Hirochinon mon amour - Gino Blandin - E-Book

Hirochinon mon amour E-Book

Gino Blandin

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Beschreibung

Une journaliste du Courrier Ligérien cherche à rendre son portefeuille à un inconnu rencontré lors d'un covoiturage, mais bien des ennuis l'attendent...

Qui n’a pas un jour croisé une personne en se disant que, peut-être, c’était là l’homme ou la femme de sa vie ? Que, en tout cas, la vie ne pouvait qu’être douce et agréable à ses côtés ? Mais voilà, à peine aperçu(e), entre deux trains ou deux avions, le ou la belle inconnu(e) disparaît à tout jamais. « Celles que l’on connaît à peine et qu’un destin différent entraîne et que l’on ne retrouve jamais » chantait Georges Brassens. C’est peut-être pour tenter de faire mentir le poète que Julie Lantilly se lance à la recherche d’un bel inconnu entrevu le temps d’un covoiturage entre Angers et Saumur. Prétextant lui restituer son portefeuille, elle va partir à sa recherche, mais, bien sûr, ce jeu n’est pas sans risques. Dans quel pétrin la journaliste du Courrier Ligérien va-t-elle se fourrer cette fois ? Dans cette nouvelle aventure, la jeune femme va pouvoir constater que les décors idylliques de carte postale qui montrent la Loire alanguie s’écouler nonchalamment peuvent être le théâtre de terribles dangers.

Retrouvez Julie Lantilly dans un polar tissé d'aventures risquées, où le paysage idyllique de la cité ligérienne ne rime pas pour elle avec tranquillité et sécurité...

EXTRAIT

— Ce monsieur a perdu son portefeuille dans ma voiture et je suis venue lui rapporter.
— C’est aimable à vous, mais vous arrivez trop tard… Je ne peux rien pour vous.
— Vous ne savez pas où il est allé ?
— Aucune idée.
La dame était déjà retournée vers ses œufs au plat, Julie n’insista pas. Pour elle, se posa alors la question de ce qu’elle devait faire du portefeuille. Quelle était la meilleure solution ? Vu l’accueil de l’établissement, le laisser à cet hôtel ne semblait pas une très bonne idée. Il lui restait la possibilité de le déposer à la mairie de Saumur. Elle, de son côté, n’aurait rien à se reprocher. Quant au garçon, lui viendrait-il à l’idée d’aller chercher son portefeuille à l’hôtel de ville ?
Julie sortit du Brat Hôtel comme elle était arrivée : le portefeuille à la main. Elle regagna sa voiture.
Sur le parking, elle passa devant un touriste qui, appuyé contre sa voiture – il appartenait à cette catégorie de gens qui, lorsqu’ils sont au portable, en font profiter tout le monde – déclamait à tout vent.
— Je te dis qu’il est parti, braillait-il. Il s’est sauvé de bonne heure. On l’a raté…
Cette bribe de conversation saisie au passage fit sourire Julie Lantilly, car elle pouvait s’appliquer à ce garçon, Raphaël Sanchez, à qui elle avait espéré rendre le portefeuille. La jeune femme regagna sa voiture et, en deux temps, trois mouvements, elle avait effectué sa marche arrière et quitté le parking. Dans le rétroviseur, elle aperçut le touriste, un Méditerranéen sans doute habitué à s’exprimer autant avec les mains qu’avec les cordes vocales, qui continuait sa conversation.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gino Blandin est enseignant. Auparavant, il a été foreur pétrolier. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Saumur, dont  L’Histoire du Centre Hospitalier de Saumur(Prix Politi 1996), il écrit aussi des romans policiers dont le cadre est la région saumuroise.

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Hirochinon

mon amour

Collection dirigée par Thierry LucasCette histoire est une fiction et, selon la formule consacrée, « toute ressemblance avec des personnages ou des événements réels serait une pure coïncidence ». Néanmoins, quasiment tous les lieux évoqués existent réellement, en particulier la centrale nucléaire de Chinon.© 2019 – La Geste – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Gino BLANDINhirochinon

mon amour

La Geste

Chapitre 1

En cette fin d’après-midi de juin, la gare d’Angers Saint-Laud grouillait d’activité. Tels des électrons libres faiblement reliés à leur noyau atomique, les usagers déferlaient de partout. Un flot humain bruyant descendait un grand escalier mécanique. Il se déversait dans le vaste hall où un inconnu interprétait sur un piano – surmonté d’une pancarte où était inscrit « À vous de jouer ! » – le premier mouvement du concerto no 3 de Rachmaninov, ce dans l’indifférence générale. D’autres personnes validaient leur billet de train dans la même indifférence, d’autres encore téléphonaient, discutaient, choisissaient un sandwich dans de grands distributeurs rouges. Des voyageurs au long cours tiraient sur des valises à roulettes en vérifiant l’heure de leur train sur le grand tableau d’affichage des « trains et cars au départ ». Beaucoup d’autres poireautaient debout dans le hall ; les places assises sur les bancs étaient toutes occupées. Des affiches collées sur les vitres avertissaient les flemmards qu’ils utilisaient « un espace réservé aux voyageurs munis d’un titre de transport valable, composté ou validé, contrôlable à tout moment ». Respectueux des consignes, beaucoup restaient debout et subissaient l’activité régnante tout en jetant régulièrement un œil au tableau.

