Guerrir - Mickaël Glenn - E-Book

Guerrir E-Book

Mickaël Glenn

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Beschreibung

J'ai tant subi avec cette femme que je rejoins les Peshmergas pour disparaître et puis mourir, car je ne suis plus qu'une ombre, un mort-vivant, un oiseau sans ailes. Si j'ouvre le chemin vers mon coeur, je ne survivrai pas, tu comprends ? Cette nuit les étoiles sont ivres, happées par le cosmos infini, elles dansent et la lune en liesse en frémit de joie. Cette beauté me paraît imméritée quand je songe aux chairs qui pourrissent la journée sur cette terre de désolation. Je me dis que Dieu là-haut nous a abandonnés. Entre les horreurs de la guerre et les crimes de DAESH, Guerrir est une histoire d'amour, un hommage au peuple kurde et à tous ceux qui se battent pour nos libertés.

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Seitenzahl: 178

Veröffentlichungsjahr: 2022

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REMERCIEMENTS :

Ce livre est une réédition de mon roman Face à la mort. J’ai corrigé les fautes et modifié le titre afin d’être au plus près de l’idée générale de l’oeuvre.

Je remercie Lyzzie, qui vient de nous quitter, pour son aide précieuse lors de l’écriture, et pour m'avoir permis d’apporter une touche d’humour à ce roman très dur.

Merci à Nathalie Tortet et Flora Martin, bêta-lectrices.

Je rends hommage au peuple kurde, ainsi qu'aux Arabes, aux Yezidis et à tous ceux partis combattre DAESH en Syrie et en Irak, afin de défendre nos libertés.

À l’intention du lecteur

Bien que ce roman soit aux trois-quarts de la fiction, je me suis inspiré de ce que j'ai réellement vécu. Toutes les parties écrites au passé sont tirées de ma propre vie.

Ce livre traite aussi du phénomène de l'emprise psychologique que j'ai subi ressemblant fort à celui d'une secte, je le mets volontairement en parallèle avec celui que subissent les « radicalisés » de l'islam, et en général tous les fanatiques religieux ou politiques.

Je préfère un style semi-réaliste à la façon des films de Sergio Léone, avec un brin d'humour et de franc parler, me permettant de faire rêver un peu mes lecteurs tout en dénonçant les crimes de DAESH et en faisant découvrir le peuple kurde et la vie des quelques centaines d'étrangers partis les rejoindre, comme autrefois l'avaient fait les volontaires des brigades internationales. Je m'inspire de faits et de personnages réels, beaucoup d'histoires contenues dans ce livre ont été empruntées à des témoignages.

Bien que ce soit une romance sur fond de guerre et d'actualité, il s'agit du roman le plus personnel que j'ai jamais écrit, et c'est quand même une jolie histoire d'amour, un hymne à la vie et à l'amitié. Pourvu qu'il vous plaise.

Mickaël G.

Les ténèbres parfois nous masquent le soleil, mais il brille quand même (proverbe kurde).

Sommaire

T'ETAIS OU PUTAIN?

ELLE

ARRIVEE AU KURDISTAN

ZOUMAR

PREMIER SANG

APOCALYPSE DE SABLE

LES CISEAUX

COMPAGNIE FEMININE

L'EMMERDEUSE

ASSOIFFES ET ASSIEGES

BATAILLE DE SINJAR

ZERO HEURE ZERO ZERO

ON SE LA FAIT CETTE VIREE TOUS LES DEUX?

LA VIREE

KOCHO

LA CARAPACE

ARRETE LE CHAR

LE PRISONNIER

CATRAETH

BARA

LE PIEGE

LE RENARD ET LA TORTUE

BULLE D'ETERNITE

ON FAIT TOUT PETER

LE CALVAIRE

UN PUTAIN DE MIRACLE

DEPARTS

1. T'ETAIS OU PUTAIN?

Quimperlé.

Je descends du train et respire déjà l'air frais de mon enfance ; en sortant de la gare, j'ai cette impression bizarre de ne plus être à ma place depuis longtemps. Pourtant je ne suis parti que quinze ans de la cité des trois rivières. En marchant le long des maisons à colombage, de tendres souvenirs me reviennent en mémoire : Gwenaëlle que j'ai embrassée sur ce pont de pierre, les fous rires avec les copains en plongeant dans la Ria, les profs au collège, et les matchs de foot ; c'est comme une claque que je prends en pleine gueule. Je m'arrête quelques instants, mon coeur bat la chamade alors que je n'ai fait aucun effort, j'ai la tête qui tourne, des bouffées d’air chaud, et l'impression d'étouffer.

