Farragus - Philippe Harang - E-Book

Farragus E-Book

Philippe Harang

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L’assassinat de deux femmes dans des hôtels varois perturbe la tranquillité habituelle de la région méditerranéenne. En réponse à ces crimes horribles, un procureur singulier et non conventionnel décide de confier l’enquête à la police et à la gendarmerie, provoquant un remous dans l’ensemble du système judiciaire. Pour démasquer ce tueur en série incroyablement raffiné et intelligent, les détectives doivent surmonter leurs différences et apprendre à collaborer. Parviendront-ils à résoudre cette énigme terrifiante à temps ?


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Philippe Harang a une carrière diverse dans la haute fonction publique française. En plus de servir en tant que chef d’escadron dans la réserve de la gendarmerie depuis une décennie, il franchit également le pas dans l’écriture, tirant parti de sa passion pour les romans policiers marseillais. Farragus - Corona trip est son premier ouvrage publié.

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Seitenzahl: 225

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Philippe Harang

Farragus

Corona trip

Roman

© Lys Bleu Éditions – Philippe Harang

ISBN : 979-10-377-9887-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

Alors que le coronavirus sévit partout en France et dans le monde, un tueur en série maniaque et méticuleux sème la terreur entre Toulon et Hyères. Ses proies ? Des malheureuses fréquentant les sites internet libertins en quête de frissons érotiques et peut-être aussi d’amour. Séduites par le profil mystérieux de ce « Farragus », soi-disant chirurgien hédoniste et aisé, elles succombent sous les balles de son revolver après s’être abandonnées à lui.

Policiers et gendarmes, chose peu commune, unissent leurs forces pour tenter de démasquer Farragus, et surtout l’empêcher de commettre ses effroyables forfaits. Y parviendront-ils ? Perceront-ils le mystère de ses motivations ? Déchiffreront-ils les indices macabres laissés sur le lieu de ses crimes ?

Farragus est l’occasion pour le lecteur de découvrir le monde de l’investigation policière et de la justice, mais aussi, pour les familiers de la côte varoise, de voir sous un autre jour les endroits qu’ils connaissent et aiment. Dans ce roman astucieux, l’auteur nous fait explorer aussi l’âme d’un criminel pervers, jouisseur, érudit et diabolique.

Ce premier roman, signé par l’un des plus éminents magistrats toulonnais, est un coup de maître.

S’inscrivant dans le sillage des grands noms du polar marseillais (André Fortin, Maurice Gouiran et autres), Philippe Harang excelle à peindre l’entraide et les rivalités au sein du monde judiciaire, les complicités et les jalousies, mais aussi le désintéressement, le zèle et les mésaventures quotidiennes de nos « gardiens de la paix ».

Le lecteur est aussi guidé à travers des univers plus secrets comme celui des clubs libertins de la côte varoise ou des loges maçonniques locales. En somme, c’est tout un panorama sociologique de la région (avec ses couleurs, ses parfums, son ambiance, ses groupes de musique, ses références populaires, etc.) qui se donne à voir dans Farragus, au moment où la France commençait tout juste à se confiner…

À lire ce premier roman, on espère que d’autres, beaucoup d’autres, suivront.

Renan Larue

Auteur

Professeur de littérature française

à l’Université de Californie à Santa Barbara

Une organisation administrative, même parfaite au début, subit l’infiltration lente des abus pareils aux microbes qui attaquent les corps organisés.

Louis Lépine, préfet de police

Interview au Journal Le Temps,

6 décembre 1911, Archives PP,

Dossier EA 24

Comme les fonctions de la Justice et de la Police sont souvent incompatibles et d’une trop grande étendue pour être bien exercées par un seul officier, nous avons résolu de les partager.

Louis XIV

Edit de Saint-Germain-en-Laye, 1667

Principaux personnages

Police

Commandant Luc Tanneur

Capitaine Didier Solenza

Capitaine Gilles Stillener

Capitaine Julien Brossart

Lieutenante Aurore Leprieur

Officier de Police stagiaire, Claire Mascot

Gendarmerie

Lieutenant Marc Lefrais

Adjudante Catherine Larrie

Maréchal des Logis Chef Michel Coulon

Lieutenante Chloé Perret

Gendarme Claire Danon, dit Danette

Gendarme Cyril Raminos, dit Rominet

Autres

Procureur Charles Touralais

Avocat Ludovic Tourvidal

Chapitre 1

Vendredi 24 janvier 2020

Ils chercheront tous à expliquer. Mais y a-t-il quelque chose à comprendre ?

