Histoire de la Magie - Eliphas Levi - E-Book

Histoire de la Magie E-Book

Eliphas Levi

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Beschreibung

Pour la première fois, une Histoire de la Magie composée de sept volumes regroupés ici en un seul tome, nous montre au cours des siècles quels furent les rituels les mieux gardés et nous en révèle les secrets. Cette oeuvre majeure dans toute bibliothèque d'occultisme retrace l'Histoire de la Magie, de ses origines dans les temps anciens à la fin du XIXe siècle. Qu'il y soit question de magie Hermétique, d'alchimie, de sorcellerie ou des secrets de la Kabbale, Éliphas Lévi, dans une démarche qui se veut pédagogique, nous raconte cette histoire dans un langage simple, avec précision et concision. Un histoire qui se lit comme un roman.

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Cet ouvrage est divisé en deux parties. Dans l’une, l’auteur établit le dogme cabalistique et magique dans son entier ; l’autre est consacrée au culte, c’est-à-dire à la magie cérémoniale. L’une est ce que les anciens sages appelaient la clavicule ; l’autre, ce que les gens de la campagne appellent encore le grimoire. Le nombre et le sujet des chapitres qui se correspondent dans les deux parties n’ont rien d’arbitraire et se trouvent tout indiqués dans la grande clavicule universelle, dont l’auteur donne pour la première fois une explication complète et satisfaisante.

Ce livre est catholique, et si les révélations qu’il contient sont de nature à alarmer la conscience des simples, il est consolant de penser qu’ils ne le liront pas. Il est écrit pour les hommes sans préjugés, et l’auteur n’a pas voulu plus flatter l’irréligion que le fanatisme.

Sommaire

PRÉFACE

HISTOIRE DE LA MAGIE – INTRODUCTION

LIVRE PREMIER – LES ORIGINES MAGIQUES

CHAPITRE PREMIER – ORIGINES FABULEUSES

CHAPITRE II – MAGIE DES MAGES

CHAPITRE III – MAGIE DANS L’INDE

CHAPITRE IV – MAGIE HERMÉTIQUE

CHAPITRE V – MAGIE EN GRÈCE

CHAPITRE VI – MAGIE MATHÉMATICIENNE DE PYTHAGORE

CHAPITRE VII – LA SAINTE KABBALE

LIVRE II – FORMATION ET RÉALISATIONS DU DOGME

CHAPITRE PREMIER – SYMBOLISME PRIMITIF DE L’HISTOIRE

CHAPITRE II – LE MYSTICISME

CHAPITRE III – INITIATIONS ET ÉPREUVES

CHAPITRE IV – MAGIE DU CULTE PUBLIC

CHAPITRE V – MYSTÈRES DE LA VIRGINITÉ.

CHAPITRE VI – DES SUPERSTITIONS

CHAPITRE VII – MONUMENTS MAGIQUES

LIVRE III – SYNTHÈSE ET RÉALISATION DIVINE DU MAGISME PAR LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE

CHAPITRE PREMIER – CHRIST ACCUSÉ DE MAGIE PAR LES JUIFS

CHAPITRE II – VÉRITÉ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE

CHAPITRE III – DU DIABLE

CHAPITRE IV – DES DERNIERS PAÏENS

CHAPITRE V – DES LÉGENDES

CHAPITRE VI – PEINTURES KABBALISTIQUES ET EMBLÈMES SACRÉS

CHAPITRE VII – PHILOSOPHES DE L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE

LIVRE IV – LA MAGIE ET LA CIVILISATION

CHAPITRE PREMIER – MAGIE CHEZ LES BARBARES

CHAPITRE II – INFLUENCE DES FEMMES

CHAPITRE III – LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS

CHAPITRE IV – LÉGENDES DU RÈGNE DE CHARLEMAGNE

CHAPITRE V – MAGICIENS

CHAPITRE VI – PROCÈS CÉLÈBRES

CHAPITRE VII – SUPERSTITIONS CHAPITRE VII – SUPERSTITIONS RELATIVES AU DIABLE

LIVRE V – LES ADEPTES ET LE SACERDOCE

CHAPITRE PREMIER – PRÊTRES ET PAPES ACCUSÉS DE MAGIE

CHAPITRE II – APPARITION DES BOHÉMIENS NOMADES

CHAPITRE III – LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE

CHAPITRE IV – ALCHIMISTES

CHAPITRE V – SORCIERS ET MAGICIENS CÉLÈBRES

CHAPITRE VI – PROCÈS DE MAGIE

CHAPITRE VII – ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÇONNERIE

LIVRE VI – LA MAGIE ET LA RÉVOLUTION

CHAPITRE PREMIER – AUTEURS REMARQUABLES DU XVIIIe SIÈCLE

CHAPITRE II – PERSONNAGES MERVEILLEUX DU XVIIIe SIÈCLE

CHAPITRE III – PROPHÉTIES DE CAZOTTE

CHAPITRE IV – RÉVOLUTION FRANÇAISE

CHAPITRE V – PHÉNOMÈNES DE MÉDIOMANIE

CHAPITRE VI – LES ILLUMINÉS D’ALLEMAGNE

CHAPITRE VII – EMPIRE ET RESTAURATION

LIVRE VII – LA MAGIE AU XIXe SIÈCLE

CHAPITRE PREMIER – LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÉRIALISTES

CHAPITRE II – DES HALLUCINATIONS

CHAPITRE III – LES MAGNÉTISEURS ET LES SOMNAMBULES

CHAPITRE IV – LES FANTAISISTES EN MAGIE

CHAPITRE V – SOUVENIRS INTIMES DE L’AUTEUR

CHAPITRE VI – DES SCIENCES OCCULTES

CHAPITRE VII – RÉSUMÉ ET CONCLUSION

CONCLUSION

PRÉFACE

Les travaux d’Éliphas Lévi sur la science des anciens mages formeront un cours complet divisé en trois parties :

La première partie contient le Dogme et le Rituel de la haute magie ; la seconde, l’Histoire de la magie ; la troisième, la Clef des grands mystères, qui sera publiée plus tard.

Chacune de ces parties, étudiée séparément, donne un enseignement complet et semble contenir toute la science. Mais pour avoir de l’un une intelligence pleine et entière, il sera indispensable d’étudier avec soin les deux autres.

Cette division ternaire de notre œuvre nous a été donnée par la science elle-même ; car notre découverte des grands mystères de cette science repose tout entière sur la signification que les anciens hiérophantes attachaient aux nombres. Trois était pour eux le nombre générateur, et dans l’enseignement de toute doctrine ils en considéraient d’abord la théorie, puis la réalisation, puis l’adaptation à tous les usages possibles. Ainsi se sont formés les dogmes, soit philosophiques, soit religieux. Ainsi la synthèse dogmatique du christianisme héritier des mages impose à notre foi trois personnes en Dieu et trois mystères dans la religion universelle.

Nous avons suivi, dans la division de nos deux ouvrages déjà publiés, et nous suivrons dans la division du troisième le plan tracé par la kabbale ; c’est-à-dire par la plus pure tradition de l’occultisme.

Notre Dogme et notre Rituel sont divisés chacun en vingt-deux chapitres marqués par les vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu. Nous avons mis en tête de chaque chapitre la lettre qui s’y rapporte avec les mots latins qui, suivant les meilleurs auteurs, en indiquent la signification hiéroglyphique.

Ainsi, en tête du chapitre premier, par exemple, on lit :

1 ? A

LE RÉCIPIENDAIRE,

Disciplina,

Ensoph,

Keter.

Ce qui signifie que la lettre aleph, dont l’équivalent en latin et en français est A, la valeur numérale 1 signifie le récipiendaire, l’homme appelé à l’initiation, l’individu habile (le bateleur du tarot), qu’il signifie aussi la syllepse dogmatique (disciplina), l’être dans sa conception générale et première (Ensoph) ; enfin l’idée première et obscure de la divinité exprimée par keter (la couronne) dans la théologie kabbalistique.

