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Patrick Blanchard, photo reporter vivant en 2022, se retrouve, à la suite de la manipulation d’un très ancien objet maya, le « Gnomon », brusquement propulsé dans les années 70. Un bond de quarante ans dans le passé au cours duquel il vivra dans la peau d’un homme d’une trentaine d’années, Walter Grant. Ce dernier vit en couple avec Marsha, une chanteuse métisse de musique soul. Cherchant à comprendre ce qu’il lui arrive, Patrick effectuera plusieurs allers-retours entre le passé et son présent. Saura-t-il s’habituer à cette nouvelle vie ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alain Daussin est un photographe belge particulièrement connu pour ses photographies en noir et blanc. Depuis sa plus tendre enfance, il rêve d’aventures extraordinaires où les héros vivent des choses impossibles. Sa passion pour les histoires de voyage dans le temps, surtout vers le passé, l’a poussé à écrire cette aventure. Au fil de l’enchaînement des phrases, il a été entraîné sans qu’il puisse s’arrêter, comme si les personnages avaient pris possession de son esprit.
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Seitenzahl: 263
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Alain Daussin
Gnomon
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alain Daussin
ISBN : 979-10-377-8656-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Patrick Blanchard, photographe free-lance, occupait depuis une dizaine d’années un petit appartement aux murs décrépis du 18e arrondissement. Les nuits sans sommeil finissent toujours par vous flanquer le tournis, se disait-il alors qu’il tournait en rond dans son trois pièces-balcon.
L’ambiance chaude et humide qui pesait en ce moment sur la capitale française l’accablait fortement. Après plusieurs tentatives infructueuses pour trouver le sommeil, ses yeux harassés finirent par se poser sur le cadran lumineux du réveille-matin.
Machinalement, il saisit de la main droite la paire de lunettes posée sur le rebord de la petite table de nuit collée à son lit. Il put ainsi lire sans difficulté l’heure qu’affichait le cadran de l’horloge. Il indiquait quatre heures trente.
Au loin, des arcs de lumière déchiraient un ciel d’encre, laissant présager l’arrivée prochaine d’orages violents. Les pneus des rares voitures circulant encore en cette heure tardive résonnaient creux sur le pavé. L’émotion intense que lui avait procurée ce dernier reportage l’empêchait de dormir. Il faut dire que la canicule qui frappait Paris en ce moment n’était pas sa meilleure alliée. Il se rendait compte que la gestion du décalage horaire devenait avec les années de plus en plus compliquée à gérer et ce constat, il le faisait à chaque fois qu’il rentrait de voyage. Une fois entré dans la soixantaine, la résistance physique diminue et commence à montrer ses limites. Son métabolisme avait d’ailleurs mis deux semaines avant de reprendre un rythme normal. Ces derniers jours, il avait eu la lamentable impression de traîner sa carcasse à travers les rues de Paris. Fini le temps où il grimpait quatre à quatre les marches qui le conduisaient au sommet de Montmartre. Il connaissait chaque recoin de son minuscule appartement. Malgré le manque de lumière, il savait exactement où il posait les pieds. La rétine de l’œil humain présente une faculté d’adaptation impressionnante. Elle finit toujours par prendre le dessus sur l’obscurité. Le moindre détail s’éclaircit au point qu’en quelques minutes la vue finit par s’adapter à l’environnement, d’autant plus que l’éclairage public laissait échapper quelques vagues rais de lumière au travers des persiennes. D’une pression de l’index, il enfonça la touche enter de son ordinateur portable pour y redécouvrir les photos de son dernier reportage. La rédaction du magazine auquel il collabore, et ce depuis plusieurs années, lui avait proposé de se rendre au Mexique pour y mener une enquête sur les chercheurs d’or qui exploitent sans aucune autorisation des gisements clandestins. Les photos de son reportage seront publiées dans le prochain numéro d’Iconomag, dont l’un des sujets concerne justement le milieu très fermé des Garimpeiros.
