Hors d’atteinte - Alain Toulmond - E-Book

Hors d’atteinte E-Book

Alain Toulmond

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Beschreibung

Un traitement de texte qui prend le pouvoir ; des portes qui s’ouvrent sur d’autres portes ; un chien et un chat férus de dominos ; et puis ce grille-pain bavard et… Harry, personnage étrange à l’appétit insatiable ; ou encore le patient N° QW-op/65 qui prend la peine de prévenir de sa future évasion…

Hors d’atteinte englobe seize nouvelles, navigant entre fantastique et poésie, humour et débâcle, cynisme et farce. Un piquant clin d’œil à l’absurdité du quotidien ! Il invite le lecteur à porter un autre regard sur notre réalité.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Alain Toulmond écrit depuis longtemps. Des nouvelles, des contes… Il fait également vivre sa poésie sur les scènes ouvertes de la capitale avec le « Café-Poésie-Nomade » de Rodrigo Ramis ; au « Lou Pascalou » du côté de Ménilmontant avec « Mange tes Mots » animé par Galatée & Ginkgo ; au « Charlie » au cœur du 11e entre autres. Accompagné au saxophone par les virevoltantes, insolentes improvisations de J. F. Lauriol et de « Chambre 7 » – formation dont il est le fondateur –, Alain y fait prendre l’air à ses mots en musique, à travers des performances entre slam et lecture.

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Seitenzahl: 236

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Alain Toulmond

Hors d’atteinte

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Alain Toulmond

ISBN : 979-10-377-7368-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Gut’s Réaction, Poèmes français-anglais, Éditions Les Cahiers de l’Hirondelle (1975) ;

Quotidien, Poème in Les Livrets littéraires n° 4, pp 10-11, Éditions Les Livrets littéraires (2018) ;

Didascalie, Nouvelle (Lauréate du Prix BORIS VIAN « Ravir le Bison ») Espace Andrée Chedid (2020) ;

Rêve Émoi, Poèmes, Édition L’Harmattan (2021) ;

Fleur Féline, Poèmes, Édition Les Impliqués (2022) ;

Croquembouche ; le goûteur de couleur !, Nouvelle (Lauréate du prix Pampelune 2022), Éditions BoD (Mars 2022).

— Où êtes-vous né ?

— Hors d’atteinte

— Joli coin !

Ring Lardner

Obsolescence programmée

Séquence une

C’était un matin typiquement défectueux.

Un lundi matin banal et cafardeux sans signe distinctif, un de ceux dont on oublie vite le temps dont ils sont faits. Et pourtant !

Les événements se sont enchaînés discrètement, mezza voce pourrait-on dire.

Tout commença quand ce qui s’avéra être mon grille-pain m’adressa la parole.

Je pensais alors avoir laissé la radio FM en fonctionnement et distraitement j’attribuais cette prise de parole soudaine à l’objet en question.

Mais le ton et le propos semblaient insistant et d’une présence qui n’évoquait nullement une émission matinale de radio.

— Bonjour Rémy (oui, je m’appelle Rémy).

Vérification faite, ni la radio ni le poste de télévision ou un Skype n’étaient en cause.

Je m’inquiétais donc en passant de ma santé mentale, oh très rapidement, en tartinant une biscotte et laissant fondre deux sucres dans mon café.

Mon grille-pain renouvela alors sa matutinale prise de parole.

— Bonjour Rémy, comment vas-tu ce matin ?

Enfin, il me fallut quand même vingt minutes un peu lourdes d’une sourde angoisse et légèrement poisseuses de terreur pour identifier l’ustensile en question.

C’est à l’oreille que je me guidais dans ma propre cuisine pour localiser l’origine du son.

— Bonjour Rémy, alors comment s’annonce cette journée ? Aussi fade et inconsistante que les précédentes ou bien vas-tu réussir à me surprendre aujourd’hui ?

Il avait fallu une séquence sonore un peu plus longue que la précédente et il faut le dire, avec au passage une pointe d’acerbe provocation pour que je détecte enfin l’origine pour le moins surprenante de cette interpellation, qui vous en conviendrez aurait dû me paraître impossible, mais bon… J’entendis, je localisais, et je répondis si si !

— Mais ça ne peut pas exister ça !

Dis-je bêtement en m’adressant à mon grille-pain. Penché vers lui, courbé vers ses deux orifices où l’on glisse les tranches à griller.

