avant-goût, de cette atmosphère régnante d’ambiance, de bien-être et de calme sereins, qu’ils allaient ipso facto expérimenter, au sein de ce modeste bureau climatisé et aéré. Les clients de monsieur Djoko n’éprouvaient jamais de l’impatience à le quitter. Quand bien même le contrat d’affaires pour lequel ils avaient répondu présents n’avait pas abouti. Du moins, c’était ce que la secrétaire madame Épouna avait remarqué durant ces périodes de grandes saisons sèches. C’est que, dans cette salle d’accueil que dans le bureau du directeur général de « l’Établissement Djoko & fils », il y avait en plus des rafraîchissants à souhait.

En effet, la femme du directeur général était une spécialiste dans la fabrication de jus de fruits bio. Ils étaient pressés, sans colorants ni conservateurs ; riches en vitamines B9 en grande quantité. Elle faisait aussi dans la collection de thé à base d’essences diverses. L’entreprise de son époux faisait alors office de marketing. Surtout, dans la restauration événementielle lors des journées portes ouvertes où elle détenait le stand « Le Troquet ». On aurait dit une zone de chalandise de l’entreprise.

Pour leur majorité, les clients ou visiteurs de monsieur Djoko à qui l’offre de dégustation était proposée déclinaient rarement par un refus. D’ailleurs, tous avaient constaté que dès l’entrée de l’immeuble abritant les bureaux de l’entreprise, on ne respirait plus que l’odeur parfumée et envoûtante de toutes ces boissons enivrantes servies chaudes ou avec des glaçons. C’était à peine si quelques-unes de ces personnes, arrivées plus d’une fois, laissaient du temps à madame Épouna, qui les accueillait, de les mettre elle-même à leur aise. Déjà, de leurs yeux, elles balayaient la salle d’accueil et les maintenaient fixés sur le petit coffre qui y était ; et où se trouvaient rangés des échantillons de thé aux parfums capiteux reconnus par le code-barres de leur emballage. Alors, les plus hardis s’y précipitaient pour les lire ; ils appréciaient les différentes couleurs odoriférantes. À cet effet, ils donnaient leurs avis sur les goûts au cours de leurs dégustations multiples à un de ces jours à la secrétaire. Cette dernière les rassurait de ce qu’elle devait se remémorer de leurs remarques et suggestions et qu’elle les transmettra à madame Djoko.

En ce jour qui marquait la fin de la semaine et le début du week-end, le travail au bureau ne fut pas moindre non plus. Car, ce n’était qu’aux environs de dix-huit heures et trente minutes du soir que le patron de l’entreprise et sa secrétaire quittaient les locaux. Ceci, quelques minutes seulement après qu’ils aient en fin reçu un de leurs plus fidèles partenaires d’affaires qu’ils attendaient depuis la mi-journée. Ce ne fut donc qu’à une heure assez avancée de la journée, hors agenda planifié du circuit des horaires codifiées et légales de travail privé, que le responsable de « l’Établissement Djoko & fils » donna son accord effectif pour ce rendez-vous plusieurs fois annulé.

— Madame Épouna, je vous conduis jusqu’à votre domicile ce soir, lança mon patron, qui précédait le dernier visiteur qui venait à l’instant de sortir de son bureau. Monsieur Tchamdja, le déclarant en douane employé au sein de la société de sous-traitance, notre partenaire, me disait au revoir d’un geste de sa main au moment où il franchissait à pas rapides le seuil de la porte de sortie du secrétariat.
— Avez-vous pris la peine de téléphoner à votre époux de votre retour tardif ?
— Oui monsieur.
— Il y a un embouteillage fou là dehors. Et vous y avez intérêt, madame.

— Raison de plus monsieur le directeur ; je ferai une partie de mon trajet à pied jusqu’au niveau du grand « carrefour les rameaux ». Il faut prendre de l’avance sur cet embouteillage.