Le chapitre est le développement du titre et le titre contient hiéroglyphiquement tout le chapitre. Le livre entier est composé suivant cette combinaison.

L’Histoire de la magie qui vient ensuite et qui, après la théorie générale de la science donnée par le Dogme et le Rituel, raconte et explique les réalisations de cette science à travers les âges, est combinée suivant le nombre septénaire, comme nous l’expliquons dans notre Introduction. Le nombre septénaire est celui de la semaine créatrice et de la réalisation divine.

La Clef des grands mystères sera établie sur le nombre quatre qui est celui des formes énigmatiques du sphinx et des manifestations élémentaires. C’est aussi le nombre du carré et de la force, et dans ce livre nous établirons la certitude sur des bases inébranlables. Nous expliquerons entièrement l’énigme du sphinx et nous donnerons à nos lecteurs cette clef des choses cachées depuis le commencement du monde, que le savant Postel n’avait osé figurer dans un de ses livres les plus obscurs que d’une manière tout énigmatique et sans en donner une explication satisfaisante.

L’Histoire de la magie explique les assertions contenues dans le Dogme et le Rituel ; la Clef des grands mystères complétera et expliquera l’histoire de la magie. En sorte que, pour le lecteur attentif, il ne manquera rien, nous l’espérons, à notre révélation, des secrets de la kabbale des Hébreux et de la haute magie, soit de Zoroastre, soit d’Hermès.

L’auteur de ces livres donne volontiers des leçons aux personnes sérieuses et instruites qui en demandent, mais il doit une bonne fois prévenir ses lecteurs qu’il ne dit pas la bonne aventure, n’enseigne pas la divination, ne fait pas de prédictions, ne fabrique point de philtres, ne se prête à aucun envoûtement et à aucune évocation. C’est un homme de science et non un homme de prestiges. Il condamne énergiquement tout ce que la religion réprouve, et par conséquent il ne doit pas être confondu avec les hommes qu’on peut importuner sans crainte en leur proposant de faire de leur science un usage dangereux ou illicite.

Il recherche la critique sincère, mais il ne comprend pas certaines hostilités.

L’étude sérieuse et le travail consciencieux sont au-dessus de toutes les attaques ; et les premiers biens qu’ils procurent à ceux qui savent les apprécier, sont une paix profonde et une bienveillance universelle.

ÉLIPHAS LÉVI.

1er septembre 1859.

HISTOIRE DE LA MAGIE – INTRODUCTION.

Depuis trop longtemps on confond la magie avec les prestiges des charlatans, avec les hallucinations des malades, et avec les crimes de certains malfaiteurs exceptionnels. Bien des gens, d’ailleurs, définiraient volontiers la magie : l’art de produire des effets sans causes. Et d’après cette définition, la foule dira, avec le bon sens qui la caractérise, même dans ses plus grandes injustices, que la magie est une absurdité.

La magie ne saurait être ce que la font ceux qui ne la connaissent pas. Il n’appartient d’ailleurs à personne de la faire ceci ou cela ; elle est ce qu’elle est, elle est par elle-même, comme les mathématiques, car c’est la science exacte et absolue de la nature et de ses lois.

La magie est la science des anciens mages ; et la religion chrétienne, qui a imposé silence aux oracles menteurs, et fait cesser tous les prestiges des faux dieux, révère elle-même ces mages qui vinrent de l’Orient, guidés par une étoile, pour adorer le Sauveur du monde dans son berceau.

La tradition donne encore à ces mages le titre de rois, parce que l’initiation à la magie constitue une véritable royauté, et parce que le grand art des mages est appelé par tous les adeptes : l’art royal, ou le saint royaume, sanctum regnum.

L’étoile qui les conduit est cette même étoile flamboyante dont nous retrouvons l’image dans toutes les initiations. C’est pour les alchimistes le signe de la quintessence, pour les magistes le grand arcane, pour les kabbalistes le pentagramme sacré. Or, nous prouverons que l’étude de ce pentagramme devait amener les mages à la connaissance du nom nouveau qui allait s’élever au-dessus de tous les noms et faire fléchir les genoux à tous les êtres capables d’adorer.

La magie réunit donc, dans une même science, ce que la philosophie peut avoir de plus certain et ce que la religion a d’infaillible et d’éternel.

Elle concilie parfaitement et incontestablement ces deux termes, qui semblent d’abord si opposés : foi et raison, science et croyance, autorité et liberté.

Elle donne à l’esprit humain un instrument de certitude philosophique et religieuse exact comme les mathématiques, et rendant raison de l’infaillibilité des mathématiques elles-mêmes.

Ainsi donc il existe un absolu dans les choses de l’intelligence et de la foi. La raison suprême n’a pas laissé vaciller au hasard les lueurs de l’entendement humain ; Il existe une vérité incontestable, il existe une méthode infaillible de connaître cette vérité ; et par la connaissance de cette vérité, les hommes qui la prennent pour règle peuvent donner à leur volonté une puissance souveraine qui les rendra maîtres de toutes les choses inférieures et de tous les esprits errants, c’est-à-dire arbitres et rois du monde !

S’il en est ainsi, pourquoi cette haute science est-elle encore inconnue ? Comment supposer dans un ciel qu’on voit ténébreux l’existence d’un soleil aussi splendide ? La haute science a toujours été connue, mais seulement par des intelligences d’élite, qui ont compris la nécessité de se taire et d’attendre. Si un chirurgien habile parvenait, au milieu de la nuit, à ouvrir les yeux d’un aveugle-né, comment lui ferait-il comprendre avant le matin l’existence et la nature du soleil ?

La science a ses nuits et ses aurores, parce qu’elle donne au monde intellectuel une vie qui a ses mouvements réglés et ses phases progressives. Il en est des vérités comme des rayons lumineux ; rien de ce qui est caché n’est perdu, mais aussi rien de ce qu’on trouve n’est absolument nouveau.

Dieu a voulu donner à la science, qui est le reflet de sa gloire, le sceau de son éternité.

Oui, la haute science, la science absolue, c’est la magie, et cette assertion doit sembler bien paradoxale à ceux qui n’ont pas douté encore de l’infaillibilité de Voltaire, ce merveilleux ignorant, qui croyait savoir tant de choses, parce qu’il trouvait toujours le moyen de rire au lieu d’apprendre.

La magie était la science d’Abraham et d’Orphée, de Confucius et de Zoroastre. Ce sont les dogmes de la magie qui furent sculptés sur des tables de pierre par Hénoch et par Trismégiste. Moïse les épura et les revoila, c’est le sens du mot révéler. Il leur donna un nouveau voile lorsqu’il fit de la sainte Kabbala l’héritage exclusif du peuple d’Israël et le secret inviolable de ses prêtres, les mystères d’Éleusis et de Thèbes en conservèrent parmi les nations quelques symboles déjà altérés, et dont la clef mystérieuse se perdait parmi les instruments d’une superstition toujours croissante. Jérusalem, meurtrière de ses prophètes, et prostituée tant de fois aux faux dieux des Syriens et des Babyloniens, avait enfin perdu à son tour la parole sainte, quand un sauveur, annoncé aux mages par l’étoile sacrée de l’initiation, vint déchirer le voile usé du vieux temple pour donner à l’Église un nouveau tissu de légendes et de symboles qui cache toujours aux profanes, et conserve aux élus toujours la même vérité.

Voilà ce que notre savant et malheureux Dupuis aurait dû lire dans les planisphères indiens et sur les tables de Denderah, et devant l’affirmation unanime de toute la nature et des monuments de la science de tous les âges, il n’aurait pas conclu à la négation du culte vraiment catholique, c’est-à-dire universel et éternel !