À intervalles réguliers, la voix d’une hôtesse invisible annonçait soit le départ, soit l’arrivée imminente d’un train, ce qui provoquait à chaque fois une perturbation. Certains, restés plantés là depuis longtemps, reprenaient soudain vie et se dirigeaient vers les issues. Trois possibilités s’offraient aux arrivants : les veinards qui débarquaient directement voie A pouvaient emprunter une double porte vitrée, tandis que les autres étaient contraints de passer par les boyaux souterrains, et on pouvait les voir jaillir de droite par un escalier ou de gauche par un plan incliné. Alors que quelques minutes plus tôt régnait un calme relatif, l’intervention de l’hôtesse venait semer l’agitation. Cette réaction ne durait pas. Elle pouvait même être très rapide pour l’arrivée d’un TER dont émergeaient des gens du coin qui faisaient le trajet chaque jour et qui traversaient le hall au pas de course – certains à peine le pied posé sur la terre ferme, s’empressaient de déplier des engins curieux, trottinettes ou vélos, et de ficher le camp –, mais elle pouvait également durer pour l’arrivée d’un TGV dont descendaient des voyageurs en provenance de pays lointains, ceux-ci se reconnaissant à leurs bagages. La taille et le nombre de ces derniers étaient fonction du mode de transport utilisé. Les passagers des TER voyageaient léger, ce qui n’était pas le cas des usagers des grandes lignes.

Tout ce microcosme évoluait dans un vaste aquarium aux parois de verre. D’un côté, on apercevait des trains immobiles qui se dissimulaient les uns derrière les autres – ils disparaissaient à la vue des spectateurs à chaque fois qu’un autre convoi traversait la gare –, tandis que de l’autre côté, la vie urbaine battait son plein ; des voitures circulaient incessamment comme dans un manège. Les taxis rongeaient leur frein en attendant les clients. Quelqu’un avait eu l’idée de planter des magnolias sur la place de la Gare, histoire d’humaniser l’endroit, mais les pauvres ersatz de verdure ne parvenaient pas à lui donner un caractère bucolique, dissimulant à peine les façades des grands immeubles du xixe siècle. Il ne fallait pas se voiler la face, on était en plein centre-ville.

Comme tout un chacun, Julie Lantilly attendait dans ce hall de gare. L’heure de pointe était passée. Elle avait eu de la veine de trouver une place assise sur un banc, contre la paroi vitrée, ce qui lui évitait d’être dérangée toutes les dix minutes par un dragueur ou un tapeur. Elle essayait de concentrer son esprit sur la lecture d’un article du magazine féminin qu’elle avait acheté à la boutique Relay. On y vantait les vertus d’une nouvelle plante médicinale : le pissenlit. Elle était, à en croire l’article, très performante dans l’élimination des toxines et la perte de poids. Conclusion : il fallait en bouffer sans réserve et pas par la racine…

Soudain, l’hôtesse invisible annonça l’arrivée du TGV no 8841 en provenance de Paris-Montparnasse et à destination de Nantes. Ce devait être celui que la jeune femme attendait. Elle rangea son magazine et alla se planter comme les autres devant la sortie. Un train freina dans un grand bruit de ventilation, tel un sportif asthmatique. Le scénario classique se répéta une nouvelle fois : une nuée de voyageurs émergea brusquement du passage souterrain. Ceux qui n’avaient pas beaucoup de bagages gravissaient l’escalier au pas de course, tandis que les autres empruntaient le pan incliné en épingle à cheveux. Légère comme une ballerine, Virginie apparut bientôt, des écouteurs sur les oreilles. Virginie était l’amie de toujours de Julie. Elles étaient très complices. La première avait demandé à la seconde de venir la chercher à la gare d’Angers parce que passé 19 heures 30, il n’y avait plus de correspondance pour Saumur. Il fallait attendre le lendemain matin. Auparavant, Virginie travaillait dans un salon de coiffure franchisé, mais depuis peu, elle avait décidé de voler de ses propres ailes en ouvrant son propre salon. C’est dans ce contexte qu’elle s’était rendue à une manifestation professionnelle à Paris.

Les deux jeunes femmes s’embrassèrent, heureuses de se retrouver au bon endroit, à la bonne heure. La voyageuse portait au bras plusieurs sacs en papier témoins, de ses achats vestimentaires dans les magasins parisiens.

— Tu as fait bon voyage ?

— Oui, tu sais, maintenant on met moins de deux heures à revenir de Paris, on n’a même plus le temps d’ouvrir un bouquin.

— Et ton salon, c’était bien ?

— Super, un peu fatigant, mais super. J’ai pu prendre plein de contacts, c’est ce que je voulais.

Elles durent laisser passer les derniers voyageurs, les poids lourds qui émergeaient en fin de colonne avec de volumineux bagages sur roues. Virginie en profita pour se débarrasser d’une petite bouteille d’eau minérale qu’elle avait consommée durant le trajet.

— Tu es garée où ?

— Dans le petit parking au-dessus. J’ai bien galéré, tu peux me croire ! Il n’y a plus une place dans le quartier, surtout depuis la construction du tramway. Ce n’est même plus la peine d’essayer.

— Allons-y alors !

Les deux amies passèrent devant la boutique SNCF et prirent la direction de l’escalier mécanique qui devait les mener au parking. Brusquement, elles virent jaillir d’une porte vitrée un jeune homme élégamment débraillé tenant un dépliant à la main.

— Je n’y crois pas, se lança-t-il à lui-même. Il n’y a plus de train à partir de sept heures et demie !

Réalisant qu’il avait involontairement barré le passage aux deux filles, il s’écarta.

— Mais dans quel bled je suis encore tombé ! poursuivit-il.

— On peut vous aider ? proposa Virginie, à la surprise de Julie qui n’était pas habituée à voir son amie si prompte à secourir son prochain.