— OK. Mais faites bien attention à vous. Et n’oubliez pas de tenir informé votre conjoint de cet encombrement qui arrête la circulation.

— D’accord monsieur le directeur. Merci monsieur ; c’est déjà fait monsieur. Soyez-en rassuré, mon époux est déjà au courant de la situation, répondis-je à mon patron, pendant que je tournais pour la deuxième fois la clef dans la serrure de la porte centrale d’entrée de l’entreprise. Le patron de madame Épouna venait de prendre place à bord de sa luxueuse bagnole. Pendant ce temps, elle longeait déjà la cour extérieure des locaux. Elle se dirigeait vers la sortie de l’immeuble qui conduisait directement sur le trottoir de la grande route.

Au portail de l’immeuble, se trouvait déjà installé sur un tabouret Sangaré, le gardien de nuit qui assurait la sécurité des lieux. Prenant appui sur ses deux jambes où était posé un registre ouvert au niveau de ses cuisses, il y écrivait pour marquer sa présence et l’heure de sa prise de fonction. Avant que la secrétaire n’atteignît le seuil de la porte de sortie de l’immeuble, elle fut rattrapée par son patron qui en sortait aussi. La secrétaire se rabattit à cet instant de côté, afin de céder le passage au véhicule. Ce fut à ce moment-là que monsieur Djoko fit baisser la vitre de sa voiture pour s’adresser à sa secrétaire.

— Bonne soirée madame. Reposez-vous bien et profitez du mieux de votre week-end.

— Compris monsieur.

— Pour la demi-journée de travail le samedi comme convenu, c’est annulé. J’ai appelé déjà monsieur Tchamdja pour lui dire que la séance de travail prévue demain matin n’aura plus lieu.

— C’est noté monsieur.

— Je ne pourrai pas être là, je suis vraiment fatigué. En plus, il y a les funérailles d’un ami qui ont lieu ce week-end. Je dois y assister et rencontrer en même temps de vieilles connaissances.

— D’accord monsieur le directeur. Merci monsieur. Bon week-end à vous, monsieur.

— Merci, madame Épouna. À lundi.

En effet, lorsque nous quittions le travail très souvent à une heure très avancée de l’heure réglementaire pour son arrêt, mon patron m’accordait toujours un moratoire. Il suspendait provisoirement sa décision, quant à l’exigibilité de la reprise du travail tel que prévu, très tôt le lendemain aux premières heures.

Exception faite pour ces cas d’urgences, où le risque encouru pouvait entraîner une grosse perte pour l’entreprise. Monsieur Djoko passait la nuit pour ces cas rares au sein de la structure où lui et ses partenaires d’affaires travaillaient jusqu’à l’aube. Je quittais alors les bureaux très tard ; et monsieur Djoko pour ces périodes demandait à son coursier de me raccompagner en voiture jusqu’à mon domicile. Je ne reprenais mon service le jour suivant que dans l’après-midi.

Cependant, ce jour-là du vendredi, inquiet de ce qu’il m’avait retenu au bureau au-delà de l’heure normale de cessation de service en entreprise, il avait insisté pour me ramener jusque chez moi. J’avais décliné à la demande de mon patron. De façon impromptue, je choisis plutôt de faire une partie de mon chemin à pied. D’ailleurs, ma vie septennale de sédentaire du bureau, sempiternelle, m’y astreignait ; jugeai-je. Il était question pour moi de respirer aussi un peu d’air pur de la nuit tombante. Je profitai aussi de cet encombrement de la circulation, pour m’adonner à mon sport favori qui fut la marche. Ceci était réparateur pour mes jambes généralement engourdies.

