French touch - Sylvain Ansoux - E-Book

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Sylvain Ansoux

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Beschreibung

Paris, septembre 2001
Deux motards tirent sur un couple en pleine rue. Qui sont-ils ? La PJ s’intéresse de près aux victimes et à leur lien privilégié avec le propriétaire de l’Empire, une boîte de nuit où viennent danser les VIP du monde entier. En pleine bulle Internet, mannequins, banquiers, politiciens, journalistes se croisent dans une ambiance hédoniste sur fond de musique techno.
Dans un tel contexte, les meurtres du DJ le plus en vue de l’Empire et de son amie, par ailleurs sœur de la commissaire Clémentine Roussel de la brigade des stups, ne pouvaient passer inaperçus. Au prix de bien des efforts, Clémentine intègre cette enquête qui l’obligera à affronter son passé douloureux.
Ayant réussi à démêler un écheveau de trafic en tout genre, elle obtient des informations troublantes sur le financement d’une organisation terroriste encore ignorée des services secrets occidentaux.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Par une écriture sans fioriture, guidée par le sens de l’action, Sylvain Ansoux veut sous couvert de roman policier, d’espionnage et d’aventure capturer les bribes d’une époque pas si lointaine, puisqu’il s’agit du début des années 2000, mais qui nous semble presque étrangère...

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sylvain Ansoux

French touch

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sylvain Ansoux

ISBN : 979-10-377-5127-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Les 2 et 3 septembre

Les premières balles atteignent l’homme et la femme dans le dos. Les corps s’écroulent sur l’ancien chemin de halage. Le scooter accélère. Deuxième rafale en passant près des cadavres qui tressautent sous l’effet des impacts. Les branches d’un chêne en contrebas de la piste cyclable explosent. Un groupe de joggeurs se jette au sol. Le tireur brandit son Uzi en poussant des cris de joie tandis que le conducteur arrache l’engin de la piste dans une manœuvre périlleuse pour regagner la route. Un cycliste sort son portable de son K-way.

Le scooter file à vive allure, franchit un carrefour en grillant les feux rouges, enfile l’avenue principale de Noisy-le-Sec, déserte à cette heure-ci, et disparaît. L’appel du cycliste parvient au commissariat le plus proche. Une fusillade sur la piste cyclable, deux morts, les agresseurs en scooter sont en fuite. Un joggeur donne une description précise de l’engin. Un 125 Yamaha gris. Le témoin est formel : il possède un deux-roues identique à celui des agresseurs.

Dix minutes plus tard, Dumas entre sans frapper dans le bureau qu’il partage avec la commissaire. Clémentine Roussel, assise devant une pile de dossiers, ordinateur allumé, rédige une note de synthèse sur le trafic d’ecstasy dans le département 93.

— Maïa vient de se faire descendre par deux types à moto, dit Dumas.

Roussel quitte son siège. Elle se tient debout, mâchoire serrée, plus blanche qu’un linge.

Une heure trente après le massacre de Noisy-le-Sec, deux agents volontaires pour la police de proximité, récemment mise en place par le ministère de l’Intérieur, jouent au foot sur un terrain de fortune qui jouxte le stade de France. Durant un arrêt de jeu, ils repèrent un scooter de forte cylindrée, plutôt inhabituel dans le coin, garé devant une des barres d’immeubles qui entourent le carré vert. À la mi-temps, ils se renseignent auprès des footballeurs, une bande de gamins chahuteurs débordant d’énergie ; oui, ils ont vu l’arrivée du scooter. Il a déboulé en trombe depuis le périphérique. Impossible de l’ignorer. Il a fait un dérapage pour se garer. Deux hommes en noir, avec des casques, en sont descendus avant de s’engouffrer dans l’escalier du pavillon C ; non, ils ne savent pas qui sont ces lascars. Ils ne les ont jamais vus.

Un des deux gars a fait le V de la victoire en direction d’une fenêtre dans les étages supérieurs. L’autre avait un sac de sport dans la main. Ils riaient en se bousculant. Ils s’apostrophaient dans une langue « zarbi ». On aurait dit de l’arabe, mais « chelou ».

Les deux policiers échangent un regard, font un geste en direction de leurs interlocuteurs ; ne vous inquiétez pas, les gars, on revient. Ils franchissent le grillage qui sépare le terrain de la rue. Ils observent les étages, se décident à traverser, pénètrent dans le hall d’entrée par la porte palière grande ouverte. Quelques noms effacés devant le digicode. Huit étages. Vingt-cinq nationalités.

Les policiers hésitent, frappent au hasard à une porte du rez-de-chaussée. Une maman entourée de deux de ses jeunes enfants leur ouvre. Depuis l’entrée, les policiers ont une vue imprenable sur l’appartement. Un F1, une chambre, une cuisine. La femme est vêtue à l’africaine, un boubou orange, un foulard jaune sur la tête, des sandales aux pieds. Elle a un mouvement de recul quand elle découvre les deux hommes habillés en bleu avec le mot « Police » sur le gilet. Elle est rassurée quand elle reconnaît les policiers qui « tapent le ballon » avec les jeunes du quartier. Les flics reposent les mêmes questions qu’aux « footeux ».

La maman leur répond qu’elle connaît tout le monde ici. Les suspects doivent squatter au huitième. L’étage est désert depuis un moment dans l’attente de travaux de rénovation. Ils ont commencé depuis le mois dernier. Les ouvriers ont dressé un échafaudage sur l’arrière de l’immeuble. Et puis, ils ont arrêté…

Elle a observé des allées et venues. Deux jours que ça dure, ce cirque, elle a cru voir dépasser une arme du sac de sport. Elle a peur. Les deux hommes la remercient. Ils font demi-tour et stationnent dans le hall. Le brigadier sort son portable. Il appelle du renfort. Il faut encore cinq minutes pour que l’information parvienne au 36 quai des Orfèvres jusqu’à Blanchard, le commissaire de la section de la brigade criminelle de la PJ, chargé de l’enquête.

Il embarque avec ses hommes dans une voiture en direction de la plaine de Saint-Denis tandis qu’un de ses adjoints contacte le RAID en demandant leur intervention.