Son reportage présente des témoignages exceptionnels et parle de tout ce qui se déroule au sein d’une mine d’or clandestine. Ayant énormément circulé dans ces régions désertiques du Mexique, Pat eut l’opportunité de rencontrer de nombreux indigènes, parmi eux des Indiens Chiapas dont il découvrit l’existence misérable. Nombre d’entre eux avaient été contraints de migrer vers le nord où ils ne survivaient que grâce à quelques petits boulots souvent dangereux, mais rémunérateurs. En compagnie d’autre miséreux arrivés des quatre coins du pays, ils formaient ainsi le principal de la main-d’œuvre travaillant sur les sites. Cette enquête, en accord avec les nombreux témoins qu’il avait rencontrés, suscitait beaucoup d’interrogations chez Pat Blanchard. Il était décontenancé par le portrait de ces hommes capables d’accepter n’importe quelle basse besogne dans l’espoir de dénicher ne fut-ce qu’une minuscule pépite. Tous les noms avaient été modifiés par souci de déontologie. On y trouvait : Manuel, Pedro, Sanchez, Ramirez et curieusement une Française qui répondait au nom d’Angèle et qui semblait totalement perdue de cet univers macho. Pour se faire respecter, elle avait dû jouer des coudes ou plutôt de la Kalachnikov. Elle avait su se faire une place dans ce monde d’hommes et cela n’avait pas été une mince affaire pour cette blonde décolorée originaire de Roubaix. Des visages burinés par trop de soleil, suintant l’alcool à plein nez, suscitaient la méfiance des personnes qui les approchaient de trop près. Sans aucun doute, ils avaient la « gueule de l’emploi ». Pat se remémorait ce palpitant voyage au cœur du Mexique. Il se voyait encore ce matin-là, au sortir de l’aéroport, monter dans le Combi Mercedes de couleur noire et prendre la direction de Puerto Vallarta. La personne de contact qu’il devait y rencontrer se nommait Macimo Ortega. C’était un petit homme râblé à la mine sombre. Il était issu de l’union d’un officier de l’armée mexicaine et d’une mère colombienne. Sa longue chevelure gominée qui venait de subir sa énième coloration noir geai reluisait au soleil comme une paire de pompes italienne entièrement neuve. Typé amérindien, il paraissait avoir trente ans, mais en réalité il approchait de la cinquantaine. Un accent espagnol à couper au couteau parachevait ce profil atypique. Pour quelques centaines de dollars, il avait mis Pat en contact avec plusieurs filières de contrebande locale. Finalement, ces renseignements avaient coûté moins cher à Pat Blanchard que s’il avait voulu obtenir des informations sur le prochain voyage d’une célébrité. Il s’était engagé envers Macimo à ne révéler aucun détail qui puisse permettre d’identifier ces hors-la-loi. Pour Macimo, cet engagement était vital, d’autant plus que son frère, Manolito, avait perdu la vie lors d’une rixe sanglante entre bandes rivales. La plus grande prudence était de mise, en raison de la dangerosité de ces individus. Le frère aîné de Macimo, Manuel, avait opté pour une voie différente en poursuivant le même chemin que son père : il s’était engagé dans l’armée. C’était d’ailleurs grâce aux relations troubles que ce dernier entretenait avec le milieu que Pat put approcher dans une relative sécurité ces truands de haut vol. Le sujet était chaud et il fallait se montrer extrêmement prudent.
Le jour se levait tandis que le grondement lancinant du trafic s’accentuait. Pat vivait depuis plusieurs années à Barbès, un quartier populaire de Paris. Sa montre GMT solidement accrochée au poignet indiquait maintenant six heures du matin. À son grand désarroi, alors que le sommeil enfin venait à le gagner, son portable se mit à vibrer. Monsieur Blanchard ? interrogea une voix féminine. Pat confirma, d’une voix à peine audible.
— Votre colis est arrivé à Bruxelles, signala sa correspondante. Il sera à votre disposition à partir de 17 h en nos bureaux de Bruxelles.
Cela faisait plus d’un mois que Pat attendait ce paquet.
La communication fut brève, limitée à cette unique petite phrase.
Au même moment, avec une parfaite synchronisation, arrivait dans sa boîte mail un message manuscrit qui lui indiquait l’endroit précis où il devait se rendre pour récupérer son précieux colis : « Arrivée imminente, provenance Mexique », indiquait le message qui poursuivait : « Expéditeur : Macimo Ortega. Contenu : antiquités en tout genre. Valeur : mille dollars US ».