C’était le souvenir de cet absolu scientifique et religieux, de cette doctrine qui se résume en une parole, de cette parole, enfin, alternativement perdue et retrouvée, qui se transmettait aux élus de toutes les initiations antiques ; c’était ce même souvenir, conservé ou profané peut-être dans l’ordre célèbre des templiers, qui devenait pour toutes les associations secrètes des rose-croix, des illuminés et des francs-maçons, la raison de leurs rites bizarres, de leurs signes plus ou moins conventionnels, et surtout de leur dévouement mutuel et de leur puissance. Les doctrines et les mystères de la magie ont été profanés, nous ne voulons pas en disconvenir, et cette profanation même, renouvelée d’âge en âge, a été pour les imprudents révélateurs une grande et terrible leçon. Les gnostiques ont fait proscrire la gnose par les chrétiens et le sanctuaire officiel s’est fermé à la haute initiation. Ainsi la hiérarchie du savoir a été compromise par les attentats de l’ignorance usurpatrice, et les désordres du sanctuaire se sont reproduits dans l’État, car toujours, bon gré mal gré, le roi relève du prêtre, et c’est du sanctuaire éternel de l’enseignement divin que les pouvoirs de la terre pour se rendre durables attendront toujours leur consécration et leur force.

La clef de la science a été abandonnée aux enfants, et, comme on devait s’y attendre, cette clef se trouve actuellement égarée et comme perdue. Cependant un homme d’une haute intuition et d’un grand courage moral, le comte Joseph de Maistre, le catholique déterminé, confessant que le monde était sans religion et ne pouvait longtemps durer ainsi, tournait involontairement les yeux vers les derniers sanctuaires de l’occultisme et appelait de tous ses vœux le jour où l’affinité naturelle qui existe entre la science et la foi les réunirait enfin dans la tête d’un homme de génie.

« Celui-là sera grand ! s’écriait-il, et il fera cesser le XVIIIe siècle, qui dure encore… On parlera alors de notre stupidité actuelle comme nous parlons de la barbarie du Moyen Âge ! »

La prédiction du comte de Maistre se réalise ; l’alliance de la science et de la foi, consommée depuis longtemps, s’est enfin montrée, non pas à un homme de génie, il n’en faut pas pour voir la lumière, et d’ailleurs le génie n’a jamais rien prouvé, si ce n’est sa grandeur exceptionnelle et ses lumières inaccessibles à la foule. La grande vérité exige seulement qu’on la trouve, puis les plus simples d’entre le peuple pourront la comprendre et au besoin la démontrer.

Elle ne deviendra pourtant jamais vulgaire, parce qu’elle est hiérarchique et parce que l’anarchie seule flatte les préjugés de la foule ; il ne faut pas aux masses de vérités absolues, autrement le progrès s’arrêterait et la vie cesserait dans l’humanité, le va-et-vient des idées contraires, le choc des opinions, les passions de la mode déterminées toujours par les rêves du moment sont nécessaires à la croissance intellectuelle des peuples. Les foules le sentent bien, et c’est pour cela qu’elles abandonnent si volontiers la chaire des docteurs pour courir aux tréteaux du charlatan. Les hommes même qui passent pour s’occuper spécialement de philosophie, ressemblent presque toujours à ces enfants qui jouent à se proposer entre eux des énigmes, et qui s’empressent de mettre hors du jeu celui qui sait le mot d’avance, de peur que celui-là ne les empêche de jouer en ôtant tout son intérêt à l’embarras de leurs questions.

« Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu, » a dit la sagesse éternelle.

La pureté du cœur épure donc l’intelligence et la rectitude de la volonté fait l’exactitude de l’entendement. Celui qui préfère à tout la vérité et la justice aura la justice et la vérité pour récompense, car la Providence suprême nous a donné la liberté pour que nous puissions conquérir la vie ; et la vérité même, quelque rigoureuse qu’elle soit, ne s’impose qu’avec douceur et ne fait jamais violence aux lenteurs ou aux égarements de notre volonté séduite par les attraits du mensonge.

Cependant, dit Bossuet, « avant qu’il y ait quelque chose qui plaise ou qui déplaise à nos sens, il y a une vérité ; et c’est par elle seule que nos actions doivent être réglées, ce n’est pas par notre plaisir. » Le royaume de Dieu n’est pas l’empire de l’arbitraire, ni pour les hommes ni pour Dieu même. « Une chose, dit saint Thomas, n’est pas juste parce que Dieu la veut, mais Dieu la veut parce qu’elle est juste. » La balance divine régit et nécessite les mathématiques éternelles. « Dieu a tout fait avec le nombre, le poids et la mesure. » C’est ici la Bible qui parle. Mesurez un coin de la création, et faites une multiplication proportionnellement progressive, et l’infini tout entier multipliera ses cercles remplis d’univers qui passeront en segments proportionnels entre les branches idéales et croissantes de votre compas ; et maintenant supposez que d’un point quelconque de l’infini au-dessus de vous une main tienne un autre compas ou une équerre, les lignes du triangle céleste rencontreront nécessairement celles du compas de la science, pour former l’étoile mystérieuse de Salomon.

« Vous serez mesurés, dit l’Évangile, avec la mesure dont vous vous servez vous-mêmes. » Dieu n’entre pas en lutte avec l’homme pour l’écraser de sa grandeur, et il ne place jamais des poids inégaux dans sa balance.

Lorsqu’il veut exercer les forces de Jacob, il prend la figure d’un homme, dont le patriarche supporte l’assaut pendant toute une nuit, et la fin de ce combat, c’est une bénédiction pour le vaincu, et avec la gloire d’avoir soutenu un pareil antagonisme le titre national d’Israël, c’est-à-dire un nom qui signifie : « fort contre Dieu. »

Nous avons entendu des chrétiens, plus zélés qu’instruits, expliquer d’une manière étrange le dogme de l’éternité des peines. « Dieu, disaient-ils, peut se venger infiniment d’une offense finie, parce que si la nature de l’offenseur a des bornes, la grandeur de l’offensé n’en a pas. » À ce titre et sous ce prétexte, un empereur de la terre devrait punir de mort l’enfant sans raison qui aurait par mégarde sali le bord de sa pourpre. Non, telles ne sont pas les prérogatives de la grandeur, et saint Augustin les comprenait mieux lorsqu’il écrivait : « Dieu est patient parce qu’il est éternel ! »

En Dieu tout est justice, parce que tout est bonté ; il ne pardonne jamais à la manière des hommes, parce qu’il ne saurait s’irriter comme eux ; mais le mal étant de sa nature incompatible avec le bien, comme la nuit avec le jour, comme la dissonance avec l’harmonie, l’homme d’ailleurs étant inviolable dans sa liberté, toute erreur s’expie, tout mal est puni par une souffrance proportionnelle : nous avons beau appeler Jupiter à notre secours quand notre char est embourbé, si nous ne prenons la pelle et la pioche comme le routier de la fable, le Ciel ne nous tirera pas de l’ornière. « Aide-toi, le Ciel t’aidera ! » Ainsi s’explique, d’une manière toute rationnelle et purement philosophique, l’éternité possible et nécessaire du châtiment avec une voie étroite ouverte à l’homme pour s’y soustraire, celle du repentir et du travail !

En se conformant aux règles de la force éternelle, l’homme peut s’assimiler à la puissance créatrice et devenir créateur et conservateur comme elle.

Dieu n’a pas limité à un nombre restreint d’échelons la montée lumineuse de Jacob. Tout ce que la nature a fait inférieur à l’homme, elle le soumet à l’homme, c’est à lui d’agrandir son domaine en montant toujours ! Ainsi la longueur et même la perpétuité de la vie, l’atmosphère et ses orages, la terre et ses filons métalliques, la lumière et ses prodigieux mirages, la nuit et ses rêves, la mort et ses fantômes, tout cela obéit au sceptre royal du mage, au bâton pastoral de Jacob, à la verge foudroyante de Moïse. L’adepte se fait roi des éléments, transformateur des métaux, arbitre des visions, directeur des oracles, maître de la vie, enfin, dans l’ordre mathématique de la nature, et conformément à la volonté de l’intelligence suprême. Voilà la magie dans toute sa gloire ! Mais qui osera dans notre siècle ajouter foi à nos paroles ? ceux qui voudront loyalement étudier et franchement savoir, car nous ne cachons plus la vérité sous le voile des paraboles ou des signes hiéroglyphiques, le temps est venu où tout doit être dit, et nous nous proposons de tout dire.