À Noisy, Roussel et Dumas arrivent sur le lieu du double assassinat. Une large bande de goudron épousant les méandres d’une rivière, dominée par des résidences de standing, plutôt luxueuses. La circulation des vélos a été déviée sur la route, les badauds repoussés par des agents, la scène de crime isolée. Les cadavres ont déjà été évacués ; il ne reste que deux taches sombres, le sang coagulé des victimes, l’ultime trace de leur présence sur terre. Un homme de la PJ ramasse des objets éparpillés : un trousseau de clefs, une montre de femme que Clémentine croit reconnaître, un chouchou dont Maïa se servait pour tenir ses cheveux blonds. Et tout autour, des impacts de balles, des éraflures, des trous dans la chaussée sur une large superficie. En contrebas, des experts en balistique récupèrent une balle quasi intacte, figée dans le tronc d’un arbre en sale état. Roussel et Dumas qui sont tolérés sur la scène du crime s’emploient à se faire tout petits sur un banc près de la rivière. Clémentine Roussel, avec sa carrure de danseuse, son corps élancé, musclé, son visage aux traits fins, encadré par les courtes mèches châtains de sa coupe au carré, replie sa paire de jambes nues, fines, bien dessinées. Elle tente de les rétracter, mais elle a du mal à caser son mètre soixante-quinze dans un espace si exigu.

Elle lève les yeux au ciel, soulagée de ne pas voir le cadavre de Maïa. Elle n’est pas à l’aise avec la mort. Avec les inconnus, elle fait des efforts et prend sur elle. Elle s’accommode de leur rigidité, car elle ne les a jamais connus débordants de vitalité. Elle entend les bruits d’enfants qui jouent en riant autour de la zone interdite. Leur grand jeu, c’est de se faufiler sous la Rubalise sans se faire repérer par les agents en faction.

Le bruit a déjà couru parmi les flics présents que la sœur de la « patronne » de l’antenne des stups de Saint-Denis avait été assassinée. Surtout ne pas penser, ne pas calculer les « on-dit », les regards interrogateurs des collègues. Elle les sent pourtant se poser sur sa peau. Ils s’interrogent. C’est légitime.

Au loin, des promeneurs sortis d’on ne sait où profitent des rayons du soleil qui brille au zénith, dans un ciel bleu limpide. Dumas, debout à côté d’elle, a la décence de se taire, de respecter son chagrin, de lui épargner les formules toutes faites.

Il se tourne vers la commissaire, le regard dans le vide.

— Vous avez une idée de ce que Maïa pouvait bien faire par ici ?

Clémentine surprise, sursaute.

— Aucune. Je n’avais plus de contact avec elle depuis des mois. Elle ne me parlait de rien.

Sur le chemin, les hommes de la police scientifique remballent leur matériel avec des gestes précis et minutieux. Roussel et Dumas s’approchent de l’officier en charge de l’opération. Ils se sont déjà présentés, quand ils ont franchi le périmètre de sécurité.

Silence, regards fuyants, malaise. Il regrette d’avoir laissé pénétrer deux intrus sur la scène de crime. Pas n’importe qui, en plus. Un parent de la victime et des collègues de surcroît. La commissaire Roussel, une « bleue » à peine sortie de l’école de police, la sœur de Maïa Roussel assassinée et l’inspecteur Laurent Dumas, un vieux routier passé par le quai des Orfèvres.

L’homme de la PJ répond machinalement aux questions de Roussel. Le procureur a nommé un juge dans l’après-midi. Il les tiendra au courant de l’enquête. C’est la procédure habituelle, les phrases creuses qu’on dit aux proches pour les rassurer et s’en débarrasser. Clémentine encaisse. Elle s’attendait à être mieux traitée. Quatre ans déjà qu’elle appartient à la grande maison, sa deuxième famille. La première, elle a préféré ne plus y penser jusqu’à aujourd’hui. Clémentine remercie le gradé, s’éloigne un peu. Dumas s’attarde, discute avec les gars qui s’apprêtent, eux aussi, à repartir. Ils restent entre hommes. Roussel a pris l’habitude de ce genre d’humiliation. Elle attend dans la voiture de service garée une dizaine de mètres plus loin. Elle est prise par une lame de fond, une succession de souvenirs douloureux, refoulés depuis des dizaines d’années. Vingt ans d’oubli. Maïa, l’aînée, la préférée de son père. Autoritaire, violent, libidineux. Dès qu’elle avait pu, Clémentine était partie rejoindre leur mère. Cette dernière avait obtenu sa garde exclusive mettant fin aux week-ends de terreur.

Pour Clémentine, fuir, c’était une question de survie. Maïa, quant à elle, avait choisi de rester. L’emprise de l’ogre sur sa chouchoute était forte, beaucoup trop forte.

D’autres bribes de souvenirs désagréables reviennent à Clémentine, en vrac. Sa silhouette de gamine de onze ans, à table, essayant de disparaître quand il lui criait dessus. Des bruits de frottements, des cris étouffés comme des gémissements, provenant de la chambre de sa sœur. Une image de Maïa, le lendemain, une petite fille sanglotante, effondrée dans un coin du salon. Clémentine, confinée dans son impuissance, mais lâchement soulagée que le père s’en prenne à sa sœur plutôt qu’à elle.

Dumas toque à la vitre du véhicule. Clémentine tressaille. Rapide retour au calme. Elle ouvre la vitre.

— Des papiers ont été retrouvés dans la veste de la deuxième victime. Il s’appelle Swan Hansen et il habite à Versailles. Apparemment, il est inconnu des services de police. Dans le sac de Maïa, il y avait deux petits sachets, contenant ce qui, à première vue, ressemble à de la cocaïne. Il faut attendre les résultats du labo… Il y en avait pour quinze grammes.

— Vous en pensez quoi, Dumas ?

— Maïa avait rendez-vous avec un client pour lui vendre des échantillons et elle s’est fait descendre par une équipe, des rivaux, qu’elle a peut-être essayé de doubler… Les règlements de compte sont fréquents dans ce milieu.

Un message résonne sur la fréquence radio de la voiture de service. Les tueurs ont été localisés dans la barre d’une cité de Seine-Saint-Denis.

Le quartier est bouclé par le RAID. La grosse cavalerie est de sortie. Un dispositif impressionnant se déploie. Un hélicoptère survole l’immeuble cerné par les forces de l’ordre. Il guide les policiers au sol. Ils évacuent ses habitants, les mettent à l’abri derrière des barrières. D’en bas, ils observent le ballet des tireurs d’élite prenant position sur les toits environnants. Tout le monde est en place, attendant un signal. Moments d’attente et de tensions.

