Fascinantes - Delphine Saliou - E-Book

Fascinantes E-Book

Delphine Saliou

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Beschreibung

Méfiez-vous des apparences. Mai 2018, Paris au petit matin. Une jeune femme égorgée gît sur un quai de la Seine. Laura Loiseau, prometteuse lieutenante de la Criminelle, et ses coéquipiers sont chargés du dossier. Ils se retrouvent aussitôt face à une énigme : la victime, professeure en devenir, paraît irréprochable. Comment expliquer ce meurtre absurde ? Plus les investigations progressent, plus le mystère s'épaissit. Les policiers parviennent néanmoins à identifier deux suspects. Sous des dehors respectables, chacun semble dissimuler un lourd secret. L'un d'eux serait-il prêt à tuer pour le protéger ? Laura Loiseau nous entraîne dans l'affaire la plus sensible de sa carrière. Accompagnez-la dans cette enquête haletante, et n'oubliez pas : les apparences sont souvent trompeuses...

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ähnliche


Sommaire

UNE DORMEUSE FASCINANTE

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

NOUVEAU REBONDISSEMENT DANS L’AFFAIRE LEHAUT

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

EXTRAITS DU JOURNAL INTIME DE CAROLINE GARNAULT

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

Chapitre 61

Chapitre 62

Chapitre 63

Chapitre 64

Chapitre 65

Chapitre 66

Chapitre 67

Chapitre 68

Chapitre 69

Chapitre 70

Chapitre 71

Chapitre 72

Chapitre 73

Chapitre 74

Chapitre 75

Chapitre 76

Chapitre 77

Chapitre 78

Chapitre 79

Chapitre 80

Chapitre 81

Chapitre 82

Chapitre 83

Chapitre 84

Chapitre 85

Chapitre 86

Chapitre 87

Chapitre 88

Chapitre 89

RÉFÉRENCES

REMERCIEMENTS

Page de copyright

UNE DORMEUSE FASCINANTE

Le soleil apparaît au-dessus de Paris, Illumine avenues, parcs, coupoles et clochers, Montmartre, le Marais et les Champs Élysées ; Teinte le ciel de bleu, de rose et de gris.

Les péniches tanguent langoureusement sur La Seine. L’onde s’orne de perles brillantes, Et suit son cours devant le jardin des Plantes. Piaillements et cris animent la verdure.

Une jeune femme indolente et tête nue Repose dans l’escalier. Elle est menue Et porte ses plus beaux atours, comme la veille.

Ni l’air ni la chaleur n’animeront son corps Figé dans une flaque sombre par la mort. Un collier triste orne sa gorge vermeille.

1

Paris, vendredi 18 mai 2018

Laura se tenait immobile en haut des marches menant à l’arrêt de batobus. Elle observait le spectacle et enregistrait ses premières impressions avant d’entrer en scène.

Derrière elle, la ménagerie du Jardin des Plantes bruissait des cris de ses pensionnaires. En comparaison, le restaurant universitaire, situé de l’autre côté de la rue Cuvier, semblait étrangement calme, le balai matinal des livreurs et des cuisiniers ayant été momentanément interrompu. Aucun véhicule ne circulait sur le quai Saint-Bernard. La zone était gelée. Des agents de police déroutaient les conducteurs vers d’autres axes ou tenaient les badauds éloignés de la scène de crime, délimitée par la rubalise.

Devant elle, dans l’escalier et sur les bords de Seine, plusieurs spécialistes s’affairaient, chacun jouant sa partition avec célérité et minutie. Le procédurier enregistrait ses observations, le médecin légiste examinait le corps de la victime, et un technicien de l’identité judiciaire photographiait l’opération pendant que ses collègues procédaient au relevé des traces et indices.

— Salut ! Ça va ?

Laura se tourna vers le nouvel arrivant, un blond élancé aux yeux clairs portant de fines lunettes à monture mordorée. Son coéquipier, Jérémy.

— Pas trop mal, sourit-elle. Surtout si on considère que mon réveil n’a pas sonné. J’ai tout juste eu le temps de sauter dans mon jean avant d’attraper le métro.

— Ça explique les cernes et les épis, rit Jérémy.

— Ne te moque pas ! Je n’ai même pas pu boire de café.

— Houlà ! La journée commence vraiment mal.

Elle lui envoya une bourrade amicale.

— Et toi alors ? Combien de fois t’es-tu levé, cette nuit ?

— Zéro ! triompha-t-il. Lucie ne s’est pas réveillée.

— C’est une super nouvelle ! Vous devez être soulagés.

Jérémy acquiesça. Il tenait difficilement le rythme depuis la naissance de sa fille, sept mois plus tôt. Les nuits hachées, les biberons nocturnes, le manque de sommeil, lui donnaient plus souvent l’air d’un zombie que d’un fier capitaine de la Criminelle récemment promu. Cette nuit de repos était donc la bienvenue.

— Espérons que ça dure, ajouta malicieusement Laura.

— Ne parle pas de malheur !

Une sonnerie retentit, annonçant l’arrivée d’un message. Jérémy consulta son téléphone et sourit en découvrant une nouvelle photo de Lucie.

— Regarde comme elle est belle ! dit-il en brandissant le cliché.

Laura fondit à la vue du bébé potelé, enveloppé dans un gilet à capuche duveteux orné d’oreilles d’ours.

— Adorable ! On en mangerait.

Ravi du compliment, Jérémy contempla une dernière fois son enfant avant de ranger l’appareil.

— Bon, on a du boulot. Et les collègues sont déjà là. On y va ?

Laura acquiesça d’un signe de tête. Ils enfilèrent sur leurs tenues civiles des brassards orange fluo portant la mention « Police » et rejoignirent en quelques enjambées les trois hommes qui discutaient en contrebas.

À leur arrivée, le commandant Amaury Jouvenel, la cinquantaine empâtée et grisonnante, commença le briefing :

— Nous avons affaire à une mort suspecte. La victime est une jeune femme d’une vingtaine d’années, identité inconnue. Elle a une plaie pénétrante au cou, donc nous partons du principe qu’il s’agit d’un homicide. Elle a été découverte ce matin, aux alentours de six heures, par deux joggeuses. Elles ont été très choquées, mais ont quand même eu la présence d’esprit de nous alerter rapidement et de ne toucher à rien. Depuis, elles attendent qu’on les interroge.

Le commandant s’interrompit brièvement et désigna deux femmes assises en contrebas, en compagnie d’un agent en uniforme. Les enquêteurs leur jetèrent un coup d’œil avant de reporter leur attention sur Jouvenel. Ce dernier poursuivit l’exposé des faits, pendant qu’ils en prenaient note sur leurs carnets respectifs.

— Le central a contacté le commissariat du 5e arrondissement qui a envoyé une patrouille. Les collègues ont strictement suivi la procédure : ils ont procédé au gel des lieux, relevé l’identité des témoins et coordonné l’intervention des secours en protégeant la scène de crime.

Jouvenel fit une nouvelle pause, montra les policiers concernés, et conclut :

— Du sacré bon boulot ! On peut les remercier. Grâce à eux, nous sommes dans des conditions idéales pour commencer l’enquête.

