Far West, mon amour - Oscar Lafuente - E-Book

Far West, mon amour E-Book

Oscar Lafuente

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Beschreibung

Dans l’Irlande du XIXe siècle, Jack O’Connor, cavalier fougueux et ennemi du conformisme, fuit un mariage arrangé et un avenir tout tracé. C’est son frère qui épousera la promise, pendant que Jack, épris d’aventure, tourne les talons et met le cap sur l’Amérique. Là-bas, dans les plaines sauvages du Far West, il espère trouver la liberté dont il rêve. En parallèle, une jeune Bordelaise passionnée de vin défie les conventions pour se faire une place dans un monde d’hommes. Deux trajectoires que tout oppose, mais que le vent de l’ouest pourrait bien rapprocher.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Oscar Lafuente a d’abord rêvé d’images et de dialogues, de scènes découpées et de personnages en mouvement. Il voulait écrire des scénarios. Mais peu à peu, ce sont les mots eux-mêmes qui l’ont happé – non plus pour être joués, mais pour être lus, vécus, imaginés. L’écriture s’est imposée, libre et souveraine. Pourtant, derrière chaque page, persiste le désir discret qu’un jour, peut-être, un scénariste croise son chemin et offre à ses histoires une autre lumière.

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Seitenzahl: 268

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Oscar Lafuente

Far West, mon amour

Roman

© Lys Bleu Éditions – Oscar Lafuente

ISBN : 979-10-422-8057-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre I

Jack, l’Irlandais

Jack enfourcha son cheval et sortit de l’écurie, au pas, au trot et à l’approche de la prairie, au galop.

Il aimait traverser les parcelles sur lesquelles paissaient bovins ou ovins.

Ses parents possédaient une grande, une très grande exploitation agricole dans le Comté de Cork qu’ils avaient héritée de leurs parents, grands-parents et souvent agrandie par mariage d’intérêt.

Son père, Malone O’Connor, régentait le domaine ; mais heureusement sa mère, Nora, parvenait à le faire changer d’avis sur des choix pris sur un coup de colère ; souvent le patriarche déclarait qu’il aurait aimé être au siècle d’avant car l’autorité était respectée sans discussion. Le maître d’abord, les autres après, mais son épouse lui tenait tête allant à l’encontre souvent de ses idées.

Malgré tout, c’est lui qui arrangea le mariage de son fils aîné ; il avait réussi à lui faire accepter que la douce Kelly Collins serait un bon parti, que, grâce à sa famille dans le Comté de Kerry, leur propriété s’étendrait encore davantage, consacrée déjà essentiellement aux moutons qui produisaient une excellente laine exportée dans toute l’Europe.

Kelly, dix-neuf ans, fille unique, était… jolie, un peu timide ; les jeunes gens s’étaient rencontrés deux ou trois fois, lors des grandes foires agricoles.

C’est ainsi qu’au printemps dernier, quand les animaux partent pour les grands pâturages, la fête annonçant les beaux jours fut organisée ; tous les gros propriétaires furent invités et bien sûr les Collins ; les deux familles en profitèrent pour mettre au point le mariage de leurs enfants, étant convaincues qu’ils feraient un beau couple et de beaux enfants.

Pour la famille Collins, Jack était un bon parti et souhaitait aussi un héritier.

Pour les O’Connor, surtout le père, il voyait son domaine s’agrandir et devenir la plus grande exploitation de la région, du Munster.

Dans l’idée du père, il fallait caser le fils aîné ; à vingt-sept ans, il était temps qu’il trouve une compagne et fonde une famille ; il en avait assez de le voir faire la fête sans arrêt ; la mère allait dans ce sens, il fallait qu’il s’assagisse ; prendre épouse, avoir des responsabilités le rendraient plus raisonnable.

Le jeune frère Daven, vingt et un ans, admirait son grand frère, qui avait une certaine personnalité, parlait avec aisance, déclenchant la sympathie, étant à l’aise dans toutes les situations… Bref, il enviait son frère qu’il aimait et qui le lui rendait bien aussi, en lui répétant souvent : « T’en fais pas, petit frère, tu apprendras vite. »

Bien sûr, le grand frère était toujours là pour l’aider et, quelquefois, l’emmenait avec lui dans ses virées, mais ce n’était pas son style de vie ; lui, plus calme, plus posé. Le contraire de son aîné, bon vivant par excellence ; non il ne le voyait pas se contenter du cadre de vie familiale.