Le jeune homme prit conscience de leur existence et leur jeta un regard. Julie comprit alors que si son amie avait été aussi réactive, c’est qu’elle avait déjà repéré sa proie. Indéniablement, il était beau garçon, propre sur lui. Julie était prête à parier qu’ils avaient voyagé dans le même wagon.

— Je suis vert, expliqua le garçon en montrant son document. J’arrive de Paris et l’on m’annonce qu’il n’y a déjà plus de train pour Saumur. Il faut que j’attende demain matin !

— C’est la province ici, acquiesça Virginie fataliste.

— Mais j’ai déjà réservé une chambre d’hôtel à Saumur, moi. Comment je fais ? demanda le garçon en comédien confirmé.

— On peut vous emmener, intervint Julie, qui lut dans les yeux de son amie qu’elles étaient sur la même longueur d’onde.

— Vous allez à Saumur ?

— Oui, fit Julie. Nous sommes dans la même situation que vous. Je suis venue chercher mon amie pour cette raison.

— Ça ne vous dérange pas ?

— Non, pas du tout…

Il est vrai qu’en échange du sourire qu’il adressa aux deux jeunes femmes, elles ne regrettèrent ni l’une ni l’autre leur proposition.

Le voyage entre Angers et Saumur fut rapide, car à cette heure tardive, il n’y avait plus de circulation. Julie se limita à son rôle de chauffeur. Elle se concentra sur la conduite, elle ne tenait pas à empiéter sur les plates-bandes de son amie. Cette dernière déchanta rapidement : le bel inconnu ténébreux était peu loquace et Virginie en fut pour ses frais ; elle dut se taper la conversation toute seule. Elle parvint à lui arracher qu’il travaillait dans l’informatique, sans plus de précisions, et qu’il habitait à Paris. Non, il n’était jamais venu en Anjou auparavant. Il avait entendu dire que la région était très belle, en particulier les bords de Loire, mais comme ils passaient par Brissac-Quincé, il ne pouvait pas le vérifier de visu. Le paysage des vignes était certes plaisant à contempler, mais il n’avait rien à voir avec les rives du grand fleuve. Au timbre de la voix de son amie, Julie devina une certaine irritation poindre chez elle. Elle se sentit soulagée à la vue des premières lumières de Saumur, la fin de l’épreuve s’annonçait pour Virginie.

Par chance, le garçon avait réservé une chambre au Brat Hôtel, un établissement bon marché offrant le service minimum, dans la zone commerciale de Distré, au sud de la ville ; et c’est justement par là qu’ils arrivèrent. À cette heure, le coin était sinistre. Un vrai décor de roman policier ! Le Brat Hôtel se dressait entre deux entrepôts industriels. Il n’y avait pas un chat. Le jeune homme fut donc le premier à débarquer de la voiture de Julie. Il remercia chaleureusement les deux filles avant de franchir, sac à dos sur l’épaule, la barrière métallique de l’entrée de l’hôtel et de s’éloigner sous des lumières blafardes de l’établissement. De leur côté, elles reprirent leur chemin.

Julie n’avait pas effectué son demi-tour que la déception de son amie éclata :

— Merde, encore raté, proféra-t-elle. Il faut toujours que je tombe sur des nazes !

— Tu es dure avec ce garçon, dit Julie. Il ne m’a pas donné l’impression d’être un naze. Nous ne lui avons pas plu, c’est un fait. Nous ne sommes sans doute pas son genre et puis… C’est peut-être un homo timide ?

— Maintenant que tu me le fais remarquer…

— C’était juste une supposition.

— Oui, oui, j’avais compris.

— Ce n’est pas bien grave. Un de perdu, dix de retrouvés.

— Tu as raison. On aura au moins essayé. Comme disait toujours ma mère : « Il vaut mieux rester sur un échec que sur un regret. »

— J’ai l’impression qu’il ne tenait pas à s’incruster dans le coin, ton beau ténébreux. Tu as eu un mal fou à lui tirer les vers du nez. Je n’ai pas même compris ce qu’il faisait dans la vie. Tu as pigé, toi ?

— Allez, on n’en parle plus, décréta Virginie. L’affaire est close. Changeons de sujet.

Dix minutes plus tard, Julie déposait son amie au bas de son immeuble.

Le lendemain matin, c’est par le plus grand des hasards que l’événement se produisit. En général, Julie Lantilly n’utilisait pas son véhicule personnel, mais au moment de partir travailler, elle s’aperçut qu’elle avait oublié ses lunettes de soleil la veille dans sa voiture. Avant de prendre la direction du journal, elle passa par le parking où stationnait sa Mini Cooper. Elle récupéra son étui à lunettes et elle s’apprêtait à fermer la portière du véhicule quand elle aperçut côté passager un objet sombre coincé entre le fauteuil et le bas de l’habitacle. Elle le récupéra, c’était un portefeuille ! Tout naturellement, la jeune femme pensa que c’était son amie qui l’avait perdu. Ne suffit-il pas d’une poche mal fermée ? Ce type d’objet a toujours le chic pour s’échapper et aller se dissimuler dans un recoin inaccessible. En le récupérant, Julie se fit cependant une remarque : elle n’avait pas le souvenir d’avoir vu Virginie avec ce portefeuille. Ce n’était vraiment pas son style ! Elle se permit de l’ouvrir : un compartiment à la paroi transparente laissa apparaître une carte d’identité. Il ne s’agissait pas de celle de Virginie, mais de celle de l’inconnu qu’elles avaient véhiculé la veille ! Pour qu’il puisse descendre et s’extirper de la banquette arrière, il avait fallu que Virginie sorte de la voiture et fasse basculer le siège côté passager, car la Mini était une deux portes. C’est certainement à ce moment-là que le jeune homme avait perdu son portefeuille sans s’en rendre compte. De plus, il faisait alors presque nuit, ce qui expliquait qu’il ne s’était aperçu de rien.

