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Umbro est un ours solitaire coulant une retraite paisible en Ardèche. Il reçoit un jour un invraisemblable appel au secours de celle qui fut son premier amour. Après bien des hésitations, il trouve là l’occasion de reprendre les chemins de l’aventure. Il décide alors d’honorer le rendez-vous qu’elle lui a fixé, à Lille, la veille de la braderie. Il est ainsi entraîné dans un maelstrom où il ne maîtrise plus rien. Qui peut bien tirer les ficelles de cette farce et le promener dans ce que son passé a de plus douloureux ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Daniel Barbarossa a connu une riche carrière. Aujourd’hui à la retraite, il s’adonne enfin à l’écriture comme il en rêvait depuis son enfance et depuis qu’un instituteur avait fait apprendre par cœur à ses élèves un poème qu’il avait élaboré.
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Seitenzahl: 135
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Daniel Barbarossa
Francine ?
Nouvelle
© Lys Bleu Éditions – Daniel Barbarossa
ISBN : 979-10-377-7735-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Faut-il être un enfant de l’Italie, déraciné, emporté par les bourrasques économiques de l’Europe du 20e siècle, replanté en France, en Lorraine et puis dans le Nord, un héritier d’humanité et de valeurs sociales qui, sa vie remplie à ras bord, retourne au sud épouser cette fois une terre heureuse, dans l’Ardèche verte – faut-il être celui-là, faut-il ce parcours pour savoir rendre à Lille, conjuguée à tous les temps, l’hommage inattendu qui habite les pages de « Francine » ?
C’est un cheminement où Lille se révèle pour qui ne la connaît pas ou mal, chaleureuse et ensorcelante, aux caches et replis noircis de temps historique et de flambeaux magiques, ses rues secrètes, l’apothéose des sons, la musique en folie, ses performances artistiques, culturelles, convergeant vers l’une ou l’autre de ses fêtes collectives éclatantes. Un passé de labeur est écrit sur les murs – un terreau que reconnaît celui qui vit dans son influence – portant force et authenticité, mais aussi, au présent, une élégante urbanité nordique.
Daniel Barbarossa trace des mots de tendresse argentée, des scènes à la nostalgie grise où il faut boire et manger et aimer aussi pour renaître de la mélancolie d’un âge qui avance sans accepter d’arrêt sur image. Sa plume cisèle les scènes oniriques où flamboie toute la puissance de la vie, où crawlent en remontant le courant des années, les questions qu’un jour chacun se pose : n’ai-je pas manqué quelque chose ? n’ai-je pas oublié de prendre certains chemins de traverse ou bien de meilleures routes ? Peut-on redonner une chance à tous ces espoirs qui n’ont pas abouti par le passé ? Est-ce que je peux tout « planter » là, abolir le temps ou le tordre comme il me plaira ?
En trempant une plume ensorcelée dans le courant de possibles regrets, faisant résonner l’appel en écho de chacune des incarnations laissées au bord des chemins de la vie de son héros, l’auteur de cet étonnant et si riche petit roman rappelle à quel point nous pouvons être multiples : l’ancien conseiller municipal et membre du bureau de la communauté urbaine de Lille avec Pierre Mauroy, le militant tout à gauche et ses combats, le jardinier d’une terre d’Ardèche, n’en est pas moins devenu un écrivain !
Élisabeth Delaygue
Journaliste, pastelliste, romancière
Un beau soir, l’avenir s’appelle le passé. C’est alors qu’on se tourne et qu’on voit sa jeunesse.
Aragon Le Crève-Cœur
« Petit faune, ceci est une bouteille à la mer. Je vais très mal. Je suis comme prisonnière d’un labyrinthe. La seule et sinistre issue qui semble s’offrir à moi m’effraie. J’en appelle au souvenir de notre amour, si cela te parle encore. J’en appelle sinon à la simple solidarité humaine. J’ai foi en ta générosité. J’ai foi dans les valeurs que t’ont transmises tes parents. Viens à mon aide, si tu le peux, si tu le veux. Si tu m’as pardonné. Je t’attendrai rue des Postes, au café “À la Belote” le vendredi de la Braderie à 17 heures. »
Cette lettre m’est parvenue il y a quelques jours. Comme un pavé dans une mare tranquille. Avant même de la décacheter, l’enveloppe m’avait surprise. D’un rose très léger, ornée d’une écriture féminine à l’encre bleu turquoise, elle m’intriguait. Il y avait bien longtemps que je n’avais reçu un tel courrier. Mais dès les premiers mots et jusqu’à la signature d’un simple F, une bouffée d’émotion m’a pris à la gorge.