Jack se souvenait de sa première rencontre avec Kelly accompagnant ses parents à une foire, qui les laissèrent seuls un moment, sous une surveillance discrète, afin de faire connaissance, Jack comme d’habitude parlait, elle écoutait, ne laissant échapper que quelques mots, émerveillée par les récits du jeune homme ; elle n’était jamais sortie de son domaine, si ce n’est avec ses parents.

Jack s’imagina que cette petite serait une proie facile et qu’il aurait vite fait de la coucher sur la paille dans une autre circonstance ; aucune femme ne lui résistait, il savait attendre pour mieux arriver à ses fins ; mais là c’était différent, cette union contenterait son père et lui pourrait continuer à batifoler.

Ils furent interrompus par Dolan, son ami : c’est à nous, Jack.

— Je vous laisse, Kelly ! je dois aller jouer.

Il appela son frère Daven et dit à Kelly :

— Vous serez en bonne compagnie avec Daven, mon frère.

Elle le connaissait aussi, l’ayant aperçu dans les expositions agricoles. À son approche, elle rougit un peu et baissa les yeux. Il lui prit timidement la main et ensemble ils se dirigèrent, en suivant la foule, vers une estrade improvisée.

Sur la scène, six musiciens avec leurs instruments : deux cornemuses, un violon, une guitare, une flûte et un tambour. Rapidement, le groupe commença par le Reel, musiques et danses traditionnelles irlandaises, ce qui déclencha des cris de joie de la foule.

C’est une danse en couple et sur deux rangs. Les hommes et les femmes se firent face, adoptant la même attitude, le corps très droit, les bras tendus le long du corps en arrière, les poings serrés, entraînés par le rythme, puis s’élancèrent.

C’est ainsi que, poussés par la foule, Kelly et Daven se retrouvèrent dans le groupe ; Kelly souriait, Daven surmontant sa timidité, lui lançait quelques mots gentils.

Jack regardait son jeune frère qui semblait s’amuser ; il posa son instrument – L’Uilleam Pipes – (cornemuse typiquement irlandaise) gagna le centre de la scène pour exécuter un show de claquettes, applaudi et ovationné par la foule. Là, il était dans son élément.

Après ce numéro endiablé, il reprit son instrument, attaqua une mélodie des légendes celtiques, d’abord en solo, puis pour finir avec l’ensemble du groupe.

Le spectacle se termina par un festival de claquettes, accompagné d’applaudissements d’une foule en délire.

Foule qui se dispersa pour former de petits groupes et parler entre autres des affaires courantes, en particulier de la réforme agraire de juillet 1848.

Jack retrouva Kelly et Daven toujours ensemble ; avec empressement, elle le félicita tout de même pour sa prestation ; elle voyait cet homme tellement à l’aise en public, alors qu’elle choisissait la discrétion.

Daven, lui aussi, enviait son frère, plein d’assurance, toujours joyeux, profitant du moment présent ; pourra-t-il abandonner cette liberté et se consacrer à son foyer ? se demanda-t-il perplexe.

Mais Jack, qui respectait son père, malgré des désaccords, ne voulait pas lui faire offense et accepterait ce mariage ; sa mère aussi l’avait convaincu que c’était le moment. D’autre part, c’était un bon parti (surtout pour son père), fille unique d’une famille reconnue dans le Comté voisin. Elle était mignonne, cela promettait une belle progéniture.

L’après-midi était consacré aux prix, chacun revendiquant de posséder la plus belle bête du Comté ; les animaux primés donneraient de la valeur au domaine.

Depuis plusieurs années, les Collins remportaient le premier prix dans la catégorie « plus belle laine » : leurs moutons bien nourris produisaient une laine excellente, la meilleure de toute la région ; les O’Connor étaient également récompensés pour le meilleur lait de tout le pays.

Pour clore cette journée était prévue une course d’étalons réservée aux jeunes cavaliers ; Jack souvent avait participé, remportant l’épreuve ; cette année, il jouait les princes charmants. À la fin de la course, il proposa à Kelly et à Daven de faire une balade en charrette ; assis tous les trois sur la banquette avant, Jack tenant les rênes décida de dépasser à très vive allure d’autres carrioles qui se traînaient, au risque d’un accrochage ou de se renverser ; mais cet endiablé connaissait son attelage et arrivait à le rétablir chaque fois à temps.

Voilà comment était Jack : casse-cou, quelquefois inconscient.

En fin de journée, sur un imposant feu de bois, grillait un bœuf entier qu’on allait déguster autour des tables improvisées.