Julie découvrit ainsi que l’inconnu s’appelait Raphaël Sanchez, qu’il avait vingt-cinq ans, qu’il était né à Villeurbanne et mesurait un mètre soixante-dix-huit. Sur la photo, il avait une sale gueule d’assassin, comme n’importe qui d’ailleurs sur ce genre de document.

Perdre son portefeuille, on ne le souhaite à personne. Julie tenta aussitôt de prévenir son chef de son éventuel retard, mais ne parvint pas à le joindre. Elle appela alors Jocelyne, la secrétaire, qui se chargerait de transmettre le message. Après avoir expliqué la cause de son retard à sa collègue, la jeune femme monta dans sa voiture et prit la direction de Distré.

Dix minutes plus tard, elle se garait sur le parking du Brat Hôtel. En toute hâte, elle pénétra dans l’établissement. Dans la salle à manger, plusieurs personnes faisaient la queue avec un plateau, attendant leur petit-déjeuner. Raphaël Sanchez n’était pas parmi elles. Une femme d’âge mûr couronnée d’une charlotte apparut derrière le comptoir et déposa des œufs au plat sur l’assiette d’un client. Julie Lantilly l’interpella, mais visiblement, elle importunait la dame qui la prit pour une cliente chiante. La journaliste dégaina le plus rapidement possible ses explications sur l’objet de sa visite. La dame lui demanda d’attendre. Au bout de quelques minutes, la femme réapparut derrière le comptoir.

— M. Sanchez est déjà parti, annonça-t-elle.

— Vous en êtes sûre ? demanda la journaliste.

— Il a réglé sa note et rendu sa clé. Pour moi, c’est qu’il est parti.

— Ce monsieur a perdu son portefeuille dans ma voiture et je suis venue lui rapporter.

— C’est aimable à vous, mais vous arrivez trop tard… Je ne peux rien pour vous.

— Vous ne savez pas où il est allé ?

— Aucune idée.

La dame était déjà retournée vers ses œufs au plat, Julie n’insista pas. Pour elle, se posa alors la question de ce qu’elle devait faire du portefeuille. Quelle était la meilleure solution ? Vu l’accueil de l’établissement, le laisser à cet hôtel ne semblait pas une très bonne idée. Il lui restait la possibilité de le déposer à la mairie de Saumur. Elle, de son côté, n’aurait rien à se reprocher. Quant au garçon, lui viendrait-il à l’idée d’aller chercher son portefeuille à l’hôtel de ville ?

Julie sortit du Brat Hôtel comme elle était arrivée : le portefeuille à la main. Elle regagna sa voiture.

Sur le parking, elle passa devant un touriste qui, appuyé contre sa voiture – il appartenait à cette catégorie de gens qui, lorsqu’ils sont au portable, en font profiter tout le monde – déclamait à tout vent.

— Je te dis qu’il est parti, braillait-il. Il s’est sauvé de bonne heure. On l’a raté…

Cette bribe de conversation saisie au passage fit sourire Julie Lantilly, car elle pouvait s’appliquer à ce garçon, Raphaël Sanchez, à qui elle avait espéré rendre le portefeuille. La jeune femme regagna sa voiture et, en deux temps, trois mouvements, elle avait effectué sa marche arrière et quitté le parking. Dans le rétroviseur, elle aperçut le touriste, un Méditerranéen sans doute habitué à s’exprimer autant avec les mains qu’avec les cordes vocales, qui continuait sa conversation.

Elle rejoignit le centre-ville en pestant contre la circulation. À cette heure-là, les parents véhiculaient leurs enfants vers les différents établissements scolaires de la ville et rouler devenait très difficile. Sur le parking de l’Europe, il n’y avait plus de places gratuites. À l’heure où arrivait Julie Lantilly ce matin-là, c’était râpé. Il lui fallait mettre des sous dans le parcmètre et ne pas oublier de renouveler l’opération dans la matinée, sinon, c’était la prune assurée. Le dépassement horaire de stationnement se soldait par une amende de 35 € ! Et il y avait des élus qui s’étonnaient que les gens désertent le centre-ville. Bien sûr, Julie n’avait pas de monnaie. Elle abandonna sa voiture, consciente de la sentence qu’elle risquait d’encourir, mais la conférence de rédaction devait être déjà commencée et elle ne pouvait pas la rater. Elle se promit d’aller à la mairie déposer le portefeuille de Raphaël Sanchez plus tard dans la matinée, quand elle en aurait la possibilité.

La conférence de rédaction était bien sûr commencée. Julie se fit petite souris pour gagner sa place. Le chef de rédaction lui jeta un regard furibard, mais ne s’interrompit pas pour délivrer l’ordre du jour à son équipe. Il distribuait les missions de chacun pour la journée. Tout rentra rapidement dans l’ordre. Le chef en avait presque terminé quand se produisit alors un petit incident. La tête d’un inconnu apparut au sommet de l’escalier.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda le rédacteur.

Frédéric, le plus près de l’escalier, se leva et se dirigea vers le quidam.