Réagis... reprends-toi putain de merde ! T'as pas bravé la mort pour faire le minable avec les fantômes du passé. Mon sac militaire est aussi usé que moi, mais son contenu, c'est tout ce que je possède. Je le pose quand j'arrive sur le perron de la maison de mammig et tadig.

Rien n'a changé. Ch'ui comme un gamin qui doit retourner à la maison après avoir fait une grosse bêtise. Survivre sous une pluie d'obus me faisait moins peur que de tendre mon doigt vers la sonnette. J'ignore si on va me claquer la porte au nez ou me serrer dans les bras. Mais je sais qu'en Bretagne, on ne montre pas beaucoup ses sentiments.

La porte s'ouvre, une femme ridée aux cheveux gris m'ouvre, elle a vieilli, mais c'est toujours ma mère ; par contre de son côté, elle met quelques secondes à réaliser qui je suis. Sa voix sèche m'assène :

— Ma doué, t'as changé dis donc.

Les premiers mots de mama que j'entends depuis dix ans. Je ne baisse pas la tête, je suis plus un môme qu'elle peut gronder, j'ai quarante ans tout de même.

— Bonjour Maman.

Elle m'invite à entrer d'un mouvement de la tête aussi accueillant que les déserts que j'ai traversés. Je m'assois à la même place que jadis, maman met de l'eau dans la bouilloire pour un jus. Ses gestes tremblants trahissent son émotion, mais en bonne bretonne, elle ne laissera pas voir ses sentiments ni ses blessures.

— T'étais rendu où tout c'temps ?

J'ai passé des années loin des miens, à cause de cette foutue emprise, et puis je suis allé me battre à l'autre bout du monde, je sais pas comment je peux résumer tout ça. Maman me sert un verre de lait ribot, elle se souvient que j'adore ça. Elle ne sait pas que cela ne m'a pas manqué, y en avait dans le pays d'où je viens. Y a des vérités qui sont difficiles à révéler aux autres. Sans attendre ma réponse, elle enchaîne en tendant la main vers mon crâne rasé :

— Qu'as-tu fait à tes cheveux ? T'étais un vrai rahan avant...

J'essaye de détourner la conversation :

— Papa n'est pas là ?

La stupéfaction dans son regard se mue en colère :

— Tu ne le sais pas ? !!!

Les larmes viennent, des gestes agressifs accompagnent les paroles :

— Si t'avais téléphoné ou laissé une adresse, tu aurais su pour ton père !

Cette fois je baisse la tête, un peu honteux. Oui, sur bien des points je suis un connard. Un jour j'ai tout quitté, j'ai tout laissé derrière moi, sans laisser d'adresse, et sans donner de nouvelles. Père est mort, je n'en ai rien su, peut-être aurais-je mieux fait de ne jamais revenir, et de ne jamais apprendre ce genre de nouvelles. Quand la souffrance des autres vous éclate au visage, on ne sait jamais quoi dire, surtout en Bretagne. De mon côté, j'aurais du mal à dire que ma famille et mes amis m'ont manqué, parce que c'est pas vrai, si je suis parti si longtemps, c'est que j'attendais ce putain de déclic, ce sentiment qui aurait pu me titiller l'âme en me disant : mais qu'est-ce que tu fous avec une cinglée ? Ou après qu’est-ce que tu fous ici à 5000 km de chez toi ? Il y a tous ces gens que tu aimes qui t'attendent, ils te manquent, ta vie d'avant te manque, ton pays te manque, allez, arrête de faire le con et reviens. Mais cela n'est jamais arrivé. Je n'ai eu ni peine, ni remords, ni regret. Si je suis revenu, c'est parce que je ne savais plus où aller, et que je me suis souvenu que j'avais encore un endroit où aller sur Terre. Un peu plus tard, à l'heure où les prolos rentrent du taf, voilà que débarquent les autres, celles et ceux que ma gueule intéresse encore. C'est la magie des i-phones, tout le clan est au courant de mon retour. J'imagine que ça doit déjà débattre sévère sur Facebook.