Les deux familles étaient là, buvant de la bière locale – La Murphy’s – ; les conversations allaient bon train, animées, relatant les évènements de la journée. Mais le principal était de convenir d’une date pour cette future union. Après maintes formules de politesse, arrangements, les familles enfin d’accord, décidèrent que cet automne serait parfait.

Jack, sur sa monture, avait déjà parcouru trois lieues, plus que deux pour arriver à l’auberge dans la vallée. Il aimait chevaucher à vive allure et devait toutefois ralentir pour ménager son cheval, ce qui lui permettait de profiter du paysage qu’il connaissait par cœur. Il était né à cet endroit.

Arrivé dans une partie marécageuse, il traversa le ruisseau qui en ce moment n’était pas en crue. Il voyait l’auberge au pied de la colline ; il lui tardait d’y arriver car il avait soif et une bonne chope de bière l’attendait dans une ambiance festive. Son nom, The Welcome House, un établissement où on venait pour s’amuser.

C’était un ancien corps de ferme, restauré et aménagé en pub réservé surtout aux célibataires des deux sexes, aguerris, en quête d’une aventure sans lendemain.

Le bâtiment de droite était réservé aux chevaux, en tout, une vingtaine de box ; il eut du mal d’en trouver un pour sa monture ; ça présageait une grande fréquentation ; une voix l’interpella :

— Alors, beau gosse, tu es en retard, tout est pris, il ne reste qu’un box à l’arrière, viens je t’y emmène…

Belle plante, les yeux verts, et surtout pas farouche du tout : c’est ce qu’on disait au saloon.

Près du box, elle s’approcha, lui murmura à l’oreille :

— Alors, on vient se détendre avant le mariage.

Si cette fille connaissait sa prochaine situation, cela promettait à l’intérieur, on allait le chambrer, le presser de questions, se moquer, lui, un opposant au mariage depuis toujours.

Elle s’approcha si près qu’il sentit son souffle et sa poitrine avantageuse appuyée contre sa veste ; elle lui vola un baiser ; il ne résista pas, au contraire ; il la serra plus fort et l’allongea sur la paille. La suite fut une formalité ; quelques instants après, il se leva, satisfait. Effectivement on était loin de la vérité, c’était encore mieux que la rumeur.

En se rhabillant rapidement, une affiche intitulée « L’Amérique vous attend, jeunes Irlandais » attira son attention. Au club, il l’avait déjà vue mais n’avait pas prêté une grande attention. Là, il se mit à rêver.

Tranquillement, il se dirigea vers la deuxième partie du bâtiment : le Club. Il trouva énormément de monde dans la première salle, le bar, où les chopes de bière défilaient sur le comptoir. Jack alla au fond de la salle, pas besoin de commander, les chopes étaient déjà pleines, les clients se servaient sans problème sous l’œil du barman qui le reconnut :

— Alors Jack, tu profites de tes derniers instants de célibat…

Celui-ci ne répondit pas.

La deuxième salle, beaucoup plus calme, éclairée par des bougies, meublée de canapés très confortables qui étaient occupés par des couples très entreprenants, dans l’attente de monter à l’étage pour conclure.

Le serveur, voyant Jack rêveur, le secoua au passage et s’écria : « Jack est revenu, Jack est revenu ! »

La foule se réveilla et reprit en cœur : « Jack va nous quitter, il va se marier. »

Marley, son ami d’enfance le prit par le bras et l’emmena en retrait, un coin moins bruyant.

Contre le mur était accrochée une cible où déjà deux gaillards lançaient des fléchettes. Ils laissèrent leur place en voyant arriver les deux amis.

— Allez, Jack, on fait une partie et tu me racontes.

— Raconter quoi ! Je me marie et c’est tout.

À côté de la cible était accrochée la même affiche que dans le box : « Votre avenir, c’est L’Amérique, rejoignez-nous. »

Intrigué ; déjà deux fois qu’il la remarquait aujourd’hui, plutôt qu’un autre jour, pourquoi ? Alors que, vu son état, l’affiche devait être là depuis un moment.

— Alors tu joues !

Jack lança la première fléchette… ratée et la suite guère mieux. Une formalité pour Marley qui remporta la partie facilement ; Marley comprit que Jack avait la tête ailleurs ; il avait besoin qu’on lui remonte le moral, alors il alla chercher une double chope et lui dit :

— Allez ! d’un coup, à notre amitié.

