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Gilberte et Roger sont deux octogénaires qui décident de faire vie commune. Ils passent des instants de bonheur qui rompent leur solitude au crépuscule de leur existence. Seulement, le passé de Gilberte resurgit et bouleverse tout. Comment réagira Roger ? Entre mystère, jalousie, crime et passion, laissez-vous emporter par cette aventure palpitante.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Très jeune,
Henri Kaminska s’intéresse à la lecture et aux auteurs. Autodidacte, il est l’auteur de deux ouvrages autobiographiques. Avec
Gilberte à son crépuscule, il met en avant son côté sensible au plaisir des lecteurs.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
Henri Kaminska
Gilberte à son crépuscule
Roman
© Lys Bleu Éditions – Henri Kaminska
ISBN : 979-10-377-8453-7
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Ce récit est une fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite.
Lorsque Gilberte s’éveilla, le bourdon de la cathédrale avait déjà sonné. Elle jeta un regard à l’ancienne pendule en bronze qui ornait la commode de la chambre et s’en voulut de s’éveiller aussi tard.
« Le soir je regarde trop longtemps la télévision, se reprocha-t-elle. »
Se redressant lentement sur son lit, sa douleur à l’épaule gauche la fit grimacer, elle se rappela :
« Ce matin c’est le Kiné. »
Levée, elle alla écarter les lourds rideaux du salon qui barraient l’entrée du jour et comme chaque matin, son regard se porta alors sur la cathédrale, qui de sa hauteur domine la basse ville de Chartres. Après un court passage au cabinet de toilette, elle se confectionna son lait chocolaté qu’elle mit à chauffer sur la plaque électrique, puis ses trois biscottes beurrées, elle y étala précautionneusement sa confiture aux myrtilles sauvages de l’Abbaye de Sept-Fons. Le « cling » du smartphone, qui depuis la veille au soir traînait sur la table du salon, la fit sursauter, elle se dirigea prendre connaissance du message.
« Déjà Louise ! Je n’ai pas oublié l’UCTL ! L’Université Chartraine du Temps Libre, comme elle aime à le répéter. Cet après-midi c’est monsieur Troupeau qui poursuit avec “Rôle des reliques dans la société moyenâgeuse”. La semaine dernière il n’était pas mal, aujourd’hui il doit parler de la Sainte Tunique d’Argenteuil. Et après, on ira prendre un chocolat chaud place Marceau. Je ne confirme pas, on en a déjà assez parlé ! Des moments elle m’emmerde celle-là ! »
Elle aimait ça Gilberte, la Kinésithérapie, pas sûr que ça la soulage vraiment, son épaule gauche restait bien en souffrance. La radio avait parlé : importante omarthrose se traduisant par un pincement de l’interligne articulaire gléno-huméral. Mais elle aimait que l’on s’occupe de son corps. Elle ne pensait plus aux caresses, mais des mains enduites d’une crème onctueuse, courant sur sa peau à la recherche des lieux sensibles à la douleur, la faisant sursauter au moment où le kiné appuyait. Elle éprouvait une sensation de bien-être et de détente dès le massage terminé. Aussi, dès dix heures, elle était chez le praticien. Elle en avait là jusqu’à midi et aurait à se presser pour être à l’heure à la conférence de l’UCTL.
Louise était déjà devant le cinéma où une salle faisait office d’amphi et qui rapidement s’emplissait, Roger à ses côtés. Il ne manquait que Gilberte, qui enfin arrivait, pour prendre place tous les trois. Bisous bisous et on s’installe, l’homme entre les deux femmes, « en tout bien tout honneur », comme il dit.
La conférence terminée, Roger n’a pas accompagné les deux femmes place Marceau, il a bien compris que sa présence n’était pas souhaitable.
« Bah ! Les femmes, ça a toujours des choses à se raconter entre elles. »
Assise à la terrasse de la chocolaterie, caressée par la douceur des rayons d’un doux soleil d’automne, Gilberte savoure son thé. Les macarons sont délicieux, on va en redemander. Elle se laisse aller, ferme un moment les yeux, se tait. En face d’elle, Louise s’enferme également dans le silence qui s’instaure entre les deux femmes. Dans le fond elle l’aime bien Louise, elle ne pourrait pas s’en passer, même si parfois elle l’agace avec sa façon d’être autoritaire, de se montrer supérieure. Aujourd’hui elle savait déjà tout sur Théodrade, Abbesse du couvent d’Argenteuil, fille de Charlemagne. Elle a même questionné Troupeau. Dans sa jeunesse les bonnes sœurs du pensionnat, ici à Chartres, ont dû lui apprendre ça.
« Au fait Gilberte, Roger m’a demandé ton numéro de téléphone. Je lui ai donné. J’ai gaffé ?
— Pourquoi il ne me l’a pas demandé directement, il a quelque chose à me dire ?