Nous allons découvrir non-seulement cette science toujours occulte qui, comme nous l’avons dit, se cachait sous les ombres des anciens mystères ; qui a été mal révélée, ou plutôt indignement défigurée par les gnostiques ; qu’on devine sous les obscurités qui couvrent les crimes prétendus des templiers, et qu’on retrouve enveloppée d’énigmes maintenant impénétrables dans les rites de la haute maçonnerie. Mais nous allons amener au grand jour le roi fantastique du sabbat, et montrer au fond de la magie noire elle-même, abandonnée depuis longtemps à la risée des petits-enfants de Voltaire, d’épouvantables réalités.

Pour un grand nombre de lecteurs, la magie est la science du diable.

Sans doute. Comme la science de la lumière est celle de l’ombre.

Nous avouons d’abord hardiment que le diable ne nous fait pas peur. « Je n’ai peur que de ceux qui craignent le diable, disait sainte Thérèse. » Mais aussi nous déclarons qu’il ne nous fait pas rire ; et que nous trouvons fort déplacées les railleries dont il est si souvent l’objet.

Quoi que ce soit, nous voulons l’amener devant la science.

Le diable et la science !-Il semble qu’en rapprochant deux noms aussi étrangement disparates, l’auteur de ce livre ait laissé voir d’abord toute sa pensée. Amener devant la lumière la personnification mystique des ténèbres, n’est-ce pas anéantir devant la vérité le fantôme du mensonge ? n’est-ce pas dissiper au jour les cauchemars informes de la nuit ? C’est ce que penseront, nous n’en doutons pas, les lecteurs superficiels, et ils nous condamneront sans nous entendre. Les chrétiens mal instruits croiront que nous venons saper le dogme fondamental de leur morale en niant l’enfer, et les autres demanderont à quoi bon combattre des erreurs qui ne trompent déjà plus personne ; c’est du moins ce qu’ils imaginent. Il importe donc de montrer clairement notre but et d’établir solidement nos principes. Nous disons d’abord aux chrétiens :

L’auteur de ce livre est chrétien comme vous. Sa foi est celle d’un catholique fortement et profondément convaincu : il ne vient donc pas nier des dogmes, il vient combattre l’impiété sous ses formes les plus dangereuses, celles de la fausse croyance et de la superstition ; il vient tirer des ténèbres le noir successeur d’Arimanes, afin d’étaler au grand jour sa gigantesque impuissance et sa redoutable misère ; il vient soumettre aux solutions de la science le problème antique du mal ; il veut découronner le roi des enfers et lui abaisser le front jusque sous le pied de la croix !

La science Vierge et mère, la science dont Marie est la douce et lumineuse image, n’est-elle pas prédestinée à écraser aussi la tête de l’ancien serpent ?

Aux prétendus philosophes l’auteur dira : Pourquoi niez-vous ce que vous ne pouvez comprendre ? L’incrédulité qui s’affirme en face de l’inconnu n’est-elle pas plus téméraire et moins consolante que la foi ? Quoi, l’épouvantable figure du mal personnifié vous fait sourire ? Vous n’entendez donc pas le sanglot éternel de l’humanité qui se débat et qui pleure broyée par les étreintes du monstre ? N’avez-vous donc jamais vu le rire atroce du méchant opprimant le juste ? N’avez-vous donc jamais senti s’ouvrir en vous-mêmes ces profondeurs infernales que creuse par instant dans toutes les âmes le génie de la perversité ? Le mal moral existe, c’est une lamentable vérité ; il règne dans certains esprits, il s’incarne dans certains hommes ; il est donc personnifié, il existe donc des démons, et le plus méchant de ces démons est Satan. Voilà tout ce que je vous demande d’admettre, et ce qu’il vous sera difficile de ne pas m’accorder.

Qu’il soit bien entendu, d’ailleurs, que la science et la foi ne se prêtent un mutuel concours qu’autant que leurs domaines sont inviolables et séparés. Que croyons-nous ? ce que nous ne pouvons absolument savoir bien que nous y aspirions de toutes nos forces. L’objet de la foi n’est pour la science qu’une hypothèse nécessaire, et jamais il ne faut juger des choses de la science avec les procédés de la foi, ni, réciproquement, des choses de la foi avec les procédés de la science. Le verbe de foi n’est pas scientifiquement discutable. « Je crois, parce que c’est absurde, » disait Tertullien, et cette parole, d’une apparence si paradoxale, est de la plus haute raison.

En effet, au-delà de tout ce que nous pouvons raisonnablement supposer, il y a un infini auquel nous aspirons d’une soif éperdue, et qui échappe même à nos rêves. Mais pour une appréciation finie, l’infini n’est-ce pas l’absurde ? Nous sentons cependant que cela est. L’infini nous envahit ; il nous déborde ; il nous donne le vertige avec ses abîmes ; il nous écrase de toute sa hauteur. Toutes les hypothèses scientifiquement probables sont les derniers crépuscules ou les dernières ombres de la science ; la foi commence où la raison tombe épuisée… Au-delà de la raison humaine, il y a la raison divine, le grand absurde pour ma faiblesse, l’absurde infini qui me confond et que je crois !

Mais le bien seul est infini ; le mal ne l’est pas, et c’est pourquoi si Dieu est l’éternel objet de la foi, le diable appartient à la science. Dans quel symbole catholique, en effet, est-il question du diable ? Ne serait-ce pas blasphémer que de dire : Nous croyons en lui ? Il est nommé, mais non défini dans l’Écriture sainte ; la Genèse ne parle nulle part d’une prétendue chute des anges ; elle attribue le péché du premier homme au serpent, le plus rusé et le plus dangereux des êtres animés. Nous savons quelle est à ce sujet la tradition chrétienne ; mais si cette tradition s’explique par une des plus grandes et des plus universelles allégories de la science, qu’importera cette solution à la foi qui aspire à Dieu seul, et méprise les pompes et les œuvres de Lucifer ?

Lucifer ! Le porte-lumière ! quel nom étrange donné à l’esprit des ténèbres. Quoi c’est lui qui porte la lumière et qui aveugle les âmes faibles ? Oui, n’en doutez pas, car les traditions sont pleines de révélations et d’inspirations divines.

« Le diable porte la lumière, et souvent même, dit saint Paul, il se transfigure en ange de splendeur. »

– « J’ai vu, disait le Sauveur du monde, j’ai vu Satan tomber du ciel comme la foudre. » « Comment es-tu tombée du ciel, s’écrie le prophète Isaïe, étoile lumineuse, toi qui te levais le matin ? » Lucifer est donc une étoile tombée ; c’est un météore qui brûle toujours et qui incendie lorsqu’il n’éclaire plus.

Mais ce Lucifer, est-ce une personne ou une force ? Est-ce un ange ou un tonnerre égaré ? La tradition suppose que c’est un ange ; mais le Psalmiste ne dit-il pas au psaume 103 : « Vous faites vos anges des tempêtes et vos ministres des feux rapides ? » le mot ange est donné dans la Bible à tous les envoyés de Dieu : messagers ou créations nouvelles, révélateurs ou fléaux, esprits rayonnants ou choses éclatantes. Les flèches de feu que le Très Haut darde dans les nuages sont les anges de sa colère, et ce langage figuré est familier à tous les lecteurs des poésies orientales.

Après avoir été pendant le Moyen Âge la terreur du monde, le diable en est devenu la risée. Héritier des formes monstrueuses de tous les faux dieux successivement renversés, le grotesque épouvantail a été rendu ridicule à force de difformité et de laideur.

Observons pourtant une chose : c’est que ceux-là seuls osent rire du diable qui ne craignent pas Dieu. Le diable, pour bien des imaginations malades, aurait-il donc été l’ombre de Dieu même, ou plutôt ne serait-il pas souvent l’idole des âmes basses, qui ne comprennent le pouvoir surnaturel que comme l’exercice impuni de la cruauté ?