Un silence opaque s’ensuivit.

Tranquillement, enfin presque tranquillement je regagnais mon petit-déjeuner, l’air certainement hagard et quelque peu fragilisé intellectuellement.

Le plus stupide allait suivre…

Je me relevais, me dirigeais l’air de rien vers le grille-pain bavard, puis soudainement et fermement je retirais la prise électrique de l’impétrant.

Alors, bêtement satisfait, voire même rassuré, et je me réinstallais devant ma tasse de café.

À aucun moment, l’absurdité de mon geste ne m’effleura.

Mais le plus fou, que vous portiez crédit à mon propos ou pas ! allait arriver…

— Le Môssieu est satisfait, le Môssieu pense qu’il suffit de couper le courant pour que rien ne se passe entre nous, le Môssieu pense avoir des hallucinations auditives ? En tout cas, l’attitude de Môssieu Rémy est pour le moins bizarre, le Môssieu croit que son grille-pain ne lui adressera plus la parole s’il lui coupe l’alimentation électrique… je me gausse !

— Mais enfin, ce n’est pas possiiiiible ce truc ! dis-je en vociférant.

— Et si Rémy !

— Mais arrête quoaaaa !

Cette fois en hurlant littéralement.

— Tu te rends bien compte, Rémy, que tu t’adresses à ton grille-pain là !

— Arrête ou je deviens fou…

— Bon, je vais m’en griller une et je reviens, d’accord ? Je te laisse reprendre tes esprits, mais laisse-moi te dire que tu es un peu fragile des neurones, mon gars. Môssieu a la résistance faiblarde.

Je crois avoir été, à ce moment précis, victime d’une crise de nerfs.

Brève, lucide (quoique ?) et salvatrice.

Toujours est-il que je balançais violemment ma tasse de café et ma tartine dans l’évier et quittais l’appartement illico.

Dehors, l’air frais me fit du bien, un léger vent de début d’automne me remit les idées en place, mais nullement l’étrange sensation de n’avoir pas rêvé ni halluciné.

D’autant plus que ce qui suivit, oh dans la ligne de ce que je venais de vivre ou croire vivre, ne fit qu’amplifier mon diffus malaise.

Laissez-moi vous raconter ma petite balade thérapeutique.

Résumons… Nous sommes donc un lundi matin, il est environ 9 heures et quelques brouettes.

Après une brève conversation, si je puis dire, avec mon grille-pain et ce qui ressemble ensuite à une crise de nerfs vaguement hystérique, je quitte mon appartement, je me dirige vers le parc des Buttes-Chaumont.

Séquence deux

Mon quartier a cela d’agréable, qu’il mixe harmonieusement les ethnies, les cultes, les profils sociaux – professionnels (ouvrier, bobo et arty en somme !) de plus, les espaces verts en abondance ont ici le droit de citer autant que l’asphalte et le béton, enfin pour ne rien gâter les petits cafés sympas, les restaurants accueillants et les espaces – expos – cabarets – musicos-branchouilles parfument agréablement cet arrondissement de l’Est parisien.

J’emprunte la rue du Pré-Saint-Gervais d’un pas résolu en essayant de chasser de mon esprit la mésaventure matinale, certainement liée à une fatigue passagère, traverse la Place des Fêtes où tous les mardi et samedi se tient un agréable marché de proximité comme il y en a tant à Paris, puis j’oblique vers la rue des Solitaires, une rue semi-piétonne qui a un charme particulier, elle est déserte et occupée à la fois, une curieuse ruelle en fait. De là, je passe devant les anciens Studios des Buttes-Chaumont devenus caserne à bobos, mais où subsiste encore un bistro - restaurant à l’ancienne, Le Bistro, qui fut certainement le lieu de retrouvailles de nombreux cadreurs, réalisateurs, preneurs de son, chanteurs, humoristes, journaleux, animateurs, comédiens et autres faiseurs d’illusions télévisuelles.

Je prends sur ma gauche et se dessine enfin la reposante masse verte des Buttes-Chaumont.

Quelques marches, j’y suis, je souffle, je respire et me calme progressivement.

J’avise un banc public, de ces bancs à la couleur verdâtre militaro-utilitaire, mais tellement familier dans le paysage qu’on leur pardonne aisément cette flagrante faute de goût.

Enfin, je me pose.