Je les imagine, les grands théoriciens de la criminologie et de la psychiatrie à deux balles… analysant mon profil, mes prédispositions, le passage à l’acte et autres théories fumeuses.

Tout ce que je peux en dire c’est que c’est un peu comme avec ce virus chinois dont les médias nous rebattent les oreilles depuis décembre dernier : le Covid-19, dit le Corona !

C’était comme une incubation lente… Un jour, on y pense, vaguement. Puis cela prend forme, on se voit dans l’action… Surpris, gêné par de telles pensées…

On se dit que c’est un fantasme, un peu plus original, un peu plus trash que d’habitude. C’est comme une fièvre qui monte doucement. Mais une fièvre euphorisante… On se plaît à y rêver, on s’imagine dans l’action. Tiens, bizarre, ça fait même du bien ; c’est excitant, enthousiasmant.

Les pensées t’envahissent comme ce virus conquiert la planète.

Et puis, un jour ou une nuit, ça se déclare : tu le sais, tu vas le faire, ton fantasme va devenir réel. Tu es prêt… Tu entres dans la phase active, tu construis, tu planifies.

Tiens, le virus chinois est arrivé à Paris… rien ne saurait l’arrêter !

Préparer sa réalisation est tout aussi jouissif que d’en imaginer le résultat.

Double objectif : faire que cela soit grandiose, un peu comme une œuvre d’art, un tableau ou une sculpture qui sortirait de ma tête et de mes mains ; mais aussi, ne pas se faire prendre, ne pas leur donner ce plaisir à tous ces satisfaits d’eux-mêmes, ces donneurs de leçons, ces moralisateurs médiocres.

Je le sais, les chances de se faire coincer sont aujourd’hui considérables… C’est tout l’intérêt : être plus fort que la technologie, plus fort que la science policière.

Alors, je me suis préparé comme pour un grand concours… ne rien laisser au hasard, tout imaginer, tout anticiper… Brouiller les pistes… Penser comme eux.

*

Se trouver une identité, fausse, quasiment indécelable. Intraçable… Un vrai faux ou un faux vrai. Une opportunité m’a souri, il y a cinq ans… Une affaire de trafic de cartes d’identité… Le coupable, un employé, s’est fait arrêter et un lot a été trouvé chez lui. Lors du dépôt de plainte, j’en ai conservé une… plus vraie que vraie… « Parce que ça pourra toujours servir », m’étais-je dit, sans trop savoir pourquoi… Premier accroc à ma belle honorabilité… « Préméditation », diront-ils, s’ils me serrent… Tu parles, tout juste une belle intuition, Monsieur le Juge !

Le plus long a été de se procurer une arme… Je voulais un semi-automatique. Le pistolet, c’est bien, ça me ressemble : propre, rapide, et comme les nouvelles cartes bancaires, sans contact !

Mais je ne me voyais pas débarquer dans une cité des quartiers Nord, au grand supermarché de la bricole et leur dire « Bonjour, je voudrais un Glock 19 »… Pas mon style, pas dans mes cordes… Faut connaître ses compétences et ses limites.

Alors, je l’ai fait à la régulière : stand et carnet de tir, attestation médicale et achat de l’outil… J’y ai ajouté un silencieux, « modérateur de son » comme ils m’ont dit à l’armurerie… Pour les cartouches, « une boîte de 50, ça vous suffit ? » m’a interrogé le vendeur… J’ai eu envie de lui répondre que pour l’usage prévu, c’était largement suffisant… mais il n’aurait pas compris… ne pas se faire remarquer…

Comme il ne serait pas possible de payer les hôtels et autres frais en liquide, je savais qu’il me faudrait une carte de paiement… J’en ai acheté une dans un bureau de tabac… Une PCS activée avec ma fausse carte d’identité et que j’ai chargée en achetant des unités, en liquide… Comme quoi, nous avons encore quelques espaces de liberté que le Big Brother technologique nous laisse comme d’illusoires miettes à nous mettre sous la dent.

