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Né par hasard, il s'est affairé, sa vie durant, à réparer la poupée cassée. Á la recherche de ce qu'est aimer, le personnage nous entraîne dans sa vie construite et reconstruite autour de ses bibliothèques dans un parcours de vie, un labyrinthe dont il cherche l'issue. Un portrait âpre, épuré, sensible, à lire telle une calligraphie de la vie. Autodidacte, Patrice Szinétar a un parcours de vie fait de multiplicité. Chercheur de la vie, il s'est construit autour de la philosophie et de la poésie qui ont été ses lumières, ses phares sur toutes les mers qu'il a abordées.
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Seitenzahl: 160
Veröffentlichungsjahr: 2024
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À mes amours
Avant-propos
La bibliothèque insolite
Sur les chemins tracés de la poupée cassée
Livre I — L’épicerie
Les arbres noirs
Livre II — Qu’est-ce que je fais là ?
Là
Livre III — Le divin et la mort
Forêts intimes
Livre IV — Épopées marines
Réveil
Espaces à bord
Perle des mers
Livre V — Le pas de côté
Désirs
Livre VI — Voyages de chercheur
Ailleurs
Livre VII — Nomade dans les mystères de la pensée
L’impatience
Chiche
Livre VIII — Aimer ?
La terrasse de café a ses insomnies
Livre IX — Dans le labyrinthe, le retour des parents
La bibliothèque du bout du cœur
Sur les sentiers choisis
Livre X — Une vraie fausse famille
Sur le fil
Livre XI — Un enfant ?
Douce insomnie
Livre XII — La tribu
Les ombres du présent ornent nos mémoires
Livre XIII — Amitiés
Les secrets de l’île
Livre XIV — Elles
Post-scriptum
Quatorze livres le regardent sur les étagères cirées de ses bibliothèques intimes. Chacun renferme un pan de vie, de sa vie.
Ces livres, anciens déjà, lui servent de références.
Ils se juxtaposent, se croisent, se suivent parfois. Certains ne sont pas encore complètement achevés, ils le seront bientôt. Ils composent un ensemble, donnant une cohérence à ce qu’il est devenu.
Le voici amené à les lire maintenant, ou plutôt à les relire. Il lit du regard du présent, dans une mémoire sélective de l’histoire, ce qui a été écrit sur le chemin des pages. Il les lit à travers les miroirs du temps.
Que reste-t-il de tous ces livres ? Une bibliothèque de l’imaginaire ? Une histoire remodelée à sa convenance ?
Lorsque le temps est laissé aux souvenirs, chaque relecture d’un livre interpelle l’indicible de façon différente. Le livre est autre. Que sont ses livres devenus ?
Pourtant, ces livres poussiéreux, n’ont pas changé. La vie se déroule en sens unique. À chaque livre relu, il la prend à contresens. À chaque livre fermé, que lui reste-t-il ? À chaque « fin », le passé a subi une transformation silencieuse dans sa maison des souvenirs. À chaque livre ancien remis sur l’étagère, un nouveau présent lui est offert.
Lire, écrire ne sont pas séparables. De ses relectures, s’est imposée, comme une nécesité, une réécriture, qui n’est pas une réécriture de l’histoire mais un nouveau regard du présent sur le passé. L’histoire ne s’est pas transformée, elle est dans ce recueil, éclairée par la poésie et la phisosophie de la vie vécue.
« La bibliothèque insolite » est composée de neuf livres relatant « Les chemins tracés de la poupée cassée », écrits en marchant, en naviguant, à vue souvent, sans trop de repères, sans trop d’amers, dit-on en mer. Sans carte préétablie. Il n’a pas trouvé le GPS de la vie.
« La bibliothèque du bout du cœur » est composée de cinq livres, arpentant les routes de traverse escarpés du devenir : « Sur les sentiers choisis ». Il ne sont aucunement un récit de vie, ils empruntent les sentiers parcourus. Les randonnées du passé ont peint leurs paysages. De ses escalades, de ses balades, de ses courses effrénées aux raisons futiles, de ses haltes sur le bord des émotions, il s’est nourri, il a cherché le sens de la vie, de sa vie qui n’est autre que vivre.
Le chemin s’est dessiné dans ce mouvement, comme un destin naissant à chaque instant, un destin du passé.