Laura ne put réprimer un sourire. Si son chef était connu pour sa franchise, il était également célèbre pour son exigence, fruit d’une longue expérience et d’un caractère entier. Les principaux concernés devaient être des flics hors du commun pour mériter de telles louanges.

— Sait-on quand le meurtre a eu lieu ? demanda Jérémy, la tirant de ses pensées.

— Dans la nuit, à première vue. En attendant plus de précisions, nous allons ratisser large et chercher ceux qui seraient passés dans le coin entre hier soir et ce matin. Ça ne sera pas facile, mais on aura peut-être de la chance.

Les tâches furent rapidement réparties.

— Philippe, Hugo, interrogez le personnel de l’université et du Jardin des Plantes. Essayez de savoir si certains travaillaient cette nuit et voyez s’ils ont quelque chose à nous apprendre. Cherchez également ceux qui ont attaqué ce matin de bonne heure. À l’université, commencez par les employés de la cantine. C’est le bâtiment le plus proche de nous. (Il le désigna du doigt.) Des collègues sont déjà sur les lieux. Ils ont rassemblé tous ceux qui s’y trouvaient à leur arrivée, ils vous attendent. Jérémy, occupe-toi de ceux qui bossent sur les quais : le personnel de la salle de sport et celui de la péniche des Restos du Cœur. Il y en a une autre qui mouille aussi dans le coin. C’est une discothèque, me semble-t-il… Vois si tu peux en tirer quelque chose. Quant à toi, Laura, je veux que tu interroges les témoins qui ont découvert le corps. Comme je l’ai dit, elles étaient très choquées à l’arrivée de la police et n’étaient pas très loquaces. Avec un peu de recul, elles auront peut-être quelque chose de nouveau à t’apprendre.

Le briefing terminé, les enquêteurs se donnèrent rendez-vous pour l’autopsie et se dispersèrent.

Restée seule, Laura inspira profondément avant de s’approcher du corps, qui gisait dans l’escalier menant à la Seine. Le spectacle était digne d’un film gore. Des projections rougeâtres maculaient les marches et les bacs à fleurs environnants, la tête de la victime reposait dans une flaque de sang qui poissait ses longs cheveux châtains, une plaie béante traversait son cou de part en part, et sa poitrine avait pris une teinte carmin. Fait étrange, les mains de la jeune femme étaient également couvertes d’hémoglobine. Avait-elle cherché à stopper l’hémorragie en les pressant sur la blessure ?

La lieutenante étouffa une grimace. Elle n’était membre de la Criminelle que depuis six mois, après quatre années passées chez les Stups, et ressentait en présence des cadavres un mélange d’empathie et de dégoût difficile à masquer. Elle espérait que l’expérience l’aiderait à surmonter ces sentiments, mais elle en était encore loin et s’échinait pour l’instant à poursuivre l’examen du corps en réprimant sa nausée.

La victime portait un trench noir ouvert sur une robe moulante à fines bretelles de la même teinte, un gros bracelet coloré et des escarpins rouges, dont l’un gisait sur les marches à quelques centimètres de sa propriétaire. Sa tenue laissait supposer qu’elle avait l’intention de participer à une soirée quelconque. Mais avait-elle eu le temps de s’y rendre ? L’enquête devrait répondre à cette question.

Pendant que Laura scannait la scène de crime, gravant chaque détail dans sa mémoire, le médecin légiste, Charles Bonsergent, la belle quarantaine, poursuivait la levée de corps avec la douceur peu commune qu’il prodiguait indistinctement aux défunts et aux vivants. Il emballait les mains dans des sachets quand elle demanda :

— Sais-tu ce qui a causé la mort de cette jeune femme ?

— Je pense qu’elle a succombé à une hémorragie carotidienne. La plaie qu’elle a au cou est suffisamment profonde pour que l’artère ait été sectionnée. En plus, tout le reste concorde : la quantité de sang versé, sa couleur vermeille, les projections…

Il se redressa, montra les traces environnantes et ajouta :

— Tu remarqueras que les projections et les coulures sont localisées autour du corps.

— Elle ne s’est donc pas déplacée après avoir été frappée ?

— Non, la mort a agi plus rapidement.

— En combien de temps ?

—À peine quelques minutes.

— Connais-tu l’heure du décès ?

— Compte tenu de sa rigidité, je dirais qu’elle s’est éteinte dans la nuit. Probablement après minuit, mais il faudra attendre l’autopsie pour en être sûrs.

Laura nota ces informations. L’effort lui coûta. Elle serra son stylo pour ne pas trembler, si fort que ses jointures blanchirent. La vue d’un cadavre n’était déjà pas plaisante, mais une si jeune femme… À cet instant, son métier lui sembla plus important que jamais. C’était à elle de trouver celui qui avait commis cette atrocité, à elle de l’enfermer, à elle de monter un dossier suffisamment solide pour le faire condamner. Laura avait soif de justice et portait haut son idéal. Pourtant, l’inanité de la mort l’atteignait encore. Sa mère s’inquiétait d’ailleurs beaucoup à ce sujet. Enquêtrice, ce n’était pas un métier pour elle ! Elle était trop fragile. Il aurait mieux valu qu’elle travaille en bureau, c’était plus convenable pour une femme. Avec tout le stress qu’elle s’infligeait chaque jour, elle risquait d’attraper un ulcère avant ses quarante ans, comme la pauvre tante Rosalie.

— Est-ce que tu vas bien ? demanda soudain le médecin, préoccupé par sa pâleur.

— Oui, ne t’inquiète pas.

Elle se voulait rassurante, mais il ne fut pas dupe.

— Tu n’es pas encore habituée aux cadavres, n’est-ce pas ? (Elle confirma d’un signe de tête.) Ça passera, tu apprendras à t’y faire. En plus, on a de la chance, celui-ci ne sent pas trop mauvais.

Ne s’estimant pas particulièrement chanceuse, Laura se demanda si le mot était bien choisi, avant de réaliser que le légiste avait raison. Le corps dégageait une odeur supportable, une odeur de renfermé. Sûrement parce qu’il était encore frais.

— A-t-on retrouvé ses effets personnels ?

Bonsergent répondit par la négative.

Laura rangea alors son carnet et sortit son téléphone pour prendre une photo de la victime, en veillant à serrer le cadrage sur le visage. Quelque part, cette jeune femme avait une famille qui l’aimait et qui l’attendait. Malheureusement, au lieu de la revoir, ils auraient à identifier son cadavre. Inutile d’accentuer leur peine en leur infligeant cette scène.

2

Laura rejoignit les témoins. Deux femmes n’auraient pas pu être plus dissemblables. La première, grande et bien portante, arborait une tenue fluo peu flatteuse et une crinière rousse vaguement retenue par un foulard bariolé. Elle restait prostrée sur un banc, pâle, tremblante. Tous les signes d’un état de choc. La seconde, plus petite et menue, portait des vêtements discrets et des cheveux châtains savamment coiffés. Plus calme et maîtresse d’elle-même, elle essayait manifestement de rassurer son amie, un bras autour de ses épaules.