Pareil pour le téléphone portable… Ça peut aussi toujours servir… Il y en aura bien une qui me demandera mon numéro… Incontournable aujourd’hui : tu n’as pas de 06, tu n’existes pas… Alors je suis allé dans un bureau de poste… Paiement en liquide d’un appareil basique, sans abonnement, activé avec mon identité d’emprunt, à partir d’une éphémère adresse mail que je n’aurais conservée que pour les besoins de la cause durant une petite semaine.

Le terrain de chasse, je l’ai découvert presque par hasard, l’été dernier… Un reportage à la télé, un soir, sur les mœurs libertines de nos compatriotes… quelques recherches sur la toile et la trouvaille, géniale : un site internet d’échanges et de rencontres… le grand marché de la luxure, de l’hypocrisie, du mensonge, du désir refoulé ou de la sexualité revendiquée, sous toutes ses formes. Il y en a pour tous les goûts, tous les profils : les serial forniqueurs, les intellos, les faussement dévergondés, les vrais timides…. Les chats… les souris… les chasseurs… les chassés… Tout cela aussi bien masculin que féminin… aussi bien « individuel » « qu’en couple »… Possibilités infinies ou presque… Le reflet d’un monde en perdition sous couvert d’un alibi faussement libertin…

Je m’y suis inscrit… Il fallait trouver un profil, une belle accroche, une vitrine séduisante. J’ai procédé scientifiquement, un peu comme dans une agence matrimoniale, mais avec le projet de mariage en moins !

Tu choisis comme tu veux, au gré de ton imagination, en fonction de tes propres fantasmes et de ceux que tu veux faire naître chez ta proie… Le nouveau « moi » était né, a star was born : « Séduisant chirurgien esthétique et plasticien à la recherche d’une patiente impatiente pour jeu de mains, jeu de coquins… Quinquagénaire récemment divorcé aimant se prélasser dans des hôtels luxueux, adorerait partager son jacuzzi et ses bulles de Champagne avec une belle inconnue, élégante, glamour et… gourmande ».

La chirurgie esthétique va attirer plus de candidates : créateur de beauté, ça va parler au sexe faible… et sans doute attirer quelques nanas intéressées par une intervention gratuite… Lifting contre cochonneries… Un vrai plan Marshall du sexe, j’adore…

Le luxe et le glamour : elles vont s’y croire… citrouille dans la vie, elles vont devenir princesse… leur vendre du rêve ou une nouvelle vie, même en parenthèse, ça va les harponner.

Pour le pseudo, j’ai fait dans l’original, le mystérieux, l’inconnu… Je sais que ça va alerter, interpeller, intriguer… c’est le but. J’ai choisi « Farragus », le nom du présumé médecin de Charlemagne. On reste dans le médical, mais on le sublime… un nom pareil créera la sélection, forcément : il faut un minimum de curiosité intellectuelle pour avoir envie de discuter avec un galant portant un tel pseudo…

Comme ils disent dans les services de renseignement, j’avais construit ma « légende »… Restait à la faire vivre… Vivre et faire mourir.

Chapitre 2

Vendredi 6 mars 2020

Je comprends que cela devienne très vite addictif ; tous et toutes le disent, une fois connecté sur le site, tu y passes des heures ; tu n’arrives plus à décrocher, comme un junkie avec sa dope. Tu commences par sélectionner les profils qui t’intéressent et puis tu leur écris, en direct, s’ils sont en ligne, ou par message privé qu’ils liront plus tard. Je préfère les approches différées, sans contact immédiat… ça laisse le temps de la réflexion chez l’autre et puis l’envie ou le désir monte proportionnellement au temps qui s’écoule avant un nouveau signal.

Ma phrase d’attaque est toujours la même : « Bonjour ou Bonsoir, chère inconnue. Votre profil, tout aussi délicieux que mystérieux, a attiré mon attention. Se pourrait-il qu’une parenthèse coquine vous séduise ? Si tel est le cas, sachez que mon Champagne est déjà aussi frais que mon corps est chaud. Un mot de vous, jolie et séduisante madame, et je saute dans mon bolide intergalactique afin de vous accueillir dans un lieu de rêve. Farragus ».

