Génie du Christianisme - et Défense du Génie du Christianisme (L'édition intégrale) - François-René de Chateaubriand - E-Book
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Génie du Christianisme - et Défense du Génie du Christianisme (L'édition intégrale) E-Book

François-René de Chateaubriand

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Beschreibung

Ce livre numérique présente "Génie du Christianisme - et Défense du Génie du Christianisme (L'édition intégrale)" avec une table des matières dynamique et détaillée. Notre édition a été spécialement conçue pour votre tablette/liseuse et le texte a été relu et corrigé soigneusement. Génie du christianisme est un ouvrage apologétique écrit entre 1795 et 1799 par François-René de Chateaubriand, alors en exil en Angleterre. Dans cette œuvre, Chateaubriand entreprend de défendre la sagesse et la beauté de la religion chrétienne, affectée par la philosophie des Lumières, puis par la tourmente révolutionnaire. L'idée principale du livre est en effet que " seul le christianisme explique le progrès dans les lettres et arts ". Converti à la foi de son enfance pendant l'écriture du Génie du christianisme, rédigé à la suite de la mort de sa mère (" Je suis devenu chrétien. Je n'ai point cédé, je l'avoue, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie de mon cœur : j'ai pleuré et j'ai cru "), Chateaubriand cherche dans cet ouvrage à " prouver que le christianisme vient de Dieu, parce qu'il est excellent ". Dans cet objectif, il s'intéresse en particulier aux apports artistiques de la religion chrétienne, les comparant à ceux des civilisations antiques et païennes. François-René, vicomte de Chateaubriand (1768-1848) est un écrivain et homme politique français. Il est considéré comme l'un des précurseurs du romantisme français et l'un des grands noms de la littérature française.

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François-René de Chateaubriand

Génie du Christianisme - et Défense du Génie du Christianisme

(L'édition intégrale)

La beauté de la religion chrétienne
e-artnow, 2015 Contact: [email protected]
ISBN 978-80-268-4199-9
Note éditoriale:cet eBook suit le texte original.