Elle m’apportait tant de joies, cette écriture, aux temps lointains de ma jeunesse ! J’ai haussé les épaules et négligemment jeté l’enveloppe et son contenu sur le buffet. Depuis, elle se venge. Elle m’obsède.
Petit faune ! Le flash-back est instantané ! Ma poitrine se gonfle, mon cœur se tord comme piqué par une aiguille ! Douleur résiduelle d’un amour fossile. Un tel message, si longtemps après nous être perdus de vue, n’a aucun sens. Et pourtant il est là. Je le relis régulièrement.
Aussi, il me parvient à un moment de ma vie où je balance entre un besoin de paix et une démangeaison de nouvelles aventures. Au seuil de la vieillesse, la sagesse me murmure de mettre mon âme en paix. De veiller sur mes enfants et petits-enfants. De cultiver les quelques amitiés qui me restent avec autant de soin que je cultive mon potager.
Cela fait dix ans que j’ai quitté l’arène. À plus de soixante ans, j’ai pris le mot retraite au pied de la lettre. Je me suis retiré. Comme l’ermite dans sa grotte. Comme la mer de la grève, à la basse marée. Ou comme Napoléon de Russie. Comme on voudra. Une petite maison de granit au bord d’un village incrusté dans les monts d’Ardèche, tel est mon antre d’ours solitaire. À l’ombre d’un majestueux tilleul, entourée d’un jardin que je cultive amoureusement, j’y ai installé quelques meubles, ma chère bibliothèque, ma fidèle chaîne Technics et mes vinyles. Elle m’a domestiqué, moi qui ne savais vivre que dispersé, agité, courant dix lièvres à la fois. J’ai appris à aimer cette vie tranquille, la patience des semailles, les laborieuses gestations dans le ventre de la terre, les travaux qui s’imposent au fil des saisons, qui rythment et donnent sens à l’écoulement du temps, la joie ou la déception des récoltes. J’aime les longues balades en montagne, les petits matins où le moindre cèpe emmitouflé dans la mousse, éclairé de biais par les premiers rayons du soleil, me fait palpiter le cœur. J’apprécie, après tant d’années d’activités stressantes, les heures passées sur un banc à contempler le manteau sylvestre couvrant les pentes, à déchiffrer le langage des arbres à la forme de leurs ramures, à écouter le babillage des oiseaux, à laisser mon regard se perdre dans la perfection céruléenne du ciel, sans penser à rien.
La sagesse… sa sœur jumelle me crie de courir pendant que mes jambes me portent encore. Le monde est vaste et tant de rencontres m’y attendent. Reprendre l’aventure et l’errance là où je les ai laissées, dans la froidure et la désespérance, il y a près de cinquante ans, à deux doigts de devenir clochard. Reprendre le voyage avec la maturité et la sécurité matérielle que je n’avais pas alors…
Petit faune ! Chère Francine. Je ressemble plus à une barrique qu’à un faune, désormais. Pourquoi réveiller si longtemps après l’exaltation émerveillée d’un premier amour et l’intolérable douleur de sa trahison ? Tout cela était enfoui dans les lointaines nébuleuses du passé, et là… brutalement… ce télescopage. Mes nuits sont acides et peuplées de cauchemars. La chaleur de cette fin août, sans doute. L’âge aidant, j’ai appris à détester la nostalgie ; temps perdu, énergie gâchée. Quand la vie me défie, je me méfie des sentiments, des enthousiasmes, des miasmes émanant des peurs, et surtout des regrets, des remords, des re-morts. J’examine les faits, prends une décision et agis, ou pas.