— Il est timide.
— Peut-être. Tu le connais mieux que moi, puisque c’est toi qui l’as amené à l’UCTL.
— Ça oui je le connais, nous sommes des amis d’enfance. Les Jaudrais étaient nos voisins du côté de Voves, nous étions toujours ensemble. Il a même voulu m’épouser.
— Et tu as refusé ?
— Un jour je te raconterai. »
Roger avait rapidement récupéré son SUV Renault et pris la route de Voves. Il avait le temps de rentrer chez lui, de se retrouver seul, il pouvait aller voir où son fils en était dans la récolte du maïs. Engagé dans le chemin de terre, il dépassa la lignée d’éoliennes. Quatre, que l’on avait mises sur la propriété, ça mangeait quand même un peu de terre, mais c’était pas mal payé. Il jeta un œil sur le colza qui levait, ça mettait un peu de vert, à cette saison la plaine est si sombre, tellement triste. À l’ouest, déjà le soleil disparaissait derrière une nuée qui montait dans le ciel, du rose, du blanc, du mauve teintaient une large frange. Un beau couchant. Au loin la moissonneuse ronflait dans un halo de poussière, les tiges desséchées s’abattaient, disparaissaient dans l’engin, ressortaient pulvérisées. Au moment où Roger arriva à hauteur de la coupe, en bout de champ, les grains remplissaient la remorque. Ça ne pissait pas bien dru !
« Y’a pas tellement de rendement, se dit-il, on a beau arroser, c’est pas comme si ça tombait de là-haut, les étés deviennent trop secs. »
Mais déjà la machine repartait ses projecteurs allumés.
« Il ne finira pas ce soir, même en travaillant jusqu’à minuit. »
En rentrant chez elle, Gilberte appela sa sœur, comme chaque semaine, c’était le rituel. Elles étaient très unies les deux sœurs, du fusionnel. Denise, sa cadette, n’avait jamais rompu avec elle, même lorsqu’elle avait mal tourné et que leurs parents ne voulaient plus la voir. À ce moment-là Denise bûchait ferme à Louis Legrand, cependant elle ne cessait de lui écrire. Aujourd’hui, à l’approche de la Toussaint, toutes deux pensaient déjà à Noël.
« Denise, tu crois que cette année mon beau-frère sera décidé à nous emmener à Ramatuelle, pour les fêtes ?
— Pour l’instant je vois plutôt Jean rester à Paris.
— Toujours son dos ?
— Son dos et le moral n’y est pas. Et puis je ne sais pas si ta nièce ne sera pas de permanence la nuit de Noël à son hôpital. Et son mari avec elle.
— Ce ne serait pas la première fois que Marie Claude et Jean Bernard ne réveillonnent pas avec nous.
— Et puis Kevin et Olga commencent à regarder vers la montagne.
— Bien sûr que tes petits enfants préféreraient skier.
— Je pense plutôt qu’on se retrouvera tous ici en famille. Toi, comme chaque année tu viendras plus tôt, on fera le Printemps et les Galeries comme tous les ans.
— Et on ira s’offrir quelques douceurs au bas des Champs Élysées. »
Lorsque Roger arriva chez lui, après sa classe sa belle-fille était déjà passée, elle avait fait le plein du réfrigérateur, laissé sur le lit son linge lavé et repassé. Il y avait même un petit mot : Attention Papo, la boîte d’Acébutolol ne diminue guère, la tension va remonter !
Sûr qu’il n’avait pas à se plaindre, ses enfants prenaient bien soin de lui. Mais ça n’enlevait rien à sa solitude, il n’allait pas s’installer chez eux. Là, maintenant en rentrant, il allait faire quoi ? Manger sa soupe et se mettre devant la télévision. Seul dans sa cuisine, avec personne à qui causer. Seul au milieu des bâtiments de sa ferme qui un jour seront des ruines. Son gars avait fait sa maison, un beau pavillon comme en ville et avec ça un hangar pour contenir tout son matériel et des silos pour stocker les récoltes d’une année entière, pour faire partir seulement quand les cours semblaient au plus haut. Il chercha dans sa poche :
« Le papier de Louise, dit-il tout haut. Il lut : 06 27 29 80… C’est ça le numéro de Gilberte, mais l’appeler pour lui dire quoi ? »
Au fait, pensa-t-il, j’aurais dû passer à Jardiland acheter le pot de chrysanthèmes pour déposer sur la tombe. Déjà quinze ans qu’elle est partie Yvette.
