Fureur - Denis Charamnac - E-Book

Fureur E-Book

Denis Charamnac

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Sur les terres battues par les vents des Falkland, Zeynab et les siens affrontent l’impensable. La Troisième Guerre mondiale a ravagé la planète. L’air est rare, l’espoir aussi. Ce qu’ils croyaient être un sanctuaire se révèle un terrain de survie implacable. Dans ce dernier volet haletant, les masques tombent, les liens se resserrent ou se brisent, et chaque choix peut être le dernier. Zeynab devra puiser dans ses dernières forces, affronter ses démons et découvrir ce que signifie vraiment vivre… quand tout semble perdu.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Depuis qu’il est à la retraite, Denis Charamnac se consacre pleinement à sa passion pour l’écriture. Ce roman, le troisième de sa plume, vient achever la trilogie entamée en 2022, consacrée aux aventures de son héroïne emblématique, Zeynab.

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Seitenzahl: 261

Veröffentlichungsjahr: 2025

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© Lys Bleu Éditions – Denis Charamnac

ISBN : 979-10-422-7541-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Iram

Mère et fille

 

 

 

 

 

Septembre 2055

 

 

 

Zeynab et Leïla, assises sur un banc public, contemplent les derniers rayons de soleil qui se reflètent dans les eaux bleues et profondes de la baie de Port Stanley. Les jours déclinent rapidement ici, et la nuit ne va pas tarder à étaler son grand manteau sombre et lourd sur la petite capitale de l’archipel. Capitale au charme victorien désuet. C’est encore l’hiver, les journées sont froides, mais le vent s’est calmé ces derniers temps, comme s’il avait éprouvé des remords à toujours vouloir harceler les humains.

Entre les deux amies se tient Iram, la fille de Zeynab, emmitouflée dans un épais manteau de couleur rouge. Elle fredonne des mots incompréhensibles, les yeux rieurs, avec ses toutes petites jambes qui se balancent d’avant en arrière sans toucher le sol. Iram est le portrait craché de sa mère et de sa grand-mère : teint mat, yeux noirs, et cheveux mi-longs de jais. Elle est née sur les îles Falkland, appelées aussi les îles Malouines par les Argentins, au King Edward VII Memorial Hospital, il y a maintenant deux ans et demi de cela.

Zeynab a donné à sa fille le prénom de sa propre mère. C’est en son hommage, elle y tenait beaucoup. Le père de la petite, Ethan, ne s’y est pas opposé.

Leïla Alaoui, 54 ans, d’origine marocaine, est restée une très belle femme. Elle en a 14 de plus que Zeynab, qui est devenue, au fil des années, sa meilleure amie. Cette dernière prend la parole, presque dans un murmure :

— Cela va faire cinq ans maintenant, pratiquement jour pour jour, que le cataclysme nucléaire a eu lieu. Quand je repense aux périples qui nous ont conduits là, je n’en reviens toujours pas1 ! Ma fuite de Tunis, avec Naël, en 2050. La rencontre de nos deux familles à Conakry, en Guinée. Notre arrivée et notre séjour à Sainte-Hélène où, du fait de notre statut de médecins pédiatres, on a été reçues comme des reines. Puis notre expédition en Afrique du Sud, pour finir par atterrir ici, sur ces îles du bout du monde.

— Dieu nous a tenu par la main durant tout ce temps. Même si tu as perdu ton compagnon de l’époque, Ibrahim, et que tu as fait une fausse couche, et même si j’ai perdu mon tendre époux, Amine, on peut dire que le ciel nous a préservées malgré tout.

— Oui, c’est certain. Mais maintenant, je ne peux m’empêcher de penser aux enfants et à leur avenir. Ils sont si jeunes. Mon fils Naël, 13 ans, et sa demi-sœur Iram. Puis ta fille, Salima, qui sera bientôt une belle jeune femme !

— Sans oublier Kamili, leur meilleur ami.

— Il a quel âge maintenant ?

— Seize. Un an de plus que Salima.

— Ça passe trop vite !

À l’horizon, et comme à regret, le soleil ne montre plus que le haut de son front, puis finit par disparaître complètement. Tout en se levant, Zeynab se tourne alors vers sa fille :

— Allez chérie, on va rentrer à la maison. La nuit tombe, et papa doit nous attendre.