Vous n’êtes jamais à l’abri d’être vous-même contacté… Heureusement, le style choisi et les mots que j’emploie m’évitent d’avoir à éconduire les cagoles du coin qui se sentiraient pousser des ailes en s’autorisant, les inconscientes, à m’écrire… comme quoi il existe une auto-sélection naturelle dans cet univers du sexe : les seules à s’être risqué à me solliciter spontanément correspondent au profil recherché : mature avec quelques neurones, aimant le porno chic.

Le matin très tôt, comme un pêcheur de homards, je relève les casiers : je consulte les réponses de la nuit, sélectionne une ou deux candidates à l’extase plus ou moins éphémère et leur donne rendez-vous pour un échange en direct sur le site, le lendemain soir… ne pas précipiter… laisser monter le désir… leur laisser croire que rien n’est acquis… que vous n’êtes pas un « mort de faim ».

La première des élues pour ma future pièce de théâtre – c’est ainsi que j’appelle mon projet – se prénomme Hélène et elle est infirmière. Elle a aimé la photo que j’ai placée sur mon profil internet, celle d’une plage du bout du monde. Cocotiers, sable fin et eau turquoise. Du rêve facile… de la quasi-programmation subliminale !

Très vite, elle m’a demandé de lui ouvrir les autres photos, celles de mon album privé. Même là, tu arrives encore à tricher… j’ai donc mis cinq clichés qui me ressemblent sans être moi… visage souriant, rassurant, avec lunettes de soleil… ça ne mènera guère loin d’éventuels curieux en mal d’investigations plus approfondies… et en plus, ce site est techniquement bien fait, car il n’en permet pas l’enregistrement. De toute façon, j’effacerai très vite ces traces télématiques… tout prévoir… tout anticiper.

Une semaine d’échanges sur la toile m’a permis de tout savoir sur elle. C’est fou comme les gens ont besoin de parler, de se confier. Ils sont sur un site libertin, mais ils l’oublient très vite pour se transporter sur le divan d’un psy.

Ses photos privées sont organisées en deux albums, le premier, très sage, qu’elle a appelé « Moi » et l’autre qualifié de « Hot ».

J’ai bien aimé son physique de petite blonde « Betty Boop » comme elle le qualifie elle-même… C’est d’ailleurs le pseudo qu’elle s’est choisi… Tu parles, il a bon dos, l’alibi « comics ». Je ne suis pas sûr que Grim Natwick aurait apprécié cette comparaison. Hélène n’a rien de la mythique pin-up. Mais sur le site, tout est possible… le sexe pour tous… Jeune, vieux, maigre, gros, chauve ou chevelu, black and white… tout le monde trouve chaussure à son pied ! la grande démocratisation de la libido !

Là encore, c’est étonnant comme les gens – et même les femmes – n’hésitent pas à s’exhiber. Rien de leur anatomie ne t’est inconnu après visualisation de leur pseudo jardin secret. Bon sang, cette époque est malade, sans intérêt, décharnée, sans âme, sans poésie, sans amour.

Le temps est venu d’un grand ménage… Et si le virus chinois était mon allié, mon frère d’armes dans ce combat contre la médiocrité et la vulgarité réunies…

Elle se dit divorcée, sans enfant… c’est sûrement vrai… Les femmes ne mentent pas sur ces points. Elle m’a parlé de chirurgie esthétique et je lui ai donné le change… grâce à quelques infos glanées sur le web. Elle m’a raconté son quotidien à l’hôpital. J’ai vu sur son profil qu’un de ses amis libertins, répondant au stupide pseudo de « Doc Folamour », était lui-même chirurgien… un « confrère » concurrent. Visiblement, elle a du mal à sortir de son univers professionnel, même pour forniquer. Personnellement, ça m’arrange… je l’ai aussi sélectionnée pour ça… Brouiller les pistes.

*

Le jour est arrivé. Elle n’est pas de service à l’hôpital. Je lui ai donné rendez-vous à l’hôtel, par SMS, pour 17 h. Elle pourra rester le temps qu’elle souhaite jusqu’au lendemain midi, lui ai-je annoncé… Sûr qu’elle va y rester.