Laura échangea d’abord quelques mots avec l’agent en uniforme qui les accompagnait. Il lui donna leurs noms, Solange Delcourt (la brune) et Gisèle Vignaud (la rousse), avant de se retirer. L’enquêtrice se présenta alors, puis, percevant la fébrilité de ses interlocutrices, démarra l’entretien sur des considérations horaires :

—À quelle heure avez-vous découvert le corps ?

— Vers six heures, répondit Solange.

— Que faisiez-vous dans le quartier de si bon matin ?

— Un jogging. Comme tous les vendredis. On habite toutes les deux près du square Trousseau, donc on se rejoint là-bas et on vient jusqu’ici en passant sur le pont d’Austerlitz.

— Avez-vous croisé beaucoup de monde, dans les parages ?

La question était simple. Solange dut pourtant fournir un gros effort pour y répondre. Ses yeux revenaient malgré elle sur la défunte, ravivant le choc de sa découverte.

— Non, je ne crois pas... Je me souviens d’un jeune homme qui courait en promenant son chien et d’un couple de touristes… Il y avait aussi quelques personnes qui devaient se rendre au travail… Je ne les ai pas vraiment observés, mais je suis sûre qu’ils ne marchaient pas sur cette partie du quai. À mon avis, aucun d’eux n’a remarqué le corps.

Sa voix chevrota.

— Je n’ose imaginer ce que vous traversez, compatit Laura. Je dois pourtant vous poser des questions sur la victime. Vous sentez-vous prête à y répondre ?

Solange opina de la tête, de plus en plus tendue.

— Qui l’a vue en premier ?

— Gisèle. Ça lui a fait un choc et elle s’est évanouie. Je vous ai appelés, puis je me suis occupée d’elle en attendant votre arrivée.

— Est-ce qu’un détail vous a marquée ? Quand vous avez découvert le corps ou après, pendant que vous patientiez ?

— En dehors du sang, vous voulez dire ?

— Oui.

Solange ouvrit la bouche pour répondre, sans émettre aucun son. Elle cherchait les mots adéquats. Des mots qui auraient assez de force pour décrire cette expérience. Des mots qui ne venaient pas, car jamais elle n’avait formulé semblable atrocité.

Son trouble (ou peut-être était-ce la mention du sang) sortit brusquement Gisèle de sa torpeur.

— C’était horrible ! Il y avait du sang partout… Et cette pauvre fille qui baignait dedans. Elle avait l’air tellement jeune ! Comme ma petite Gaëlle. C’est ce que j’ai tout de suite pensé, je me suis dit :« Gisèle, cette fille ressemble à Gaëlle. » Sauf que Gaëlle est blonde, pas brune. Et plus grande. Mais ça aurait pu être elle ! Comment peut-on faire ça à une enfant ? C’est tellement cruel ! Ceci dit, ce n’est pas mieux de tuer un adulte, le meurtre est une chose horrible. Mais assassiner une enfant… mon bébé… Oh ! Mon pauvre bébé !

Les émotions débordaient sans que Gisèle puisse les contenir. D’abord ravie que son témoin reprenne vie, Laura fut vite submergée et sut tout de Gaëlle, la fille de Gisèle, de son périple en Amérique du Sud, et de l’inquiétude bien légitime que son absence avait causée à sa mère. N’obtenant aucune information sur le sujet qui l’intéressait, l’enquêtrice tenta à plusieurs reprises d’endiguer le flot, en vain. Solange, qui s’était reprise, vola finalement à son secours avant qu’elle ne se noie tout à fait.

— Nous n’avons rien noté de particulier, déclara-t-elle, interrompant miraculeusement le flux.

— Rien du tout ? Pas même un objet incongru ? Ou un bruit, une odeur ?

— Honnêtement, non. Je n’ai vu que le corps ! Après, tout s’est passé très vite. Vos collègues sont arrivés, ils ont pris les rênes et on a juste suivi le mouvement. La seule chose dont je suis sûre, c’est que personne ne s’est approché pendant que nous attendions. Je m’en serais aperçu.

Laura essaya d’en apprendre davantage, mais elle comprit rapidement que les deux femmes ne savaient rien de plus. Elle les remercia donc et les libéra après leur avoir donné rendez-vous pour formaliser leurs dépositions.

3

Le brigadier Joseph Martinez ne s’était pas reposé de la matinée. Il venait de prendre son service quand un appel du central l’avait envoyé sur les quais de Seine, où deux malheureuses étaient tombées sur un cadavre. Il avait emmené Chamberland et s’y était rendu sans traîner. Fort de ses dix-neuf années d’expérience dans la police, Martinez savait à quoi s’attendre. Les morts faisaient partie du métier. Il ne comptait plus le nombre de pauvres types qui avaient été repêchés dans la Seine ou ramassés sur les rails du métro. Ça arrivait plus souvent qu’on ne le pense, surtout dans une ville comme Paris. Il s’était donc préparé à tout, surtout au pire, et il n’avait pas été déçu :à quelques pas de la Seine, il avait découvert une jeune femme égorgée, ses grands yeux clairs encore ouverts fixant le ciel printanier. Le regard de la mort. Jamais il ne s’y habituerait.

Le premier choc passé, il avait rapidement procédé au gel des lieux et déroulé la rubalise pour éloigner les badauds. Il avait alors une idée en tête : isoler la scène de crime, pour protéger d’éventuels indices et faciliter le travail des enquêteurs. Contribuer à lui rendre justice était la seule chose qu’il pouvait encore faire pour la victime. Pendant ce temps-là, il avait confié les deux témoins à son jeune collègue. À vingt-trois ans, Chamberland avait largement le temps de côtoyer la mort de près. Martinez avait donc préféré le tenir à distance du corps pour l’épargner.

Après avoir gelé les lieux, le brigadier avait vu défiler tous les intervenants habituels. Les pompiers, le service d’aide médicale urgente, les agents de la police technique scientifique, le médecin légiste et, enfin, les officiers de la PJ. Pendant que tous s’installaient, il avait joué les chefs d’orchestre avant de se mettre en retrait et de les regarder s’affairer. Il venait à peine de s’asseoir quand il avait aperçu une jeune femme s’entretenir avec le légiste. C’était la première fois qu’il la voyait. De taille moyenne, elle avait la petite trentaine et de longs cheveux bruns décoiffés. Ses vêtements étaient à l’avenant : chemise bleu clair à fleurs blanches très froissée, jean et baskets défraîchies. Martinez désapprouvait. Une dame devrait toujours être apprêtée, c’était bien le minimum. En homme qui aimait l’ordre, il considérait qu’une tenue acceptable se devait d’être irréprochable, nettoyée et parfaitement repassée. Lui-même ne sortait d’ailleurs jamais sans une chemise propre au col amidonné.

Le brassard orange que portait la brune lui avait appris qu’elle appartenait à la PJ. Il l’avait regardée s’entretenir avec le docteur, puis avec Chamberland et les témoins, attendant patiemment son tour. Quand elle eut fini, il s’approcha d’elle et se présenta :

— Brigadier Joseph Martinez. Si vous avez un moment, j’aimerais vous parler avant de partir.