Table des matières

Génie du Christianisme
Défense du Génie du Christianisme

Génie du Christianisme

Table des matières

Table des matières

Préface de l’édition de 1828
Partie I – Dogmes et doctrine
Livre I – Mystères et sacrements
Chapitre I – Introduction
Chapitre II – De la nature du Mystère
Chapitre III – Des Mystères chrétiens. — De la Trinité
Chapitre IV – De la Rédemption
Chapitre V – De l’Incarnation
Chapitre VI – Les Sacrements. – Le Baptême et la Confession
Chapitre VII – De la Communion
Chapitre VIII – La Confirmation, l’Ordre et le Mariage. Examen du vœu de célibat sous ses rapports moraux
Chapitre IX – Sur le Sacrement de l’Ordre
Chapitre X – Le Mariage
Chapitre XI – L’Extrême-Onction
Livre II – Vertus et lois morales
Chapitre I – Vices et Vertus selon la Religion
Chapitre II – De la Foi
Chapitre III – De l’Espérance et de la Charité
Chapitre IV – Des Lois morales, ou du Décalogue
Livre III – Vérités des Ecritures; chute de l’homme
Chapitre I – Supériorité de la tradition de Moïse sur toutes les autres cosmogonies
Chapitre II – Chute de l’Homme. Le Serpent. Un mot hébreu
Chapitre III – Constitution primitive de l’Homme. Nouvelle preuve du péché originel
Livre IV – Suite des vérités des ecritures. Objections contre le système de Moïse
Chapitre I – Chronologie
Chapitre II – Logographie et faits historiques
Chapitre III – Astronomie
Chapitre IV – Histoire naturelle; Déluge
Chapitre V – Jeunesse et vieillesse de la Terre
Livre V – Existence de Dieu prouvée par les merveilles de la nature
Chapitre I – Objet de ce Livre
Chapitre II – Spectacle général de l’Univers
Chapitre III – Organisation des Animaux et des Plantes
Chapitre IV – Instinct des Animaux
Chapitre V – Chant des Oiseaux; qu’il est fait pour l’homme. Loi relative aux cris des Animaux
Chapitre VI – Nids des Oiseaux
Chapitre VII – Migration des Oiseaux. Oiseaux aquatiques; leurs mœurs. Bonté de la Providence
Chapitre VIII – Oiseaux des mers; comment utiles à l’homme. Que les migrations des Oiseaux servaient de calendrier aux laboureurs dans les anciens jours
Chapitre IX – Suite des Migrations. — Quadrupèdes
Chapitre X – Amphibies et Reptiles
Chapitre XI – Des Plantes et de leurs Migrations
Chapitre XII – Deux perspectives de la Nature
Chapitre XIII – L’Homme physique
Chapitre XIV – Instinct de la Patrie
Livre VI – Immortalité de l’âme prouvée par la morale et le sentiment
Chapitre I – Désir de bonheur dans l’Homme
Chapitre II – Du Remords et de la Conscience
Chapitre III – Qu’il n’y a point de morale s’il n’y a point d’autre vie. Présomption en faveur de l’âme, tirée du respect de l’homme pour les tombeaux
Chapitre IV – De quelques objections
Chapitre V – Danger et inutilité de l’Athéisme
Chapitre VI – Fin des dogmes du Christianisme. – État des peines et des récompenses dans une autre vie. Elysée antique, etc
Chapitre VII – Jugement dernier
Chapitre VIII – Bonheur des Justes
Partie II – Poétique du Christianisme
Livre I – Vue générale des épopées chrétiennes
Chapitre I – Que la poétique du Christianisme se divise en trois branches: Poésie, Beaux-arts, Littérature; que les six livres de cette seconde partie traitent spécialement de la poésie
Chapitre II – Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. — L’Enfer du Dante. — La Jérusalem délivrée
Chapitre III – Paradis perdu
Chapitre IV – De quelques Poèmes français et étrangers
Chapitre V – La Henriade
Livre II – Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères
Chapitre I – Caractères naturels
Chapitre II – Des Epoux. — Ulysse et Pénélope
Chapitre III – Suite des Epoux. — Adam et Eve
Chapitre IV – Le Père. — Priam
Chapitre V – Suite du Père. — Lusignan
Chapitre VI – La Mère. — Andromaque
Chapitre VII – Le Fils. — Guzman
Chapitre VIII – La Fille. — Iphigénie
Chapitre IX – Caractères sociaux. — Le Prêtre
Chapitre X – Suite du Prêtre. — La Sibylle. – Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine
Chapitre XI – Le Guerrier. — Définition du beau idéal
Chapitre XII – Suite du Guerrier
Livre III – Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions
Chapitre I – Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu
Chapitre II – Amour passionné. — Didon
Chapitre III – La Phèdre de Racine
Chapitre IV – Julie d’Etange; Clémentine
Chapitre V – Héloïse et Abeilard
Chapitre VI – Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée
Chapitre VII – Paul et Virginie
Chapitre VIII – La Religion chrétienne considérée elle-même comme passion
Chapitre IX – Du vague des Passions
Livre IV – Du merveilleux, ou de la poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels
Chapitre I – Que la Mythologie rapetissait la nature; que les Anciens n’avaient point de poésie proprement dite descriptive
Chapitre II – De l’Allégorie
Chapitre III – Partie historique de la Poésie descriptive chez les modernes
Chapitre IV – Si les divinités du paganisme ont poétiquement la supériorité sur les divinités chrétiennes
Chapitre V – Caractère du vrai Dieu
Chapitre VI – Des Esprits de ténèbres
Chapitre VII – Des Saints
Chapitre VIII – Des Anges
Chapitre IX – Application des principes établis dans les chapitres précédents. — Caractère de Satan
Chapitre X – Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage. — Raphaël au berceau d’Eden
Chapitre XI – Suite des machines poétiques. — Songe d’Enée; songe d’Athalie
Chapitre XII – Suite des machines poétiques. Voyages des dieux homériques; Satan allant à la découverte de la création
Chapitre XIII – L’Enfer chrétien
Chapitre XIV – Parallèle de l’Enfer et du Tartare. Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables
Chapitre XV – Du purgatoire
Chapitre XVI – Le Paradis
Livre V – La Bible et Homère
Chapitre I – De l’Ecriture et de son excellence
Chapitre II – Qu’il y a trois styles principaux dans l’Ecriture
Chapitre III – Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaisons
Chapitre IV – Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples
Partie III – Beaux-arts et littérature
Livre I – Beaux-arts
Chapitre I – Musique – De l’influence du Christianisme dans la musique
Chapitre II – Du Chant grégorien
Chapitre III – Partie historique de la Peinture chez les modernes
Chapitre IV – Des sujets de tableaux
Chapitre V – Sculpture
Chapitre VI – Architecture. — Hôtel des Invalides
Chapitre VII – Versailles
Chapitre VIII – Des Églises gothiques
Livre II – Philosophie
Chapitre I – Astronomie et mathématiques
Chapitre II – Chimie et Histoire naturelle
Chapitre III – Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens
Chapitre IV – Suite des philosophes chrétiens. — Publicistes
Chapitre V – Moralistes. — La Bruyère
Chapitre VI – Suite des Moralistes
Livre III – Histoire
Chapitre I – Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire
Chapitre II – Causes générales qui ont empêché les écrivains modernes de réussir dans l’histoire. — Première cause: beautés des sujets antiques
Chapitre III – Seconde cause: Les Anciens ont épuisé tous les genres d’histoire, hors le genre chrétien
Chapitre IV – Pourquoi les Français n’ont que des Mémoires
Chapitre V – Beau côté de l’Histoire moderne
Chapitre VI – Voltaire historien
Chapitre VII – Philippe de Commines et Rollin
Chapitre VIII – Bossuet historien
Livre IV – Eloquence
Chapitre I – Du Christianisme dans l’éloquence
Chapitre II – Des Orateurs. — Les Pères de l’Église
Chapitre III – Massillon
Chapitre IV – Bossuet orateur
Chapitre V – Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie
Livre V – Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain
Chapitre I – Division des harmonies
Chapitre II – Harmonies physiques. — Suite des monuments religieux; couvents maronites, coptes, etc
Chapitre III – Les ruines en général. — Qu’il y en a de deux espèces
Chapitre IV – Effet pittoresque des ruines. — Ruines de Palmyre, d’Egypte, etc
Chapitre V – Ruines des monuments chrétiens
Chapitre VI – Harmonies morales. — Dévotions populaires
Partie IV – Culte
Livre I – Églises, ornements, chants, prières, solennités, etc.
Chapitre I – Des cloches
Chapitre II – Du vêtement des prêtres et des ornements de l’Église
Chapitre III – Des chants et des prières
Chapitre IV – Des solennités de l’Église. — Du Dimanche
Chapitre V – Explication de la Messe
Chapitre VI – Cérémonies et prières de la messe
Chapitre VII – La Fête-Dieu
Chapitre VIII – Les Rogations
Chapitre IX – De quelques Fêtes chrétiennes. — Les Rois, Noël, etc
Chapitre X – Funérailles. — Pompes funèbres des grands
Chapitre XI – Funérailles du guerrier. — Convois des riches, coutumes, etc
Chapitre XII – Des Prières pour les Morts
Livre II – Tombeaux
Chapitre I – Tombeaux antiques. — L’Egypte
Chapitre II – Les Grecs et les Romains
Chapitre III – Tombeaux modernes. — La Chine et la Turquie
Chapitre IV – La Calédonie ou l’ancienne Ecosse
Chapitre V – Otaïti
Chapitre VI – Tombeaux chrétiens
Chapitre VII – Cimetières de campagne
Chapitre VIII – Tombeaux dans les Églises
Chapitre IX – Saint-Denis
Livre III – Vue générale du clergé
Chapitre I – De Jésus-Christ et de sa vie
Chapitre II – Clergé séculier. — Hiérarchie
Chapitre III – Clergé régulier. — Origine de la vie monastique
Chapitre IV – Des Constitutions monastiques
Chapitre V – Tableau des mœurs et de la vie religieuse. — Moines, coptes, maronites, etc
Chapitre VI – Trappistes, chartreux, sœurs de Sainte-Claire, Pères de la Rédemption, missionnaires, filles de la Charité, etc
Livre IV – Missions
Chapitre I – Idée générale des Missions
Chapitre II – Missions du Levant
Chapitre III – Missions de la Chine
Chapitre IV – Missions du Paraguay. — Conversion des sauvages
Chapitre V – Suite des Missions du Paraguay. — République chrétienne. Bonheur des Indiens
Chapitre VI – Missions de la Guyane
Chapitre VII – Mission des Antilles
Chapitre VIII – Missions de la Nouvelle-France
Chapitre IX – Fin des Missions
Livre V – Ordres militaires de chevalerie
Chapitre I – Chevaliers de Malte
Chapitre II – Ordre Teutonique
Chapitre III – Chevaliers de Calatrave et de Saint-Jacques-de-l’Epée, en Espagne
Chapitre IV – Vie et mœurs des Chevaliers
Livre VI – Services rendus à la société par le clergé et la religion chrétienne en général
Chapitre I – Immensité des bienfaits du Christianisme
Chapitre II – Hôpitaux
Chapitre III – Hôtel-Dieu, Sœurs grises
Chapitre IV – Enfants-Trouvés, Dames de la Charité, Traits de bienfaisance
Chapitre V – Education. — Écoles, collèges, universités; Bénédictins et Jésuites
Chapitre VI – Papes et cour de Rome, découvertes modernes, etc
Chapitre VII – Agriculture
Chapitre VIII – Villes et villages, ponts, grands chemins, etc
Chapitre IX – Arts et Métiers, Commerce
Chapitre X – Des Lois civiles et criminelles
Chapitre XI – Politique et Gouvernement
Chapitre XII – Récapitulation générale
Chapitre XIII – Quel serait aujourd’hui l’état de la société, si le Christianisme n’eût point paru sur la terre. — Conjectures. — Conclusion

Préface de l’édition de 1828

Table des matières

Lorsque le Génie du Christianisme parut, la France sortait du chaos révolutionnaire; tous les éléments de la société étaient confondus: la terrible main qui commençait à les séparer n’avait point encore achevé son ouvrage; l’ordre n’était point encore sorti du despotisme et de la gloire.

Ce fut donc, pour ainsi dire, au milieu des débris de nos temples que je publiai le Génie du Christianisme, pour rappeler dans ces temples les pompes du culte et les serviteurs des autels. Saint-Denis était abandonné: le moment n’était pas venu où Bonaparte devait se souvenir qu’il lui fallait un tombeau; il lui eût été difficile de deviner le lieu où la Providence avait marqué le sien. Partout on voyait des restes d’églises et de monastères que l’on achevait de démolir: c’était même une sorte d’amusement d’aller se promener dans ces ruines.

Si les critiques du temps, les journaux, les pamphlets, les livres, n’attestaient l’effet du Génie du Christianisme, il ne me conviendrait pas d’en parler; mais n’ayant jamais rien rapporté à moi-même, ne m’étant jamais considéré que dans mes relations générales avec les destinées de mon pays, je suis obligé de reconnaître des faits qui ne sont contestés de personne: ils ont pu être différemment jugés; leur existence n’en est pas moins avérée.

La littérature se teignit en partie des couleurs du Génie du Christianisme: des écrivains me firent l’honneur d’imiter les phrases de René et d’Atala, de même que la chaire emprunta et emprunte encore tous les jours ce que j’ai dit des cérémonies, des missions et des bienfaits du christianisme.