Un silence angoissant enveloppe la cité, épaisse pellicule qui flotte au-dessus d’une atmosphère pesante. Roussel et Dumas se fraient un chemin parmi la foule. Dumas use de son charme et de son sens des relations pour gagner les premiers rangs. Avec son physique de rugbyman, sa musculature impressionnante, son visage lisse, mais jovial, il sait séduire, mais aussi jouer des coudes avec fermeté quand il le faut. Deux qualités essentielles dans ce métier.

Dumas, c’est le genre tenace qui cherche toujours à en apprendre davantage. Flic jusqu’au bout des ongles. Il fait équipe avec Roussel depuis les débuts de la commissaire aux stups. Deux ans déjà qu’il l’accompagne, aussi bien dans ses errements que dans ses certitudes. Ils partagent une admiration réciproque l’un pour l’autre et une complicité de tous les instants. Clémentine l’a aidé quand sa femme est morte des suites d’une longue maladie l’an passé. Il aurait pu sombrer si la commissaire n’avait su trouver les mots et poser son regard attendri sur le veuf. Ils ont beaucoup échangé sur leurs vies respectives. C’est à cette occasion que Clémentine lui a parlé de Maïa. Dumas ne l’a rencontrée qu’une seule fois, par hasard. Un soir de blues intense, il avait débarqué chez Clémentine, comme ça sans prévenir, alors qu’elle recevait sa sœur. Ce qui l’avait le plus marqué en dehors de la ressemblance frappante entre les deux, l’une blonde, l’une châtain, c’étaient les airs de droguée de Maïa. Dumas avait reconnu chez elle cette impression permanente d’être en pilotage automatique dans un nuage d’éther.

Il observe sa patronne de vingt ans sa cadette, enfoncée dans son silence. Malgré l’envie qu’il en a, Dumas, n’ose plus engager la conversation et cherche à s’occuper derrière les barrières parmi les passants. Il glane quelques informations ici et là. Le RAID vient de poser de manière acrobatique micro et mini caméra au huitième étage. Visiblement, il y a un problème de localisation des occupants. « Ils ont disparu », dit quelqu’un. « Des formes ont été aperçues dans la salle de bain », dit un autre. « Ils se sont retranchés dans cette pièce borgne », assure un troisième. Voilà qui ne va pas faciliter la tâche des tireurs d’élite. Que faire ? Il faut les appréhender, mais éviter la casse. Hésitations sur la conduite à suivre.

Roussel et Dumas aperçoivent le commissaire Blanchard en grande conversation avec ses homologues de l’unité d’élite. Un hochement de tête. L’assaut semble imminent. La troupe retient son souffle. Des hommes en cagoules sur les toits, dans les couloirs, sur l’échafaudage de l’entreprise de BTP, se synchronisent.

Un grésillement retentit dans les talkies-walkies. Ensuite, tout va très vite. Une courte explosion défonce la porte de l’appartement 505. En quelques secondes, quatre hommes s’engouffrent par la porte béante dans l’appartement, l’arme au poing. Trois autres assaillants cassent les vitres depuis l’échafaudage et sautent dans le salon. Ils progressent jusqu’à la salle de bain, font les sommations d’usage. Pas de réponse. Le chef du groupe pousse la porte avec le bout du canon de son Colt 45. Elle s’entrebâille. Il risque un œil par l’ouverture, s’ensuit un bref mouvement de recul. Il ouvre la porte en grand dévoilant à ses compagnons un spectacle sanguinolent. Deux garçons nus, très jeunes, couchés sur le dos, comme empilés l’un sur l’autre dans la baignoire. Morts. Des balles de gros calibre ont emporté leurs visages, leurs mains ont été découpées, sciées à la base du poignet. Du travail de pro… L’appartement a été « nettoyé », aucun vêtement, pas d’armes, un mobilier sommaire. Un flic renverse une table basse pour se calmer les nerfs. Il est seize heures trente. Maïa est morte depuis bientôt sept heures. Le nouveau millénaire commence dans huit jours.

Dans un immense bureau lumineux du quai des Orfèvres, Blanchard d’un côté de la table de son bureau, Roussel de l’autre, fébrilement assise sur une chaise. Dumas s’est installé sur un fauteuil, un peu en retrait. Pour Roussel, la découverte des corps des deux tueurs a été brutale. Elle voulait voir à quoi ressemblaient les assassins de sa sœur. Curiosité malsaine. Elle ne s’attendait pas à un tel carnage. Des traînées de sang ont giclé sur le carrelage de la salle de bain, jusqu’au plafond. L’odeur de la mort dans ce local confiné était insupportable. Les ambulanciers et les pompiers pataugeaient dans des bouts de cervelles projetés au sol. Gros plan sur le vide, à la place des yeux, les sommets des crânes. Plan rapproché sur les poignets réduits à des moignons. Des vagues de nausée, une envie de vomir, Clémentine reconnaît les symptômes de la crise d’angoisse à venir. Le commissaire Blanchard l’a repérée juste avant qu’elle n’entre en crise de tétanie. Il l’interpelle.

Ne perdre ni le contrôle ni la face devant cet inconnu. Elle se rattrape de justesse au bras de Dumas. Elle décline son identité en bafouillant. Blanchard se fait tout miel.

La perspective de résoudre rapidement l’affaire s’est envolée. Il a besoin d’en savoir plus sur Maïa. Il lui propose de faire le point sur l’enquête. Un échange de bons procédés.

Durant le trajet jusqu’au siège de la PJ, Roussel est entrée en phase de lente décompression. Sur place, Clémentine est encore parcourue de frissons ; pour un peu, elle claquerait des dents. Blanchard lui tend une tasse de café avec un fond de cognac. Roussel apprécie ce premier geste de compassion de la part de l’institution. Sur les quais de Seine, un chien aboie. Blanchard résume la situation.

— Les deux tueurs ont été exécutés par un ou plusieurs individus avant l’intervention du RAID. Leurs mains ont été cisaillées et leurs têtes arrachées, pour rendre difficile leur identification. Le ou les assassins se sont enfuis par l’échafaudage avant notre arrivée. D’après les habitants, les tueurs parlaient dans une langue bizarre, de l’arabe ou quelque chose d’approchant qui laisserait supposer que ces deux jeunes gens étaient originaires du Moyen-Orient. Mes hommes ont fait établir des portraits-robots d’après les témoignages des habitants de l’immeuble. J’ai mis mon meilleur spécialiste sur le coup… On a également fait des prélèvements ADN, on verra…

— Et vous pouvez aussi emprunter une autre piste pour remonter aux commanditaires de ces meurtres : découvrir le mobile et cerner le profil des victimes, notamment celui de ma sœur, je suppose que c’est pourquoi vous m’avez fait venir ici, dit Roussel, d’une voix mal assurée.