Quelques minutes plus tard, il était de retour et expliquait que le type était venu au journal pour obtenir un renseignement, mais que n’ayant trouvé personne à l’entrée et entendant les bruits de conversation à l’étage, il s’était aventuré dans l’escalier. Aussitôt, le rédacteur en chef se tourna vers Jocelyne, la secrétaire :

— Il ne faut jamais abandonner ton poste comme ça, lança-t-il sur un ton de reproche.

— Mais c’est toi qui m’as demandé de venir à la conférence ! se défendit l’interpellée.

— Alors, il faut fermer la porte à clé. N’importe qui peut rentrer au rez-de-chaussée et se servir.

Cela rappelait à toute l’équipe un bien mauvais souvenir. Deux ans plus tôt, un pickpocket ne s’était-il pas introduit dans les locaux du journal, faisant main basse sur plusieurs portefeuilles ?

Julie était le nez dans son agenda quand le type était apparu. Elle l’avait entraperçu une fraction de seconde. Il lui avait semblé que c’était le touriste du Brat Hôtel. « Non, se dit-elle, je suis en train de devenir parano. » Elle chassa cette impression de son esprit.

Une demi-heure plus tard, elle se retrouvait dans une voiture de service. Le temps était magnifique. Si cela n’avait dépendu que d’elle, elle aurait musardé doucement sur cette route qui bordait la Loire, mais il ne fallait pas qu’elle s’attarde. Elle devait collecter une information « à chaud ». On venait d’alerter la rédaction du journal Le Courrier ligérien que dans les environs de Gennes, la propriétaire d’une ancienne champignonnière avait remarqué des traces d’ossements dans le tuffeau. Elle avait eu la présence d’esprit d’avertir les scientifiques du Muséum des sciences naturelles d’Angers. Les paléontologues devaient déjà être à pied d’œuvre, car apparemment, la découverte était de première importance.

Grâce au GPS, la jeune femme parvint à atteindre l’endroit sans problème. Dissimulée par la végétation, l’ouverture d’une cave troglodytique apparaissait dans le flanc d’un talus. Un vieux portail grillagé en protégeait l’accès. Plusieurs voitures étaient garées sur le bord de la route. En période de chasse, ce genre de regroupement aurait semblé normal. La journaliste stationna également son véhicule sur la berme. Sur cette petite route, il ne devait pas y avoir beaucoup de trafic. Seuls les agriculteurs du coin devaient l’emprunter. Dans le coffre du véhicule, elle trouva un casque de chantier. Il servait à tout le monde quand un reportage pouvait nécessiter de s’en couvrir. Cet échange n’était peut-être pas top côté hygiène, mais s’il avait fallu un casque pour tous ceux qui utilisaient la voiture, le coffre n’aurait pas suffi. Julie l’avait déjà utilisé. Elle le régla à sa taille et, coiffée de ce couvre-chef fort seyant, elle franchit le portail métallique tout destroy et pénétra dans l’ouverture béante de la cave. Une sensation de fraîcheur la saisit aussitôt. Quel phénomène physique expliquait le fait que dans toutes les caves troglodytiques de la région, la température était partout la même : 11 degrés Celsius ?

Une odeur pestilentielle régnait dans le boyau. Qu’avait-on entreposé dans cette grotte ? L’odeur était trop indéfinissable pour que l’on puisse en deviner la nature. Dans ce genre de situation, il était garanti que non seulement on parfumait ses vêtements, mais également la voiture de service. On allait pendant au moins une semaine devoir rouler toutes vitres ouvertes ! Mais n’écoutant que son devoir, la jeune femme poursuivit son chemin en direction de la lueur qu’elle apercevait au fond du boyau. Arrivée quasiment au bout, elle rencontra un homme en combinaison de travail et casqué comme elle, si ce n’est que lui bénéficiait de l’option lampe de mineur.

— Que faites-vous là ? demanda-t-il d’un ton autoritaire.

— Courrier ligérien, lui répondit laconiquement la jeune femme.

— Non ! s’esclaffa l’inconnu d’une voix grasseyante. Le Courrier ligérien s’intéresse à la paléontologie maintenant ? Décidément, on aura tout vu…

Julie profita de la déclamation imbécile du type pour continuer sa route. Quand l’homme s’en rendit compte, il était déjà trop tard : elle était passée.

— C’est interdit ! lança-t-il, mais la journaliste entêtée continua sa progression vers le point éclairé.

Elle rencontra alors une jeune femme qui étudiait avec beaucoup d’attention la paroi du boyau. Quand elle aperçut la journaliste, elle tourna la tête vers elle et lui adressa un joli sourire. L’homme avait quasiment rejoint Julie.

— Elle n’a rien à faire là, gueula-t-il.

La jeune femme tourna vers lui son visage empreint de douceur et orné de fines lunettes pour rétorquer avec un calme désarmant :

— Je t’en prie, Richard…

Le malotru n’insista pas. Il comprit instantanément que face à deux filles, il ne faisait pas le poids. Il tourna les talons et s’en fut en maugréant, retournant d’où il était venu.

La scène n’était éclairée que par une baladeuse qu’on avait suspendue à un escabeau.

— Julie Lantilly du Courrier ligérien, fit la journaliste en tendant la main.

La jeune femme s’apprêtait à enlever ses gants de caoutchouc, mais Julie la pria de n’en rien faire. Elle serra la main gantée.

— Peggy Vincent, je suis paléontologue au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris.

— Enchantée. Alors, de quoi s’agit-il ? demanda la journaliste.

— C’est une découverte majeure, affirma la jeune femme tout en braquant sa lampe frontale sur un endroit de la voûte.

Il y avait effectivement un « truc » dans le tuffeau, un endroit apparaissait nettement plus sombre.

— C’est quoi ? demanda à nouveau la jeune femme.