Non, il n’avait pas eu de chance avec les femmes. Yvette décédée dès l’année où il avait cessé d’exploiter, au moment où ils allaient prendre un peu de bon temps. Et Louise, il l’avait aimée celle-là ! Les deux exploitations réunies, ça aurait fait plus de deux cent cinquante hectares. Quelque chose pour l’époque ! Mais Louise, fière comme elle était, elle était allée voir plus haut, chez les Bardin. Armand revenait de Toulouse, il cédait la part de ses terres à sa sœur et s’installait vétérinaire. Ça avait été un beau mariage, du beau monde, surtout du côté d’Armand. Lui était garçon d’honneur. C’était en cinquante-six, Armand avait fait les EOR, il était dans les premiers rappelés, aussitôt arrivé en Kabylie, sur un python une balle l’avait traversé. Louise s’était alors enfermée dans son veuvage sans jamais en sortir. Lui s’était rabattu sur la petite Yvette, plus jeune que lui. Mais là ce n’était pas la même chose, à peine quinze hectares et un père pas trop courageux. Mais heureusement, Yvette était vaillante à l’ouvrage.
Il était toujours resté en amitié avec Louise, quelques fois il lui rendait visite lorsqu’il se rendait à Chartres, c’était elle qui lui avait suggéré de s’inscrire à l’UCTL.
« Ça te sortira de ton trou, lui avait-elle dit. »
Mais il s’était bien emmerdé tout l’après-midi à la conférence. À un moment il avait même fermé les yeux, il s’était juste repris quand il allait ronfler. Lorsqu’il avait refait surface, il se demandait où il était. À Byzance, avec Irène ? Troupeau en était là dans son exposé. Gilberte s’en était aperçue.
Dès son retour dans son pavillon en basse ville, Louise s’était installée sous la lampe et s’était mise à la lecture : « Le Royaume », Emanuel Carrère. C’était ça maintenant son univers, les livres, les conférences, les expositions. Toute sa vie elle avait aimé s’instruire, se cultiver et aujourd’hui encore, par goût, mais aussi, elle le reconnaissait, pour passer le temps. Sa belle-sœur décédée depuis plus d’un an, ses neveux pas trop empressés à son égard, avec qui échanger ? À l’UCTL, à la médiathèque, au musée, au moins elle voyait du monde. Et il y avait Gilberte. La fidèle ! Avec Gilberte c’était plus souvent Jeff de Bruges que Yan Pei-Ming, même s’il leur arrivait parfois de visiter ensemble une exposition de peinture, mais elle était son amie, son inséparable. Comment expliquer une telle affinité entre elles ? Les sentiments ne s’expliquent pas. Elles s’étaient connues à la boutique de confection où Gilberte était vendeuse. Une bonne professionnelle dans sa partie, toujours élégante, toujours de bons conseils, Louise avait fini à ne s’en remettre qu’à elle. Un jour elle l’avait invitée à prendre un café, puis elles étaient allées ensemble voir un film.
Le carillon à la cuisine sonnait quatre heures, Roger se levait pour pisser. Trois fois par nuit, réglé comme le carillon de la cuisine. Il avait eu du mal à dormir en se mettant au lit, l’interrogation revenait : lui dire quoi ? Il se saisit alors du portable posé sur la table de nuit et se mit à tapoter. Maladroitement, ses doigts trop larges enfonçaient parfois deux touches à la fois, c’était pour cela qu’il préférait laisser des messages vocaux lorsque les correspondants n’étaient pas là. Pourtant il réussit :
DIMANCHE ON EST AUX CHEVREUILS JE VOUS APPORTERAI UN CUISSOT.
En découvrant le texto, Gilberte riait, un cuissot de chevreuil, quel cadeau ! De la bidoche ! Puis au bout d’un instant, riant encore :
« Allons, consolons-nous, si ce n’est pas un parfum de chez Dior, c’est tout de même le meilleur morceau du cervidé. »
Et elle appela Louise.
« Ça y est, il m’a mis quelque chose. Il va m’apporter un cuissot de chevreuil.
— Une charmante intention. D’habitude il vend ça au boucher.
— Un manque à gagner pour lui à mon égard, tu veux dire ? Qu’est-ce que ça cache ?
— Va savoir !
— Tu m’as dit qu’à l’occasion tu m’en raconterais sur lui. Passe donc cet après-midi. »
À dix-sept heures, Louise était rue Charles Brune, chez son amie. Tout y était, le thé, les madeleines, les macarons, toujours les macarons, des dragées et même la bouteille de Mandarin sur un plateau avec les deux petits verres.
« Nos parents auraient bien vu le mariage, enfant unique tous les deux, les deux propriétés réunies auraient fait une belle exploitation.
— Toi tu disais non.
— Il ne me plaisait pas. Il était moche. Ses grandes oreilles comme des feuilles de chou. J’exagère à peine. Et puis un costaud, moi qui étais plutôt menue.
— Oui, ça il n’est pas beau.
— Et il pèse encore son poids, mais je le trouve mieux en vieillissant. Tu n’as pas remarqué ? Les personnes âgées, c’est comme le bon vin, elles se bonifient en prenant des années.
— Au fait, il a quel âge ?