— J’ai consulté son casier judiciaire. Il est long comme le bras… arrêtée de nombreuses fois… jamais vraiment condamnée… Si, une fois, elle a pris six mois de prison avec sursis…

— … Pour usage et trafic de stupéfiants… Les autres fois, c’était pour vol et prostitution. Les juges ont été cléments… Et vous vous demandez s’il n’y aurait pas à creuser de ce côté-là et comment une flic de la brigade des stups peut avoir une sœur toxico, pute, voleuse…

Roussel marque une pause avant de continuer sur un ton plus affirmé.

— Je n’ai jamais été proche de Maïa. Nous nous sommes perdues de vue quand ma mère m’a pris avec elle. Mon père, ce salaud, est mort dans un accident, il y a quelques années, preuve qu’il y a une justice dans ce bas monde. Nous avons suivi des chemins différents… Avec Maïa, on se voyait de manière brève et occasionnelle. Nous étions des étrangères l’une pour l’autre.

Alors qu’elle termine son récit laconique sur sa non-relation avec sa sœur, Dumas croit déceler une larme au coin de l’œil de Clémentine.

Dehors, les aboiements du chien redoublent d’intensité. Blanchard se lève pour fermer la fenêtre. La chaleur estivale dans laquelle baigne l’île de France en ce début de septembre retombe dans la pièce.

— La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était l’an passé. L’inspecteur Dumas, ici présent, peut en témoigner…

Sur son fauteuil, Dumas hoche la tête, en guise d’approbation.

— Et quelle a été la teneur de vos discussions ?

— Avec les antécédents de ma sœur, vous imaginez que nous avons parlé de la pluie et du beau temps, de maquillage, de projets d’avenir ? Elle était venue me demander de l’argent comme d’habitude pour s’acheter ses doses… J’étais sa seule famille depuis que ma mère refuse tout contact avec sa deuxième fille. Elle a rayé Maïa de sa vie…

— Vous lui avez donné ce qu’elle vous demandait ?

— Oui, qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Je lui ai dit de partir et que c’était la dernière fois.

— Vous regrettez ?

— Ça me regarde…

— Oui, pardon, excusez-moi.

— Je ne l’ai pas revue depuis. Vous en savez probablement davantage…

— Si peu, nous ignorons jusqu’à son domicile… C’est pourquoi nous comptions sur vous, commissaire Roussel.

Clémentine sent les yeux de Blanchard s’enfoncer comme une perceuse dans son cerveau. Dumas lointain, au fond d’un tunnel. Chaleur intense, impossible de contrôler les spasmes.

— À Versailles.

— Chez quelqu’un ?

— Je ne sais pas. Elle m’a laissé un message sur mon répondeur, il y a trois mois, pour me signaler qu’elle allait mieux…

— Vous ne l’avez pas rappelée ?

— Non, je vous l’ai dit, je voulais couper les ponts…

Blanchard se lève, fait quelques pas.

— Commissaire Roussel, on se dirige droit dans le mur… Si vous ne vous montrez pas plus coopérative… La version moderne et féminisée d’Abel et Caïn, ça ne m’intéresse pas…

Dumas intervient.

— Clémentine, Maïa vous a-t-elle dit autre chose ? Un détail qui pourrait…

De l’autre côté de la fenêtre, le chien continue à aboyer. Roussel sent les aboiements résonner dans sa cage thoracique.

— Qu’elle travaillait pour un promoteur immobilier.

Blanchard se rapproche de la chaise de Roussel. Son visage s’éclaire.

— Ça ne vous a pas étonnée, cette reconversion ?

— Maïa a fait des études de commerce ou de banque, je ne sais plus. Ça m’a paru plausible, même si j’avais perdu l’habitude de croire à ce qu’elle me disait…

— Et Swan Hansen, vous le connaissez ?

— Je sais que c’est un DJ en vue dans l’Ouest parisien. Il y avait son portrait dans les Inrockuptibles.

Blanchard s’assoit sur une chaise vide à côté de Clémentine. Plus de méfiance dans son regard. Ça va mieux. Il la traite d’égal à égal.

— Il anime des soirées de prestige dans les gros clubs de la capitale…

— Il y a beaucoup d’argent qui circule dans ce milieu.

— Et la coke dans son sac ? Elle lui en vendait, vous croyez ? Ou c’était juste récréatif ?

Roussel, qui croit sentir le frisson qu’on ressent quand on flaire une bonne piste, sourit dans le vide. Non, ce n’était ni pour vendre ni pour consommer. Un cadeau peut-être. À son amoureux du moment ? Probable. Swan le beau gosse, blond, yeux bleus, silhouette sportive. Maïa et ses mecs, tout un poème…

— Je crois qu’elle avait réussi à décrocher…

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Le ton de sa voix sur le message… Elle avait l’air heureuse…

Clémentine est toujours dans le brouillard. Mais maintenant, elle possède cette intime conviction.

— Je ne sais rien de plus. Je souhaiterais rentrer chez moi.

Elle voudrait ajouter : « pour me cacher et enfin pleurer ». Elle cherche à se lever, retombe sur sa chaise, secoue la tête.

— Vous n’avez pas l’air bien ? Vous voulez que j’appelle un médecin ? s’inquiète Dumas.

— Ça va passer. Une crise d’angoisse… J’ai l’habitude…

L’imprimante du fax crache quelques mots sur une feuille blanche. Blanchard se lève pour la consulter.

— Eh bien, ça n’a pas traîné. On a une piste pour identifier les deux hommes. Un coup de bol incroyable. De la chance, il en faut parfois… Un agent de la Police aux frontières a reconnu les portraits-robots…

Blanchard agite la feuille.

— Des Afghans avec une carte de séjour. La PAF les avait contrôlés la semaine dernière. Ils attendaient un avis concernant une demande de droit d’asile, mais avec les délais pour la procédure… La préfecture les avait perdus de vue. Les services de l’immigration vont nous communiquer leur dernière adresse connue. Mes hommes vont fouiller. Ça peut aller vite. On vous tiendra au courant.