— Pas faire mal ? demande Iram, de sa petite voix fluette.

— Non, t’inquiètes, répond Zeynab à sa fille, en riant. La nuit est solide et elle finit toujours par se relever, puis par laisser place au jour, et ainsi de suite. Le cycle immuable de l’univers…

— Amen ! rigole Leïla, en se levant à son tour.

 

Ethan Cameron rejoint le domicile familial après une journée bien remplie. Athlétique, c’est est un grand brun d’un mètre quatre-vingt-neuf, au regard noir d’ébène. Il a 41 ans, un an de plus que Zeynab. Avant le cataclysme nucléaire, il était lieutenant dans les Royal Marines britanniques, un service constituant de la Royal Navy, considéré comme l’infanterie de marine. Depuis, il a été promu colonel. Ce n’est pas une fonction de tout repos, mais elle le remplit de fierté et occupe son esprit la plus grande partie de son temps.

En entrant dans la maison, Ethan y trouve Naël et Salima, tous deux assis par terre, en tailleur, à jouer à un jeu de cartes sur la table basse trônant au milieu du salon.

— Vos mères ne sont pas là ? leur demande-t-il.

— Non, répond Salima, elles sont parties se balader avec Iram. Elles ne devraient plus tarder…

Elle n’a pas fini sa phrase qu’ils entendent la porte d’entrée s’ouvrir et voient surgir, deux minutes plus tard, Iram courant vers eux, tout sourire.

— Ma chérie ! lance Ethan, en attrapant sa fille dans ses bras.

Les deux mamans arrivent à leur tour dans le salon.

— Je vais préparer à manger, propose Leïla. Vous aimeriez quoi, les enfants ? Il reste des pâtes et de l’agneau, ça vous va ?

— Oui, super ! répondent-ils tous en chœur.

Deux heures plus tard, alors que les grands sont dans leur chambre et qu’Iram est couchée, les trois adultes se retrouvent ensemble, installés confortablement dans les canapés en cuir se faisant face de part et d’autre de la table basse en verre transparent.

— Raconte-nous ta journée, chéri, commence Zeynab, à l’adresse d’Ethan.

— Il y avait une réunion cet après-midi au QG, sur l’initiative d’Arjen, notre génial informaticien. Étaient présent, Badou, Demba, un biologiste, un ingénieur agronome, et un météorologue. Comme on le sait, « l’hiver nucléaire » s’est installé, avec les courants ascendants, principalement dans l’hémisphère nord en épargnant plus ou moins l’hémisphère sud. Il y a peu, Arjen et le météorologue ont relevé sur la planète, via les satellites encore opérationnels, des mouvements inquiétants de masses nuageuses tourbillonnantes se dirigeant plus au sud, notamment côté atlantique…

— Il y aurait une possibilité qu’elles finissent par arriver sur l’archipel ? demande Leïla.

— C’est plus que probable, d’après le météorologue.

— Mon Dieu ! lance Zeynab. Nous n’avons plus aucune possibilité d’aller plus au sud maintenant. Après avoir fui Sainte-Hélène, qui commençait à se retrouver sous des trombes d’eau, puis Le Cap, où la météo devenait plus que capricieuse, les îles Falkland semblaient le dernier refuge encore viable.

— Et ça l’est. Nous n’avons pas d’autres choix que de rester ici, et de nous préparer le mieux possible en prévision de ce qui nous attend.

— Mais qu’est-ce qui nous attend exactement ? intervient Leïla.

— Des jours sombres, répond Ethan, en baissant la tête.

 

Valentina adore chevaucher, comme une amazone intrépide, celui qui est devenu son compagnon après le putsch réussi du 29 juin 2052. Trois ans qu’Arjen et elle essaient d’avoir un enfant. Mais il semblerait que Valentina soit stérile. Et ici, pas de possibilité de traitement lourd contre l’infertilité. Alors, en attendant un miracle, ils se donnent du bon temps le plus souvent possible.

Tous les deux nus sur le grand lit de leur chambre, avec Arjen allongé sur le dos et s’arcboutant continuellement, puis Valentina assise sur le sexe de ce dernier, les seins se balançant comme s’ils étaient pourvus d’une vie propre, jouent à un rodéo endiablé. Au bout de trois minutes à un rythme effréné, jouissant à l’unisson, les deux amants lancent un râle puissant, avant que Valentina ne s’écroule, en nage et épuisée, aux côtés d’Arjen.