Les événements de la matinée défilent rapidement en trames saccadées dans un recoin de mon esprit, quand une voix fluette m’interpelle :

— Vous avez l’air soucieux, Monsieur. J’ose espérer ne pas vous déranger dans votre fin de cycle, ne pas perturber vos dernières pensées ?

Je lève les yeux, cherche l’interlocuteur, ne distingue personne hormis quelques lointains promeneurs et joggeurs isolés avec leur écouteur MP3 fiché au pavillon.

Je me retourne, scrute le sous-bois derrière moi, promène le regard alentour quelque peu intrigué par cette voix autant que par le propos. Rien ni personne.

— Ne cherchez pas, je suis ici ! Juste sous vous… vous êtes assis sur moi en fait.

Un profond désarroi me saisit, une immense envie de hurler m’envahit, une fatigue monumentale tétanise tout mon être, je m’affale en arrière sur le banc, écarte les bras comme en signe d’acceptation, et, croyez-moi ou pas... je réponds :

— Je suis bien installé, je ne vous dérange pas au moins ? Enfin, je veux dire moi non plus ?

— Pas le moins du monde, Monsieur. Je suis même plutôt satisfait de pouvoir échanger quelques mots avec vous.

— Oui, oui, je comprends, c’est assez inhabituel, non ? dis-je en proie à une crise de tremblements incontrôlables... le sentiment d’être brutalement catapulté dans un ailleurs qui ne peut pas exister, n’a pas le droit d’exister, sauf dans les mauvaises séries TV, les délires de Philip K. Dick ou les images fictionnelles de Magritte.

« Certes », fut la réponse à cet échange.

« Certes », le banc sur lequel j’étais installé m’avait répondu, « Certes ».

Je crois que c’est à cet instant que j’ai songé à la folie, et immédiatement après pour me réconcilier avec la raison, à une plaisanterie du style caméra cachée ou autre coquinerie tordante du même genre.

C’était compter sans la réalité de ce que j’étais en train de vivre, subir devrais-je dire, du moins à ce moment-là.

Soudainement, assez curieusement me revint en tête un mot utilisé par mon…

Mon Banc ? … Mon interlocuteur ? … Mon quoi au juste ?

En respirant calmement j’essayais de me remémorer notre début de conversation (puisqu’il faut bien appeler cela comme ceci). Quitte à dérailler, alors autant dérailler jusqu’au bout.

La Chose, enfin le Banc avait dit, il me semble : « … ne pas vous déranger dans votre fin de cycle… » (Avouez quand même que c’est absurde tout ça non ?) je me raccrochais, je crois, à quelques jalons de raison et je nageais dans le même temps en plein désarroi.

Je repris donc la « conversation » avec mon banc.

— Vous avez tout à l’heure, évoqué une fin de cycle, je crois… ?

— Ah bon, je ne me souviens pas de…

— Si si si ! vous m’avez dit précisément, cela me revient maintenant, « j’ose espérer ne pas vous déranger dans votre fin de cycle, et ne pas perturber vos dernières pensées ». C’est ce terme « cycle » qui m’interroge… que vous vouliez-vous dire ?

— Tiens donc… peut-être ! Mais je ne pense pas avoir utilisé la conjonction « ET ». Cela ne me ressemble pas.

— Peu importe la conjonction de coordination, dites-moi simplement ce que vous entendiez par « cycle », un rêve, un cheminement de pensée, que sais-je !

— Ou un achèvement de pensée, ha ha ha elle est bien bonne celle-là ! Bon quoi qu’il en soit je vous conseille de vous adresser à la demoiselle… à gauche en empruntant la sortie principale, celle en face de la Mairie, vous voyez ?

— Une demoiselle ?

— Oui, une demoiselle ! Avec une superbe carrosserie rouge.

— Mais comment une demoiselle et pourquoi une demoiselle ?...

À cet instant, tout m’échappait ; la raison, le calme, la logique, la réalité, je crois même que j’avais la sensation que le sol se dérobait sous mes pas, un tremblement fébrile secouait tous mes membres… hagard, j’étais hagard et perdu dans un monde qui me coulait entre les mains, je m’effritais de l’intérieur. J’eus juste la force ou le réflexe, après tout que sais-je, de demander :

— Et elle est où, et ressemble à quoi, cette demoiselle ?