Quelques heures plus tard, arrivé gare du Nord, Pat Blanchard tentait tant bien que mal de se frayer un passage au travers d’une foule dense et compacte. Le quai ressemblait à une gigantesque fourmilière où se pressaient les navetteurs. Une fois extirpés du RER, cette foule se répandait sur toute la superficie de l’immense hall d’entrée de la station Nord.
Le départ imminent du train Paris-Bruxelles était annoncé en voie 13. Il ne restait guère plus de dix minutes à Pat pour embarquer à bord du train.
Il eut juste le temps de composter son billet en bout de quai et de s’y engouffrer. Comme à son habitude, il se dirigea vers le wagon-restaurant, sans prendre la peine de regagner le numéro de siège qui lui avait été octroyé lors de l’achat de son billet.
Là, comme à son habitude, il pourra prendre son petit-déjeuner.
La sonnerie stridente de son portable l’interrompit au moment précis où il passait commande. Il reconnut aussitôt la voix éraillée du rédacteur en chef d’« ICONO-MAG », le magazine pour lequel il avait réalisé ce reportage.
— Pat : Quelle surprise !
— Hello Pat, le train est prêt. Il n’attend plus qu’on y joigne les légendes ! précisa l’homme.
Le « train » était ce mot qui traduisait le fait que les photos du reportage étaient apposées les unes à la suite des autres, selon une suite logique, à même le mur de la rédaction.
— Oui, j’ai bouclé cette nuit, répondit Pat.
— Pourrais-tu, m’envoyer les légendes via le portal du journal ? interrogea Stan.
— OK, répondit Pat.
L’homme, peu loquace, raccrocha aussitôt.
Un café crème fumant ainsi que deux croissants moelleux attendaient Pat sur le comptoir.
À peine eut-il rangé son portable qu’il emporta le plateau et s’installa sur une large banquette.
Tandis que le TGV filait maintenant à plus de 350 kilomètres/heure, son regard se perdait sur l’autoroute qui longeait la ligne de chemin de fer, captivé par la file interminable des voitures.
Le rapide Paris-Bruxelles de 10 h 33 était à cette heure de la journée désert, ce qui permit au journaliste de jouir d’un espace plus que confortable sans gêner personne.
Lors de la traversée d’un des rares tunnels jonchant cette ligne, il perçut à l’improviste le reflet de son visage sur la vitre du wagon. Il réalisa à quel point ses traits étaient tirés, marqués par l’épuisement. Un reste de bronzage mexicain rendait sa barbe naissante encore plus visible. Une balafre discrète traversait de sa joue gauche, vague souvenir d’une chute de moto qui remontait à son adolescence. Cela lui conférait un air d’aventurier qui a une certaine époque pouvait manifestement séduire les femmes.
Un jour, l’une de ses ex-conquêtes lui glissa à l’oreille que ce qu’elle aimait chez les hommes célibataires tels que lui, c’était ce côté free-lance de l’amour. Lorsque ce genre d’hommes était présent pour une femme, ils l’étaient à cent pour cent.
Depuis beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts. Aujourd’hui, il regrettait amèrement toute cette époque bénie.
Sa belle gueule d’aventurier s’était transformée en une vieille gueule ridée et bouffie par l’alcool et les antidépresseurs de toute sorte. Finalement, le sommeil tant attendu le gagna doucement.
Brusquement, alors que le sommeil tant attendu le gagnait doucement, la porte-glissière du wagon-restaurant coulissa bruyamment, ce qui le fit sursauter. Une femme affichant la quarantaine, vêtue d’un tailleur de cuir noir classique d’une rare élégance, prit place sur la banquette qui lui faisait face. Le cuir de sa robe crissa délicatement lorsqu’elle se posa sur le siège.
Elle lui adressa la parole pour lui demander…
— Auriez-vous une idée de l’heure d’arrivée de ce train à Bruxelles ? interrogea l’inconnue.
— Cela ne devrait pas trop tarder, répondit le journaliste. Comme il n’y a pas de retard annoncé, nous y serons aux alentours de 11 h 50.
Après un moment d’hésitation, elle plongea la main droite dans les profondeurs de son sac, laissant apparaître au passage un joli décolleté, ce qui n’échappa pas à Pat.