Les fidèles se crurent sauvés par l’apparition d’un livre qui répondait si bien à leurs dispositions intérieures: on avait alors un besoin de foi, une avidité de consolations religieuses, qui venait de la privation même de ces consolations depuis longues années. Que de force surnaturelle à demander pour tant d’adversités subies! Combien de familles mutilées avaient à chercher auprès du Père des hommes les enfants qu’elles avaient perdus! Combien de cœurs brisés, combien d’âmes devenues solitaires, appelaient une main divine pour les guérir! On se précipitait dans la maison de Dieu comme on entre dans la maison du médecin le jour d’une contagion. Les victimes de nos troubles (et que de sortes de victimes!) se sauvaient à l’autel, de même que les naufragés s’attachent au rocher sur lequel ils cherchent leur salut.

Rempli des souvenirs de nos antiques mœurs, de la gloire et des monuments de nos rois, le Génie du Christianisme respirait l’ancienne monarchie tout entière: l’héritier légitime était pour ainsi dire caché au fond du sanctuaire dont je soulevais le voile, et la couronne de saint Louis suspendue au-dessus de l’autel du Dieu de saint Louis. Les François apprirent à porter avec regret leur regard sur le passé; les voies de l’avenir furent préparées, et des espérances presque éteintes se ranimèrent.

Bonaparte, qui désirait alors fonder sa puissance sur la première base de la société, et qui venait de faire des arrangements avec la cour de Rome, ne mit aucun obstacle à la publication d’un ouvrage utile à la popularité de ses desseins. Il avait à lutter contre les hommes qui l’entouraient, contre des ennemis déclarés de toutes concessions religieuses: il fut donc heureux d’être défendu au dehors par l’opinion que le Génie du Christianisme appelait. Plus tard il se repentit de sa méprise, et au moment de sa chute il avoua que l’ouvrage qui avait le plus nui à son pouvoir était le Génie du Christianisme.

Mais Bonaparte, qui aimait la gloire, se laissait prendre à ce qui en avait l’air; le bruit lui imposait, et quoiqu’il devînt promptement inquiet de toute renommée, il cherchait d’abord à s’emparer de l’homme dans lequel il reconnaissait une force. Ce fut par cette raison que l’Institut n’ayant pas compris le Génie du Christianisme dans les ouvrages qui concouraient pour le prix décennal, reçut l’ordre de faire un rapport sur cet ouvrage; et, bien qu’alors j’eusse blessé mortellement Bonaparte, ce maître du monde entretenait tous les jours M. de Fontanes des places qu’il avait l’intention de créer pour moi, des choses extraordinaires qu’il réservait à ma fortune.

Ce temps est passé: vingt années ont fui, des générations nouvelles sont survenues, et un vieux monde qui était hors de France y est rentré.

Ce monde a joui des travaux achevés par d’autres que par lui, et n’a pas connu ce qu’ils avaient coûté: il a trouvé le ridicule que Voltaire avait jeté sur la religion effacé, les jeunes gens osant aller à la messe, les prêtres respectés au nom de leur martyre, et ce vieux monde a cru que cela était arrivé tout seul, que personne n’y avait mis la main.

Bientôt même on a senti une sorte d’éloignement pour celui qui avait rouvert la porte des temples en prêchant la modération évangélique, pour celui qui avait voulu faire aimer le christianisme par la beauté de son culte, par le génie de ses orateurs, par la science de ses docteurs, par les vertus de ses apôtres et de ses disciples. Il aurait fallu aller plus loin. Dans ma conscience je ne le pouvais pas.

Depuis vingt-cinq ans ma vie n’a été qu’un combat entre ce qui m’a paru faux en religion, en philosophie, en politique, contre les crimes ou les erreurs de mon siècle, contre les hommes qui abusaient du pouvoir pour corrompre ou pour enchaîner les peuples. Je n’ai jamais calculé le degré d’élévation de ces hommes; et depuis Bonaparte, qui faisait trembler le monde, et qui ne m’a jamais fait trembler, jusqu’aux oppresseurs obscurs qui ne sont connus que par mon mépris, j’ai osé tout dire à qui osait tout entreprendre. Partout où je l’ai pu j’ai tendu la main à l’infortune; mais je ne comprends rien à la prospérité: toujours prêt à me dévouer aux malheurs, je ne sais point servir les passions dans leur triomphe.

Aurait-on bien fait de suivre le chemin que j’avais tracé pour rendre à la religion sa salutaire influence? Je le crois. En entrant dans l’esprit de nos institutions, en se pénétrant de la connaissance du siècle, en tempérant les vertus de la foi par celle de la charité, on serait arrivé sûrement au but. Nous vivons dans un temps où il faut beaucoup d’indulgence et de miséricorde. Une jeunesse généreuse est prête à se jeter dans les bras de quiconque lui prêchera les nobles sentiments qui s’allient si bien aux sublimes préceptes de l’Evangile; mais elle fait la soumission servile, et, dans son ardeur de s’instruire, elle a un goût pour la raison tout à fait au-dessus de son âge.

Le Génie du Christianisme paraît maintenant dégagé des circonstances auxquelles on aurait pu attribuer une partie de son succès. Les autels sont relevés, les prêtres sont revenus de la captivité, les prélats sont revêtus des premières dignités de l’État. L’espèce de défaveur qui en général s’attache au pouvoir devrait pareillement s’attacher à tout ce qui a favorisé le rétablissement de ce pouvoir: on est ému du combat, on porte peu d’intérêt à la victoire.

Peut-être aussi l’auteur nuirait-il à présent, dans un certain monde, à l’ouvrage. Je ne sais comment il arrive que les services que j’ai eu le bonheur de rendre aient rarement été une cause de bienveillance pour moi auprès de ceux à qui je les ai rendus, tandis que les hommes que j’ai combattus ont toujours, au contraire, montré du penchant pour mes écrits et même pour ma personne: ce ne sont pas mes ennemis qui m’ont calomnié. Y aurait-il dans les opinions que j’ai appuyées, parce que sous beaucoup de rapports elles sont les miennes, y aurait-il un certain fond d’ingratitude naturelle? Non, sans doute, et toute faute est de mon côté.

Par les diverses considérations de temps, de lieux, de personnes, je suis obligé de conclure que, si le Génie du Christianisme continue à trouver des lecteurs, on ne peut plus en chercher les raisons dans celles qui firent son premier succès: autant les chances lui furent favorables autrefois, autant elles lui sont contraires aujourd’hui. Cependant l’ouvrage se réimprime malgré la multitude des anciennes éditions, et je le regarde toujours comme mon premier titre à la bienveillance du public.

Partie I Dogmes et doctrine

Table des matières

Livre I Mystères et sacrements

Chapitre I Introduction

Table des matières

Depuis que le christianisme a paru sur la terre, trois espèces d’ennemis l’ont constamment attaqué: les hérésiarques, les sophistes, et ces hommes, en apparence frivoles, qui détruisent tout en riant. De nombreux apologistes ont victorieusement répondu aux subtilités et aux mensonges; mais ils ont été moins heureux contre la dérision. Saint Ignace d’Antioche, saint Irénée, évêque de Lyon, Tertullien, dans son Traité des Prescriptions que Bossuet appelle divin, combattirent les novateurs, dont les interprétations superbes corrompaient la simplicité de la foi.

La calomnie fut repoussée d’abord par Quadrat et Aristide, philosophes d’Athènes: on ne connaît rien de leurs apologies, hors un fragment de la première, conservé par Eusèbe. Saint Jérôme et l’évêque de Césarée parlent de la seconde comme d’un chef-d’œuvre.

Les païens reprochaient aux fidèles l’athéisme, l’inceste, et certains repas abominables où l’on mangeait, disaiton, la chair d’un enfant nouveau-né. Saint Justin plaida la cause des chrétiens après Quadrat et Aristide: son style est sans ornement, et les actes de son martyre prouvent qu’il versa son sang pour sa religion avec la même simplicité qu’il écrivit pour elle.