Laura le considéra avec amusement. Martinez se tenait très droit, sa moustache impeccablement taillée, et s’exprimait en détachant les mots, comme une miss s’adressant à un jury. Il respirait la probité et la franchise, des qualités qu’elle appréciait particulièrement.

Elle se présenta à son tour.

— Sauf erreur de ma part, vous étiez le premier sur les lieux, ajouta-t-elle.

— C’est exact. Je suis arrivé à 6 h 15 avec Vic Chamberland. (Il désigna son collègue.) Il s’est chargé des témoins pendant que je m’occupais de la victime.

C’est donc lui, l’homme qui a tellement impressionné le chef, songea Laura.

— Vous avez fait du bon travail, la scène est bien préservée.

— Merci, mais je n’ai aucun mérite. J’ai simplement suivi la procédure.

L’enquêtrice apprécia la modestie de son interlocuteur.

— Brigadier…

— Joseph, la corrigea-t-il.

— Joseph, j’aimerais avoir votre avis sur tout ça. Vous êtes le premier à avoir vu nos témoins. Que pensez-vous d’elles ? Pourraient-elles être impliquées dans ce meurtre ?

— Honnêtement, ça m’étonnerait. Comme je vous l’ai dit, elles avaient l’air vraiment secouées quand nous sommes arrivés. Madame Vignaud reprenait à peine ses esprits. Depuis, elle est restée assise à contempler le sol en silence. Vous êtes la première à l’avoir fait parler. Quant à son amie, elle fournissait manifestement un gros effort pour ne pas craquer.

— Ça confirme ce que je pensais.

Laura marqua une courte pause, puis demanda :

— Savez-vous qui pourrait nous en dire plus ? J’ai aperçu deux tentes, là-haut. (Elle montra du doigt le sommet des escaliers.) Est-ce qu’il y avait quelqu’un à votre arrivée ?

— C’est précisément ce dont je voulais vous parler. D’habitude, elles sont occupées par deux SDF. Rémy Leclerc et Jules Santiago.

— Vous les connaissez ? s’étonna Laura.

— Oui, ils squattent ici depuis longtemps.

Martinez haussa des épaules indulgentes.

— Ils restent tranquilles, donc on les tolère.

— Sont-ils présents en ce moment ?

— Non. J’ai vérifié, il n’y a personne. En rentrant au poste, je me renseignerai pour savoir si quelqu’un les a vus, mais je doute qu’ils aient un rapport avec cette affaire. Jules et Rémy sont inoffensifs.

— Espérons pour eux que vous ayez raison. Vous me tenez au courant ?

Martinez acquiesça et prit congé.

4

Jérémy Vandenbergh marchait à grands pas, exalté par sa trouvaille.

Conformément aux instructions, il avait interrogé les professionnels travaillant le long des quais. Il s’était d’abord rendu à la salle de sport où il avait fait chou blanc. L’établissement n’ouvrant pas avant 11 h, seul l’homme d’entretien était présent. Il avait déclaré être arrivé aux alentours de 7 h, comme à son habitude. À ce moment-là, le corps avait déjà été découvert et la rubalise installée, ce qui n’avait pas manqué d’éveiller sa curiosité. L’employé ayant plus de questions à poser que d’informations à donner, Jérémy avait écourté la conversation et s’était mis en quête de la péniche-discothèque. Sans succès. Heureusement, il la connaissait de nom, et un simple coup de téléphone à la société qui la gérait lui avait suffi pour apprendre qu’elle n’avait pas fait escale le long du quai Saint-Bernard cette nuit-là. Il s’était donc rendu à la péniche des Restos du Cœur, espérant obtenir enfin des renseignements utiles, et la chance lui avait souri. Une bénévole de l’association lui avait remis un petit sac noir, brillant, avec une chaîne faisant office de bandoulière. Jérémy croyait se souvenir qu’elle avait appelé ça un clutch, mais il n’en jurerait pas. C’était typiquement le genre d’information qu’il n’arrivait pas à retenir. Pour lui, un sac était un sac, quelles que soient sa forme, sa taille et la façon de le porter. En bon enquêteur, il s’était empressé d’en inspecter le contenu : il y avait trouvé la carte d’identité de la défunte, en plus d’autres menus objets et d’un peu d’argent.

Jérémy rejoignit Laura au moment où Martinez atteignait le haut de l’escalier.

— Ça y est, je connais l’identité de la victime. Regarde !

Il lui tendit la carte. Elle la prit, observa la photo, puis lut à haute voix :

— Tasselier. Iris, Ambre. Jolis prénoms. Née le 14/02/1996. Ça lui fait donc… 22 ans si je ne me trompe pas.

— Exact.

— Où as-tu déniché ça ?

— C’est une bénévole des Restos du Cœur qui me l’a donnée. Ce matin, elle a trouvé un petit sac en arrivant à la péniche. (Il montra le clutch qu’il tenait toujours à la main.) Apparemment, il traînait devant l’entrée. Elle s’est dit que celle qui l’avait perdu viendrait peut-être le réclamer, donc elle l’a gardé dans un coin. La carte était dedans.

Il retourna le document et pointa l’adresse qui figurait au dos.

— J’ai vérifié dans l’annuaire : il y a un Francis Tasselier enregistré à cette adresse.

— Qui est-ce ? Son père ?

— Il n’y a qu’une façon de le savoir… On y va ?

— C’est parti !

5

Philippe Martial s’éloigna du restaurant universitaire. Conformément aux ordres, il avait interrogé tous ceux qui s’y trouvaient depuis le matin. La liste n’était pas très longue : le chef de cuisine, son second, un commis, deux agents venus réceptionner les approvisionnements, et deux livreurs. Les sept hommes, soucieux de ne pas prendre de retard dans une journée qui s’annonçait chargée, ne s’étaient pas montrés loquaces. N’ayant rien vu ni entendu de pertinent, ils lui avaient donné des réponses lapidaires avant de se remettre au travail aussitôt libérés, et Philippe avait quitté les lieux sans avoir glané d’information susceptible de faire avancer l’enquête. D’aucuns auraient pu s’agacer de cette apparente perte de temps, mais pas cet ancien militaire, entré dans la police sur le tard. Lui se satisfaisait simplement d’avoir accompli son devoir avec la rigueur qui s’imposait.

Philippe pénétra dans l’école d’ingénieur, monta au dernier étage et se rendit dans le bureau où Hugo, qui avait interrogé les employés du bâtiment pendant qu’il œuvrait à la cantine, était censé l’attendre. Il entra dans une pièce tout en longueur occupée par deux postes de travail, où il trouva son coéquipier en pleine discussion avec une jeune punkette qui minaudait et battait des cils dans le but évident de le séduire. Le colosse produisait souvent cet effet sur la gent féminine. Grand et large d’épaules, il arborait en permanence une tignasse brune et des chemises à carreaux retroussées sur ses bras puissants, qui lui donnaient étrangement l’air d’un bûcheron canadien. Philippe lui avait un jour demandé si la ressemblance était choisie. Hugo, qui n’avait jamais réfléchi à la question, avait d’abord éclaté de rire, puis l’idée s’était frayé un chemin et il s’était finalement laissé pousser la barbe pour parfaire le tableau. Quitte à être cliché, autant y aller à fond. À ses côtés, Philippe avait parfois l’impression de faire figure d’avorton. Pourtant, lui-même n’avait pas à rougir de son apparence. De taille moyenne, il conservait de l’armée une peau brunie par le soleil et une excellente condition physique. Beaucoup d’hommes de son âge lui enviaient d’ailleurs cette tonicité, à commencer par leur chef d’équipe, plus jeune de deux ans et nettement moins affûté.