Elle extirpa un petit boîtier de cuir noir de son sac.
— Je souhaiterais vous montrer un objet pour le moins intrigant, dit-elle.
— Pat tentait de comprendre ce que lui voulait cette inconnue, tout en observant son manège du coin de l’œil.
Ensuite, fixant Pat dans les yeux, imperturbable, elle continua son récit.
— C’est un Gnomon, poursuit-elle. Autrefois, il faisait office de cadran solaire.
Lorsqu’elle ouvrit le coffret, une faible lueur dorée s’en échappa et illumina furtivement son visage.
— Pourquoi me parlez-vous de cet objet demanda l’homme surprit.
— Il y a certaines choses que j’aimerais apprendre à propos de cet objet et peut-être que vous pourriez m’aider.
Pat tombait des nues. Que voulait cette femme ? Et de quoi parlait-elle ?
— En attendant de comprendre, permettez-moi de vous offrir quelque chose à boire.
— Merci pour la proposition, cher Monsieur. Cela dit, un thé me conviendrait parfaitement.
Ensuite, Pat se présenta.
— Patrick Blanchard, dit-il, mais vous pouvez m’appeler Pat, cela me paraîtra plus convivial, sourit le journaliste. Et en ce qui vous concerne, comment vous prénommez-vous ?
— Anna… Anna Berns, enchaîna la femme.
Pat passa la commande.
— J’ai sais que vous vous rendez à Bruxelles, reprit-elle pour y retirer un paquet en provenance du Mexique. Est-ce exact ?
Cette dernière information lui fit avaler son café de travers.
— Les bras m’en tombent, s’esclaffa-t-il.
— Comment êtes-vous au courant de ça ? Personne à part moi ne connaît la raison de mon voyage.
— Plutôt que de répondre à votre question, je vais me montrer encore plus précise. Dans le colis que vous allez récupérer, vous trouverez une figurine maya très ancienne.
Elle est sculptée dans un or très fin et représente trois têtes. La première a les yeux ouverts.
La deuxième a les yeux clos, quant à la troisième, les yeux y sont à nouveau ouverts. Ces figurines représentent le passage de la vie à la mort. Sur le ventre de la statuette, vous trouverez une partie creuse, circulaire, ce qui implique qu’il y manque quelque chose.
Pat se souvenait très bien de cette statuette qu’il avait achetée à son ami Macimo la veille de son retour en France. Macimo ne donna aucune indication sur l’origine de cette délicate figurine.
Pat lui avait eu un coup de cœur pour elle et souhaitait vivement la ramener avec lui. Macimo accepta, non sans difficulté, de la céder à son ami, tout en exigeant de lui qu’il reste discret quant à sa provenance.
Le reste du colis contenait un trésor de guerre accumulé tout au long de son périple mexicain. Se fabriquer une sécurité financière pour assurer ses vieux jours était devenu sa priorité. Son travail de photographe n’était plus aussi rentable qu’autrefois. Quant à ses publications, pourtant largement diffusées dans le monde, elles ne lui rapportaient plus un rond. L’arrivée d’Internet et du « tout gratuit » avait changé la donne.
Anna ne toucha pas à son thé et poussa la tasse plus en avant. Pat, pendant ce temps, examinait le petit étui de cuir.
— Vous saurez quoi en faire le moment venu ! lui lança-t-elle, avant de se lever d’une traite et de disparaître aussi mystérieusement qu’elle était apparue.
Pat tenta en vain de la suivre, mais elle avait déjà disparu par la coursive étroite du wagon.
Le journaliste ne comprenait pas comment cette femme qu’il voyait pour la première fois connaissait tout de ses projets ni pourquoi elle lui avait confié cet objet mystérieux, avant de disparaître aussi mystérieusement qu’elle était apparue.
Il examina de manière plus approfondie cette énigmatique chose circulaire que lui avait confiée Anna. L’avant de l’objet présentait une surface plane tandis que l’arrière de l’objet était conique pareil à une toupie. L’objet mesurait 10 cm de diamètre sur lesquels étaient fixes vingt-quatre petits index en or.
Il y en avait un pour chaque heure de la journée. Au centre du cercle se trouvait une tige d’acier d’environ trois centimètres de haut qui se dressait automatiquement lorsque l’on ouvrait la boîte. Il demeurait songeur à la suite de cette curieuse rencontre, qui selon lui n’avait certainement rien eu d’inopiné.
