Fils amants - Thomas Moritz - E-Book

Fils amants E-Book

Thomas Moritz

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Beschreibung

"Fils amants" est une collection de nouvelles qui raconte des moments de vie où se mêlent les petits plaisirs et les rencontres en clair-obscur. Entre la nature, les histoires de jeunesse et les relations familiales, chaque scène ajoute de la beauté à l’ensemble.

 À PROPOS DE L'AUTEUR 

Thomas Moritz se nourrit de la lente déambulation des mots, savourant leur sobriété qui invite au silence fertile de l’imagination. Pour lui, ces mots qui avancent avec une cadence apaisante sont les artisans de la contemplation et du rêve éveillé, comme en témoigne "Fils amants".

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Seitenzahl: 85

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Thomas Moritz

Fils amants

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Thomas Moritz

ISBN : 979-10-422-2188-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

D’aiguilles en fil

La mélodie rythmée d’une machine à coudre emplit le jardin d’hiver, endolori de rêves embués.

Ils me caressent, émoustillent mon imagination.

Me frayer un intime chemin en ce feuillage vert bleuté.

Levée bien avant les aurores, elle est à sa place habituelle, droite, précautionneuse du moindre de ses gestes. Elle est rivée à son antique machine à coudre. Son ombre se découpe sur le carter crème de son inséparable compagne : une Singer. Seules ses mains bougent, mettent en mouvement un tissu que je croyais disparu, mis au rebut. En fait, un de ces chiffons dont notre bonnetière est remplie.

Me voit-elle, immergée en son travail, envoûtée par le rythme de l’aiguille, par son battement débridé sur la canette ? Elle appuie sur la pédale : cadencement épousant les contours de la pièce de tissu. Le moteur, les courroies, le volant, les arbres d’entraînement, les axes horizontaux et verticaux, la manivelle, toute la complexité de cette mécanique si simple en apparence, répondent avec docilité à la semelle des mules que je lui ai toujours connues.

Maman dit qu’elle fait corps avec sa Singer, reine en cette serre qu’elle quitte à regret pour nos repas et pour se coucher. À mon sens, c’est la machine qui fait corps avec elle, qui obéit à son moindre appui, à ses injonctions invisibles, à son magnétisme silencieux.

Dès l’aube, ses longs cheveux gris s’assagissent autour d’un impeccable chignon, lui conférant une douce rigueur. Ses doigts noueux, déformés en coup de vent, commandent sans effort la machine. Aujourd’hui, elle a mis son collier émeraude sur son chandail gris, camaïeu mettant en valeur son regard clair.

Que faire ?

Hypnotisée par cette scène, j’hésite à la déranger, à l’interrompre.

Attirée malgré moi, je m’approche d’elle à pas de sioux, tel un éclaireur circonspect.

Mes efforts de camouflage sont vite démasqués : bruissement des feuilles de l’Aralia du Japon… deux ou trois sphères noires en tombent, roulent sur le parquet. L’équilibre parfait du temps est rompu… le chat au pelage d’hiver lève un œil, s’étire, miaule, dérangé dans son juste sommeil après une nuit vagabonde.

Nullement étonnée, de sa voix chaude, grand-mère me demande de lui faire un câlin, de l’embrasser.

***

Pourquoi le vent se lève-t-il à cet instant ?

À mes pieds, le faîte des mimosas oscille, serpent géant dans la vallée perdue venant se fracasser contre les falaises crayeuses où j’ai installé mon campement.

Je ressens le tremblement du filin, indocile, en prise avec ce souffle thermique annonçant le proche coucher du soleil.

Toutes les conditions sont réunies pour que ma tentative de franchir cette étroite vallée vire au drame. Pas d’équipe pour m’accompagner, aucun secours à proximité. Je compte sur mon équilibre félin, mon mousqueton et ma bonne étoile.

Toujours avancer. Penser à grand-mère, au rythme de sa machine, mélodie ancienne et si présente.

Ne jamais s’immobiliser, regarder le pin sylvestre, sentinelle extrême de mon périple.

Oublier le serpent jaune en contrebas, prêt à m’engloutir.

Lever le pied arrière juste ce qu’il faut. Arrêter de respirer. Poser la pointe de pied au-devant du fil, ensuite la voûte plantaire et enfin le talon. Ce schéma tellement répété qu’il en est devenu atavique, un fil cousu sur un ourlet.

Puis recommencer, sans penser au vide, à la fatigue, aux muscles crispés, transis par l’humidité et le froid dévalant des montagnes enneigées.

Cheminer, ne rien céder aux éléments vertigineux et attirants, au frémissement envoûtant des mimosas, formes sombres, craquelant sous l’emprise du vent. La vallée gravitaire bruisse, m’appelle. Ma promesse, celle du sang, résiste à cette sombre attraction.

Ce serait si tentant de céder à la dérive des larmes…

***

Je prends grand-mère dans mes bras.

Les siens bien que fins dégagent une force surnaturelle. Et que dire de son regard bleu acier, reflétant toutes les nuances de l’aube filtrées à travers la verrière ? Pourtant, je ne résiste pas à me lover en son chandail, à passer mes mains entre son collier et sa nuque, à sentir son parfum léger évoquant un soir de printemps, de pivoines éternelles.

À quoi va servir ce tissu grand-mère ?

C’est une salopette pour ton petit frère.

Ces rayures blanches et orange iront si bien avec ses yeux bleus, j’ai hâte qu’il la porte.