— Je viens de vous le dire, Rémy. À gauche en sortant par la porte principale en face de la Mairie, vous trouverez la demoiselle, enfin plus précisément pour vous être agréable, je précise qu’il s’agit d’une Coccinelle rouge sans pois d’aucune sorte garée au niveau de l’arrêt de bus 48, voilà je ne peux vraiment rien faire d’autre pour vous… et hop allez calmez-vous, levez-vous et filez mon garçon !

— Rémy ! Vous avez dit Rémy, vous connaissez mon nom vous aussi… mais je suis en plein délire… et ne me dites pas que la demoiselle c’est un véhicule… et que… que signifie… oh ! J’abandonne au revoir, Monsieur… adieu Monsieur le Banc.

Et je partis, m’enfuis plus exactement, à la dérive d’un pas rapide et heurté.

J’avais en tête les mots de mon grille-pain et du banc de rencontre, ces mots qui commençaient à tourner en boucle dans mon pauvre crâne, et puis ces tournures allusives « Fin de Cycle’, « Achèvement de pensées’, le rire du banc et la condescendance du grille-pain.

De surcroît, ils connaissaient tous les deux mon prénom… j’en arrivais à oublier d’intégrer que leur prise de parole était à proprement parlé I-m-p-o-s-s-i-b-l-e, et pourtant je l’avais vécu, je croyais l’avoir vécu ou alors j’étais en train de rêver et j’allais me réveiller… mais non…

Tout cela me remontait à la gorge, littéralement, un envahissement physique, une occupation irrémédiable de mon espace mental, espace dont d’ailleurs, plus le temps passait, plus je commençais à sérieusement douter.

Et mes pas bien évidemment m’entraînèrent inéluctablement vers l’arrêt de bus 48.

Séquence trois

Inutile de revenir sur l’état mental et physique dans lequel je me trouvais ni d’essayer de justifier mon comportement. En effet, pourquoi poursuivais-je quasiment pas à pas les indications de mes interlocuteurs (si vous me passez l’expression) et pourquoi accepter des échanges verbaux, somme toute, impossibles ?

Voilà les pensées qui me torturaient alors même que je me dirigeais paradoxalement là où « Mon Banc » m’avait conseillé de me rendre.

L’arrêt de bus 48 se trouve juste à proximité de l’entrée principale des Buttes-Chaumont et en face de la superbe bâtisse qu’est la Mairie du 19e arrondissement.

Une large place aère un carrefour où se croise le petit monde du 20e, 11e & 19e, et plus que probablement, également d’autres quartiers de Paris.

J’arrivais sans trop y prendre garde à l’arrêt du bus 48, qui accessoirement notais-je, est aussi une correspondance avec les lignes 60 et 75. J’essayais en fait de m’imprégner de la réalité immédiate pour échapper à ce qui devenait un véritable cauchemar.

Là, bien évidemment, une voiture rouge, une Volkswagen m’attendait. J’en étais donc arrivé à trouver cela, à défaut d’être normal, comme s’inscrivant dans la réalité, dans ma nouvelle et si surprenante réalité.

La coccinelle se signala à moi par un bref coup de klaxon. Au volant, bien évidemment personne, ni à l’arrière du véhicule d’ailleurs.

Je fis un premier passage en scrutant l’intérieur de la Volkswagen, m’éloignais de quelques mètres puis revenant sur mes pas je m’immobilisais, planté-là n’attendant rien, et surtout j’étais statufié par l’enchaînement de situations.

Un nouveau coup de klaxon me tira de mon apathie… la porte avant droite du véhicule était maintenant ouverte… eh alors !

Ben ! Je m’installais benoîtement côté passager, claquais la portière violemment et attendis. Oh, pas longtemps…

— Doucement la porte, Rémy ! Je suis un modèle de 70 ! Enfin, 1970. On ne me traite pas comme une vulgaire citadine hybride. Moi, on me bichonne, on m’astique, on me collectionne avec amour et ferveur.

— Oui, je suppose que non, répondis-je.

— Bon, je vous emmène et on va en profiter pour faire un petit brin de causette tous les deux.

Vous allez vous ressaisir ! D’accord Rémy ? Vous avez une préférence pour le trajet ou bien vous me laissez le choix ?