Il but d’un trait et en reposant son verre, une cornemuse se fit entendre, puis un violon et Marley, au milieu de la salle, s’élança et entama un tap dance d’abord lentement puis plus rapide. Jack, connu pour être le meilleur danseur, le rejoignit et les deux compères dans un rythme effréné effectuèrent un Reel qui déclencha l’euphorie.

La bière aidant, les claquettes, l’assistance, Jack redevint un instant celui que tout le monde connaissait. Et bien sûr, ensuite, on lui amena L’Uilleann Pipes (Cornemuse irlandaise) et il attaqua sa mélodie préférée que tous reprirent en cœur mélodieusement.

Il se retrouva assis par terre, à côté de Marley, fatigué, éreinté mais aussi un peu ivre ; combien de chopes avait-il vidées ? Mais il n’était pas le seul, la plupart des consommateurs se trouvaient dans le même état, soit, allongés au sol, soit, assis, la tête appuyée sur la table. Lui s’endormit assis contre le comptoir.

Quelques heures plus tard, au petit matin, avec un bon mal de tête, il se leva, titubant un peu, mais réussissant à se tenir debout. Marley, accoudé au comptoir, lui proposa un café pur, qu’il s’efforça de boire, lui donnant finalement un coup de fouet. Mais il avait surtout besoin d’un bon bain pour se requinquer. Il sortit et se jeta d’un bond, tout habillé dans le bassin non loin de l’entrée du Pub.

Le bassin de fontaine servait surtout d’abreuvoir pour les chevaux à leur arrivée ; Jack n’y resta pas longtemps car l’eau était fraîche ; il se sentit beaucoup mieux ; il en ressortit trempé mais Marley l’attendait avec des vêtements secs.

— Eh ! Bien, quel courage, c’est ce que j’aurais dû faire.

Jack le regarda, un sourire au coin des lèvres, s’il osait, il le pousserait dans l’eau. Son geste fut plus rapide que sa pensée, il agrippa son ami, surpris, le projeta dans le bassin et s’esclaffa en lui disant :

— Voilà, c’est fait ; allez, viens, je t’offre un Irish Coffee.

Ils se déshabillèrent et entrèrent nus dans le Pub.

De l’autre côté du bâtiment, Lara avait assisté à toute la scène, gourmande, elle aurait bien aimé les réchauffer généreusement.

Au bar, toujours nus, peu de monde, si ce n’est le serveur et deux ou trois donzelles qui descendaient de l’étage, mais ne prêtèrent pas attention à eux ; elles avaient l’habitude de ces actes osés, pas même choquées.

Le serveur leur servit une chope, deux tiers de café fumant et un tiers de whisky qu’ils apprécièrent. Puis, ils se rhabillèrent ; il était temps de rentrer.

Ils firent un bout de chemin ensemble, en se séparant, Marley lui cria : « N’oublie pas, la semaine prochaine tu te maries et je suis ton principal témoin. »

Jack ne répondit pas, mais murmura : « Je sais, la semaine prochaine je me marie. »

Il était sept heures du matin, Jack trouva sa mère aux fourneaux avec Elsa qui l’aidait.

Elsa était une jolie brune qui le dévorait des yeux, et s’il avait voulu, depuis longtemps, il l’aurait amenée dans son lit.

Mais Jack avait des principes, aucune relation avec les femmes qui travaillaient au domaine ; pour éviter les commérages et les ennuis, il souhaitait une certaine discrétion, bien que dans le Comté tout le monde connaissait ses penchants.

Il fut interrompu dans ses pensées par sa mère qui lui amenait son breakfast : des œufs, des tranches de bacon, des saucisses, du boudin noir, un pain brun traditionnel à base de céréales (Brown Bread), du porridge et une chope de bière, qu’il écarta (mauvais souvenir de la veille…) il préféra du thé.

Bien qu’il n’ait pas très faim, le plateau était fort appétissant, il ne pouvait pas le refuser, sachant que sa mère le lui avait préparé avec amour. Elle s’assit en face et lui dit :

— Jack, tu n’es pas raisonnable ; tu te maries la semaine prochaine et tu ne penses qu’à t’amuser. Tu dois trouver un équilibre. Cette petite est charmante, tu dois la respecter, une nouvelle vie t’attend, fonder un foyer, c’est très sérieux…

Il ne l’écoutait pas, ce n’était pas un sermon, mais un message que sa mère voulait qu’il comprenne. Que cette situation ne pouvait durer, qu’il devait changer, s’assagir, en un mot, rentrer dans le rang. Il ne répondit pas et demanda :

— Où est papa ?