Athénagore a mis plus d’esprit dans sa défense; mais il n’a ni la manière originale de Justin, ni l’impétuosité de l’auteur de l’Apologétique. Tertullien est le Bossuet africain et barbare. Théophile, dans les trois livres à son ami Autolyque, montre de l’imagination et du savoir; et l’Octave de Minucius Félix présente le beau tableau d’un chrétien et de deux idolâtres qui s’entretiennent de la religion et de la nature de Dieu en se promenant au bord de la mer.

Arnobe le rhéteur, Lactance, Eusèbe, saint Cyprien, ont aussi défendu le christianisme; mais ils se sont moins attachés à en relever la beauté qu’à développer les absurdités de l’idolâtrie.

Origène combattit les sophistes; il semble avoir eu l’avantage de l’érudition, du raisonnement et du style, sur Celse, son adversaire. Le grec d’Origène est singulièrement doux; il est cependant mêlé d’hébraïsmes et de tours étrangers, comme il arrive assez souvent aux écrivains qui possèdent plusieurs langues.

L’Église, sous l’empereur Julien, fut exposée à une persécution du caractère le plus dangereux. On n’employa pas la violence contre les chrétiens, mais on leur prodigua le mépris. On commença par dépouiller les autels; on défendit ensuite aux fidèles d’enseigner et d’étudier les lettres. Mais l’empereur, sentant l’avantage des institutions chrétiennes, voulut, en les abolissant, les imiter: il fonda des hôpitaux et des monastères, et, à l’instar du culte évangélique, il essaya d’unir la morale à la religion, en faisant prononcer des espèces de sermons dans les temples.

Les sophistes dont Julien était environné se déchaînèrent contre le christianisme; Julien même ne dédaigna pas de se mesurer avec les galiléens. L’ouvrage qu’il écrivit contre eux ne nous est pas parvenu; mais saint Cyrille, patriarche d’Alexandrie, en cite des fragments dans la réfutation qu’il en a faite et que nous avons encore. Lorsque Julien est sérieux, saint Cyrille triomphe du philosophe; mais lorsque l’empereur a recours à l’ironie, le patriarche perd ses avantages. Le style de Julien est vif, animé, spirituel; saint Cyrille s’emporte, il est bizarre, obscur et contourné. Depuis Julien jusqu’à Luther, l’Église, dans toute sa force, n’eut plus besoin d’apologistes. Quand le schisme d’Occident se forma, avec les nouveaux ennemis parurent de nouveaux défenseurs. Il le faut avouer, les protestants eurent d’abord la supériorité sur les catholiques, du moins par les formes, comme le remarque Montesquieu. Erasme même fut faible contre Luther, et Théodore de Bèze eut une légèreté de style qui manqua trop souvent à ses adversaires.

Mais, lorsque Bossuet descendit dans la carrière, la victoire ne demeura pas longtemps indécise; l’hydre de l’hérésie fut de nouveau terrassée. L’Histoire des Variations et l’Exposition de la Doctrine catholique sont deux chefs-d’œuvre qui passeront à la postérité.

Il est naturel que le schisme mène à l’incrédulité, et que l’athéisme suive l’hérésie. Bayle et Spinoza s’élevèrent après Calvin; ils trouvèrent dans Clarke et Leibnitz deux génies capables de réfuter leurs sophismes. Abbadie écrivit en faveur de la religion une apologie remarquable par la méthode et le raisonnement. Malheureusement le style en est faible, quoique les pensées n’y manquent pas d’un certain éclat. » Si les philosophes anciens, dit Abbadie, adoraient les vertus, ce n’était après tout qu’une belle idolâtrie. »

Tandis que l’Église triomphait encore, déjà Voltaire faisait renaître la persécution de Julien. Il eut l’art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l’incrédulité à la mode. Il enrôla tous les amours-propres dans cette ligue insensée; la religion fut attaquée avec toutes les armes, depuis le pamphlet jusqu’à l’in-folio, depuis l’épigramme jusqu’au sophisme. Un livre religieux paraissait-il, l’auteur était à l’instant couvert de ridicule, tandis qu’on portait aux nues des ouvrages dont Voltaire était le premier à se moquer avec ses amis: il était si supérieur à ses disciples, qu’il ne pouvait s’empêcher de rire quelquefois de leur enthousiasme irréligieux. Cependant le système destructeur allait s’étendant sur la France. Il s’établissait dans ces académies de province, qui ont été autant de foyers de mauvais goût et de factions. Des femmes de la société, de graves philosophes, avaient leurs chaires d’incrédulité. Enfin, il fut reconnu que le christianisme n’était qu’un système barbare, dont la chute ne pouvait arriver trop tôt pour la liberté des hommes, le progrès des lumières, les douceurs de la vie et l’élégance des arts. Sans parler de l’abîme où ces principes nous ont plongés, les conséquences immédiates de cette haine contre l’Evangile furent un retour plus affecté que sincère vers ces dieux de Rome et de la Grèce, auxquels on attribua les miracles de l’antiquité. On ne fut point honteux de regretter ce culte, qui ne faisait du genre humain qu’un troupeau d’insensés, d’impudiques, ou de bêtes féroces. On dut nécessairement arriver de là au mépris des écrivains du siècle de Louis XIV, qui ne s’élevèrent toutefois à une si haute perfection que parce qu’ils furent religieux. Si l’on n’osa pas les heurter de front, à cause de l’autorité de leur renommée, on les attaqua d’une manière indirecte. On fit entendre qu’ils avaient été secrètement incrédules, ou que du moins ils fussent devenus de bien plus grands hommes, s’ils avaient vécu de nos jours. Chaque auteur bénit son destin de l’avoir fait naître dans le beau siècle des Diderot et des d’Alembert, dans ce siècle où les documents de la sagesse humaine étaient rangés par ordre alphabétique dans l’Encyclopédie, cette Babel des sciences et de la raison.

Des hommes d’une grande doctrine et d’un esprit distingué essayèrent de s’opposer à ce torrent; mais leur résistance fut inutile: leur voix se perdit dans la foule, et leur victoire fut ignorée d’un monde frivole, qui cependant dirigeait la France, et que par cette raison il était nécessaire de toucher.

Ainsi cette fatalité qui avait fait triompher les sophistes sous Julien se déclara pour eux dans notre siècle. Les défenseurs des chrétiens tombèrent dans une faute qui les avait déjà perdus: ils ne s’aperçurent pas qu’il ne s’agissait plus de discuter tel ou tel dogme, puisqu’on rejetait absolument les bases. En parlant de la mission de Jésus-Christ, et remontant de conséquence en conséquence, ils établissaient sans doute fort solidement les vérités de la foi; mais cette manière d’argumenter, bonne au XVIIe siècle, lorsque le fond n’était point contesté, ne valait plus rien de nos jours. Il fallait prendre la route contraire: passer de l’effet à la cause, ne pas prouver que le christianisme est excellent parce qu’il vient de Dieu, mais qu’il vient de Dieu parce qu’il est excellent.

C’était encore une autre erreur que de s’attacher à répondre sérieusement à des sophistes, espèce d’hommes qu’il est impossible de convaincre, parce qu’ils ont toujours tort. On oubliait qu’ils ne cherchent jamais de bonne foi la vérité, et qu’ils ne sont même attachés à leur système qu’en raison du bruit qu’il fait, prêts à en changer demain avec l’opinion.

Pour n’avoir pas fait cette remarque, on perdit beaucoup de temps et de travail. Ce n’étaient pas les sophistes qu’il fallait réconcilier à la religion, c’était le monde qu’ils égaraient. On l’avait réduit en lui disant que le christianisme était un culte né du sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté; un culte qui n’avait fait que verser le sang, enchaîner les hommes et retarder le bonheur et les lumières du genre humain; on devait donc chercher à prouver au contraire que de toutes les religions qui ont jamais existé la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres; que le monde moderne lui doit tout, depuis l’agriculture jusqu’aux sciences abstraites, depuis les hospices pour les malheureux jusqu’aux temples bâtis par Michel-Ange et décorés par Raphaël. On devait montrer qu’il n’y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte; on devait dire qu’elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l’écrivain, et des moules parfaits à l’artiste; qu’il n’y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine; enfin, il fallait appeler tous les enchantements de l’imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avait armés.