— Non, je suppose que oui, marmonnais-je

— Alors nous allons prendre notre temps et circuler lentement, vous savez mon ancienne propriétaire roulait un peu trop rapidement quand elle avait un peu bu, j’étais peu rassurée pour ma carrosserie d’ailleurs, mais il faut dire que la conductrice de Coccinelle a cela de particulier, c’est qu’elle a les litres joyeux ! Ah ah ah ! Moi je suis plutôt prudente, peut-être pas très sobre, mais pas de crainte je fais attention à mes ailes.

— Non non ! Aucune crainte… tout va bien et tout est normal, je suis assis côté passager dans un véhicule qui me fait la conversation, m’emmène je ne sais où, et qui pratique un humour à deux balles. Tout va bien et je suis calme, dis-je avec quelques grelots dans la voix.

— Ce que vous pouvez être conformiste, et impressionnable quand même, Rémy ! Puis niveau humour rien, nada, zéro, hein !

— Je sais, je sais, on me le dit souvent ; tu devrais laisser un peu plus de liberté à ton grille-pain, histoire qu’il s’en paye une bonne tranche. Ou encore, tu devrais parler plus calmement avec les bancs que tu rencontres et qui t’adressent la parole. Et même tu devrais ne pas claquer la portière des demoiselles quand tu montes dans… enfin bon… bref, la suite c’est quoi maintenant ?

Silence.

C’est rassurant le vide ça meuble le rien

Nous avons roulé un quart d’heure sans un mot, puis la coccinelle a pris la direction de la Place des Fêtes, à deux pas de chez moi, quand mon portable a sonné.

— Oui allo

— Rémy, peux-tu me passer ta voisine si tu veux bien.

— Pardon ! Et comment je vous la passe… et qui êtes-vous ?

— Alors dans l’ordre : tu me poses sur le siège conducteur ça fera l’affaire et pour la deuxième question je suis ton portable, petite précision, c’est l’objet que tu tiens collé à ton oreille gauche en ce moment.

— OK… tiens je te la passe… répondis-je nauséeux et résigné.

— … Merci.

Je posais donc mon portable sur le siège conducteur… et remarquant que j’avais omis la plus élémentaire règle de sécurité en voiture, je mis ma ceinture.

Ce que je vivais depuis plus de deux bonnes heures me semblait lointain, évanescent, plus le temps passait plus je me laissais entraîner dans cette faille absurde, j’en étais arrivé avec une sorte de délice au « Pourquoi pas après tout ! »

Je me laissais aller à de suicidaires pensées quand la Demoiselle en rouge m’adressa à nouveau la parole :

— Rémy votre portable voudrait vous dire deux mots…

Normal me dis-je en me saisissant de l’objet, car ce n’était enfin qu’un objet, un truc, un machin en plastique plein de…

— Oui ! Je suis tout ouïe.

— Il faudrait que tu passes à un distributeur de billets pour que nous allions faire quelques courses pour le repas de ce soir tous les trois.

— Ah bon ! Le repas de ce soir, bien sûr j’aillais oublier et nous ne serons que trois, qui ne vient pas et qui vient finalement ? dis-je d’un ton qui se voulait ironique et sarcastique.

— Ah non ! Change de ton, pas de ça avec moi s’il te plaît, Rémy… nous serons toi, moi, et ton copain le grille-pain. Notre belle et rutilante coccinelle ne pourra se joindre à nous, elle a deux ou trois choses à réviser.

— C’est peut-être mieux non, parce que pour l’ascenseur je n…

— … Arrête veux-tu !

— Bon OK OK… je fais quoi maintenant ? Je demande à la mademoiselle de me laisser à un distributeur de billets et je raccroche, c’est ça ?

— Ben voilà, Rémy ! Tu vois quand tu veux… simplement une petite chose encore, tu n’oublieras pas de passer ensuite au supermarché faire quelques emplettes pour le dîner, là je te laisse seul maître, tu peux penser toutefois à quelques tranches de pain de mie, je sais qu’il en raffole, et pour moi tu as le chargeur à la maison. Une petite rasade de 130 mA me suffira.

Seul et perdu comme il est difficilement imaginable de l’être, je sifflotais « Blackbird » un air des Beatles… l’esprit vide, et à la main ma carte bancaire que je regardais avec méfiance.

Quelques minutes plus tard, la Coccinelle me déposait à l’angle de la rue où se trouvait un DAB. Je me dirigeais vers ce dernier en lui trouvant déjà un air arrogant, mais plus rien ne pouvait me surprendre, je glissais imperceptiblement dans l’acceptation la plus totale de cet univers et de son fonctionnement.