Perdue dans mes pensées assez lucides du moment, je marchais à pas lents. Je jetais des regards furtifs de part et d’autre tout autour de mon environnement immédiat. Je faisais bien attention à moi. Il faut éviter de rentrer en collision avec un piéton du même bord de trottoir que moi. Il s’agit de ceux-là qui venaient dans le sens opposé tout droit devant moi. Il pouvait s’agir aussi des piétons marchant derrière moi, mais qui, pressés, cherchaient à tout prix à rattraper le temps. Ils étaient freinés dans leur marche folle, à cause surtout de ces motos-taxis qui empruntaient cette partie surélevée de la chaussée réservée aux piétons. Tous, y compris moi, nous étions indifférents des uns des autres. Sur cette voie bondée de monde à cette heure du soir où ma montre marquait dix-neuf heures. Nous étions fatigués et préoccupés pour la majorité à regagner notre domicile, afin de retrouver nos familles respectives ; après une si dure journée de travail. Quoi de mieux donc ! À cette heure de pointe où la route était engorgée de taxi tous plein à craquer. Les motos taximen quant à eux jouaient les fiers. Ils imposaient aux malheureux usagers le port sur leur porte-passagers de plus d’un client. Non content de cela, ils augmentaient à cet effet le prix du trajet à débourser qui pouvait atteindre le double du prix habituel.

C’était courant durant ces moments, d’observer ces engins à deux roues se faufiler de partout. Ils zigzaguaient entre les voitures au point de quitter même la route pour le trottoir, au risque de renverser quelques passants. Certes, c’était un moyen de transport très rapide et très sollicité. Au regard de cette longue file de véhicules confondus qui avançaient à pas de tortue. Malgré la présence à certains endroits de la voie, des agents de la police. Ils y étaient postés, afin de régler la circulation. À ces horaires cruciaux où la route était sens dessus dessous. Il fallait discipliner les conducteurs qui bafouaient le code de la route.

Cependant, il n’était pas rare de voir les conducteurs de motos-taxis et leurs passagers se retrouver sous les roues d’un camion ou autres engins. Leur destination finale était alors la morgue d’un hôpital de la place du lieu de l’accident. Ou tout au moins, avec beaucoup de chance, vous pourriez finir votre course à l’urgence de l’hôpital où l’on vous transportait. Là, un pavillon leur était réservé. C’était le pavillon des ben-skin1. Ici, sur cet autel de la mort, vous étiez sûr à défaut d’y laisser votre vie, d’en ressortir soit avec un bras ou une jambe broyée, soit avec un œil poché ; ou toute autre partie de votre corps endommagée pour toujours. Les brûlures à certaines parties de leurs jambes, dont souffraient les accidentés, étaient légion. Même après les soins à leurs blessures, les séquelles y demeuraient. Les civières dans ces pavillons pouvaient être substituées à des lits faute de mieux. Car, à l’urgence des hôpitaux où se trouvait leur pavillon, les accidentés étaient nombreux. Maximiliène, la petite amie de monsieur Djoko, à deux reprises, fit partie de ces nombreuses victimes d’accidents causés par les tuyaux d’échappement de moto-taxi. Ses blessures à l’une de ses jambes avaient guéri. Pourtant, les cicatrices de ses plaies y demeuraient. Malgré les consultations de meilleurs médecins spécialistes, où son don Juan d’amant, monsieur Djoko, l’avait conduite. Ces parties de la jambe de cette aguicheuse demeuraient couturées.

De toute ma vie, beaucoup de choses m’étaient contées. J’avais aussi beaucoup lu à travers les livres. C’était avec ces derniers que j’avais aussi assez appris. En fin de compte, j’avais fini par attraper le virus de la bibliophilie, durant ma longue période de vicissitude humaine, que je traversais dans ma solitude éprouvante et non désirée. Les livres étaient devenus mes fidèles et seuls vrais amis au cours de ces moments de joies et de peines. Ce qui faisait que, à certains de mes instants de la journée, des bribes de lectures emplissaient ma mémoire. Ces fragments de lecture, au sein de mon subconscient, étaient de temps à autre perturbés par des événements extérieurs à moi. C’était ce qui arriva ce jour-là, à cette heure indue où j’avais quitté l’entreprise. La marche, assez longue et non prévue de prime à bord, que j’avais choisie de faire me mena vers cette rue piétonne, qui était une voie à sens interdite qui conduisait vers le rond-point.