C’est le chemin qui compte, qui a de la valeur, dit-on. Peu importe où l’on va pourvu que la monture tienne la route. Il sait ce qu’il y a au bout du trajet.
Mais avant d’arriver, que de portes, de ponts à franchir. Ces passages sont des épreuves d’initiation, qui le font renaître avec l’humilité d’un nouvel enfant devant encore chercher.
Chercher ce qu’est aimer.
La relecture de ses livres pourrait faire penser qu’il a réussi à laisser passer son passé avec force, courage, surmontant les épreuves. Ce serait oublier, tout au long de ses chemins, sa difficulté d’être, omniprésente, sa mélancolie, qu’il porte comme un sac de pierres dans sa poitrine. La difficulté d’être et d’aimer fait encore partie de ses démons.
Il est resté avec cette gravité intérieure que ses amis, ses amours lui connaissent. Sous ses gais allants, son entrain de constructeur, de bâtisseur, de persévérance sur ce qu’il souhaite, se cachent encore les résurgences de ses échecs répétés.
Vigilance est le nom de son Jimini Cricket. Son petit grillon chante souvent, même les jours de pluie.
Il a appris, certes, mais apprenez la politesse à un ours, il n’en demeure pas moins un ours. Il ne sait toujours pas comment faire avec les autres. Il s’y efforce.
Quant à aimer, partant du non avenu, il explore encore la complexité tout en se laissant aller à l’improbable de la physique quantique ; il explore les vibrations invisibles des sentiments. D’Ovide à Jean Genet, il a lu l’art d’aimer. Il ne l’a pas eu. Il sait que ce n’est pas un savoir-faire, mais que le savoir-être n’a qu’à bien se tenir face à ses émotions.
L’expérience du retour lui a fait découvrir une autre vision. C’est de ce retournement qu’il s’agit. Le passé est sans retour. Sans effacement aussi. Il se retourne sans revenir en arrière. Tel Orphée aux portes de l’Hadès, sa poésie brave l’interdit, insiste du regard. Son premier pas se perd dans le vide sidéral.
Alors, la mémoire se déplace.
Dans ses multiples chemins, désertiques, forestiers, montagneux, urbains, parfois faits de ronces et d’orties, chacun lié à l’autre, est né cette nécessité d’écrire, avec la paisible lenteur de la vieillesse.
Sa vie est faite d’histoires, de petites histoires. Si on y décèle une grandeur, ce n’est qu’une partie de la perception qu’il en a, passant parfois de la médiocrité à la beauté, ou l’inverse.
Ses petites histoires consignées sont reliées par le temps, certes, mais surtout par la construction de sa vie de nomade, d’autodidacte, bâtie chemin faisant. Le fil rouge de la vie l’amènera à sortir du labyrinthe de sa vie. À ce titre, il lui importe que ses commentaires sur l’indicible aient été ses raisons d’être.
Écrire est une mise en scène. Il s’y est risqué. Quelques poésies ponctuent ses livres. Le trac s’invite entre les lignes. Les mots sont les projecteurs de l’intime, les phrases sont les mélodies de ses musiques intérieures.
Pas de miroir à l’image inversée, il passe à travers. De l’autre côté, il n’y a plus de temps. L’écriture est à lire ici en sens inverse, avec l’ironie du présent.
Ce livre d’histoires d’une vie aurait pu être son histoire. Il n’en est rien. C’est un prétexte, une fresque, pour essayer d’énoncer un regard sur l’essentiel invisible, quelques mots blessés, guéris, expirés qui pourraient servir de piliers poétiques à l’âme ensevelie.
« Puisque nous ne pouvons gérer l’absurde, feignons d’en être l’organisateur. »
Jean Cocteau
« Le cœur de ceux que nous aimons
est notre vraie demeure. »
Christian Bobin
« Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. » Mallarmé
Le petit appartement parisien au-dessus de l’épicerie est déjà trop occupé. Pas de place. Un père, un frère et une sœur l’attendent. Il le suppose.