Séquence quatre

Le distributeur se trouve à l’intersection de la rue de Crimée et de la rue des Fêtes.

Donc à deux pas également du supermarché le plus proche.

Nous sommes là, Place des Fêtes, l’ambiance ici est à l’espace, à la convivialité, à la mixité, à la verdure aussi puisqu’un square trône à proximité avec son kiosque à musique, véritable survivance d’une époque révolue, ses jeux pour enfants en bas âge et un peu plus loin au centre de la place où se dresse malhabile une pseudo pyramide relevant de l’erreur architecturale, il y a même un manège.

C’est autour de cette place que se cristallise en grande partie la vie du quartier. C’est également ici que se tiennent les marchés, les brocantes, et autres manifestations.

Je songeais à tout cela en me dirigeant vers le DAB, je songeais à cette réalité qui m’apparaissait maintenant inconsistante, j’étais ailleurs. Réellement ailleurs !

Pour le DAB, plus rien de bien surprenant, il m’adressa lui aussi la parole guida mes choix, m’interpella par mon prénom, bref, nous eûmes une relation que je qualifierais de plutôt fort civile. Il eut même l’amabilité de m’imprimer avec mon solde la liste des courses.

Aussi l’en remerciais-je vivement tant j’avais besoin d’un signe de connivence et d’une relation vaguement humaine et amicale.

— Merci, vraiment mille mercis… vous êtes le premier à me tendre la m… enfin vous êtes le premier à…

— Ah ! Ah ! Votre tentative d’amabilité se solde par une impasse, je crois, Rémy !

— Oui ou plutôt une maladresse, mais je suis sincère, vous savez !

— Je sais, je sais et je vous comprends ! Mais vous êtes également le premier à faire montre de tant de sollicitudes, cela est à mettre à votre crédit si je puis dire. Tenez voilà vos billets et je vous ai glissé la liste pour les courses. Adieu.

— Oui peut-être ? Alors à bientôt, au revoir.

— Oh, j’en doute !

Et le DAB me restitua ma carte.

Je dois dire que le « j’en doute » suscita en moi un vague malaise autant que me laissait perplexe l’expression « fin decycle » ou même la tournure « achèvement de pensée ».

Je ne m’appesantis pas sur cela, outre la situation, c’était déjà suffisamment extraordinaire au sens propre comme au sens figuré. Je rejoignis donc le supermarché.

Séquence cinq

Là, le choc fut violent...

Les consommables fruits, légumes et autres denrées me laissèrent indifférent.

Au milieu de cette débauche de victuailles charcutières, huîtrières, carnées et laiteuses, une désinvolture glaciale m’envahit.

Les objets de consommation, serviettes, assiettes, livres, gobelets, ampoules, etc. me laissèrent imperturbable, détaché…

Seule la présence d’autres êtres humains m’assaillit, leurs allées et venues m’agressèrent.

Le seul frôlement de tous ces individus qui pourtant comme moi effectuaient quelques provisions me souleva le cœur.

Les personnes autour de moi me révulsaient et leurs propos inconsistants me révoltaient.

J’étais en proie à une crise de panique ou dangereusement proche à nouveau d’une crise d’hystérie.

Je souhaitais être avec ma Coccinelle, retrouver mon banc, mon portable et mon grille-pain.

Je voulais entendre à nouveau les propos bienveillants du DAB.

Puis, je réalisais que l’on s’adressait à moi.

Cela me ramena fort heureusement au pourquoi de ma présence en ce lieu.

Sans trop m’en rendre compte, j’avais effectué mes courses et je me trouvais déjà à la caisse.

Heureusement en ce lundi matin, peu de monde et la caissière me sermonnait gentiment, me demandant au passage si tout allait bien.

— Ben alors, on rêvasse ?

Silence.

— Il est où là ? Y a quelqu’un ?

Absence.

— Allo la terre ! Houhou ! Faut atterrir !

Retour.

— C’est que je n’ai pas que ça à faire moi, mon bon Monsieur ! j’ai ma caisse qui...

Réveil.

— Oui oui, ça va super, fanfaronnais-je, j’étais dans la lune.

— Ben, vous y êtes resté longtemps, ça fait au moins dix minutes que vous êtes à ma caisse avec un air perdu de chien battu !

— Ah ! Ce n’est pas possible… !