En effet, au détour de cette voie presque déserte et faiblement éclairée, qui me dirigeait vers le « carrefour rond-point les rameaux », où je devais emprunter le « cargo2 » qui devait me ramener à mon domicile ; berk !!! Mon attention venait d’être attirée par une scène peu ordinaire, de l’autre côté du trottoir à ma gauche. Il s’agissait de la présence d’un monsieur rôdeur apparemment. Il était trapu et barbu, tiré à quatre épingles3 ; il allait au pas de trot derrière une apparence féminine bizarre. Elle avoisinait la quarantaine, elle avait un accoutrement physique et une mise esthétique mal soignés, crasseux ; on aurait dit une baudruche. À bien l’observer, la femme n’avait pas toutes ses facultés mentales en place. Je m’avisai de la présence du gentleman qui trottinait derrière elle, en lui lançant de petits mots de séductions, avec des trémolos dans la voix. Ce fut à cet instant-là que je ralentis mes pas, j’avais l’impression d’avoir la berlue. Je jetai des regards furtifs tout autour de moi, je remarquai que j’étais la seule à être surprise du script qui était sur le point de se dérouler en ce lieu. Cependant, je n’étais pas l’unique spectatrice de ce vidéaste aux effets spéciaux, hors du commun pour autant !

Assurément, c’était une scène courante dans cette avenue que certains badauds et curieux usagers piétons aimaient emprunter au crépuscule. Ils espéraient y trouver de pareilles scènes inédites, comme celle de ce soir. Notre invité de fortune était un habitué des lieux, pour la circonstance. Il venait de réussir à capter l’attention de sa proie, qui semblait le reconnaître. Elle se laissait prendre au plaisir de ce jeu avilissant ; à brûle-pourpoint maintenant qu’ils étaient l’un en face de l’autre. Basta ! Cette séquence avait attiré de nouveaux curieux, parmi lesquels les chauffeurs qui, innocemment, se hasardaient à prendre cette allée à sens interdit. Ils cherchaient à éviter l’embouteillage, au risque de se voir dresser un procès-verbal, par un agent de la police de contrôle routier qui pouvait surgir par là à l’improviste. Ils se mettaient aux aguets, à l’abri des regards, afin de surprendre et traquer les conducteurs indisciplinés au volant de leur véhicule. Bien que conscients, ils violaient sciemment le code de la route en roulant dans ce sens à ce boulevard. Ils utilisaient comme prétexte cet encombrementde la circulation, et sollicitaient à cet effet la tolérance administrative, de la part des agents de police à leur endroit. Ces autres curieux, complètement ignorants de la scène peu ordinaire à leur passage dans cette voie, stoppaient net le moteur de leur véhicule devant ce spectacle vil.

Le scénographe dans toute sa virtuose, dans un corps à corps des sex-symbols sex-appeals, empoignait sa dulcinée sans vergogne par les reins, dans un jeu de corps et ; vlan ! Le clou du spectacle nous était alors dévoilé ; la femme folle qui était touchée au vif soupirait. Elle devint comme saoule, maintenant après son crapule amant. Ce dernier, quant à lui, était subitement aussi devenu vorace, pendant qu’il renversait sa prostituée à même le sol sur le dos. Dès cet instant-là, elle se retrouvait entre les jambes de son amoureux qui était encore debout au-dessus d’elle. Il desserrait à présent le nœud de sa cravate. Puis, aussi rapidement qu’il le pouvait, il défit le ceinturon de son pantalon au pourtour de ses hanches. Il le descendit au niveau de ses fesses sans aucune gêne. Dans ses gestes inextricables et voluptueusement, il se jeta tel un crash sur sa cocotte qui était ivre de plaisir. Telle une pucelle encore inexplorée, qui s’impatientait couinement sous le poids virulent de son sous-homme gentleman, qui virilement la comblait de baisers et de caresses inextinguibles. L’amant atypique dans un esprit serein, au moment où dans la collision, il s’enfila fébrilement dans un coït de cohésion, telle une collusion dans le clitoris de la folle. Toutefois, dans toute la vigilance, dès lors que la présence de ces autres curieux, âmes sensibles pouvaient le désigner à la vindicte publique populaire. Car, une telle situation commandait tout de même la prudence.