Il est important de savoir enfin si l’idée de cette puissance mauvaise peut se concilier avec celle de Dieu. Si en un mot le diable existe, et s’il existe, ce que c’est.

Il ne s’agit pas ici d’une superstition ou d’un personnage ridicule : il s’agit de la religion tout entière, et par conséquent de tout l’avenir et de tous les intérêts de l’humanité.

Nous sommes vraiment des raisonneurs étranges ! Nous nous croyons bien forts quand nous sommes indifférents à tout, excepté aux résultats matériels, à l’argent, par exemple ; et nous laissons aller au hasard les idées mères de l’opinion qui, par ses revirements, bouleverse ou peut bouleverser toutes les fortunes.

Une conquête de la science est bien plus importante que la découverte d’une mine d’or. Avec la science, on emploie l’or au service de la vie ; avec l’ignorance, la richesse ne fournit que des instruments à la mort.

Qu’il soit bien entendu d’ailleurs que nos révélations scientifiques s’arrêtent devant la foi, et que, comme chrétien et comme catholique, nous soumettons notre œuvre tout entière au jugement suprême de l’Église.

Et maintenant à ceux qui doutent de l’existence du diable, nous répondons :

Tout ce qui a un nom existe ; la parole peut être proférée en vain, mais en elle-même elle ne saurait être vaine et elle a toujours un sens.

Le Verbe n’est jamais vide, et s’il est écrit qu’il est en Dieu, et qu’il est Dieu, c’est qu’il est l’expression et la preuve de l’être et de la vérité.

Le diable est nommé et personnifié dans l’Évangile, qui est le Verbe de vérité, donc il existe, et il peut être considéré comme une personne. Mais ici c’est le chrétien qui s’incline ; laissons parler la science ou la raison, c’est la même chose.

Le mal existe, il est impossible d’en douter. Nous pouvons faire bien ou mal.

Il est des êtres qui sciemment et volontairement font le mal.

L’esprit qui anime ces êtres et qui les excite à mal faire est dévoyé, détourné de la bonne route, jeté en travers du bien comme un obstacle ; et voilà précisément ce que signifie le mot grec diabolos, que nous traduisons par le mot diable.

Les esprits qui aiment et font le mal sont accidentellement mauvais.

Il y a donc un diable qui est l’esprit d’erreur, d’ignorance volontaire, de vertige ; et il y a des êtres qui lui obéissent, qui sont ses envoyés, ses émissaires, ses anges, et c’est pour cela qu’il est parlé dans l’Évangile d’un feu éternel qui est préparé, prédestiné en quelque sorte au diable et à ses anges. Ces paroles sont toute une révélation et nous aurons à les approfondir.

Définissons d’abord bien nettement le mal ; le mal c’est le défaut de rectitude dans l’être.

Le mal moral est le mensonge en actions comme le mensonge est le crime en paroles.

L’injustice est l’essence du mensonge ; tout mensonge est une injustice.

Quand ce qu’on dit est juste, il n’y a pas mensonge. Quand on agit équitablement et d’une manière vraie, il n’y a pas péché.

L’injustice est la mort de l’être moral, comme le mensonge est le poison de l’intelligence.

L’esprit de mensonge est donc un esprit de mort.

Ceux qui l’écoutent sont empoisonnés par lui et sont ses dupes.

Mais s’il fallait prendre sa personnification absolue au sérieux, il serait lui-même absolument mort et absolument trompé, c’est-à-dire que l’affirmation de son existence impliquerait une évidente contradiction.

Jésus a dit : « Le diable est menteur ainsi que son père. »

Qu’est-ce que le père du diable ?

C’est celui qui lui donne une existence personnelle en vivant d’après ses inspirations ; l’homme qui se fait diable est le père du mauvais esprit incarné.

Mais il est une conception téméraire, impie, monstrueuse.

Une conception traditionnelle comme l’orgueil des pharisiens.

Une création hybride qui a donné une apparente raison contre les magnificences du christianisme à la mesquine philosophie du XVIIIe siècle.

C’est le faux Lucifer de la légende hétérodoxe ; c’est cet ange assez fier pour se croire Dieu, assez courageux pour acheter l’indépendance au prix d’une éternité de supplices, assez beau pour avoir pu s’adorer en pleine lumière divine ; assez fort pour régner encore dans les ténèbres et la douleur, et pour se faire un trône de son inextinguible bûcher, c’est le Satan du républicain et de l’hérétique Millon, c’est ce prétendu héros des éternités ténébreuses calomnié de laideur, affublé de cornes et de griffes qui conviendraient plutôt à son tourmenteur implacable.

C’est ce diable roi du mal, comme si le mal était un royaume !

Ce diable plus intelligent que les hommes de génie qui craignaient ses déceptions.

Cette lumière noire, ces ténèbres qui voient. Ce pouvoir que Dieu n’a pas voulu, et qu’une créature déchue n’a pu créer.

Ce prince de l’anarchie servi par une hiérarchie de purs esprits.

Ce banni de Dieu qui serait partout comme Dieu est sur la terre, plus visible, plus présent au plus grand nombre, mieux servi que Dieu même !

Ce vaincu auquel le vainqueur donnerait ses enfants à dévorer !

Cet artisan des péchés de la chair à qui la chair n’est rien, et qui ne saurait par conséquent rien être à la chair, si on ne l’en suppose créateur et maître comme Dieu !

Un immense mensonge réalisé, personnifié, éternel !

Une mort qui ne peut mourir !

Un blasphème que le verbe de Dieu ne fera jamais taire !

Un empoisonneur des âmes que Dieu tolérerait par une contradiction de sa puissance, ou qu’il conserverait comme les empereurs romains avaient conservé Locusta, parmi les instruments de son règne !

Un supplicié toujours vivant pour maudire son juge et pour avoir raison contre lui puisqu’il ne se repentira jamais !

Un monstre accepté comme bourreau par la souveraine puissance et qui, suivant l’énergique expression d’un ancien écrivain catholique peut appeler Dieu le Dieu du diable en se donnant lui-même comme un diable de Dieu !

Là est le fantôme irréligieux qui calomnie la religion, ôtez-nous cette idole qui nous cache notre sauveur. À bas le tyran du mensonge ! À bas le Dieu noir des manichéens ! À bas l’Arimane des anciens idolâtres ! Vive Dieu seul et son Verbe incarné, Jésus-Christ, le sauveur du monde, qui a vu Satan tomber du ciel ! et vive Marie, la divine mère qui a écrasé la tête de l’infernal serpent !

Voilà ce que disent, avec unanimité, la tradition des saints et les cœurs de tous les vrais fidèles : Attribuer une grandeur quelconque à l’esprit déchu, c’est calomnier la divinité ; prêter une royauté quelconque à l’esprit rebelle, c’est encourager la révolte, c’est commettre, en pensée du moins, le crime de ceux qu’au Moyen Âge on appelait avec horreur des sorciers.

Car tous les crimes punis autrefois de mort sur les anciens sorciers, sont réels et sont les plus grands de tous les crimes.

Ils ont ravi le feu du ciel, comme Prométhée.

Ils ont chevauché, comme Médée, les dragons ailés et le serpent volant.

Ils ont empoisonné l’air respirable, comme l’ombre du mancenillier.

Ils ont profané les choses saintes et fait servir le corps même du Seigneur à des œuvres de destruction et de malheur.

Comment tout cela est-il possible ? C’est qu’il existe un agent mixte, un agent naturel et divin, corporel et spirituel, un médiateur plastique universel, un réceptacle commun des vibrations du mouvement et des images de la forme, un fluide et une force qu’on pourrait appeler en quelque manière l’imagination de la nature. Par cette force tous les appareils nerveux communiquent secrètement ensemble ; de là naissent la sympathie et l’antipathie ; de là viennent les rêves ; par là se produisent les phénomènes de seconde vue et de vision extranaturelle. Cet agent universel des œuvres de la nature, c’est l’od des hébreux et du chevalier de Richembach, c’est la lumière astrale des martinistes, et nous préférons, comme plus explicite, cette dernière appellation.