Les faits : une banale feuille de papier, un texte incohérent. Une enveloppe sans indication d’expéditeur, avec juste le cachet de la poste : Lille, le 14 août. Et une adresse minimaliste : Umbro XY code postal tel village. Est-ce vraiment un appel au secours ? Une plaisanterie ? Je me tasse dans mon fauteuil, augmente le son jusqu’à ce que Zappa ou Led Zeppelin diluent mes rêveries dans la tornade de leurs délires musicaux et me vident la cervelle. Mais c’est toujours vers elle que reviennent mes pensées. Elle, Francine.
Nous avions vingt ans et tout nous semblait neuf. Comme né de nos regards. L’air pétillait encore des audaces de mai soixante-huit. Lille, la grande ville, m’était terrain d’aventures, moi qui venais des corons du bassin minier. J’en arpentais les rues les mains dans les poches, le nez au vent, la chevelure électrique, le regard éclectique. L’air de la ville rend libre, disait le philosophe. Il y flottait la gouaille d’Higelin, le romantisme de Catherine Lara, la tendre mélancolie d’Anne Vanderlove, la flûte de Zamfir et le chant cristallin de la harpe d’Alan Stivell. Led Zeppelin nous offrait un escalier pour le paradis.
Je roulais d’une rencontre à l’autre comme une bille de flipper. J’étais gonflé d’une énergie qui m’emplissait le cœur et faisait phosphorer le cerveau. Mes fantaisies m’entraînaient dans les aventures les plus stupides et les plus futiles où je m’engageais totalement et avec ferveur. Je me rêvais en Zorba le Grec, j’avais la révolte écorchée vive. Les cafés d’étudiants m’étaient des antres de révolutionnaires ressuscitant dans la fumée et les vapeurs d’alcools Vallès, Varlin, Louise Michel et les communards. Les piaules où m’accueillaient des couples d’anarchistes joyeux et paillards respiraient la conspiration et le rude travail intellectuel des Bakounine, Marx ou Kropotkine. Ces compagnons de la douce utopie suivaient avec sérieux des études qui leur construisaient un solide avenir pendant que je dilapidais ma jeune énergie à poursuivre des chimères. J’avais de l’amour une conception tout aussi donquichottesque. La Femme, l’Amour m’étaient inaccessibles étoiles. Je les magnifiais d’autant plus que j’étais inexpérimenté, introverti, et pour tout dire absolument pas sûr de moi. La Femme était pour moi ou Amour transcendé ou clichés à fantasmes masturbatoires. Deux facettes de la même irréalité. J’étais pétri de notions mal digérées d’amour libre que j’affichais ostensiblement pour masquer mes frustrations de jeune mâle ne maîtrisant pas sa sexualité. Soixante-huit venait tout juste de faire de la libération sexuelle un impératif qui me tétanisait. Mais j’étais jeune et beau, bon conteur et séducteur. Voilà grosso modo le jeune homme qui rencontra Francine un jour où, les cheveux longs, frisés, ébouriffés, le col roulé bohème, il vendait des bijoux à l’entrée du restaurant universitaire en jouant de la guimbarde. Il en tomba follement amoureux et brûla de cette passion les quelques mois, deux ans peut-être, que dura la relation. Une relation que Francine devait détruire de la manière la plus brutale et dévastatrice que le jeune immature que je viens de vous présenter pouvait subir.
Cinquante ans plus tard, elle m’envoie cette lettre !
Pourquoi n’est-elle pas plus explicite quant au danger qui la menace ? Et surtout, pourquoi s’adresse-t-elle à moi ? Elle a connu tant de personnes depuis notre si lointaine histoire. Elle est mariée, je le sais. Elle a probablement des enfants et des petits-enfants. Que dois-je faire de cet appel au secours ? J’ai du mal à calmer les sentiments qui m’agitent. J’ai bien tenté d’oublier la lettre, mais dès que je cherche un bout de papier pour y noter la liste des courses ou l’ordonnance à renouveler du médecin, elle vient se coller à mes doigts comme le sparadrap à ceux du clown. Je ne parviens pas à la jeter. Pas avant d’avoir pris une décision. Sans les parties de boules du vendredi, la chorale et le jardinage, je deviendrais chèvre à force de tourner en rond autour de mon piquet.