Sur les étagères de la bibliothèque du passé familial, de nombreux livres : mythes ou réalités ? Ils sont aussi terribles et sécurisants que des contes pour enfants. Bien plus tard, il lira ces livres d’histoires sans paroles. Aucune lecture, pas d’histoire pour s’endormir. Ils sont là, tels des pots de fleurs vides. Ni fleur, ni mauvaise herbe. Sous la terre silencieuse, quelques réponses arrachées au temps. Les origines suffisent pour façonner l’imaginaire d’un « là d’où je viens ». Un « sans racine ». Les racines appartiennent aux arbres qui ne marchent pas. Que faut-il pour s’inscrire dans l’histoire ?
Sa naissance imprévue tient du hasard de l’Histoire. Il aurait pu « être » breton par sa mère, hongrois par son père. Il aurait pu « être » marin ou tzigane pour suivre les traces de ses grands-parents, suivre les lignes fluctuantes de la limite de la terre au gré des marées, regardant là-bas, l’horizon, toujours inatteignable. Sans passé, le présent pour boussole, il a marché, il a navigué, sans hâte, en équilibre, souvent en déséquilibre, parfois en harmonie. Le nomadisme des terres et celui des mers ont construit ses chemins de vie. Son nomadisme s’est inscrit sur la voûte étoilée de ses pensées.
Il aurait pu « être » de confession catholique comme sa mère ou juive comme son père. Ils avaient choisi de ne pas choisir, de n’en choisir aucune, c’était plus simple ! se sont-ils dit. Il est toujours « sans religion » cela lui suffit. Sans racine, sans religion ; ces absences sont constituantes. Le vide sidéral laisse la place à tous les possibles. Naître sans rien être.
Ce n’était pas le moment. Petit appartement de deux pièces, il n’y avait ni le temps, ni la place, ni… le désir. Les rosés des prés naissent dans les caves de Paris sous le nom commun « champignons de Paris ». Dans l’après-guerre, Bébé Ogino était un nom aussi commun. Le dernier et troisième de la famille. Sa mère aurait pu l’appeler « Pas-trois », « Pas-tri ». Le choix d’un prénom n’est jamais un hasard. Il est né Pa.
Comme une négation inscrite à chaque appel de son prénom.
Il a grandi sans le savoir. Pour lui, la conscience de soi est dans le regard des autres. Miroir où es-tu ?
Par hasard aussi, à trente ans, l’histoire dévoilée, tel le vacarme d’un avion à réaction surgissant à basse altitude d’on ne sait où... Le ciel de son enfance se déchire et s’éclaire, laissant apparaître un placement en famille nourricière, de la naissance jusqu’à l’âge de deux ans. Aucun souvenir. Se souvient-on de ce que l’on n’a pas vécu ?
Crac !
Comme disent les psys, il a dû se construire « positivement ». Avec beaucoup de tendresse de la nounou du Morvan. La mère est satisfaite, tout va bien, son fils est bien nourri et bien propre.
À deux ans, il devient dix-neuvièmiste. Un nouvel appartement pouvant l’accueillir. L’accueillir chez eux. Les inconnus. Chez eux n’a jamais été chez lui. « Mon chez-moi s’est construit en moi » ressentait-il.
Crac !
Dans ses débuts de nomade, l’abandon pour tout bagage lui tient la main. On ne voyage jamais seul. On voyage toujours avec soi.
Trente années sans comprendre, lorsqu’un médecin lui demande l’historique de santé de sa petite enfance. Seule la mère, Elle, peut répondre. Pa lui demande. La réponse est rapide, cinglante, par lettre qui lui est envoyée... à l’adresse du médecin : « M. le docteur, Pa était un enfant que je n’ai jamais compris... »
Crac !
Trente ans sans comprendre, trois ans de thérapie. Pa et sa mère, deux notes qui n’ont pu s’accorder, dès le premier souffle. Deux notes qui ne peuvent former un accord, ni mineur, ni majeur. Vivre en discordance, cela s’apprend. Il continue sa quête d’harmonie, cet art d’assembler les dissonances.
Apparaissent les clés de ses mystères. Pourquoi lui fallait-il démonter, casser, comprendre comment-ça-marche, le fonctionnement, le système ? Réparer, réparer, réparer.
À trois ans, l’intérieur de ses jouets n’a plus de secret. Tout est démonté. Lui aussi.
Les adultes s’amusent parfois des drames des enfants.