L’existence et l’usage possible de cette force sont le grand arcane de la magie pratique. C’est la baguette des thaumaturges et la clavicule de la magie noire.

C’est le serpent édénique qui a transmis à Ève les séductions d’un ange déchu.

La lumière astrale aimante, échauffe, éclaire, magnétise, attire, repousse, vivifie, détruit, coagule, sépare, brise, rassemble toutes choses sous l’impulsion des volontés puissantes.

Dieu l’a créée au premier jour lorsqu’il a dit le FIAT LUX !

C’est une force aveugle en elle-même, mais qui est dirigée par les égrégores, c’est-à-dire par les chefs des âmes. Les chefs des âmes sont les esprits d’énergie et d’action.

Ceci explique déjà toute la théorie des prodiges et des miracles. Comment, en effet, les bons et les méchants pourraient-ils forcer la nature à laisser voir les forces exceptionnelles ? comment y aurait-il miracles divins et miracles diaboliques ? comment l’esprit réprouvé, l’esprit égaré, l’esprit dévoyé, aurait-il plus de force en certain cas et de certaine manière que le juste, si puissant de sa simplicité et de sa sagesse, si l’on ne suppose pas un instrument dont tous peuvent se servir, suivant certaines conditions, les uns pour le plus grand bien, les autres pour le plus grand mal ?

Les magiciens de Pharaon faisaient d’abord les mêmes prodiges que Moïse. L’instrument dont ils se servaient était donc le même, l’inspiration seule était différente, et quand ils se déclarèrent vaincus, ils proclamèrent que suivant eux les forces humaines étaient à bout, et que Moïse devait avoir en lui quelque chose de surhumain. Or cela se passait dans cette Égypte, mère des initiations magiques, dans cette terre où tout était science occulte et enseignement hiérarchique et sacré. Était-il plus difficile cependant de faire apparaître des mouches que des grenouilles ? Non, certainement ; mais les magiciens savaient que la projection fluidique par laquelle on fascine les yeux ne saurait s’étendre au-delà de certaines limites, et pour eux déjà ces limites étaient dépassées par Moïse.

Quand le cerveau se congestionne ou se surcharge de lumière astrale, il se produit un phénomène particulier. Les yeux, au lieu de voir en dehors, voient en dedans ; la nuit se fait à l’extérieur dans le monde réel et la clarté fantastique rayonne seule dans le monde des rêves. L’œil alors semble retourné et souvent, en effet, il se convulse légèrement et semble rentrer en tournant sous la paupière. L’âme alors aperçoit par des images le reflet de ses impressions et de ses pensées, c’est-à-dire que l’analogie qui existe entre telle idée et telle forme, attire dans la lumière astrale le reflet représentatif de cette forme, car l’essence de la lumière vivante c’est d’être configurative, c’est l’imagination universelle dont chacun de nous s’approprie une part plus ou moins grande, suivant son degré de sensibilité et de mémoire.

Là est la source de toutes les apparitions, de toutes les visions extraordinaires et de tous les phénomènes intuitifs qui sont propres à la folie ou à l’extase.

Le phénomène d’appropriation et d’assimilation de la lumière par la sensibilité qui voit, est un des plus grands qu’il soit donné à la science d’étudier. On trouvera peut-être un jour que voir c’est déjà parler, et que la conscience de la lumière est le crépuscule de la vie éternelle dans l’être, la parole de Dieu, qui crée la lumière, semble être proférée par toute intelligence, qui peut se rendre compte des formes et qui veut regarder. – Que la lumière soit ! La lumière, en effet, n’existe à l’état de splendeur que pour les yeux qui la regardent, et l’âme amoureuse du spectacle des beautés universelles, et appliquant son attention à cette écriture lumineuse du livre infini qu’on appelle les choses visibles, semble crier, comme Dieu à l’aurore du premier jour, ce verbe sublime et créateur : FIAT LUX !

Tous les yeux ne voient pas de même, et la création n’est pas pour tous ceux qui la regardent de la même forme et de la même couleur. Notre cerveau est un livre imprimé au dedans et au-dehors, et pour peu que l’attention s’exalte, les écritures se confondent. C’est ce qui se produit constamment dans l’ivresse et dans la folie. Le rêve alors triomphe de la vie réelle et plonge la raison dans un incurable sommeil. Cet état d’hallucination a ses degrés, toutes les passions sont des ivresses, tous les enthousiasmes sont des folies relatives et graduées. L’amoureux voit seul des perfections infinies autour d’un objet qui le fascine et qui l’enivre. Pauvre ivrogne de voluptés ! demain ce parfum du vin qui l’attire sera pour lui une réminiscence répugnante et une cause de mille nausées et de mille dégoûts !

Savoir user de cette force, et ne se laisser jamais envahir et surmonter par elle, marcher sur la tête du serpent, voilà ce que nous apprend la magie de lumière : dans cet arcane sont contenus tous les mystères du magnétisme, qui peut déjà donner son nom à toute la partie pratique de la haute magie des anciens.

Le magnétisme, c’est la baguette des miracles, mais pour les initiés seulement ; car pour les imprudents qui voudraient s’en faire un jouet ou un instrument au service de leurs passions, elle devient redoutable comme cette gloire foudroyante qui, suivant les allégories de la fable, consuma la trop ambitieuse Sémélé dans les embrassements de Jupiter.

Un des grands bienfaits du magnétisme, c’est de rendre évidente, par des faits incontestables, la spiritualité, l’unité et l’immortalité de l’âme. La spiritualité, l’unité et l’immortalité une fois démontrées, Dieu apparaît à toutes les intelligences et à tous les cœurs. Puis de la croyance à Dieu et aux harmonies de la création, on est amené à cette grande harmonie religieuse, qui ne saurait exister en dehors de la hiérarchie miraculeuse et légitime de l’Église catholique, la seule qui ait conservé toutes les traditions de la science et de la foi.

La tradition première de la révélation unique a été conservée sous le nom de kabbale par le sacerdoce d’Israël. La doctrine kabbalistique, qui est le dogme de la haute magie, est contenue dans le Sepher Jézirah, le Sohar et le Talmud. Suivant cette doctrine, l’absolu c’est l’être dans lequel se trouve le Verbe, qui est l’expression de la raison d’être et de la vie.

L’être est l’être, ???? ??? ????. Voilà le principe.

Dans le principe était, c’est-à-dire est, a été, et sera le Verbe, c’est-à-dire la raison qui parle.

?? ???? ????? !

Le Verbe est la raison de la croyance, et en lui aussi est l’expression de la foi qui vivifie la science.

Le Verbe, ?????, est la source de la logique. Jésus est le Verbe incarné. L’accord de la raison avec la foi, de la science avec la croyance, de l’autorité avec la liberté, est devenu dans les temps modernes l’énigme véritable du sphinx ; et en même temps que ce grand problème on a soulevé celui des droits respectifs de l’homme et de la femme ; cela devait être, car entre tous ces termes d’une grande et suprême question, l’analogie est constante et les difficultés, comme les rapports, sont invariablement les mêmes.

Ce qui rend paradoxale, en apparence, la solution de ce nœud gordien de la philosophie et de la politique moderne, c’est que pour accorder les termes de l’équation qu’il s’agit de faire, on affecte toujours de les mêler ou de les confondre.

S’il y a une absurdité suprême, en effet, c’est de chercher comment la foi pourrait être une raison, la raison une croyance, la liberté une autorité ; et réciproquement, la femme un homme et l’homme une femme. Ici les définitions mêmes s’opposent à la confusion, et c’est en distinguant parfaitement les termes qu’on arrive à les accorder. Or, la distinction parfaite et éternelle des deux termes primitifs du syllogisme créateur, pour arriver à la démonstration de leur harmonie par l’analogie des contraires, cette distinction, disons-nous, est le second grand principe de cette philosophie occulte, voilée sous le nom de kabbale et indiquée par tous les hiéroglyphes sacrés des anciens sanctuaires et des rites encore si peu connus de la maçonnerie ancienne et moderne.