J’aime ce lieu, il me rappelle la Toscane, sans doute à cause de son architecture. La côte y est presque sauvage, surtout en cette saison où des touristes grossiers ne l’ont pas encore envahie. J’ai prévu d’arriver le premier, officiellement pour la mise en scène érotique et la préparation de la chambre ; elle n’aurait pas compris que je laisse ma voiture, de location – limiter les indices – à plus d’un kilomètre des lieux.

Casque audio sur les oreilles qui diffuse la mélodie lancinante du groupe Les X-O, « Je me sentais partir, je me sentais flotter, j’étais déconnecté », je pénètre dans le hall de l’hôtel.

Ma perruque de hard-rocker et mes lunettes de soleil rondes me conviennent bien, car elles ne me ressemblent pas. La réception ne s’étonne de rien… ni de mon style, ni de mon grand sac à dos militaire, ni de mon arrivée pédestre, ni de mon faux accent suisse alémanique… À plusieurs centaines d’euros la nuit, toute interrogation deviendrait incongrue et déplacée. Toutefois, je me fends d’un « Madame m’a déposé… Elle avait un peu de shopping à faire… Elle arrivera plus tard ! »

Et elle arrive… fraîche et joyeuse… presque timide dans sa petite robe de printemps.

C’est très joli ici, s’extasie-t-elle, tu me fais visiter.

Le mieux, c’est la terrasse, viens voir.

En effet, on n’y voit que la mer entre cap Nègre et calanques du Layet et au large, quelques-unes des îles d’or, principalement, Le Levant, si chère aux libertins.

Rentrons, je commence à avoir un peu froid… mais vous allez bien me réchauffer, docteur.

Oui, mon amie… je vais m’y employer avec l’assistance de mon breuvage à bulles.

J’ouvre la bouteille de Champagne transportée dans ma mini glacière et lui offre, un de ces chocolats belges que j’affectionne tant du moment qu’ils sont blancs et crémeux.

Je ne suis pas sûre que ça soit bon pour ma ligne tout ça, plaisante-t-elle… mais bon, on n’a qu’une vie !

Elle serait presque drôle, sans le vouloir… Oui, on n’a qu’une seule vie et s’agissant de la tienne, ma belle, quelque chose me dit qu’elle va bientôt se terminer. À une époque, je l’aurais trouvée émouvante… avant.

Je ferme les rideaux alors que ma mini tablette diffuse la musique d’une insipide chaîne thématique dite « sensuelle et relaxante ». Je m’allonge sur le lit tandis qu’elle entame un suggestif déshabillage…

*

C’était plutôt agréable cette fornication… mais la boule de feu qui monte du fond de mon ventre me dit que le meilleur est à venir. L’arme, chambrée, est dans mon sac, prête à l’emploi… je la récupère.

Vautrée sur le lit, dans une posture que je trouve indécente, « Betty Boop » me regarde la braquer avec étonnement… son sourire se crispe… fin de partie…

That’s all, falks !

Même avec un silencieux, la détonation me paraît plus sonore que lors des essais réalisés en forêt. Petit moment d’angoisse… mais rien ne se manifeste dans l’hôtel. Elle ne bouge plus… sourire figé. Je suis surpris de la discrétion de sa blessure. Je pense à ce poème de Rimbaud que nous apprenions à l’école : « Le dormeur du val »… mais elle… elle n’a qu’un trou rouge et c’est au cœur.

Je sors ma check liste… tout prévoir… ramasser la douille, nettoyer l’environnement avec des lingettes javellisées, récupérer bouteille, boîte de chocolats et verres à pied, jeter le préservatif usagé dans les toilettes en le lestant de papier et tirer la chasse d’eau.

Et puis, la touche finale, celle qui sublimera mon œuvre : mon message, bien en évidence, sur ce corps devenu repoussant…

J’ai vu que je pouvais quitter l’hôtel sans passer par la réception… de toute manière, la chambre est payée d’avance… alors même si un employé me voyait partir, il ne s’en inquiéterait pas, mettant cela sur le compte d’une querelle d’amoureux… tout anticiper…

Je regagne ma voiture, heureux, léger, euphorique… j’existe avec force et intensité.