Ici le lecteur voit notre ouvrage. Les autres genres d’apologies sont épuisés, et peut-être seraient-ils inutiles aujourd’hui. Qui est-ce qui lirait maintenant un ouvrage de théologie? Quelques hommes pieux qui n’ont pas besoin d’être convaincus, quelques vrais chrétiens déjà persuadés. Mais n’y a-t-il pas de danger à envisager la religion sous un jour purement humain? Et pourquoi? Notre religion craint-elle la lumière? Une grande preuve de sa céleste origine, c’est qu’elle souffre l’examen le plus sévère et le plus minutieux de la raison. Veut-on qu’on nous fasse éternellement le reproche de cacher nos dogmes dans une nuit sainte, de peur qu’on n’en découvre la fausseté? Le christianisme sera-t-il moins vrai quand il paraîtra plus beau? Bannissons une frayeur pusillanime; par excès de religion, ne laissons pas la religion périr. Nous ne sommes plus dans le temps où il était bon de dire: Croyez, et n’examinez pas; on examinera malgré nous; et notre silence timide, en augmentant le triomphe des incrédules, diminuera le nombre des fidèles. Il est temps qu’on sache enfin à quoi se réduisent ces reproches d’absurdité, de grossièreté, de petitesse, qu’on fait tous les jours au christianisme; il est temps de montrer que, loin de rapetisser la pensée, il se prête merveilleusement aux élans de l’âme, et peut enchanter l’esprit aussi divinement que les dieux de Virgile et d’Homère. Nos raisons auront du moins cet avantage qu’elles seront à la portée de tout le monde, et qu’il ne faudra qu’un bon sens pour en juger. On néglige peut-être un peu trop, dans les ouvrages de ce genre, de parler la langue de ses lecteurs: il faut être docteur avec le docteur, et poète avec le poète. Dieu ne défend pas les routes fleuries quand elles servent à revenir à lui, et ce n’est pas toujours par les sentiers rudes et sublimes de la montagne que la brebis égarée retourne au bercail.

Nous osons croire que cette manière d’envisager le christianisme présente des rapports peu connus: sublime par l’antiquité de ses souvenirs, qui remontent au berceau du monde, ineffable dans ses mystères, adorable dans ses sacrements, intéressant dans son histoire, céleste dans sa morale, riche et charmant dans ses pompes, il réclame toutes les sortes de tableaux. Voulez-vous le suivre dans la poésie? le Tasse, Milton, Corneille, Racine, Voltaire, vous retracent ses miracles. Dans les belles-lettres, l’éloquence, l’histoire, la philosophie? que n’ont point fait par son inspiration Bossuet, Fénelon, Massillon, Bourdaloue, Bacon, Pascal, Euler, Newton, Leibnitz! Dans les arts? que de chefs-d’œuvre! Si vous l’examinez dans son culte, que de choses ne vous disent point et ses vieilles églises gothiques, et ses prières admirables, et ses superbes cérémonies! Parmi son clergé, voyez tous ces hommes qui vous ont transmis la langue et les ouvrages de Rome et de la Grèce, tous ces solitaires de la Thébaïde, tous ces lieux de refuge pour les infortunés, tous ces missionnaires à la Chine, au Canada, au Paraguay, sans oublier les ordres militaires, d’où va naître la chevalerie! Mœurs de nos aïeux, peinture des anciens jours, poésie, romans même, choses secrètes de la vie, nous avons tout fait servir à notre cause. Nous demandons des sourires au berceau et des pleurs à la tombe; tantôt, avec le moine maronite, nous habitons les sommets du Carmel et du Liban; tantôt, avec la fille de la Charité, nous veillons au lit du malade; ici deux époux américains nous appellent au fond de leurs déserts; là nous entendons gémir la vierge dans les solitudes du cloître; Homère vient se placer auprès de Milton, Virgile à côté du Tasse; les ruines de Memphis et d’Athènes contrastent avec les ruines des monuments chrétiens, les tombeaux d’Ossian avec nos cimetières de campagne; à Saint-Denis nous visitons la cendre des rois; et quand notre sujet nous force de parler du dogme de l’existence de Dieu, nous cherchons seulement nos preuves dans les merveilles de la nature; enfin, nous essayons de frapper au cœur de l’incrédule de toutes les manières, mais nous n’osons nous flatter de posséder cette verge miraculeuse de la religion, qui fait jaillir du rocher les sources d’eau vive.

Quatre parties, divisées chacune en six livres, composent notre ouvrage. La première traite des dogmes et de la doctrine.

La seconde et la troisième renferment la poétique du christianisme, ou les rapports de cette religion avec la poésie, la littérature et les arts.

La quatrième contient le culte, c’est-à-dire tout ce qui concerne les cérémonies de l’Église et tout ce qui regarde le clergé séculier et régulier.

Au reste, nous avons souvent rapproché les dogmes et la doctrine des autres cultes des dogmes, de la doctrine et du culte évangéliques: pour satisfaire toutes les classes de lecteurs, nous avons aussi touché de temps en temps la partie historique et mystique de la religion. Maintenant que le lecteur connaît le plan général de l’ouvrage, entrons dans l’examen des Dogmes et de la Doctrine; et, afin de passer aux mystères chrétiens, commençons par nous enquérir de la nature des choses mystérieuses.

Chapitre II De la nature du Mystère

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Il n’est rien de beau, de doux, de grand dans la vie, que les choses mystérieuses. Les sentiments les plus merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément: la pudeur, l’amour chaste, l’amitié vertueuse, sont pleins de secrets. On dirait que les cœurs qui s’aiment s’entendent à demi-mot, et qu’ils ne sont que comme entrouverts. L’innocence, à son tour, qui n’est qu’une simple ignorance, n’est-elle pas le plus ineffable des mystères? L’enfance n’est si heureuse que parce qu’elle ne sait rien, la vieillesse si misérable que parce qu’elle sait tout; heureusement pour elle, quand les mystères de la vie finissent, ceux de la mort commencent.

S’il en est ainsi des sentiments, il en est ainsi des vertus: les plus angéliques sont celles qui, découlant immédiatement de Dieu, telles que la charité, aiment à se cacher au regard, comme leur source.

En passant aux rapports de l’esprit, nous trouvons que les plaisirs de la pensée sont aussi des secrets. Le secret est d’une nature si divine, que les premiers hommes de l’Asie ne parlaient que par symboles. À quelle science revient-on sans cesse? À celle qui laisse toujours quelque chose à deviner et qui fixe nos regards sur une perspective infinie. Si nous nous égarons dans le désert, une sorte d’instinct nous fait éviter les plaines, où tout est vu d’un coup d’œil; nous allons chercher ces forêts, berceau de la religion, ces forêts dont l’ombre, les bruits et le silence sont remplis de prodiges, ces solitudes où les corbeaux et les abeilles nourrissaient les premiers Pères de l’Église, et où ces saints hommes goûtaient tant de délices, qu’ils s’écriaient:

« Seigneur, c’est assez: je mourrai de douceurs, si vous ne modérez ma joie! » Enfin, on ne s’arrête pas au pied d’un monument moderne dont l’origine est connue; mais que dans une île déserte, au milieu de l’Océan, on trouve tout à coup une statue de bronze dont le bras déployé montre les régions où le soleil se couche, et dont la base soit chargée d’hiéroglyphes et rongée par la mer et le temps, quelle source de méditation pour le voyageur! Tout est caché, tout est inconnu dans l’univers. L’homme lui-même n’est-il pas un étrange mystère? D’où part l’éclair que nous appelons existence, et dans quelle nuit va-t-il s’éteindre? L’Eternel a placé la Naissance et la Mort, sous la forme de deux fantômes voilés, aux deux bouts de notre carrière: l’un produit l’inconcevable moment de notre vie, que l’autre s’empresse de dévorer.