— Je pense qu’il s’agit des traces d’un fémur ayant appartenu à un grand reptile marin vieux d’environ 90 millions d’années, annonça la jeune paléontologue.

Julie ne put s’empêcher de sourire, car la jeune femme lui annonçait la nouvelle comme si elle parlait d’une découverte assez banale.

— Qu’est-ce qui vous permet d’avancer cela ?

— Nous sommes dans le Turonien ici… Regardez. Vous voyez ? On voit là des vertèbres imposantes et un maxillaire inférieur impressionnant.

— Diable ! Et quel genre d’animal possédait ce genre d’attributs ?

— Il devait mesurer entre cinq et six mètres de long, dit la jeune paléontologue. Mais malgré sa taille impressionnante, il se nourrissait de petits requins, de barracudas, d’invertébrés, voire d’autres reptiles comme les tortues.

— Était-ce un cousin du monstre du Loch Ness ?

— On peut dire cela.

— Heureusement que nous ne rencontrons plus ce genre de bestiaux dans la Loire, plaisanta la journaliste. Il a un nom, cet animal ?

— Non, pas encore. Il appartient vraisemblablement à la famille des plésiosaures, du grec plesios « proche de » et sauros « lézard ».

Julie avait sorti son carnet et prenait des notes.

— On connaît une centaine d’espèces de plésiosaures, dont les derniers représentants ont disparu à la fin du Crétacé comme les dinosaures, continua la jeune scientifique.

— Je vois…

— L’intérêt de cette découverte réside dans le fait que c’est la première fois que l’on rencontre un animal de cette époque en Europe. Peut-être s’agit-il d’une nouvelle espèce, mais il est également possible que l’on soit en présence d’une variété ayant prospéré en Amérique ou en Afrique, et qui aurait donc pu migrer. En tout état de cause, nous sommes en présence d’une découverte exceptionnelle.

— C’est fabuleux.

— Sincèrement ? demanda la jeune chercheuse. Vous ne vous foutez pas de moi ?

— Pas du tout, Peggy… Excusez-moi, vous permettez que je vous appelle Peggy ?

La jeune femme semblait très heureuse de rencontrer quelqu’un qui s’intéressait à son travail.

— Je peux prendre une photo ? demanda la journaliste.

— Oui, il n’y a pas de problème, mais avec le peu de lumière que nous avons là, ça ne va pas être facile.

— Je vais toujours essayer ; de toute façon, mon appareil non plus n’est pas très adapté.

La jeune femme s’écarta pour laisser la place à Julie.

— Non, non, ne bougez pas, dit Julie. À moins que vous ne vouliez pas apparaître sur la photo ?

La paléontologue sourit et prit la pause près de la paroi de falun.

— Pouvez-vous me rappeler ce qu’est le Turonien ? demanda Julie tout en continuant de photographier.

— C’est une couche géologique très riche, annonça la scientifique. On y a trouvé beaucoup de fossiles dans les caves d’extraction du tuffeau, des invertébrés, des escargots, des bivalves, mais aussi des poissons, comme de gros requins. Au Muséum, nous détenons un humérus de tortue, mais aucun animal de cette taille n’avait été découvert jusqu’alors.

— Rafraîchissez-moi la mémoire : le Turonien est bien un étage stratigraphique du Crétacé ?

— Bravo ! Oui, il appartient au Crétacé supérieur. Il se place après le Cénomanien et avant le Coniacien.

— Et c’est bien à l’époque du Crétacé qu’ici même s’étendait un océan qui nous a laissé le tuffeau en souvenir ?

— Exactement, c’est la fin des dinosaures et le début des primates. Il ne faut pas confondre cette couche géologique avec celle, plus tardive, qui a produit le falun de Doué-la-Fontaine, composé de sables coquillés et également très riche. Cette roche est plus récente, elle date du Miocène, entre moins 15 et moins 9 millions d’années.

— Étonnant !

— Félicitations pour vos connaissances, Julie. En général, je me heurte à un abîme d’ignorance quand j’aborde ce sujet avec quelqu’un. Vous avez fait des études de paléo ?

— Non, ce sont des souvenirs du collège. Le sujet me passionnait.

— Vous pensez que vous allez intéresser vos lecteurs avec un tel sujet ?

— Je n’en doute pas un instant. Quand aurons-nous accès à vos résultats ?

— Holà ! Il va falloir faire preuve de patience. Le plésiosaure a bien attendu des millions d’années avant que l’on ne s’intéresse à lui…

— Sérieusement, quand saurons-nous tout sur ce monstre ?

— En paléontologie, il y a énormément de travaux à mener, mais nous n’avons pas les moyens d’aller au bout de nos recherches. Certaines campagnes de fouilles menées il y a plus d’un siècle sont demeurées inexploitées. Il y a beaucoup de paléontologues formés et passionnés, prêts à travailler, mais on ne leur ouvre pas de postes.

— Chaud devant !

Un groupe de trois ou quatre personnes déboula, chargé de matériel technique. Vu l’exiguïté des lieux, Julie Lantilly jugea bon de se retirer. Collée à la paroi rocheuse, elle avança tout en saluant l’équipe et prit le chemin de la sortie, laissant derrière elle Peggy, la jeune paléontologue, déjà happée par une discussion technique avec ses collègues.