— Ton père et ton frère sont partis aux pâturages réunir et rentrer les bêtes. Ils t’ont attendu un bon moment.

Il avait oublié, c’était le jour où à cheval, comme chaque année, ensemble, ils devaient rassembler le troupeau et le ramener à la ferme. C’était un jour particulier, enfin plutôt deux, où les trois hommes se retrouvaient… entre eux : c’était bien. Le père, le soir, au coin du feu, leur racontait ses aventures, celles des grands-parents… on remontait loin quelquefois : c’était le seul moment où leur père se laissait aller aux confidences.

Et il allait manquer ça ? Impossible. Jack se leva d’un bond et demanda à sa mère :

— Ils sont partis à quelle heure, Mam ?

— Oh, il y a une heure environ.

— C’est bon, je peux les rattraper.

Sa mère le regarda tendrement, les larmes aux yeux, là, elle retrouvait son fils aimé.

En un quart d’heure, il prépara sa monture et se lança à leur poursuite. Le parcours, toujours le même, il le connaissait par cœur car emprunté depuis des années, peut-être dix ans ; au début il accompagnait son père et son oncle Arthur, mais au décès de celui-ci, son frère Daven prit la relève.

Dans cette contrée, empruntée si souvent, il décida de prendre un raccourci. Au pied de la montagne se trouvait un point d’eau où régulièrement les hommes faisaient une halte ; c’est là qu’il les rejoindrait.

Du haut de la colline, il les vit au bord du ruisseau laissant les chevaux s’abreuver. Il descendit lentement une pente raide, mais bon cavalier, il arriva sans encombre.

Son père agréablement surpris, l’étreignit fermement, pendant que son frère faisait éclater sa joie, soucieux à la pensée de ramener seul avec son père trois cents bêtes.

Et puis à trois, la soirée sera plus animée ; les histoires racontées, probablement les mêmes depuis des années, mais étoffées un peu plus chaque fois, font toujours plaisir au père.

Jack déballa le paquet que sa mère lui avait préparé ; ils grillèrent les saucisses, écalèrent les œufs, goûtèrent du Brown Bread avec du boudin noir et burent de la bière. Deux belles journées s’annonçaient ; c’était le seul moment où leur père dévoilait ses aventures secrètes ; la bière aidant, il se confiait facilement à ses fils.

Ils ne s’attardèrent pas car il leur fallait encore une heure pour arriver au refuge où les attendait John et, avant la fin de la journée, terminer les enclos pour parquer les bêtes.

John, âgé, était là depuis six mois, il commençait à trouver le temps long : chaque année il disait que c’était la dernière saison, mais se ravisait au printemps suivant.

Veuf depuis quelques années et sans enfant, il aimait cette solitude avec ses deux chiens.

Pour les accueillir, il avait concocté un Sheperd’s pie (un hachis parmentier à la viande de veau). Une semaine auparavant, il avait tué un jeune veau, réservé des morceaux pour confectionner son plat, d’autres pour le soir et faire des grillades au feu de bois ; le reste serait redescendu au domaine.

Ses chiens l’avertirent et John vit arriver les trois O’Connor. Comme d’habitude, après un accueil chaleureux, ils s’installèrent devant le refuge.

La vue était magnifique ; dominant toute la vallée, ils apercevaient le troupeau dispersé dans cette étendue. La tâche s’annonçait ardue pour rassembler les bêtes, mais pas insurmontable. Le repas copieux fut pris rapidement.

Les hommes préparèrent les chevaux et chacun se dirigea vers un territoire attribué ; les bêtes devaient être ramenées vers les enclos ; c’était beaucoup d’efforts mais ils devaient regrouper le troupeau éparpillé dans cette immense vallée.

Jack adorait ce travail, debout sur son cheval, il criait pour rassembler et ramener les bêtes. À droite, à gauche, sans s’arrêter, avec l’aide de son cheval, il guidait le cheptel vers la direction souhaitée et en fin d’après-midi, l’ensemble, en grande partie, était parqué. Finalement, malgré l’appréhension, mais avec leur savoir-faire, tout s’était bien passé. Ils avaient eu le temps de séparer les mères de leurs veaux dans un enclos voisin. Trois cents bêtes, plus les veaux, c’était un beau troupeau. Vingt heures, il était temps de remonter au refuge.