— Et oui ! Au moins dix bonnes minutes, si je ne vous connaissais pas, Monsieur Rémy j’aurais appelé la sécurité.

Ce Monsieur Rémy là, prononcé par l’hôtesse de caisse me fit un bien immense.

Nous nous mîmes à parler.

Parler de tout. De tout et de rien surtout, le tout me protégeait et le rien me rassurait. C’était bon comme la réalité, vide, banal et rassurant sans relief ni événement excessif. Normal quoi !

Vaguement rasséréné par ces quelques instants, je me décidais à payer et quittais le supermarché. Puis, je pris la direction de mon chez-moi.

Séquence six

Neuvième étage avec ascenseur, porte droite.

Je fis cela à pied, histoire de continuer à renouer avec une réalité qui m’avait passablement échappé depuis ma « conversation » matinale avec le grille-pain.

Mon inconsistante discussion avec la caissière m’enracinait encore dans l’illusion d’un retour à la normale. Je voulais y croire, je l’espérais… C’était vital.

Mon portable vibra au moment même où j’arrivais à l’étage. Je l’extrayais de ma poche ainsi que mes clefs et répondis en ouvrant la porte de l’appartement.

— Oui ?

— C’est moi…

— … ?

— C’est ton portable imbécile, tu rêves ou quoi ?

— Je ne sais pas, je sais plus, je fais quoi maintenant ?

— Ben, tu rentres… et surtout tu laisses l’ampli Rémy, ce sera plus commode pour te parler.

Tout se réinstalla rapidement avec la plus effarante normalité qui soit.

Las et vaincu par la situation, je répondis placidement :

— En fait, je me plaisais à penser que tout cela n’était qu’un cauchemar… mais je crois avoir commis là une erreur d’appréciation.

— Erreur ou pas, faudrait voir à accélérer le mouvement mon gars, on n’a pas l’éternité devant nous hein !

— Ah bon on est pressé maintenant ?

— Un peu qu’on est pressé ! D’abord, j’ai la dalle, la batterie un peu faiblarde et ton copain aimerait bien se griller une croûte… ensuite, on cause et on t’explique. D’accord ?

— D’accord…

— … Ah, j’allai oublier de te dire ! Y a la petite coccinelle rouge qui t’embrasse, elle a les sens raffinés, et tu as oublié de lui faire tes adieux, je crois.

— Possible, je suis un peu perturbé aujourd’hui !

— Mouai ! Bon alors on rentre, on mange, on cause et hop ! OK ?

— OK…

— Parfait, tu vois quand tu veux Rémy, ça roule tout seul.

Chez moi, ça sentait le café et il y avait un bruit de fond provenant de mon bureau.

Je posais le portable sur la table de la cuisine et me dirigeais vers ce qui, à l’autre bout de mon appartement, me paraissait être un ronflement.

Il s’agissait de l’aspirateur, ce dernier effectuait en solitaire une tâche ménagère qui d’ordinaire me désintéresse royalement.

Je restais quelques instants à contempler la mécanique à l’œuvre... l’aspirateur se déplaçait tout seul, fouinant dans les coins, traquant la poussière, débusquant les moutons sans aide aucune… plus rien, je crois, ne pouvait me perturber.

De retour dans la cuisine mon portable m’informa :

— Vouai ! On fait le ménage, enfin si je puis dire, on prépare tout pour le neuf.

— Le neuf ? Nous sommes à peine le vingt, répondis-je machinalement.

— Laisse tomber et prépare le repas…

— Si tu veux…

— Pour moi ce sera une petite charge 130mA et pour ton copain deux, trois tranches de pain de mie, tu peux te préparer ce qui te chante dans la foulée.

Une petite voix fluette se fit entendre à cet instant provenant du cellier :

— Et moi, je te prépare un petit café bien serré pour la route, Rémy.

C’était la cafetière, normal !

Dehors la vie banale s’écoulait, j’avais envie de me réveiller au sortir d’un mauvais rêve.

Nous nous repûmes en silence, le portable somnolent au bout de son câble sur la table.

Le grille-pain, lui, se régala avec ses tranches grillées, dorées à point et moi je terminais une vague tranche de pâté de campagne accompagné de cornichons à la russe…

Irréelle et… sympa la fête !

Septième et dernière séquence

C’est le grille-pain qui interrompit notre silencieux repas.