Les têtes vieillies de ma frangine avec mon beauf, de mon ancien pote d'école, celui qu'a repris la ferme de son père et qu'a jamais quitté la Bretagne, sans oublier quelques curieux dont j'ai même oublié le nom. C'est fou d'ailleurs qu'on puisse se souvenir de gueules de gens qui n'ont eu aucune importance dans notre vie, tandis qu'on peine à se rappeler les traits des premières gentilles pour qui on a eu quelques tendresses. D'abord, ils restent silencieux, ils jouent les ahuris, ma soeur donne l'impression de vouloir me sauter à la gorge, mais ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que leurs airs de reproches ne me font ni chaud ni froid. Là où j'étais, on n’avait pas le temps pour se sentir blessés par les remarques des uns et des autres. Les manières des gens ordinaires qui s'emmerdent dans un boulot à la con pour payer leurs crédits et leurs factures me passent complètement au-dessus ; je ne les aimais déjà pas avant de partir, je les aime encore moins aujourd'hui. Passé le premier temps de stupeur, ils me bombardent de questions : "t'étais où putain ? Tu faisais quoi ? Pourquoi t'as pas donné de nouvelles ? Facebook c'est pas pour les chiens ! Comment t'as pu NOUS faire ça !" Facebook ? Oui, j'aurais pu raconter mon enfer quotidien avec une perverse narcissique, ou plus récemment prendre un iPhone et faire des selfies avec des piles de cadavres, donner mon humeur quotidienne avec des smileys et un message du genre : « aujourd'hui, je me suis chié dessus, après qu'un blindé kamikaze se soit fait exploser au beau milieu de notre campement ».

Non, vraiment, même si j'avais pris mon téléphone et payé un abonnement illimité+50 sms « zone de guerre », je ne pense pas que j'aurais pu lire les conneries et les états-d ‘âmes de mes amis virtuels. En outre, des amis, je ne savais pas ce que ce mot signifiait avant d'aller vivre en enfer, en Bretagne, en France, et dans la majeure partie de l'Occident, ce que l'on nomme « ami », c'est une personne dont on apprécie la présence quelques heures par semaine, mais qu'on n'a plus envie de revoir sitôt celle-ci a des problèmes importants ; aucun « ami » de cette sorte ne sacrifiera quoi que ce soit de son confort pour vous venir en aide. Il pourra vous héberger une nuit ou deux, puis après vous assénera des trucs du genre : « bon, avec Sandrine, on a discuté, et... ce n’est pas qu'on veut te mettre à la porte mais... »

Pour l'heure, je dois essayer de mettre des mots sur ce que j'ai fait, expliquer l'inexplicable. Je me lance :

— Je vais vous tout raconter ... maman prépare du café, ça va être long.

Je vais commencer par le début... lorsque j’ai quitté la folle...

2. ELLE

Les orbites emplies d'un regard de l'enfer,

vers toi, un jour se poseront

Alors tu préféreras la vierge de fer à la bête

d'en bas.

Ma belle et douce compagne...

Je la regarde dans les yeux, plus rien ne peut plus m'atteindre, ni les coups, ni les insultes, je ne ressens plus rien, ni pour elle, ni pour quoi que ce soit ; elle m'a vidé l'âme, et mon coeur a comme cessé de battre.

— Je m'en vais. Je ne reviendrai pas.

Son visage se décompose, elle prend mille ans d'un seul coup, elle se rattrape au rebord de la cuisine, cherche son souffle, puis les larmes coulent :

— Tu ne peux pas me faire ça ! Si tu m'aimes, tu dois rester ! J'ai besoin de toi.

Je ne cède pas aux larmes, ni à sa détresse, elle a toujours eu besoin de moi.

Maintenant la colère lui monte aux joues :

— Tu n'es qu'un sale fumier ! Tu veux ma mort, c'est ça ? Si tu pars, je me tuerai, tu auras ma mort sur la conscience.

— Calme-toi, tes chantages, je n'y crois plus.

La tasse dont elle s'était saisie vole et s'éclate contre mon crâne. J'encaisse le choc, mais la douleur est vive, elle m'a ouvert un peu sur le sourcil.

— Tu es méchant, de ta bouche ne sort que du venin, tu ne m'as jamais aimée !

J'essuie le sang qui coule sur ma joue, je fais très attention à ce que je vais dire, sa fureur est à deux doigts d'éclater.

— Je t'ai aimée à la folie, j'ai tout sacrifié pour toi, mais là c'est fini, je n'éprouve plus d'amour pour toi, juste de la pitié.

Quel idiot, je n'ai jamais su mesurer mes paroles, elle brandit un couteau de cuisine et s'avance vers moi menaçante, pointant la lame vers mon coeur.

— Redis ça !

Je me tais, je reste calme, je n'ai pas peur de mourir, j'ai même envie qu'elle le fasse en fait. La pointe me pique la peau, et elle finit par le lâcher par terre, se met à sangloter et veut se blottir contre moi ; mais je la repousse sèchement, alors elle me cogne dessus comme elle l'a souvent fait, j'ai l'habitude de coups, je ne ressens plus la douleur, alors j'encaisse, ça fait tant d’années que je subis. La différence, c'est qu'avant j'avais mal au coeur, j'aurais tout fait pour arrêter ses larmes, tout accepté, capitulé. J'aurais pu tuer pour elle, j'aurais pu mourir.