John, revenu plus tôt, avait déjà allumé le feu, les côtes de veau prêtes à être grillées ; il avait sorti le dernier tonnelet de bière et rempli quatre chopes qu’ils vidèrent sans attendre, d’un trait. Le père O’Connor déclara : « C’est une belle journée qui se termine sans problème particulier. »

John rajouta « Et la soirée qui commence », les chopes furent pleines une nouvelle fois.

Daven parlait peu, écoutait les histoires extravagantes racontées ; histoires vécues mais aussi embellies. Chaque année, les mêmes histoires, mais écoutées avec le même plaisir.

Ils dégustèrent les côtes de veau grillées en profitant d’une douce nuit étoilée ; c’est le Gulf Stream qui maintenait cette douceur. La soirée se termina en entonnant une mélodie irlandaise qui résonna jusqu’au fond de la vallée.

Le lendemain matin, de bonne heure, après un repas copieux-les restes des grillades, des œufs brouillés, du bacon et un café fort – ils prirent le départ.

Les bêtes devaient sentir que c’était le retour vers la ferme, leurs meuglements incessants accompagnaient leur marche régulière ; seuls les veaux, un peu capricieux, hésitaient à suivre le troupeau.

Dans une partie étroite où sillonnait une rivière, les bêtes s’arrêtèrent pour s’abreuver, compliquant le déroulement du trajet, car il fallait les tenir regroupées à nouveau et éviter les va-et-vient. Il était prévu une halte, dans un nouvel enclos, le lendemain avant d’arriver au domaine. La deuxième moitié du parcours se déroulait sur une étendue plane, appelée par les fermiers « la grande plaine du Far West ».

Le temps était compté et ils espéraient ne pas rencontrer un deuxième troupeau, car les problèmes pouvaient commencer : grâce aux marques, les hommes pouvaient reconstituer les troupeaux, mais que de temps perdu et de soucis pour rattraper le retard.

Mais aujourd’hui, rien de cela, rien à l’horizon, seuls dans la contrée, et le retour se fit sans encombre.

Nora était heureuse de les voir revenir sans encombre ; le repas du soir fut un moment de convivialité comme d’habitude, de bavardages répétés cent fois, mais quel bonheur de les voir réunis, oubliant un instant les soucis du quotidien, comme cette réforme agraire qui n’avait pas arrangé les choses provoquant une émigration massive des Irlandais en direction de L’Amérique. Les nationalistes irlandais avaient considéré que c’était délibérément que la Couronne britannique avait laissé les Irlandais mourir de faim. Face à une nouvelle famine, les départs avaient repris de plus belle. Depuis, un mouvement demandait la restitution des terres à ceux qui les exploitaient.

Nora leur avait préparé le repas qu’ils adoraient :

Un guiness pie (une tourte à la viande et bière),

Des patatos forls (galettes de pommes de terre),

Un apple crumble (gâteau aux pommes).

Le tout accompagné de la bière locale.

La soirée s’éternisa tout en buvant un café corsé au whisky, auquel Nora ajouta une cuillère de crème fouettée.

Le lendemain, le bétail fut trié et parqué par catégorie, chacun dans son abri respectif, après examen de l’état de santé ; le séjour en pâture avait été profitable.

Ce travail effectué, Jack s’installa sur son rocking-chair parcourant le quotidien The Irish Times, créé dans les années 1850. Ce journal lui convenait bien : libéral et social, démocratique et neutre, sur les sujets délicats de L’Unité irlandaise. Il parcourut les diverses rubriques et s’arrêta aux dernières pages : « Lettres d’Amérique ». C’étaient les lettres des immigrés irlandais qui donnaient de leurs nouvelles sur leur nouvelle vie. La plupart vantaient les mérites de ce pays en voie de développement : l’Est très industrialisé à l’opposé de l’Ouest où il restait tant d’endroits, de plaines à exploiter. Il fut interrompu dans sa lecture par sa mère :

— Jack, tu dois aller à la ville demain, pour les derniers préparatifs de ton mariage. Je t’accompagnerai pour vérifier qu’il ne manque rien.

Le mariage était prévu samedi, c’est-à-dire dans quatre jours. Tout était prêt, mais sa mère, très méticuleuse, voulait que la cérémonie soit exceptionnelle.

Le mariage de Jack, fils aîné O’Connor, devait se dérouler parfaitement, car, une grande partie de la contrée était invitée, il fallait se montrer digne, la fête devait être une réussite. Tout était prévu au domaine, en plein air, le temps s’annonçait clément. Pour un début d’octobre, la température était douce (vingt degrés) c’était inespéré. Sa mère pensait que c’était un signe de bonheur lorsque le beau temps était de la fête. C’était de bon augure.