Après avoir repris son souffle, Valentina s’interroge :

— Si les prévisions de ton météorologue sont exactes, je suis finalement plutôt soulagée de ne pas avoir d’enfant. Quel avenir pour lui sur une planète totalement ravagée ?

— Il faut rester optimiste. La communauté qui s’est installée sur cet archipel a été créée dans le but de survivre le mieux possible à l’holocauste. Le plus de compétences diverses et variées ont été réunies dans ce but. Nous ne sommes peut-être pas à l’abri de subir des retombées radioactives, mais après toutes ces années, cela reste peu probable. Ce à quoi il faut plutôt se préparer, d’après nos spécialistes, ce sont des conditions météorologiques dévastatrices, avec une absence de soleil durable.

— Et dans combien de temps estiment-ils l’arrivée de ces réjouissances ?

— Un mois… deux tout au plus suivant les courants aériens.

 

Badou Maake, général des armées, du moins de cette mini-armée qui compte environ 300 hommes, est inquiet. Installé dans son bureau, au GG situé à l’aéroport de Port Stanley, lui aussi s’interroge après les prévisions alarmistes du météorologue : « Trois ans après le putsch, qui a vu la fin d’un régime militaire despotique dirigé par le général Rolihlahla Gwala, maintenant six pieds sous terre, et après la mise en place tumultueuse d’un gouvernement élu démocratiquement, tous ces efforts ne vont tout de même pas être réduits à néant maintenant ? » se demande-t-il intérieurement. Le général Maake, colonel sous l’ancien régime, est celui qui, avec Ethan, a mis fin aux jours de son prédécesseur, d’une balle en plein cœur.

Badou contemple le cadre photo posé devant lui. La photo représente sa femme et son jeune fils souriants à l’objectif. Ils ont été massacrés peu de temps après le cataclysme nucléaire. Il se dit que, vu ce qui les attend tous, peut-être était-ce mieux ainsi.

 

Demba Naidoo et Scotty O’Brien sont au pub, le « Globe Tavern », le lieu de rendez-vous branché et incontournable de la capitale. Tous les deux ont une descente sévère, et ils enchaînent les verres d’alcool, issus d’une production locale, au grand dam du gérant, Harry.

— Et voilà Scotty, tout ce que je peux te dire suite à la réunion de cet après-midi au QG.

— Eh ben, c’est réjouissant ce que tu nous annonces là mon ami ! éructe Scotty. À part se noyer dans l’alcool, avant d’être noyés sous les eaux, qu’avons-nous à espérer maintenant ? J’te le demande !

Scotty est né sur l’archipel, comme Ethan. Il est Marin pêcheur et propriétaire du chalutier « The Unshakeable », à quai dans l’un des petits ports de la capitale, celui en face de l’église. Son chalutier lui sert d’habitation. Après avoir cherché une raison de vivre suite à la disparition de sa femme, il va maintenant devoir chercher une raison d’espérer après les « bonnes nouvelles » de Demba.

Sous son air débonnaire, avec sa barbe drue et rousse qui lui donne un air de gros nounours, se cache une âme brisée. La vie, comme elle sait si bien le faire, n’a jamais fait de cadeaux à Scotty pourtant habitué à la rudesse d’un métier difficile, sur une île où la vie ne l’est pas moins. Son implication dans l’organisation secrète, qui est à l’origine du soulèvement contre le régime militaire précédent, a été sans faille, et sa pugnacité a permis de mettre la main sur Natacha Vassilievski, la maîtresse du général déchu et celle qui est à l’origine de la genèse de cette communauté qui a commencé à s’implanter aux Falkland il y a maintenant quatre ans de cela. « Au moins, j’aurais eu ma vengeance », pense-t-il amèrement.