J’allume la radio… je n’écoute que de l’info en continu. Tiens, le Vatican enregistre son premier cas de covid 19 et le Bhoutan, son premier mort. Deux hauts lieux de spiritualité, catholicisme romain et bouddhisme tibétain. Décidément, rien ne l’arrête ce virus, pas même le sacré. Je l’aime de plus en plus.

Chapitre 3

Samedi 7 mars 2020

Le lieutenant Marc Lefrais qui commande la BR1 de la compagnie de gendarmerie départementale de Hyères n’est pas de service ce week-end. Cette journée s’annonce douce et ensoleillée et ce long footing sur la route du sel, du côté de la plage de l’Almanarre, va tomber à pic compte tenu des tensions de la semaine, tant professionnelles que personnelles. Plus que jamais, à l’approche de la cinquantaine, le besoin d’entretenir son corps se fait plus pressant chez cet officier « sorti du rang ». Pourtant, on ne peut pas dire que les années l’aient particulièrement marqué ; son hygiène de vie – pas de tabac, pas d’alcool, beaucoup de sport – lui permet encore de rivaliser efficacement avec de jeunes mobiles, d’au moins 25 ans ses cadets, lors des entraînements hebdomadaires de Krav Maga dans leur caserne du Golf Hôtel.

Et son mètre 90, son allure sportive, presque féline, ce côté quasi carnassier que ses yeux bleu métal et sa coupe en brosse viennent accentuer, ne laissent pas indifférente – à son corps défendant – la gent féminine.

Il s’apprête à quitter le parking de la compagnie quand son portable interrompt sa manœuvre. L’identité de l’appelant ne présage rien de bon : pour que l’OAPJ2 du Groupement l’appelle ainsi, un samedi après-midi, c’est qu’il y a forcément une raison impérieuse.

Lefrais, c’est Diennac, on a une urgence… a priori du lourd… le CORG

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vient de m’appeler. Je suis en route… je passe te prendre dans dix minutes… je profiterai de la route pour te donner les premières infos.

Bien, mon commandant, je t’attends.

Marc Lefrais fonce dans la chambre du petit pavillon situé derrière les bureaux de la compagnie. Virginie, son épouse, s’étonne de son retour précipité.

Finalement, tu es revenu… on peut donc l’avoir, cette discussion, tu as réfléchi ?

Non, Virginie, je dois juste me changer… Plus de sport… Diennac vient de m’appeler… il passe me prendre… une urgence.

Comme d’habitude, Marc… mais tu ne pourras pas éternellement te défausser…

Un problème à la fois, se dit-il… Dans l’immédiat, se changer… Pantalon commando, baskets, tee-shirt, blouson de cuir… la marque de fabrique des gendarmes servant en unités de police judiciaire et qui ne portent que rarement l’uniforme. Par réflexe, il s’assure de la présence de sa carte pro et de son brassard d’identification dans la poche de son perfecto avant d’aller récupérer le Sig Sauer dans la chambre forte de la Compagnie.

Onze minutes se sont écoulées, lorsqu’il entend, le « 2 tons » de la C4 du chef d’escadron Pierre Diennac troubler la sérénité de ce quartier tranquille de la périphérie de Hyères, siège de la compagnie éponyme.

Allez, monte, on fonce au Lavandou… sur la corniche, direction le Cap Nègre… Un 5 étoiles, le Domaine du Cap, tu connais ?

Oui, mais pas comme client… un peu au-dessus de mes moyens… plutôt du niveau « général de division »… un jour peut-être !

Je te la fais courte… découverte de cadavre vers 14 h, dans une des chambres… une femme… le CORG a engagé les PAM

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de Bormes… ils sont sur place, ils sécurisent la scène…

Une pensée traverse instantanément le lieutenant Lefrais : « pourvu que les PAM soient efficaces… a priori, pas de raison qu’ils ne le soient pas… mais… on a déjà vu des scènes de crime polluées par nos propres camarades… ».

Et côté autorités, on en est où ? interroge Marc.