C’est à ce moment que la voix de l’accompagnateur de train résonna dans les haut-parleurs. Il indiqua aux voyageurs l’entrée imminente du train en gare de Bruxelles. Lorsque Pat posa le pied sur le quai bétonné de la gare du Midi, il chercha en vain parmi les voyageurs la trace de la dame au tailleur noir. Mais il dut se rendre à l’évidence, la femme avait bel et bien disparu. Décontenancé, il se dirigea vers la sortie de la gare.
Les bureaux de la poste étaient contigus à ceux de la douane. Pat présenta au guichetier le récépissé. Celui-ci prouvait que la marchandise parvenue chez eux la veille était bien la sienne.
En un clin d’œil, le préposé parcourut le document puis s’éclipsa derrière une porte coulissante. Quelques instants plus tard, il réapparut, portant à bout de bras une boîte en carton estampillée de toutes parts.
Le journaliste la réceptionna et quitta les lieux sans se faire prier.
Trop impatient de vérifier si tout ce qui lui avait été envoyé du Mexique se trouvait bien à l’intérieur du paquet, il entra prestement dans le premier bistrot venu. Il s’agissait d’une très ancienne brasserie bruxelloise de style Art Nouveau qui par chance disposait d’un grand nombre de recoins discrets.
Sans perdre de temps, il se dirigea vers le fond de l’établissement pour s’installer sur une banquette de cuir dissimulée derrière une imposante colonne de pierre. À peine fut-il assis que surgit de nulle part un homme revêtu d’un tablier d’une blancheur immaculée. De type caucasien, il se démarquait par son impressionnante moustache.
— Et pour Monsieur ce sera ? questionna-t-il en fixant Pat.
Sans même prendre le temps de réfléchir, ce dernier commanda un café serré noir.
— Un serré noir pour la huit, cria le serveur en direction du bar.
De son côté, Pat avait commencé à déballer le paquet. Une fois ouvert, il commença par écarter en premier les objets qui se présentaient à lui. Il s’agissait de bibelots qui ne présentaient aucune valeur réelle. Il s’agissait plutôt de souvenirs destinés à offrir à des amis ou à des relations.
L’avant-bras était maintenant plongé tout entier au fond de la boîte, espérant mettre la main sur l’intrigante statuette décrite par Anna. Son visage trahissait l’inquiétude au point que de fines gouttelettes commençaient à dégouliner le long de ses tempes. Trouver cette statuette était cette fois devenu un objectif impérieux.
Il se disait qu’il avait pris un gros risque en faisant transiter cette précieuse marchandise d’un continent à l’autre. Il devait avoir une confiance absolue en la Poste. Mais visiblement, Macimo avait su, de son côté, comment s’y prendre, songeait-il pour se rassurer.
Déposées sur le fond du carton, dissimulées dans une épaisse housse en mousse noire, reposaient d’innombrables pierres précieuses. Des diamants, des émeraudes, des rubis, des pièces d’or commémoratives et enfin la statuette précautionneusement emballée dans du papier bulle. Pat dégagea la figurine et la déposa debout sur la table face à lui. De ses six paires d’yeux, elle semblait l’observer. Chaque œil était entouré d’un épais mascara noir mat et plongeait au plus profond de son âme.
— Jolie pièce ! s’extasia le garçon en devinant la sculpture déposée devant Pat. Pat n’y prêta pas attention.
— Merci pour le café ! tandis que le serveur venait de poser la tasse sur la table avant d’opérer un demi-tour.
« Je terminerai l’inventaire plus tard », se dit le journaliste, trop pressé de voir ce qu’allait pouvoir lui révéler cette délicate figurine en or massif.
Il soupesa la pièce comme pour en estimer le poids.
Un trou profond de forme circulaire dont le diamètre correspondait à celui du Gnomon apparaissait sur la face avant de l’objet, ce qui confirmait les dires d’Anna.
Il comprit aisément qu’à cet endroit se trouvait auparavant le disque solaire que lui avait confié la femme. Les trois têtes parfaitement décrites par elle s’avéraient bien présentes. Vues du haut, elles formaient un triangle parfait. De face, un seul visage était visible à la fois. Pour observer les deux autres, il fallait faire pivoter l’objet sur lui-même.