Nous sommes le 31 août et j’ai décidé de me rendre au rendez-vous. Je suis à peu près sûr de faire ce voyage pour rien, mais je veux en avoir le cœur net. Cela me permettra de revoir Lille que j’ai quittée il y a bien longtemps et qui a dû beaucoup changer. De revivre la fièvre de la Braderie. En dehors du rendez-vous, dont il adviendra ce que pourra, c’est un objectif en soi. Une perspective qui me remplit de joie. D’appréhension aussi. Le jardin ne demande plus beaucoup de soins, l’essentiel des récoltes est rangé sur les étagères à bocaux ou dans les tiroirs du congélateur. Je peux m’offrir ce petit voyage la conscience tranquille. Je tiens un journal, ce que je n’ai jamais fait, même au plus fort de mon adolescence. Par besoin d’y voir clair. À qui pourrais-je parler de cet invraisemblable message et de ce qu’il provoque en moi ? À personne si ce n’est à ce cahier… enfin, à cet ordinateur. Écrire m’oblige à prendre quelque distance. Une intuition me conseille de garder une trace de ce qu’il adviendra du fait de cette missive. S’il doit en advenir quelque chose. Sinon j’effacerai une fois pour toutes ces souvenirs, de mon ordinateur comme de mon esprit.
J’écris d’une chambre d’hôtel, l’ordinateur portable posé sur le coin de la petite desserte où trône un téléphone vintage. La frappe est silencieuse, la lumière de l’écran d’un blanc tamisé ne peut gêner la femme qui dort dans le lit. Elle est magnifique, enroulée dans les draps, la tête au creux du bras par-dessus l’oreiller, les cheveux défaits.
J’étais parti à l’aube. La porte fermée, le tour de clé donné, j’éprouvais un étrange pressentiment. L’impression de ne pas dire « au revoir » à mon nid mais « adieu ». Tout était d’un calme saisissant. Le silence était oppressant. Pas un chant d’oiseau, pas un aboiement des chiens du voisinage, pas un bruit de moteur, même très lointain. Le tilleul lui-même, vieux complice de tant de siestes réparatrices, refusait de faire bruisser la moindre de ses feuilles.
Jamais je n’avais envisagé jusque-là de me rendre en un lieu aussi éloigné avec mon 4/4. Il me sert habituellement à faire les courses, à quelques kilomètres de chez moi, ou à accéder aux coins à champignons par des chemins pierreux aux rochers affleurants et aux pentes vertigineuses. Le miracle de l’aube, chaque jour révélé, chaque jour accueilli avec enthousiasme et reconnaissance, a rapidement eu raison de mon anxiété.
Je buvais des yeux les paysages éclaboussés d’or par un jeune soleil dardant ses premiers rayons. Les bâtisses massives de granit jaune et gris se lovaient tels des chats endormis au milieu de vieux châtaigniers torsadés, tout pomponnés de bogues vert tendre. Les vergers alignaient sagement leurs cerisiers déjà tachetés de terre de Sienne rouge ou ocre. Aux ubacs, les forêts étaient encore endormies dans une semi-obscurité pleine de mystères. L’air frais était saturé de senteurs herbacées qui titillaient le nez. Les oiseaux interrogeaient le ciel et les arbres de leurs chants hésitants. Puis, rassurés, ils se sont épanchés en longs trilles roulés, en sifflements bavards et légèrement moqueurs. Telle une éponge, j’absorbais tous ces petits bonheurs matinaux avec ravissement. C’était un peu comme si, prenant la route vers les lieux de ma jeunesse, celle-ci avait pris le volant sans esprit de retour.
En écrivant dans le calme de la nuit, tout me semble déjà lointain et pourtant précis. Les questions qui me saturaient la tête ce matin, tandis que j’enchaînais les virages, y bourdonnent toujours. Pourquoi Francine fait-elle référence dans cette satanée lettre aux valeurs de mes parents ? Est-ce un indice concernant la menace qui pèse sur elle ?