Philippe émit un bonjour poli pour signaler sa présence.

— Salut partenaire ! lança Hugo en retour. Je te présente Betty.

La jeune femme se leva et lui tendit une main aux ongles polychromes parfaitement assortis à ses cheveux tricolores.

— Êtes-vous étudiante ? s’enquit Philippe.

— Pas du tout, gloussa-t-elle. Je travaille ici. Je suis gestionnaire administrative et pédagogique.

Philippe afficha un air étonné qui l’obligea à préciser :

— En gros, je gère deux formations de l’école. J’effectue les inscriptions, je prépare les emplois du temps, je coordonne les examens, je renseigne les profs et les étudiants...

— Travaillez-vous ici depuis longtemps ?

— Presque deux ans.

Hugo trépignait. Ces présentations l’ennuyaient, il avait déjà récolté toutes les informations nécessaires avant l’arrivée de son coéquipier.

— Venons-en à nos moutons ! lança-t-il brutalement. Si je t’ai demandé de me rejoindre, c’est parce que Betty occupe un bureau très intéressant.

— Intéressant ? répéta Philippe, intrigué. Pourquoi ?

Au lieu de répondre, le colosse désigna la haute fenêtre.

— Jette d’abord un œil à la vue.

Philippe s’exécuta. La pièce donnait sur la rue Cuvier, une artère à sens unique bordée de places de stationnement, qui séparait le campus universitaire du Jardin des Plantes. Il observa les voitures garées, les briques du laboratoire qui leur faisait face éclairées par le soleil matinal, les arbres ondulant sous l’effet d’une légère brise ; il écouta les cris des flamants roses et les bruits étouffés venant du parc. Tout semblait normal.

— C’est plutôt calme. Que suis-je censé voir ?

Hugo désigna une petite porte métallique, logée à la naissance du mur d’enceinte du Jardin des Plantes, juste après le laboratoire.

— Regarde cette porte. Apparemment, c’est un point de deal.

Betty confirma d’un signe de tête.

— Et alors ? demanda Philippe, perplexe. En quoi ça nous concerne ?

— La mort de la fille a peut-être un lien avec la drogue.

—À quoi penses-tu ? Une transaction qui aurait mal tourné ?

— Ou un règlement de comptes entre trafiquants.

— Ça ne colle pas avec le mode opératoire. En général, ces affaires se résolvent avec des balles, pas avec des couteaux.

— C’est vrai… mais ça vaut quand même le coup de vérifier.

Philippe opina mollement du chef. Il n’était guère convaincu par cette théorie, mais leur travail consistait à suivre toutes les pistes, aussi saugrenues puissent-elles paraître de prime abord. Ils avaient donc un dealer à trouver.

— T’es en retard, Léon ! rouspéta soudain Betty. Il a fallu que je m’occupe de tes étudiants, ce matin.

Les enquêteurs se retournèrent vers la porte et découvrirent un jeune homme, la vingtaine nonchalante, qui s’installait au second bureau. Un autre gestionnaire, selon toute vraisemblance.

— C’est pas ma faute ! Y’avait encore des problèmes sur la ligne 13, se défendit-il.

Il s’assit à son poste, alluma l’ordinateur et saisit les documents que son responsable avait posés sur son clavier en son absence. Il allait s’y plonger lorsqu’il réalisa que les visiteurs l’observaient.

— Je peux vous aider ? demanda-t-il d’un ton où perçait l’ennui.

Les enquêteurs acquiescèrent et mentionnèrent le dealer. Se sentant subitement concerné, Léon se leva comme un ressort et s’approcha d’eux.

— Alors comme ça, la Criminelle s’intéresse au roi du buzz ? Ça lui pendait au nez !

— Le roi du buzz ? répéta Hugo, amusé. Pourquoi ce surnom ?

— Parce que c’est un dealer doublé d’une célébrité. Il n’est pas très discret, donc on a tous fini par le repérer. On en parle régulièrement.

— Il fait le buzz, quoi !

Les gestionnaires s’esclaffèrent.

Philippe grimaça. Il avait la drogue en horreur et n’aimait pas qu’elle devienne un sujet de plaisanterie. Hugo, qui estimait qu’on pouvait rire de (presque) tout, prit la boutade avec nettement plus de légèreté.

—À quelle heure peut-on voir la vedette ? demanda-t-il, narquois.

— Pendant la pause déjeuner, répondit Léon. Ou en fin d’après-midi.

— Il vient tous les jours ?

— Presque.

Hugo consulta sa montre. Il était encore tôt, ils avaient largement le temps de s’organiser pour arrêter le suspect dans la journée.

Les enquêteurs remercièrent les gestionnaires pour ces précieuses informations, puis prirent congé. Betty les rattrapa dans le couloir et tendit un post-it à Hugo.

— Tenez inspecteur, c’est mon numéro. Appelez-moi ! lança-t-elle, enjôleuse, avant de disparaître dans un nuage suave.

Le colosse jeta un œil détaché au feuillet jaune.

— Tu comptes la revoir ? demanda Philippe.

— Je ne sais pas, j’y réfléchirai plus tard.

Il fourra le papier dans la poche arrière de son jean.

— Ce soir, j’ai déjà un rencard.

6

De retour au commissariat du 5e, Joseph Martinez salua quelques collègues, se servit un verre d’eau, se rendit à son bureau et observa la rue pendant plusieurs longues minutes, puisant dans ce rituel bien rodé l’énergie dont il avait besoin. Il aimait regarder la vie se dérouler sous ses yeux : les clients aller et venir dans les commerces du rez-de-chaussée ; les piétons entrer et sortir de la bouche de métro ; les voitures circuler sur le boulevard Saint-Germain. Il sentait Paris pulser derrière son carreau, ce bouillonnement contrastant avec l’ordre méticuleux qui régnait à son poste de travail. Seul le nécessaire avait la place sur son bureau : un ordinateur et un clavier parfaitement alignés, une lampe savamment orientée, trois stylos et un gros marqueur noir rassemblés dans un pot aux couleurs de l’institution. Tout le reste était rangé dans les tiroirs.

Joseph Martinez se mit à la recherche de Rémy Leclerc et Jules Santiago. Il ouvrit le fichier central et entra leurs noms. Par chance, iGAV, le registre des gardes à vue, lui renvoya immédiatement une réponse. Le rapport qui leur était consacré était plutôt succinct, mais il donnait suffisamment d’informations pour que le brigadier puisse localiser les deux hommes.

Procédure no 2018-05-0347 Lieu d’interpellation : Quai Saint-Bernard. Date et heure : Jeudi 17 mai 2018, 21 h 36. Motif : IPM (ivresse publique manifeste).