 

 

 

 

 

Deux ans plus tôt

 

 

 

Cela fait maintenant plus d’un an que Natacha Vassilievski n’est pas sortie de chez Svena. Depuis sa fuite suite au putsch, et après avoir trouvé refuge chez son amie, elle se sait recherchée par toutes les instances militaires et judiciaires de l’île. Elle sait aussi, grâce à Svena qui travaille en tant qu’Assistante de Direction auprès du nouveau gouverneur, que le commandant Demba Naidoo et un certain Scotty O’Brien n’ont de cesse de fouiller chaque recoin de l’archipel espérant ainsi mettre la main sur elle.

Après tout ce qu’elle a fait pour la communauté, devoir ainsi se terrer est humiliant. Cela fait des mois qu’elle peaufine sa vengeance, et dans la foulée sa fuite de l’île. Il va être temps de passer à l’action. Elle n’a plus rien à perdre, alors autant tenter le tout pour le tout.

 

Scotty ne peut renier ses origines irlandaises, il est têtu. Alors que tout le monde, y compris Demba, commence à oublier peu à peu Natacha, lui, en a fait une affaire personnelle. Il ne peut pas oublier que Natacha est à l’origine de la disparition de sa femme, Lily. Hors de question qu’il abandonne les recherches. Et ces derniers temps, il s’est intéressé aux personnes qui côtoyaient de près ou de loin Natacha. Après plusieurs pistes infructueuses, et toujours sur des informations fournies par Arjen, il doit en explorer une nouvelle. Il s’agirait de Svena Vetrograd, d’origine russe comme Natacha, et qui était proche du pouvoir et de l’ancien régime. Elle habite sur Airport Road, à la sortie de la ville. Aller y jeter un coup d’œil serait de bon augure.

 

Natacha est emmitouflée dans un gros manteau polaire blanc, avec la capuche rabattue sur sa tête. Ainsi accoutrée, elle passe totalement inaperçue. Elle porte en bandoulière un sac imposant, rempli de quelques vêtements, d’un peu de nourriture et d’un peu d’eau. Il est 18 h 30, le jour va bientôt se dérober pour laisser place à une nuit étoilée, toujours saisissante dans cette partie du monde. Elle se dirige d’un pas décidé vers son ancienne demeure, celle-là même où se sont installés sans vergogne ces salopes de Zeynab et Leïla, avec leurs enfants, ainsi qu’Ethan le traître, comme elle les nomme. La demeure se trouve sur Davis Street, à moins de trente minutes à pied de chez Svena. Tout en marchant, Natacha sent dans sa main, avec un sentiment rassurant doublé d’une jouissance intense, la froideur de l’acier de son Glock 17 enfourné dans une des poches de son manteau.

Son plan est simple : massacrer tout le monde, puis se diriger vers le port pour rejoindre le chalutier du marin pêcheur prénommé Scotty. Sur place, obliger ce dernier à la conduire jusqu’en Argentine, dans la ville de Rio Gallegos, qu’elle connaît déjà pour y avoir fait un saut par le passé. La traversée, d’à peu près 900 km, devrait durer environ deux jours. Deux jours à rester éveillée h24. Elle a connu pire.

Le point faible de ce plan : beaucoup d’incertitudes. Zeynab et sa clique seront-ils présents ? S’ils ne sont pas là, ou pas tous là, tant pis pour sa vengeance, elle ne peut pas prendre le risque de traîner. Quant à Scotty, qui habite sur son chalutier, s’il n’est pas là, elle l’attendra, elle n’a pas d’autres choix. Mais, la plus problématique des incertitudes reste : y aura-t-il suffisamment de gazole pour le voyage ? Scotty pourrait lui raconter n’importe quoi, elle n’y connaît rien. « Qu’importe, il faut en finir ! », se dit-t-elle, « on improvisera, jusqu’à présent ma bonne étoile ne m’a jamais abandonnée. »

 

Bien qu’il soit tard, Scotty, posté non loin de la maison de Svena, décide de patienter encore un peu. Pour l’instant, rien d’anormal, ni de mouvement suspect. À 17 h, il a vu Svena rentrer chez elle, puis plus rien. Il fait glacial dans le véhicule qu’il a emprunté à Demba. Au risque de se faire repérer, il ne pouvait se permettre de laisser le moteur tourner, même si ce dernier est électrique et donc, plutôt silencieux. Ses mains, posées sur le volant, sont gelées et montrent des rougeurs d’autant plus visibles que Scotty est un vrai rouquin.