Une heure plus tard, Julie Lantilly était de retour dans son bureau. Elle n’avait pas eu le temps de se changer. Elle ouvrit grand la fenêtre, provoquant instantanément un courant d’air qui balaya presque aussitôt tous les papiers qui traînaient sur le bureau. Elle poussa un juron car, contrairement aux apparences, il y avait un ordre dans ses piles, le plus souvent un ordre chronologique, ce qui lui permettait de suivre certains dossiers. Il y avait là de vieilles éditions d’Ouest-France, quelques pages de journaux isolés, La République du Centre, Libération, Le Monde diplomatique, des impressions d’articles trouvés sur le Net ou de ses propres publications. Pour l’aération de la pièce, il allait lui falloir choisir entre la fenêtre ouverte et la porte fermée, ce qui la couperait des autres membres de la rédaction ; ou bien la fenêtre fermée et la porte ouverte, ce qui risquait d’être moins efficace et de l’exposer aux railleries de ses collègues. D’ailleurs, cela ne traîna pas :

— Il y a une drôle d’odeur chez toi, lança Jocelyne, la secrétaire, en lui apportant le courrier.

Elle trouva la journaliste accroupie, s’empressant de récupérer les papiers qui jonchaient le sol.

— Tu trouves ? lança Julie par-dessus son épaule. Je rentre d’un reportage dans un troglo où ça refoulait à mort.

— Au nez, je te crois.

C’était parti… Néanmoins, la secrétaire entreprit d’aider sa collègue. Elle ramassa les feuilles de papier qui s’étaient échappées dans le couloir.

— C’était à Gennes, dans la campagne, en direction de Louerre, précisa Julie.

— Dans le coin du moulin de Sarré ?

— Oui par là, quelques kilomètres plus loin.

En revenant dans le bureau, Jocelyne fit remarquer :

— Fais attention, tout à l’heure, tu vas chercher ton portefeuille…

— Mon portefeuille ?

Planquée derrière le téléphone et une pile de journaux, la secrétaire avait déniché l’objet qu’elle brandit.

— Ah ! s’exclama la journaliste, j’avais complètement oublié. Ce n’est pas mon portefeuille. Je l’ai trouvé, figure-toi. Il faut que j’aille le déposer à la mairie, mais je n’ai pas eu le temps ce matin et ça m’était complètement sorti de la tête.

— C’est un portefeuille de mec, commenta la secrétaire en l’inspectant de près.

— Oui, je t’explique. Hier soir, je suis allée chercher ma copine Virginie à la gare d’Angers, et au retour, on a covoituré un type. Et ce matin, en allant récupérer mes lunettes de soleil, je me suis aperçue qu’il avait oublié son portefeuille dans ma voiture ; plus exactement, je pense qu’il a dû glisser de sa poche et qu’il ne s’en est pas rendu compte. C’est pour ça que je suis arrivée en retard. Quand j’ai trouvé le portefeuille, je me suis précipitée au Brat Hôtel à Distré, c’est là qu’on avait laissé le type le soir d’avant. Mais manque de chance, il était déjà parti, et quand j’ai cherché à savoir si on avait ses coordonnées, impossible. À l’hôtel, c’était la panique, plein de clients attendaient leur petit-déjeuner. Donc, je n’ai rien pu savoir. Je m’étais promis d’aller porter le portefeuille ce matin à la mairie de Saumur, mais on m’a demandé de me rendre en toute urgence au chevet du plésiosaure de Gennes avant que les scientifiques ne le rendent inaccessible. Entre-temps, le portefeuille m’était complètement sorti de la tête.

— Tu n’as pas regardé les coordonnées du type à qui il appartient ?

— Non, je n’ai pas osé, c’est indiscret. Et puis, j’étais persuadée ce matin que j’allais pouvoir le rendre à son propriétaire sans problème.

Jocelyne ne semblait pas éprouver les mêmes scrupules. Elle trouva la carte d’identité.

— Ton mec, il s’appelle Raphaël Sanchez.

Julie n’osa pas l’interrompre pour lui dire qu’elle était déjà au courant.

— Il est né le 28 mai 1992 à Villeurbanne, il mesure un mètre soixante-dix-huit. Il ne doit pas être mal… je comprends mieux le covoiturage ! Même s’il a une sale gueule sur la photo, en réalité il ne doit pas être si nul, genre beau ténébreux. Je me disais aussi que ce n’était pas trop ton style, le covoiturage avec un inconnu.

— Tu oublies que j’étais avec ma copine. Pour ne rien te cacher, c’était à elle qu’il plaisait.

La secrétaire tourna la carte d’identité.

— Tu vois, j’avais deviné qu’il y avait anguille sous roche… Il habite 36 rue de Balzac à Villeneuve-Saint-Georges dans la banlieue parisienne.

— C’est dans le Val-de-Marne, je pense.

— C’est ça, préfecture Créteil dans le 94. Carte bleue, carte vitale, carte d’électeur. Par contre, il n’y a pas le moindre numéro de téléphone permettant de le joindre, ton bel hidalgo.

— Si j’étais lui, j’aurais appelé le Brat Hôtel.

— Tu as raison ma cocotte, s’il cherche son portefeuille, c’est à l’hôtel qu’il a dû penser en premier. En général, c’est toujours là qu’on oublie ses affaires.

— Il faudra que j’appelle pour savoir si notre inconnu s’est manifesté, mais pour l’instant, je suis à la bourre, je n’ai pas le temps de m’en occuper.

Julie Lantilly s’était assise et avait repris possession de son bureau qui avait retrouvé son aspect habituel.

— Tu veux que je m’en occupe ? suggéra la secrétaire. Je peux appeler l’hôtel pour toi si tu veux. Je ne suis pas trop bousculée par le travail aujourd’hui.

— Tu pourrais faire cela pour moi ?