Lieu de détention : Commissariat central du 5e arrondissement. Personnel ayant procédé à l’interpellation : Maxence Augère. Date et heure d’entrée : Jeudi 17 mai 2018, 22 h 7. Date et heure de sortie : (vide)

Les deux hommes étaient donc entrés en cellule de dégrisement dans son commissariat la veille au soir. Le rapport ne mentionnant pas d’heure de sortie, Martinez se hâta vers la zone de détention, espérant leur parler avant qu’ils ne quittent le bâtiment.

Le brigadier connaissait bien l’agent qui avait procédé à l’interpellation. Maxence Augère était un jeune gardien de la paix souriant et chaleureux, toujours prompt à bavarder avec ses collègues, qui avait intégré leur équipe deux ans plus tôt, à la satisfaction générale. Il le trouva devant son ordinateur, plongé dans ce qu’il crut être la rédaction d’un document. Maxence, qui jouait en réalité au Solitaire, ferma le jeu précipitamment avant d’accueillir joyeusement son aîné :

— Salut Joseph ! Comment vas-tu ? J’ai appris que ton intervention était plutôt difficile, ce matin. C’était un meurtre, non ?

— Les nouvelles circulent vite, commenta Martinez en s’asseyant de l’autre côté du bureau. Et elles disent vrai, il s’agissait d’un homicide. Une jeune femme égorgée. Ce n’était pas beau à voir.

— Et Vic, comment va-t-il ? Ça a dû le secouer, le pauvre !

Maxence s’inquiétait sincèrement. Il ne pouvait s’empêcher d’imaginer Chamberland pâlir (et vomir ? s’évanouir ?) sur la scène de crime, projetant sur son collègue la réaction qu’il était certain d’avoir lui-même s’il se trouvait un jour nez à nez avec un cadavre. Ça ne serait pas drôle du tout ! Il espérait donc ne pas en voir avant très longtemps.

Martinez le rassura :

— Ne t’inquiète pas, Vic va bien. Il s’est occupé des témoins. D’ailleurs, c’est pour ça que je suis venu.

— Pour Vic ?

— Non, pour les témoins.

— Mais on ne m’a pas amené vos témoins !

— Je ne parle pas de celles-là, j’en cherche d’autres.

— Lesquels ?

— Rémy Leclerc et Jules Santiago.

— C’est impossible qu’ils soient vos témoins ! Ils ont passé la nuit ici à massacrer des chansons anarchistes.

— Lesquelles ? s’enquit Martinez, amusé.

— Ben, j’ai reconnu Les anarchistes, justement.

— Léo Ferré. Un classique. Quoi d’autre ?

— Ils ont poursuivi avec Le sang des martyrs et La java des bons enfants, du groupe de rock Les Amis d’ta femme. Ça te dit quelque chose ?

Martinez fit non de la tête. Désireux de partager son savoir (et d’impressionner son aîné), Maxence se leva et attaqua le premier titre de bon cœur. Le spectacle arracha au brigadier une grimace mi-surprise, mi-amusée, que le jeune policier interpréta comme une marque d’ignorance. Il entonna donc la seconde chanson avec un entrain égal, mais Martinez, qui se pinçait les lèvres pour ne pas rire, l’interrompit d’un geste.

— Tu connais drôlement bien les paroles.

— Pas étonnant ! Je les ai entendues pendant des heures, déplora le chanteur en se rasseyant.

— Je vois…

Martinez s’accouda au bureau et revint au motif de sa visite :

— Pourquoi Rémy et Jules ont-ils été arrêtés ?

— Pour IPM.

Maxence rouvrit le document laissé en attente depuis trop longtemps, tourna l’écran vers son collègue et pointa une information du doigt.

— Regarde, c’est écrit dans le rapport.

— Je sais, je l’ai lu. Mais j’aimerais en apprendre davantage. Que s’est-il passé, exactement ?

— Il n’y a pas grand-chose à dire. On a été alertés par une vieille dame qui promenait son chien. Apparemment, les deux compères lui auraient hurlé dessus alors qu’elle marchait en bord de Seine. Ça lui a fait peur, elle s’est sauvée et nous a appelés. J’y suis allé avec Bernard. Quand on est arrivés, ils n’avaient pas bougé d’un iota. Ils braillaient des chansons anarchistes en éclusant des bouteilles de rouge.

— Ils chantaient déjà ? s’étonna Martinez.

— Oh oui ! Ils ont commencé dehors, ils ont continué dans la voiture, et ils ont redoublé d’efforts en entrant ici. (Maxence grimaça.) Malheureusement, ils n’ont pas un répertoire très étendu… Du coup, ils ont fait tourner les trois titres en boucle. L’enfer !

— Et ça a duré toute la nuit ?

— Non, heureusement ! Ils ont fini par s’écrouler vers 2 h du matin. Je ne te dis pas le bonheur !

— Tes oreilles ont dû apprécier.

— Oh oui !

Maxence se renversa dans son fauteuil, joignit les mains devant sa bouche et demanda, curieux :

— Pourquoi veux-tu parler à Jules et Rémy ?

— Le meurtre a eu lieu à deux pas de leurs tentes. J’aimerais les interroger, au cas où ils aient des renseignements utiles à me communiquer.

Le jeune agent eut soudain l’air gêné.

— L’ennui, c’est qu’ils sont partis.

— Ah bon ? Pourtant, le fichier n’indiquait pas d’heure de sortie.

— Je sais… Je n’ai pas encore eu le temps de le compléter.

Il se passa une main dans les cheveux, souffla bruyamment et lâcha :

— On n’a pas arrêté depuis hier ! Les clients entrent et sortent comme dans un moulin. D’ailleurs, Rémy et Jules n’étaient pas les seuls poivrots. On en a accueilli un autre vers minuit. Il n’était pas triste, lui non plus ! Il a bien essayé de suivre ses nouveaux copains, mais il ne connaissait pas les paroles, donc il avait du retard. S’ils avaient voulu faire un canon, ils n’auraient pas pu mieux s’y prendre !

— Je vois que ta nuit était agréable, ironisa Martinez.

— Ne m’en parle pas ! Enfin… Je terminerai le rapport avant de partir. (Il consulta l’heure.) D’ailleurs, je ne vais plus tarder, Marine pourrait s’inquiéter.

Marine, la jeune épouse du policier, attendait leur premier enfant. L’accouchement était prévu pour la semaine suivante et cette perspective la rendait très nerveuse. Martinez, qui l’avait croisée à plusieurs reprises, prit brièvement de ses nouvelles, puis revint à ses moutons :

—À quelle heure sont partis Jules et Rémy ?

— Vers 9 h 30. Ils avaient suffisamment dessoûlé pour marcher droit, on n’avait pas de raison de les garder.

— Sais-tu où ils sont allés ?

— Là où ils squattent, je suppose.

— Ça serait logique… Je vais m’y rendre, espérons qu’ils y soient.

Martinez se leva, joignant le geste à la parole.

— Tu risques de te déplacer pour rien, objecta Maxence.