Alors qu’il s’apprête à démarrer pour quitter les lieux, Scotty aperçoit une grande silhouette, toute blanche, sortir de la maison. Ce n’est pas Svena. Cette dernière a une silhouette et un manteau bien différents. Il décide de suivre, à bonne distance et à pied, ce fantôme inattendu.

 

Natacha aperçoit enfin la grande maison, de type victorien, dans laquelle elle a séjourné durant si longtemps et qui lui a tant manqué ces derniers mois. Beaucoup d’ébats sexuels passionnés, avec feu son amant, dans le grand lit à baldaquin de la chambre royale.

Il y a de la lumière aux fenêtres, donc une présence à l’intérieur. S’approchant de la porte d’entrée, Natacha ne doute pas une seconde que cette dernière ne soit pas verrouillée. Ici, personne ne ferme quoi que ce soit, le vol n’existe plus depuis longtemps dans la petite communauté. Ouvrant la porte doucement, elle glisse un œil à l’intérieur du vestibule, impressionnant par sa hauteur sous plafond et son lustre majestueux conçu à Murano. Personne à l’intérieur, mais elle entend des voix et des rires venants du grand salon adjacent. À pas feutrés, et avec son pistolet en main qu’elle a sorti de sa poche, Natacha s’approche lentement. Et là, elle ne pouvait rêver mieux comme scénographie, digne d’une tragédie grecque, pour perpétrer son massacre et assouvir enfin sa vengeance : Zeynab et Leïla sont assises côte à côte sur l’un des deux canapés en cuir couleur café. Elles se regardent tout en échangeant leur rire communicatif. Ethan, juste à côté, est affalé dans un grand fauteuil en cuir, de la même couleur lui aussi, avec un livre à la main. Quant à Salima et Naël, ils sont assis en tailleur face à face, sur le deuxième canapé, à jouer aux cartes. Natacha ignore alors qu’il y a une sixième personne dans la maison, ou plutôt un petit être prénommé Iram, d’à peine six mois, et qui dort profondément dans son berceau situé dans l’une des chambres du premier étage.

— Personne ne bouge ! hurle Natacha, en pointant son flingue vers Ethan tout en se rapprochant du groupe.

Les rires de Zeynab et Leïla s’arrêtent net, Ethan en fait tomber son livre, Salima et Naël ouvrent grand leur bouche de stupeur.

— Regardez-moi ces branquignols, ricane Natacha… c’est fini de vous vautrer chez moi bande d’enfoirés !

En une fraction de seconde, Natacha sait comment elle va procéder. D’abord Ethan, le plus dangereux, puis Zeynab et Leïla, et enfin les enfants. Demain, à Port Stanley, tous les habitants seront scotchés à leur radio pour écouter les dernières infos relatant la scène d’horreur que vont découvrir les premiers arrivés sur place. Elle en jubile intérieurement, tout juste si elle n’en mouillerait pas sa petite culotte. Puis, sans attendre et ajustant sa visée en direction d’Ethan, elle s’apprête à tirer.

Un « bang » assourdissant retentit dans la demeure, avec un son sinistre se répercutant en écho contre les murs. Ethan croit alors sa dernière minute arrivée, mais il voit, éberlué, Natacha basculer en avant et s’écrouler à terre. Dans le fond, au niveau du vestibule, il distingue Scotty, dont l’arme, pointée en avant, fume encore. Et dans le même temps, il entend les cris stridents de sa fille, qui vient d’être réveillée brutalement.

 

 

 

 

 

Retour en 2055

 

 

 

« Une forteresse, c’est ce que je vous propose comme lieu pour se protéger de la fureur climatique qui nous attend. »

Alors qu’ils sont installés tous les trois dans le salon, Ethan apporte cette réponse à Zeynab et Leïla qui se sont interrogées sur la façon de se préserver du bouleversement annoncé.

— Et où comptes-tu la trouver cette « forteresse », demande Zeynab, incrédule.