Avec l’aide de Dumas, Clémentine parvient à se lever. Debout, elle reprend son souffle par à-coups, commence à sentir la sueur perler sur son front. Avec cette chaleur, cette sensation d’étouffer et cette conscience du vide provoquée par la mort brutale de sa sœur. Dehors, le chien a fini de s’égosiller et on entend la sirène d’une voiture de police devant le quai des Orfèvres.

— Merci, Blanchard. Ce qu’il m’importe de savoir c’est si ma sœur était visée ou bien si c’est un accident. La mauvaise personne au mauvais endroit, l’histoire de sa vie.

— Vous croyez que votre sœur a été abattue par hasard ?

— Elle n’a jamais eu de chance… elle attirait les ennuis comme un aimant.

Le lendemain, en fin de journée, le minuscule bureau du commissaire Roussel est encombré et l’atmosphère lourde. Labeille et Duclos, deux inspecteurs de la PJ chargés de l’enquête sur l’assassinat de Hansen et de Maïa, se tiennent rapprochés près de la fenêtre, un peu empruntés. Ils viennent de déposer sur la table de Clémentine leur dossier sur le double crime de Noisy-le-Sec. Roussel et Dumas le feuillettent en échangeant à voix basse des bribes de phrases. Parfois, Roussel se renfrogne sur son siège en griffonnant sur un bloc-notes. Labeille et Duclos sont satisfaits de la manière dont ils ont mené l’enquête, de la rapidité de sa progression, mais il n’est pas question de montrer leur satisfaction devant une parente d’une des deux victimes. Blanchard leur a demandé de faire preuve de tact à l’égard d’une collègue qu’il juge fragile. Il a oublié de préciser à quel point cette fragilité la rendait désirable. Ça et son beau visage aux traits fins dévasté par une nuit sans sommeil.

Sacré Blanchard, quel cachottier !

Dumas, devinant le regard concupiscent des collègues à l’égard de sa patronne, se racle la gorge.

— Bon, messieurs, et si nous faisions le point ?

L’inspecteur Duclos commence en se tournant vers la commissaire.

— Nous avons identifié les deux tueurs. Nous avons leurs noms, leurs antécédents, leurs fréquentations. Nous avons appris qu’il s’agit de deux frères, des vétérans de la guerre contre les Russes, arrivés en France depuis trois mois et candidats à l’asile politique. Ils vivaient de petits boulots. L’un d’eux, le prénommé Azamat, travaillait occasionnellement dans un garage. L’autre, Hamid, n’exerçait aucune profession, mais rendait service à droite et à gauche… Ils logeaient dans un hôtel dans le 17e en face de la station de métro La Fourche. Ils avaient visiblement peu de visiteurs. On a interrogé les voisins. L’un d’eux, un gamin de quinze ans, a croisé dans le couloir un homme qui sortait de leur chambre, il y a une semaine. Ce témoin parle à peine français et il n’a pas bien vu le bonhomme. Il en a donné une description pour le moins sommaire. Même sur son âge, on est dans le flou, entre trente-cinq et cinquante ans, un individu de type méditerranéen, cheveux noirs, taille moyenne, ni gros, ni mince. Monsieur tout le monde. Aucun des autres occupants n’a confirmé cette visite.

— On a des doutes sérieux sur ce témoignage. Il soulève des interrogations, enchaîne l’inspecteur Labeille. Ça ne ressemble pas à du travail de pro… D’habitude, les commanditaires évitent les contacts avec les exécutants, surtout à leur domicile.

— Vous avez raison, ça ressemble à de l’improvisation, dit Roussel. Mais cette « erreur » pourrait expliquer l’élimination a posteriori des deux tueurs. Cette opération-là semble davantage planifiée. On les loge dans un immeuble en voie de rénovation… On leur donne rendez-vous au même endroit pour leur remettre du fric, une fois qu’ils ont fait le boulot… Le commanditaire avec un ou des complices les attend dans l’appartement… Il y a quelqu’un qu’ils connaissent puisqu’ils lui font des signes… Pas très discrets, les gars… D’où la nécessité de les abattre… Peut-être qu’ils ont pris des pilules magiques ce qui expliquerait leur euphorie à leur retour… Raison de plus pour s’en débarrasser… On les attend… Deux balles dans la tête, une chacun, précis, efficace, pro… On scie leurs mains… On a un peu de temps. On sait qu’on pourra s’échapper discrètement par les échafaudages, car les travaux n’ont pas encore commencé.

— Zéro vie sociale pour les exilés… Azamat et Hamid n’existent pour personne, pas de familles, pas d’amis. Leurs mains coupées, leurs visages arrachés… Plus d’identité… Un geste de barbarie. Ou un message qu’on ne saisit pas, dit Dumas, comme s’il pensait à voix haute.

— Un message ? Peut-être, répond Duclos, mais ça ne nous dit pas comment ces gaillards ont organisé ces meurtres… Quelques jours pour les planifier, ça me semble dépasser leurs compétences… Surtout, vu leur niveau de connaissances de notre beau pays… Quelqu’un a dû leur donner toutes les infos de base : qui, où, quand, et éventuellement leur indiquer comment procéder.

Sans plus rien dire, Dumas et Roussel se replongent dans le dossier qui est devant eux. Ils ont étalé les feuilles qu’ils s’échangent après une rapide lecture. Ils recherchent un détail qui aurait échappé aux hommes de la PJ… Peu de temps après, ils conviennent que l’inspecteur Duclos a raison. Certes, les deux Afghans avaient certainement pris l’habitude de tuer durant leur lutte contre les Russes, mais la collecte d’informations sur les habitudes du couple Hansen/Maïa a dû être effectuée au préalable, par une tierce personne. Quelqu’un qui ne voulait pas avoir de ce sang-là sur les mains… Ou qui souhaitait brouiller les pistes en engageant des étrangers…

Roussel poursuit ses réflexions :

— Une petite semaine pour monter un quadruple assassinat, c’est court… Une journée pour en reconstituer le fil des événements et mettre des noms sur les assassins c’est encore plus fort. Félicitations à vous deux ! Mais il faut admettre que vous avez bénéficié jusqu’à présent d’un concours de circonstances plutôt heureux. Si les collègues de la Police aux frontières n’avaient pas reconnu les deux tueurs, vous auriez eu du mal à les identifier… Un coup de chance plutôt exceptionnel n’est-ce pas, messieurs les inspecteurs ?