Il n’est donc point étonnant, d’après le penchant de l’homme aux mystères, que les religions de tous les peuples aient eu leurs secrets impénétrables. Les Selles étudiaient les paroles prodigieuses des colombes de Podone; l’Inde, la Perse, l’Ethiopie, la Scythie, les Gaules, la Scandinavie, avaient leurs cavernes, leurs montagnes saintes, leurs chênes sacrés, où le brahmane, le mage, le gymnosophiste, le druide, prononçaient l’oracle inexplicable des Immortels.

À Dieu ne plaise que nous voulions comparer ces mystères aux mystères de la véritable religion, et les immuables profondeurs du Souverain qui est dans le ciel aux changeantes obscurités de ces dieux, ouvrage de la main des hommes. Nous avons seulement voulu faire remarquer qu’il n’y a point de religion sans mystères; ce sont eux qui, avec le sacrifice, constituent essentiellement le culte: Dieu même est le grand secret de la nature; la divinité était voilée en Egypte, et le sphinx s’asseyait sur le seuil de ses temples.

Chapitre III Des Mystères chrétiens. — De la Trinité

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On découvre au premier coup d’œil, dans la partie des mystères, un grand avantage de la religion chrétienne sur les religions de l’antiquité. Les mystères de celles-ci n’avaient aucun rapport avec l’homme, et ne formaient tout au plus qu’un sujet de réflexion pour le philosophe, ou de chants pour le poète. Nos mystères, au contraire, s’adressent à nous; ils contiennent les secrets de notre nature. Il ne s’agit plus d’un futile arrangement de nombres, mais du salut et du bonheur du genre humain. L’homme qui sent si bien chaque jour son ignorance et sa faiblesse pourrait-il rejeter les mystères de Jésus-Christ? ce sont ceux des infortunés!

La Trinité, premier mystère des chrétiens, ouvre un champ immense d’études philosophiques, soit qu’on la considère dans les attributs de Dieu, soit qu’on recherche les vestiges de ce dogme autrefois répandu dans l’Orient. C’est une très méchante manière de raisonner que de rejeter ce qu’on ne peut comprendre. À partir des choses les plus simples dans la vie, il serait aisé de prouver que nous ignorons tout: et nous voulons pénétrer dans les ruses de la Sagesse!

La Trinité fut peut-être connue des Egyptiens: l’inscription grecque du grand obélisque du Cirque majeur, à Rome, portait:

Megax Qeox, le grand Dieu; Qeogenhtox, l’Engendré de Dieu, et Pamfegghx le Tout Brillant (Apollon, l’Esprit).

Héraclide de Pont et Porphyre rapportent un fameux oracle de Sérapis:

Prwta Qeox, metepeita logox, cai peuma sun autoix

… Sumfuta dh tria panta, cai eix en eonta.

Tout est Dieu dans l’origine; puis le Verbe et l’Esprit: trois Dieux coengendrés ensemble et se réunissant dans un seul.

Les Mages avaient une espèce de Trinité dans leur Métris, Oromasis et Araminis, ou Mitra, Oromase et Aramine.

Platon semble parler de ce dogme dans plusieurs endroits de ses ouvrages.

« Non seulement, dit Dacier, on prétend qu’il a connu le Verbe, fils éternel de Dieu, on soutient même qu’il a connu le Saint-Esprit, et qu’ainsi il a eu quelque idée de la très sainte Trinité, car il écrit au jeune Denys:

« Il faut que je déclare à Archédémas ce qui est beaucoup plus précieux et plus divin, et que vous avez grande envie de savoir, puisque vous me l’avez envoyé exprès: car, selon ce qu’il m’a dit, vous ne croyez pas que je vous aie suffisamment expliqué ce que je pense sur la nature du premier principe: il faut vous l’écrire par énigmes, afin que, si ma lettre est interceptée sur terre ou sur mer, celui qui la lira n’y puisse rien comprendre. Toutes choses sont autour de leur roi; elles sont à cause de lui et il est seul la cause des bonnes choses, second pour les secondes, et troisième pour les troisièmes. »

« Dans l’Epinomis et ailleurs, il établit pour principe le premier bien, le Verbe ou l’entendement, et l’âme. Le premier bien, c’est Dieu; … le Verbe, ou l’entendement, c’est le fils de ce premier bien, qui l’a engendré semblable à lui; et l’âme, qui est le terme entre le Père et le Fils, c’est le Saint-Esprit. »

Platon avait emprunté cette doctrine de la Trinité de Timée de Locres, qui la tenait lui-même de l’École italique. Marsile Ficin, dans une de ses remarques sur Platon, montre, d’après Jamblique, Porphyre, Platon et Maxime de Tyr, que les pythagoriciens connaissaient aussi l’excellence du Ternaire; Pythagore l’a même indiqué dans ce symbole:

Protima to schma, cai bhma, cai Triwbolon.

Honorato in primis habitum, tribunal et Triobolum.

Aux Indes la Trinité est connue.

« Ce que j’ai vu de plus marqué et de plus étonnant dans ce genre, dit le père Calmette, c’est un texte tiré de Lamaastambam, l’un de leurs livres… Il commence ainsi: Le Seigneur, le bien, le grand Dieu; dans sa bouche est la parole. (Le terme dont ils se servent la personnifie.) Il parle ensuite du Saint-Esprit en ces termes: Ventu, seu Spiritus perfectus, et finit par la création, en l’attribuant à un seul Dieu. »

Au Tibet.

« Voici ce que j’appris de la religion du Tibet: ils appellent Dieu Konciosa, et ils semblent avoir quelque idée de l’adorable Trinité: car tantôt ils le nomment Koncikocick, Dieu-un, et tantôt Koncioksum, Dieu-trin. Ils se servent d’une espèce de chapelet, sur lequel ils prononcent ces paroles, om, ha, hum. Lorsqu’on leur en demande l’explication, ils répondent que om signifie intelligence, ou bras, c’est-à-dire puissance; que ha est la parole; que hum est le cœur ou l’amour, et que ces trois mots signifient Dieu. »

Les missionnaires anglais à Otaïti ont trouvé quelques traces de la Trinité parmi les dogmes religieux des habitants de cette île.

Nous croyons d’ailleurs entrevoir dans la nature même une sorte de preuve physique de la Trinité. Elle est l’archétype de l’univers, ou, si l’on veut, sa divine charpente. Ne serait-il pas possible que la forme extérieure et matérielle participât de l’arche intérieure et spirituelle qui la soutient, de même que Platon représentait les choses corporelles comme l’ombre des pensées de Dieu? Le nombre de Trois semble être dans la nature le terme par excellence. Le Trois n’est point engendré, et engendre toutes les autres fractions, ce qui le faisait appeler le nombre sans mère par Pythagore.

On peut découvrir quelque tradition obscure de la Trinité jusque dans les fables du polythéisme.

Les Grâces l’avaient prise pour leur terme; elle existait au Tartare, pour la vie et la mort de l’homme, et pour la vengeance céleste; enfin, trois dieux frères composaient, en se réunissant, la puissance entière de l’univers.

Les philosophes divisaient l’homme moral en trois parts, et les Pères de l’Église ont cru retrouver l’image de la Trinité spirituelle dans l’âme de l’homme.

« Si nous imposons silence à nos sens, dit Bossuet, et que nous nous renfermions pour un peu de temps au fond de notre âme, c’est-à-dire dans cette partie où la vérité se fait entendre, nous y verrons quelque image de la Trinité que nous adorons. La pensée, que nous sentons naître comme le germe de notre esprit, comme le fils de notre intelligence, nous donne quelque idée du Fils de Dieu conçu éternellement dans l’intelligence du Père céleste. C’est pourquoi ce fils de Dieu prend le nom de Verbe, afin que nous entendions qu’il naît dans le sein du Père, non comme naissent les corps, mais comme naît dans notre âme cette parole intérieure que nous y sentons, quand nous contemplons la vérité.