— Sur une toute petite île, de 33 ha environ, située plus au nord, à environ 10 km à vol d’oiseau de Port Stanley. N’oublie pas chérie que je suis né ici, que j’y ai grandi et que je connais chaque recoin des 700 îles et îlots qui constituent l’archipel. Et j’en connais un particulièrement bien, que l’on a découvert un peu par hasard avec Scotty, lorsqu’on jouait aux explorateurs en herbe, jeunes hommes. Ce « recoin » se trouve au sud de la petite île en question, prénommée Kidney Island. Cette dernière est une réserve naturelle. Il y a une vingtaine d’années, les instances de l’archipel y ont construit un embarcadère de fortune pour permettre aux technologues en bioécologie d’y accoster plus facilement avec un bateau, et autrement qu’avec un Zodiac.

— Ne me dis pas qu’il y a un château là-bas, s’étonne Leïla.

— Bien mieux qu’un château, une caverne…

 

« Kamili devient difficile à gérer ». C’est du moins ce que pense sa mère, Danya Moussa. Un adolescent a besoin d’un repère fort pour grandir et se construire. Ce repère, surtout pour un garçon, prend le plus souvent l’image du père. Or, le père, qui était militaire sous l’ancien régime, est mort en mission. Danya a dû élever seule son fils, alors que ce dernier était seulement âgé de onze ans.

L’arrivée de Zeynab et Leïla sur l’île, accompagnées de leur enfant, a été très bénéfique. Étant voisins et partageant les mêmes bancs d’école, celle-là même où Danya enseigne la SVT, Kamili, Salima et Naël sont devenus inséparables au fil du temps. Maintenant, il semblerait qu’une rivalité, toute relative cependant, se soit installée entre Kamili et Naël. Kamili en pince pour Salima, mais cette dernière n’a d’yeux que pour Naël, Naël qui a bien l’intention plus tard d’épouser Salima. Bref, un triangle amoureux de teenagers hautement explosif.

 

Archie, animateur radio, se prépare pour son speech au micro de la FIRS, la Falkland Islands Radio Service. Nous sommes le dimanche 10 octobre, il est 13 h 30. Ce jour, et à cette heure, tous les habitants de Port Stanley, et au-delà pour ceux qui ont la chance de capter la radio, devraient logiquement être à l’écoute. Le texte, que s’apprête à lire Archie, a été rédigé en concertation avec Badou Maake, le général des armées, Djibril Botha, le gouverneur de l’île, qui a également la fonction de directeur à l’hôpital central, et le météorologue en chef.

« Bonjour chères auditrices et chers auditeurs. Beaucoup d’entre vous sont déjà plus ou moins informés de ce qui nous attend d’ici quelques semaines. En effet, les prévisions météorologiques ne sont pas bonnes du tout. Il semblerait que nous allons devoir affronter des conditions climatiques sans précédent. Conditions qui devraient s’apparenter à ce que l’on appelle, dans le jargon des spécialistes : un hiver nucléaire. Il a déjà eu lieu dans l’hémisphère nord et, maintenant, il semblerait vouloir s’étendre au sud. Cela signifie pour nous, un très grand froid, des vents d’une extrême violence, et une absence prolongée de soleil, avec toutes les conséquences que cela entraînera sur la faune et la flore, et donc sur nous-mêmes et notre survie. Nos militaires, sous l’égide de notre gouverneur, s’activent dès à présent à sécuriser les sites stratégiques, comme l’aéroport et son QG militaire, l’hôpital, ou encore les sites de productions énergétiques et agricoles, ainsi que les stocks de nourriture et d’eau. Il est demandé à tous de commencer à barricader son lieu d’habitation. Pour l’heure, nos instances dirigeantes invitent chacun et chacune à se rendre le plus tôt possible, mais sans précipitation non plus, ni mouvement de panique, au centre d’informations qui a été spécialement créé pour faire face à cette crise, et qui se situe dans l’ancien bâtiment de l’office de tourisme, face au port et proche de la Christ Church Cathedral. Il va sans dire que, par la suite, les déplacements ne se feront qu’en cas d’urgence absolue. Il faut donc vous préparer comme pour un siège, dont la durée reste inconnue. Tous les détails, notamment au niveau approvisionnement, vous seront donnés au centre d’informations par la charmante Emily, que tout le monde connaît. Merci pour votre attention et, comme le disaient si bien nos aïeux, God Save the King ! »

 

Emily Carlyle, qui est chargée de communication au sein de la communauté, et qui était proche de Natacha Vassilievski, coupe la radio et pousse un long soupir. À 57 ans, cette petite brune à la coupe au carré et aux formes généreuses, se désespère d’un avenir de plus en plus incertain.