— Vous pouvez le dire ! Sans eux, nous étions dans un cul-de-sac…

— L’affaire n’est pas si mal engagée, mais il vous faudra encore beaucoup de chance pour remonter jusqu’au commanditaire de l’assassinat de ma sœur…

— Soyez assurée, madame la commissaire, que nous mettrons tout en œuvre pour retrouver ce salopard. Ce crime ne restera pas impuni.

— Merci, messieurs, dit Roussel soudain agacée par leur condescendance à son égard. Elle ouvre un deuxième dossier. Parlons un peu de Maïa. J’ai demandé au juge Renaud d’ouvrir une enquête sur la cocaïne que détenait ma sœur. C’est une affaire pour les stups et c’est dans notre secteur. Il a accepté et c’est pourquoi nous travaillerons désormais ensemble. Dumas fera le lien entre nos services… Il a d’ailleurs déjà commencé… Ce matin, il s’est rendu au domicile de Swan Hansen que vous aviez fouillé la veille. Nous souhaitions collecter de nouvelles informations. Clémentine fait semblant de ne pas voir la grimace des inspecteurs de la PJ. Ils n’apprécient pas qu’on vienne marcher sur leurs plates-bandes ni qu’on leur force la main et confier une enquête à une proche de la victime c’est du jamais vu… Ne pas les laisser cogiter ni protester, couper court aux rumeurs. Adopter la stratégie du choc, utiliser son autorité, voire en abuser. La commissaire enchaîne rapidement.

— Dumas, si vous voulez bien nous faire un compte rendu de vos investigations.

— Maïa Roussel habitait avec Hansen, sans aucun doute. Il y avait ses effets personnels, des photos les montrant tous les deux dans son appartement. J’ai également appelé Valère du commissariat de Versailles. Les Hansen, c’est une vieille famille qui jouit d’une bonne réputation… Swan, à peine vingt-cinq ans, c’était le petit dernier, le fils prodige, pourri, gâté… Pas d’embrouilles… Pas d’ennemis connus… Son père, Pierre Hansen, exerce la profession de banquier. Ce n’est pas n’importe qui. Un grand manitou de la finance. Il préside la Générale de Crédit et son nom revient fréquemment comme celui d’un futur directeur du FMI.

Le commissaire Valère est allé voir ses parents pour leur annoncer sa mort. Ils étaient bouleversés. Valère leur a affirmé que leur fils avait été abattu par hasard dans un règlement de compte entre dealers.

Duclos se tourne vers Roussel en la regardant fixement.

— Vous nous auriez demandé, on vous l’aurait dit. Nous avons déjà fait une enquête de voisinage… Pour nous, c’est du côté de Maïa qu’il faut chercher, sauf votre respect ce n’était pas exactement une enfant de chœur…

C’est au tour de Roussel de faire la grimace. Qu’on salisse sa sœur, elle n’aime pas ça. Elle laisse s’installer un silence pesant. Puis elle se lève, visage fermé.

— Nous reprendrons tout ça demain. Nous avons rendez-vous dans le bureau du juge Renaud à Nanterre à quinze heures. Nous comptons sur votre collaboration, messieurs.

Il est dix-sept heures quarante-quatre ; Maïa est morte depuis une journée. Le nouveau millénaire commence dans sept jours.

Dumas rentre directement chez lui, à Aubergenville à une heure et quinze minutes de Saint-Denis. Un quatre pièces dans le centre de la ville à côté de la gare. Sylvie, sa femme, était institutrice et engagée dans la vie associative. Quand il arrive, ses deux filles de dix-sept et quinze ans sont en train de manger des pâtes à la bolognaise. La plus jeune s’étouffe de rire en contemplant les moustaches rouges qui encerclent les lèvres de l’aînée. Elle s’est barbouillée de sauce pour faire le clown. Un duo d’enfer, soudé, uni dans la joie et la douleur.

— Salut papa. On ne t’attendait pas si tôt.

— Je vois ça.

— Tu manges avec nous ?

— Plus tard, je vais me reposer.

Il laisse ses filles dans la cuisine, ferme la porte de sa chambre. Il veut continuer à paraître solide. Il a envie de pleurer sur sa femme, sur lui-même, sur sa famille en lambeau. Il prend un somnifère, met l’alarme du réveil et s’endort sans rêver.

Roussel est restée dans son bureau de la brigade des stups à Saint-Denis à deux pas de la basilique où sont enterrés les rois de France. Enfoncée sur sa chaise, elle grignote un sandwich, l’esprit embrumé. Combien de verres d’alcool depuis hier ? Une dizaine, au moins… ce n’est pas dans ses habitudes de boire ainsi… Maïa abattue en pleine rue avec de la coke plein les poches… En compagnie d’un gosse de riche…

Elle s’entend supplier le juge de lui confier l’enquête, lui affirmer que contre toutes les apparences, Maïa avait décroché de la drogue et qu’elle flaire un gros coup qui dépasse le cas de sa sœur. Qu’est-ce qu’elle en sait ? Elle s’est fiée à ses intuitions… Et si elle se trompait après toutes les années de mensonges de Maïa ?

Elle jette un coup d’œil circulaire sur son bureau. Étagères remplies de dossiers, tableau en liège épinglé de pense-bêtes, numéros de téléphone griffonnés à la va-vite, plans, cartes, adresses. En face de son bureau, celui de Dumas et un autre resté vide depuis le départ du stagiaire, quatre chaises fonctionnelles, une fenêtre donnant sur une cour intérieure. Sur sa table, aucune photo de famille comme il est d’usage d’en mettre pour se raccrocher à l’extérieur. Regard déstabilisant sur la vie de Clémentine Roussel, trente-deux ans, célibataire, sans enfants, sans attaches. Elle se lève, se dirige vers un placard, saisit une bouteille de whisky, se verse une dose dans une tasse à café qu’elle boit lentement pour faire durer le plaisir. Isolée dans ce bureau vide, elle écoute le silence. Elle n’a pas envie de rester seule ce soir dans son appartement du onzième. Coup d’œil sur son portable. Un appel sur sa messagerie. François. Il est à Paris. Il peut venir chez elle vers vingt et une heures. Un texto pour confirmer, limpide :

— Merci. J’ai besoin de toi.