On lit dans l’Écriture que Salomon fit placer devant la porte du temple deux colonnes de bronze, dont l’une s’appelait Jakin et l’autre Boaz, ce qui signifie le fort et le faible.

Ces deux colonnes représentaient l’homme et la femme, la raison et la foi, le pouvoir et la liberté, Caïn et Abel, le droit et le devoir ; c’étaient les colonnes du monde intellectuel et moral, c’était l’hiéroglyphe monumental de l’antinomie nécessaire à la grande loi de création. Il faut, en effet, à toute force une résistance pour appui, à toute lumière une ombre pour repoussoir, à toute saillie un creux, à tout épanchement un réceptacle, à tout règne un royaume, à tout souverain un peuple, à tout travailleur une matière première, à tout conquérant un sujet de conquête. L’affirmation se pose par la négation, le fort ne triomphe qu’en comparaison avec le faible, l’aristocratie ne se manifeste qu’en s’élevant au-dessus du peuple. Que le faible puisse devenir fort, que le peuple puisse conquérir une position aristocratique, c’est une question de transformation et de progrès, mais ce qu’on peut en dire n’arrivera qu’à la confirmation des vérités premières, le faible sera toujours le faible, peu importe que ce ne soit plus le même personnage. De même le peuple sera toujours le peuple, c’est-à-dire la masse gouvernable et incapable de gouverner. Dans la grande armée des inférieurs, toute émancipation personnelle est une désertion forcée, rendue heureusement insensible par un remplacement éternel ; un peuple-roi ou un peuple de rois supposerait l’esclavage du monde et l’anarchie dans une seule et indisciplinable cité, comme il en était à Rome du temps de sa plus grande gloire. Une nation de souverains serait nécessairement aussi anarchique qu’une classe de savants ou d’écoliers qui se croiraient maîtres ; personne n’y voudrait écouter, et tous dogmatiseraient et commanderaient à la fois.

On peut en dire autant de l’émancipation radicale de la femme.

Si la femme passe de la condition passive à la condition active, intégralement et radicalement, elle abdique son sexe et devient homme, ou plutôt, comme une telle transformation est physiquement impossible, elle arrive à l’affirmation par une double négation, et se pose en dehors des deux sexes, comme un androgyne stérile et monstrueux. Telles sont les conséquences forcées du grand dogme kabbalistique de la distinction des contraires pour arriver à l’harmonie par l’analogie de leurs rapports.

Ce dogme une fois reconnu, et l’application de ses conséquences étant faite universellement par la loi des analogies, on arrive à la découverte des plus grands secrets de la sympathie et de l’antipathie naturelle, de la science du gouvernement, soit en politique, soit en mariage, de la médecine occulte dans toutes ses branches, soit magnétisme, soit homoeopathie, soit influence morale ; et d’ailleurs, comme nous l’expliquerons, la loi d’équilibre en analogie conduit à la découverte d’un agent universel, qui était le grand arcane des alchimistes et des magiciens du Moyen Âge. Nous avons dit que cet agent est une lumière de vie dont les êtres animés sont aimantés, et dont l’électricité n’est qu’un accident et comme une perturbation passagère. À la connaissance et à l’usage de cet agent se rapporte tout ce qui tient à la pratique de la kabbale merveilleuse dont nous aurons bientôt à nous occuper, pour satisfaire la curiosité de ceux qui cherchent dans les sciences secrètes plutôt des émotions que de sages enseignements.

La religion des kabbalistes est à la fois toute d’hypothèses et toute de certitude, car elle procède par analogie du connu à l’inconnu. Ils reconnaissent la religion comme un besoin de l’humanité, comme un fait évident et nécessaire, et là seulement est pour eux la révélation divine, permanente et universelle.

Ils ne contestent rien de ce qui est, mais ils rendent raison de toute chose. Aussi leur doctrine, en marquant nettement la ligne de séparation qui doit éternellement exister entre la science et la foi, donne-t-elle à la foi la plus haute raison pour base, ce qui lui garantit une éternelle et incontestable durée ; viennent ensuite les formules populaires du dogme qui, seules, peuvent varier et s’entre-détruire ; le kabbaliste n’est pas ébranlé pour si peu et trouve tout d’abord une raison aux plus étonnantes formules des mystères. Aussi sa prière peut-elle s’unir à celle de tous les hommes pour la diriger, en l’illustrant de science et de raison, et l’amener à l’orthodoxie. Qu’on lui parle de Marie, il s’inclinera devant cette réalisation de tout ce qu’il y a de divin dans les rêves de l’innocence et de tout ce qu’il y a d’adorable dans la sainte folie du cœur de toutes les mères. Ce n’est pas lui qui refusera des fleurs aux autels de la mère de Dieu, des rubans blancs à ses chapelles, des larmes même à ses naïves légendes ! Ce n’est pas lui qui rira du Dieu vagissant de la crèche et de la victime sanglante du Calvaire ; il répète cependant au fond de son cœur, avec les sages d’Israël et les vrais croyants de l’Islam : « Il n’y a qu’un Dieu, et c’est Dieu ; » ce qui veut dire pour un initié aux vraies sciences : « Il n’y a qu’un Être, et c’est l’Être ! » Mais tout ce qu’il y a de politique et de touchant dans les croyances, mais la splendeur des cultes, mais la pompe des créations divines, mais la grâce des prières, mais la magie des espérances du ciel ; tout cela n’est-il pas un rayonnement de l’être moral dans toute sa jeunesse et dans toute sa beauté ? Oui, si quelque chose peut éloigner le véritable initié des prières publiques et des temples, ce qui peut soulever chez lui le dégoût ou l’indignation contre une forme religieuse quelconque, c’est l’incroyance visible des ministres ou du peuple, c’est le peu de dignité dans les cérémonies du culte, c’est la profanation, en un mot, des choses saintes.

Dieu est réellement présent lorsque des âmes recueillies et des cœurs touchés l’adorent ; il est sensiblement et terriblement absent lorsqu’on parle de lui sans feu et sans lumière, c’est-à-dire sans intelligence et sans amour.

L’idée qu’il faut avoir de Dieu, suivant la sage kabbale, c’est saint Paul lui-même qui va nous la révéler : « Pour arriver à Dieu, dit cet apôtre, il faut croire qu’il est et qu’il récompense ceux qui le cherchent. »

Ainsi, rien en dehors de l’idée d’être, jointe à la notion de bonté et de justice, car cette idée seule est l’absolu. Dire que Dieu n’est pas, ou définir ce qu’il est, c’est également blasphémer. Toute définition de Dieu, risquée par l’intelligence humaine, est une recette d’empirisme religieux, au moyen de laquelle la superstition, plus tard, pourra alambiquer un diable.

Dans les symboles kabbalistiques, Dieu est toujours représenté par une double image, l’une droite, l’autre renversée, l’une blanche et l’autre noire. Les sages ont voulu exprimer ainsi la conception intelligente et la conception vulgaire de la même idée, le dieu de lumière et le dieu d’ombre ; c’est à ce symbole mal compris qu’il faut reporter l’origine de l’Arimane des Perses, ce noir et divin ancêtre de tous les démons ; le rêve du roi infernal, en effet, n’est qu’une fausse idée de Dieu.

La lumière seule, sans ombre, serait invisible pour nos yeux, et produirait un éblouissement équivalent aux plus profondes ténèbres. Dans les analogies de cette vérité physique, bien comprise et bien méditée, on trouvera la solution du plus terrible des problèmes ; l’origine du mal.

Mais la connaissance parfaite de cette solution et de toutes ses conséquences n’est pas faite pour la multitude, qui ne doit pas entrer si facilement dans les secrets de l’harmonie universelle. Aussi, lorsque l’initié aux mystères d’Éleusis avait parcouru triomphalement toutes les épreuves, lorsqu’il avait vu et touché les choses saintes, si on le jugeait assez fort pour supporter le dernier et le plus terrible de tous les secrets, un prêtre voilé s’approchait de lui en courant, et lui jetait dans l’oreille cette parole énigmatique : Osiris est un dieu noir. Ainsi cet Osiris, dont Typhon est l’oracle, ce divin soleil religieux de l’Egypte, s’éclipsait tout à coup et n’était plus lui-même que l’ombre de cette grande et indéfinissable Isis, qui est tout ce qui a été et tout ce qui sera, mais dont personne encore n’a soulevé le voile éternel.