Vie, mort, vie… Pat répétait ces mots en boucle tout en dégageant le Gnomon de son étui, il le plaça face à l’ouverture béante située au centre de la statuette, alignant les deux objets et… comme par magie, en un instant les deux objets fusionnèrent pour ne plus faire qu’un.
L’éclairage ambiant projetant une lumière blanche, plutôt chaude, changea instantanément de gamme et se fondit dans une blancheur lactée.
Une impression sinistre gagna Pat.
La lumière dans laquelle il baignait était irréelle. Elle était identique à celle crachée par des néons allumés suspendus au plafond d’une morgue d’hôpital public.
Pour Pat, cela ne dura qu’un court instant, le temps d’un claquement de doigts et tout autour de lui redevint normal. Du moins, c’est ce qu’il imaginait. L’intensité lumineuse lui semblait différente. Elle paraissait visiblement plus agressive. Le moindre détail paraissait manifestement plus net. L’acuité visuelle de Pat s’était mystérieusement améliorée. Il semblait avoir rajeuni de quelques dizaines d’années. Et chose la plus bizarre, voire flippante c’est que les tables, les chaises, la clientèle de ce bistrot ne correspondaient en rien à ce qu’il avait vu en entrant dans l’établissement. Comme si d’un seul coup l’homme avait été projeté ailleurs. Après tout, il s’agissait d’un bistrot qu’il ne connaissait pas, il n’y avait jamais mis les pieds auparavant.
Mais il n’avait pas besoin d’être un habitué des lieux pour réaliser à quel point en un clin d’œil le décor semblait avoir été chamboulé. Une agréable odeur de cuisine pénétrait ses narines. D’ailleurs, même son ouïe s’était améliorée. Il distinguait clairement les paroles des gens tout autour de lui. Son acuité auditive s’était profondément améliorée. Pourtant ce chahut ne le dérangeait pas. Au contraire, tout ce qu’il entendait était parfaitement audible. Il comprenait chaque mot de chaque phrase. Les enceintes acoustiques murales envoyaient des notes de musique classique. La chemise à large col qu’il portait sentait la transpiration. Elle lui serrait le torse. Il avait la désagréable impression d’étouffer dans des vêtements trop petits.
Il n’avait pas bougé de place, toujours installé sur sa banquette, à l’abri des regards, protégé par cette grosse colonne de pierre. La statuette non plus n’avait pas bougé de place. Face à lui, au centre d’un large cendrier orné d’une pub Cinzano, une cigarette se consumait doucement.
Il avait la sensation de ne plus être le même homme. Pourtant, c’était bien lui. Il pouvait respirer, se pincer, penser par lui-même. Son angoisse monta encore d’un cran lorsqu’il constata l’absence de son précieux colis. Celui-ci avait purement et simplement disparu, comme volatilisé.
Gagné par la panique, il se redressa brusquement, basculant au passage le verre de bière qui chuta et se brisa au sol.
Le garçon de salle accouru pour éponger la table et pour ramasser les morceaux de verres en un temps record.
Pat, profondément perturbé par la disparition inopinée de son paquet, interpella le serveur.
— Dites-moi ! Il y avait à mes côtés, sur la banquette, une boîte en carton… Mais je ne la vois plus ! bredouilla-t-il très inquiet.
— Je n’ai rien vu, Monsieur, répliqua le serveur. Peut-être n’avez-vous pas bien cherché, peut-être a-t-elle glissé sous votre siège ?
Pat se baissa, examina sous la table, sous la banquette, à droite puis à gauche. Finalement, il dut se rendre à l’évidence : son paquet avait disparu.
— Vous voyez bien qu’il n’y a rien, s’énerva-t-il, désignant du doigt l’endroit où aurait dû se trouver le colis.
Son regard fut alors attiré par une mystérieuse grosse chevalière en or qui ornait l’annulaire de sa main droite.
Pat ne possédait aucune bague de la sorte. Dans la foulée, il constata également que sa tenue vestimentaire s’était transformée. Il portait un costume en Tergal bleu pétrole cintré au corps, alors qu’il était arrivé tout à l’heure vêtu d’un simple jeans et d’une veste en cuir.