Après le putsch et la fuite de Natacha, trois ans plus tôt, Emily s’est rapprochée de Scotty. Ce dernier, avec son air de gros nounours bougon et ses yeux bleus transparents, comme ceux d’un Husky, ne la laisse pas indifférente, et ce, malgré la différence d’âge, Emily ayant 11 ans de plus que Scotty. Mais les rapports sont difficiles entre eux et plutôt conflictuels. Célibataire endurcie, sans enfant, côté Emily, et veuf inconsolable, également sans enfant, côté Scotty, ils font de leur relation un terrain parsemé de mines. Chacun avance un peu à l’aveugle en espérant ne pas déclencher une explosion.

Scotty n’a jamais voulu venir vivre chez Emily, il préfère garder son chalutier comme habitation principale. Ce qui ne manque pas d’exaspérer Emily. Surtout quand Scotty se pointe chez elle et commence à lui tourner autour en espérant la sauter puis, chose faite, retourne sur son chalutier. « Tu me fais penser aux mouettes ! » lui a lancé un jour Emily. « Elles tournent sans fin dans le ciel autour des bateaux en espérant grappiller des restes de cadavres. » Après cette remarque, ils ne se sont plus parlé pendant deux semaines. Autre point de conflit, l’alcool. Au début de leur relation, Scotty s’était un peu calmé côté bibine, mais ça n’a pas duré très longtemps, et l’addiction a fini par reprendre le dessus, au point de rendre Scotty parfois violent. Dieu merci, il n’a jamais levé la main sur elle, privilégiant la joute verbale.

Le plus souvent, Emily se consolait auprès des enfants de Zeynab et Leïla, quand elle venait les garder dans la grande demeure, devenue la leur après le putsch. Elle est restée très proche de Salima et Naël, mais ils sont grands maintenant, et les gardes ne sont plus d’actualité.

Alors qu’elle est perdue dans ses pensées, assise dans son petit salon à la déco d’une banalité affligeante, l’apparition de Scotty, sans prévenir et sans bruit, fait tressaillir Emily.

— Merde Scotty ! Je t’ai déjà dit mille fois de faire du bruit en entrant… tu veux que j’aie une crise cardiaque ou quoi ?!

— Non je tiens trop à toi, ricane-t-il, goguenard.

— À moi ou à mon cul ?!

— Ne sois pas vulgaire tu veux, les deux sont indissociables pour moi. J’aime bien ta personne et j’aime bien aussi ton petit cul bien rebondi, sans oublier tes gros seins bien sûr.

— Oh super ! Quel romantisme !

— Écoute, ne commence pas s’il te plaît, je ne suis pas venu pour qu’on s’engueule, mais pour te parler d’une proposition d’Ethan concernant ce qui nous attend.

— Comment ça ?

— Il veut aménager une « forteresse », que je connais très bien, en prévision des évènements climatiques à venir. Cette « forteresse », c’est ainsi qu’on l’appelait quand on était jeunes, Ethan et moi, qui est en fait une caverne, doit pouvoir accueillir Ethan, Zeynab, Leïla, Salima, Naël et Iram, ainsi que Danya et Kamili. Il m’a demandé de me joindre à eux. J’ai accepté, j’peux évidemment pas rester sur mon chalutier, amarré au port, ça serait suicidaire…

— Une caverne tu as dit ? T’es sérieux ?

— L’idée est plutôt séduisante. Il ne peut pas y avoir meilleur abri contre un déchaînement des éléments. On ne connaît pas vraiment l’ampleur de ce déchaînement ni sa durée, mais, à l’abri dans cette caverne, cela nous permettra de voir venir en attendant une accalmie.

— Et si cette accalmie, comme tu dis, met des années à venir ? Vous comptez faire quoi ? Nous rejouer l’allégorie de la caverne exposée par Platon ?

— On avisera…

— Dans l’allégorie de Platon, la question est posée de savoir si l’homme qui a connu la lumière de l’extérieur ne serait pas tué par ses semblables restés dans l’ombre de la caverne.

— T’essaies de me dire quoi là ?