Deuxième tasse de Jack Daniel’s, avant de se remettre au boulot. Clémentine rallume l’ordinateur. Elle doit préparer un rapport pour la réunion avec le juge demain après-midi. Impossible de se concentrer. Retour de ses fantasmes sur François, stimulée par l’euphorie de l’ivresse. Souvenirs de ses yeux, ses mains, son torse, ses fesses. Montée du désir, incontrôlable. Image obsédante du corps de François offert dans son lit avant son départ en reportage. Se calmer, se ressaisir, rester concentrée sur l’objectif, arracher des mains de la PJ l’enquête sur la mort de sa sœur, soutenir sa thèse : Maïa a été abattue par erreur dans le cadre d’un règlement de compte. Ce n’était pas elle qui était visée, mais son compagnon.

Pour quelle raison ? La cocaïne était destinée à Hansen… DJ de la jet set… boîte de nuit, lieu de revente… On part de rien ou presque… Noisy-le-Sec, un trafic démantelé l’an passé. Un fil à tirer. Clémentine conclut en établissant un lien hasardeux entre les banlieues pauvres et riches, 93 et 92, une cartographie fumeuse entre revendeurs et consommateurs.

Souvenirs de la langue de François dans sa bouche, entre ses jambes.

Même si c’est tiré par les cheveux et que tout désigne Maïa comme une cible idéale, son passé, la présence du sachet dans son sac, Roussel se persuade que le juge Renaud passera sur ce genre de détail. Elle l’a mis dans sa poche avec son sourire triste, ses yeux de chien battu et sa voix sensuelle.

Elle va lui dire qu’il faut faire vite dans cette affaire. Les traces disparaissent, les témoins s’évanouissent dans la nature. Et plus un mot sur Maïa. Tant qu’on ne connaît pas son rôle exact, on se focalise sur Hansen. Elle a fini pour ce soir. Il est vingt-trois heures. Elle fignolera les détails demain matin. Sa tête bourdonne d’une seule pensée maintenant, François et son sexe gonflé. Des papillons s’agitent dans le creux de son ventre.

Quand Roussel entre chez elle, le hall d’entrée est plongé dans l’obscurité, mais elle voit de la lumière filtrer par la porte de sa chambre. Elle franchit les quelques mètres la séparant de cette pièce comme si sa vie en dépendait, comme si elle empêchait une catastrophe de frapper le monde dans un film de superhéros. François fait semblant de dormir, nu, allongé sur le dos, les bras en croix, le corps pleinement éclairé par une puissante lampe halogène. Silhouette immobile, inerte, comme morte. Désir de vivre après tout, malgré tout. Soif animale pour cette peau, appétit bestial pour cette chair. Elle enlève sa culotte, remonte sa robe d’été, monte debout sur le lit, enfourche ce corps qui se tord comme pour s’échapper. Elle s’appuie de tout son poids sur son sexe long et large. Elle s’agite violemment dessus jusqu’à ce qu’il cède d’un coup, libérant sa jouissance éclatante et brutale.

Ne pas éteindre la lumière. Prendre le temps de le regarder les bras repliés derrière la nuque, les yeux bleus, le sourire satisfait au coin des lèvres. Cet homme chaud, mon bel amant éveillé. Si j’éteins, je te perds. Un chuchotement dans le creux de son oreille : « François, aide-moi ».

Le lendemain, vers six heures trente, après une douche tiède, Roussel en peignoir prépare un café dans sa cuisine minuscule. Deux tasses sur un plateau, du jus d’orange, une baguette, de la confiture, elle rejoint François dans le salon. Il est assis en tailleur sur le canapé, la tête appuyée contre le mur, les traits fins de son visage détendu, ses cheveux blonds tirés en arrière, le regard bleu, séduisant et attentif. Un mélange de tendresse et de force tranquille infiniment craquant. Clémentine s’assoit par terre, sur un tapis. Elle prend une tasse qu’elle vide d’un trait tandis qu’il boit lentement par petites gorgées. Courte conversation sur son article sur la précampagne présidentielle du Premier ministre que François « couvre » pour son journal, puis :

— Avant de suivre les hommes politiques, si j’ai bonne mémoire, tu faisais plutôt dans les « people », tu connaissais Swan Hansen ?

Une pointe d’angoisse se lit dans les yeux du journaliste. Surprenant…

— Oui, vaguement. C’était le DJ de toutes les soirées de L’Empire, le club « Techno » le plus prisé de la capitale où se réunit le gratin des VIP, footballeurs, acteurs, ministres, animateurs télé… la crème de la crème.

— Je vais aller y faire un tour un de ces soirs.

Cette fois, elle voit carrément de la panique dans le regard de François.

— Pourquoi ?

— Je me dis que je pourrais en apprendre davantage sur lui et éventuellement trouver le mobile de son assassinat et de celui de Maïa en fouinant dans cette boîte. À propos, tu avais déjà vu ma sœur traîner par là-bas ?

— Euh, oui une ou deux fois ! Enfin, j’avais repéré cette fille qui te ressemblait drôlement… Quand je me suis approché, j’ai vu que ce n’était pas la même personne…

— Et tu ne m’as rien dit ?

— Non, je savais que vous étiez brouillées et je n’étais pas sûr que ça soit elle…

— Pourquoi ces cachotteries, François ?

Il dépose sa tasse sur la table basse du salon, il se lève et frôle la main de Clémentine, remonte sur l’épaule, descend brusquement sur le torse nu de son amante en effleurant un sein, descend le long de ses abdos avant de stopper son mouvement sur les hanches fines. Un vertige de désir s’empare de Clémentine. Elle laisse tomber son peignoir. Elle pose sa tasse, caresse le creux des reins de François, empoigne ses fesses à pleines mains.

Il lui annonce :

— Je vais te faire l’amour lentement, tendrement et après je te dirais ce que je sais… au risque de te déplaire.

 

 

 

 

 

Chapitre 2

 

 

 

Le 4 septembre

 

Vers neuf heures trente, Roussel lit la presse dans un bar, à proximité de la morgue de la médecine légale dans une ville proche de la banlieue parisienne, située entre le tertiaire CSP + de la Défense et les friches populaires des cités du 93.

Dans Le Parisien, Clémentine constate que le double meurtre de Noisy-le-Sec a été relégué dans les pages de la rubrique des chiens écrasés. La veille, il avait fait la « une ». Les politiques s’étaient emparés de l’affaire. Chaque camp se renvoyant la responsabilité de cette flambée de violence. Le nom de Hansen déclenchant des flots de réactions. La tempête médiatique s’est calmée depuis.