Et pourtant, il n’était toujours pas au bout de ses surprises.
Sur un mur latéral se trouvait fixé un grand miroir aux moulures rococo. Il inclina doucement le visage, pendant que le garçon tentait de lui expliquer que son précieux paquet ne pouvait avoir disparu, vu que la clientèle qui fréquentait l’établissement était en tout point respectable. L’image qu’il observait dans le miroir le fit sursauter : ce n’était pas le sien. Effet d’optique, pensa-t-il. Mais non… Il s’agissait de son propre regard et pourtant l’image physique que réfléchissait le miroir n’avait rien à voir avec celle qu’il connaissait de lui.
L’homme dont il percevait l’image était mince, de taille moyenne. Il portait une longue chevelure rousse bouclée. Sa chemise entrouverte exhibait un torse blanc, lisse comme une boule de billard, ne présentant pas le moindre poil. Sa poitrine était garnie de breloques baba cool qui y pendouillaient ostensiblement.
L’homme qui se trouvait dans ce costume n’avait visiblement pas la même tête que la sienne. Il semblait tétanisé, épouvanté même. C’était à devenir fou.
— Votre collègue… balbutia-t-il paniqué. Je veux dire celui qui m’a servi le café. Vous voyez, l’homme aux grosses moustaches, il pourra certainement me renseigner !
Des sueurs froides avaient remplacé les frissons.
D’un revers de manche, il épongea la sueur qui dégoulinait de son front et se laissa lourdement affaler sur la banquette. L’horloge située au-dessus du comptoir indiquait 13 h 30.
Le serveur, constatant sa détresse, lui proposa d’appeler un médecin.
— Un médecin ? Pour quoi faire ? grommela le reporter. C’est plutôt d’un sorcier dont j’aurais besoin.
Il était prostré par la terreur. L’émotion intense qu’il vivait était devenue insupportable. La cigarette qui continuait inlassablement à se consumer dans le cendrier semblait attendre quelqu’un. Des traces de rouge à lèvres coloraient le filtre du mégot, un rouge fuchsia imprimait le rebord du verre de cidre posé face à lui. Ces indices offraient une indication précieuse sur le sexe du propriétaire.
Il focalisa vainement son attention sur ce cendrier, cherchant l’erreur, cherchant à comprendre ce qui lui arrivait, il avait le ventre noué et la respiration courte. Suis-je mort ? se demanda le journaliste. Peut-être attendait-il la mort dans une sorte d’antichambre ? Si tel devait être le cas, alors qu’elle frappe vite, supplia-t-il, tant sa raison chavirait.
Peut-être que j’ai eu un problème vasculaire cérébral, cardiaque, ou même un accident de la route, et on avait décidé de me plonger dans un coma artificiel ?
Ce cauchemar lui paraissait tellement réel ? Il se souvenait d’étranges siestes d’après-midi d’été où, après s’être assoupi chez lui, dans un canapé moelleux, il avait eu cette étrange impression d’être éveillé, de se lever et même de se déplacer dans son appartement alors qu’il dormait profondément. Peut-être était-ce la même expérience qu’il vivait en ce moment, un rêve éveillé ? En général, il suffisait de se secouer la carcasse énergiquement pour sortir de ce sommeil paradoxal. Mais cette fois, rien n’y fit, il ne se réveillait pas.
Une jeune femme, vêtue d’un long ciré de plastique noir extrêmement brillant, se dirigeait droit sur lui. Elle affichait un immense sourire qui sans aucun doute lui était destiné.
Plaqué au centre d’un bas-ventre dénudé, un gros ceinturon de cuir noir qui ne servait à rien emprisonnait ses hanches. Une grosse boucle représentant une tête de lion rugissant fermait la ceinture à hauteur de la taille.
C’était une splendide créature métisse à la coupe afro, au visage délicatement sculpté, et qui par un déhanchement provocant, attira sur elle tous les regards environnants.
Une immense paire de lunettes aux verres à peine transparents lui masquait une partie du visage. Impossible pour lui de deviner ne fût-ce que la couleur de ses yeux et a fortiori d’identifier cette femme.