— Peut-être, mais je veux en avoir le cœur net.

— Bon courage, alors.

— Merci. Quant à toi, rentre vite pour t’occuper de ta femme ! Le rapport peut attendre.

— D’accord, brigadier. À vos ordres !

Maxence accompagna ses paroles d’un salut malicieux.

Martinez s’éloigna en souriant. Décidément, il appréciait beaucoup ce jeune policier, malgré son manque d’ambition évident.

7

Jérémy et Laura avaient enfin quitté l’autoroute après un trajet interminable. Comme souvent à cette heure de la journée, l’A1 était saturée. Ils avaient mis plus d’une heure à parcourir les vingt-deux kilomètres qui séparaient Roissy-en-France de leurs bureaux parisiens, au lieu des vingt-cinq minutes prévues. Comment pouvait-on supporter ce calvaire au quotidien ?

Jérémy aborda Goussainville par le vieux village. Le paysage était fantomatique : maisons en ruine, fenêtres condamnées, murs tagués. À la voir dans ce triste état, on imaginait difficilement que la commune avait été charmante dans les années 60, avant que l’apparition de l’aéroport voisin ne précipite son déclin. Les avions, qui rasaient les logements plusieurs dizaines de fois par jour, avaient fait fuir les habitants, la zone faisant désormais office de ville fantôme pour l’industrie du cinéma.

Après le Vieux-Pays dévasté, les policiers traversèrent des quartiers plus récents où vivaient des familles issues de la classe moyenne, qui avaient quitté Paris pour élever leurs enfants dans un environnement agréable. Ils se garèrent à proximité d’un immeuble propre et bien entretenu, entrèrent et cherchèrent le nom Tasselier sur les boîtes aux lettres. Ils découvrirent rapidement que le dénommé Francis habitait bien là, et qu’il n’était pas seul. Deux autres prénoms y figuraient. Deux prénoms de femme : Irène et Iris.

— La victime serait donc fille unique ? s’interrogea Jérémy.

— On va bientôt le savoir.

Irène et Francis Tasselier reçurent les enquêteurs au salon, une pièce sobrement meublée d’une table ronde en bois, d’un imposant vaisselier, d’un canapé gris et d’un écran plat trônant sur une commode minuscule. Une délicate odeur citronnée flottait dans l’air. Les murs, récemment repeints en bleu turquoise, s’ornaient de dizaines de photos de famille. L’une d’elles, visiblement l’œuvre d’un professionnel, avait été agrandie. Elle représentait le couple Tasselier plus jeune, entourant une petite fille de quatre ou cinq ans vêtue d’une jolie robe fleurie et souriant de toutes ses dents.

Aucun autre enfant ne figurait sur les clichés.

Le cœur de Jérémy se serra. L’entretien s’annonçait pénible, plus qu’à l’accoutumée. Difficile de mettre ses sentiments en retrait quand on vient soi-même de devenir père et qu’on est encore débordé par d’intenses vagues émotionnelles. Il sortit donc son carnet et se prépara à prendre des notes, laissant la main à sa coéquipière.

— Connaissez-vous une jeune femme nommée Iris Tasselier ? demanda Laura pour confirmer l’évidence.

— Oui, c’est notre fille, répondit Irène Tasselier, tendue. Pourquoi cette question ?

— J’ai le regret de vous faire part de son décès. Son corps a été retrouvé ce matin. Je vous présente toutes mes condoléances.

La nouvelle faucha le couple. Ils s’écroulèrent sur les chaises les plus proches et restèrent quelques instants silencieux, hébétés, incapables d’assimiler l’information, avant d’éclater en sanglots.

Mal à l’aise, Laura s’assit à son tour et laissa couler de longues minutes avant de poursuivre :

— Je suis désolée de vous imposer une telle épreuve, mais je dois vous demander d’identifier formellement le corps. C’est essentiel pour les besoins de l’enquête.

Elle attrapa son téléphone, chercha la photo d’Iris prise un peu plus tôt sur la scène de crime, et la tendit aux parents effondrés. Malgré le soin apporté au cadrage, les tâches vermeilles qui bordaient le cliché laissaient deviner la triste réalité. Cette vision les déchira. Irène Tasselier se leva précipitamment, faisant tomber sa chaise, et se réfugia dans la cuisine où elle laissa libre cours à sa douleur. Francis Tasselier dut alors fournir un effort colossal pour donner la confirmation attendue :

— C’est elle, c’est mon Iris. Est-ce qu’elle a été…

Des sanglots étouffèrent la fin de sa phrase.

— Victime d’un meurtre ? compléta Laura. Nous le pensons. Êtes-vous prêts à répondre à quelques questions ?

Il acquiesça.

— Le corps de votre fille a été retrouvé sur le quai Saint-Bernard, en face du Jardin des Plantes. Savez-vous ce qu’elle faisait là-bas, hier soir ?

Il fit non de la tête.

— Est-ce qu’elle passait souvent dans le quartier ?

— Aucune idée, balbutia-t-il. Elle ne m’en a pas parlé. En même temps, elle ne nous disait pas tout. Vous devriez plutôt interroger Pauline et Annabelle, ses deux meilleures amies. Elles font leurs études ensemble. Nous, on voyait Iris seulement le week-end.

— Votre fille n’habitait pas avec vous ?

— Non, Iris avait une petite chambre de bonne dans le Quartier latin. C’était plus pratique pour elle, vu qu’elle étudiait à Paris. Ça lui évitait de faire l’aller-retour tous les jours. Le RER n’est pas loin, mais ça prend quand même longtemps pour venir ici. Surtout en cas de retard, ou de grève… En plus, elle finissait parfois tard. Dans ces moments-là, elle n’était pas très rassurée, seule dans son train. Du coup, en deuxième année, elle a préféré louer une chambre près de la fac.

— Quand rentrait-elle, exactement ?

— Elle arrivait le samedi soir et repartait le lundi matin. Ça lui laissait le temps de passer chez elle rapidement pour poser ses affaires, avant d’aller en cours.

— Qu’étudiait-elle ?

— L’histoire et la géographie. Elle préparait le Capes à l’ESPÉ de Paris.

Des larmes emplirent sa voix, faisant écho aux pleurs venant de la cuisine.

— L’ESPÉ ? répéta Laura pour l’encourager à poursuivre.

— C’est l’école qui forme les futurs professeurs. Elle se destinait à l’enseignement, c’était son rêve depuis toujours. Déjà, quand elle était petite, elle…

Francis Tasselier, effondré, ne put finir sa phrase. Il revoyait sa fille, debout devant son lit, faisant la classe à ses poupées et doudous sagement alignés face à elle. Iris était une enfant tellement gentille, tellement généreuse, tellement aimante ! Aucun élève ne profiterait de cette bonté, maintenant.

— Où étudiait-elle ? demanda doucement Laura. Dans le Quartier latin ?

Brusquement tiré de ses pensées, Francis Tasselier observa son interlocutrice. Elle devait avoir une dizaine d’années de plus qu’Iris. Jamais son petit ange n’atteindrait cet âge-là. Elle ne deviendrait jamais trentenaire, ne se marierait jamais et n’aurait jamais d’enfants.