Pendant que se déroulait le théâtre infâme et navrant, sous nos yeux hagards, de petits cercles de nouveaux curieux qui passaient tout simplement leur chemin se formaient. Les plus nombreux des spectateurs de ce film au grand air, étaient les motos taximen. Ils appuyaient rien que sur l’embrayage de leur moto, et ils y demeuraient au-dessus assis, pour mieux visionner nos deux acteurs publics. Pour ces novices à pareille scène que nous étions dans le lieu, la surprise était générale. Nos regards ahuris devant cette vilenie, au vu et au su de tout le monde, que nous décidions de suivre jusqu’au bout. Mon cœur battait la chamade, j’avais la chair de poule. Je tremblotais de tout mon corps, je serrais très fort mon sac à main contre ma poitrine, afin d’éviter le pire de la part d’un pickpocket.

En effet, tout près de moi, venaient de se regrouper ces adolescents délinquants de rue, aux apparences physiques et morales qui inspiraient la méfiance. C’était de jeunes badauds, vulgairement appelés « nanga-boko », déformés par la société faute de repère. À cette heure crépusculaire, ils sortaient de leurs tanières, et c’était à ce moment-là que leur journée à eux commençait. C’était de véritables et authentiques hippies qui dégageaient depuis leur corps, une odeur nauséabonde. De leur bouche sortait une haleine fétide, mêlée à celle du chanvre qu’ils consommaient à profusion. On observait à certaines parties de leurs membres inférieurs, des plaies mal soignées qui s’y trouvaient dispersées par endroits. Ces plaies suintantes pour quelques-unes étaient bandées de morceaux de tissus pas hygiéniques du tout.

D’autres, par contre, avaient des lèvres fendillées et à leurs commissures on voyait un amas de chair croûteux et craquelé. Ils éprouvaient dès lors de la douleur, lorsqu’ils voulaient exercer naturellement en toute aisance, la gymnastique humaine mandibulaire. L’un d’entre eux, un cigare dans l’une de ses mains se détacha de quelques pas de leur regroupement, où il se trouvait avec ses coéquipiers. Il rejeta à tour de rôle de ses narines et de sa bouche de la fumée par expiration, tout en riant à gorge déployée. Dans l’autre de ses mains, et même à une de ses aisselles s’y trouvaient de vieux cartons soigneusement pliés. Ces bagages de fortune lui servaient de couchette. Tous étaient habillés dans des tenues de circonstances, caractéristiques de ces enfants noctuelles au caractère nocif, sans domicile fixe. Ils ont l’air d’être des habitués à pareille estrapade de sitcom telle que la nôtre, que nous étions séance tenante, en train de visionner en live, sous nos yeux étonnés. Une vraie estocade pour ce gentleman bourreau, féru à sa victime farfelue sous sa férule ; qui m’a foi, contre toute attente, faisait du zèle pour obtenir plus de faveurs !