— Pas de souci ! lança la jeune femme. J’appelle le Brat Hôtel.

Jocelyne sortit du bureau en balançant les hanches, ce qui plaisait tant aux garçons. Julie Lantilly se plongea dans les notes qu’elle avait prises sur le plésiosaure. Elle opérait toujours de la même façon : elle s’empressait dès que possible de remettre au propre les bribes de phrases collectées au cours de son entretien. Pour elle, il était toujours plus facile de rédiger un article à chaud, en rentrant d’un reportage. Elle avait encore tout dans la tête.

Quelques minutes plus tard, Jocelyne était de retour, le portefeuille toujours en main.

— J’ai eu le Brat Hôtel, déclara-t-elle. Ils sont moyennement aimables dans cet établissement.

La journaliste leva la tête pour lui répondre.

— Tu sais, c’est un hôtel service minimum. Ils cherchent à gagner sur tout. Les employés n’ont pas le temps de discuter.

— Je suis tombée sur une dame. Par chance, c’était elle qui avait répondu au coup de fil de ton bel inconnu.

— Il a bien appelé l’hôtel ?

— Oui, tu avais vu juste. Il leur a passé un coup de fil vers onze heures.

— Et il leur a laissé ses cordonnées ?

— Apparemment non. La dame se souvenait de toi, de ton passage à l’hôtel ce matin. Elle n’avait pas retenu ton nom, mais elle se souvenait que tu lui avais dit que tu bossais au Courrier ligérien, alors elle a passé l’info à ton bel inconnu. Ça lui a, a priori, suffi. Il a dit qu’il appellerait le journal et qu’il s’arrangerait avec toi. La dame n’en savait pas plus.

— Il a appelé ici ?

— Non, pas que je sache. Pas pour l’instant en tous cas.

— Tu me tiendras au courant, s’il appelle ?

— Bien sûr. Pas de souci ma grande, tu n’as rien à craindre. J’ai déjà ce qu’il faut à la maison.

Julie lança un sourire de connivence à sa collègue. Elle était comme ça, Jocelyne, il fallait faire avec…

C’est seulement en fin d’après-midi que le sujet revint sur la table. Julie, de retour d’un reportage en centre-ville, croisa la secrétaire qui l’interpella depuis son poste de commandement :

— Julie, attends ! Ton Roméo a appelé.

La jeune femme s’arrêta dans l’escalier.

— Alors, quand vient-il récupérer ses papiers ?

— C’est compliqué pour lui, car il n’a toujours pas de voiture.

— Oui, d’accord, et alors ?

— Apparemment, il bosse au LPA, au lycée professionnel agricole de Montreuil-Bellay.

— Super ! J’espère qu’il ne compte pas sur moi pour que j’aille jusque là-bas lui apporter son portefeuille sur un plateau…

— Houla ! Ben dis donc, tu n’es vraiment pas cool toi ! Si tu étais dans sa situation, je voudrais bien t’y voir. Toi aussi, tu serais bien contente qu’on te donne un coup de main.

— Peut-être, mais j’estime que j’ai déjà assez donné comme ça. Il commence à être relou le beau ténébreux.

— No stress poulette, l’affaire est arrangée. J’en ai parlé à Pascal, qui habite à Méron. Le LPA est sur sa route, il déposera le portefeuille en rentrant chez lui ce soir.

— Ok, tu dis à Pascal que si je ne suis pas là, il peut récupérer le portefeuille dans le premier tiroir de mon bureau. Je ne laisse pas traîner ce genre d’objet, on ne sait jamais.

Sur ces paroles, la jeune femme reprit son ascension vers l’étage supérieur.

Le lendemain, c’est en sortant de la conférence de rédaction que Julie eut le temps d’échanger quelques mots avec Pascal, son collègue. C’est lui d’ailleurs qui aborda le sujet devant la machine à café.

— Tiens, Julie, j’ai rendu le portefeuille à ton pote hier soir.

— Ah oui ! Merci ! Par contre ce type n’est pas mon pote, c’est juste un mec que j’ai pris en covoiturage l’autre soir.

— Ah bon ? Après ce que Jocelyne m’avait raconté, je n’avais pas compris ça.

— Jocelyne fabule parfois… Alors, tu lui as rendu son bien ?

— Ouais, ouais, ça s’est bien passé. Il m’attendait comme prévu sur le parking du LPA. Il a été ponctuel, je n’ai pas eu à l’attendre. On a juste échangé deux mots. Il m’a remercié et le tour était joué. Pas très bavard le zèbre.

— Super, je te remercie. Ça m’aurait fait bien suer d’aller là-bas.

— J’ai quand même l’impression qu’il nous a menés en bateau, ton gus.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Eh bien, en fait, après l’avoir rencontré et lui avoir donné son larfeuille, je suis allé faire une course au Super U de Montreuil, et là, devine ce que j’ai vu en sortant du magasin ? Bon, d’accord, je ne peux pas l’affirmer à cent pour cent, j’ai pu me tromper…

— Qu’as-tu vu ?

— Eh bien, ton gus qui passait dans la rue sur une grosse moto. Je ne suis pas catégorique parce qu’il faisait un peu sombre et que le mec portait un casque, mais j’ai bien l’impression que c’était lui.

— Mais, au téléphone, il disait qu’il n’avait pas de moyen de locomotion.

— C’est bien pour ça que je te dis ! Ce mec nous a pris pour des cons. S’il avait une moto à sa disposition, il pouvait venir jusqu’à Saumur pour récupérer son bien.

— Alors là ! Ça me sidère ce que tu me dis. Je ne sais pas quoi te dire ni penser.