Parvenue à sa hauteur, elle enjamba la chaise qui se trouvait face à lui, et s’y installa. D’une assurance folle, elle s’empara de la cigarette qui finissait de se consumer et l’écrasa dans le cendrier.
— Il est grand temps pour toi d’arrêter le whisky, Walter. Tu en oublies jusqu’à ton nom !
Elle s’exprimait dans un anglais parfait. Pat avait juste envie de hurler et de se frapper la tête contre la table.
— Au cas où tu l’aurais oublié, poursuivit la jeune femme, je te rappelle que je suis Marsha et j’en ai assez de… et puis à quoi bon !
Elle s’interrompit et ramena ses lunettes au sommet du front. Cette fois, pour la première fois, Pat croisa son regard. Les yeux de Marsha étaient d’un noir brillant, d’une profondeur abyssale.
Elle poussa un profond soupir, sur un ton désabusé et poursuivit, manifestement lassée :
— Oh ! Forget it ! … Il faut que je téléphone !
Elle se dressa sur ses immenses jambes et d’un large mouvement circulaire, se débarrassa de son ciré noir qu’elle posa sur le dossier de sa chaise.
Puis, d’une démarche féline, elle prit la direction du bar pour aussitôt disparaître derrière une porte sur laquelle était mentionnée l’inscription téléphone.
Dans un réflexe désespéré, Pat fouilla les poches du ciré à la recherche du portable de la jeune femme. En vain. Il remarqua que son sac à main était resté grand ouvert. Il en profita pour y jeter un coup d’œil furtif, question d’en savoir plus sur sa propriétaire. Il y remarqua un permis de conduire au nom de Marsha Hund, émis à Los Angeles Californie en date du 12 juillet 1966.
— Putain de merde ! Quel est donc ce bordel ? rugit-il sèchement, exaspéré par l’incompréhension.
Tout d’abord, il y avait cette fille qui l’appelait Walter et qui possédait un permis de conduire émis en juillet 66 à Los Angeles.
Qu’est-ce que tout cela pouvait bien vouloir dire ? Visiblement, cela ne laissait rien présager de bon !
Il fit un rapide calcul et arriva à la conclusion qu’elle devait avoir aujourd’hui dans les 70 ans ce qui ne collait pas du tout avec son apparence physique. Cette histoire prenait une tournure inquiétante.
Pat se hâta de remettre les documents à leur place initiale. Heureusement, car elle était déjà de retour.
Une fois installée, elle alluma une cigarette et aspirait nerveusement de grosses bouffées, dont elle crachait la fumée quasi instantanément en direction du plafond. Pat la dévisageait, cherchant dans sa mémoire à quel souvenir pouvait s’accrocher cette femme.
Marsha remarqua son regard inquiet :
— Toujours ce putain de répondeur. Ce connard n’est jamais là quand on a besoin de lui.
Ne sachant que répondre, n’osant pas trop en dire sur ce qui lui arrivait, il se contenta d’acquiescer d’un mouvement de tête.
— De qui diable parlez-vous ? poursuivit timidement.
Inquiète, Marsha dévisagea longuement Pat. Elle sentait que quelque chose ne tournait pas rond chez Walter.
— Alzheimer ! expulsa la femme et enchaîna :
— Il n’y a pas cinq minutes, nous parlions de Kurt, mon agent. Il doit confirmer le taxi pour demain. Comme tu le sais, demain matin, nous prenons le train pour Paris… la France… tu sais ! poursuivit-elle sur un ton caustique.
— Quel hôtel ? quel train ?
L’homme commençait à perdre son flegme. Il ne gérait plus rien. Il était en train de perdre pied. L’assurance qu’il avait péniblement tenté de garder s’évaporait.
Il était KO debout. Les baffles Mureaux crachaient toujours les mêmes notes de musiques classiques.
Marsha remarqua la déconnexion de Walter, elle interpella le garçon et le pria d’apporter un verre d’eau fraîche.
Pat fit une nouvelle tentative à propos de son paquet, mais cette fois auprès de Marsha.
— Il y avait un paquet à côté de moi sur la banquette… lui demanda-t-il.
— Ne l’aurais-tu pas vu… aucune importance, laisse tomber je vais me débrouiller. Faut juste que je me réveille.
— En tous les cas, moi je n’ai rien vu sur la banquette, répéta Marsha.