— Que ce qui est suicidaire c’est de vouloir s’éloigner de la communauté à un moment où il nous faut tous être solidaires !

— Justement, j’étais venu te proposer de te joindre à nous. Il faut que tu comprennes que ce qui nous attend c’est un effondrement climatique dont les conséquences risquent d’être dramatiques…

— Et donc, c’est le « chacun pour soi » qui prime selon toi ?

— Quand on en arrive à devoir se débattre au milieu d’un chaos sans nom, la réponse est oui.

— Et pourtant, après le cataclysme nucléaire, notre communauté a malgré tout vu le jour et a réussi à survivre après toutes ces années.

— Parce que nous avons été, jusqu’à présent, relativement épargnés par rapport à l’hémisphère nord. Ce qui a permis la création de cette communauté. Mais rappelle-toi le récit de Zeynab, sur ce qu’il s’est probablement passé à Sainte-Hélène après leur départ de l’île.

— On n’en sait rien de ce qui s’est passé, puisqu’ils ont préféré fuir quand ça commençait à se dégrader sérieusement.

— Et c’est ce qui leur a probablement sauvé la vie… Je n’ai aucun état d’âme Emily, à vouloir me préserver, avec ceux qui me sont proches, d’un chaos annoncé.

— ça sera sans moi Scotty… Désolée…

 

Au même moment, Zeynab a une pensée émue pour tous ses amis restés à Sainte-Hélène : Jack, Steven, Timothy, Etienne et Lauren. Lauren, enceinte de cinq mois au moment de leur départ. Que sont-ils devenus ? La communauté a-t-elle tenu bon alors que des torrents d’eau commençaient à s’abattre sur l’île ?

Et maintenant, l’histoire qui semble vouloir se répéter sur cet archipel des Falkland. Mais plus de fuite possible, la résilience, au milieu du bruit et de la fureur attendus, est la seule option qui reste… ainsi que la prière.

— Tu crois que Dieu nous abandonne ? demande Zeynab à Leïla, toutes deux assises, seules, dans le grand salon.

Leïla, perdue dans ses pensées, se tourne vers son amie, réfléchit quelques secondes et, une certaine tristesse se dessinant sur son visage, finit par répondre :

— Dieu a des desseins qui échapperont toujours au commun des mortels. Les épreuves endurées par les humains commencent dès la naissance et ne s’arrêtent jamais. Certains s’en sortent à peu près, d’autres accumulent les déconvenues toute leur vie. Certains vivent vieux, d’autres meurent jeunes. Quelle est la règle ? Selon le Coran, les desseins de Dieu sont multiples et revêtent plusieurs dimensions. Épreuve et purification en font partie. La justice aussi, dans tous les domaines. La diminution de la division et de la haine… bref, une multitude d’enseignements, comme dans toutes les religions finalement.

— Tu as raison. Les Évangiles, par exemple, affirment que le dessein de Dieu est de réconcilier l’humanité avec lui-même, Jésus ouvrant la voie à cette relation restaurée avec Dieu. L’amour et la compassion sont au cœur des Évangiles également, ainsi que, comme dans le Coran, la vie éternelle offerte aux croyants.

— Et dans la religion bouddhiste, c’est l’éveil qui est recherché, et la libération de la souffrance, cette dernière faisant partie intégrante de l’existence humaine. Bouddha invite à en comprendre les causes et à chercher des moyens de la transcender. On retrouve aussi dans le bouddhisme cet encouragement au développement de la compassion et de la bienveillance.

— En revanche, chez les Amérindiens, c’est le respect et l’harmonie avec la nature qui prime. Il est essentiel, à leurs yeux, de maintenir un équilibre entre les êtres humains et le monde naturel. Le maintien des liens spirituels avec leurs ancêtres et les esprits de la nature sont très importants également, ainsi qu’une vie communautaire équilibrée, de respect mutuel, de partage et de solidarité…

— Eh bien, Mesdames, vous m’impressionnez !

Cette intrusion dans leur conversation fait sursauter Zeynab et Leïla. Ethan, ayant rejoint le salon en silence, et se tenant derrière ces dernières discrètement, affiche un air amusé. Il reprend :

— Pour des musulmanes pures et dures, vous êtes drôlement érudites en religions. La théologie n’a plus de secrets pour vous.