Le parquet est informé ainsi que le maire de la commune… ils sont en route, idem pour le légiste. Comme tu sais, ton commandant de compagnie est en permission et le C2 accompagne le préfet dans une opération sécurité routière ce samedi, avec photo-péage et hélico… tout le bastringue médiatique… ils sont prévenus. J’ai également pris l’initiative d’actionner les TIC

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de la BDRIJ

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, ils sont déjà sur place. Et toi, tu as qui de dispo dans l’équipe ce week-end ?

L’adjudante Larrié et le chef Coulon… je vais leur demander de nous rejoindre

Oui, c’est mieux… je connais ton credo : « tout dans la première impression… surtout si elle est partagée ! »

En cette saison, la circulation reste fluide et il leur faut moins d’une demi-heure pour atteindre l’hôtel de prestige. Sur place, c’est l’agitation des grands jours ; un véritable aréopage de véhicules bleus, noirs, blancs ou rouges, tous équipés de gyrophare. Une jeune GAV7, en faction, les salue réglementairement, leur indique l’une des dernières places disponibles et rejoint les deux officiers, une fois garés.

Pierre Diennac en bon saint-cyrien, remarque, non sans une certaine satisfaction, la façon dont elle amorce un léger garde-à-vous – militaire toujours – avant de s’adresser aux nouveaux arrivants.

Mon commandant, c’est par là-bas, je vous conduis… si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre.

Amusant, sourit intérieurement Marc Lefrais, on a l’impression qu’elle nous conduit à une garden-party ! Elle cause comme une élève de lycée hôtelier ! Ces formules un peu décalées le surprennent encore, comme cette phrase d’accueil téléphonique de tout planton qui accueillera systématiquement son correspondant par le sempiternel « À qui ai-je l’honneur ? ».

Sans doute pour ça aussi, qu’il l’aime cette maréchaussée… ce côté désuet… vieille France, peut être…

À peine à la réception, un dandy sexagénaire habillé comme un lord décadent leur fonce dessus, devinant que les autorités gendarmiques viennent d’arriver.

Ah mon Dieu, messieurs, quelle catastrophe ! Une chose pareille dans mon établissement… S’il vous plaît, faites en sorte que cela soit rapide et discret. Je ne puis me permettre le moindre scandale.

Monsieur, les choses se dérouleront comme elles se doivent de l’être, lui répond le lieutenant, un tantinet agacé par le ton hautain et précieux du directeur.

Au vu de la rubalise placée par les premiers intervenants, la chambre se situe au fond du couloir, au même niveau, côté mer.

Je te laisse y aller, Marc, je vais attendre le Proc ici.

OK, tu peux m’envoyer Larrié et Coulon, dès qu’ils arrivent, s’il te plaît.

Bien pris, mon lieutenant !

Comme le petit poucet, les TIC ont laissé leurs différentes mallettes – prélèvements biologiques, conditionnement, mesures, micro-analyse – tout le long du couloir, comme des petits cailloux à suivre pour les rejoindre.

Devant la porte de la chambre, un dernier sas a été aménagé ; c’est là qu’un gradé de la cellule d’identification criminelle attend le lieutenant.

Une fois déguisé – combinaison, masque, lunettes, gants, surchaussures, charlotte – ce dernier rejoint l’équipe de techniciens affairés comme une myriade de fourmis laborieuses et le légiste.

L’expert médical et l’officier se connaissent bien ; pas de politesses inutiles, un salut rapide et on va directement à l’essentiel.

Bonjour, mon lieutenant… il s’agit d’une victime de sexe féminin, la quarantaine, tuée sur place, par balle, sans doute à bout portant, de face, région du cœur… un seul coup.

Et l’heure ?

Probablement hier soir, entre 18 h et 21 h… l’examen médico-légal nous en dira plus sur le reste.

Rien de très original, alors ? interroge Marc en s’adressant indistinctement au médecin et au TIC.

Au moment, où le technicien s’apprête à lui répondre, une légère tape sur l’épaule lui signale l’arrivée de deux nouveaux « ghostbusters » : l’adjudante Catherine Larrié et le maréchal des logis-chef Michel Coulon viennent d’entrer en scène… de crime… tout aussi souriants que concentrés.

Si mon lieutenant, il y a un truc pas banal, venez voir de plus près, reprend le technicien.