« Mais la fécondité de notre esprit ne se termine pas à cette parole intérieure, à cette pensée intellectuelle, à cette image de la vérité qui se forme en nous. Nous aimons et cette parole intérieure, et l’esprit où elle naît; et en l’aimant nous sentons en nous quelque chose qui ne nous est pas moins précieux que notre esprit et notre pensée, qui est le fruit de l’un et de l’autre, qui les unit, qui s’unit à eux, et ne fait avec eux qu’une même vie.

Ainsi, autant qu’il se peut trouver de rapport entre Dieu et l’homme, ainsi, dis-je, se produit en Dieu l’amour éternel, qui sort du Père qui pense, et du Fils qui est sa pensée, pour faire avec lui et sa pensée une même nature, également heureuse et parfaite. »

Voilà un assez beau commentaire, à propos d’un seul mot de la Genèse: Faisons l’homme.

Tertullien, dans son Apologétique, s’exprime ainsi sur le grand mystère de notre religion:

« Dieu a créé le monde par sa parole, sa raison et sa puissance. Vos philosophes mêmes conviennent que logos, le verbe et la raison, est le créateur de l’univers. Les chrétiens ajoutent seulement que la propre substance du verbe et de la raison, cette substance par laquelle Dieu a tout produit, est esprit; que cette parole, ou le verbe, a dû être prononcé par Dieu; que Dieu, l’ayant prononcé, l’a engendré; que conséquemment il est Fils de Dieu, et Dieu, à cause de l’unité de substance. Si le soleil prolonge un rayon, sa substance n’est pas séparée, mais étendue. Ainsi le verbe est esprit d’un esprit, et Dieu de Dieu, comme une lumière allumée d’une autre lumière. Ainsi ce qui procède de Dieu est Dieu, et les deux avec leur esprit ne font qu’un, différant en propriété, non en nombre; en ordre, non en nature: le Fils est sorti de son principe sans le quitter. Or, ce rayon de Dieu est descendu dans le sein d’une vierge; il s’est revêtu de chair; il s’est fait homme uni à Dieu. Cette chair, soutenue de l’esprit, se nourrit, croît, parle, enseigne, opère: c’est le Christ. »

Cette démonstration de la Trinité peut être comprise par les esprits les plus simples. Il se faut souvenir que Tertullien parlait à des hommes qui persécutaient Jésus-Christ, et qui n’auraient pas mieux aimé que de trouver moyen d’attaquer la doctrine, et même la personne de ses défenseurs. Nous ne pousserons pas plus loin ces preuves, et nous les abandonnons à ceux qui ont étudié la secte italique et la haute théologie chrétienne.

Quant aux images qui soumettent à la faiblesse de nos sens le plus grand des mystères, nous avons peine à concevoir ce que le redoutable triangle de feu imprimé dans la nue peut avoir de ridicule en poésie. Le Père, sous la figure d’un vieillard, ancêtre majestueux des temps, ou représenté comme une effusion de lumière, serait-il donc une peinture si inférieure à celles de la mythologie? N’est-ce pas une chose merveilleuse de voir l’Esprit saint, l’esprit sublime de Jéhovah, porté par l’emblème de la douceur, de l’amour et de l’innocence? Dieu se sent-il travaillé du besoin de semer sa parole, l’Esprit n’est plus cette Colombe qui couvrait les hommes de ses ailes de paix, c’est un verbe visible, c’est une langue de feu qui parle tous les dialectes de la terre, et dont l’éloquence élève ou renverse des empires.

Pour peindre le Fils divin, il nous suffira d’emprunter les paroles de celui qui le contempla dans sa gloire. » Il était assis sur un trône, dit l’Apôtre; son visage brillait comme le soleil dans sa force, et ses pieds comme de l’airain fondu dans la fournaise; ses yeux étaient deux flammes. Un glaive à deux tranchants sortait de sa bouche; dans la main droite il tenait sept étoiles; dans la gauche, un livre scellé de sept sceaux. Un fleuve de lumière était devant ses lèvres. Les sept esprits de Dieu brillaient devant lui comme sept lampes; et de son marchepied sortaient des voix, des foudres et des éclairs. »

Chapitre IV De la Rédemption

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De même que la Trinité renferme les secrets de l’ordre métaphysique, la Rédemption contient les merveilles de l’homme et l’histoire de ses fins et de son cœur. Avec quel étonnement, si l’on s’arrêtait un peu dans de si hautes méditations, ne verrait-on pas s’avancer ces deux mystères qui cachent dans leurs ombres les premières intentions de Dieu et le système de l’univers! La Trinité confond notre petitesse, accable nos sens de sa gloire, et nous nous retirons anéantis devant elle. Mais la touchante Rédemption, en remplissant nos yeux de larmes, les empêche d’être trop éblouis, et nous permet du moins de les fixer un moment sur la croix.

On voit d’abord sortir de ce mystère la doctrine du péché originel, qui explique l’homme. Sans l’admission de cette vérité, connue par tradition de tous les peuples, une nuit impénétrable nous couvre. Comment sans la tache primitive rendre compte du penchant vicieux de notre nature, combattu par une voix qui nous annonce que nous fûmes formés, pour la vertu? Comment! aptitude de l’homme à la douleur, comment ses sueurs qui fécondent un sillon terrible, comment les larmes, les chagrins, les malheurs du juste, comment les triomphes et les succès impunis du méchant, comment, dis-je, sans une chute première, tout cela pourrait-il s’expliquer? C’est pour avoir méconnu, cette dégénération que les philosophes de l’antiquité tombèrent en d’étranges erreurs et qu’ils inventèrent le dogme de la réminiscence. Pour nous convaincre de la fatale vérité d’où naît le mystère qui nous rachète, nous n’avons pas besoin d’autres preuves que la malédiction prononcée contre Eve, malédiction qui s’accomplit chaque jour sous nos yeux. Que de choses dans ces brisements d’entrailles! et pourtant dans ce bonheur de la maternité quelles mystérieuses annonces de l’homme et de sa double destinée, prédite à la fois par la douleur et par la joie de la femme qui l’enfante! On ne peut se méprendre sur les voies du Très-Haut, en retrouvant les deux grandes fins de l’homme dans le travail de sa mère, et il faut reconnaître un Dieu jusque dans une malédiction.

Après tout, nous voyons chaque jour le fils puni pour le père, et le contrecoup du crime d’un méchant aller frapper un descendant vertueux: ce qui ne prouve que trop la doctrine du péché originel. Mais un Dieu de bonté et d’indulgence, sachant que nous périssons par cette chute, est venu nous sauver. Ne le demandons point à notre esprit, mais à notre cœur, nous tous faibles et coupables, comment un Dieu peut mourir. Si ce parfait modèle du bon fils, cet exemple des amis fidèles; si cette retraite au mont des Oliviers, ce calice amer, cette sueur de sang, cette douceur d’âme, cette sublimité d’esprit, cette croix, ce voile déchiré, ce rocher fendu, ces ténèbres de la nature; si ce Dieu, enfin, expirant pour les hommes, ne peut ni ravir notre cœur ni enflammer nos pensées, il est à craindre qu’on ne trouve jamais dans nos ouvrages, comme dans ceux du poète, « des miracles éclatants », speciosa miracula.