Un autre enfant de rue encore avait réussi à se trouver non loin de la scène, une place assise sous la véranda d’un magasin de brocante déjà clos. Là, il était laissé au-dehors devant la porte, un vieil appareil de réfrigérateur abîmé. Il y était rejoint immédiatement par deux autres des leurs. Leur attention était complètement captivée par nos deux tourtereaux qui continuaient de s’amouracher l’un dans les bras de l’autre. La dulcinée et son amoureux s’élancèrent à même le sol, dans des ébats publics et sans gêne. Leurs soupirs inextinguibles étaient entrecoupés de répits de désirs d’inspirations et d’expirations saccadés. Je n’en revenais pas ; j’étais comme clouée sur place, dans cette station debout qui durait depuis plus d’un quart d’heure, le temps qu’avait déjà mis le vidéoclip.

Le bourreau dans son allure aux pas rassurés était élancé dans sa taille. Il était costaud aux épaules carrées. Il était drapé dans un costume à la couleur bleu marine qui lui allait à merveille. Il se releva de sa partenaire, remonta promptement son pantalon donc il prenait la peine de bien receinturer la boucle, autour de ses hanches. Ensuite, il se reboutonna sa chemise et il ajusta sa veste. Il resserra sa cravate qu’il renoua en étirant sur son nœud dans son juste milieu au niveau de son cou. Tout cela dans un calme imperturbable, dans son air indifférent à toute l’hilarité des « nanga-boko » et autres spectateurs présents. Il sortit de l’une des poches de sa veste un téléphone portable et il émit un appel expéditif de quelques secondes environ. Il raccrocha ; puis, il remit l’appareil en son lieu et place. Il fit une dernière succion aux lèvres de sa dulcinée qui manifestait avidement une sorte d’insatisfaction. Il la congédia et reprit son chemin en toute tranquillité.

Mais avant, il remit à sa belle de nuit inassouvie, quelques billets de banque flambants neufs. Une voiture assez somptueuse aux vitres sombres freina brusquement à quelques mètres du lieu, et sa portière arrière s’ouvra. Notre fumier homme dans toute sa prestance s’y engouffra. Il referma la portière après lui et le véhicule démarra en trombe.

La générosité mal placée de notre baudet n’avait pas laissé pantois et passifs les délinquants de rue qui étaient présents. Au contraire ! Cela les attira et ils accoururent vers le monsieur. Ils réclamèrent à ce dernier leur part de fric en fulminant.

— Héééé, Héééé ; führer pour nous aussi !

À même le sol, deux à trois billets de francs CFA, dont j’ignorais le montant exact, leur étaient jetés par le führer qui les fusillait de regards niais. Ils s’y précipitèrent pour les ramasser, pendant que certains en proférant des jurons s’esclaffaient.

— Frérot, encore là ! Héééé, enfoiré érotomane ! Escogriffe ! Minou, minou ; encore, encore !

Lancèrent d’autres qui admiraient dans leurs mains les billets claquants neufs. Ils tournaient et retournaient d’une face à l’autre la devise qu’ils tenaient dans les mains, comme pour s’assurer de leur authenticité. Le misanthrope, dans toute la galanterie inimaginable, continua son trajet en toute sérénité vers son véhicule garé, sous les regards stupéfaits des spectateurs filmiques.

— Hé, hé, hé ; mollah, toi reste là pour surveiller, ne te déplace pas.

Lança d’un ton morne l’un des enfants de rue, à deux d’entre eux, de là où ils étaient assis sur le vieux réfrigérateur. Il fallait assurer la sécurité des leurs, par des alertes d’éventuelles venues d’agents de police de la sécurité publique, qui y traquaient en filature. Car, c’était à cet endroit précisément où nous nous étions rassemblés éparses, que ces jeunes délinquants se réfugiaient à des heures très tardives de la nuit, pour fumer leur tabac à chiquer ou à priser, surtout le gutka. D’ailleurs, ils fabriquaient eux-mêmes certains de ces stupéfiants, tels le tabac de cigare, à partir des feuilles de tabac. Les matières premières pour le processus de confection qu’on leur livrait étaient à des prix exorbitants. Comparé à leur situation financière présente de jeunes délinquants désœuvrés, il était question de se demander où ils se procuraient tout cet argent pour en disposer.