Sois un peu patiente, Libellule. Tu voudrais toujours que tout soit terminé avant même de commencer. Je te le promets, elle sera bientôt prête si tu me laisses poursuivre mon ouvrage. Il fait doux ce matin, profite vite de ta corde pendant que tes parents dorment. Ta maman s’effraie de tes acrobaties, même à quelques centimètres au-dessus de la pelouse tendre. La perspective d’une entorse l’angoisse…

Et Papa pense que j’abîme le tronc de ses arbres vénérés avec ma corde…

Ils en ont vu d’autres, tu sais. Enfant, je venais jouer avec mes amis ici, en bordure du grand domaine. N’aie crainte, ils ne te lâcheront pas. Ce fil représente ta ligne de vie.

Mon étreinte se desserre malgré moi, mais la chaleur de grand-mère reste en mon corps, dans mes membres.

Avant de grimper sur le fil, de tutoyer mes sommets enfantins, mes yeux d’enfant se posent sur grand-mère, absorbée sur son ouvrage, appuyant en rythme sur sa pédale, imprimant sa mélodie couturière jusque dans les frondaisons du jardin.

Elle me l’a dit : le temps n’a pas de prise sur sa machine à coudre ni sur elle.

Pourtant, à travers la transparence de la véranda assombrie des lianes, je la sens fragile. Les fougères noires veulent l’ensevelir, la mêler à leur humus.

***

Mes pieds tremblent, mais tiennent bon : souplesse dans la fermeté, visage détendu, concentration à son paroxysme.

Le soleil en son dernier rayon ébrèche de rouge sanguin la vallée et dédore les mimosas.

Sans m’arrêter, je tire devant moi le tissu que je porte en bandoulière, je le déplie de mes doigts engourdis.

Les cendres hésitent à quitter leur habit aux rayures blanches et orange, puis s’envolent vers l’obscurité. Leur gris bleu se mélange aux pastels violacés de la nuit tombante.

Adieu, Petit-Frère ! 

Lever le pied arrière…

Continuer en rythme.

Je suis l’aiguille qui jamais ne se sépare du fil.

Balles de break

Nous sommes quatre, un peu foutraques, un peu gauches, vaguement à droite, doués en amitié, un peu moins en amour.

Des mecs comme les autres et pas vraiment, ayant au seuil de la quarantaine réussis assez leur vie pour être à l’aise, mais pas au point de se prendre la tête.

Avec leurs petites lubies et encore quelques rêves à étancher.

Nous nous sommes trouvés à la Fac, perdus en construisant nos familles et retrouvés en divorçant dans le même tempo-allegro. Télépathie amicale ?

Tous les vendredis soir, nous finissons notre semaine tertiaire sur la terre battue. C’est un terrain aux gradins mouchetés de pissenlits, un club au-delà du périphérique.

Nous jouons en double, pour le plaisir, mais motivés aussi pour une petite victoire volée aux années que nous ne voyons pas passer.

Sur le terrain, nous ne nous ressemblons pas : palette variée du gaucher tout en slice au crocodile terrien calculateur, en passant par le volleyeur impénitent et moi le relanceur émotif.

Nous nous complaisons en nos différences.

Cette fin de journée d’automne s’allonge, somptueuse.

Le feuillage aux ors soyeux des marronniers accompagne le flamboiement crépusculaire.

Nous jouons avec les contrastes, le clair-obscur, les ombres vespérales, en taquinant les lignes et la bande du filet.

Nous sommes les quatre au diapason, au meilleur de notre forme, tellement concentrés, tellement appliqués que nous ne contestons pas un seul point, sans même nous chambrer pour un bois, une balle décentrée ou direct dans la bâche.

La partie est acharnée. La nuit tombe vite, trop vite, implacable.

À 6/6 dans letroisième, notre gaucher nous rappelle qu’une bonne table nous attend. Il serait dommage de ne pas profiter d’une terrasse en ce come-back estival.

Finalement, cela nous arrange ce soir de ne pas nous départager, d’en rester sur cette égalité merveilleuse… pour l’éternité.

On prend notre douche dare-dare.

Toi l’écolo, on est à la bourre alors tu laisses ton vélo quelque part dans le club-house et tu nous fais l’honneur de monter avec nous, n’en déplaise à tes principes de midinette !

Je m’exécute sans discuter. En plus, je crois que j’ai crevé à l’avant.

***

Le périphérique est fluide et s’entiche de la lumière de la ville scintillante.

Périphérique intérieur, Porte de… On s’enfonce dans la capitale avec une facilité quasi mortelle, comme dirait mon ado de fils.

Pas simple de se garer, mais la voiture n’est pas encombrante. Elle en a vu d’autres côtés carrosserie et un bout de trottoir de biais fera bien l’affaire. La maréchaussée doit aussi profiter de cette douce soirée et regarder le match de l’Équipe de France avec une bière pression bien fraîche. Autre chose à faire que de nous verbaliser, de nous enquiquiner.

Nos places sont avancées en terrasse, en première ligne pour mater les passants enjoués, enfin plutôt les passantes. Ce soir, toutes les femmes sont jolies et dérèglent encore plus le climat.

Un mur couvert de lierre sombre jouxte notre table. Il apporte une fraîcheur délicate.

Je ne sais pourquoi, je ressens dans le bruissement du vent dans le feuillage comme une sourde menace.