L’assassinat et la mutilation des Afghans ont, quant à eux, à peine été évoqués dans une brève de quelques lignes. Blanchard a choisi de cloisonner les deux affaires. Il communique avec parcimonie avec les journalistes. Il les laisse dans le flou sans établir de lien entre les morts. C’est sa stratégie pour mener son enquête. Le secret gage de la sérénité. Roussel n’a pas son mot à dire.

Pour l’instant, elle attend Dumas en sirotant un verre de blanc. L’inspecteur est allé récupérer les affaires de Maïa, le rapport des experts, reconnaître le corps même s’il n’y a aucun doute sur son identité… Clémentine a choisi de se tenir en retrait. Voilà deux jours qu’elle repousse ce moment. C’est qu’il lui est impossible de voir le cadavre de sa sœur.

Dans sa tête dansent les derniers mots qu’a prononcés François avant qu’elle ne le jette dehors… La dealeuse de L’Empire… Une pharmacie ambulante, un laboratoire à elle toute seule, amphétamine, méthamphétamine, héroïne, cocaïne… Dans les W-C. de L’Empire… S’il ne lui a rien dit, c’était pour la protéger… Il tient à elle…

Elle l’a mal pris… Très mal… Il l’a accusée d’être dans le déni… Elle lui a indiqué la porte…

Dumas revient, les bras chargés. Il a dans une main un sac avec les effets personnels de Maïa et dans l’autre le rapport des médecins légistes. Il étale le contenu sur la table du bistrot tout en jetant un regard désapprobateur sur le verre de vin.

— Racontez-moi, Dumas, au lieu de me faire la morale, je vous en prie.

— C’est bien votre sœur. Aucun doute. Elle a vos traits, votre nez saillant, votre bouche droite presque sans lèvres, vos cheveux fins longs et raides… Elle avait l’air tranquille, apaisée…

Son visage est intact, très beau, très pâle, d’une blancheur presque translucide. Je n’ai pas voulu voir le reste…

Tout en l’écoutant d’une oreille attentive, Roussel jette un coup d’œil à la liste des vêtements que sa sœur portait ce jour-là, T-shirt jaune, veste en Jean, baskets au pied, culotte et soutien-gorge en coton, pantalon de survêtement de couleur noire, du 40.

Elle tique sur cette dernière information. C’est deux tailles au-dessus des vêtements que portait habituellement Maïa. Du 36, comme elle. Vers douze ou treize ans, c’étaient deux longues brindilles, longilignes. Elles étaient à la limite de l’anorexie, les sœurs Roussel. Plates comme des limandes.

Il revient à sa mémoire des complexes d’adolescentes et les moqueries de leur père. L’ogre savait taper ou ça faisait mal. Avec leurs petites poitrines, leurs minceurs à faire peur, il martelait que jamais elles ne trouveraient de mecs…

Roussel s’efforce de ne pas lire l’analyse minutieuse des nombreuses blessures que pointe le rapport du médecin légiste pour se concentrer sur les notes annexes : aucune consommation de stupéfiant ni d’alcool depuis des mois. Voilà qui l’aidera à conforter sa thèse auprès du juge.

Des rapports sexuels sans violence et sans préservatif dans les heures qui ont précédé sa mort. Elle poursuit sa lecture et déchiffre en bas de la note, placé là comme s’il s’agissait d’un détail sans importance :

« Enceinte de quatre mois ».

Elle lit et relit ces mots comme s’ils possédaient un autre sens que celui qu’elle a sous les yeux. Après un instant de sidération, elle semble enfin prendre conscience de la nouvelle. Elle grandit dans son esprit, prend des dimensions énormes, gigantesques, vertigineuses. Sa sœur attendait un enfant et non seulement elle n’en savait rien, mais c’était la dernière personne qu’elle aurait imaginée dans cet état. Cette surprise la cueille tel l’uppercut d’un boxeur audacieux.

Sonnée, elle regarde Dumas.

— Vous avez lu le rapport ?

— Je suis désolé pour votre sœur et son enfant…

Elle se lève et sort dans la rue. Elle prend son portable et crie dedans : « Maman, appelle-moi, bon dieu. » Elle raccroche en se tenant à la façade de l’immeuble qui abrite le bar.

Des sanglots coulent le long de ses joues écarlates quand elle sent se poser une main bienveillante sur son épaule. Elle se retourne, c’est Dumas. Il tient le sac en plastique.

— Il y a peut-être des indices là-dedans.

— Vous avez raison. Je dois me reprendre. Excusez-moi.

— Ce n’est rien… Venez… Allons à l’intérieur… Nous serons mieux…

De retour à leur table, Dumas vide le contenu du sac plastique contenant les affaires trouvées sur la morte, entre le verre de vin blanc de Roussel et sa tasse de thé. Un trousseau de petites clefs genre clefs de valise, un porte-monnaie avec une carte bleue à son nom, deux billets de cinquante euros, des papiers d’identité, une carte de visite avec le nom d’une banque. Un mini miroir cassé. Une montre. Une Swatch, tiens donc… Roussel se penche. Elle ne fonctionne plus. Le cadran indique dix heures quarante-cinq. Elle se tourne vers son subordonné assis à ses côtés.

— Vous avez votre Opinel ?

— Toujours pendant le service lui répond l’inspecteur en fouillant dans ses poches à la recherche de l’objet.

Peu après, il lui tend le couteau.

— Ça va sous paraître étrange, Dumas, mais avec Maïa, on s’amusait souvent à planquer nos secrets dans le boîtier de nos montres. C’était notre côté garçon manqué ou princesses débrouillardes.

— Vous oubliez que j’ai deux filles et que rien ne peut plus m’étonner.

— Voyons voir si je n’ai pas trop perdu la main, dit Clémentine, tandis qu’elle s’escrime à glisser la lame par une fente à peine visible sous le boîtier. Après quelques tâtonnements, ce dernier finit par céder libérant une très fine bandelette de papier sur laquelle se détachent des lettres écrites en majuscule.

Roussel se saisit du mot, le déplie, le tend à Dumas qui lit :

ALEX 3/09/01 NOISY 10 h 40.

— Qu’est-ce que c’est d’après vous, commissaire ?

— On dirait un pense-bête pour un rendez-vous.

— Avec le lieu et l’heure du crime.