Ses yeux s’embuèrent.

Consciente de son trouble, Laura lui proposa de faire une pause. Il refusa, mieux valait en finir. Il fournit un gros effort pour se ressaisir et lui fit répéter la question.

— Je vous demandais où étudiait votre fille. Vous nous avez dit qu’elle habitait dans le Quartier latin, j’imagine que son école se situait dans les environs.

— Non. Iris a suivi une licence d’histoire-géographie à la Sorbonne, mais son ESPÉ se trouve dans le 16e arrondissement.

— Ce n’est pas la porte à côté. Elle ne voulait pas se rapprocher ?

— Non. Elle aimait bien son logement, même s’il était petit, et elle adorait le quartier. En plus, son travail n’était pas loin, donc ça lui allait.

— Elle travaillait ? s’étonna Laura. Que faisait-elle ?

— Iris était serveuse à temps partiel dans une brasserie, près de la Sorbonne. Elle avait dû prendre cet emploi quand elle a emménagé à Paris. C’est une ville qui coûte cher, vous savez, et nous ne sommes pas assez riches pour subvenir à tous ses besoins. Enfin… nous n’étions pas assez riches.

Sa voix chevrota. Parler de sa fille au passé confinait à la torture.

Irène Tasselier, qui les avait rejoints en silence, perçut la détresse de son époux. Elle posa une main rassurante sur son épaule et poursuivit à sa place :

— Nous pouvions lui payer son loyer, mais c’est tout. Pour le reste, Iris avait son salaire.

— Travaillait-elle souvent à la brasserie ?

— Elle y allait deux soirs par semaine, les mardis et mercredis. Elle servait aussi le samedi midi. C’est pour ça qu’elle ne rentrait ici que le samedi soir.

N’ayant plus de question à poser, Laura se tourna vers son coéquipier pour savoir s’il en avait. Il répondit d’un signe de tête négatif.

Elle demanda à voir la chambre d’Iris, Irène l’y conduisit en silence.

La pièce était rectangulaire, fonctionnelle et de bon goût. Derrière la porte, un grand bureau envahissait l’espace. En surplomb, trois étagères ployaient sous le poids des ouvrages amoncelés par l’étudiante. Sur celle du haut, Iris avait soigneusement rangé ses livres d’histoire dans l’ordre chronologique ; ceux de géographie occupaient le niveau du dessous ; le bas était réservé aux recueils de didactique et aux classeurs.

— Ce sont les livres et les cours de licence d’Iris, expliqua Irène Tasselier. Elle n’en avait plus besoin, mais elle voulait les garder tant qu’elle n’avait pas fini ses études. Elle était comme ça, prévoyante et organisée. Tout le reste est dans sa chambre, à Paris.

Laura regarda son hôtesse, qui se tenait immobile dans l’embrasure de la porte. Les larmes s’étaient taries. Ses yeux exprimaient à présent une profonde tristesse mâtinée de découragement.

— Que vais-je faire de tout ça ? soupira-t-elle.

Laura ne releva pas. Elle se contenta de l’observer, ne sachant quelle conduite adopter. En tant que femme, elle aurait voulu la soutenir, essayer d’atténuer sa peine. En tant qu’enquêtrice, elle avait un tout autre rôle à jouer. Elle devait en apprendre davantage sur la victime et conserver une certaine distance, quels que soient ses sentiments.

— Parlez-moi d’Iris, dit-elle finalement. J’aimerais savoir quelle personne elle était.

Irène Tasselier prit son temps avant de répondre, cherchant les mots qui rendraient justice à son enfant.

— Iris était merveilleuse. Tous les parents disent ça, mais, dans son cas, c’était vrai. Elle était intelligente, drôle, empathique. Et tellement gentille ! Tout le monde l’adorait, les petits surtout, et c’était largement réciproque. Elle aimait se rendre utile, aussi. Je crois que sa vocation vient de là. Elle espérait contribuer à construire un bel avenir pour ses futurs élèves. Je suis sûre qu’elle aurait fait un excellent professeur !

— Si elle appréciait les enfants, pourquoi choisir d’enseigner l’histoire et la géographie à des adolescents ?

— Elle voulait exercer au collège, même si les collégiens ont la réputation d’être très difficiles à gérer. Elle disait qu’à cet âge, les jeunes sont encore des enfants sous leurs airs d’ados, et elle désirait les accompagner dans ces années charnières.

— Elle avait du courage.

— Oh oui ! Elle en avait beaucoup. Il lui en fallait pour suivre ses cours tout en travaillant à la brasserie. En plus, elle ne se plaignait jamais. Elle me rendait tellement fière !

Irène Tasselier étouffa un sanglot. Employer le passé pour parler de sa fille la mettait au supplice.

— Savez-vous si elle avait des ennemis ?

— Pas à ma connaissance. Je vous l’ai dit, tout le monde aimait Iris.

Laura comprit qu’elle n’apprendrait rien de plus. Irène Tasselier semblait persuadée que son enfant était un ange. Avait-elle raison ? La suite de l’enquête permettrait d’y voir plus clair. En attendant, elle comptait examiner les effets personnels de l’étudiante. L’exercice serait peut-être instructif.

Elle remercia son hôtesse qui s’éclipsa à ce signal pour préparer du thé, incapable de regarder une étrangère inspecter les affaires de sa fille. C’était trop tôt.

Après son départ, Laura se mit à l’ouvrage. Elle commença à fouiller le bureau sans y trouver d’éléments susceptibles de l’aider. Le meuble ne renfermait que des objets communs (dictionnaire, feuilles, pochettes, petit matériel). Elle se tourna alors vers les deux armoires en bois qui jouxtaient la fenêtre. L’enquêtrice ouvrit d’abord celle dont la porte s’ornait d’un miroir et découvrit une penderie abritant un joli manteau à col rond, une robe bleue très chic et une paire d’escarpins assortis. Une tenue qu’Iris avait vraisemblablement portée pour une occasion spéciale. Laura examina ensuite le haut de l’autre armoire dont le contenu se limitait à deux gros chandails, quelques vieux pantalons de jogging, une pile de tee-shirts, des sous-vêtements et un grand châle. Rien de bien utile.

L’inspection des tiroirs occupant le bas du meuble s’avéra plus intéressante. Laura y trouva une foule de lettres, divers documents et de menus objets, qui lui donnèrent un bon aperçu de la vie d’Iris. Tout indiquait une enfance riche et joyeuse. Malgré leurs moyens limités, ses parents lui avaient offert des expériences aussi diverses que la visite du zoo de La Flèche, l’exploration des grottes de Lascaux ou l’ascension du Dôme des Écrins. La jeune femme avait skié dans les Alpes, fait de la planche à voile en Bretagne, appris le tir à l’arc, et même voyagé en Europe, sillonnant l’Italie en camping-car ou dormant chez l’habitant en Andalousie.

Laura ouvrit ensuite la petite table de chevet qui jouxtait le lit. Vide. Elle n’en fut pas étonnée outre mesure. L’étudiante ne vivant plus chez ses parents à plein temps, elle devait conserver ses affaires dans sa chambre parisienne.