Jack n’avait pas oublié qu’il devait retrouver Kelly pour revoir les derniers préparatifs avec le Lord Mayor (le Maire) et le Pasteur – la cérémonie serait célébrée au Domaine des O’Connor –.

Le lendemain matin, Jack qui avait mal dormi, mais résolu, se prépara rapidement. Il fut étonné de trouver son jeune frère et sa mère en grande conversation. Elle lui donnait des instructions à exécuter en son absence et cela semblait le contrarier.

Son père, dès l’aube, surveillait la traite des vaches. Ce lait de qualité était prévu pour la fabrication du fromage, le Durrus, fromage rond à pâte molle, qu’il vendait. Dans les pâturages c’étaient les veaux qui avaient profité de ce lait.

La discussion se poursuivit entre Nora et Daven ; Jack demanda la raison de cette discussion.

— J’aimerais venir avec vous, je ne descends que rarement en ville, c’est l’occasion d’en profiter. Maman préfère que je reste ici au cas où Papa pourrait avoir besoin d’aide.

— Jack, enchaîna la mère, ton frère doit rester ici ; nous avons à faire, pas le temps de s’attarder. Toi et Kelly chez le Maire et le Pasteur. Moi et la mère de Kelly serons occupées aux derniers achats.

Jack regarda son jeune frère, un léger sourire aux lèvres.

— Pourtant Daven pourrait m’accompagner, il ne sera pas de trop pour aider dans nos démarches.

Daven sourit et Jack répondit par un clin d’œil. Sa mère n’insista pas, c’était son mariage.

— Pressons-nous car nous avons une heure de route, il ne faut pas arriver après les Collins.

Rapidement, la charrette fut prête, Jack conduisait et n’allait pas traîner !

Towngreen était une ville de six mille habitants environ, agréable, très fleurie et verte, d’où son nom, avec de nombreuses boutiques et auberges traditionnelles.

Ils laissèrent l’attelage à la sortie de la ville, dans des écuries réservées, et firent quelques centaines de mètres à pied en direction de l’auberge Montbretia (Montbretia est une fleur sauvage de couleur en principe orange), où ils devaient retrouver la Famille Collins, qui déjà était là. Anna Collins se leva, embrassa Nora puis salua les garçons. Une rapide mise au point, puis les deux groupes allèrent chacun de leur côté en se donnant rendez-vous, un peu plus tard, au même endroit.

Kelly ne s’attendait pas à voir Daven, elle rougit un peu, Jack s’en aperçut et sourit discrètement. Ils longèrent les quais qui bordaient la rivière, les ponts avaient une belle décoration florale agrémentant les promenades ; plusieurs couples, dont les femmes sous une ombrelle, profitaient des rayons du soleil.

Au bout de la promenade, le drapeau irlandais aux trois couleurs – vert, blanc, orange – flottait, en effet, ils s’approchaient de l’hôtel de ville (le vert représente le pays d’Irlande catholique, le blanc, la liberté et la paix et l’orange fait écho à la victoire du protestant Guillaume III d’Orange sur les catholiques soutenant Jacques II en 1690).

À côté, plusieurs kiosques installés dans un jardin fleuri près d’une fontaine permettaient aux flâneurs de se reposer ou lire ou aux plus jeunes de roucouler. Jack proposa une pause, les trois s’installèrent.

Il regarda un instant Kelly, lui prit la main et lui annonça :

— Kelly… je ne vais pas me marier… je ne veux pas faire semblant, ce sont mes parents qui le souhaitent et ont décidé pour moi, je ne suis pas fait pour le mariage, j’aime trop la liberté. Je suis instable, tu ne serais pas heureuse avec moi.

Des larmes coulèrent qu’elle essuya avec son mouchoir rose. Elle ne pouvait pas parler.

— Jack, c’est pas possible, le mariage est annoncé, s’étonna Daven. Que vont dire les parents, on ne peut pas annuler.

— Kelly, Daven, je n’ai pas dit que le mariage n’aura pas lieu, je dis que moi, je ne me mariais pas.

— Comment ça ! Tu ne te maries pas.

— Depuis un moment, j’observe votre manège, le mariage c’est pour vous deux. Vous serez un très beau couple.

— Jack, c’est impossible, tous les documents sont prêts.

— Rien n’est impossible, vous avez cinq minutes pour vous décider.