Je lui tourne le dos et m'éloigne rapidement, mon sac à dos sur l'épaule. J'entends encore ses dernières malédictions :

— Personne ne t'aimera jamais comme moi ! Personne !

Maudit, oui, je le suis déjà, je suis en enfer et la route que j'emprunte c'est pour m'enfoncer au coeur du monde des damnés. Je ne veux pas seulement disparaître pour elle, je veux disparaître pour le monde entier, pas seulement mourir, je ne suis plus qu'une ombre, un désespéré, un spectre, un oiseau sans ailes...

Ce soir-là, j'ai pris l'avion pour Istanbul. Quand on fait ce genre de choses, on ne se rend pas toujours compte de ce qu'on fait, partir à l'aventure c'est grisant, j'aurais pu dire que je partais combattre pour une noble cause, mais je n’ai jamais su mentir, ma raison à moi, c'est que je veux mourir.

Oh pas un suicide comme les autres, je ne fais rien comme tout le monde, y en a qui votent utiles, moi j'ai besoin de mourir utile.

Istanbul, petit aéroport et longue escale, y a des tas de touristes en transit vers Dubaï, Tel Aviv, ou Le Caire, mais en ces temps troublés, on voit une nouvelle race de voyageurs : le combattant en partance pour l'enfer. Sur le parvis, des futurs ennemis se croisent, oh je me doute bien que le barbu devant moi ne va pas vers l'est pour visiter des mosquées, c'est un Français, comme moi, un converti sans doute, avec son air de fouine et sa petite barbe de Jaffar, je le reconnaîtrai dans mon viseur. Ça aurait pu être un collègue de boulot, ou un équipier de foot, mais maintenant il est de bon ton de s'engager dans une milice quelque part, peut-être qu'on pourra même ajouter ça sur son CV.

Je prends l'avion pour Soulayman, puis un plus petit pour Erbil... au Kurdistan.

3. ARRIVEE AU KURDISTAN

Comme un arbre déraciné, comme un bruit dans la foule, comme une parole que personne n'entend, je me sens lourd, errant sans but dans une ville fantôme. Mes sentiments sont des empreintes sur le sable que la marée recouvre, ma joie s'est évaporée comme l'eau dans le désert, et si mes larmes ont creusé mon visage, ses sillons se sont asséchés et mes traits ont durci comme la pierre. Mon coeur a tant saigné que je ne le sens plus battre. Chaque jour avec elle est un jour de plus, chaque jour sous son emprise est un jour de trop.

Je descends de l'avion, la chaleur est sèche, étouffante, un vent chaud soulève la poussière d'une nature brûlée et jaune. Mes chaussures semblent fondre sur le bitume, j'ai l'impression d'évoluer dans un four. Il doit faire autour des 50°C, je n’ai jamais eu aussi chaud. Une jeep remplie de soldats vient m'accueillir. Les Peshmergas sont prévenus de ma visite. Un officier me dit en anglais que le général Yassin m'attend. C'est curieux cette époque, même pour faire la guerre, on postule sur internet, et on doit se vendre lors d'un entretien. Bientôt ils demanderont un C.V. et une lettre de motivation pour tuer du djihadiste. Drôle de société où l'on fait des selfies devant des cadavres, où l'on partage sur Facebook la photo d'un gosse blessé par une bombe ou noyé. J'entre dans la ville, avec ses magasins, ses marchés, et sa population souriante, on a peine à croire qu'on est en guerre.

Voilà des années maintenant que les Peshmergas défendent Erbil, leur capitale. C'est un petit joyau dans la plaine à 50 km des montagnes qui séparent l'Irak de la Turquie et de l'Iran ; au centre il y a une citadelle majestueuse, on la dit imprenable, et tout autour une vaste agglomération de maisons et d'immeubles bas, le tout dans des tons sable ou ocre, avec un soleil éclatant qui lorsqu'il se couche semble unifier la ville et le ciel dans une couleur dorée unie. Cette ville est étonnante, car malgré les guerres, et sa partie traditionnelle, des quartiers modernes, d'immeubles d'affaires ont poussé comme des champignons, rappelant à tous l’extraordinaire puissance du pétrole.