« Des images ne sont pas des raisons, dira-t-on peut-être: nous sommes dans un siècle de lumière, qui n’admet rien sans preuves. »

Que nous soyons dans un siècle de lumière, c’est ce dont quelques personnes ont douté; mais nous ne serons point étonnés, si l’on nous fait l’objection précédente. Quand on a voulu argumenter sérieusement contre le christianisme, les Origène, les Clarke, les Bossuet, ont répondu. Pressé par ces redoutables adversaires, on cherchait à leur échapper, en reprochant au christianisme ces mêmes disputes métaphysiques dans lesquelles on voudrait nous entraîner. On disait, comme Arius, Celse et Porphyre, que notre religion est un tissu de subtilités qui n’offrent rien à l’imagination ni au cœur, et qui n’ont pour sectaires que des fous et des imbéciles. Se présente-t-il quelqu’un qui, répondant à ces derniers reproches, cherche à démontrer que le culte évangélique est celui du poète, de l’âme tendre, on ne manquera pas de s’écrier: Eh! qu’est-ce que tout cela prouve, sinon que vous savez plus ou moins bien faire un tableau? Ainsi, voulez-vous peindre et toucher, on vous demande des axiomes et des corollaires. Prétendez-vous raisonner, il ne faut plus que des sentiments et des images. Il est difficile de joindre des ennemis aussi légers, et qui ne sont jamais au poste où ils vous défient. Nous hasarderons quelques mots sur la Rédemption, pour montrer que la théorie du christianisme n’est pas aussi absurde qu’on affecte de le penser.

Une tradition universelle nous apprend que l’homme a été créé dans un état plus parfait que celui où il existe à présent, et qu’il y a eu une chute. Cette tradition se fortifie de l’opinion des philosophes de tous temps et de tous pays, qui n’ont jamais pu se rendre compte de l’homme moral sans supposer un état primitif de perfection d’où la nature humaine est ensuite déchue par sa faute.

Si l’homme a été créé, il a été créé pour une fin quelconque: or, étant créé parfait, la fin à laquelle il était appelé ne pouvait être que parfaite.

Mais la cause finale de l’homme a-t-elle été altérée par sa chute? Non, puisque l’homme n’a pas été créé de nouveau; non, puisque la race humaine n’a pas été anéantie, pour faire place à une autre race.

Ainsi l’homme, devenu mortel et imparfait par sa désobéissance, est resté toutefois avec ses fins immortelles et parfaites. Comment parviendra-t-il à ses fins dans son état actuel d’imperfection? Il ne le peut plus par sa propre énergie, par la même raison qu’un homme malade ne peut s’élever à la hauteur des pensées à laquelle un homme sain peut atteindre. Il y a donc disproportion entre la force et le poids à soulever par cette force: ici l’on entrevoit déjà la nécessité d’une aide ou d’une rédemption.

« Ce raisonnement, dira-t-on, serait bon pour le premier homme; mais nous, nous sommes capables de nos fins. Quelle injustice et quelle absurdité de penser que nous soyons tous punis de la faute de notre premier père! »

Sans décider ici si Dieu a tort ou raison de nous rendre solidaires, tout ce que nous savons et tout ce qu’il nous suffit de savoir à présent, c’est que cette loi existe. Nous voyons que partout le fils innocent porte le châtiment dû au père coupable; que cette loi est tellement liée au principe des choses, qu’elle se répète jusque dans l’ordre physique de l’univers. Quand un enfant vient à la vie, gangrené des débauches de son père, pourquoi ne se plaint-on pas de la nature? car, enfin, qu’a fait cet innocent pour porter la peine des vices d’autrui? Eh bien! les maladies de l’âme se perpétuent comme les maladies du corps, et l’homme se trouve puni dans sa dernière postérité de la faute qui lui fit prendre le premier levain du crime.

La chute ainsi avérée par la tradition universelle, par la transmission ou la génération du mal moral et physique; d’une autre part les fins de l’homme étant restées aussi parfaites qu’avant la désobéissance, quoique l’homme lui-même soit dégénéré, il suit qu’une rédemption ou un moyen quelconque de rendre l’homme capable de ses fins est une conséquence naturelle de l’état où est tombée la nature humaine.

La nécessité d’une rédemption une fois admise, cherchons l’ordre où nous pourrons la trouver. Cet ordre peut être pris ou dans l’homme ou au-dessus de l’homme.

Dans l’homme. Pour supposer une rédemption, il faut que le prix soit au moins en raison de la chose à racheter. Or, comment supposer que l’homme imparfait et mortel se pût offrir lui-même pour regagner une fin parfaite et immortelle? Comment l’homme, participant à la faute primitive, aurait-il pu suffire, tant pour la portion du péché qui le regarde que pour celle qui concerne le reste du genre humain? Un tel dévouement ne demandait-il pas un amour et une vertu au-dessus de la nature? Il semble que le Ciel ait voulu laisser s’écouler quatre mille années depuis la chute jusqu’au rétablissement, afin de donner le temps aux hommes de juger par eux-mêmes combien leurs vertus dégradées étaient insuffisantes pour un pareil sacrifice.

Il ne reste donc que la seconde supposition: à savoir que la rédemption devait procéder d’une condition au-dessus de l’homme.

Voyons si elle pouvait venir des êtres intermédiaires entre lui et Dieu.

Milton eut une belle idée lorsqu’il supposa qu’après le péché l’Eternel demanda au ciel consterné s’il y avait quelque puissance qui voulût se dévouer pour le salut de l’homme. Les divines hiérarchies demeurèrent muettes, et parmi tant de séraphins, de trônes, d’ardeurs, de dominations, d’anges et d’archanges, nul ne se sentit assez de force pour s’offrir au sacrifice. Cette pensée du poète est d’une rigoureuse vérité en théologie. En effet, où les anges auraient-ils pris pour l’homme l’immense amour que suppose le mystère de la croix? Nous dirons en outre que la plus sublime des puissances créées n’aurait pas même eu assez de force pour l’accomplir. Aucune substance angélique ne pouvait, par la faiblesse de son essence, se charger de ces douleurs, qui, selon Massillon, unirent sur la tête de Jésus-Christ toutes les angoisses physiques que la punition de tous les péchés commis depuis le commencement des races pouvait supposer, et toutes les peines morales, tous les remords qu’avaient dû éprouver les pécheurs en commettant le crime. Si le Fils de l’homme lui-même trouva le calice amer, comment un ange l’eût-il porté à ses lèvres? Il n’aurait jamais pu boire la lie, et le sacrifice n’eût point été consommé.

Nous ne pouvions donc avoir pour rédempteur qu’une des trois personnes existantes de toute éternité: or, de ces trois divines personnes, on voit que le Fils, par sa nature même, devait être le seul à nous racheter. Amour qui lie entre elles les parties de l’univers, Milieu qui réunit les extrêmes, Principe vivifiant de la nature, il pouvait seul réconcilier Dieu avec l’homme. Il vint, ce nouvel Adam, homme selon la chair par Marie, homme selon la morale par son Evangile, homme selon Dieu par son essence. Il naquit d’une vierge, pour ne point participer à la faute originelle et pour être une victime sans tache; il reçut le jour dans une étable, au dernier degré des conditions humaines, parce que nous étions tombés par l’orgueil: ici commence la profondeur du mystère; l’homme se trouble et les voiles s’abaissent.

Ainsi le but que nous pouvions atteindre avant la désobéissance nous est proposé de nouveau, mais la route pour y parvenir n’est plus la même. Adam innocent y serait arrivé par des chemins enchantés: Adam pécheur n’y peut monter qu’au travers des précipices. La nature a changé depuis la faute de notre premier père, et la rédemption n’a pas eu pour objet de faire une création nouvelle, mais de trouver un salut final pour la première. Tout donc est resté dégénéré avec l’homme; et ce roi de l’univers, qui, d’abord né immortel, doit s’élever, sans changer d’existence, au bonheur des puissances célestes, ne peut plus maintenant jouir de la présence de Dieu sans passer par les déserts du tombeau, comme parle saint Chrysostome. Son âme a été sauvée de la destruction finale par la rédemption; mais son corps, joignant à la fragilité naturelle de la matière la faiblesse accidentelle du péché, subit la sentence primitive dans toute sa rigueur: il tombe, il se fond, il se dissout. Dieu, après la chute de nos premiers pères, cédant à la prière de son Fils, et ne voulant pas détruire tout l’homme, inventa la mort comme un demi-néant, afin que le pécheur sentît l’horreur de ce néant entier, auquel il eût été condamné sans les prodiges de l’amour céleste.