Kelly pleurait toujours, mais c’était certainement de bonheur, inattendu, mais de bonheur sûrement. Elle acceptait la décision de ses parents, mais c’était bien Daven qu’elle avait dans le cœur.

Elle remercia Jack pour son honnêteté et dans un élan de joie l’embrassa. Jack prit la main de Kelly et la posa sur celle de Daven et leur proposa de faire les démarches.

Ils traversèrent le jardin et, sur le perron de L’Hôtel de Ville, Le Lord Mayor, qui tirait quelques bouffées sur sa pipe, les accueillit en lançant :

— Alors, Jack, prêt à faire le grand saut !

— Tout à fait Sir William, mais un petit changement est intervenu ! Il les fit entrer, et Jack exposa la situation. Sir William écouta sans l’interrompre, resta un moment silencieux. Depuis qu’il officiait, il n’avait pas eu ce cas, pourtant il avait connu des situations extravagantes. Il pensa aussitôt à Malone O’Connor.

— Ton père est au courant !

— Pas encore.

— Euh ! Euh !… bon, on verra bien. Ces jeunes gens sont toujours d’accord ?

En chœur, ils répondirent :

— Oui, Sir William.

— Alors c’est parfait, j’enregistre.

Ils sortirent souriants de l’Hôtel de Ville, direction le Temple qui n’était pas loin ; mais le Pasteur, récalcitrant, posa des conditions, désirant l’accord des parents.

— Révérend, c’est une entente entre nos parents respectifs, sans trop nous avoir consultés ; ces deux jeunes gens éprouvent des sentiments l’un pour l’autre, c’est inespéré ; Daven, mon frère est majeur, à la moindre difficulté nous procéderons autrement…

— Eh bien, si nos tourtereaux sont d’accord, les regardant l’un après l’autre, je bénirai leur union.

Les trois remercièrent le Révérend Pol.

Il était treize heures et ils regagnèrent l’auberge. Les deux femmes attendaient avec de nombreux paquets à leurs côtés et s’étonnèrent, incrédules l’une, l’autre, de voir Kelly et Daven la main dans la main.

S’adressant à Jack d’abord, Norah demanda si tout c’était bien passé, puis à Kelly, si elle était heureuse.

— Parfaitement ! répondit Jack, mais il ajouta, nous vous annonçons un petit changement : ce n’est plus moi le marié, mais Daven qui aime Kelly et qui le lui rend bien ; elle est très heureuse de devenir son épouse.

— Ce n’est pas possible, comment cette situation a-t-elle pu être autorisée ; j’entends déjà la colère de ton père.

— Maman, le mariage n’est pas fait pour moi ; et tu me connais, je suis fantasque, j’aime ma liberté, errer seul dans de grands espaces. Pour Papa, je te fais confiance, tu sauras trouver les arguments et l’amadouer ; il voulait un mariage, il l’a. Regarde ton jeune fils comme il est heureux à côté de Kelly.

Norah versa quelques larmes, remercia Jack pour sa loyauté, mais il allait falloir expliquer ce retournement de situation à son mari Malone et le convaincre ; la partie n’était pas gagnée, mais après quelques pintes de bière, la raison pouvait l’emporter.

La mère de Kelly tellement surprise ne prononça que quelques mots. Elle espéra que sa fille, très aimée par son père, saura lui faire accepter son choix.

Tout le monde, plus ou moins rassuré, mangea à l’auberge rapidement, malgré l’affluence, et put rentrer avant la nuit.

Au domaine, Malone O’Connor, après la traite des vaches, participa à la fabrication des fromages avec ses ouvriers ; il aimait cette ambiance connue depuis sa jeunesse avec ses grands-parents. C’était la fin de la journée, la nuit tombait, et enfin, le bruit de la charrette le rassura ; des cris de joie se firent entendre : tant mieux, tout s’était bien passé, pensa-t-il.

Norah avait prévenu Jack : si ton père ne demande rien, on attendra la fin du repas pour donner toutes les explications ; espérons qu’il sera compréhensif et admette vos décisions.

Elsa servit le repas et, effectivement, Malone monopolisa la conversation. Il expliqua le travail effectué toute la journée par lui et ses ouvriers ; tout se présentait bien pour faire un bon fromage, son fameux Durrus ; bien sûr il aurait apprécié au moins l’aide de Daven, mais tout le monde avait préféré aller en ville.

— Comment s’est passé cette journée, tout est prêt pour samedi ?

Le silence s’installa, courageux Jack se leva : « Papa, allons au salon. »