La jeep entre dans une caserne et s'arrête devant le quartier général. Sans autre forme de procès, on m'introduit dans un bureau où m'attend le commandant... En anglais, celui-ci m'invite à m'asseoir, je trouve un homme courtois, qui a sans doute un lourd vécu, car les gens qui ont survécu à des épreuves ont une aura qui impressionne. Peut-être que moi aussi, finalement, j'ai un peu la même, aussi ce Kurde entre-t-il directement en matière :

J'ai lu votre dossier, vous avez fait votre service militaire en 2001, dans l'infanterie de marine à Brest, la dernière année du service militaire obligatoire, c'est pas banal. Vous avez sans doute les compétences, mais avez-vous la volonté ? Pourquoi voulez-vous nous rejoindre ?

— Bah... DAESH... c'est pas une raison suffisante ?

— Vous détestez les djihadistes ?

— Non, je n'ai pas de haine envers eux, je pense juste qu'il faut les combattre. Je suis convaincu qu’ils interprètent l’islam d’une manière dangereuse et insensée.

— Bien, mais pourquoi avec nous, vous êtes chrétien, vous auriez pu rejoindre la milice chrétienne... pourquoi rejoignez-vous les Peshmergas ?

— J'ai lu que « Peshmergas » signifiait « Ceux qui marchent vers la mort », c'est ça qui me plaît, je veux marcher vers la mort, je veux devenir peshmerga. Je ferai mon devoir.

Cette réponse semble plaire au commandant qui me remercie et m'invite à attendre la réponse définitive quelques jours plus tard. Je suis raccompagné en dehors de la caserne jusqu'à un hôtel réservé aux Occidentaux venus aider. Il est plein à craquer de journalistes, d'humanitaires et de futurs combattants, une foule de gens de toute l'Europe, l'Amérique du Nord, et l'Australie. Ça jacte en anglais, catalan, danois, et même grec, hongrois et bulgare. Je trouve un Français, un grand gars qui détonne avec son allure de soldat intello à lunettes.

— Salut, t'es français ? me demande-t-il.

— Breton, corrigé-je.

— Moi aussi ! se réjouit-il en me serrant la main.

— Du coup, nous sympathisons, il sort de son sac une petite bouteille de chouchen et nous trinquons ensemble.

C'est un journaliste breton, un indépendantiste, le genre qui a appris la langue en école Diwan. Il est là par solidarité avec la cause kurde, bah oui, faute de pouvoir sauver la cause bretonne, on se rattrape comme on peut, et c'est aussi un anarchiste qui soutient à fond la révolution kurde. Moi, ça ne me dit rien ces histoires de révolutions et d'indépendances, je me méfie comme la peste des idéalistes, y a qu'un pas entre un idéaliste et un fanatique. Mais j'écoute tout de même ces histoires de société révolutionnaire kurde, c'est pas si con en fait : chaque village est autonome, tout le monde produit pour soi chez soi, y compris sa propre électricité avec des énergies renouvelables locales. Du coup, c'est responsabilisant et écolo, ça donne de l'emploi à tout le monde, ça limite les transports entre les communautés, et surtout ça interdit toute espèce d'intermédiaires économiques : pas de grossistes, pas d'actionnaires, pas de pillage de la force de travail du peuple. Les Kurdes sont un des rares peuples qui suit la voie inverse de la mondialisation : eux, ça ne les intéresse pas de consommer des gadgets fabriqués à l'autre bout du monde, ni de frimer avec des marques. Moi, je trouve ça pas si mal, même si je mets quand même les choses au clair avec Gwendal :

— Ta révolution, j'en ai pas grand chose à foutre en fait, mais je t'en veux pas de te battre pour elle.

Quelques jours plus tard, Gwendal et moi sommes engagés dans les forces kurdes et envoyés à l'Académie des volontaires. J'ai accepté un engagement sans solde, je ne suis pas là pour le pognon. Ils me fournissent mon équipement et je rejoins un groupe d'entraînement pour une remise à niveau. Car quinze ans après l'armée, j'ai presque tout oublié. Les exercices, ça ne rigole pas, on est pas là pour se battre contre des bisounours, l'instructeur, un moustachu à la mode arabe des années 80, nous en fait baver : ramper sous des barbelés dans la boue, escalader à grand peine des monticules parce que vous avez trop de gras, grenades à plâtre qui vous explosent en pleine gueule, réveil à n'importe quelle heure, crapahutage dans la montagne pendant des jours avec un sac à dos hyper lourd, et s'enterrer des heures sous un soleil de plomb. En quelques semaines, j'ai déjà perdu dix kilos, et une taille, mon bide a disparu comme par enchantement.