Sa mère prenait plaisir à raconter : À quatre ans, Pa s’est perdu. (Ou ils l’ont perdu, qui sait ?) De multiples recherches sans succès avant le commissariat. « Désolé, nous n’avons pas de Pa. » Ils insistent et donne son signalement. « Nous avons un petit garçon qui correspond, mais il s’appelle Jacquot. »
Ils sont venus vers lui. Il n’a pas tourné la tête. Il a continué à jouer aux dames avec le policier. Ils ont dû prouver, papier en main, qu’il était bien leur fils. Le drame, pour Elle, est devenu une anecdote, l’anecdote pour lui est devenue un drame.
Le virement de bord ne réunit pas les opposés.
Cette histoire semblait si amusante pour tous. Pas pour lui, la tristesse a rempli la coupe des émotions. Aujourd’hui, elle l’amuse aussi par son retournement. Il ne joue plus aux dames avec les policiers.
La violence appelle la violence, il casse, il brise. « Brise-tout » l’appelait son père, ou parfois Jacquot, ou par bien d’autres noms. Rarement Pa. Un prénom cimente le corps de l’existence. Pa, c’est lui. À côté de lui, il y a ces inconnus aux noms divers qui ne le concernent pas. « Brise-fer », c’était comme un encouragement.
Six ans, à l’écart, il regarde le fonctionnement de « la » famille. Il ne pourra pas dire « ma famille ». Une famille, ça s’imagine toujours un peu pour certains, ça s’invente beaucoup pour d’autres.
Huit ans, l’âge des premiers choix. Il demande aux amis de ses parents de l’adopter. Ils ont beaucoup ri. Il a pleuré à l’intérieur des yeux.
Y’a quelqu'un ? Personne. Plus personne.
Crac !
Au clocher du village de son enfance, l’heure tourne mal. Il a mal tourné. Le vol, pour récupérer ce qu’il n’a pas eu par ailleurs. La tendresse ne se vole pas, elle se venge parfois. Un jour, après le collège, il se fait arrêter, « vol-à-la-tire » (une belle expression qu’il affectait). À la sortie du commissariat, Pa et son père marchent pour revenir « chez eux ». Pas un mot. Côte à côte, c’est si rare que cela aurait pu être un bonheur. Le silence est lourd. Je vais me faire sonner les cloches. Il s’attend à une violente raclée. Sans un regard la phrase tombe d’en haut : « Tu n’es même pas assez intelligent pour voler. »
Crac !
Dans le bon sens cette fois. Le crac d’une fracture que l’on remet en place. Ça fait mal, mais…
Il se vit seul. Solitude imposée ! Solitude choisie ! « La solitude est l’affaire des solitaires », disait Jean Cocteau. Il l’a faite sienne. Auto-défense, autodidacte, jeux solitaires, plaisirs cachés et la beauté des choses pour ses rêves d’enfant. Grandir pour ne plus dépendre. Grandir seul. L’indépendance est sa liberté. La confiance n’est pas au rendez-vous de son enfance. Elle est passée devant sa porte fermée. Il faut du temps, de l’âge, pour passer de la méfiance à la vigilance.
En Bretagne, chaque année, les enfants partaient en vacances, dans la maison de la grand-mère avec « leurs » parents. Ils choisirent, pour lui, chaque été pendant huit années, un placement en famille d’accueil à la campagne. Trois enfants cela faisait-il trop ? « Pas-tri ». Trop pour qui ? Tout est justifiable, rien n’est juste. Il ne s’est pas vécu de trop, mais en dehors. Dehors restera sa maison. La place ne manque pas, il trouvera la sienne dans les insterstices.
Plus tard, comme de nombreux Parisiens ouvriers, la famille est partie en vacances en pension à Rimini, en Italie. Pré-ado, il a douze ans, les parents lui demandent s’il veut venir avec eux. Non ! Il était trop tard, le désir est un blanc monté en neige, il ne suffit pas de casser les œufs. Il ne peut que souhaiter revoir ses copains des années passées, repartir dans les Landes en placement familial. « Tu as choisi » lui a-t-elle dit plus tard. Vrai ? De quel choix parlait-elle ?