La lumière pour les kabbalistes représente le principe actif, et les ténèbres sont analogues au principe passif ; c’est pour cela qu’ils firent du soleil et de la lune l’emblème des deux sexes divins et des deux forces créatrices ; c’est pour cela qu’ils attribuèrent à la femme la tentation et le péché d’abord, puis le premier travail, le travail maternel de la rédemption puisque c’est du sein des ténèbres mêmes qu’on voit renaître la lumière. Le vide attire le plein, et c’est ainsi que l’abîme de pauvreté et de misère, le prétendu mal, le prétendu néant, la passagère rébellion des créatures attire éternellement un océan d’être, de richesse, de miséricorde et d’amour. Ainsi s’explique le symbole du Christ descendant aux enfers après avoir épuisé sur la croix toutes les immensités du plus admirable pardon.

Par cette loi de l’harmonie dans l’analogie des contraires, les kabbalistes expliquaient aussi tous les mystères de l’amour sexuel ; pourquoi cette passion est plus durable entre deux natures inégales et deux caractères opposés ?

Pourquoi en amour il y a toujours un sacrificateur et une victime, pourquoi les passions les plus obstinées sont celles dont la satisfaction paraît impossible. Par cette loi aussi ils eussent réglé à jamais la question de préséance entre les sexes, question que le saint-simonisme seul a pu soulever sérieusement de nos jours. Ils eussent trouvé que la force naturelle de la femme étant la force d’inertie ou de résistance, le plus imprescriptible de ses droits, c’est le droit à la pudeur ; et qu’ainsi elle ne doit rien faire ni rien ambitionner de tout ce qui demande une sorte d’effronterie masculine. La nature y a d’ailleurs bien pourvu en lui donnant une voix douce qui ne pourrait se faire entendre dans les grandes assemblées sans arriver à des tons ridiculement criards. La femme qui aspirerait aux fonctions de l’autre sexe, perdrait par cela même les prérogatives du sien. Nous ne savons jusqu’à quel point elle arriverait à gouverner les hommes, mais à coup sûr les hommes, et ce qui serait plus cruel pour elle, les enfants mêmes ne l’aimeraient plus.

La loi conjugale des kabbalistes donne par analogie la solution du problème le plus intéressant et le plus difficile de la philosophie moderne. L’accord définitif et durable de la raison et de la foi, de l’autorité et de la liberté d’examen, de la science et de la croyance. Si la science est le soleil, la croyance est la lune : c’est un reflet du jour dans la nuit. La foi est le supplément de la raison, dans les ténèbres que laisse la science, soit devant elle, soit derrière elle ; elle émane de la raison, mais elle ne peut jamais ni se confondre avec elle, ni la confondre. Les empiétements de la raison sur la foi ou de la foi sur la raison, sont des éclipses de soleil ou de lune ; lorsqu’elles arrivent, elles rendent inutiles à la fois le foyer et le réflecteur de la lumière.

La science périt par les systèmes qui ne sont autre chose que des croyances, et la foi succombe au raisonnement.

Pour que les deux colonnes du temple soutiennent l’édifice, il faut qu’elles soient séparées et placées en parallèle. Dès qu’on veut violemment les rapprocher comme Sanson, on les renverse et tout l’édifice s’écroule sur la tête du téméraire aveugle ou du révolutionnaire, que des ressentiments personnels ou nationaux ont d’avance voué à la mort.

Les luttes du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ont été de tout temps dans l’humanité de grandes querelles de ménage. La papauté jalouse du pouvoir temporel n’était qu’une mère de famille jalouse de supplanter son mari : aussi perdit-elle la confiance de ses enfants. Le pouvoir temporel à son tour, lorsqu’il usurpe sur le sacerdoce, est aussi ridicule que le serait un homme en prétendant s’entendre mieux qu’une mère aux soins de l’intérieur et du berceau. Ainsi les Anglais, par exemple, au point de vue moral et religieux, sont des enfants emmaillottés par des hommes ; on s’en aperçoit bien à leur tristesse et à leur ennui.

Si le dogme religieux est un conte de nourrice, pourvu qu’il soit ingénieux et d’une morale bienfaisante, il est parfaitement vrai pour l’enfant, et le père de famille serait fort sot d’y contredire. Aux mères, donc, le monopole des récits merveilleux, des petits soins et des chansons. La maternité est le type des sacerdoces, et c’est parce que l’Église doit être exclusivement mère, que le prêtre catholique renonce à être homme et abjure devant elle d’avance ses droits à la paternité.

On n’aurait jamais dû l’oublier : la papauté est une mère universelle ou elle n’est rien. La papesse Jeanne, dont les protestants ont fait une scandaleuse histoire, n’est peut-être qu’une ingénieuse allégorie, et quand les souverains pontifes ont malmené les empereurs et les rois, c’était la papesse Jeanne qui voulait battre son mari au grand scandale du monde chrétien.

Aussi les schismes et les hérésies n’ont-ils été au fond, nous le répétons, que des disputes conjugales ; l’Église et le protestantisme disent du mal l’un de l’autre et se regrettent, affectent de s’éviter et s’ennuient d’être l’un sans l’autre, comme des époux séparés.

Ainsi par la kabale, et par elle seule, tout s’explique et se concilie. C’est une doctrine qui vivifie et féconde toutes les autres, elle ne détruit rien et donne au contraire la raison d’être de tout ce qui est. Aussi toutes les forces du monde sont elles au service de cette science unique et supérieure, et le vrai kabbaliste peut-il disposer à son gré sans hypocrisie et sans mensonge, de la science des sages et de l’enthousiasme des croyants. Il est plus catholique que M. de Maistre, plus protestant que Luther, plus israélite que le grand rabbin, plus prophète que Mahomet ; n’est-il pas au-dessus des systèmes et des passions qui obscurcissent la vérité, et ne peut-il pas à volonté en réunir tous les rayons épars et diversement réfléchis par tous les fragments de ce miroir brisé qui est la foi universelle, et que les hommes prennent pour tant de croyances opposées et différentes ? Il n’y a qu’un être, il n’y a qu’une vérité, il n’y a qu’une lui et qu’une foi, comme il n’y a qu’une humanité en ce monde.

Arrivé à de pareilles hauteurs intellectuelles et morales, on comprend que l’esprit et le cœur humain jouissent d’une paix profonde ; aussi ces mots : Paix profonde, mes frères ! étaient-ils la parole de maître dans la haute maçonnerie, c’est-à-dire dans l’association des initiés à la kabbale.

La guerre que l’Église a dû déclarer à la magie a été nécessitée par les profanations de faux gnostiques, mais la vraie science des mages est essentiellement catholique, parce qu’elle base toute sa réalisation sur le principe de la hiérarchie.

Or, dans l’Église catholique seule il y a une hiérarchie sérieuse et absolue. C’est pour cela que les vrais adeptes ont toujours professé pour cette Église le plus profond respect et l’obéissance la plus absolue. Henri Khunrath seul a été un protestant déterminé ; mais en cela il était allemand de son époque plutôt que citoyen mystique du royaume éternel.

L’essence de l’antichristianisme est l’exclusion et l’hérésie, c’est le déchirement du corps du Christ, suivant la belle expression de saint Jean : Omnis spiritus qui solvit Christum hic Antechristus est. C’est que la religion est la charité. Or, il n’y a pas de charité dans l’anarchie.

La magie aussi a eu ses hérésiarques et ses sectaires, ses hommes de prestiges et ses sorciers. Nous aurons à venger la légitimité de la science, des usurpations de l’ignorance, de la folie et de la fraude, et c’est en cela surtout que notre travail pourra être utile et sera entièrement nouveau.