Quatorze ans, comme d’habitude, il a dépassé les limites. La limite d’âge des placements, cette fois. Plus de choix. Ni pour eux, ni pour lui. Il « fait » ses premières vacances en famille. Enfin, pas trop en famille... Comme un ado... Il avait plus à réparer qu’à détruire et pas encore à construire.
La colère est en lui avec ses cris d’oiseaux. Le goût de l’injustice a toujours cette âpreté dans sa bouche. Même si la colère est passée, même si, sans nul doute, ils ont fait de leur mieux avec ce qu’ils étaient. À l’époque, en Bretagne, par tradition, les mères nourricières étaient une affaire courante. Sa grand-mère l’avait été, en son temps. Dans le Morvan, où il a été placé, mère nourricière était un métier. Il arrive qu’elle devienne une vraie mère... Côté paternel, dans les plaines hongroises, au pied de la Forêt-Noire, les enfants s’élevaient tout seuls. Tout était donc normal. Les traditions ont brisé tant d’enfants.
La colère, il l’a traînée toute son enfance, comme une pulsion de vie. Jamais contre lui, c’était son côté chat, sans doute. Fuir, garder l’indifférence, a rendu la colère impossible contre eux. Mais en dehors, elle a pris tous les aspects. La colère contre les faits, contre les situations de l’absurdité et de l’injustice, contre les enchaînements systémiques qu’il « démonte » encore pour arrêter la machine infernale. Et plus tard contre la société.
Colère impossible, interdite, le regard terrorisé, figé par la violence de cet homme, le père. Comment ne pas se souvenir de la ceinture fendant l’air, flagellant son fils, l’aîné, le grand frère se protégeant la face sur le sol de l’entrée de l’appartement. Encore et encore lui, lançant le fer à repasser à la figure de sa femme. Par maladresse, peut-être, le fer n’atteignit que la fenêtre de la cuisine ouverte. « Pa, va rechercher le fer dans la cour ! » Belle occasion pour prendre l’air.
Juste des petits cracs.
Et tous ces éclats de voix pour si peu, telle la sauce trop vinaigrée… Il lui a fallu du temps pour comprendre qu’il se jouait là autre chose que quelques gouttes de vinaigre, pour cet homme, entre mari et femme, dans ces hurlements.
L’ennui dans le quotidien, c’est que c’est tous les jours. Inéluctablement, pour ne pas être terrorisé, il est devenu sourd à leurs mots, à leurs maux. Lui, le cadet, n’a jamais été violenté. Il appréhende la terreur comme l’érotisme de la violence réelle. Sa sœur suggère que sa mère le protégeait de cela. Pourtant, les marques sont inscrites sur la peau lacérée de sa sensibilité. Il y a des films d’horreur plus violents que les actes. La mémoire a ses cicatrices.
La carafe de verre se fissure, sans bruit, mille éclats la constituent, sa transparence s’estompe. Les petits cracs du quotidien sont des gravures sur verre dissimulant tous les contenus.
Jamais de plainte.
La violence, encore, à l’école. Incapable de se battre et de se défendre. Incapable de violence, une unique voie de survie : subir celle des autres. Parfois la haine. La haine contenue. Toujours en fin de liste dans le classement scolaire. Avant-dernier, jamais dernier. « On a notre honneur ! »
Une fois n’est pas coutume. Les parents lui avaient promis un vélo à Noël s’il arrivait premier de la classe. À treize ans, avoir un vélo de course neuf, c’était grandiose, la grande reconnaissance. Premier ! Facile, ce fut chose faite.
Et il l’a eue… la claque. Pas le vélo, mais une claque réelle. « Tu es capable et tu ne fais rien .» Paf ! « C’est pour ton bien. » C’est un principe éducatif bien connu. Comment ne pas se méfier du « c’est pour ton bien », à l’occasion de tout plaisir offert ou du « pour votre sécurité » que l’on rencontre à tous les coins de rue ?
Crac ! Un grand crac !
C’était fini. Il est devenu un produit de « l’échec scolaire » suivant la nomenclature. Cela ne le gênait pas. C’est aussi une place, la sienne, sans aucun déshonneur. L’honneur n’est qu’une question de reconnaissance.
Il y a des choses irréparables. Il s’est habillé d’apparences pour pouvoir être lui dans ce monde et dans son monde.